DOSSIER THÉMATIQUE Initiation à l’hépatogastroentérologie pédiatrique Endoscopie pédiatrique diagnostique et interventionnelle : spécificités pédiatriques Diagnostic and interventional digestive endoscopy in children Laurent Michaud* L a fibroscopie digestive a été introduite chez l’enfant dans les années 1970. Son champ d’action s’est progressivement élargi au fil des années de l’endoscopie diagnostique au traitement non invasif de nombreuses pathologies digestives et hépatobiliaires de l’enfant (1, 2). Les recommandations émises pour la réalisation des endoscopies digestives chez l’adulte sont dans leurs principes applicables à l’enfant, mais il faut connaître les particularités liées à l’âge et aux pathologies rencontrées en pédiatrie. Endoscopie digestive diagnostique en pédiatrie Indications et contre-indications (3-4) * Unité de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition, département de pédiatrie et centre de référence des affections congénitales et malformatives de l’œsophage, hôpital Jeannede-Flandre, CHRU de Lille. Les indications diagnostiques de l’endoscopie haute chez l’enfant sont largement dominées par le diagnostic et la surveillance des complications peptiques du reflux gastro-œsophagien (RGO), suivis de la recherche d’une atrophie villositaire en cas de suspicion de maladie cœliaque. Les urgences endoscopiques concernent les hémorragies digestives, ainsi que l’ingestion accidentelle de corps étrangers et plus rarement de caustiques. Les coloscopies sont réalisées le plus souvent en cas de rectorragies, à la recherche d’un polype, et dans le cadre des maladies inflammatoires du tube digestif. Les contre-indications de la fibroscopie digestive chez l’enfant sont les mêmes que chez l’adulte : absolues en cas de suspicion de perforation digestive, de chirurgie digestive récente et d’état de 166 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - n° 5 - septembre-octobre 2009 choc, et relatives en cas d’insuffisance respiratoire ou cardiaque. Conditions techniques Un environnement pédiatrique est indispensable à une prise en charge de qualité. Les locaux doivent être adaptés à cette activité, bien chauffés et équipés en matériel de réanimation destiné à l’enfant, quel que soit son âge. Les endoscopes doivent être adaptés au poids de l’enfant et, lorsqu’il existe, le matériel pédiatrique sera toujours préféré. Pour réaliser en toute sécurité une œso-gastroduodénoscopie chez le nouveau-né ou chez le nourrisson jusqu’à un poids de 6 kg, le diamètre de l’endoscope doit être inférieur à 6 mm. Au-delà de 6 kg et jusqu’à 7 ans (25 kg), on peut utiliser un néonatoscope ou un gastroscope pédiatrique (diamètre de 8 mm). Après 7 ans (et plus de 25 kg), un néonatoscope, un gastroscope pédiatrique ou à défaut un gastroscope adulte peuvent être utilisés. Pour les explorations du côlon chez le nouveau-né et chez le nourrisson, on utilise un gastroscope pédiatrique, car il n’existe pas de coloscope adapté à cette classe d’âge. De 2 à 12 ans, un coloscope pédiatrique (Ø < 11 mm) est recommandé, et un coloscope adulte peut être utilisé après 12 ans. Dans l’idéal, la plupart des endoscopies digestives devraient être réalisées sous anesthésie générale chez l’enfant. En fait, le choix de recourir à une sédation plutôt qu’à une anesthésie dépend des Points forts » L’information puis l’obtention du consentement des parents (et de l’enfant quand c’est possible) sont indispensables avant de réaliser une endoscopie digestive chez l’enfant. » L’endoscopie digestive doit être réalisée chez l’enfant par un opérateur expérimenté au sein d’une structure permettant d’assurer dans des conditions optimales la sécurité de l’enfant avant, pendant et après la réalisation de l’endoscopie. » La présence d’un personnel médical et infirmier compétent à la fois dans le domaine de la technique endoscopique et de la prise en charge pédiatrique, en particulier des plus jeunes enfants, est indispensable. Le matériel endoscopique et l’environnement (locaux, lits) doivent être adaptés à l’enfant. » La durée du jeûne avant la réalisation de l’examen dépend de l’âge de l’enfant : 4 heures chez le nouveau-né et le nourrisson jusqu’à l’âge de 3 mois, 6 heures entre 3 mois et 3 ans, et 8 heures après 3 ans. modalités locales d’organisation, de l’état clinique du patient, de la nature de l’acte endoscopique, en particulier de sa durée et de son caractère invasif (5). Complications Les incidents et les accidents sont plus fréquents chez le nouveau-né et chez le jeune nourrisson. Il faut notamment connaître les risques liés à une affection associée (maladie métabolique, polyhandicap, etc.), surveiller tout particulièrement la tolérance au jeûne (hypoglycémie), et prévenir la déshydratation (préparations coliques) et l’hypothermie. En cas de malformation buccofaciale ou chez le patient polyhandicapé (déformations rachidiennes, thoraciques et abdominales), l’introduction ou la progression de l’endoscope peut être délicate. Une hypoxémie liée à une compression trachéale par l’endoscope est possible, même chez un enfant intubé, l’insufflation peut être mal tolérée et provoquer une détresse respiratoire : ces deux complications justifient le contrôle systématique de la saturation transcutanée en oxygène au cours de l’endoscopie, surtout chez le nourrisson de moins de 6 mois (6). Endoscopie interventionnelle Dilatation de sténose œsophagienne Chez l’enfant, les sténoses œsophagiennes les plus fréquentes sont les sténoses anastomotiques survenant après le traitement chirurgical d’une atrésie de l’œsophage et les sténoses survenant dans les suites de l’ingestion accidentelle d’un produit caustique. Les sténoses peptiques, postinfectieuses, postsclérose de varices œsophagiennes et les sténoses congénitales de l’œsophage sont beaucoup plus rares. Deux techniques sont utilisées : la dilatation par bougies (technique la plus ancienne) et la dilatation par ballonnet introduit sur fil-guide ou sous contrôle de la vue. Une seule série pédiatrique, rétrospective, plaide en faveur des dilatations au ballonnet, qui semblent moins traumatisantes et plus efficaces (7). La récidive de la sténose après dilatation est fréquemment observée. Plusieurs techniques ont été proposées afin de l’éviter, mais elles sont rarement réalisées chez l’enfant, qu’il s’agisse de la mise en place de prothèse œsophagienne ou de stent (8) [qui se heurte aux problèmes de taille de l’œsophage chez les enfants], d’infiltration de corticoïdes au sein de la lésion ou de tamponnement à la mitomycine C après dilatation (9). La mitomycine est un antibiotique cytostatique semblable aux agents alkylants, et connue pour inhiber la prolifération fibroblastique. Les premiers résultats de son utilisation dans les sténoses œsophagiennes récidivantes sont encourageants en pédiatrie. Mots-clés Gastrostomie percutanée endoscopique Dilatation œsophagienne Ligature de varices œsophagiennes Polype colique Keywords Percutaneous endoscopic gastrostomy Esophageal dilation Ligation of esophageal varices Polyps Gastrostomie percutanée endoscopique La gastrostomie par cutanée endoscopique (GPE) a pris un essor considérable ces dix dernières années en pédiatrie, en particulier en raison des progrès dans la prise en charge des maladies chroniques de l’enfant (cancer, pathologie digestive, respiratoire et neuromusculaire), qui ont permis une augmentation de la durée de vie des patients, avec pour conséquence l’apparition de complications nutritionnelles, dont le traitement spécifique s’intègre dans le projet thérapeutique de l’enfant. Sous réserve de l’utilisation de matériel adapté au poids de l’enfant, la mise en place d’une GPE ne pose pas de problème spécifique à l’âge pédiatrique ; une sonde de gastrostomie peut ainsi être posée sans difficulté technique particulière chez un nourrisson de 2 kg. La technique du Pull est le plus souvent utilisée. La GPE est généralement mise en place dans un but nutritionnel et ses indications recouvrent celle de l’alimentation entérale prolongée. La GPE est une alternative à la sonde nasogastrique quand la durée de la nutrition entérale dépasse 2 à 3 mois. Beaucoup plus rarement, l’indication de la GPE est la nécessité d’une décompression gastrique ou la difficulté de l’administration de médicaments (10). Autres sondes à visée nutritionnelle L’endoscopie interventionnelle permet la mise en place chez l’enfant d’autres types de sondes pour La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - n° 5 - septembre-octobre 2009 | 167 DOSSIER THÉMATIQUE Initiation à l’hépatogastroentérologie pédiatrique Endoscopie pédiatrique diagnostique et interventionnelle : spécificités pédiatriques nutrition entérale : sonde de gastro-jéjunostomie mise en place par l’orifice d’une gastrostomie préexistante, avec réalisation concomitante d’une nutrition jéjunale et d’une décompression gastrique ; de sonde jéjunale par voie transpylorique ou percutanée endoscopique. Ces techniques de nutrition sont surtout proposées aux enfants présentant un RGO sévère associé à des troubles de la vidange gastrique ; elles peuvent être une alternative, au moins temporaire, au traitement chirurgical du reflux. Sclérose et ligature endoscopique de varices œsophagiennes Comme chez l’adulte, la ligature élastique a supplanté la sclérose et a montré sa supériorité en termes de rapidité d’obtention de l’éradication des varices et de moindre risque de complications et de récidives hémorragiques. Cette technique est encore limitée chez l’enfant du fait de la taille des ligateurs (même pédiatriques), qui rend son utilisation impossible en dessous d’un poids de 10 kg (par impossibilité de franchir la bouche de Killian), ce qui justifie alors le recours à la sclérose. Traitement endoscopique des troubles moteurs de l’œsophage : dilatation pneumatique, injection de toxine botulique Le traitement chirurgical de l’achalasie chez l’enfant est la cardiomyotomie extramuqueuse de Heller associée à une intervention antireflux de type Nissen. Cependant, la dilatation pneumatique du cardia peut être une alternative à la chirurgie chez l’enfant, à laquelle il est possible de recourir ultérieurement en cas d’échec de la dilatation. Le taux de succès de cette technique varie entre 60 et 90 %, et plusieurs dilatations peuvent être nécessaires. L’expérience pédiatrique des injections intrasphinctériennes de toxine botulique reste très limitée. Cholangiographie pancréatographie rétrograde endoscopique Comme chez l’adulte, la cholangiographie pancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) peut permettre chez l’enfant des gestes thérapeutiques : sphinctérotomie avec extraction de calculs biliaires, dilatation des voies biliaires, exceptionnellement mise en place de prothèses biliaires (stent). La rareté des indications pédiatriques explique que la CPRE soit quasi constamment réalisée par les endoscopistes d’adultes. Conclusion L’endoscopie digestive, non seulement diagnostique mais surtout interventionnelle, s’est considérablement développée depuis une dizaine d’années chez l’enfant grâce à la miniaturisation des endoscopes et du matériel. Les équipes pédiatriques spécialisées ont acquis une bonne expérience des gestes dont l’indication est fréquente chez l’enfant (gastrostomie par voie perendoscopique, ligature des varices œsophagiennes, dilatation des sténoses œsophagiennes, extraction de corps étrangers digestifs, polypectomie). En revanche, les techniques d’indication beaucoup plus rares en pédiatrie, telles que la cholangiopancréatographie rétrograde ou le traitement endoscopique de l’achalasie, nécessitent une étroite collaboration avec les endoscopistes d’adultes. ■ Références bibliographiques 1. Mougenot JF, Liguory C, Chapoy P. Endoscopie digestive pédiatrique “interventionnelle”. Arch Fr Pédiatr 1991;48:571-9. 2. Michaud L. L’endoscopie digestive interventionnelle chez l’enfant. Arch Pédiatr 2006;3:399-404. 3. Olives JP, Chouraqui JP. Spécificité des techniques d’endoscopie digestive chez le nouveau-né et l’enfant. Acta Endoscopica 2002;3:541-3. 4. Mougenot JF, Faure C, Olives JP et al. Indications actuelles de l’endoscopie digestive de l’enfant. Arch Pédiatr 2002;9:942-4. 5. Michaud L. Sedation for diagnostic upper gastrointestinalendoscopy: a survey of the French Speaking Group of Pediatric Hepatology; Gastroenterology, and Nutrition. Endoscopy 2005;37:167-70. 6. Lamireau T, Dubreuil M, Daconceicao M. Oxygen saturation during esophagogastroduodenoscopy in children: general anesthesia versus intravenous sedation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1998;27:172-5. 7. Lang T, Hummer HP, Behrens R. Balloon dilation is preferable to bougienage in children with esophageal atresia. Endoscopy 2001;33:329-35. 168 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - n° 5 - septembre-octobre 2009 8. Zhang C, Yu JM, Fan GP et al. The use of a retrievable selfexpanding stent in treating childhood benign esophageal strictures. J Pediatr Surg 2005;40:501-4. 9. Uhlen S, Fayoux P, Michaud L. Mitomycin C as an alternative to stent for conservative management of esophageal strictures in children. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2005;40:235-6. 10. Michaud L, Guimber D, Carpentier B et al. Gastrostomy as a decompression technique in children with chronic gastrointestinal obstruction. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2001;32:82-5.