Méthodologie de l`évaluation des pratiques dans le champ

le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010 7
10ème Université d'automne
Quels patients ?
Quels traitements ? Comment
évaluer qualitativement
et quantitativement
l’évolution du patient ?
Comment construire
un protocole ?
L’évaluation des pratiques est fondée sur des mé-
thodologies issues des essais thérapeutiques.
Lorsqu’on considère le poids économique du mé-
dicament qui représente 1 % de la richesse mondiale on
ne s’étonne pas de l’investissement majeur qui est consa-
cré à l’évaluation. Le coût d’une phase III d’un essai thé-
rapeutique pour une nouvelle molécule est de l’ordre de
500 millions d’euros. En regard, le budget d’une évalua-
tion de pratiques dans l’autisme, à l’échelle de la planète,
est dix fois moins important. Rééchir à l’évaluation a
un côté rébarbatif puisqu’il est question de méthodes
et plus encore, de choix de critères. Pour certains, c’est
complexe et décourageant. D’autres considèrent que l’on
est « parasité » par ces méthodes d’évaluation venues du
médicament. Faut-il le rappeler, mener une évaluation
suppose le risque de mettre en évidence l'inefcacité de
ce qui a été entrepris.
Quelles sont les questions à se poser pour construire une
évaluation ? En tout premier lieu, il importe d’abandonner
l’idée que l’on peut « tout » évaluer d’une manière glo-
bale. Ensuite il faut s’attacher à délimiter certains aspects
de la question an de s’obliger à une certaine rigueur. S’il
est nécessaire de formaliser les questions posées, de les
expliciter, il y aura un passage indispensable autour de
quatre sous-groupes de questions : Quels patients ? Quels
traitements ? Comment évaluer qualitativement et quan-
titativement l’évolution du patient ? Comment construire
un protocole ?
Plus encore que pour d’autres pathologies, dans le do-
maine de l’autisme, l’hétérogénéité des prols est la règle
plus que l’exception : d’où la nécessité de dénir la popu-
lation et le « type » de patient auprès de qui l’évaluation
sera focalisée.
Sur quels patients va-t-on centrer l’attention ? Cette atti-
tude réexive peut faire apparaitre un certain nombre de
biais. A titre d’exemple il y a une tendance compréhen-
Méthodologie
de l’évaluation des pratiques
dans le champ de l’autisme
Synthèse de la conférence de Bruno Falissard2
sible à viser la simplicité, et à éprouver une préférence
pour travailler avec des personnes présentant un autisme
avec bon niveau de fonctionnement plutôt qu’avec celles
ayant un autisme sévère.
Quels traitements ? Chaque équipe ayant sa propre pra-
tique de prise en charge, s’il n’est pas reproductible, le
traitement demeure-t-il évaluable ? Comment introduire
une évaluation ? Cette
question se pose aussi
pour le médicament,
car l’effet d’un mé-
dicament tient éga-
lement au médecin
et à la relation qu’il
entretient avec ses
patients. La singula-
rité est propre à toute
évaluation des thérapeutiques. Expliciter le plus possible
ce qui est fait avec les patients, entraîne-t-il une réduction
abusive ? Non, cela aide à réaliser concrètement ce qui a
été entrepris, à trouver une ligne commune et de tenter
d’évoluer, lorsque cela est possible, vers une homogé-
néisation de la prise en charge. Il y a nécessairement un
compromis à trouver entre l’explicitation et l’indistinct.
La question de la singularité n’est pas spécique à nos
domaines. Dans le domaine du cancer, les collègues gé-
néticiens sont confrontés à la personnalisation de plus
en plus grande de leurs outils : avec une puce on peut
singulariser une tumeur, et adapter la thérapeutique. En
conséquence l’approche spéciquement ciblée qui vise à
une médecine personnalisée, ne permet pas d’obtenir une
reproductibilité. La psychiatrie n’est pas le seul domaine
où se pose ce type de question.
Comment évaluer l’évolution des patients ? De quels
outils dispose-t-on pour rendre compte de l’améliora-
tion ? Le choix des critères est un enjeu complexe. Il est
2 Professeur des universités, praticien hospitalier (biostatistique), Responsable du département de santé publique de l’hôpital
Paul-Brousse, Directeur de l’unité INSERM 669 (santé mentale de l’adolescent), Paris
conférence résumée par Dominique Donnet-Kamel et Karima Taleb-Mahi
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8 le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010
10ème Université d'automne
Comment évaluer la qualité
de vie ? Les instruments
existent, également, mais
on leur reproche d’être
prétentieux et normatifs.
Peut-on utiliser un instrument
normé pour un trouble
autistique ? De quelle qualité
de vie parle-t-on ?
préférable d’avoir de multiples solutions qu’une pauvreté
de recours possibles. Encore une fois, cette question n’est
pas spécique au domaine des TED qui nous préoccupe
ici. Le diabète donne une bonne illustration : quel critère
choisir pour évaluer l’évolution des patients : la norma-
lisation de la glycémie ou la prévention de survenue des
complications ? Il est évident que l'étude de la normalisa-
tion de la glycémie coûte moins cher que celle de la pré-
vention des complications. Dans la cognition, la question
de la sensibilité au changement est-elle un critère ? Si la
personne est plus performante, peut-on dire pour autant
qu’elle va mieux ? La réponse est non, le changement
constaté ne signie pas qu’il y ait amélioration de l’état
de la personne. Dans la schizophrénie, les psychiatres ont
proposé des mesures cognitives que la FDA ( Food and
Drug Administration, bureau américain de contrôle ali-
mentaire et pharmaceutique) a refusé en tant que mesures
de l’efcacité. Cela
se discute, car les
modèles cognitifs ont
leur pertinence dans
la compréhension du
fonctionnement psy-
chique de la personne.
Cela ne remet pas en
question la pertinence
des instruments qui
existent pour mesurer
les symptômes, qui
cristallisent le savoir-
faire médical. Pour autant ils présentent l’inconvénient
majeur d’être médico-centrés. Les médecins peuvent né-
gliger d’autres dimensions de la maladie comme l’attes-
tent les syndromes décitaires dans la schizophrénie, qui
ne peuvent être appréhendés que par une investigation
de nature cognitive. Comment évaluer la qualité de vie ?
Les instruments existent, également, mais on leur repro-
che d’être prétentieux et normatifs. Peut-on utiliser un
instrument normé pour un trouble autistique ? De quelle
qualité de vie parle-t-on ? De celle du patient ou de celle
de sa famille ? En l’absence de plainte du sujet concerné,
la qualité de vie de l’entourage est-elle un meilleur indi-
cateur ?
Comment mettre en place un protocole ? Y a t-il nécessité
d’un « groupe contrôle » ? La réponse est globalement af-
rmative. Si un groupe s’améliore, il importe de pouvoir
attribuer l’amélioration à la méthode observée, et pas à
d’autres facteurs. Néanmoins, dans certaines situations,
si une personne présente une dégradation, une rupture,
il n’est pas besoin d’un groupe contrôle. Il existe des
méthodes alternatives au groupe contrôle, par exemple
la comparaison historique avant-après, mais la difculté
réside, là encore, dans l’interprétation des résultats.
Qu’en est-il du tirage au sort pour former les groupes ?
Cette méthode est la seule façon d’interpréter les données
recueillies. Il ne s’agit pas, cependant, de se laisser obnu-
biler par le tirage au sort. On peut aussi inventer d’autres
modèles, mais la condition est la prise en considération
des biais possibles. La question fondamentale reste celle
de la transférabilité des résultats. Enn, la question du
nombre de sujets à inclure dans le protocole est, là aussi,
une question méthodologique importante. Si la pratique
qu’on évalue est très efcace, il faudra un nombre moins
conséquent de patients à inclure et à comparer. En revan-
che, si la méthode n’est pas d’une très grande efcacité,
il faudra inclure un grand nombre de patients.
L’apport fondamental de l’évaluation est de clarier les
pratiques, ce n’est pas si difcile, nous disposons des
moyens utiles, et cela nous aide à progresser efcace-
ment. Aujourd’hui, il y a une vraie prise de conscience de
la nécessité d’évaluer les pratiques psychiatriques mais il
s’agit d’être vigilant sur les raccourcis et les risques de
« dérapage ». Ce n’est pas parce qu’on ne se prête pas à
l’évaluation que ce que l’on fait est mauvais ! Derrière
l’évaluation, il y a des enjeux de pouvoirs.
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