de temps à désengager leur attention
des objets qui l’avaient attirée. D’autres
travaux ayant ciblé des comportements
spécifiques, comme le langage ou l’at-
tention conjointe (joint attention), ont
également relevé des différences dès
douze mois.
Cette même stratégie est employée par
notre groupe de chercheurs du Centre
for Brain and Cognitive Development
(CBCD). Toutes les semaines, le centre
reçoit des familles ayant un enfant au-
tiste ainsi qu’un enfant plus jeune (un
nourrisson). Ces familles participent en
tant que volontaires au projet. Elles
viennent de Londres mais aussi parfois
d’autres villes du Royaume-Uni. Paral-
lèlement aux nourrissons « à risque »,
un groupe de nourrissons « contrôle »
participe à tous les tests. Ceux-ci ont le
même âge et, plus important, ont égale-
ment des frères et sœurs plus âgés, mais
sans antécédents de troubles de type
autistique. Tous les nourrissons sont
amenés pour une première visite au
CBCD quand ils ont six mois et revien-
nent à douze mois, deux ans et trois
ans. A chaque visite, ils participent à de
nombreuses études comportementales
et d’imagerie cérébrale, et effectuent
des batteries de tests standardisés. Les
parents remplissent des questionnaires
sur le développement de leur bébé, en
particulier sur leur développement mo-
teur et social, et sur leur capacité plus
générale de communication.
LES PRÉCURSEURS
POTENTIELS
DES TROUBLES DE LA
COGNITION SOCIALE
Pour comprendre pourquoi, dans nos
travaux expérimentaux, nous montrons
aux nourrissons des visages qui jouent à
cache-cache ou des vidéos dans les-
quelles une peluche change la place
d’une balle pendant un moment d’inat-
tention d’une personne, il nous faut
d’abord décrire les hypothèses admises
à l’heure actuelle sur l’origine des
troubles sociaux chez l’autiste.
On observe fréquemment chez les en-
fants autistes un manque d’intérêt pour
les interactions sociales, ainsi qu’un re-
tard dans l’apparition du langage. Ces
phénomènes pourraient résulter d’un
trouble des mécanismes cognitifs néces-
saires à l’interaction avec autrui. La litté-
rature qui décrit le développement type
de ces compétences suggère que plu-
sieurs capacités premières doivent être
mises en place pour que l’enfant puisse
bénéficier au maximum de ses interac-
tions avec ses proches. Le bébé doit,
dans un premier temps, pouvoir recon-
naître ses congénères et s’orienter vers
eux
[9]
, et surtout savoir identifier cer-
tains comportements sociaux signalant
l’intention d’autrui de communiquer
avec lui. Il s’agit, par exemple, de com-
prendre que quelqu’un le regarde ou lui
adresse la parole. C’est dans les premiers
mois de vie que ces capacités et leurs
substrats neuronaux sont mis en place
[10]
. On sait que même un bébé âgé de
quelques jours va préférer un visage
ayant un regard direct et va s’orienter
vers quelqu’un qui lui parle en langage
bébé. Il va même sourire plus souvent
s’il détecte ces signes de communication.
Plus tard, l’enfant développera des com-
portements plus complexes pour inter-
agir avec les autres. La capacité d’orien-
ter son attention vers le centre de l’atten-
tion d’autrui (attention conjointe) appa-
raît vers douze mois : l’enfant va non
seulement suivre le regard de l’autre
pour obtenir de l’information, mais il va
aussi demander de l’information, en
pointant vers des objets, et plus tard, en
posant des questions à leur sujet. Vers
deux ans, il commencera à prendre en
compte l’accès d’autrui à l’information
(par exemple, savoir si quelqu’un voit ou
ne voit pas un objet) pour prédire les ac-
tions de cette personne ou pour savoir
quand lui poser une question. Il com-
prendra que quelqu’un qui n’a pas assis-
té au déplacement d’un objet ne saura
pas où le chercher. C’est le développe-
ment d’une théorie de l’esprit. Toutes
ces capacités, qui sont mises en place
dans les deux premières années de vie,
sont considérées comme cruciales pour
que l’enfant acquière des connaissances,
et en particulier les normes sociales de
sa communauté (comme le langage).
Les individus autistes présentent un
manque d’intérêt pour les interactions
sociales et souvent un intérêt accru pour
certaines classes d’objets, ainsi que des
difficultés à interpréter les intentions
des autres. Il est possible que ces pro-
blèmes soient dus à un dysfonctionne-
ment des précurseurs de la cognition so-
ciale mentionnés plus haut. Ainsi, le
manque d’intérêt à l’égard des gens
pourrait être la conséquence d’un dys-
fonctionnement précoce des méca-
nismes d’orientation vers les autres êtres
humains. Ce problème initial engendre-
rait des réactions en cascade, empê-
chant le développement normal d’autres
mécanismes sociaux. L’un des objectifs
de notre travail est de mesurer ces capa-
cités d’orientation. L’établissement de
l’attention conjointe est très souvent af-
fectée chez les autistes
[11-13]
. Aussi nous
étudions si, à l’âge auquel doit appa-
raître cette compétence, les nourrissons
à risque suivent le regard d’un expéri-
mentateur aussi souvent que le font les
nourrissons contrôles. Nous étudions
également l’intérêt que les nourrissons à
risque portent aux personnes qui inter-
agissent avec eux (en jouant à cache-
cache, par exemple) et le comparons à
leur intérêt pour des objets. L’imagerie
cérébrale par électroencéphalographie
est également employée, afin d’étudier
chez les enfants à risque les réseaux uti-
lisés pour générer ces comportements.
Souvent, même si aucune différence
n’est observée au niveau des perfor-
mances comportementales, des réseaux
neuronaux atypiques sont activés chez
les autistes, ce qui suggère qu’ils utili-
sent des stratégies différentes
[14]
.
Les mesures obtenues dans les premiers
mois de vie sont corrélées avec le déve-
loppement d’autres habilités sociales,
comme la théorie de l’esprit ou le langa-
ge, évaluées quand les enfants revien-
dront au centre à deux et trois ans. Fi-
nalement, toutes ces mesures sont
mises en parallèle avec les résultats des
tests standards de diagnostic de l’autis-
me (comme l’ADOS), réalisés lors de la
dernière visite, à l’âge de trois ans.
Médecine
& enfance
juin 2008
page 256
114293 254-8.qxd 18/06/08 14:46 Page 256