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Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
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pendant les 4heures suivant un repas. L’étude
a été faite avec des boissons isocaloriques, de
même goût, mais un groupe avec index glycé-
mique (IG) bas et l’autre avec un IG élevé. Ils ont
trouvé que les aliments à IG élevé augmentaient
le débit sanguin dans le noyau accumbens.
Leur conclusion est que les produits à IG
élevé stimulent le circuit de la récompense et
favorise le craving. Le potentiel addictogène du
sucre n’est, à ce jour, pas réellement démontré
et nous proposerons, pour éviter de conclure
dogmatiquement, ce chapitre sur La came à
sucre(18) “Nous sommes, en fait, tous dépen-
dants du sucre comme nous le sommes de l’oxy-
gène, de l’eau et des calories pour vivre. Notre
cerveau, notre cœur, nos muscles, bref toutes nos
cellules vivantes ne peuvent fonctionner sans
glucose. Mais tout comme l’oxygène, dont l’abus
est nuisible pour les membranes cellulaires et
alvéolaires, tout comme l’eau, dont l’abus –la
potomanie– peut conduire à l’éclatement des
cellules cérébrales, tout comme les calories, dont
l’abus entraîne l’obésité et l’obstruction progres-
sive des vaisseaux sanguins (…), l’abus de sucre
est mauvais pour la santé ! En d’autres termes,
pour le sucre comme pour tant d’autres éléments
vitaux, le mieux est l’ennemi du bien”.
Le regard
addictologique
a-t-il un intérêt ?
Environ 90 % des patients qui consultent un
médecin nutritionniste sont en surpoids ou
obèses. Le terme d’addiction alimentaire
semble pouvoir s’appliquer à certains d’entre
eux, mais lesquels ? Et s’agit-il alors d’une addic-
tion comportementale ou d’une addiction à une
substance psychoactive ? De nombreux patients
utilisent l’alimentation comme un moyen simple
de calmer des sensations désagréables liées
au stress et aux émotions, notamment leurs
pensées les plus douloureuses ou anxiogènes,
leurs troubles de l’humeur ou du sommeil. Des
aliments appréciés pour leur palatabilité sont
utilisés comme un médi cament pour apaiser
une anxiété ou une anticipation anxieuse, une
culpabilité, une colère ou simplement une
tension en rentrant du travail. Typiquement,
c’est une patiente (mais aussi un patient) qui
vous explique qu’elle se contrôle bien sur le plan
alimentaire jusqu’à la fi n de journée. Quand elle
arrive chez elle, après une journée de travail et
se retrouve dans la cuisine à préparer le dîner,
elle “avale n’importe quoi”. En réalité, dans
ce “n’importe quoi”, on retrouve toujours le
même type d’aliments : pain, fromage, biscuits,
chocolat. D’autres femmes auront besoin d’un
verre de vin pour faire tomber leurs tensions
internes.
Quels critères de l’addiction se retrouvent en
consultation de nutrition ? Parmi les critères,
du DSM-5(1), 3correspondent parfaitement
à la situation de certains patients, ceux qui
veulent faire un régime mais n’y arrivent
pas. Ils savent que leurs impulsions alimen-
taires sont responsables ou aggravent leur
surpoids et toutes les comorbidités, mais cela
ne suffi t pas, comme dans toutes les addictions,
à modifi er leur comportement : le désir persis-
tant ou des eff orts infructueux pour réduire ou
contrôler l’utilisation de la substance (critère4) ;
l’usage de la substance poursuivi malgré des
problèmes sociaux ou interpersonnels persis-
tants ou récurrents (critère5) ; l’utilisation de
la substance poursuivie malgré l’existence d’un
problème physique ou psychologique persistant
ou récurrent déterminé ou exacerbé par la subs-
tance (critère6). Quant au critère8 (importantes
activités sociales, occupationnelles ou de loisirs
réduites ou abandonnées à cause de l’utilisa-
tion) : les patients ont 2raisons pour abandonner
les activités sociales. Cela leur éviterait de céder
à la tentation de manger ou parce qu’ils ne se
sentent pas bien leur corps, leur permettrait
d’éviter les autres. Sans parler des diffi cultés
que rencontrent les obèses dans les avions, le
train ou pour faire certains sports !
Autres critères que l’on retrouve chez eux :
le craving, qui correspond parfaitement aux
compulsions alimentaires, la tolérance, le
syndrome de sevrage (critères9, 10et11).
Concernant la tolérance, c’est plus complexe,
mais elle se retrouve chez certains patients,
peut-être plus proches de la boulimie et qui
ont le sentiment que leurs compulsions les
poussent à manger des quantités de plus en plus
importantes. Quant au syndrome de sevrage,
très contesté par les nutritionnistes, s’il n’y a
pas de manque physique, on le retrouve sous
forme d’anxiété, d’irritabilité. Selon la défi nition
de Goodman(19), “l’addiction est un processus
selon lequel un comportement, qui permet à la
fois l’éprouvé d’un plaisir et le soulagement d’une
tension interne, est répété, malgré les eff orts pour
en réduire la fréquence, du fait de la perte de
contrôle au cours de sa réalisation”, et poursuivi
malgré ses conséquences négatives. Il faut qu’il
y ait une notion de souff rance pour parler d’ad-
diction. Les conséquences sont des dommages
dans les domaines somatiques, psychoaff ectifs
ou sociaux. Certes, l’alimentation n’est pas une
substance psychoactive bien individualisée (!),
mais la défi nition de Goodman sur les addictions
est parfaitement adaptée à certains troubles du
comportement alimentaire.
addiction
comportementale
et obésité :
vraies maladies
En dehors de facteurs de vulnérabilité dans les
2cas, l’environnement est un élément facilita-
teur. Dans notre société d’hyperconsomma-
tion et de performance, l’accès aux substances
psychoactives et les comportements addicto-
gènes sont favorisés. La stigmatisation des
patients est commune aux addictions et au
surpoids (une maladie de la volonté). Selon ses
repères socioculturels, chacun a une opinion
sur la corpulence “normale”… même les méde-
cins ! Et les dépendances sont considérées
aujourd’hui avec une forme de mépris. Elles
sont regardées comme des maladies honteuses,
des fausses maladies, parce qu’elles seraient
issues d’une absence de volonté de guérir des
individus(20). S’il est vrai que les patients sont
responsables de la façon dont ils se nourrissent,
ils ne sont pas, pour autant, coupables d’être
en surpoids ou d’avoir des diffi cultés à suivre
leur régime. Il n’est pas surprenant qu’autant
de patients, parfois très instruits, cèdent
aux sirènes des “régimes miracles”. L’obésité,
comme l’addiction, est une vraie maladie
qui nécessite une prise en charge médicale
sérieuse... mais peu ou pas de médicaments
effi caces sont disponibles. En nutrition aussi,
on voudrait “des médicaments addictolytiques”
pour enrayer l’envie, le craving. Des études de
phaseIII ont montré que le bupropion et la
naltrexone ont un eff et sur la perte de poids,
en monothérapie ou en association. Mais on
rapporte des eff ets secondaires, et en parti-
culier des nausées(6). En monothérapie, le
bupropion est plus effi cace, mais la naltrexone
potentialise ses eff ets(21).
Dans une étude pilote menée sur 10sujets
pendant 12semaines, le baclofène n’a montré
qu’une effi cacité faible(22). Les idées les plus
étranges émergent pour motiver les patients.
L’argent semble un argument de poids pour
mincir : une publication récente(23) a montré
l’effi cacité de cet argument dans la lutte contre
l’obésité et le surpoids. Autre idée, dans le cadre
de sa lutte contre l’obésité, la municipalité de
Dubaï a décidé de récompenser, en milliers de
dollars, les habitants qui perdraient au moins
2kilos pendant le mois du ramadan. Encore
plus original (ou pervers) à Osaka, au Japon,
une résidence impose à ses locataires de passer
sur la balance tous les mois afi n d’ajuster le
loyer aux kilos pris ou perdus ! Selon le commu-
niqué de presse, la formule séduit beaucoup et
motive les plus paresseuses à perdre du poids.
“Nous avons remarqué que même des femmes
qui ne sont pas en surpoids viennent ici, le but
est alors de leur faire garder la forme“, assure
M.Kataoka, l’administratrice de l’entreprise
à l’origine de cette méthode. Tout est prévu
pour que les locataires se prennent au jeu.
Dans la résidence, on trouve une salle de sport,
mais aussi des chips et sodas en libre-service !
M.Kataoka jure ne pas vouloir perturber
les participants, mais juste leur apprendre
à “résister à leurs tentations”(24). Comme
souvent quand la médecine est impuissante,
elle fait appel à la volonté du patient(20)...