La maladie résiduelle dossier thématique Myélome multiple Multiple myeloma C. Hulin*, S. Tardy*, J. Michel* RÉSUMÉ le thalidomide, le bortézomib ou le lénalidomide, avec ou sans intensification suivie d’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques périphériques, a augmenté de manière significative les taux de rémission complète (RC) ainsi que la survie globale des patients atteints de myélome multiple (MM). Cependant, la majorité des patients souffrant de MM garde un niveau de maladie résiduelle (MRD) en dessous du seuil de sensibilité de la morphologie médullaire, de la détection de la gammapathie en immunofixation et du ratio des chaînes légères libres sériques, qui sera la source d’une rechute. Deux méthodes sont disponibles pour suivre la MRD dans le MM : la recherche par réaction de polymérisation en chaîne ou par cytométrie en flux. Aucune de ces 2 techniques n’est actuellement devenue un standard de suivi applicable en routine. L’avenir est d’incorporer l’évaluation de la MRD dans le suivi thérapeutique avec pour objectif de guider les décisions de stratégie thérapeutique (intensification, consolidation et entretien). Uniformiser les critères de suivi de la MRD est à ce titre essentiel. Summary »»L’utilisation de nouveaux agents thérapeutiques tels que Mots-clés : Myélome multiple − Maladie résiduelle − Rémission complète − Réaction de polymérisation en chaîne − Cytométrie en flux. L * Service d’hématologie et de médecine interne, CHU de Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. 204 e myélome multiple (MM) est une hémopathie très hétérogène tant dans son expression clinique que dans les anomalies cytogénétiques et génomiques qui conditionnent son pronostic. Les critères de réponse uniformisés par l’International Myeloma Working Group (IMWG) sont fondés sur : ✓✓ l’évaluation de la gammapathie sérique et urinaire en électrophorèse et en immunofixation ; ✓✓ l’infiltrat plasmocytaire médullaire ; ✓✓ le dosage des chaînes légères libres sériques (1). Les avancées thérapeutiques récentes dans la prise en charge du MM ont permis d’augmenter les taux de rémission complète (RC), la durée de rémission et la survie globale (SG) des patients (2). Le principe de relation étroite entre taux de RC et SG semble de plus en plus patent (3), et, dans ce contexte, évaluer précisément et suivre l’évolution de la maladie résiduelle (MRD) à des points clés de la stratégie thérapeutique devient The use of novel agents with or without autologous peripheral blood stem cell transplantation has significantly increased the complete response incidence rate in multiple myeloma (MM), thus increasing the overall survival rate. The majority of MM patients has a persistent level of residual disease (MRD) below the sensitivity of bone marrow morphology, protein electrophoresis with immunofixation or light chains ratio quantification, that will ultimately lead to relapse. Two methods are available for monitoring MRD in myeloma: polymerase chain reaction and multiparameter flow cytometry, but none has become a standard of care in routine, so far. The future lies into incorporating MRD monitoring along with treatment to guide therapeutic decisions. Developing uniform criteria for minimal residual disease is thus essential in that context. Keywords : Multiple myeloma − Minimal residual disease − Complete remission − Polymerase chain reaction − Multiparameter flow cytometry. un enjeu majeur. Deux techniques particulièrement sensibles ont été développées ces dernières années : la Polymerase Chain Reaction (PCR) et la cytométrie en flux (CMF) multiparamétrique. Détection de la MRD par PCR Plusieurs techniques de PCR pour quantifier le réarrangement du domaine variable du gène de la chaîne lourde des immunoglobulines ont été décrites dans le MM et sont extrêmement sensibles. Toutefois, pour pallier la potentielle présence d’hypermutations somatiques au niveau des loci des immunoglobulines, cette technique doit être développée spécifiquement à partir d’oligonucléotidiques spécifiques d’allèle (ASO) caractéristiques du clone de chaque patient. Dans ce cadre, en utilisant une technique qualitative d’ASO Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 Myélome multiple PCR, P. Corradini et al. (4) rapportent des taux de RC moléculaire supérieurs après allogreffe à ceux observés après autogreffe. Plusieurs séries ont évoqué la valeur pronostique de la négativité de la MRD en PCR après allogreffe. Plus récemment, des techniques de PCR quantitative (RQ-PCR) ont été développées. Avec une technique d’ASO RQ-PCR, M. Korthals et al. (5) ont démontré qu’une MRD basse obtenue avant intensification était associée à un bénéfice de survie sans rechute et de SG. Dans cette étude, une sensibilité de 10− 5 a été obtenue dans 88 % des cas. M. Ladetto et al. (6) ont rapporté que, après la réalisation d’une consolidation à la suite d’une autogreffe par une association de bortézomib, de thalidomide et de dexaméthasone, l’obtention d’une rémission moléculaire en ASO PCR ou en ASO RQ-PCR conduisait à une rémission prolongée sans rechute constatée avec un suivi médian de 42 mois. Une récente mise à jour de cette étude, avec un suivi médian de 65 mois, rapporte une SG de 100 % à 5 ans pour les patients en RC moléculaire après la consolidation (7). La technique par PCR est très sensible et a démontré un impact pronostique après allogreffe ou autogreffe, ainsi qu’en situation de consolidation après autogreffe. Cependant, la technique d’ASO PCR nécessite un séquençage individuel du clone de chaque patient, opération techniquement lourde. Détection de la MRD par CMF Les plasmocytes malins peuvent être distingués des plasmocytes normaux chez 90 % des patients grâce à l’expression aberrante de marqueurs de surface (8). De plus, les marqueurs aberrants sont relativement stables dans le temps, ce qui permet une détection fiable et quantitative du clone anormal, jusqu’à 0,01 % de plasmocytes au sein d’une moelle normale (9). Les plus anciennes études sont fondées sur des techniques de cytométrie en 4 couleurs, moins sensibles que les évolutions récentes à 6 voire 8 couleurs. Une publication émanant de l’European Myeloma Network (EMN) recommande de tester dans au moins 1 tube CD38, CD45 et CD138, ces marqueurs devant être utilisés comme base de référence dans tous les tubes. CD19 et CD56 apparaissent comme les marqueurs minimaux indispensables pour identifier les plasmocytes malins, et CD20, CD27, CD28 et CD117 semblent être utiles dans le cadre d’une application élargie (10). Dans une étude prospective, B. Paiva et al. (11) ont démontré que l’évaluation de la MRD 100 jours après l’autogreffe en CMF était, en analyse multivariée, le facteur pronostique le plus important en termes de survie sans progression (SSP) [médiane : 71 versus 37 mois ; p < 0,001] et de SG (médiane non atteinte versus 89 mois ; p = 0,002). Dans plus de 90 % des cas, la combinaison CD38/CD56/CD19/ CD45 permet une différenciation entre les plasmocytes normaux et les plasmocytes anormaux, et la négativité de la MRD est définie comme moins de 1 plasmocyte malin parmi 104 plasmocytes bénins (sensibilité : 10− 4). Le même groupe a identifié une population associant cytogénétique défavorable initiale en FISH et MRD persistant 100 jours après l’autogreffe, malgré une RC classique, comme à très haut risque de rechute précoce (12). L’évaluation de la MRD en CMF est une technique sensible et prédictive en termes de survie. Toutefois, cette technique est encore en cours de développement, avec des variations de technologie selon les institutions. Les résultats dépendent également de la qualité et de la richesse du prélèvement médullaire analysé. Des efforts de standardisation et d’uniformisation des techniques ainsi que des critères de suivi doivent encore être réalisés. Comparaison PCR et CMF La comparaison de l’évaluation de la MRD selon les techniques de PCR et de CMF a été réalisée dans plusieurs petites études. Dans une série de 32 patients en RC postintensification autogreffe, M.E. Sarasquete et al. (8) ont évalué rétrospectivement la MRD selon ces 2 techniques, avec une faisabilité de 75 % en méthode ASO RQ-PCR, et de 90 % en CMF selon le panel d’anticorps décrit par B. Paiva et al. (11). Une discordance a été constatée dans 25 % des cas, avec chaque fois une positivité en PCR et une négativité en CMF, l’inverse n’ayant jamais été identifié. La SSP était significativement allongée, avec une MRD inférieure à 10− 4 en PCR, ce qui n’était pas le cas avec une MRD en CMF, où la MRD était inférieure à 10− 4. Une deuxième étude, rapportée par M. Lioznov et al. (13), concernant 69 patients évalués selon les 2 techniques après allogreffe montre une excellente corrélation entre les 2 méthodes (r2 = 0,94 ; p < 0,0001), avec seulement 1 patient non évaluable en ASO PCR (faisabilité : 98 %) et aucun en CMF. Enjeux de la mesure de la MRD dans le MM Le MM reste une maladie très hétérogène tant dans son expression initiale que dans son évolution, et toutes les techniques d’évaluation ne sont pas applicables à tous les patients, ce qui rend difficile l’établissement de recommandations d’uniformisation de l’évaluation et du suivi de la MRD. Le rôle pronostique exact de la MRD Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 205 AP REV La maladie résiduelle dossier thématique selon son niveau après obtention d’une RC ou d’une très bonne réponse partielle suite à l’induction, l’intensification et/ou la consolidation n’est pas encore défini. La PCR semble être une méthode d’évaluation plus sensible que la CMF (8). Les comparaisons dépendent toutefois fortement des techniques utilisées. Cependant, l’étude de la MRD en CMF est plus accessible, facile à réaliser et rapide, ce qui augure que cette technique peut devenir un standard de suivi de la MRD dans le MM (14). Quand évaluer la MRD dans le MM ? La pertinence de l’évaluation de la MRD a été rapportée après induction, avec un impact en termes de survie (5). De plus, de grandes études ont rapporté une pertinence identique après intensification et après consolidation (6, 7, 11, 12). Il est à noter que ces résultats se situaient dans un contexte thérapeutique sans utilisation optimale des nouveaux agents thérapeutiques. Quels sont les moments stratégiques les plus opportuns pour évaluer la MRD et modifier la séquence thérapeutique ? Après induction, dans l’optique de confirmer ou non l’indication d’intensification (15) ? Après intensification et avant consolidation éventuelle ? Au cours des potentielles futures phases d’entretien, pour influer sur leur durée ? Ces questions restent ouvertes et nécessitent la réalisation d’études prospectives, dont certaines sont déjà en cours, corrélant objectifs thérapeutiques et évaluations biologiques des caractéristiques pronostiques initiales ainsi que du suivi de la MRD. À ce titre, le protocole actuel IFM/DFCI 2009, qui pose la question, chez des sujets jeunes avec un MM de novo, de l’intérêt de l’intensification suivie d’autogreffe dans le contexte des nouvelles molécules apportera des éléments de réponse avec une évaluation cytogénétique et géno- mique initiale puis un suivi systématique standardisé de la MRD en CMF (avant et après consolidation et après entretien) pour les patients au moins en très bonne réponse partielle avec un effectif initial total de plus de 900 patients. Objectif ultime : adaptation du traitement selon l’évaluation de la MRD De nombreuses techniques sont disponibles pour évaluer la masse tumorale dans le cadre du MM. Les progrès thérapeutiques récents permettent d’obtenir des taux de RC stables dans le temps avec une MRD négative. La recherche de la MRD par des techniques de PCR sur moelle de patients en rémission après autogreffe a montré un impact pronostique significatif sur le risque de rechute. À ce stade, les techniques de RQ-PCR et de CMF apparaissent complémentaires. Les techniques de CMF apportent des résultats similaires, avec l’avantage d’une réalisation plus rapide et plus facilement applicable à grande échelle. Il est raisonnable de penser que l’évaluation de la MRD par CMF deviendra la méthode de référence en clinique quotidienne, mais cet objectif nécessite encore des études supplémentaires et un suivi plus important. Un niveau inférieur à 1 cellule maligne pour 10 000 cellules médullaires pourrait servir de référence pour définir une rémission moléculaire ou phénotypique. L’objectif est de se diriger vers la mise en place d’un algorithme individualisé de suivi de la MRD au cours du traitement, intégrant la signature génomique de la maladie, afin de guider la stratégie thérapeutique. Les futures études prospectives thérapeutiques doivent prendre en compte cette dimension de suivi de l’efficacité du traitement au-delà des critères standard actuels de réponse. ■ Références 1. Durie BG, Harousseau JL, Miguel JS et al. International uniform response criteria for multiple myeloma. Leukemia 2006;20(9):1467-73. 2. Kumar SK, Rajkumar SV, Dispenzieri A et al. Improved survival in multiple myeloma and the impact of novel therapies. Blood 2008;111(5):2516-20. 3. Chanan-Khan AA, Giralt S. Importance of achieving a complete response in multiple myeloma, and the impact of novel agents. J Clin Oncol 2010;28(15):2612-24. 4. Corradini P, Voena C, Tarella C et al. Molecular and clini- cal remissions in multiple myeloma: role of autologous and allogeneic transplantation of hematopoietic cells. J Clin Oncol 1999;17(1):208-15. 5. Korthals M, Sehnke N, Kronenwett R et al. The level of mini- mal residual disease in the bone marrow of patients with multiple myeloma before high-dose therapy and autologous stem cell transplantation is an independent predictive parameter. Biol Blood Marrow Transplant 2012;18(3):423-31. 6. Ladetto M, Pagliano G, Ferrero S et al. Major tumor shrinking and 206persistent molecular remissions after consolidation with en bortezomib, thalidomide, and dexamethasone in patients with autografted myeloma. J Clin Oncol 2010;28(12):2077-84. 7. Ladetto M, Ferrero S, Drandi D et al. Long-term results of the GIMEMA VTD consolidation trial in autografted multiple myeloma patients (VEL-03-096): impact of minimal residual disease detection by real time quantitative PCR on late recurrences and overall survival. 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High-risk cytogenetics and persistent minimal residual disease by multiparameter flow cytometry predict unsustained complete response after autologous stem cell transplantation in multiple myeloma. Blood 2012;119(3):687-91. 13. Lioznov M, Badbaran A, Fehse B et al. Monitoring of minimal residual disease in multiple myeloma after allo-SCT: flow cytometry versus PCR-based techniques. Bone Marrow Transplant 2008;41(10):913-6. 14. Hart AJ, Jagasia MH, Kim AS et al. Minimal residual disease in myeloma: are we there yet? Biol Blood Marrow Transplant 2012. Epub ahead of print. 15. Kumar SK, Lacy MQ, Dispenzieri A et al. Early versus delayed European Myeloma Network on multiparametric flow autologous transplantation after immunomodulatory agentscytometry in multiple myeloma and related disorders. based induction therapy in patients with newly diagnosed Haematologica 2008;93(3):431-8. multiple 2012;118(6):1585-92. Correspondances en Onco-Hématologie - Vol.myeloma. VII - n° 4 -Cancer octobre-novembre-décembre 2012 R la M d d t p le e l p l d e n l c l a l ê e h 8 ê e p a p g d d in s d L u p l p V M l a p P e a d t