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Peut-on parler daddiction alimentaire ?
Revue de la littérature et discussion clinique
P. Modaï*, W. Lowenstein*
Ce travail a pour objectif de faire le point de la littérature sur les liens entre addiction
alimentaire et obésité et, au-delà de la sémantique, d’évaluer les conséquences pour
la prise en charge de l’obésité. Une première partie fera l’analyse de la littérature
en faveur ou contre la notion d’addiction alimentaire. La seconde commentera
l’intérêt potentiel du regard et de la lecture addictologiques dans les orientations
thérapeutiques.
Les troubles d’utilisation
de substance
dans le DSM-5
La cinquième édition du Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux (DSM-5)[1]
combine en un seul diagnostic de trouble d’uti-
lisation de substance (TUS), les diagnostics
d’abus et de dépendance à une substance
présents dans le DSM-IV(2). Le trouble de
l’usage de substances psychoactives regroupe
l’abus et la dépendance dans un continuum de
léger à sévère. À partir d’une liste de 11symp-
tômes, la présence de2 à 3symptômes défi nit un
trouble modéré, 4et plus, un trouble sévère (Lire
notre Entretien avec le PrO’Brien p.8). Dans
le DSM-IV, usage abusif et dépendance étaient
2notions distinctes(2). Si le concept d’usage
abusif peut s’appliquer à l’“addiction” alimen-
taire, notion discutée, celle de “dépendance” est
contestée par les nutritionnistes qui se réfèrent
à la dépendance physique, et pour qui les symp-
tômes de tolérance et de sevrage qu’elle implique
nexistent pas avec la nourriture(3). Pourtant,
pour le DSM, tolérance et sevrage sont aspéci-
ques de l’addiction, et ils ne sont ni nécessaires
ni suffi sants pour porter le diagnostic d’addic-
tion. Ladoption du terme “addiction” pour dési-
gner l’ensemble des conduites de dépendance a
été discutée mais n’a pas été retenue(4). Le choix
de ce terme aurait eu pour eff et de recentrer
la clinique et les critères diagnostiques sur le
comportement et le lien pathologique qui unit
le sujet à sa source de plaisir et de gratifi cation,
quelle que soit la nature de cet objet(4). Dans
ce cas, la nourriture aurait plus naturellement
pu être incluse dans la défi nition.
Les critères de dépendance ont été établis à
partir de l’observation des patients dépendants
à l’alcool, puis étendus aux autres substances.
Ainsi, des critères tels que “conséquence sociale
ou “temps passé” ne sont pas toujours appli-
cables à d’autres substances. C’est le cas pour la
cigarette, mais également pour la nourriture. La
proposition de critères spécifi ques pour chaque
substance permet d’inclure des substances non
prises en compte, comme la nicotine.
Les choses évoluent concernant les troubles du
comportement alimentaire, puisque le binge
eating disorder (BED), qui ne faisait pas partie
du DSM-IV, a été inclus dans le DSM-5(1).
Les publications
en faveur de la notion
d’addiction alimentaire
On retrouve de nombreuses publications sur
le thème de l’addiction alimentaire et les liens
possibles entre addiction et obésité. Quand on
lance une recherche avec “food addiction” sur
PubMed, on retrouve 1 457références. De
nombreuses études analysent les liens entre le
circuit de la récompense et le contrôle homéos-
tasique du poids, et montrent comment les
perturbations de cet équilibre peuvent aboutir à
l’obésité(5-7). Les mécanismes physiologiques
de régulation de l’appétit sont, en eff et, basés
sur signaux de la faim et de la satiété en fonc-
tion de l’équilibre énergétique. Ils sont mis
en échec par les aliments à haute palatabi-
lité, c’est-à-dire gras et/ou sucrés, denses en
énergie, qui activent le système de récompense
et perturbent la régulation homéostasique de
l’appétit(8). Le rôle de l’hypothalamus et du
circuit de la récompense dans le contrôle de la
prise alimentaire est bien connu. Les peptides
opiacés, les endocannabinoïdes, la dopamine,
les récepteurs agonistes CB1 sont impliqués
dans l’addiction et dans l’appétence pour des
aliments palatables(6). Acontrario, les anta-
gonistes comme la naloxone ou la naltrexone
inhibent la prise alimentaire.
Dans Obesity Review, en janvier2013, N.Volkow
passe en revue les points communs entre lobé-
sité et l’addiction aux drogues(9). Les études
d’imagerie cérébrale ont montré que, dans ces
2pathologies, on retrouve un dysfonctionne-
ment du circuit de la récompense, des voies de la
mémoire et du conditionnement, des émotions
et de la réactivité au stress, des fonctions exécu-
tives de l’autocontrôle mental et de la sensibilité
intéroceptive. Le principal trait commun est la
perturbation des voies dopaminergiques. Lar-
ticle mentionne, malgré tout, une diff érence : une
drogue a une action univoque et directe sur les
voies dopaminergiques de la récompense, alors
que l’homéostasie du comportement alimentaire
est soumise à des signaux centraux et périphé-
riques. La même année, la même N.Volkow
publie dans Biological Psychiatry une analyse
de la dimension addictive de l’obésité(10). Si
les 2pathologies partagent les mêmes pertur-
bations neurobiologiques aboutissant à des
consommations compulsives, l’obésité est aussi
la conséquence d’un accès facile aux aliments
hautement palatables, dont la consommation
excessive peut perturber la régulation homéos-
tasique et le circuit de la récompense. Fumer
et manger impliquent de la même manière le
circuit de la récompense, ce qui pousse les sujets
à continuer de consommer, alors qu’ils savent
que c’est dangereux pour leur santé(10).
O.Albayrak etal., en2012, analysent le lien
entre obésité et addiction alimentaire et s’in-
terrogent sur la nosographie(11) : addiction
comportementale ou trouble de l’usage de subs-
tance ? Larticle montre combien il est diffi cile
de séparer les processus biologiques impliqués
dans l’addiction et le contrôle de l’appétit ou de
la faim. Il compare les caractéristiques des addic-
tions comportementales et à une substance, et
conclut que ces 2notions se recoupent ! Qu’il
s’agisse de substances ou de comportement,
les neurotransmetteurs du circuit de la récom-
pense sont les mêmes (dopamine, glutamate).
La leptine, hormone du contrôle à long terme
du pondérostat (système qui maintient le poids à
une valeur de référence propre à l’individu), joue
aussi un rôle central en augmentant la satiété
et en diminuant le sentiment de récompense
pendant l’ingestion de l’aliment. La leptine a une
action sur la dopamine dans le circuit méso-
limbique de la récompense. L’hyperphagie
peut donc être vue comme une addiction
comportementale. La leptine et la ghréline
infl uencent la prise alimentaire. Il a été montré
que la ghréline joue un rôle sur le système de
récompense, et plusieurs études ont invoqué le
rôle de ces 2hormones dans le craving (envies
impérieuses ou obsédantes) pour l’alcool et la
cocaïne. Par conséquent, elles pourraient être
le lien biologique entre addiction alimentaire
chimique” ou comportementale.
La conclusion de la publication est qu’il y a suffi -
samment d’éléments pour penser que l’addic-
tion alimentaire peut être considérée comme
* Centre Addictions et Nutrition, Paris.
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une addiction comportementale spécifique
d’un certain groupe d’obèses. On ne connaît
pas de composé chimique, dans l’alimentation
quotidienne, qui puisse entraîner une réaction
univoque au niveau du cerveau et provoquer
une addiction. Par conséquent, l’addiction
alimentaire doit être classée dans les addictions
comportementales, même si les hormones et
les neuropeptides endogènes sécrétés lors de la
consommation d’aliments pourraient faire le lien
entre addiction comportementale et addiction
à une substance.
Les publications opposées
à la notion d’addiction
alimentaire
Pour ceux qui sont opposés à la notion d’addic-
tion, les denrées alimentaires ne doivent pas être
considérées de la même manière que l’alcool
ou la cigarette. Manger est un acte complexe,
qui fait intervenir différentes hormones et
pas uniquement le circuit de la récompense.
Cest un point de vue qui fi gure dans un article
répondant à N.Volkow dans le même numéro
d’Obesity Review(12). Les auteurs s’interrogent
sur l’applicabilité de ce concept, en évoquant ce
que peut signifi er, en pratique, le terme d’addic-
tion alimentaire, les modèles actuels reposant
sur de larges catégories d’aliments palatables
et non sur un agent addictogène clairement
identifié. Il leur semble donc délicat d’aller plus
loin et de déterminer à quelle concentration un
aliment pourrait révéler un potentiel addicto-
gène. Pour ces auteurs, la revue des études de
neuro-imagerie ne permet pas d’accréditer le
concept général d’addiction alimentaire.
Les nutritionnistes sont très réticents à parler
d’addictions alimentaires. Pour nommer le
besoin urgent ou impulsif de consommer un
aliment, ils préfèrent le terme d’“impulsion ou de
compulsion alimentaire, et la principale expli-
cation est fondée sur le concept de la restriction
cognitive et l’“émotionnalité” alimentaire. Dans
Médecine de lobésité(13), le chapitre consacré
au comportement alimentaire et aux “désordres
du comportement alimentaire” mentionne
le craving (qui naboutit pas forcément à la
consommation d’aliments) et les compulsions
alimentaires qui peuvent être “simples” ou
graves. Le mot “addiction” napparaît jamais,
bien que la défi nition de l’addiction puisse s’ap-
pliquer à un certain nombre d’éléments.
La compulsion “simple” est caractérisée par un
désir non réfréné, une impulsion soudaine, d’un
aliment donné, en dehors des repas. Déclen-
chée par une envie de manger, et non par la
faim, elle s’oriente vers des aliments appréciés
du sujet. Elle procure un plaisir initial et cesse
lorsque la satisfaction a été obtenue. Elle peut
être suivie par un sentiment de culpabilité, qui
peut retarder ou empêcher d’éprouver le plaisir
Définitions des différents troubles
des conduites alimentaires chez les sujets en surpoids
Quand parle-t-on de trouble du comporte-
ment alimentaire (TCA) ? Classiquement, le
terme de TCA regroupait l’anorexie mentale
restrictive, l’anorexie avec boulimie/
vomissements ou la boulimie. Toutes les
personnes en surpoids n’ont pas de troubles
du comportement alimentaire et tous les
troubles alimentaires nentraînent pas de
surpoids. Dans le livre de référence Méde-
cine de l’obésité(13), le PrArnaud Basde-
vant répertorie les désordres alimentaires
que l’on retrouve fréquemment chez les
sujets en surpoids. Même si les symptômes
peuvent se recouper, s’associer, il diff é-
rencie, schématiquement, les anomalies
prandiales et extra-prandiales.
Les anomalies prandiales conduisant à
l’hyper phagie sont diverses et il convient
de les analyser dans le contexte dans lequel
elles surviennent. Elles peuvent être caracté-
risées par l’abondance d’un repas structuré,
par une tachyphagie (c’est-à-dire le fait de
manger trop rapidement) ou par des impul-
sions alimentaires à un moment du repas.
Les anomalies extra-prandiales coexistent
la plupart du temps avec les anomalies
prandiales. Chez un même patient, elles
peuvent être associées au même moment
ou au cours du temps.
En bref :
Le grignotage est défi ni par la consom-
mation répétitive, sans faim, sans envie, de
petites quantités d’aliments facilement dispo-
nibles. Le grignotage peut être limité à des
moments spécifi ques ou être ininterrompu.
Le craving est l’envie ou le besoin impé-
rieux de manger en dehors des repas. Il peut
être suivi ou pas de la consommation d’ali-
ments.
La compulsion alimentaire “simple” est
le désir non réfréné, l’impulsion soudaine de
consommer un aliment donné, en dehors des
repas. La compulsion, déclenchée par une
envie de manger et non par la faim, s’oriente
vers des aliments appréciés du sujet. Elle
procure un plaisir initial et cesse lorsque la
satisfaction a été obtenue. Elle peut être suivie
par un sentiment de culpabilité qui retarde
ou empêche le plaisir alimentaire et ainsi
augmente la consommation de laliment.
La compulsion “grave” se distingue par la
perte de contrôle, par le sujet, de son compor-
tement alimentaire. Pour A.Basdevant, les
compulsions graves sont souvent des compul-
sions simples qui ont dégénéré à force d’être
contrariées par la culpabilité alimentaire(13).
Laccès boulimique est caractérisé par
des épisodes au cours desquels le sujet,
généralement seul, consomme d’impor-
tantes quantités de nourriture, sans faim et
avec gloutonnerie. Les qualités gustatives des
aliments ne comptent pas et la crise a pour
limite la contenance gastrique.
Les 2 dernières anomalies, binge eating
disorder et restriction cognitive, ont une
importance particulière, quand on s’intéresse
au lien entre obésité et addiction alimentaire.
Le binge eating disorder était déjà
mentionné dans le DSM-IV(2) : il est un
TCA à part entière dans le DSM-5(1). Il se
caractérise par des épisodes d’hyperphagie
compulsionnelle avec ingestion, dans un laps
de temps limité, de quantités importantes
de nourriture, avec le sentiment de perte de
contrôle sur la nourriture, sans comporte-
ment de compensation pour empêcher la
prise de poids. Cette dernière caractéristique
distingue le binge eating de la boulimie.
La restriction cognitive se défi nit comme
“la tendance à limiter consciemment la prise
alimentaire pour maintenir le poids ou perdre
du poids. Cest une contrainte volontaire
pour maigrir ou ne pas grossir. En pratique,
cela peut se manifester par la suppression de
certains repas ou de certains aliments réputés
faire grossir. Si cette contrainte exercée sur
le comportement alimentaire est trop rigide
et entraîne une insatisfaction ou une souf-
france psychologique, elle peut entraîner des
réactions de désinhibition, source d’hyper-
phagie, en particulier en dehors des repas. Il
faut distinguer l’intention de limiter la prise
alimentaire et le comportement généré par
cette intention qui aboutit ou pas à une
restriction calorique(34). Cela signifi e que
la seule intention de maigrir peut entraîner
une restriction cognitive, alors même que le
patient na pas réduit ses apports caloriques.
Cet eff ort de limitation (réussie ou non) peut
générer un sentiment chronique de privation
et de frustration et ainsi induire une véritable
obsession alimentaire. Il y a dans la restriction
alimentaire une hypersensibilité aux stimuli
émotionnels internes et aux stimuli externes
(odeur, vue, goût d’un aliment). La désinhibi-
tion est l’envers incontrôlable de la restriction.
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alimentaire et ainsi augmenter la consommation
de l’aliment. La compulsion “grave” est caracté-
risée par le fait que le sujet perd le contrôle de
son comportement alimentaire, en raison d’un
contexte thymique marqué par une forte contra-
riété, ce qui aboutit à une consommation d’ali-
ments plus importante. Pour A.Basdevant(13)
ces compulsions graves sont souvent des
compulsions simples qui ont dégénéré à force
d’être contrariées par la culpabilité alimentaire.
Ce qui amène à parler de la restriction cognitive.
En France, le Groupe de réflexion sur l’obé-
sité et le surpoids, le GROS, diff use largement
ce concept par une communication destinée
aux médecins et surtout au grand public. Pour
eux, l’addiction alimentaire nexiste pas : c’est la
restriction cognitive qui explique les compor-
tements de type addictif(14). En cas de restric-
tion cognitive, le comportement alimentaire
est principalement contrôlé par les cognitions,
et ce sont les eff orts répétés à s’interdire des
aliments réputés “faire grossir” qui vont induire
une dépendance psychologique à ces aliments,
et en aucun cas la nature potentiellement addic-
togène de l’aliment.
Par conséquent, cest la guérison de la restric-
tion cognitive qui va annuler les conduites
addictives. La peur de manquer, la frustration,
la culpabilité disparaissent, et la consommation
de produits gras et sucrés permet de procurer
à nouveau un réconfort véritable. Les pensées
obsédantes concernant ces aliments s’eff acent,
et le désir de s’alimenter redevient tributaire de
l’état nutritionnel de l’individu. En somme, la
suppression de la restriction cognitive permet
de faire changer les produits gras et sucrés de
catégorie : ils passent de la catégorie “drogue” à
la catégorie aliment”(14).
Toutefois, toutes les conduites alimentaires
compulsives ne sont pas en relation avec la
restriction cognitive : certaines sont déclenchées
par des états psychologiques et émotionnels.
Les interactions entre émotions et comporte-
ments alimentaires sont multiples. Les émotions
infl uencent la décision de manger et le choix de
l’aliment. En cas de stress, certains patients ont
lappétit coupé” et d’autres vont “compenser en
mangeant. Lalexithymie, l’incapacité à gérer ses
émotions, donne lieu à des stratégies diverses,
au nombre desquelles fi gure le développement
d’addictions et de surconsommations alimen-
taires compulsives de type boulimique. La diabo-
lisation des aliments ne fait que jeter de l’huile
sur le feu. On aboutit à ce paradoxe : considérer
que les produits alimentaires gras et sucrés sont
addictogènes conduit le corps médical et les
pouvoirs publics à les diaboliser et en prohiber
la consommation dans la population générale.
Cette politique favorise l’extension du syndrome
de restriction cognitive, avec ses conséquences
qui miment les addictions, ce qui semble donner
raison aux diabolisateurs. À l’inverse, dédiabo-
liser les aliments gras et sucrés, les remettre à
leur place d’aliments, considérer que l’appétence
qu’ils suscitent a un caractère normal, permet
aux utilisateurs de s’en satisfaire, de stopper
leur consommation lorsqu’ils sont rassasiés et
contentés. Enfi n, lorsque les conduites alimen-
taires compulsives sont dues à des problèmes
psychologiques et émotionnels, le traitement
doit porter sur ces aspects et passe par un travail
psychothérapeutique(14).
L’ “émotionalité
alimentaire”
La dimension aff ective de l’alimentation est un
fait bien connu. Quand on donne un bonbon
à un enfant pour le consoler ou le calmer, la
nourriture prend une dimension aff ective. Dès le
plus jeune âge, la nourriture est festive ou récon-
fortante ; elle sert de remède contre l’ennui, de
soutien. Les émotions négatives peuvent inhiber
ou, au contraire, favoriser la prise alimentaire.
Une récente étude publiée dans lAmerican
Journal of Clinical Nutrition(15), à partir de
l’étude française NutriNet Santé qui regroupe
35 600internautes, a cherché s’il existait un
lien entre “émotionalité” alimentaire –le fait de
manger sous le coup de l’émotion– et IMC et
obésité. Elle a également étudié l’infl uence du
sexe et des régimes sur ce lien. Létude part de
la constatation que les émotions négatives (soli-
tude, tristesse, anxiété ou dépression) entraînent
une hyperphagie et sont plus fréquentes chez
les sujets obèses. Il ressort de cette étude que
les femmes et les personnes faisant un régime
ont plus tendance à manger sous le coup de
l’émotion (respectivement 52 et 71 %) que les
hommes ou les personnes nayant jamais suivi
de régime (respectivement 20 et 32 %), ou même
que celles qui ont déjà eu recours à un régime
dans le passé (58 %). Les auteurs concluent qu’un
score élevé d’“émotionalité” alimentaire favo-
rise la consommation en excès d’aliments à forte
densité énergétique (concrètement les aliments
gras et sucrés ou salés comme les biscuits, le
chocolat, les chips, etc.). Les mots d’addiction
ou de circuit de la récompense ne sont jamais
mentionnés dans l’article qui parle de comporte-
ment adaptatif acquis en réponse à une émotion.
L’utilisation de la nourriture comme source de
réconfort pourrait être la conséquence d’un
apprentissage inapproprié pendant l’enfance.
Leur hypothèse est confortée par l’association
de scores élevés d’“émotionalité” alimentaire
chez des mères et leurs fi lles. Les liens étroits
entre BED et “émotionalité” alimentaire s’expli-
queraient par le fait que les hyperphages utilise-
raient la nourriture pour diminuer les émotions
négatives ou pour oublier leurs émotions en
mangeant. Les hyperphages pourraient manquer
de stratégies de coping pour résister à la nour-
riture et pourraient être ainsi plus vulnérables
aux pertes de contrôle(15).
Le cas particulier
du sucre
S’il est une substance alimentaire qui depuis
longtemps est soupçonnée” d’être addictogène,
c’est bien le sucre. Indispensable à la survie, le
goût pour le sucre est inné et les aliments sucrés
sont, culturellement, une récompense. Léduca-
tion favorise l’association entre sucre, plaisir et
récompense, mais au cours de la vie cette atti-
rance est modulée par l’expérience alimentaire
de chacun. F.Bellisle réfute le terme d’addiction
pour le sucre. Pour elle, le sucre n’entraîne ni
tolérance, ni sevrage, ni comportement dange-
reux induit et ne correspond pas à la défi ni-
tion de l’addiction(3), même si elle reconnaît
des points communs au niveau cérébral entre
l’alimentation en général et certaines drogues,
telles la nicotine ou l’alcool. Elle note que c’est
rarement le sucre seul, mais les produits gras
et sucrés qui sont la cible des compulsions
alimentaires. Un autre article, publié avec
A.Drewnowski(16), va plus loin dans la
critique de la notion d’addiction appliquée à l’ali-
mentation : si les chevauchements dans le circuit
de la récompense sont incontestables, cela ne
suffi t pas à comparer l’attirance pour le sucre à
une addiction. Les critères de dépendance du
DSM-IV ne se retrouvent pas avec les aliments.
Si les compulsions alimentaires ressemblent au
craving, ils considèrent qu’il est plus facile d’y
résister car il n’y a pas de symptômes physiques
de manque. Il n’y a pas non plus de tolérance, ni
de temps passé à rechercher ou à se procurer le
produit, les aliments étant bon marché et faci-
lement accessibles à tous.
Leur explication des compulsions est que
l’attirance pour les produits gras et sucrés,
comme le chocolat, vient de la familiarité du
produit qui a été acquise pendant l’enfance.
Cette attirance étant compliquée par l’ambi-
valence vis-à-vis de ces produits agréables à
consommer, mais stigmatisés pour leur pouvoir
grossissant. Le danger de parler d’addiction
pour les aliments est multiple : banaliser la ques-
tion des addictions aux substances réellement
toxiques, déresponsabiliser le patient et risquer
d’engendrer des poursuites judiciaires contre
l’industrie agro-alimentaire. Ils concluent leur
article de façon surprenante, en rappelant que
ces aliments à forte densité énergétique sont
bon marché et qu’ils sont la seule source de
plaisir pour un grand nombre de personnes aux
revenus modestes.
La plupart des études montrent que ce sont
plutôt les produits gras et sucrés que le sucre
seul qui provoque le craving, mais une étude
publiée récemment(17) montre un eff et du
sucre seul. Pour analyser les eff ets de l’index
glycémique sur le cerveau et le circuit de la
récompense, les auteurs ont observé l’acti-
vité cérébrale de 12participants âgés de18 à
35ans, obèses ou en surpoids et en bonne santé,
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pendant les 4heures suivant un repas. Létude
a été faite avec des boissons isocaloriques, de
même goût, mais un groupe avec index glycé-
mique (IG) bas et l’autre avec un IG élevé. Ils ont
trouvé que les aliments à IG élevé augmentaient
le débit sanguin dans le noyau accumbens.
Leur conclusion est que les produits à IG
élevé stimulent le circuit de la récompense et
favorise le craving. Le potentiel addictogène du
sucre nest, à ce jour, pas réellement démontré
et nous proposerons, pour éviter de conclure
dogmatiquement, ce chapitre sur La came à
sucre(18)Nous sommes, en fait, tous dépen-
dants du sucre comme nous le sommes de loxy-
gène, de l’eau et des calories pour vivre. Notre
cerveau, notre cœur, nos muscles, bref toutes nos
cellules vivantes ne peuvent fonctionner sans
glucose. Mais tout comme loxygène, dont labus
est nuisible pour les membranes cellulaires et
alvéolaires, tout comme leau, dont l’abus –la
potomanie– peut conduire à léclatement des
cellules cérébrales, tout comme les calories, dont
labus entraîne lobésité et lobstruction progres-
sive des vaisseaux sanguins (…), labus de sucre
est mauvais pour la santé ! En dautres termes,
pour le sucre comme pour tant dautres éléments
vitaux, le mieux est lennemi du bien.
Le regard
addictologique
a-t-il un intérêt ?
Environ 90 % des patients qui consultent un
médecin nutritionniste sont en surpoids ou
obèses. Le terme d’addiction alimentaire
semble pouvoir s’appliquer à certains d’entre
eux, mais lesquels ? Et s’agit-il alors d’une addic-
tion comportementale ou d’une addiction à une
substance psychoactive ? De nombreux patients
utilisent l’alimentation comme un moyen simple
de calmer des sensations désagréables liées
au stress et aux émotions, notamment leurs
pensées les plus douloureuses ou anxiogènes,
leurs troubles de l’humeur ou du sommeil. Des
aliments appréciés pour leur palatabilité sont
utilisés comme un médi cament pour apaiser
une anxiété ou une anticipation anxieuse, une
culpabilité, une colère ou simplement une
tension en rentrant du travail. Typiquement,
c’est une patiente (mais aussi un patient) qui
vous explique qu’elle se contrôle bien sur le plan
alimentaire jusqu’à la fi n de journée. Quand elle
arrive chez elle, après une journée de travail et
se retrouve dans la cuisine à préparer le dîner,
elle “avale n’importe quoi. En réalité, dans
ce “n’importe quoi, on retrouve toujours le
même type d’aliments : pain, fromage, biscuits,
chocolat. D’autres femmes auront besoin d’un
verre de vin pour faire tomber leurs tensions
internes.
Quels critères de l’addiction se retrouvent en
consultation de nutrition ? Parmi les critères,
du DSM-5(1), 3correspondent parfaitement
à la situation de certains patients, ceux qui
veulent faire un régime mais n’y arrivent
pas. Ils savent que leurs impulsions alimen-
taires sont responsables ou aggravent leur
surpoids et toutes les comorbidités, mais cela
ne suffi t pas, comme dans toutes les addictions,
à modifi er leur comportement : le désir persis-
tant ou des eff orts infructueux pour réduire ou
contrôler l’utilisation de la substance (critère4) ;
l’usage de la substance poursuivi malgré des
problèmes sociaux ou interpersonnels persis-
tants ou récurrents (critère5) ; l’utilisation de
la substance poursuivie malgré l’existence d’un
problème physique ou psychologique persistant
ou récurrent déterminé ou exacerbé par la subs-
tance (critère6). Quant au critère8 (importantes
activités sociales, occupationnelles ou de loisirs
réduites ou abandonnées à cause de l’utilisa-
tion) : les patients ont 2raisons pour abandonner
les activités sociales. Cela leur éviterait de céder
à la tentation de manger ou parce qu’ils ne se
sentent pas bien leur corps, leur permettrait
d’éviter les autres. Sans parler des diffi cultés
que rencontrent les obèses dans les avions, le
train ou pour faire certains sports !
Autres critères que l’on retrouve chez eux :
le craving, qui correspond parfaitement aux
compulsions alimentaires, la tolérance, le
syndrome de sevrage (critères9, 10et11).
Concernant la tolérance, c’est plus complexe,
mais elle se retrouve chez certains patients,
peut-être plus proches de la boulimie et qui
ont le sentiment que leurs compulsions les
poussent à manger des quantités de plus en plus
importantes. Quant au syndrome de sevrage,
très contesté par les nutritionnistes, s’il ny a
pas de manque physique, on le retrouve sous
forme d’anxiété, d’irritabilité. Selon la défi nition
de Goodman(19), “laddiction est un processus
selon lequel un comportement, qui permet à la
fois léprouvé d’un plaisir et le soulagement d’une
tension interne, est répété, malgré les eff orts pour
en réduire la fréquence, du fait de la perte de
contrôle au cours de sa réalisation”, et poursuivi
malgré ses conséquences négatives. Il faut qu’il
y ait une notion de souff rance pour parler d’ad-
diction. Les conséquences sont des dommages
dans les domaines somatiques, psychoaff ectifs
ou sociaux. Certes, l’alimentation nest pas une
substance psychoactive bien individualisée (!),
mais la défi nition de Goodman sur les addictions
est parfaitement adaptée à certains troubles du
comportement alimentaire.
addiction
comportementale
et obésité :
vraies maladies
En dehors de facteurs de vulnérabilité dans les
2cas, l’environnement est un élément facilita-
teur. Dans notre société d’hyperconsomma-
tion et de performance, l’accès aux substances
psychoactives et les comportements addicto-
gènes sont favorisés. La stigmatisation des
patients est commune aux addictions et au
surpoids (une maladie de la volonté). Selon ses
repères socioculturels, chacun a une opinion
sur la corpulence “normale… même les méde-
cins ! Et les dépendances sont considérées
aujourd’hui avec une forme de mépris. Elles
sont regardées comme des maladies honteuses,
des fausses maladies, parce qu’elles seraient
issues d’une absence de volonté de guérir des
individus(20). S’il est vrai que les patients sont
responsables de la façon dont ils se nourrissent,
ils ne sont pas, pour autant, coupables d’être
en surpoids ou d’avoir des diffi cultés à suivre
leur régime. Il n’est pas surprenant qu’autant
de patients, parfois très instruits, cèdent
aux sirènes des “régimes miracles. Lobésité,
comme l’addiction, est une vraie maladie
qui nécessite une prise en charge médicale
sérieuse... mais peu ou pas de médicaments
effi caces sont disponibles. En nutrition aussi,
on voudrait “des médicaments addictolytiques
pour enrayer l’envie, le craving. Des études de
phaseIII ont montré que le bupropion et la
naltrexone ont un eff et sur la perte de poids,
en monothérapie ou en association. Mais on
rapporte des eff ets secondaires, et en parti-
culier des nausées(6). En monothérapie, le
bupropion est plus effi cace, mais la naltrexone
potentialise ses eff ets(21).
Dans une étude pilote menée sur 10sujets
pendant 12semaines, le baclofène na montré
qu’une effi cacité faible(22). Les idées les plus
étranges émergent pour motiver les patients.
Largent semble un argument de poids pour
mincir : une publication récente(23) a montré
l’e cacité de cet argument dans la lutte contre
l’obésité et le surpoids. Autre idée, dans le cadre
de sa lutte contre l’obésité, la municipalité de
Duba décidé de récompenser, en milliers de
dollars, les habitants qui perdraient au moins
2kilos pendant le mois du ramadan. Encore
plus original (ou pervers) à Osaka, au Japon,
une résidence impose à ses locataires de passer
sur la balance tous les mois afi n d’ajuster le
loyer aux kilos pris ou perdus ! Selon le commu-
niqué de presse, la formule séduit beaucoup et
motive les plus paresseuses à perdre du poids.
Nous avons remarqué que même des femmes
qui ne sont pas en surpoids viennent ici, le but
est alors de leur faire garder la forme, assure
M.Kataoka, l’administratrice de l’entreprise
à l’origine de cette méthode. Tout est prévu
pour que les locataires se prennent au jeu.
Dans la résidence, on trouve une salle de sport,
mais aussi des chips et sodas en libre-service !
M.Kataoka jure ne pas vouloir perturber
les participants, mais juste leur apprendre
àrésister à leurs tentations”(24). Comme
souvent quand la médecine est impuissante,
elle fait appel à la volonté du patient(20)...
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Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
34
Conséquences
pour la prise
en charge du surpoids
ou de l’obésité
Si la restriction énergétique est un élément
incontournable à mettre en œuvre chez les sujets
souhaitant perdre du poids, tous les patients
en restriction calorique ne souffrent pas de
restriction cognitive. Dailleurs, des études ont
montré que la restriction cognitive nétait pas un
déterminant obligatoire de trouble du compor-
tement alimentaire (TCA) et même qu’elle
pouvait avoir un eff et favorable sur le contrôle
du poids(25). En fait, la sévérité de la restric-
tion cognitive semble être liée au coût psychique
qu’elle mobilise et une même restriction peut
sembler souple pour un patient et rigide pour
un autre. La personnalité sous-jacente du patient
(en particulier stress, humeur) pourrait favoriser
la restriction cognitive et les BED plutôt que
la restriction calorique. Pour certains patients,
bien loin du dogme de la restriction cognitive, ce
nest pas l’“interdit” alimentaire qui les pousse à
consommer. Le grignotage est alors un compor-
tement automatique de “remplissage” que lon
retrouve en cas d’ennui, de solitude. Manger
pour s’occuper, pour faire le vide dans sa tête,
ne pas penser. Cest particulièrement vrai avec
les enfants ou les jeunes adolescents, laissés
seuls au domicile, et qui vont de l’ordinateur
(ou autres consoles de jeux) à la cuisine. Cest
aussi le cas des adultes qui vivent seuls et qui,
le soir, ont du mal à supporter leur solitude (et
plus précisément ce que leurs pensées imposent
d’inconfort quand rien ne vient les assourdir).
Les similitudes cliniques et neurobiologiques
entre obésité et addiction comportementale
ouvrent aussi des perspectives thérapeutiques
non spécifi ques. Un accompagnement par un
entretien motivationnel peut permettre de
susciter et d’amplifi er des motivations internes
au changement. Celles-ci sont générées par
des valeurs et des aspirations positives, plutôt
que par la peur et l’urgence. On peut aider les
patients à développer des capacités internes à
gérer le stress et les émotions désagréables ou à
faire face à des situations diffi ciles. Lacquisition
de l’aptitude à diversifi er les sources de plaisir
et à gérer les diffi cultés interpersonnelles est
aussi une aide thérapeutique. Une étude publiée
en2009(26) a comparé 4types de régimes
prescrits de façon randomisée à 800adultes
en surcharge pondérale suivis pendant 2ans.
À la fi n de l’étude, l’amélioration des facteurs
de risque cardiovasculaire, la compliance au
traitement, l’indice de satisfaction et l’eff et sur
la sensation de satiété étaient identiques pour
les 4régimes. La seule diff érence rapportée était
l’assi duité aux consultations, qui était fortement
corrélée à la perte de poids, quel que soit le
régime.
Comment porter le diagnostic d’addiction
alimentaire ? De quoi souff re un patient obèse
avec des excès alimentaires, qu’il s’agisse de
grignotages, de compulsions ou de crises
boulimiques ? Restriction cognitive, “émotio-
nalité” alimentaire ou addiction alimentaire ? Si
la restriction cognitive est un TCA induit par
les régimes et la dictature de la minceur, elle
ne concerne pas tous les patients, et tous les
régimes n’entraînent pas de restriction cognitive.
Dans la restriction cognitive comme dans
l’addiction alimentaire, le craving peut être
déclenché par la vue d’un aliment, une odeur,
une émotion etc., mais la façon de prendre
en charge le patient est différente. Certains
patients seront satisfaits d’une petite quantité
de l’aliment, alors que d’autres rapportent qu’il
leur est plus facile de le supprimer totalement.
Lobjectif est de faire prendre conscience que la
compulsion alimentaire est une réponse à une
émotion (ennui, tristesse, colère, angoisse…).
Comme en addictologie, on peut travailler
sur la prévention de la rechute en mettant en
place, avec les patients, des stratégies de coping :
les aider à préparer une liste d’activités pour
détourner leur attention et laisser passer l’envie
(téléphoner, se promener, prendre un bain, lire
un livre, se préparer une boisson chaude, etc.) ;
envisager les situations de confrontation à la
nourriture (restaurant, soirées profession-
nelles ou amicales) et travailler sur la manière
de résister et/ou de refuser certains aliments.
“Émotionalité” alimentaire, restriction cognitive,
addiction alimentaire, les 3notions coexistent
parfois chez le même patient, mais ce qui est
important pour le clinicien est de porter le bon
diagnostic afi n de proposer la meilleure prise en
charge possible. Pour déterminer les patients qui
souff rent d’addiction alimentaire, il existe la Yale
Food Addiction Scale (YFAS), une échelle fondée
sur les critères d’addiction du DSM-IV, qui a
été publiée pour la première fois en 2009(27).
Cette échelle concerne la consommation de
produits gras et/ou sucrés, mais ne mentionne
jamais le mot “addiction” pour ne pas induire
de biais.
Dans une publication de2011, dans Appetite,
C.Davis etal., ont utilisé l’échelle YFAS pour
démontrer qu’il existe un parallèle entre l’abus
de substance et celui d’aliments chez certains
obèses(28). En2012 et 2013, A.N.Gearhardt a
publié 2études pour valider l’échelle YFAS chez
des sujets obèses présentant un BED(29,30).
Dans la première étude, portant sur 81patients
obèses avec un BED, 57 % des sujets répondaient
aux critères d’addiction alimentaire, et dans la
seconde, portant sur 96patients, le taux était
de 41,5 %. Dans les 2 études, les patients avec
une addiction alimentaire selon l’échelle YFAS
avaient un taux significativement supérieur
d’émotions négatives, de troubles de l’humeur,
de troubles du comportement alimentaire et
une plus mauvaise estime de soi. Les plus forts
scores d’YFAS étaient liés à un début précoce de
l’apparition du surpoids et du premier régime
amaigrissant. Le score YFAS était le meilleur
prédicteur de la fréquence des crises de BED.
C.Davis conclut que les patients qui répondent
aux critères d’addiction alimentaire sont les
patients présentant les formes les plus sévères
de BED(29,30).
Conclusion
Il y a 10ans, déjà, un article de Obesity Review,
Are we addicted to food ?” posait la question
de la motivation à manger trop malgré des
conséquences néfastes bien connues(31).
Larticle rappelait que la nourriture, en plus
de maintenir l’équilibre énergétique, est une
source quotidienne et naturelle de plaisir et de
récompense. Il soulignait, à l’époque, que des
similitudes cliniques et neurobiologiques justi-
aient que l’on étudie le rôle du cerveau dans
l’épidémie d’obésité… Dix ans plus tard, la ques-
tion de l’addiction à l’alimentation et son rôle
dans l’épidémie d’obésité font toujours l’objet
d’un débat animé. Que l’on parle d’un trouble
de l’usage (de la consommation devrait-on
dire) ou d’un trouble du comportement, l’ex-
périence pratique de la nutrition, et en parti-
culier la prise en charge de l’obésité, montre
que certains obèses ont une relation avec l’ali-
mentation qui est superposable à ce que l’on
constate en addictologie. Mais tous les obèses
nont pas d’addiction alimentaire et toutes les
conduites alimentaires compulsives ne sont pas
des addictions ! Certaines sont en relation avec la
restriction cognitive, d’autres sont déclenchées
par des états psychologiques et émotionnels.
Obésité et addiction sont 2pathologies au centre
de débats qui dépassent largement la médecine.
Les aspects économiques, politiques, sociaux,
philosophiques, éthiques ne peuvent être
ignorés. Trop souvent vues comme des mala-
dies de la volonté, ceux qui en souff rent sont
stigmatisés et culpabilisés et ne sont pas perçus
comme des malades, même par de nombreux
médecins. La lutte actuelle contre l’obésité,
qui se dévoie à désigner des boucs émissaires,
comme dans toutes les addictions (autre point
commun) –agroalimentaire, malbouff e, publi-
cité–, n’a pour l’instant pas montré de résultats
convaincants. Les nouveaux liens établis entre
certains aliments et les addictions soulèvent
évidemment de vrais débats de santé publique.
L’intérêt scientifi que pour le concept d’addiction
alimentaire ne cesse d’augmenter compte tenu
des similarités neurobiologiques et comporte-
mentales entre la dépendance aux substances
et la consommation excessive de nourriture. La
question qui nest toujours pas tranchée est celle
du potentiel addictif de certains aliments, en
particulier ceux à forte palatabilité. De même
qu’il n’y aurait pas de toxicomane s’il n’y avait
pas de drogue ou d’alcool, on peut dire qu’il n’y
aurait pas d’obèses s’il n’y avait pas de produits
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