L’ A R T I C L E À C O N N A î T R E La surveillance annuelle ne modifie pas la survie à 5 ans des malades opérés d’un cancer colorectal ● Yearly colonoscopy, liver CT, and chest radiography do not influence 5 year survival of colorectal cancer patients (Schoemaker D., Black R., Gil L., Toouli J.). G A S T R O E N T E R O L O G Y 1998 114 7-14 Après résection chirurgicale des adénocarcinomes colorectaux, les modalités de surveillance et du dépistage des récidives ne sont pas codifiées. Le bénéfice en termes de survie d’une surveillance endoscopique et radiologique post-chirurgicale n’a en effet jamais été évalué. Ce manque d’information disponible dans la littérature peut paraître surprenant pour la pathologie tumorale la plus fréquente, tous sexes confondus, et n’a pas facilité la tâche des experts et des membres du jury de la conférence de consensus sur le cancer du côlon. L’article de Schoemaker et coll. apporte pour la première fois des informations sur l’intérêt, en termes de survie à 5 ans, d’un dépistage “intensif” des récidives après résection chirurgicale du cancer colorectal. Résumé Le but de cette étude australienne a été d’évaluer le bénéfice, en termes de survie brute à 5 ans, d’une s u rveillance annuelle endoscopique, scannographique et radiologique après chirurgie colorectale. Entre 1984 et 1990, 325 patients atteints d’adénocarcinome colique (n = 231) ou rectal (n = 87) ont été opérés dans un but curatif. Ils ont été secondairement randomisés suivant deux modalités de suivi, standard ou intensif. Tous les malades avaient un examen clinique mensuel pendant deux ans, puis bi-annuel pendant 5 ans. Lors de chaque visite de contrôle, une numération formule sanguine, un bilan hépatique, un dosage de l’ACE sérique et une recherche de sang dans les selles par Hémoccult® étaient réalisés. Toute anomalie clinique ou biologique était secondairement ex p l o r é e. L’augmentation isolée de l’ACE n’a cependant pas été retenue comme critère justifiant des explorations morphologiques supplémentaires. Les patients randomisés dans le bras avec surveillance intensive ont bénéficié en outre d’une coloscopie, d’un scanner hépatique et d’une radiographie pulmonaire annuels. Les patients randomi- La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998 sés dans le bras standard ne bénéficiaient de ces explorations morphologiques qu’en cas d’anomalie détectée cliniquement ou à partir des examens biologiques de surveillance, et dans tous les cas après un suivi de 5 ans. Le critère de jugement principal de cette étude a été la survie à 5 ans. Aucun patient n’a bénéficié d’une chimiothérapie postopératoire adjuvante. Durant la période de suivi, parmi les 325 patients inclus initialement, 18 ont été exclus de l’étude et 98 sont décédés, 55 dans le bras avec surveillance standard et 43 dans le bras avec surveillance intensive. Les seuls facteurs indépendants associés à une diminution de la survie à 5 ans ont été le stade histologique de la tumeur primitive (selon la classification de Duke s ) , ainsi que l’adhérence aux organes adjacents. Après ajustement de ces deux paramètres de gravité histologique, la survie à 5 ans n’était pas significativement différente entre les patients suivis de façon standard et ceux suivis de façon intensive (p = 0,19). Parmi les malades surveillés de façon standard, 154 coloscopies et 8 lavements barytés ont été réalisés, alors que dans le groupe des patients suivis plus intensivement, 577 coloscopies et 32 lavements barytés ont été effectués. Parmi les 325 patients suivis pendant plus de 5 ans, 5 ont développé une tumeur colorectale métachrone, 2 dans le bras avec surveillance standard et 3 dans le bras avec surveillance intensive. Une seule tumeur métachrone asymptomatique a été détectée par la surveillance coloscopique annuelle. Cent cinquante-trois scanners hépatiques ont été réalisés dans le groupe suivi de façon standard, et 674 dans le groupe suivi annuellement. Le taux de métastases hépatiques mises en évidence a été équivalent dans les deux groupes, respectivement de 16 et 13 %, mais le nombre de métastases détectées à un stade asymptomatique a été très significativement supérieur dans le groupe avec suivi intensif (12 versus 0). Cependant, cette détection plus précoce, à un stade asymptomatique, des méta- 77 L’ G A S T R O E N T E R O L O G Y 199 8 114 714 78 A R T I C L E À stases h é p atiques n’a pas eu de répercussion sur le n o m b re de réinterventions hépat i q u e s , qui n’ont été possibles que dans 7 cas (27 % de l’ensemble des métastases hépatiques isolées), avec 4 et 3 patients dans les groupes de suivis standard et intensif. Un seul malade avec des métastases hépatiques détectées dans le cadre de la surveillance intensive n’a pas récidivé après résection et a donc bénéficié du protocole intensif de suiv i . Cent quarante radiographies pulmonaires ont été effectuées dans le groupe avec surveillance standard et 633 dans le groupe avec surveillance intensive. Dix et 8 métastases pulmonaires y ont été détectées respectivement. Seuls 4 malades ont pu bénéficier d’une lobectomie, 1 dans le groupe avec surveillance standard et 3 dans le groupe avec surveillance intensive. Un seul patient sous surveillance intensive n’a pas récidivé avec un suivi de plus de 4 ans. Commentaires Les auteurs de ce travail prospectif et randomisé c o n cluent à l’absence de bénéfice en termes de survie à 5 ans d’une surveillance annuelle par coloscopie, s c a nner hépatique et ra d i ographie pulmonaire, par rap p o rt à un simple suivi basé sur la clinique et des tests biologiques simples. Ils recommandent ainsi une coloscopie 5 ans après la résection de la tumeur colorectale ch e z les patients asymptomatiques et un scanner abdominal ou une ra d i ographie pulmonaire uniquement chez les p atients symptomatiques ou avec anomalie du bilan h é p at i q u e. Si cette étude est la seule à avoir comparé pro s p e c t ivement et de façon randomisée deux modalités de surveillance après ch i ru rgie pour adénocarcinome colorectal, elle ne permet pas, à mon sens, des concl u s i o n s aussi définitives que celles proposées par les auteurs . En effe t , de multiples interrogations demeure n t . La nat u re “intensive” de la surveillance proposée par l’équipe australienne pourrait para î t re insuffisante pour détecter précocement les métastases hépatiques et/ou p u l m o n a i res. En effe t , seule la ch i ru rgie hépatique ou p u l m o n a i re permet une survie actuarielle de l’ord re de 25 % à 5 ans, après résection de métastases des cancers colorectaux, et seule une détection précoce, et donc plus intensive, p e rm e t t ra d’augmenter le taux de résécabilité de ces lésions secondaires. L’ é ch ographie abdominale semble par ailleurs plus adaptée et moins coûteuse que le scanner. Une éch ographie abdominale tous les 3 à 6 mois pendant les trois pre m i è res années, puis annuelle pendant 2 ans, a ainsi été recommandée par le jury lors de la conférence de consensus sur la p rise en ch a rge des cancers du côlon. C O N N A î T R E Par ailleurs, s’il reste probable que le taux de résection des métastases hépatiques et/ou pulmonaires ne concernera qu’une minorité de patients, une chimiothérapie pourrait permettre un bénéfice en termes de survie et de qualité de survie si le traitement est débuté précocement chez des sujets en bon état général et asymptomatiques. L’étude a été réalisée entre 1984 et 1990 et les auteurs australiens n’ont pas pu intégrer le rôle éventuel de la chimiothérapie adjuvante ou en phase métastat i q u e. Actuellement, la majorité des patients atteints de cancer colique stade C de Dukes et des patients avec métastases hépatiques non résécables est traitée par chimiothérapie. Le bénéfice, en termes de survie, à traiter précocement ces métastases hépatiques ou pulmonaires asymptomatiques méri t e ra i t sans doute d’être évalué. Il est à noter également que, dans l’étude de Schoemaker et coll., les auteurs n’ont pas pris en compte une élévation isolée de l’ACE pour réaliser des explorations morphologiques à la recher che d’une récidive précoce. Il aurait été intéressant de savoir si cela aurait permis de détecter un plus grand nombre de récidives curables. Pour concl u re, le protocole de surveillance ap r è s résection chirurgicale d’un cancer colorectal reste à déterminer. Il semble nécessaire et indispensable d’inclure des patients dans des études prospectives randomisées de la Fondation française de Cancérologie Digestive pour évaluer l’efficacité de la surveillance en termes de réduction de mortalité, de qualité de vie, de coût et d’efficacité. En pratique, et en dehors des essais randomisés, il semble logique de suivre les conclusions de la conférence de consensus : - La surveillance doit s’exercer chez des patients capables de supporter une réintervention selon le rythme suivant : examen clinique tous les trois mois les deux pre m i è res années, puis tous les six mois pendant t rois ans ; éch ographie abdominale tous les trois à six mois pendant les trois pre m i è res années, puis annu e l l e pendant deux ans ; cl i ché pulmonaire annuel jusqu’à 5 ans, coloscopie à 3 ans puis tous les 5 ans si elle est n o rm a l e. - Si la coloscopie initiale a découve rt trois adénomes ou plus, dont l’un de plus de 1 cm ou présentant un contingent villeux, la surveillance sera effectuée à un an. - Après 75 ans et en cas de coloscopie norm a l e, le jury a proposé l’arrêt de la surveillance endoscopique, avec a d ap t ation cependant en fonction de l’état clinique et de l ’ e s p é rance de vie. L’utilisation de l’ACE et des autre s examens biologiques n’a pas été recommandée. Dr C. Cellier, service d’hépato-gastro-entérologie, Hôpital Laennec, Paris La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998