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La surveillance annuelle ne modifie pas
la survie à 5 ans des malades opérés
d’un cancer colorectal
● Yearly
colonoscopy, liver CT, and chest radiography do not influence 5 year survival of colorectal
cancer patients (Schoemaker D., Black R., Gil L., Toouli J.).
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Après résection chirurgicale des adénocarcinomes
colorectaux, les modalités de surveillance et du
dépistage des récidives ne sont pas codifiées. Le
bénéfice en termes de survie d’une surveillance
endoscopique et radiologique post-chirurgicale n’a
en effet jamais été évalué. Ce manque d’information disponible dans la littérature peut paraître surprenant pour la pathologie tumorale la plus fréquente, tous sexes confondus, et n’a pas facilité la
tâche des experts et des membres du jury de la
conférence de consensus sur le cancer du côlon.
L’article de Schoemaker et coll. apporte pour la
première fois des informations sur l’intérêt, en
termes de survie à 5 ans, d’un dépistage “intensif”
des récidives après résection chirurgicale du cancer
colorectal.
Résumé
Le but de cette étude australienne a été d’évaluer le
bénéfice, en termes de survie brute à 5 ans, d’une
s u rveillance annuelle endoscopique, scannographique et radiologique après chirurgie colorectale.
Entre 1984 et 1990, 325 patients atteints d’adénocarcinome colique (n = 231) ou rectal (n = 87) ont
été opérés dans un but curatif. Ils ont été secondairement randomisés suivant deux modalités de suivi,
standard ou intensif. Tous les malades avaient un
examen clinique mensuel pendant deux ans, puis
bi-annuel pendant 5 ans. Lors de chaque visite de
contrôle, une numération formule sanguine, un
bilan hépatique, un dosage de l’ACE sérique et une
recherche de sang dans les selles par Hémoccult®
étaient réalisés. Toute anomalie clinique ou biologique
était
secondairement
ex p l o r é e.
L’augmentation isolée de l’ACE n’a cependant pas
été retenue comme critère justifiant des explorations morphologiques supplémentaires.
Les patients randomisés dans le bras avec surveillance intensive ont bénéficié en outre d’une
coloscopie, d’un scanner hépatique et d’une radiographie pulmonaire annuels. Les patients randomi-
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998
sés dans le bras standard ne bénéficiaient de ces
explorations morphologiques qu’en cas d’anomalie
détectée cliniquement ou à partir des examens biologiques de surveillance, et dans tous les cas après
un suivi de 5 ans.
Le critère de jugement principal de cette étude a été
la survie à 5 ans. Aucun patient n’a bénéficié d’une
chimiothérapie postopératoire adjuvante.
Durant la période de suivi, parmi les 325 patients
inclus initialement, 18 ont été exclus de l’étude et
98 sont décédés, 55 dans le bras avec surveillance
standard et 43 dans le bras avec surveillance intensive. Les seuls facteurs indépendants associés à une
diminution de la survie à 5 ans ont été le stade histologique de la tumeur primitive (selon la classification de Duke s ) , ainsi que l’adhérence aux
organes adjacents. Après ajustement de ces deux
paramètres de gravité histologique, la survie à 5 ans
n’était pas significativement différente entre les
patients suivis de façon standard et ceux suivis de
façon intensive (p = 0,19).
Parmi les malades surveillés de façon standard, 154
coloscopies et 8 lavements barytés ont été réalisés,
alors que dans le groupe des patients suivis plus
intensivement, 577 coloscopies et 32 lavements
barytés ont été effectués. Parmi les 325 patients
suivis pendant plus de 5 ans, 5 ont développé une
tumeur colorectale métachrone, 2 dans le bras avec
surveillance standard et 3 dans le bras avec surveillance intensive. Une seule tumeur métachrone
asymptomatique a été détectée par la surveillance
coloscopique annuelle.
Cent cinquante-trois scanners hépatiques ont été
réalisés dans le groupe suivi de façon standard, et
674 dans le groupe suivi annuellement. Le taux de
métastases hépatiques mises en évidence a été
équivalent dans les deux groupes, respectivement
de 16 et 13 %, mais le nombre de métastases détectées à un stade asymptomatique a été très significativement supérieur dans le groupe avec suivi intensif (12 versus 0). Cependant, cette détection plus
précoce, à un stade asymptomatique, des méta-
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stases h é p atiques n’a pas eu de répercussion sur le
n o m b re de réinterventions hépat i q u e s , qui n’ont été
possibles que dans 7 cas (27 % de l’ensemble des
métastases hépatiques isolées), avec 4 et 3 patients
dans les groupes de suivis standard et intensif. Un seul
malade avec des métastases hépatiques détectées dans
le cadre de la surveillance intensive n’a pas récidivé
après résection et a donc bénéficié du protocole intensif de suiv i .
Cent quarante radiographies pulmonaires ont été effectuées dans le groupe avec surveillance standard et 633
dans le groupe avec surveillance intensive. Dix et
8 métastases pulmonaires y ont été détectées respectivement. Seuls 4 malades ont pu bénéficier d’une
lobectomie, 1 dans le groupe avec surveillance standard et 3 dans le groupe avec surveillance intensive.
Un seul patient sous surveillance intensive n’a pas
récidivé avec un suivi de plus de 4 ans.
Commentaires
Les auteurs de ce travail prospectif et randomisé
c o n cluent à l’absence de bénéfice en termes de survie à
5 ans d’une surveillance annuelle par coloscopie, s c a nner hépatique et ra d i ographie pulmonaire, par rap p o rt à
un simple suivi basé sur la clinique et des tests biologiques simples. Ils recommandent ainsi une coloscopie
5 ans après la résection de la tumeur colorectale ch e z
les patients asymptomatiques et un scanner abdominal
ou une ra d i ographie pulmonaire uniquement chez les
p atients symptomatiques ou avec anomalie du bilan
h é p at i q u e.
Si cette étude est la seule à avoir comparé pro s p e c t ivement et de façon randomisée deux modalités de surveillance après ch i ru rgie pour adénocarcinome colorectal, elle ne permet pas, à mon sens, des concl u s i o n s
aussi définitives que celles proposées par les auteurs .
En effe t , de multiples interrogations demeure n t .
La nat u re “intensive” de la surveillance proposée par
l’équipe australienne pourrait para î t re insuffisante pour
détecter précocement les métastases hépatiques et/ou
p u l m o n a i res. En effe t , seule la ch i ru rgie hépatique ou
p u l m o n a i re permet une survie actuarielle de l’ord re de
25 % à 5 ans, après résection de métastases des cancers
colorectaux, et seule une détection précoce, et donc
plus intensive, p e rm e t t ra d’augmenter le taux de résécabilité de ces lésions secondaires. L’ é ch ographie
abdominale semble par ailleurs plus adaptée et moins
coûteuse que le scanner. Une éch ographie abdominale
tous les 3 à 6 mois pendant les trois pre m i è res années,
puis annuelle pendant 2 ans, a ainsi été recommandée
par le jury lors de la conférence de consensus sur la
p rise en ch a rge des cancers du côlon.
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Par ailleurs, s’il reste probable que le taux de résection
des métastases hépatiques et/ou pulmonaires ne
concernera qu’une minorité de patients, une chimiothérapie pourrait permettre un bénéfice en termes de
survie et de qualité de survie si le traitement est débuté précocement chez des sujets en bon état général et
asymptomatiques. L’étude a été réalisée entre 1984 et
1990 et les auteurs australiens n’ont pas pu intégrer le
rôle éventuel de la chimiothérapie adjuvante ou en
phase métastat i q u e. Actuellement, la majorité des
patients atteints de cancer colique stade C de Dukes et
des patients avec métastases hépatiques non résécables
est traitée par chimiothérapie. Le bénéfice, en termes
de survie, à traiter précocement ces métastases hépatiques ou pulmonaires asymptomatiques méri t e ra i t
sans doute d’être évalué.
Il est à noter également que, dans l’étude de
Schoemaker et coll., les auteurs n’ont pas pris en
compte une élévation isolée de l’ACE pour réaliser des
explorations morphologiques à la recher che d’une
récidive précoce. Il aurait été intéressant de savoir si
cela aurait permis de détecter un plus grand nombre de
récidives curables.
Pour concl u re, le protocole de surveillance ap r è s
résection chirurgicale d’un cancer colorectal reste à
déterminer. Il semble nécessaire et indispensable d’inclure des patients dans des études prospectives randomisées de la Fondation française de Cancérologie
Digestive pour évaluer l’efficacité de la surveillance en
termes de réduction de mortalité, de qualité de vie, de
coût et d’efficacité. En pratique, et en dehors des essais
randomisés, il semble logique de suivre les conclusions de la conférence de consensus :
- La surveillance doit s’exercer chez des patients
capables de supporter une réintervention selon le rythme suivant : examen clinique tous les trois mois les
deux pre m i è res années, puis tous les six mois pendant
t rois ans ; éch ographie abdominale tous les trois à six
mois pendant les trois pre m i è res années, puis annu e l l e
pendant deux ans ; cl i ché pulmonaire annuel jusqu’à
5 ans, coloscopie à 3 ans puis tous les 5 ans si elle est
n o rm a l e.
- Si la coloscopie initiale a découve rt trois adénomes ou
plus, dont l’un de plus de 1 cm ou présentant un contingent villeux, la surveillance sera effectuée à un an.
- Après 75 ans et en cas de coloscopie norm a l e, le jury
a proposé l’arrêt de la surveillance endoscopique, avec
a d ap t ation cependant en fonction de l’état clinique et de
l ’ e s p é rance de vie. L’utilisation de l’ACE et des autre s
examens biologiques n’a pas été recommandée.
Dr C. Cellier,
service d’hépato-gastro-entérologie,
Hôpital Laennec, Paris
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998
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