publicité
152 pages = 11,5 mm
’
’
12
L’analyse pour éclairer le débat
Une présentation claire et accessible des enjeux
d’un grand débat de société.
Des comparaisons internationales pour ouvrir la réflexion.
Des encadrés pour apporter des informations
complémentaires.
La France, bonne élève
du développement durable?
Le Sommet de Rio du 20 au 22 juin 2012 a célébré les vingt ans
du Sommet de la Terre de 1992, également organisé à Rio. Ce
Sommet fondateur avait mobilisé la communauté internationale
autour de la lutte contre le réchauffement climatique et consacré la
notion de développement durable en soulignant les enjeux pour les
générations futures. La France s’est inscrite dans ce mouvement.
Elle a adopté des mesures en faveur du développement durable,
associé une Charte de l’environnement à la Constitution et mis en
œuvre le Grenelle de l’environnement. Mais ces avancées sont-elles
suffisamment importantes ? Reste-t-il des progrès à accomplir ?
Pour répondre à ces questions, « Place au débat » vous propose
l’analyse d’un auteur spécialiste.
Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
La documentation Française
Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr
-:HSMBLA=U^UUXY:
D'EP PAD Développement durable.indd 1
Prix : 7,90 €
ISBN : 978-2-11-009003-4
DF : 1FP30180
Imprimé en France
Photo : © Ikon Images/Corbis
Robin Degron, énarque et géographe, est le rédacteur en chef de
L’environnement en France en 2010.
’
Doc en poche
p l a c e a u d é b at
La France,
bonne élève
du développement
durable ?
Robin Degron
Robin Degron
P l a c e au d É BAT
La France, bonne élève du développement durable ?
Doc en poche
dF
31/07/12 16:19
La France,
bonne élève
du développement
durable ?
Robin Degron
énarque et géographe,
rédacteur en chef de L’environnement en France en 2010
La documentation Française
Responsable de la collection
et direction du titre
Isabelle Flahault
Secrétariat de rédaction
Martine Paradis
Conception graphique
Sandra Lumbroso
Bernard Vaneville
Mise en page
Éliane Rakoto
Édition
Bernadette Bouvattier
Promotion
Stéphane Wolff
Avertissement au lecteur
Les opinions exprimées n’engagent que leurs auteurs.
Ces textes ne peuvent être reproduits sans autorisation.
Celle-ci doit être demandée à :
Direction de l’information légale et administrative
29, quai Voltaire
75344 Paris cedex 07
« En application du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, une reproduction
partielle ou t­otale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans
autorisation de l’éditeur. Il est ­rappelé à cet égard que l’usage abusif de la photocopie met
en danger l’équilibre économique des circuits du livre. »
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2012.
ISBN : 978-2-11-009003-4
 Sommaire
Chapitre 1
Vingt ans après le Sommet de la Terre,
qu’en est-il du développement durable ?����������������������������������5
Chapitre 2
Le Sommet de Rio de 1992,
une feuille de route exigeante ?���������������������������������������������������������21
Chapitre 3
La France, tête de classe européenne ?�������������������������������������43
Chapitre 4
Avant le Grenelle, un bilan français contrasté������������������67
Chapitre 5
Le Grenelle de l’environnement,
des efforts de rattrapage suffisants ?�������������������������������������������93
Chapitre 6
L’économique et le social :
encore beaucoup à faire���������������������������������������������������������������������������111
Chapitre 7
De nouvelles règles du jeu
pour un développement durable ?����������������������������������������������133
Bibliographie et sitothèque������������������������������������������������������������������147
3
Chapitre 1
Vingt ans après le Sommet
de la Terre, qu’en est-il
du développement durable ?
En 1992, une centaine de chefs d’État
et de gouvernement et des milliers d’ONG
se réunissaient à Rio à l’initiative des Nations unies
pour définir une feuille de route commune
en faveur d’un développement durable.
Où en sommes-nous vingt ans plus tard ?
« L’anniversaire de la planète », célébré par
un nouveau sommet organisé à Rio en 2012,
constitue un moment de vérité pour les États
et toutes les échelles de territoire, notamment
en France.
« L’anniversaire de la planète »
L’urgence de la crise financière, économique et sociale,
qui secoue depuis 2007 le monde occidental, l’Europe
et singulièrement la France, nous détourne des enjeux
de long terme. L’attention portée à notre milieu, au
climat et à la perspective d’un développement durable
apparaît comme la première victime de cette dictature du court terme. La célébration des vingt ans du
Sommet de la Terre, qui s’est tenu du 3 au 14 juin
1992, à Rio de Janeiro, offre cependant l’occasion
de dresser un bilan. Au-delà du prétexte, cet « anniversaire de la planète » nous permet de revenir aux
défis fondamentaux du développement humain tels
qu’ils ont été posés il y a vingt ans.
7
1992, un contexte favorable
Le Sommet de Rio de 1992, ou Conférence des
Nations unies sur l’environnement et le développement, s’inscrivait dans un contexte géopolitique et
historique exceptionnel. Le mur de Berlin était tombé
trois ans plus tôt ; l’empire soviétique s’était effondré
dans la foulée. L’espoir d’un « nouvel ordre mondial » marquant la fin d’un conflit bipolaire entamé
après la Seconde Guerre mondiale se faisait jour.
Les conséquences néfastes du développement de la
société industrielle et de consommation avaient déjà
été bien identifiées. Les catastrophes humaines et
écologiques commençaient à défrayer la chronique.
Depuis le premier choc pétrolier en 1973, on savait
que la maîtrise des gisements de pétrole, de par
leur inégale répartition, pouvait engendrer une crise
durable de l’économie mondiale. On savait également
que ce même pétrole, indispensable à un mode de vie
occidental privilégiant la mobilité individuelle, pouvait
dévaster les côtes et leurs écosystèmes. Les Bretons
se souviennent encore du naufrage de l’Amoco Cadiz
en mars 1978 et des mois de travail pour nettoyer
plages et galets. Grâce au développement de l’énergie nucléaire, les pays développés, la France en tête,
ont cru pouvoir dépasser la contrainte imposée par
la finitude du stock des énergies fossiles. Bercés par
la philosophie comtienne, physiciens et ingénieurs
ont pensé dominer parfaitement la puissance de la
fission atomique et canaliser son énergie.
8
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
La science, une nouvelle religion ?
Le saint-simonisme est une doctrine fondée au début
du XIXe siècle par Claude Henri de Rouvroy, comte de
Saint-Simon (1760-1825). Elle prône le progrès économique et social grâce au développement de l’industrie et des bienfaits qu’elle induit pour l’ensemble
de la société. Plus qu’un moteur technologique et
économique, la science est perçue comme une religion. La foi qu’elle suscite doit permettre de résoudre
les difficultés de l’humanité et de répondre à ses
aspirations. Le comte de Saint-Simon affirme ainsi
« qu’en y mettant les ménagements convenables, la
philosophie de la gravitation peut remplacer successivement et sans secousse, par des idées plus claires
et plus précises, tous les principes de morale utile
que la théologie enseigne ». Secrétaire du comte de
Saint-Simon, Auguste Comte (1798-1857) développe
la doctrine comtienne et établit la théorie des trois
états selon laquelle l’esprit humain passe successivement par « l’âge théologique », par « l’âge métaphysique » pour parvenir finalement à « l’âge positif »,
dans lequel la seule vérité n’est accessible que par
les sciences. Le saint-simonisme et le positivisme
comtien ont eu une influence majeure sur la pensée
socio-économique et l’action politique tout au long
de la période contemporaine. Ils restent prégnants
encore aujourd’hui dans le monde occidental.
9
Leur maîtrise est en effet « presque » parfaite mais, en
cas d’accident, l’approximation pèse lourdement en
termes de vie humaine et d’environnement. En avril
1986, lorsque le réacteur no 4 de la centrale de Tchernobyl explose, un territoire d’environ 300 000 hectares,
grand comme le département du Rhône, est irradié
pour des dizaines d’années. Dans les premiers mois
après l’accident, plusieurs milliers de morts sont recensés et environ 300 000 personnes sont condamnées
à l’exode. Les effets différés dans le temps, liés en
particulier à l’altération des génomes humains exposés,
restent difficiles à mesurer aujourd’hui encore. Sans
doute l’image d’une technologie nucléaire soviétique
déclinante, associée à celle d’un système politique à
bout de souffle, ont-elles trop vite détourné l’attention de la question de fond : le caractère soutenable
de l’énergie nucléaire sur le long terme. Toujours
est-il qu’en 1992 émerge l’espoir d’une humanité
plus respectueuse de son environnement que par le
passé, plus sensible aussi à un partage des richesses.
Le traitement conjoint des enjeux environnementaux
et de développement des pays du Sud a sans aucun
doute participé au succès du Sommet de Rio.
2012, un moment de vérité
Vingt ans après, où en sommes-nous ? Les marées
noires continuent de souiller les plages du monde.
Ainsi, en avril 2010, la plateforme offshore Deepwater
10
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
Horizon, exploitée par British Petroleum, explose dans
le golfe du Mexique à environ 80 kilomètres des côtes
américaines. On estime que 4,9 millions de barils
(780 millions de litres) se sont déversés dans la mer
et ont souillé les côtes de Louisiane, du Mississippi,
de Floride et d’Alabama. En mars 2011, le Japon –
troisième économie mondiale, forte des meilleurs
chercheurs et ingénieurs atomistes – doit faire face
à la fusion partielle du combustible de trois des six
réacteurs et de celui entreposé dans les piscines de
refroidissement de la centrale de Fukushima Daiichi,
endommagée par un séisme et un tsunami dévastateur. Un territoire d’environ 150 000 hectares est
irradié, condamnant à l’exil une population de plus
de 100 000 personnes dans un archipel surpeuplé.
On mesure mal encore les effets de la radioactivité
diffusée dans la mer.
A-t-on réellement progressé en termes de développement durable ? La réponse n’est pas nécessairement
positive et elle est extrêmement complexe à trancher
à l’échelle mondiale ; elle se pose aussi à l’échelle
nationale. C’est d’ailleurs bien une des idées issues
du Sommet de la Terre de 1992 que d’inciter les
États, les collectivités territoriales, les entreprises et les
citoyens à se mobiliser, chacun à sa mesure. L’heure
est donc au bilan.
11
Les gages de bonne conduite de la France
En France, la réflexion s’inscrit dans un contexte particulier. Comme la plupart de ses partenaires européens,
le pays s’est doté d’une législation environnementale assez sophistiquée. Plusieurs lois marquent ainsi
l’importance grandissante prise par ces questions dans
notre pays : la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de
l’énergie, dite LAURE, de 1996, la loi d’orientation
pour l’aménagement et le développement durable
du territoire, dite LOADDT, de 1999, la loi relative à
la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU,
en 2000 et la loi d’orientation sur l’énergie, dite
LOE, de 2005. Le lancement du Grenelle de l’environnement en juin 2007 a provoqué un nouvel élan
en faveur de l’écologie qui a largement mobilisé la
société française. Une législation nationale profondément rénovée s’est ensuite mise en place. Les lois
Grenelle 1 et 2, du 3 août 2009 et du 12 juillet 2010,
constituent un monument juridique dont les effets
sont encore difficiles à évaluer. Leurs dispositions
semblent aller dans le bon sens. Il convient donc de
souligner l’intérêt des nouveaux instruments offerts
par le législateur – notamment les plans climat-énergie territoriaux, définis par la loi Grenelle 2 de 2010,
et les trames verte et bleue, engagement phare du
Grenelle pour enrayer le déclin de la biodiversité –,
tout en pointant les limites des dispositifs mis en
place au regard des faits.
12
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
En tout cas, il paraît également utile de déterminer
où se situe la France en matière de lutte contre le
changement climatique et de protection de la diversité
biologique. À quel niveau se situent nos émissions
de gaz à effet de serre et comment ont-elles évolué
depuis le début des années 1990 ? A-t-on progressé
dans la maîtrise de la consommation d’énergie, première source d’émission de gaz à effet de serre ?
Sommes-nous moins dépendants des énergies fossiles
(pétrole, gaz naturel, charbon) ? Quel est le poids des
énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse,
géothermie …) dans notre production nationale ? Les
données ne manquent pas en matière de climat et
d’énergie. Leur analyse permet de se faire une idée
précise de la situation nationale. Il en va différemment
en matière de biodiversité pour laquelle on ne dispose
pas d’une vision statistique très satisfaisante. Quelques
sources sûres peuvent cependant être mobilisées pour
appréhender l’état de la biodiversité en France. Au
moins celui des écosystèmes naturels qui paraissent
globalement régresser. Quels sont les mécanismes
d’érosion à l’œuvre ? Sont-ils maîtrisés, en particulier
l’étalement urbain qui grignote terres agricoles, forêts
et zones humides ?
13
Le développement durable,
qu’est-ce que c’est ?
En quoi consiste le développement durable précisément ? À ce stade, il convient de revenir à la définition d’une notion complexe, trop souvent tronquée
et mal comprise. Bien que ses origines remontent
au Moyen Âge et à l’Ancien Régime, la définition
contemporaine du développement durable a été
formulée dans le rapport de la Commission mondiale
sur l’environnement et le développement des Nations
unies de 1987, dit rapport Brundtland, du nom de
sa présidente norvégienne.
Aux origines médiévales du développement durable
en France
La gestion durable des ressources naturelles préoccupe les hommes depuis longtemps. Dans notre pays,
la question se pose explicitement dès le XIVe siècle et
se traduit par l’émergence de la première réglementation forestière en langue française. Selon les termes
de l’article 5 de l’ordonnance de Brunoy, édictée par
Philippe VI de Valois le 29 mai 1346, « les maîtres des
eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez
et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce
que lesdites forez se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ». Élément central de la vie médiévale, matériau de construction et source d’énergie, le
bois a, par nature, un cycle de production long. Environ cent ans sont nécessaires pour faire pousser un
14
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
hêtre de haute futaie, deux cents ans pour un chêne.
Sous la pression des défrichements, de la demande
croissante en bois de charpente, des besoins en combustible des forges, des salines et des foyers, il a fallu
assez tôt tenter de gérer durablement la ressource
forestière.
Le développement durable est un mode de développement « qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures
de répondre aux leurs » (chapitre 2 du rapport). Il
repose en réalité sur la recherche d’un double équilibre.
En premier lieu, il s’agit de concilier les besoins des
générations actuelles et à venir. Ce premier équilibre
est délicat à réaliser car si les besoins qui s’expriment
aujourd’hui sont connus, il est en revanche difficile
d’anticiper les attentes des générations futures. La
recherche d’un développement durable impose forcément une vision prospective. À défaut, la question
de la détermination des besoins peut être contournée
par une gestion raisonnable des ressources naturelles,
dont la quantité peut approximativement être évaluée
et gérée afin de préserver les moyens d’un développement futur. En second lieu, il convient d’équilibrer
les trois composantes du développement à savoir
l’économie, le social et l’environnement. Sans prise
en compte de l’environnement, le développement ne
serait pas soutenable, mais sans respect des composantes économique et sociale, il ne serait ni viable, ni
15
vivable. L’idéal est de trouver un compromis désirable
entre l’ensemble de ces contraintes.
Le développement durable selon le rapport Brundtland
de1987
« Deux concepts sont inhérents à la cette notion : le
concept de “besoins”, et plus particulièrement des
besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre
organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.
Ainsi, les objectifs du développement économique
et social sont définis en fonction de la durée […]. Les
interprétations pourront varier d’un pays à l’autre,
mais elles devront comporter certains éléments
communs et s’accorder sur la notion fondamentale
de développement durable et sur un cadre stratégique permettant d’y parvenir.
Le développement implique une transformation
progressive de l’économie et de la société […] il ne
peut être assuré si on ne tient pas compte, dans les
politiques de développement, de considérations
telles que l’accès aux ressources ou la distribution
des coûts et avantages. Même au sens le plus étroit
du terme, le développement durable présuppose un
souci d’équité sociale entre les générations, souci qui
doit s’étendre, en toute logique, à l’intérieur d’une
même génération. »
Extraits du chapitre 2 du rapport, « Vers un développement durable ».
16
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
L’environnement joue donc un rôle déterminant dans
la notion de développement durable, puisqu’il forme
le socle du progrès socio-économique d’aujourd’hui
et de demain. Il convient cependant de considérer
les implications économiques et sociales induites par
vingt ans de prise de conscience écologique afin de
pointer les éventuelles contradictions entre les trois
piliers du développement durable. L’économie verte
tient-elle en particulier ses promesses en termes de
croissance et de création d’emplois ou bien risque-telle de déstabiliser le marché du travail ? Les Français
les plus défavorisés ne sont-ils pas les plus pénalisés
par la place grandissante prise par la préoccupation
environnementale ? Surtout lorsque celle-ci s’exprime
en particulier par le renchérissement des énergies
fossiles devenu criant à la pompe.
La représentation schématique du développement durable
Pilier social
équitable
vivable
Développement durable
Pilier environnemental
Pilier économique
viable
17
Une question à traiter à plusieurs échelles
Très sensible au progrès social, la France peut apparaître
comme une terre d’expérimentation du développement
durable. Au-delà de l’urgence écologique à traiter, il
est nécessaire de concilier les contraintes imposées par
la finitude des ressources naturelles avec l’aspiration
légitime des Français à vivre bien, en partageant les
richesses créées par l’économie nationale et en respectant les principes qui sont gravés sur le fronton de nos
institutions : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Replacés dans son contexte européen, le pays et ses
territoires (régions, départements, intercommunalités,
communes) doivent trouver l’organisation et les modes
de fonctionnement les plus adaptés pour relever ce
défi. Si elle nous permet de célébrer les vingt ans du
Sommet de la Terre, l’année 2012 marque aussi les
trente ans de la décentralisation et les vingt ans du
traité de Maastricht, fondateur de l’Union européenne.
Organisée autour d’un jeu complexe de répartition de
compétences, notre architecture des pouvoirs est-elle
compatible avec la mise en œuvre d’une politique
globale conciliant le réalisme économique, les aspirations sociales et les fondamentaux écologiques ? Le
développement durable n’est pas seulement l’affaire
d’un homme, d’une décision, d’une volonté centrale
qui s’exprimerait jusque dans les territoires. Réaliser
un développement durable appelle un élan partagé
par tous les acteurs d’une République à l’organisation
18
Chapitre 1 Qu'en est-il du développement durable ?
décentralisée, insérée dans un projet européen, ainsi
qu’à une gestion cohérente des politiques publiques.
Rio + 20 : un bilan modeste sur fond de crise
La nouvelle conférence organisée au Brésil par les
Nations unies du 20 au 22 juin 2012 sur le thème du
développement durable s’est achevée sur un bilan
assez modeste. Si la déclaration finale du sommet,
intitulée « L’avenir que nous voulons », ne comporte
pas d’engagement contraignant, quelques éléments positifs sont cependant à souligner parmi les
283 points du texte. Dans un contexte de crise économique, les objectifs du Sommet Rio+ 20 avaient été
prudemment limités à trois domaines essentiels : la
gouvernance mondiale du développement durable,
l’essor de l’économie verte et la mesure des progrès
accomplis depuis le Sommet de la Terre de 1992.
En dépit de la volonté affichée de renforcer le Programme des Nations unies pour l’environnement
(point 88), le projet de créer une Agence mondiale
de l’environnement à part entière n’a pas été validé à
Rio. En revanche, le Conseil économique et social des
Nations unies (ECOSOC) se voit reconnaître le rôle
clef de coordination des politiques de développement durable et d’intégration des trois piliers économique, social et environnemental (points 82 et 83).
Le développement de l’économie verte est reconnu
comme un facteur positif de croissance économique,
de création d’emplois et de protection de l’environnement (point 56). Cependant, l’essor de ce nouveau
19
marché ne doit pas être un prétexte à l’établissement
de barrières aux échanges commerciaux qui défavoriseraient les pays en développement qui manquent
d’avance technologique (point 58).
Le projet de définir des objectifs de développement
durable (ODD) au niveau planétaire, compléments
des objectifs du millénaire établis par les Nations
unies en 2000, a été validé (points 245 à 251). Pour
technique qu’il paraît, cet aspect de la déclaration
finale du Sommet Rio+ 20 marque un progrès dans
la politique mondiale du développement durable.
Une série limitée d’indicateurs chiffrés doit ainsi
être définie d’ici 2014, en cohérence avec les recommandations de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi
de 2009 dont la France était à l’initiative. Ce travail
devra notamment s’appuyer sur l’Agenda 21 établi
à Rio en 1992 ainsi que sur le plan d’action pour le
développement durable rédigé lors du Sommet de
Johannesburg en 2002. Grâce au suivi périodique
des indicateurs, les possibilités d’évaluation de l’action de la communauté internationale s’améliorent.
20
Chapitre 2
Le Sommet de Rio
de 1992, une feuille
de route exigeante ?
Le développement durable s’inscrit dans une
perspective historique et appelle une action
concertée au niveau international. Le programme
d’action commun défini à Rio en 1992 et les deux
conventions portant sur le climat et la biodiversité
adoptées par les Nations unies servent de base
à une évaluation des avancées dans ce domaine.
Mais selon quelle grille d’analyse apprécier
les performances de la France en termes de
développement durable ?
1972-1992, une prise de conscience progressive
L’organisation du Sommet de la Terre par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1992 s’appuie sur
une prise de conscience progressive par la communauté internationale des limites naturelles imposées
au développement humain. Deux événements ont
marqué principalement cette période : la conférence
des Nations unies sur l’environnement humain à
­Stockholm en 1972 et les conclusions des travaux de la
Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations unies, ou rapport Brundtland,
en 1987. Dans les deux cas, l’impulsion donnée par
l’Assemblée générale de l’ONU a été déterminante
pour parvenir à une traduction sur le plan politique
et juridique des nombreuses études menées par la
communauté universitaire et portant sur les méfaits
de la société industrielle sur l’environnement. Elle
23
permettait également de faire écho aux catastrophes
écologiques qui se sont multipliées durant les Trente
Glorieuses.
Un an après la marée noire provoquée par le naufrage
du pétrolier Torrey Canyon au large des côtes britanniques le 18 mars 1967, l’Assemblée générale des
Nations unies recommande la tenue « en 1972 [d’] une
conférence des Nations unies sur le milieu humain »
visant à attirer l’attention des gouvernements et de
l’opinion publique sur l’importance et l’urgence de
la question (Résolution 2398 (XXIII), « Problèmes du
milieu humain », du 3 décembre 1968). Organisée
du 5 au 16 juin 1972, la conférence de Stockholm
débouche sur une déclaration finale non contraignante
pour les États et la mise en place du Programme
des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui
constitue la plus haute autorité environnementale
des Nations unies. Fondée sur vingt-six principes
visant une gestion écologiquement rationnelle de
l’environnement – dont le droit fondamental pour
l’homme de vivre dans « un environnement dont
la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le
bien-être » (principe 1) –, la Déclaration de Stockholm
place les questions écologiques au rang de préoccupation internationale. Elle marque également le
début d’un dialogue entre pays industrialisés et en
développement sur les liens entre croissance économique, pollution des biens publics mondiaux (air,
24
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
eau, océan…) et bien-être des populations dans
le monde. Le siège du PNUE est établi au Kenya, à
Nairobi. Cette localisation se veut emblématique et
souligne la volonté de faire avancer ensemble les pays
industrialisés et en développement sur la voie de la
protection de l’environnement. Doté d’un Bureau
exécutif, sorte de Secrétariat permanent, d’un conseil
d’administration autonome et d’un budget propre,
le PNUE offre un socle institutionnel sur lequel vont
s’appuyer de nombreuses conventions internationales,
comme la Convention sur le commerce international
des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction, signée à Washington le 3 mars 1973,
ou la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de
leur élimination, conclue à Bâle le 22 mars 1989.
Alors que les catastrophes industrielles se multiplient,
dans les pays industrialisés comme dans les pays en
développement (ex : pollutions majeures à la dioxine
à Seveso en Italie en juillet 1976 et aux pesticides
à Bhopal en Inde en décembre 1984), l’Assemblée
générale des Nations unies crée une Commission
mondiale sur l’environnement et le développement
chargée de « proposer des stratégies à long terme
en matière d’environnement pour assurer un développement durable d’ici l’an 2000 et au-delà ». Présidée par la norvégienne Gro Harlem Brundtland,
avec comme vice-président le soudanais Mansour
25
Khalid, cette Commission travaille pendant environ trois ans. En 1987, elle rend un rapport devenu
célèbre, Notre avenir à tous, qui définit la notion
de développement durable. Au-delà de son intérêt
conceptuel, la sortie du rapport bénéficie, un an après
l’accident de Tchernobyl, d’un contexte international
particulièrement favorable à la diffusion de ses idées.
Avec l’effondrement du bloc communiste à la fin des
années 1980, le spectre de la Guerre froide s’éloigne
et le développement durable s’impose au sommet
de l’agenda planétaire. L’ONU décide d’organiser
alors une nouvelle conférence internationale. Elle
se tient à Rio, en juin 1992, vingt ans jour pour jour
après la conférence de Stockholm, et se traduit par
l’adoption de cinq textes – la Déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement, la déclaration sur les forêts, le programme « Action 21 », la
Convention-cadre sur les changements climatiques
et la Convention sur la diversité biologique –, dont
seulement les deux conventions sont juridiquement
contraignantes pour les États.
Rio, l’expression d’une volonté commune
des États
Trois textes importants, mais juridiquement non
contraignants pour les États, résultent du Sommet de
la Terre de 1992 et marquent leur volonté de prendre
des mesures en faveur du développement durable
de la planète. En cela, Maurice Strong, le secrétaire
26
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
général de la Conférence, qualifiait le Sommet de
« moment historique pour l’humanité ».
Tout d’abord, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement est un ensemble de
vingt-sept principes définissant les droits et les responsabilités des États dans ce domaine. Facteur clef
de la réussite du Sommet de la Terre, elle est le fruit
d’un compromis entre les pays industrialisés et ceux
en développement. En effet, les premiers souhaitaient l’adoption d’une brève déclaration réaffirmant
celle de Stockholm, tandis que les seconds désiraient
notamment que les pays industrialisés soient reconnus comme principaux responsables des problèmes
écologiques actuels. En conséquence, la Déclaration
de Rio affirme le droit souverain pour chaque État
d’exploiter ses propres ressources selon sa politique
d’environnement et de développement (principe
no 2), mais de façon à répondre équitablement aux
besoins des générations actuelles et futures (principe
no 3). Elle souligne la nécessité de lutter contre la
pauvreté, condition indispensable du développement durable (principe no 5), et consacre le principe
de responsabilité commune mais différenciée des
États selon leur niveau de développement (principe
no 7). Une place importante est également faite à
l’information du public en matière d’environnement,
à sa participation aux processus de prise de décision
affectant le milieu et à son accès à la justice en cas
de litige (principe no 10).
27
La Déclaration de Rio sur l’environnement
et le développement (extraits)
Principe 1 – Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils
ont droit à une vie saine et productive en harmonie
avec la nature.
Principe 2 – Conformément à la Charte des Nations
Unies et aux principes du droit international, les États
ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et de
développement, et ils ont le devoir de faire en sorte
que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement dans d’autres États ou dans
des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale.
Principe 3 – Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins
relatifs au développement et à l’environnement des
générations présentes et futures.
Principe 4 – Pour parvenir à un développement
durable, la protection de l’environnement doit faire
partie intégrante du processus de développement et
ne peut être considérée isolément.
Principe 5 – Tous les États et tous les peuples doivent
coopérer à la tâche essentielle de l’élimination de la
pauvreté, qui constitue une condition indispensable
du développement durable, afin de réduire les différences de niveaux de vie et de mieux répondre aux
besoins de la majorité des peuples du monde.
28
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
Principe 7 – Les États doivent coopérer dans un
esprit de partenariat mondial en vue de conserver,
de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de
l’écosystème terrestre. Étant donné la diversité des
rôles joués dans la dégradation de l’environnement
mondial, les États ont des responsabilités communes
mais différenciées. Les pays développés admettent la
responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte
tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur
l’environnement mondial et des techniques et des
ressources financières dont ils disposent.
Principe 8 – Afin de parvenir à un développement
durable et à une meilleure qualité de vie pour tous
les peuples, les États devraient réduire et éliminer
les modes de production et de consommation non
viables et promouvoir des politiques démographiques appropriées.
Principe 9 – Les États devraient coopérer ou intensifier le renforcement des capacités endogènes en
matière de développement durable en améliorant
la compréhension scientifique par des échanges de
connaissances scientifiques et techniques et en facilitant la mise au point, l’adaptation, la diffusion et
le transfert de techniques, y compris de techniques
nouvelles et novatrices.
Principe 10 – La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui
convient. Au niveau national, chaque individu doit
29
avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques,
y compris aux informations relatives aux substances
et activités dangereuses dans leurs collectivités, et
avoir la possibilité de participer aux processus de
prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public
en mettant les informations à la disposition de
celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et
administratives, notamment des réparations et des
recours, doit être assuré.
Principe 25 – La paix, le développement et la protection de l’environnement sont interdépendants et
indissociables.
Le deuxième texte non contraignant adopté en 1992
est la déclaration sur les principes relatifs aux forêts.
Elle rassemble des principes qui devront sous-tendre
la gestion durable des forêts à l’échelle mondiale. Élaborée dans un contexte de déforestation dans les pays
en développement et de pluies acides dans les pays
industrialisés, cette déclaration illustre la sensibilité à la
fois générale et différenciée de la communauté internationale sur la question des forêts. En effet, pendant
la phase préparatoire du Sommet, l’espoir d’aboutir
à un texte juridiquement contraignant existait. Mais
il n’a pas été possible de rapprocher les positions
divergentes des pays industrialisés – qui souhaitaient
l’interdiction de l’abattage des forêts ombrophiles (qui
30
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
ont besoin de fortes pluies tout au long de l’année),
les plus touchées par le déboisement – et des pays en
développement – qui désiraient que les forêts tempérées et boréales, notamment celles des États-Unis,
du Canada et de l’ex-URSS, soient aussi concernées
par le texte. Cette déclaration est à l’origine d’une
série d’initiatives internationales, comme le Panel
intergouvernemental sur les forêts (1995-1997), le
Forum intergouvernemental sur les forêts (19972000) et le Forum des Nations unies sur les forêts
créé en octobre 2000. Ces actions débouchent en
2008 sur une résolution de l’Assemblée générale des
Nations unies portant sur un « Instrument juridique
non contraignant concernant tous les types de forêts ».
Il est complété par un « Accord sous-régional sur le
contrôle forestier en Afrique centrale », conclu sous
les auspices de la Commission des forêts d’Afrique
centrale (COMIFAC) et de l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui
présente un caractère juridiquement contraignant.
Enfin, le troisième texte juridiquement non contraignant
adopté à Rio en 1992 est le programme d’actions pour
le XXIe siècle dans tous les domaines du développement durable, intitulé « Action 21 » ou « Agenda 21 ».
Constitué de quarante chapitres, il vise à promouvoir
un développement équilibré, à l’échelle de la planète,
prenant en compte non seulement « la conservation et
la gestion des ressources aux fins de développement »,
31
comme la protection de l’atmosphère ou la lutte contre
la désertification, mais également « les dimensions
sociales et économiques » notamment à travers la lutte
contre la pauvreté et la coopération internationale en
faveur des pays en développement. Le chapitre 28
de l’Agenda 21 appelle les collectivités territoriales à
décliner leur propre programme d’actions en faveur
du développement durable.
Deux conventions, c’est-à-dire des traités de portée
mondiale, voient également le jour au Sommet de
la Terre et structurent désormais le droit public de
l’environnement. Il s’agit de la Convention-cadre
des Nations unies sur les changements climatiques
(CCNUCC) et de la Convention sur la diversité biologique (CDB).
La CCNUCC : le fondement contraignant
de la préservation du climat
Ouverte à la signature des États lors de la Conférence
de Rio, le 4 juin 1992, la Convention est entrée en
vigueur le 21 mars 1994 et compte 195 pays signataires en 2012. La CCNUCC se donne pour objectif
de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet
de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche
toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (article 2). Les obligations des pays
signataires (États Parties) de la Convention varient
selon leur niveau de développement. Ils sont répartis
32
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
en trois catégories : les pays signataires dans leur
ensemble, ceux recensés à l’annexe I de la Convention et ceux visés par l’annexe II. L’ensemble des pays
signataires doit préparer des inventaires nationaux
des émissions d’origine humaine par sources de gaz
à effet de serre, mettre en place des programmes
nationaux et régionaux visant à atténuer et à faciliter
l’adaptation aux changements climatiques, développer la recherche et sensibiliser le public au problème
de réchauffement climatique global. Les pays dont
la liste est établie à l’annexe I de la CCNUCC ont
des obligations spécifiques comme l’adoption de
politiques nationales et de mesures pour atténuer les
changements climatiques et ramener d’ici à l’an 2000
leurs émissions de gaz à effet de serre aux niveaux de
1990. Ce sont 24 pays industrialisés, signataires de la
Convention et membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en
1992, auxquels s’ajoutent les 14 pays alors en cours
de transition vers une économie de marché, comme
la Fédération de Russie, les États baltes et plusieurs
États d’Europe centrale et orientale. L’annexe II de la
CCNUCC regroupe les mêmes pays que l’annexe I, à
l’exception des États en transition économique. Ces
pays concernés par l’annexe II ont des obligations
supplémentaires. Ainsi, ils sont tenus de procurer des
ressources financières aux pays en développement
afin qu’ils puissent mener des activités de réduction
des émissions et s’adapter plus facilement aux effets
33
Les gaz à effet de serre, de quoi parle-t-on précisément ?
Plusieurs gaz participent, de manière variable, à l’effet de serre :
– la vapeur d’eau (H2O) : abondante et variable selon
le climat, elle est responsable de près des trois quarts
de l’effet de serre total. L’homme a peu de prise sur
sa concentration ;
– le dioxyde de carbone (CO2) : principal gaz à effet
de serre d’origine humaine, il représente environ
20 % de l’effet total. L’activité humaine contribue à
l’augmentation de ses émissions, notamment à travers la combustion de l’énergie et la déforestation ;
– le méthane (CH4) : l’agriculture en est la principale
source via les fermentations liées à la riziculture, à la
digestion des ruminants et au stockage du fumier ;
– le protoxyde d’azote ou oxyde nitreux (N2O),
encore appelé gaz hilarant : des réactions chimiques
naturelles (ex : combustion) peuvent être à l’origine
de ce gaz auxquelles s’ajoutent la transformation
des produits azotés utilisés par l’agriculture (engrais,
fumier, lisier…) ou certains procédés industriels ;
– les gaz industriels (hydrofluorocarbures-HFC, perfluorocarbure-PFC et hexafluorure de soufre-SF6)
sont utilisés notamment pour la production de froid
et la climatisation.
Hormis la vapeur d’eau, ils constituent les six principaux gaz à effet de serre visés par le Protocole de
Kyoto de 1997.
34
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
des changements climatiques. Ils doivent également
encourager la mise au point et le transfert de technologies respectueuses de l’environnement au profit
des pays en transition économique et de ceux en
développement.
Une conférence des Parties (COP), c’est-à-dire des
États signataires, est créée. Organe suprême de la
Convention, elle fait le point sur son application
et se réunit chaque année. La troisième COP, qui
s’est tenue à Kyoto au Japon en décembre 1997, a
renforcé la réponse internationale contre le changement climatique en fixant des objectifs chiffrés
de réduction des émissions aux pays développés
et à ceux en transition vers une économie de marché (38 États et l’Union européenne à 15 membres,
qui correspondent aux pays cités à l’Annexe I de la
CCNUCC). Il s’agit de réduire d’au moins 5 % le niveau
des émissions annuelles sur la période 2008-2012
par rapport au niveau moyen enregistré en 1990.
Des objectifs doivent être assignés à chaque pays.
À titre d’exemple, l’Union européenne à 15 s’est
engagée à réduire de 8 % ses émissions. Le Protocole de Kyoto, entré en vigueur le 16 février 2005,
vise les six principaux gaz à effet de serre (dioxyde
de carbone-CO2, méthane-CH4, oxyde nitreux-N2O,
hydrofluorocarbones-HFC, hydrocarburesperfluorésPFC, hexafluorure de soufre-SF6). Il met l’accent sur
les politiques et mesures intérieures effectivement
35
Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto,
comment ça marche ?
Le Protocole de Kyoto prévoit la possibilité de recourir à trois mécanismes dits « de flexibilité » en complément des mesures nationales à mettre en œuvre :
– les « permis d’émission » qui permettent de
vendre ou d’acheter des droits à émettre entre pays
industrialisés ;
– les « mises en œuvre conjointes » (MOC) qui permettent, entre pays développés, de réaliser des
investissements visant à réduire les émissions de gaz
à effet de serre en dehors du territoire national et de
bénéficier de crédits d’émission en retour ;
– les « mécanismes de développement propre »
(MDP), analogues au dispositif précédent, mais qui
concernent des investissements effectués par un
pays développé dans un pays en développement.
capables de réduire les émissions et offre aux pays
signataires, pour compenser ces objectifs contraignants, une flexibilité sur les manières de les atteindre
(mécanismes de flexibilité).
La seizième conférence des Parties, réunie à Cancun
au Mexique du 29 novembre au 10 décembre 2010,
n’a pas permis de préciser les modalités de gestion
de la période post-Kyoto. Aucun objectif chiffré de
réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a
été redéfini. L’accord de Cancun reconnaît toutefois
36
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
que la hausse de la température mondiale doit être
limitée à moins de deux degrés Celsius par rapport
à la température enregistrée au début de l’ère industrielle conventionnellement située en 1860. L’accord
prévoit également des mécanismes de financement
pour aider les pays en développement.
Si le dispositif de lutte contre le changement climatique demeure imparfait à ce jour, il dispose cependant
d’un atout constitué par un appareil statistique assez
solide et homogène au niveau international qui permet
de suivre l’évolution des émissions des gaz à effet de
serre : le groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC). Créé en 1988, à l’initiative
du G7, par deux organismes de l’ONU, l’Organisation
météorologique mondiale (OMM) et le Programme
des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le
GIEC évalue, en toute indépendance, les publications
se rapportant au changement climatique. Il rend
compte de la diversité des débats scientifiques, tout
en essayant de dégager, dans ses rapports annuels,
ce qui relève d’un large consensus afin d’alimenter
la décision politique.
Les informations validées par le GIEC peuvent aussi
servir de base à la médiatisation du changement climatique et de ses enjeux auprès de l’opinion publique,
comme le documentaire très pédagogique sorti en
2006, Une vérité qui dérange, qui met en scène l’exvice-président des États-Unis, Al Gore.
37
Où en sont les négociations
sur la lutte contre le changement climatique ?
Jusqu’à fin 2012, la Convention-cadre des Nations
unies sur le changement climatique est mise en
œuvre grâce au Protocole de Kyoto et ses engagements chiffrés de réduction des émissions des gaz
à effet de serre sur la période 1990-2012. Depuis la
conférence de Copenhague du 7 au 18 décembre
2009, la question se pose de prolonger, voire d’intensifier, les efforts de la communauté internationale en
matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Grâce à la conférence de Durban du 28 novembre au
11 décembre 2011, les négociations ont été relancées même s’il reste plusieurs incertitudes à lever
sur les périodes d’application et les objectifs chiffrés
à atteindre. Le Protocole de Kyoto devrait être prolongé sur la période 2013 à 2018-2020. Ensuite, un
autre instrument juridique, présentant un caractère
contraignant pour les États, devra être mis en place
d’ici 2015 afin de renforcer les efforts et de limiter
l’augmentation de la température moyenne de la
planète à + 2°C d’ici la fin du siècle par rapport au
début de l’ère industrielle (1860). Cet objectif impliquerait de diviser par deux les émissions de gaz à
effet de serre d’ici 2050 par rapport à 1990. Le cinquième rapport du GIEC attendu en 2014 servira de
base à la définition des engagements chiffrés. Sur le
plan financier, le Fonds vert pour le climat, dont le
principe avait été annoncé lors de la conférence de
Cancun de 2010, a été confirmé. Il s’agit de mobiliser
38
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
environ 100 milliards de dollars d’ici 2020 pour aider
les pays en développement à lutter contre le changement climatique. L’alimentation du fonds reste à
préciser.
Globalement, le processus de négociation internationale sur le climat continue d’avancer en dépit des
réticences récurrentes de certains pays industrialisés (ex : États-Unis) et des grands pays émergents
(ex : Chine) à contraindre leur développement économique par des engagements fermes en matière
d’émission de gaz à effet de serre. En filigrane des
négociations climatiques, la question de l’articulation des accords mondiaux sur l’environnement avec
les autres conventions internationales demeure,
notamment avec celles qui organisent le commerce
mondial.
La Convention sur la diversité biologique :
des engagements un peu flous
Ouverte à la signature des pays pendant un an à partir
du 5 juin 1992 pendant le Sommet de Rio, elle est
entrée en vigueur le 29 décembre 1993 et compte
aujourd’hui 193 États Parties. Traité international
juridiquement contraignant pour les États, la Convention sur la diversité biologique (CDB) se donne trois
objectifs : la conservation de la diversité biologique,
l’utilisation durable de ses éléments constitutifs et le
partage juste et équitable des avantages découlant
39
de l’exploitation des ressources génétiques de cette
diversité biologique. Très ambitieuse dans ses fondements, la CDB a mis du temps à se traduire dans les
faits. Il faut en effet attendre la sixième conférence
des États Parties de la CDB, en avril 2002 à La Haye,
pour qu’un plan stratégique visant à « freiner efficacement la perte de diversité biologique » d’ici 2010
soit adopté.
En pratique, c’est la dixième conférence des Parties de
la CDB organisée à Nagoya, dans la préfecture d’Aichi
au Japon, du 18 au 29 octobre 2010 qui donne vie à
la Convention, à l’instar de ce qu’a été la Conférence
de Kyoto pour la mise en œuvre de la CCNUCC. Trois
avancées essentielles ressortent de la conférence de
Nagoya : le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des
avantages découlant de leur utilisation, qui précise les
modalités de mise en œuvre de ce point de la CDB ;
une stratégie de mobilisation des ressources, afin
d’augmenter les niveaux d’aide publique au développement en soutien à la biodiversité, et un nouveau
plan stratégique pour la période 2011-2020 baptisé
« Objectif d’Aichi » visant à enrayer effectivement la
perte de biodiversité aggravée par les changements
climatiques. Ce dernier point attire l’attention dans
la mesure où il fixe un ensemble d’objectifs précis qui
faisaient jusque-là défaut. Ainsi, d’ici 2020, il s’agit
de conserver 17 % des zones terrestres et des eaux
40
Chapitre 2 Le Sommet de Rio de 1992
intérieures, et 10 % des zones marines et côtières.
Des objectifs de restauration d’écosystèmes dégradés
sont également posés – restaurer au moins 15 % des
zones dégradées – en dépit de la difficulté de pouvoir
disposer d’un état de référence précis des milieux.
Biodiversité et diversité biologique,
de quoi est-il question ?
La notion de diversité biologique est apparue chez
le biologiste américain Thomas Lovejoy en 1980. Le
terme de « biodiversité » a, quant à lui, été inventé
en 1985, lors de la préparation du National Forum on
Biological Diversity organisé en 1986. Le Sommet de
Rio en 1992 a adopté une première définition de la
diversité biologique dans la Convention sur la diversité biologique. Selon son article 2, la diversité biologique est définie comme étant « La variabilité des
organismes vivants de toute origine y compris, entre
autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres
écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que
celle des écosystèmes. ». Ainsi précisée, la diversité
biologique ne se limite pas à la variété visible des
espèces. Elle comprend une dimension macroscopique en intégrant la multiplicité des milieux
naturels, des écosystèmes, et une dimension microscopique par la diversité génétique présente au sein
d’une même espèce.
41
Afin d’améliorer la connaissance encore très imparfaite
de la diversité biologique, la conférence de Nagoya
montre la volonté des États de créer une plate-forme
intergouvernementale sur la biodiversité et les services
écosystémiques (dite IPBES en anglais), équivalente du
GIEC dans le champ de la lutte contre le changement
climatique, en gestation depuis 2005. D’apparence
assez technique, ce point est en fait fondamental.
La lutte contre l’érosion de la biodiversité souffre
en effet d’un déficit criant de données statistiques.
De la difficulté d’estimer précisément le « stock » de
biodiversité, de dresser l’inventaire du vivant découle
naturellement une très grande difficulté de gestion
des évolutions du patrimoine naturel. Le développement d’un système d’information chiffré est le
fondement de toute politique publique rationnelle.
La préservation de la diversité biologique n’échappe
pas à la règle. À défaut de données précises sur les
espèces, et a fortiori sur leur génome, l’approche par
les milieux, dont la surface est relativement facile à
estimer, est privilégiée. Ce manque devrait désormais
être comblé car l’IPBES a été officiellement créé le
21 avril 2012 et sa première réunion plénière devrait
avoir lieu en 2013. Son secrétariat est établi à Bonn,
en Allemagne.
42
Chapitre 3
La France,
tête de classe européenne ?
La France inscrit son action en matière
de développement durable dans un contexte
européen. Les questions climatiques
et énergétiques apparaissent cruciales
pour un continent sans grande ressource de
combustible fossile. Déjà lourdement dégradée,
la diversité biologique de l’Europe appelle
un traitement de choc. La législation française,
pour partie inspirée de la réglementation
communautaire, est-elle à la hauteur des enjeux ?
Le droit de l’environnement :
un droit européen ?
La compréhension par les citoyens de l’État de droit,
notamment des règles en matière de développement
durable et d’environnement, est souvent compliquée
par les cadres d’analyse juridique utilisés par les spécialistes. Ainsi, en France, la hiérarchie des normes,
c’est-à-dire l’ordre d’importance entre les différents
types de textes juridiques (Constitution, lois, décrets,
…), place les règles juridiques faisant partie du « bloc
de constitutionnalité » en haut du classement. Il s’agit
de la Constitution de 1958, des droits et libertés
énoncés par le préambule de la Constitution de 1946,
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 et de la Charte de l’environnement de 2004.
Les engagements pris par la France dans le cadre
d’accords internationaux et européens (ex : directive,
45
règlement) arrivent en deuxième position. Viennent
ensuite les lois, les décrets et les arrêtés. En prenant
un peu de recul par rapport à cette grille de lecture, il
convient de souligner le poids du droit communautaire
dans de nombreux pans de notre droit aujourd’hui.
En matière d’environnement, ce point est essentiel
puisqu’environ 85 % des règles juridiques de ce
domaine ont une origine européenne (cf. rapport de
la sénatrice Fabienne Keller, Les enjeux budgétaires
liés au droit communautaire de l’environnement,
2006, p. 9).
Dans ce contexte, l’importance de la Charte de l’environnement, adoptée par le Parlement le 24 juin 2004
et adossée à la Constitution par la réforme constitutionnelle du 1er mars 2005, est donc à relativiser. En
l’intégrant au bloc de constitutionnalité, la France
s’est en réalité alignée sur un courant européen porteur. Il n’en reste pas moins que la Charte consolide
juridiquement la notion de développement durable :
« Les politiques publiques doivent promouvoir un
développement durable. À cet effet, elles concilient
la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès
social » (article 6 de la Charte). Environ dix ans plus
tôt, l’Europe avait déjà inséré la notion de développement durable dans les traités de l’Union.
46
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
La Charte de l’environnement de 2004
Annoncée dès 2001 par le président de la République, la Charte de l’environnement adossée à la
Constitution a été préparée par une commission pluridisciplinaire (ex : philosophe, juriste, biologiste…)
et représentative de la diversité des points de vue
de la société civile (ex : représentants de salariés, des
employeurs, des consommateurs, des associations
de protection de l’environnement…). Présidée par
le paléontologue Yves Coppens, la commission dite
Coppens a travaillé de juin 2002 à avril 2003. Elle a
produit un texte court, composé de dix articles. Outre
l’introduction de la notion de développement durable
(article 6), la Charte reconnaît les droits (article 1er) et
les devoirs fondamentaux de l’homme par rapport à
son environnement (articles 2 à 4). Elle inscrit dans le
bloc de constitutionnalité le principe de précaution
(article 5). Le texte insiste également sur l’importance
de l’information du public en matière environnementale, de sa participation à l’élaboration des décisions
publiques susceptibles d’affecter l’environnement
(article 7), ainsi que sur le rôle de l’éducation-formation (article 8) et de la recherche-innovation dans sa
préservation (article 9).
47
L’effet d’entraînement de l’Union européenne
Au début des années 1990, accompagnant la prise de
conscience internationale en faveur de l’environnement, l’Union européenne se donne comme objectif
de « promouvoir un progrès économique et social
équilibré et durable » (article B du traité de Maastricht
du 7 février 1992). Elle franchit ainsi une étape supplémentaire par rapport à l’Acte unique européen de
1986, qui posait le principe de la prise en compte de
l’environnement par toutes les politiques communautaires. Le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 fait
du développement durable un principe de l’Union.
Il prévoit que les États membres sont « déterminés à
promouvoir le progrès économique et social de leurs
peuples, compte tenu du principe du développement
durable et dans le cadre de l’achèvement du marché
intérieur, et du renforcement de la cohésion et de
la protection de l’environnement, et à mettre en
œuvre des politiques assurant des progrès parallèles
dans l’intégration économique et dans les autres
domaines » (article 1). Enfin, le traité de Lisbonne,
entré en vigueur le 1er décembre 2009, précise la
définition du développement durable « fondé sur une
croissance économique équilibrée et sur la stabilité
des prix, une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès
social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (article 3
48
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
du traité sur l’Union européenne). La valorisation du
concept de développement durable dans les traités
européens procède ainsi d’une lente maturation.
Les directives ou les règlements européens ont été
largement imprégnés des préoccupations environnementales. Depuis le traité de Maastricht, les décisions
en la matière sont prises à la majorité qualifiée et non
à l’unanimité des États membres. De fait, la législation européenne est extrêmement riche en matière
d’environnement. Elle s’articule autour de deux grands
axes – la lutte contre le changement climatique et la
préservation de la biodiversité – en cohérence avec
les défis planétaires à relever.
L’Europe, première de la classe climatique
Afin de réaliser ses engagements européens dans le
cadre du Protocole de Kyoto – réduction de 8 % de
ses émissions de gaz à effet de serre pour 2008-2012
par rapport au niveau de 1990 –, la Commission européenne a mis en place, en juin 2000, un Programme
européen sur le changement climatique (PECC). Plusieurs directives européennes, visant à réguler les
émissions de gaz à effet de serre mais également à
promouvoir les énergies renouvelables, en découlent.
En matière de réduction des émissions, l’Europe agit
dans deux directions : faire payer le prix du carbone
émis et améliorer l’efficacité énergétique des modes
de production. Plutôt que de taxer les émissions de
49
gaz à effet de serre, l’Union européenne a préféré
mettre en place un marché de quotas d’émissions
– le système communautaire d’échange de quotas
d’émission (SCEQE) – par la directive du 13 octobre
2003. La réduction de la consommation d’énergie, et
donc potentiellement la réduction des émissions de
gaz à effet de serre à la source, est encouragée par
deux autres directives : celle du 16 décembre 2002
sur la performance énergétique des bâtiments et celle
du 5 avril 2006 sur l’efficacité énergétique dans les
utilisations finales et les services énergétiques.
Qu’est-ce que le système communautaire d’échange
de quotas d’émission (SCEQE) ?
Depuis le 1er janvier 2005, toute installation réalisant
certaines activités (production d’énergie, production et transformation des métaux ferreux, industrie
minérale, fabrication de pâte à papier, de papier et
de carton) et émettant les gaz à effet de serre doit
posséder une autorisation délivrée par les États
membres. L’autorisation encadre la quantité d’émissions de gaz à effet de serre par des plans nationaux
d’allocation sectorielle. La quantité de quotas délivrée chaque année pour l’ensemble de l’Union européenne doit diminuer de manière continue à partir
de 2013. Une fois alloués, les quotas peuvent être
échangés par les industriels en fonction du cours de
la tonne d’émission d’équivalent CO2. Celui-ci était
évalué à 20 euros en 2005, au lancement du marché
des quotas. Il se situait à 13 euros en 2009.
50
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
S’agissant de la promotion des énergies renouvelables,
l’Union a établi deux directives clés. La directive du
27 septembre 2001 sur la promotion de l’électricité
produite à partir de sources d’énergie renouvelables
et celle du 8 mai 2003 visant à promouvoir l’utilisation de biocarburants ou d’autres carburants renouvelables dans les transports. Au-delà de l’utilité de
ces « lois-cadres » européennes dans la lutte contre
le changement climatique, il est stratégiquement
intéressant pour l’Union de diversifier ses sources
d’énergie. Très peu dotée en énergie d’origine fossile
(gaz naturel, pétrole), l’Europe est en effet largement
dépendante des importations d’énergie en provenance
du Moyen-Orient, à l’origine de 45 % des importations de pétrole, et de la Russie, à l’origine de 40 %
des importations de gaz naturel (d’après le livre vert
de la Commission européenne, Vers une stratégie
européenne de sécurisation de l’approvisionnement
énergétique, 2000). Cette fragilité géopolitique la rend
d’autant plus sensible à la lutte contre le changement
climatique. Dans une certaine mesure, les intérêts
vitaux de l’Europe se conjuguent harmonieusement
avec sa volonté d’apparaître exemplaire dans la mise
en œuvre du Protocole de Kyoto.
51
Qui émet le plus de gaz à effet de serre en Europe ?
18
16
14
12
10
8
6
4
Italie
Roumanie
Suède
Hongrie
Portugal
France
Rép. slovaque
0
Bulgarie
Espagne
Moyenne UE-27
Pologne
Royaume-Uni
Autriche
Allemagne
Grèce
Danemark
Belgique
Pays-Bas
Rép. tchèque
Finlande
Irlande
2
Données : en teq CO2 par habitant pour les vingt premiers pays émetteurs en
2007 dans le cadre de l’UE à 27
Source : Agence européenne de l’environnement, 2009.
Cette attention portée à la question énergétique est
sans doute à l’origine de l’initiative communautaire
menée en prévision des négociations sur le régime
post-Kyoto. Ainsi, la Commission européenne a proposé en janvier 2007 un « paquet énergie-climat »,
adopté par le Conseil européen de mars 2007, qui
énonce trois nouveaux objectifs :
– la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet
de serre à l’horizon 2020 par rapport au niveau de
1990, et pouvant aller jusqu’à 30 % en cas d’accord
international ;
– l’amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique
à l’horizon 2020 ;
52
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
– l’augmentation de la part des énergies renouvelables pour atteindre 20 % de la consommation
d’énergie en 2020, avec un objectif spécifique pour
les biocarburants de porter leur part à 10 % de la
consommation d’énergie finale.
Essentielle pour l’avenir de l’Europe et son indépendance énergétique, la législation européenne environnementale ne se réduit pas aux seuls dispositifs
de lutte contre le changement climatique. L’Union a
développé un droit de protection de la nature après
la dégradation de ses mileux par son développement
urbain et industriel.
L’Europe, en rattrapage pour la préservation
de la biodiversité
En adoptant dès mai 1992 la directive « Habitats »
visant à protéger les milieux et les espèces les plus rares
de son patrimoine naturel, l’Union européenne a posé
les bases de son action en faveur de la biodiversité.
Celle-ci laisse cependant largement de côté le problème de la gestion de la diversité biologique ordinaire,
c’est-à-dire celle des forêts, des zones humides et des
espaces agricoles menacés par l’étalement urbain et
le développement des infrastructures.
La directive du 21 mai 1992 sur la conservation des
habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages,
dite directive « Habitats », met en place le réseau
53
Natura 2000, plus grand réseau écologique du monde.
Il est constitué de zones spéciales de conservation
définies par les États membres et comprend également les zones de protection spéciale instaurées
en vertu de la directive « Oiseaux » du 2 avril 1979
révisée par celle du 30 novembre 2009. Les types
d’habitats et les espèces, dont la protection nécessite
la désignation de zones spéciales de conservation,
sont énumérés (annexes I et II de la directive). Certains
d’entre eux sont définis comme des types d’habitats
ou des espèces « prioritaires », c’est-à-dire en danger
de disparition. Les espèces animales et végétales qui
nécessitent une protection particulièrement stricte
sont précisées (annexe IV). La désignation des zones
spéciales de conservation est réalisée par les États
membres sous contrôle de la Commission européenne.
Ils y prennent toutes les mesures nécessaires pour
garantir la conservation des habitats et éviter leur
détérioration ainsi que les perturbations significatives des espèces. Dans tous les États membres de
l’Union, le réseau Natura 2000 forme aujourd’hui la
charpente des politiques nationales de protection
de la biodiversité et représente 18 % du territoire
terrestre de l’Union.
54
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
Un exemple de site d’intérêt communautaire :
l’étang de Lindre et ses alentours
Exemple de site Natura 2000, l’étang de Lindre est
situé en Lorraine, dans le pays des étangs. Il regroupe
plusieurs types d’écosystèmes agricoles, forestiers
et lacustres. Cet éco-complexe est particulièrement important dans l’échelle migratoire qui relie
le Nord de l’Europe à l’Afrique. Les forêts riveraines
de l’étang de Lindre, notamment la forêt domaniale
du Romersberg, accueillent des passereaux cavernicoles (c’est-à-dire utilisant les cavités naturelles des
arbres) remarquables selon les critères de la directive Oiseaux de 1979. Ainsi, le Gobemouche à collier (Ficedulla Albicolis) niche-t-il dans les vieux arbres
forestiers. En 1996, afin de conserver l’habitat de
cette espèce et d’autres oiseaux cavernicoles (ex :
Pic épeiche, Pic noir), les forestiers ont décidé de préserver de grands vieux arbres ayant pourtant atteint
l’âge d’être abattus et commercialisés.
En adoptant en février 1998, la stratégie communautaire en faveur de la diversité biologique, la Commission européenne a élargi le champ de son action en
matière de biodiversité. Plusieurs politiques communautaires en ont ainsi été modifiées (ex : politique
agricole commune, politique commune de la pêche).
Première politique de l’Union en termes de dépenses,
la politique régionale et de cohésion tente également de promouvoir des mesures d’aménagement du
55
territoire favorables à la protection de la biodiversité,
en particulier grâce à la mise en place de corridors
biologiques censés relier les zones protégées. Ce pan
de la politique européenne reste cependant limité par
la compétence que conservent les États en matière
d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
La biodiversité, entre nature et culture
Appréhendée de façon scientifique par les sociétés
occidentales et avant tout perçue comme un enjeu
de protection, la notion de biodiversité n’en reste pas
moins influencée par la perception culturelle du rapport de l’homme à la nature. Ainsi, dans des sociétés
agricoles traditionnelles, comme celle du Vanua Lava
(archipel du Vanuatu dans le Pacifique), les habitants
n’utilisent qu’un seul mot pour désigner l’ensemble
des taros sauvages, qui sont des légumes-racines.
Ils prêtent davantage attention à leurs variétés cultivées auxquelles ils confèrent un statut social élevé.
Dans la perception de la plante, l’intérêt gustatif
l’emporte sur sa rareté. De même, dans la coutume
des anciennes sociétés mélanésiennes, les arbres,
parce qu’ils abritent l’esprit des ancêtres de la tribu,
présentent une dimension surnaturelle qui dépasse
largement la valeur biologique que lui reconnaissent
botanistes ou agronomes (ex : Maurice Leenhart, Do
Kamo).
56
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
La France, une élève régulière
Autant la législation française en matière de lutte
contre le changement climatique et de protection
des milieux et espèces remarquables est fortement
inspirée par le droit européen, autant le droit de
l’aménagement et de l’urbanisme reste une prérogative strictement nationale. De ce constat découle une
analyse différenciée du droit de l’environnement en
France. Dès la fin des années 1990, le droit français
de l’aménagement commence à intégrer le principe
de développement durable. La place réservée à la
protection de l’environnement progresse au niveau
de la planification du territoire aussi bien à l’échelle
régionale que locale. Le Grenelle de l’environnement,
lancé à l’été 2007, et les lois de 2009 et 2010, qui
en découlent, prolongent le trait, en insistant sur la
priorité à donner à la lutte contre le changement climatique et, dans une moindre mesure, à la protection
de la biodiversité.
La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999
(LOADDT) introduit la notion de développement
durable comme composante de la politique d’aménagement du territoire. Le développement durable est
donc reconnu par la loi près de six ans avant de l’être
par la Constitution. La LOADDT organise également la
mise en œuvre du principe de développement durable
sur le territoire. Les orientations nationales définies
57
par la loi sont ensuite mises en œuvre dans les neuf
schémas de services collectifs (SSC). Deux d’entre
eux concernent les transports de voyageurs et de
marchandises et sont favorables au développement
d’une offre multimodale de transport qui constitue
une alternative à la prédominance du mode routier
de transport. Un autre SSC a trait aux espaces naturels et ruraux. Il fixe les orientations permettant leur
développement durable et définit les principes d’une
gestion équilibrée de ces espaces. Enfin, un dernier
SSC porte sur l’énergie et définit notamment les
objectifs d’utilisation rationnelle de l’énergie concourant à l’indépendance énergétique nationale et à la
lutte contre l’effet de serre. La loi arrête également
les cadres régionaux et locaux d’un aménagement
durable du territoire. Ainsi, la LOADDT introduit les
schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire (SRADT) qui fixent « les orientations
fondamentales, à moyen terme, du développement
durable du territoire régional ». Le SRADT « veille à la
cohérence des projets d’équipement avec les politiques
de l’État et des différentes collectivités territoriales »
(article 5 de la loi). La nécessité de coordonner l’offre
de transport y apparaît centrale. En effet, il intègre le
schéma régional de transports, confié aux régions, qui
comporte un volet « transports de voyageurs » et un
volet « transports de marchandises », en cohérence
avec l’orientation fixée au niveau national en faveur
de la multimodalité des transports. Déjà compétentes
58
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
Le développement durable selon la loi française
L’article 1er de la LOADDT du 25 juin 1999 introduit le
développement durable comme un mode de « développement équilibré de l’ensemble du territoire
national alliant le progrès social, l’efficacité économique et la protection de l’environnement ».
en matière d’organisation du transport des voyageurs,
les régions voient donc leur rôle de coordonnateur
de l’offre de transports renforcé.
En 2000, la loi du 13 décembre relative à la solidarité
et au renouvellement urbains (dite SRU) renforce la
présence du concept de développement durable
dans le corpus législatif. Elle révise également en
profondeur le Code de l’urbanisme dans le sens
d’une meilleure prise en compte de l’environnement
par les aménageurs. Ainsi, les divers documents de
planification permettent d’assurer « l’équilibre entre
le renouvellement urbain, un développement urbain
maîtrisé, le développement de l’espace rural, d’une
part, et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des espaces
naturels et des paysages, d’autre part, en respectant
les objectifs du développement durable » (article 1 de
la loi SRU). Déjà, bien avant les lois Grenelle, le droit
de l’urbanisme se donne un cap ambitieux en termes
de protection de l’environnement et de développement durable. Dans cet esprit, la loi SRU introduit
59
Qu’est-ce qu’un SCOT ? un PLU ?
Le schéma de cohérence territorial (SCOT) est l’outil
de conception et de mise en œuvre d’une planification urbaine à l’échelle de plusieurs communes qui
oriente l’évolution d’un territoire, notamment en
matière d’habitat, de développement économique,
de loisirs, de déplacement des personnes et de marchandises… Il se compose notamment d’un projet d’aménagement et de développement durable
(PADD). Le SCOT est destiné à servir de cadre de
référence pour les différentes politiques sectorielles,
notamment celles centrées sur les questions d’habitat (programme local de l’habitat-PLH), de déplacements (plan de déplacement urbain-PDU) ou de
développement commercial (schéma de développement commercial-SDC). Il assure en théorie la
cohérence des plans locaux d’urbanisme établis au
niveau communal. Le plan local d’urbanisme (PLU)
a remplacé le plan d’occupation des sols (POS). C’est
un document d’urbanisme qui, à l’échelle d’une
commune ou plus rarement d’un groupement de
communes (EPCI), établit un projet global d’urbanisme et d’aménagement. Il fixe en conséquence les
règles générales d’utilisation du sol sur le territoire
considéré. Contrairement au SCOT, le PLU est précis
et opposable au tiers : il encadre la délivrance des
permis de construire.
60
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
le schéma de cohérence territoriale (SCOT), vu comme
un véritable instrument de développement durable au
niveau de plusieurs communes ou groupements de
communes, dont les orientations s’imposent aux plans
locaux d’urbanisme (PLU) à l’échelle de la commune.
Deux problèmes majeurs restent cependant en suspend : celui de l’échelle d’application du Scot et celui
de son rapport de compatibilité avec les plans locaux.
L’échelle d’application du Scot est mal définie par la loi
SRU : « le périmètre du schéma de cohérence territoriale
délimite un territoire d’un seul tenant et sans enclave.
[…] Il tient notamment compte des périmètres des
groupements de communes […] Il prend également
en compte les déplacements urbains, notamment les
déplacements entre le domicile et le lieu de travail […] »
(article 3 de la loi). Sans le dire explicitement, le législateur fait référence à la notion d’aire urbaine définie
par l’INSEE comme étant un « ensemble de communes,
d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle
urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois et
par des communes rurales ou unités urbaines dont
au moins 40 % de la population résidente ayant un
emploi travaille dans le pôle ou dans des communes
attirées par celui-ci ». Les déplacements domicile-travail
apparaissent en effet déterminants dans la définition
de l’aire urbaine comme dans celle du SCOT. Cette
interprétation est confirmée par l’examen des débats
parlementaires lors de l’adoption du texte. La circulaire
61
du 18 janvier 2001 présentant la loi SRU définit les
SCOT comme des documents d’organisation des aires
urbaines. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence
de définition légale précise du périmètre d’application
optimum du SCOT, la loi SRU laisse la porte ouverte à
une grande liberté de mise en œuvre de la notion de
cohérence territoriale. Autre point de faiblesse de cette
loi, la relation entre le SCOT et les PLU communaux,
censés décliner ses orientations générales, demeure
assez lâche. Le rapport de compatibilité imposé par
la loi entre ces deux types de documents réserve en
pratique une très grande marge de manoeuvre à l’échelon municipal qui peut contrarier la volonté affichée à
l’échelle intercommunale de maîtriser la consommation
d’espace.
La loi de programme fixant les orientations de la
politique énergétique du 13 juillet 2005, dite loi
LOE, marque une nouvelle étape dans l’intégration
juridique du principe de développement durable. Si le
terme de développement durable ne figure pas dans le
texte de loi, la notion imprègne fortement son article
premier. Ainsi, la politique énergétique de la France
y est définie comme visant notamment à contribuer
à l’indépendance énergétique nationale, à préserver
la santé humaine et l’environnement, en particulier
en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre, à
assurer un prix compétitif de l’énergie et à garantir
la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès
62
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
de l’énergie à tous. Les piliers économique, environnemental et social du développement durable sont
pris en compte par la loi. Par ailleurs, la LOE souligne
la nécessité de rendre cohérente l’action de l’État,
celle des collectivités territoriales et celle de l’Union
européenne en la matière. Montrant l’exemple d’une
politique énergétique nationale ambitieuse, susceptible de relever le défi du changement climatique,
la LOE fixe plusieurs objectifs précis en matière de
réduction des émissions de gaz à effet de serre, de
développement des énergies renouvelables et d’amélioration de l’efficacité énergétique. Les orientations
de très long terme de la politique énergétique de la
France annexées à la loi introduisent, pour la première
fois dans le droit national, l’idée de diviser par quatre
les émissions de dioxyde de carbone d’ici 2050 par
rapport à 1990. L’objectif du « facteur 4 » est ainsi
posé dans un texte législatif dès 2005, avant que la
loi Grenelle 1 ne le reprenne à son compte.
La LOE, des objectifs pour la première fois définis par la loi
L’article 3 de la LOE précise les efforts à entreprendre
en matière d’intensité énergétique, c’est-à-dire le
rapport entre la consommation d’énergie et la croissance économique, qu’il est prévu de diminuer de
2 % par an dès 2015, puis de 2,5 % par an d’ici 2030.
L’article 4 de la LOE prévoit par ailleurs de couvrir
10 % des besoins énergétiques français à l’horizon
2010 grâce aux énergies renouvelables.
63
En complément à l’évocation de la LOE, il convient
de rappeler les apports de la loi sur l’air et l’utilisation
rationnelle de l’énergie du 30 décembre 1996 (loi
dite LAURE). Bien qu’elle ne fasse pas explicitement
référence à la notion de développement durable, cette
loi est la première à introduire l’impératif de gestion
économe de l’énergie dans le droit français, dans la
continuité du Sommet de Rio. L’idée clé de la LAURE
est d’améliorer la qualité de l’air, en particulier dans
les villes. À cette fin, la loi introduit des dispositifs
d’économie d’énergie. Principale innovation de la
LAURE, le plan de déplacements urbains (PDU) impose
aux collectivités territoriales de définir une stratégie
favorable à la multimodalité des déplacements qui
passe par la diminution du trafic automobile et la promotion des modes de transports les moins polluants
et les moins consommateurs d’énergie. L’élaboration
de PDU est rendue obligatoire dès 1998 dans les
agglomérations de plus de 100 000 habitants (article
14 de la LAURE). La mise en œuvre des PDU entraîne
le développement de nombreux investissements très
lourds au niveau local et est à l’origine d’un regain
d’intérêt pour les transports collectifs, en particulier
pour le tramway.
64
Chapitre 3 La France, tête de classe européenne ?
Mais à quels chiffres se fier ?
Développé dans la foulée du Sommet de Rio de
1992 et dans un contexte européen porteur, le droit
français de l’environnement forme donc un corpus
apparemment très fourni bien avant l’adoption des
lois Grenelle de 2009 et 2010. Au-delà des textes et
des intentions bienveillantes du législateur à l’égard
de la lutte contre le changement climatique et de
l’érosion de la biodiversité, il est important d’établir
concrètement le bilan écologique de la France en
s’appuyant sur les dernières statistiques disponibles.
Cet examen permet également de dresser l’état des
lieux avant la mise en œuvre des dispositions nouvellement créées par le Grenelle de l’environnement.
En s’appuyant en particulier sur le rapport sur l’état de
l’environnement en France, établi tous les quatre ans,
ainsi que sur le bilan annuel de l’énergie, il est possible
de dresser un bilan chiffré assez précis des émissions de
gaz à effet de serre et du développement des énergies
renouvelables en France. En revanche, l’évaluation
du patrimoine naturel du pays se heurte à la grande
dispersion des données issues du terrain. Sauf exception, le suivi de la faune et de la flore est impossible à
l’échelle nationale. Plus facile à estimer, l’évolution des
milieux naturels peut toutefois être cernée. Plusieurs
sources permettent en effet de connaître l’occupation
des sols à l’échelle nationale, voire intercommunale. Il
manque cependant encore un instrument de mesure
de l’étalement urbain à l’échelle communale.
65
L’accès du public à l’information, un enjeu depuis 1992
Le développement de l’information sur l’environnement est un des enjeux du plan d’action pour le
XXIe siècle (Action ou Agenda 21) défini lors du Sommet de la Terre de 1992. Son chapitre 40 encourage
l’amélioration de l’accès à l’information notamment
du public sur l’état de l’environnement et des pressions pesant sur lui. Adoptée le 25 juin 1998 dans le
cadre de la Commission économique pour l’Europe
des Nations unies (CEE-NU), une des cinq commissions régionales des Nations unies, la Convention
d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à
la justice en matière d’environnement impose aux
États européens de mettre à la disposition du public
les informations sur l’environnement qui leur sont
demandées. Cette obligation est déclinée au sein
de l’Union européenne par la directive du 28 janvier
2003 sur l’accès du public à l’information en matière
d’environnement. Dans ce cadre, la France, comme
l’ensemble des États membres de l’Union, s’est engagée à réaliser, au moins tous les quatre ans, un rapport sur l’état de l’environnement (article 7 de la
directive). La dernière édition du rapport français
date de juin 2010. Elle est le produit du service statistique public du ministère de l’Écologie et du Développement durable.
66
Chapitre 4
Avant le Grenelle,
un bilan français contrasté
Grâce aux statistiques publiques, les points
forts et faibles de la France en matière de
développement durable peuvent être clairement
identifiés. Si le bilan est plutôt encourageant sur
le plan des émissions de gaz à effet de serre, la
situation de la biodiversité apparaît en revanche
critique. La surconsommation d’espace n’est-elle
pas susceptible d’hypothéquer la capacité de la
France et de ses territoires à relever les défis du
développement durable ?
La bonne note française pour les émissions
de gaz à effet de serre ...
Pour contribuer à honorer l’engagement européen,
pris dans le cadre du Protocole de Kyoto, de réduire
de 8 % les émissions de gaz à effet de serre entre
1990 et la période 2008-2012, la France avait pour
objectif de stabiliser ses émissions nationales. D’après
le dernier rapport sur l’état de l’environnement en
France de 2010, l’objectif était largement atteint
en 2007. Les émissions françaises avaient en effet
diminué de 5,6 % par rapport à leur niveau de 1990
pour se situer à 531 millions de tonnes équivalent
CO2 (MteqCO2). Exprimée en émissions par habitant
et par unité de produit intérieur brut (PIB), la baisse
est encore plus nette avec respectivement – 14 % et
– 49 % entre 1990 et 2007.
69
Comment les gaz à effet de serre sont-ils mesurés ?
Le pouvoir de réchauffement global (PRG) mesure la
contribution de chaque gaz à l’effet de serre. Il évalue
ainsi l’émission dans l’atmosphère d’un kilogramme
d’un gaz à effet de serre (GES) particulier par comparaison avec l’émission d’un kilogramme de dioxyde
de carbone (CO2). Les PRG sont calculés pour différents intervalles de temps (20, 100, 500 ans). Les
émissions de GES sont parfois exprimées en tonnes
équivalent CO2 (teq CO2).
Pour un intervalle de 100 ans, les PRG des différents GES sont de 1 pour le CO2, de 21 pour le CH4,
de 310 pour le N2O, de 140 à 11 700 (variables selon
les années et les molécules) pour les HFC, de 6 500 à
9 200 pour les PFC et de 23 900 pour le SF6 (source
des chiffres : Citepa, avril 2011).
Cependant, les évolutions sont différenciées selon les
gaz à effet de serre considérés. Ainsi, les émissions
de l’ensemble des gaz fluorés (HFC, PFC et SF6) – qui
compte pour 3 % du pouvoir de réchauffement global
(PRG) du « panier Kyoto », c’est-à-dire des six gaz à
effet de serre couverts par le Protocole – augmente
de 63 % sur la période 1990-2007. Cette progression est à mettre en relation avec leur utilisation
croissante dans les systèmes de production de froid
(ex : réfrigérateur, climatisation). Pour le méthane, qui
participe pour 10 % du PRG du « panier Kyoto », la
tendance est à la baisse avec – 18 % d’émissions sur
70
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
la période. Cette diminution s’explique par l’arrêt de
l’exploitation des mines de charbon, la valorisation
du biogaz provenant des décharges et la baisse de la
fermentation entérique (processus de digestion des
ruminants), elle-même liée à la diminution du cheptel
bovin. La réduction des émissions est particulièrement
marquée pour le protoxyde d’azote (N2O) (12 % du
PRG du « panier Kyoto ») avec une chute de 30 %
depuis 1990. Cette baisse spectaculaire s’explique
principalement par l’évolution des émissions produites
par les industries chimiques. En 1990, ces dernières
étaient à l’origine de 27 % des émissions de N2O
contre seulement 9 % en 2007. Enfin, les émissions
de CO2, qui participent pour environ les trois quarts
des émissions totales de gaz à effet de serre, sont
restées quasiment stables sur la période (+ 0,3 %).
95 % de ces émissions sont liées à l’utilisation de
l’énergie.
... même en comptant les émissions
« extérieures »
Les données issues de l’inventaire national des
émissions de gaz à effet de serre que tient la France
grâce au Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique) ne
prennent en compte que les émissions engendrées
sur le territoire national. Pour avoir une perception
globale des conséquences de notre économie sur
71
le changement climatique, il convient d’ajouter aux
émissions « intérieures » de gaz à effet de serre,
les émissions « extérieures » dues aux productions
industrielles réalisées à l’étranger pour le compte de
l’économie française et de sa demande intérieure.
Peu d’études ont été consacrées à cette question.
Un travail pionnier réalisé en 2010, par le service de
l’observation et des statistiques du ministère du Développement durable sur la base de données du Citepa,
de l’INSEE, des Douanes, d’Eurostat et de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA), permet
cependant d’estimer le total des émissions de gaz à
effet de serre liées à la demande intérieure française
pour l’année 2005. Si les émissions « intérieures » de
gaz à effet de serre représentaient alors 8,7 teq CO2
par habitant, les émissions totales correspondant à
la demande française s’élevaient à 12 teq CO2 par
habitant. Ces estimations prennent en compte non
seulement les émissions de gaz à effet de serre dues
aux importations de produits manufacturés, mais
également celles engendrées en France pour répondre
à la demande d’autres pays. La balance commerciale
française étant globalement déficitaire, il est logique
que les importations « masquées » de gaz à effet de
serre soient supérieures aux exportations. Au final, on
peut retenir que le bilan carbone global d’un Français
(c’est-à-dire son bilan d’émissions de gaz à effet de
serre en équivalent CO2) est plus élevé d’environ 50 %
que son bilan strictement intérieur. Dans le cadre de
72
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
la lutte mondiale contre le changement climatique,
ce point permet d’apprécier plus rigoureusement les
pressions de l’homme sur l’environnement dans le
contexte d’une économie mondialisée. Il participe
de fait à la prise de conscience de la solidarité de la
communauté internationale et, au-delà, des citoyens
d’un monde sans frontière écologique.
Les émissions « intérieures » de gaz à effet de serre
en 2007 : quelques comparaisons
Pays ou zone
Émissions de GES
Europe France États-Unis Russie Japon
10,2
8,4
19,1
11,1
9,7
Chine
4,6
En teq CO2 par habitant
GES : gaz à effet de serre
Source : Agence internationale de l’énergie, 2010.
Un bon résultat lié au nucléaire
Replacées dans un cadre international et européen,
les performances de la France en matière d’émissions
« intérieures » de gaz à effet de serre apparaissent
relativement satisfaisantes. Ainsi, en 2007, les ÉtatsUnis sont le pays le plus fortement émetteur avec
19,1 teq CO2 par habitant. De plus, sur la base d’une
comparaison réalisée en 2009 par l’Agence européenne de l’environnement, à partir des données des
inventaires 2007 effectués par les pays membres, la
France se situe parmi les pays les moins émetteurs
de l’Union européenne avec un niveau d’émissions
« intérieures » de 8,4 teq CO2 par habitant en 2007
73
contre 10,2 teq CO2 par habitant en moyenne dans
l’UE à 27 États, soit un écart de – 18 % en faveur de
la France. Ce bon classement s’explique pour l’essentiel par le choix national de développer la production
d’énergie électrique d’origine nucléaire. Par nature
peu émettrice de gaz à effet de serre, la production
de ce type d’énergie n’en comporte pas moins des
inconvénients majeurs en matière environnementale,
tant sur le plan de la gestion des déchets radioactifs
que sur celui du risque. Selon l’Agence nationale pour
la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), la quantité
de déchets dits de haute activité a augmenté de 1 851
à 2 293 m3 entre 2004 et 2007 et leur stock devrait
s’élever à 3 679 m3 en 2020 et 5 060 m3 en 2030.
S’agissant du risque, il convient de souligner le niveau
très élevé, en termes de sûreté nucléaire, exigé dans les
centrales françaises. Pour autant, le risque zéro n’existe
pas et la catastrophe de Fukushima de mars 2011 est
là pour nous rappeler la fragilité des constructions
humaines face aux phénomènes naturels d’ampleur
exceptionnelle et échappant par définition à la prévision. De plus, autant la probabilité d’un accident
nucléaire est extrêmement faible, autant ses conséquences seraient catastrophiques. La France a fait
jusqu’à présent le pari de l’électricité nucléaire. Ce
choix politique peut être revu, mais il faudrait en
payer le prix tant en termes de démantèlement du
parc des centrales que d’investissements dans le
74
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
développement des énergies alternatives. À l’heure
actuelle, ce choix participe au bilan carbone positif
du pays.
Quel est le coût de la filière électronucléaire ?
Le rapport de la Cour des comptes, publié en janvier 2012, sur le coût de la filière électronucléaire
s’est livré à une estimation financière de ce pilier de
la politique énergétique de la France. Depuis l’origine, dans les années 1950, quelque 188 milliards
d’euros ont été dépensés, dont environ la moitié
pour la construction des 58 réacteurs de deuxième
génération (96 milliards d’euros) qui constituent l’essentiel du parc nucléaire actuel. Sur la période 20082010, le coût de la maintenance du parc est évalué à
1,5 milliard d’euros par an. Avec l’importante croissance des dépenses de sécurisation des installations
nucléaires, le coût de maintenance devrait atteindre
environ 3,5 milliards d’euros par an. Par manque de
recul sur le coût de démantèlement des centrales
de grande puissance, il est difficile d’estimer globalement ce que représenterait le démantèlement
du parc. La Cour des comptes reste prudente sur ce
point car l’estimation de ce coût est un sujet polémique. Selon les sources, il oscillerait entre 15 %
du coût de construction d’un réacteur, soit 300 à
500 millions d’euros, (ordre de grandeur issu de « la
communauté scientifique nucléaire internationale »)
et 100 % du coût initial (ordre de grandeur avancé
par « les opposants au nucléaire »).
75
Une évolution différente des émissions
de gaz à effet de serre selon les secteurs
La tendance globale à la baisse des émissions de gaz
à effet de serre enregistrée en France sur une longue
période masque en réalité une grande diversité d’évolution sectorielle. En 2007, les activités émettrices de
gaz à effet de serre étaient, par ordre d’importance, les
transports avec 27 % des émissions de gaz à effet de
serre, l’agriculture et l’industrie manufacturière (20 %
des émissions chacune), le résidentiel-tertiaire (18 %
des émissions), l’industrie de l’énergie (14 %) et le
traitement des déchets (2 %). Mais ce classement est
modifié lorsqu’il s’agit des réductions des émissions
de gaz à effet de serre entre 1990 et 2007.
Ainsi, la réduction la plus forte des émissions de gaz
à effet de serre enregistrée sur la période est due à
l’industrie manufacturière (– 26 %). Les émissions
liées à la combustion d’énergie dans l’industrie, qui
représentent environ les trois quarts des émissions
totales de gaz à effet de serre du secteur, ont diminué de 12 % sur la même période. Cette évolution,
plutôt positive sur le plan environnemental, peut
être également interprétée comme la conséquence
d’un affaiblissement de l’industrie en France. En
quittant l’Hexagone pour les pays d’Europe centrale
ou d’Asie, les activités sidérurgiques, métallurgiques
ou encore plasturgiques ont certes amélioré le bilan
carbone de la France, mais ont aussi participé à sa
76
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
désindustrialisation et à la perte d’emplois dans le
secteur secondaire.
Mais, en contrepoint des bonnes performances environnementales de l’industrie, les émissions liées aux
transports et aux secteurs résidentiel et tertiaire (ex :
chauffage, éclairage) étaient, quant à elles, orientées à
la hausse, en particulier du fait de l’étalement urbain.
Les émissions de gaz à effet de serre dans les transports étaient en augmentation sensible de 19 %
sur la période 1990-2007, en dépit de la baisse de
1 % par an enregistrée entre 2005 et 2007. Dans ce
secteur, les transports routiers étaient responsables
d’une part essentielle des émissions de CO2 (94 %),
puisqu’ils représentaient 83 % des transports intérieurs de voyageurs et 82 % des transports intérieurs
de marchandises. Ces émissions de gaz à effet de serre
sont liées à la combustion de carburants pétroliers
nécessaires à ce mode de transport. Elles ont connu
toutefois une croissance relativement modérée par
rapport à celle des transports routiers : entre 1990 et
2007, les émissions de CO2 dues au transport routier
ont progressé de 14,4 % alors que le trafic augmentait de 29,5 %. Cette évolution différenciée illustre
l’impact positif pour l’environnement des progrès
technologiques réalisés tant sur le plan de la motorisation que sur celui des carburants. Il n’en reste pas
moins que l’utilisation croissante de la voiture et des
poids lourds dégrade le bilan carbone de la France.
77
La pollution atmosphérique due aux moteurs diesel
La part des véhicules à moteur diesel dans le parc
automobile français a beaucoup augmenté depuis
vingt ans. En effet, en 2009, ils représentaient 55,3 %
du parc roulant, contre 15 % en 1990, et 70,4 % des
immatriculations de véhicules particuliers.
Ce type de moteur étant moins consommateur
d’énergie, il tire les émissions françaises de gaz à
effet de serre à la baisse, mais ses effets sur la pollution atmosphérique sont contrastés. La diésélisation a une influence positive sur les émissions de
monoxyde de carbone (CO) et des composés organiques volatiles non méthaniques (COVNM), principalement dues aux motorisations essence. En
revanche, les émissions de particules en suspension
sont essentiellement le fait des véhicules diesel qui
sont à l’origine de 92 % des PM10 – particulate matter,
particules en suspension dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres – émises par les transports
routiers. Ce qui est une proportion plus élevée que
leur part dans la circulation routière. La diésélisation participe également à la hausse des émissions
d’oxyde d’azote (NOx) – puisque le gazole représente
87 % des émissions des transports routiers – et, en
conjugaison avec la croissance du trafic, à celle des
émissions d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (+ 79 % depuis 1990).
Source : L’environnement en France, juin 2010.
78
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
On ne peut que regretter la diminution de la part des
transports ferroviaire et fluvial de marchandises : de
2000 à 2008, la part de ces modes de transports a
baissé de 22,8 % à 18,2 %. Ni les Français, ni leur
économie ne semblent pouvoir aujourd’hui se passer
des voitures et des camions.
Les émissions de gaz à effet de serre du parc des
bâtiments du secteur résidentiel et tertiaire (ex : habitations, bureaux) avaient, quant à elles, augmenté de
6 % entre 1990 et 2007, avec 92 % de ces émissions
dues à la combustion d’énergie. Cette évolution est
naturellement liée au développement de la construction. Sans doute l’amélioration de l’isolation thermique
des logements et des bureaux limite-t-elle la hausse.
Néanmoins, la dynamique d’étalement urbain, à
des fins résidentielle, économique ou commerciale,
engendre des émissions croissantes de gaz à effet de
serre. S’il peut paraître critiquable, et quelque peu
malthusien, de s’opposer au développement de l’offre
de logements, de magasins et de bureaux, il convient
cependant de la réguler afin de ne pas « surconsommer » l’espace. Sur une longue période, de 1992 à
2004, la surface occupée par l’habitat a augmenté
environ cinq fois plus vite que la population et deux
fois plus que le nombre des ménages. La demande
d’habitat individuel est allée croissante : 61 % des
logements construits entre 2000 et 2007 sont des
79
maisons individuelles contre 25 % en 1960 et 50 %
au début des années 1990.
Le phénomène d’étalement urbain a un impact
négatif sur le bilan carbone de la France à double
titre. Non seulement il implique une extension des
surfaces bâties et une multiplication des sources de
déperdition d’énergie, par la construction de maisons
individuelles et de zones d’activités industrielles et
commerciales, mais il concourt également à l’augmentation des distances parcourues par les résidents. À
la fin des années 1980, une étude pionnière réalisée
aux États-Unis (P. Newman et J. Kenworthy, Cities and
automobile dependence, 1989) a établi un lien entre
densité urbaine des villes et consommation d’énergie due aux transports : plus la densité urbaine est
faible, plus la ville s’étale, et plus la consommation
d’énergie augmente. À l’échelle nationale, certaines
études – comme celle de la direction générale de
l’Énergie et du Climat, « Étalement urbain et politique
climatique », de décembre 2010 – ont également
tenté de mesurer l’impact d’une politique de lutte
contre l’étalement urbain. Si d’ici 2050, la distance
moyenne de déplacement domicile-travail était réduite
à moins de 10 kilomètres, les émissions de gaz à effet
de serre dues aux transports pendulaires diminueraient de 20 % par rapport au niveau enregistré en
2000. Ce scénario « idéal » suppose, pour se réaliser, de s’accompagner d’une généralisation, à partir
de 2020, des modes de chauffage et d’éclairage
80
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
La crise économique, bénéfique pour les émissions de gaz
à effet de serre ?
L’activité économique générale et ses variations
conjoncturelles ont une influence très importante
sur le bilan carbone de la France. Ainsi les émissions
françaises de gaz à effet de serre « intérieures » ont
fortement décru depuis le début de la crise économique en 2008. Elles se situent globalement à
7 teqCO2/habitant en 2009 (contre 8,4 teq CO2/habitant en 2007, juste avant la crise). Elles ont davantage
diminué entre 2007 et 2009 (– 4,8 % par rapport à
1990) qu’entre 1990 et 2007 (– 3,3 %). Sur la période
1990-2009, les émissions de gaz à effet de serre françaises ont ainsi diminué globalement de 8,1 %.
Sur le plan sectoriel, les évolutions sont contrastées.
De 2007 à 2010 (sur la base de données provisoires
pour 2010), la hausse des émissions des transports
(+ 13 %) et du résidentiel-tertiaire (+ 13 %) a été compensée par la baisse très sensible de celles de l’industrie (– 36 %), de la branche énergie (– 11 %) et de
l’agriculture (– 9 %). La période de crise illustre donc
les liens de corrélation inverse entre performance
économique et environnementale.
respectueux des normes de basse consommation et
du développement du logement collectif et non plus
individuel. Ces hypothèses sont corroborées par des
études de terrain, en particulier celles menées à Paris
et Lille en 2005, sur le bilan carbone des ménages.
81
Un foyer du centre-ville de Lille émet 30 % de moins
de CO2 pour ses déplacements qu’un ménage périurbain ; un ménage parisien émet en moyenne deux
fois moins de CO2 lors de ses trajets qu’un francilien.
Énergies renouvelables :
la France peut mieux faire
Le développement des énergies renouvelables est
un moyen efficace de réduire les émissions de gaz
à effet de serre. Leur poids demeure actuellement
faible dans la production et la consommation de
l’énergie en France. Les évolutions sont lentes. En
2010, la production d’énergie primaire – c’est-à-dire
immédiatement disponible dans la nature, sans transformation – d’origine renouvelable est de 22,7 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en France
métropolitaine, soit 16,4 % de la production nationale. Cette énergie est à plus de 72 % thermique et
provient principalement de la biomasse, c’est-à-dire
de la combustion du bois, des biocarburants, des
déchets renouvelables et du biogaz. L’énergie électrique représente les 28 % restants. Elle provient à
85 % de l’hydraulique et à 13 % de l’éolien, en forte
progression, le photovoltaïque n’intervenant encore
que très peu avec 2 % du total. La loi de programme
fixant les orientations de la politique énergétique de
juillet 2005 avait posé comme objectif, à l’horizon
2010, que 10 % de nos besoins énergétiques et
82
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
21 % de notre consommation d’électricité soient
pourvus par les énergies renouvelables. En 2009,
ces deux indicateurs atteignaient respectivement
7,7 % et 13,5 %. Progressant à un rythme moindre
que celui souhaité par la loi de juillet 2005, les énergies renouvelables restaient donc globalement à un
niveau limité dans le mix énergétique français avant
l’application du Grenelle de l’environnement.
La conservation de la biodiversité
extraordinaire à traiter en urgence
La biodiversité extraordinaire est constituée par les
milieux et les espèces reconnus juridiquement pour
leur rareté. Sa conservation passe, en premier lieu,
par la mise en place d’espaces protégés réglementairement, c’est-à-dire par exemple par des décrets ou
des arrêtés. Cœur de parc national, réserve naturelle,
arrêté préfectoral de protection de biotope, réserve
biologique domaniale ou forestière constituent les
principaux outils du droit français pour limiter ou
interdire certaines activités humaines dans ces espaces.
En 2008, les espaces terrestres sous protection réglementaire couvraient 1,26 % du territoire métropolitain – contre 28,5 % des territoires ultra-marins
hors Polynésie française et Nouvelle-Calédonie qui
disposent de leur propre droit environnemental –,
mais avaient fortement progressé entre 1998 et 2008
(+ 32 %). La mise en place du réseau européen Natura
83
2000 s’ajoute à ces protections nationales et couvre
12,5 % du territoire métropolitain. La protection de
la biodiversité extraordinaire a donc sensiblement
progressé en France sous l’impulsion de la législation
européenne. Aujourd’hui, l’enjeu réside dans l’extension des zones de protection en mer. En effet, la loi
du 14 avril 2006 a institué des parcs naturels marins
et, depuis 2008, le programme Natura 2000 est mis
en œuvre en mer.
La sanctuarisation des espaces et espèces remarquables n’est cependant pas la garantie d’une préservation durable de la biodiversité. Les espèces végétales
et animales ont besoin de pouvoir migrer. La diversité
biologique impose une vision dynamique et se satisfait peu des mesures de préservation statique. Dès
lors, la question des corridors écologiques se pose et
doit être prise en compte par les politiques environnementales. En outre, la frontière entre biodiversité
extraordinaire et ordinaire n’est pas figée. En effet,
des populations de plantes ou d’animaux considérées
aujourd’hui comme banales peuvent progressivement
se raréfier et basculer dans la catégorie des espèces
rares. La biodiversité doit donc être prise en compte
dans son ensemble.
84
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
La préservation de la biodiversité ordinaire :
un gros effort à fournir
En France, le suivi de la biodiversité « ordinaire »,
c’est-à-dire des milieux et des espèces qui ne font pas
encore l’objet d’une protection particulière, se heurte
à la dispersion des sources de la connaissance naturaliste et au manque d’outils d’observation rigoureux.
L’inventaire, qui constitue la première étape de la
conservation d’un patrimoine, apparaît très lacunaire.
Grâce au travail remarquable de certains réseaux
naturalistes, en particulier celui des ornithologues
fédérés au sein de la Ligue de protection des oiseaux
(LPO), l’évolution des populations d’oiseaux communs
– c’est-à-dire ceux de notre quotidien (mésanges,
moineaux, alouettes…) – peut être mesurée sur une
longue durée. Ainsi, sur la période 1989-2008, le
suivi de leurs populations révèle une baisse de 10 %
des effectifs des 65 espèces étudiées. Cependant, la
situation varie selon les cas. L’abondance des oiseaux
des milieux agricoles et des habitats bâtis, en particulier ceux liés à la présence de haies et de prairies,
a chuté de 20 % en vingt ans. Celle des oiseaux
forestiers, liés aux vieilles forêts, a quant à elle baissé
de 11 %. Dans le même temps, l’indice d’abondance des populations d’oiseaux généralistes, qui ne
dépendent d’aucun habitat particulier, a progressé de
19 %. À titre d’exemple, les effectifs de la Mésange
bleue ont fortement augmenté surtout entre 2001
85
et 2008 (+ 28 %). Ces évolutions illustrent le risque
d’une banalisation de la faune des oiseaux communs
en métropole.
Si l’inventaire de l’ensemble des populations floristiques et faunistiques est difficile à réaliser aujourd’hui,
il paraît en revanche plus simple de mesurer l’évolution des surfaces peu artificialisées, terres agricoles,
forêts et zones humides qui concentrent, par nature,
l’essentiel de la biodiversité.
Une source européenne de suivi de l’occupation des sols :
CORINE Land Cover
CORINE – coordination de l’information sur l’environnement – Land Cover (CLC) est une base de données
géographiques européenne qui décrit l’occupation
biophysique des sols, découpée par photo-interprétation manuelle d’images satellites. L’échelle de production est le 1/100 000, avec un niveau de précision
de 25 hectares pour la cartographie des unités d’occupation homogène des sols. Le programme CLC est
dirigé par l’Agence européenne de l’environnement
et couvre 38 États européens et les bandes côtières
du Maroc et de Tunisie. Actuellement, les couvertures
des années 1990, 2000 et 2006 sont disponibles.
86
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
Une artificialisation des sols en progression
Grâce à la base de données européenne CORINE Land
Cover, on constate que, de 2000 à 2006, les espaces
artificialisés se sont étendus de plus de 820 km2, soit
une augmentation de 3 %. Environ 760 km2 de terres
agricoles ont disparu ainsi que près de 100 km2 de
milieux semi-naturels. Cette artificialisation progresse
principalement aux alentours des grandes villes, le
long du réseau hydrographique ou des infrastructures
de transport et près du littoral.
D’autres sources, plus alarmistes, en particulier les
statistiques Teruti-Lucas – enquête annuelle du ministère de l’Agriculture sur l’utilisation du territoire – font
état d’une progression moyenne des sols artificialisés
d’environ 600 km2 par an entre 2000 et 2010 avec
une tendance à l’accélération sur la période 20062010 durant laquelle l’artificialisation a augmenté
d’environ 630 km² par an.
Quelle que soit la source statistique retenue, ce phénomène d’artificialisation des sols apparaît très important
à l’échelle nationale.
Une France urbaine aux multiples visages
Facteur explicatif essentiel des émissions de gaz à effet
de serre, moteur de l’érosion des espaces agricoles et
naturels, l’étalement urbain appelle cependant une
analyse approfondie et différenciée selon les types
87
d’aires urbaines. La France manque encore d’un suivi
à l’échelle communale de la consommation d’espace.
Cette lacune apparaît d’autant plus dommageable
que c’est à ce niveau que sont prises les décisions
importantes en matière d’urbanisation. Depuis fin
2010, les dynamiques d’étalement urbain à l’échelle
des principales aires urbaines métropolitaines peuvent
être étudiées grâce au traitement des données de
CORINE Land Cover qui couvrent la période 20002006. D’une intensité variable selon les territoires,
l’étalement urbain apparaît toutefois mieux maîtrisé
dans les plus grandes agglomérations.
Entre 2000 et 2006, les facteurs d’évolution historiques et géographiques ont joué un rôle marginal
dans les dynamiques d’étalement urbain. La progression annuelle des surfaces artificialisées renvoie
globalement aux choix d’aménagement local faits
par les collectivités territoriales dans le cadre d’une
politique décentralisée. De fait, cet indicateur apparaît
comme un bon marqueur de la maîtrise de l’étalement
urbain et il n’est pas étonnant de constater une grande
hétérogénéité des dynamiques territoriales d’artificialisation des sols. Sur les 137 plus importantes aires
urbaines étudiées, de 2000 à 2006, le taux annuel
moyen de progression de l’artificialisation des sols
était de 0,6 % par an.
88
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
Mais la diversité des situations locales est à relier à
l’importance de la population des différentes zones
urbaines considérées. Ainsi, la progression de l’artificialisation des sols atteignait 0,6 % par an en
moyenne pour l’ensemble des aires urbaines de plus
de 50 000 habitants, mais seulement 0,4 % pour
les quatorze aires urbaines dont la population était
supérieure à 500 000 habitants.
L’artificialisation des sols dans les grandes métropoles françaises
1,4
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
Rouen
Montpellier
Grenoble
Douai-Lens
Toulon
Rennes
Nantes
Strasbourg
Nice
Bordeaux
Toulouse
Lyon
0,0
MarseilleAix-en-Provence
Lille
0,2
Taux annuel de progression de l’artificialisation des sols
dans les métropoles françaises
Source : Corine Land Cover, 2006.
Des singularités sont également à souligner au sein
des quatorze aires urbaines les plus peuplées (cf. graphique). Ainsi, les aires urbaines de Toulouse et, dans
une moindre mesure, de Rennes et de Montpellier
se démarquent par des progressions annuelles de
89
l’artificialisation des sols relativement fortes et supérieures à la moyenne nationale avec respectivement
1,33 %, 0,77 % et 0,71 %.
La mauvaise bosse du commerce
Dans ces 137 aires urbaines étudiées, les causes de
l’extension des sols artificialisés sont très hétérogènes.
Derrière une progression annuelle de 0,6 % par an
de 2000 à 2006, celle des surfaces de « tissu urbain
continu » et de « tissu urbain discontinu » apparaît très
faible avec respectivement 0 % et 0,4 % par an. Le
développement du tissu bâti semble donc être assez peu
en cause dans cette croissance des surfaces artificialisées
dans les aires urbaines concernées.
En revanche, les progressions des surfaces dédiées aux
« mines, décharges et chantiers », « zones industrielles
et commerciales » et « réseaux de communication » sont
fortes avec respectivement des taux de croissance de
4,1 % par an, 1,2 % par an et 0,9 % par an. Dans les
aires urbaines dont la population est comprise entre
300 000 et 500 000 habitants, le développement des
zones industrielles et commerciales, s’il est partout sensible, n’en présente pas moins une importance variable
selon les cas. Classiquement situées à l’entrée des villes,
souvent assez mal intégrées dans le paysage, les extensions de zones industrielles et commerciales soulignent
les carences de la planification urbaine en ce domaine.
90
Chapitre 4 Avant le Grenelle, un bilan français contrasté
La progression des zones industrielles et commerciales
2,5
%
2,0
1,5
1,0
0,5
Le Mans
Brest
Avignon
Saint-Étienne
Dijon
Angers
Orléans
Caen
Tours
Valenciennes
Nancy
Metz
Clermont-Ferrand
0,0
Taux de progression des surfaces dédiées aux zones industrielles et
commerciales dans les aires urbaines françaises de 300 000 à 500 000 habitants
Source : Corine Land Cover, 2006.
Au cœur des problèmes environnementaux de la France,
l’étalement urbain appelle une action déterminée des
pouvoirs publics, aussi bien central que décentralisés.
La lutte contre ce phénomène, en mobilisant les élus
locaux, maîtres de l’urbanisme depuis les lois de décentralisation du début des années 1980, est un des enjeux
majeurs du Grenelle de l’environnement.
91
Chapitre 5
Le Grenelle
de l’environnement,
des efforts de rattrapage
suffisants ?
Au-delà des polémiques, le Grenelle
de l’environnement apparaît comme un
processus de décision original et fécond dont les
conséquences financières et environnementales
restent cependant difficiles à évaluer. Deux lois en
2009 et 2010, dites Grenelle 1 et 2, complétées
par des dispositions des lois de finances pour
2008 et 2009, lui ont donné son ossature
juridique. Mais les avancées sont-elles à la hauteur
des enjeux de développement durable ?
Un processus innovant
aux retombées multiples et complexes
Le processus du Grenelle de l’environnement a été
lancé par le discours du président de la République
du 21 mai 2007. De juillet à septembre 2007, une
première phase de dialogue a réuni des groupes de
travail de haut niveau, composés de représentants
des cinq grandes catégories d’acteurs du développement durable – l’État, les collectivités territoriales, les
organisations non gouvernementales, les employeurs
et les salariés. Ils ont émis plus de deux cent propositions sur ce que pourrait être la politique nationale
en matière d’environnement, qui ont préfiguré les
« engagements du Grenelle ». Une vaste consultation du public, réalisée via internet et des réunions
régionales, s’en est suivie de septembre à octobre
2007. Les 24 et 25 octobre 2007, le président de la
République a présenté les conclusions du Grenelle et
ses 268 engagements.
95
À partir des conclusions de cette première phase de
consultation, 34 comités opérationnels (COMOP)
ont été chargés, de décembre 2007 à mai 2008, de
proposer des actions concrètes permettant de traduire
les 268 engagements du Grenelle.
La gouvernance à cinq
portée par le Grenelle de l’environnement
En termes de méthode, le Grenelle s’est appuyé
sur un large débat public mobilisant cinq grands
types d’acteurs : l’État, les collectivités territoriales,
les associations de protection de l’environnement,
les représentants des employeurs et ceux des salariés. Sur le plan institutionnel, cette « gouvernance à
cinq » s’est traduite par la recomposition du Conseil
économique et social (CES) en Conseil économique,
social et environnemental (CESE), intégrant un nouveau collège de personnalités, notamment issues du
monde associatif au titre de la protection de la nature
et de l’environnement. L’« esprit du Grenelle » devait,
par ailleurs, imprégner l’ensemble des processus
d’élaboration et de suivi des politiques publiques en
matière de développement durable. Mais après l’été
2010, il a perdu de son influence sous l’effet conjugué de l’évolution des rapports de force politique et
de la crise économique.
96
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
Est ensuite venu « le temps du Parlement ». Les premières traductions juridiques du Grenelle n’ont pas
été les lois Grenelle 1 et 2, respectivement adoptées
en 2009 et 2010, mais des lois de finances. La loi de
finances rectificative pour 2007 et les lois de finances
initiales pour 2008 et 2009 ont développé les mesures
d’incitations fiscales et budgétaires en faveur de
l’environnement (ex : dépenses fiscales en faveur de
l’isolation des habitations, bonus-malus écologique
pour l’achat de véhicule peu émetteurs de CO2). La
loi du 3 août 2009 de programmation relative à la
mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite
loi Grenelle 1, a fixé les grands objectifs à atteindre
pour mettre en œuvre les engagements du Grenelle.
Elle a été suivie par la loi du 12 juillet 2010 portant
engagement national pour l’environnement, dite loi
Grenelle 2, qui a précisé les voies et moyens nécessaires à la réalisation des dispositions définies par
la loi Grenelle 1, en particulier dans le domaine du
climat et de l’énergie qui apparaît comme le champ
d’action prioritaire du Grenelle.
La loi Grenelle 1 a ainsi confirmé l’objectif, pour les secteurs du bâtiment et de l’énergie, de diviser par quatre
les émissions de gaz à effet de serre françaises entre
1990 et 2050 (le « facteur 4 »). Cet objectif avait déjà
été défini par la loi de programme fixant les orientations
de la politique énergétique (LOE) de juillet 2005. La
loi Grenelle 2 vise, quant à elle, à améliorer la sobriété
97
énergétique du parc immobilier, notamment en matière
d’isolation thermique, et à réduire les émissions de CO2
engendrées par le parc automobile. Les conséquences
financières des mesures encouragées sont encore mal
évaluées et menacent leur mise en œuvre effective
dans un contexte budgétaire et économique tendu.
Améliorer les performances thermiques du
parc immobilier : une œuvre de longue haleine
Le Grenelle tend à imposer une réglementation
thermique (dite RT2012) particulièrement exigeante
en matière de consommation d’énergie pour les
constructions neuves. Alors que la réglementation
thermique établie en 2005 (RT2005) fixait le niveau
moyen de consommation d’énergie primaire des
constructions à 150 kWh/m²/an, la RT2012 abaisse
ce seuil à 50 kWh/m²/an (article 4a de la loi Grenelle 1). Cette nouvelle règle entre en application de
façon progressive depuis octobre 2011 et concernera
toutes les constructions nouvelles à partir du 1er janvier 2013. Dans l’ancien, le Grenelle encourage le
développement de l’information sur la performance
énergétique des constructions et les opérations de
rénovation lourde, en particulier dans les copropriétés. Introduits par la LOE de 2005, les diagnostics
de performance énergétique (DPE) sont généralisés
à quasiment l’ensemble du parc immobilier par la
loi Grenelle 2. La loi de finances pour 2009 met par
98
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
ailleurs en place un prêt à taux zéro écologique (écoPTZ) permettant d’aider les propriétaires à améliorer
l’isolation de leur bien. Le taux du PTZ « classique »,
devenu PTZ+ depuis le 1er janvier 2012, est quant à
lui bonifié en cas d’acquisition de logements dont le
niveau de performance énergétique est supérieur ou
égal au seuil D, c’est-à-dire dont la consommation
d’énergie est de 151 à 230 kWh/m²/an. L’immobilier
de bureau, qu’il soit public ou privé, se voit imposer
le standard de haute qualité environnementale (HQE).
En effet, l’article 3 de la loi Grenelle 2 a pour effet de
promouvoir ce type de construction qui doit devenir
la norme à l’horizon 2020 dans ce secteur immobilier.
Fondé sur le respect de tout ou partie de 14 « cibles »
ou critères environnementaux, le standard HQE
demeure cependant d’application assez souple. D’ici
2020, les nouvelles constructions devront être classées « passives » ou « énergie positive », c’est-à-dire
qu’elles devront consommer moins de 15 kWh/m²/an
ou produire plus d’énergie qu’elles n’en consomment
(article 4b de la loi Grenelle 1).
La rénovation du parc automobile,
un retard vite comblé ?
La loi Grenelle 2 ne contient pas de dispositions très
originales en faveur du développement de l’offre
de transports collectifs. Sur ce plan, les orientations
fixées par la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de
99
l’énergie dite LAURE de 1996, la loi d’orientation
pour l’aménagement et le développement durable
du territoire (LOADDT) de 1999 et la loi relative à la
solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de 2000
restent valables. En revanche, le Grenelle de l’environnement offre de nouveaux outils en faveur de la
régulation des modes de transports individuels et de
la limitation des émissions de CO2 qu’ils induisent. La
loi de finances rectificative pour 2007 a introduit le
dispositif de bonus-malus écologique qui vise à surtaxer
(malus) l’achat de véhicules neufs émettant plus de
161 gCO2/km et à accorder une prime (bonus) pour
l’achat de modèles émettant moins de 130 gCO2/km.
L’objectif de ce dispositif est de ramener les émissions
moyennes de CO2 du parc de véhicules particuliers de
176 g/km à 130 g/km en 2020, soit le niveau de 1990.
En 2012, les seuils du bonus-malus écologique ont
évolué. Le bonus concerne les achats de véhicules
neufs émettant moins de 105 gCO2/km et le malus,
ceux émettant plus de 141 gCO2/km. La loi Grenelle 2
offre, par ailleurs, la possibilité d’expérimenter, pour
une durée de trois ans, les péages urbains pour les
véhicules à moteur dans les agglomérations de plus de
300 000 habitants dotés d’un système de transports
collectifs en site propre, c’est-à-dire qui bénéficie d’une
part exclusive de la chaussée (ex : tramway) (article 65
de la loi). Depuis le 1er janvier 2010, les tarifs de péage
100
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
Bonus-malus écologique :
un bonus pour les émissions de CO2 ?
Sur la période 2003-2007, les émissions de CO2 théoriques des voitures particulières ont reculé d’environ 1 % par an passant de 154,7 g CO2/km en 2003 à
148,8 g CO2/km en 2007 (hormis décembre 2007 perturbé par la mise en place du bonus-malus). Appliqué
depuis le 1er janvier 2008, le dispositif de bonusmalus écologique sur l’achat des véhicules neufs a
permis la réduction immédiate d’environ 6 g CO2/km
des émissions engendrées par ces véhicules entre fin
2007 et début 2008, ainsi que l’accélération de la tendance à la baisse qui se situe désormais autour de –
3,7 % par an. En 2009, les émissions de CO2 chutent
à 133,7 g CO2/km. Début 2010, elles reculent encore
pour passer en dessous de 131 g CO2/km.
Source : Service de l’observation et des statistiques du ministère du Développement durable, Les immatriculations de voitures particulières neuves un
an après la mise en place du bonus-malus, février 2009.
sur autoroute applicables aux transports de marchandises sont, quant à eux, modulés en fonction de la
classe d’émission EURO des poids lourds (article 60).
Enfin, pour tenter de réguler les émissions provenant
des poids lourds circulant en dehors du réseau autoroutier, après plusieurs reports, une écotaxe devrait
s’appliquer à partir du second semestre 2012 (article
11 de la loi Grenelle 1). Il s’agit de la taxe poids lourds
nationale (TPLN), dont le produit estimé à 1,24 milliard
101
d’euros sera affecté au financement des infrastructures
via l’Agence de financement des infrastructures de
transports de France (AFITF). Il s’agit de promouvoir les
modes de transports alternatifs à la route (ex : chemin
de fer, voie fluviale).
Le prix des efforts à consentir
Ambitieuse, la « révolution écologique » portée par le
Grenelle de l’environnement présente un coût encore
difficile à évaluer, en particulier en termes d’investissement public. Quelques études très pointues – du
Groupement des autorités responsables des transports
(GART) et de la Commission consultative d’évaluation
des normes (CCEN) – commencent cependant à
l’estimer. En matière de transports collectifs, l’objectif
fixé par la loi Grenelle 1 de construire, hors de l’Île-deFrance, 1 500 km de lignes de transport en commun
en site propre (TCSP) d’ici quinze ans, en partant
d’une base d’environ 329 km, représente un coût
très important (article 13 de la loi). Selon le GART, il
faudra investir environ 18 milliards d’euros, auxquels
il conviendra d’ajouter les coûts d’exploitation pour
environ 2,5 milliards d’euros par an. De son côté, la
CCEN, rattachée au Parlement, a évalué début 2012
le coût de la mise en œuvre pour les collectivités
territoriales des 86 premiers décrets d’application
des lois Grenelle 1 et 2 à 2,37 milliards d’euros entre
2012 et 2017.
102
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
Le Grenelle, moins coûteux que prévu pour l’État ?
Des premières estimations du coût du Grenelle de
l’environnement pour les seules finances de l’État
ont été présentées en novembre 2011 par la Cour des
comptes. Fin 2008, le ministère du Développement
durable évaluait à 7 milliards d’euros l’ensemble des
dépenses – crédits budgétaires et mesures fiscales
(exonérations et crédits d’impôt) – liées au Grenelle
de l’environnement pour la période 2009-2011. La
Cour des comptes a rectifié cette estimation dans
son référé du 3 novembre 2011. Les financements
affectés au Grenelle se monteraient plutôt à 5,5 milliards d’euros. En supprimant des comptes les redéploiements de crédits budgétaires entre ministères,
et en y incluant les nouvelles recettes créées par le
Grenelle, le coût net pour l’État n’est plus que de
3,8 milliards d’euros.
Difficile à anticiper avec précision, le coût du Grenelle
de l’environnement, des lois et des décrets qui lui
donnent corps sera vraisemblablement de l’ordre de
quelques dizaines de milliards d’euros. Les montants
en jeu sont importants, en particulier dans un contexte
financier très tendu. Avec un endettement et des
déficits publics record, sous la menace permanente
d’un renchérissement des taux d’intérêt, chaque
nouveau milliard engagé pèse lourd, beaucoup plus
que durant les Trente Glorieuses où le pays était sur
le chemin de l’expansion économique. De ce point de
103
vue, le Grenelle de l’environnement apparaît comme
un défi budgétaire, tant pour l’État que pour les
collectivités territoriales.
Au-delà des coûts directs engendrés, les investissements à consentir ne devraient-ils pas aussi être considérés à la lumière des économies de fonctionnement
susceptibles d’être réalisées sur le long terme ? Avec
un prix de l’énergie fossile globalement orienté à la
hausse, la réduction de la consommation apparaît
comme un facteur de durabilité des équilibres budgétaires. Il est donc important de ne pas seulement
considérer ce que coûte aujourd’hui le Grenelle de
l’environnement, mais aussi ce qu’il permettra d’économiser demain. De surcroît, l’activité économique
induite par la mise en œuvre des dispositions du
Grenelle, en particulier dans les secteurs du bâtiment
et de l’automobile, apparaît génératrice de croissance
et d’emploi. C’est tout l’intérêt du développement de
l’économie « verte », à la fois favorable à l’environnement et au progrès socio-économique de la France.
La biodiversité extraordinaire bénéficie
de nouveaux outils
Une des orientations fixées par la loi Grenelle 1
est de stopper la perte de biodiversité sauvage et
domestique, de restaurer et de maintenir ses capacités d’évolution. Pour cela, elle conforte le réseau
terrestre des aires protégées par la mise en œuvre
104
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
d’une stratégie nationale en la matière identifiant
les lacunes actuelles du système, afin de placer 2 %
au moins du territoire métropolitain sous protection
forte d’ici 2019. Elle prévoit, par ailleurs, la création
d’aires marines protégées pour couvrir 10 % des
eaux placées sous la souveraineté de l’État dans les
limites de la mer territoriale, d’ici 2012 en métropole et 2015 en outre-mer et Nouvelle-Calédonie
(article 23). Facteurs majeurs de préservation de la
biodiversité, les corridors écologiques, terrestres ou
aquatiques, sont par ailleurs reconnus et promus par
la loi. Ainsi, la trame verte, constituée des espaces
terrestres protégés, et la trame bleue, rassemblant les
eaux de surface continentales et leurs écosystèmes,
devraient dès 2012 assurer la connexion entres ces
différents espaces terrestres ou maritimes protégés
et permettre leur fonctionnement global (article 24).
Elles facilitent la migration des espèces animales et
végétales et participent ainsi à la conservation dynamique de la diversité biologique. Afin de donner corps
à ces corridors écologiques, la loi Grenelle 2 confie
aux régions le soin d’élaborer, conjointement avec
l’État, les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) (article 121). Les SRCE complètent les
possibilités d’intervention de la région en matière
d’aménagement du territoire qu’elles détenaient
déjà grâce aux schémas régionaux d’aménagement
et de développement durable du territoire (SRADDT)
depuis la loi Voynet de 1999 (LOADDT).
105
Néanmoins, les SRCE ne sont qu’un élément parmi
d’autres que devront « prendre en compte » les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les plans
locaux d’urbanisme. En effet, la loi n’impose aucun
rapport de conformité, ni même de compatibilité, des
politiques d’urbanisme avec les schémas régionaux
censés structurer les trames verte et bleue.
La limitation de l’étalement urbain :
un encadrement très insuffisant !
Les progrès enregistrés en matière d’urbanisme
apparaissent finalement maigres. Non seulement
les modalités d’intégration des SRCE sont floues mais
le dispositif de lutte contre l’étalement urbain reste
faible. L’enjeu qu’il représente pour la conservation
de la biodiversité ordinaire n’a sans doute pas été
suffisamment pris en compte par la loi Grenelle 2.
Le dispositif de planification urbaine mis en place
par la loi SRU en 2000 progresse peu alors que la
dynamique d’artificialisation des sols va croissant tout
au long de la période 2000-2010.
Après l’adoption des lois Grenelle, le SCOT reste un
document de cadrage dont les dispositions conservent
un caractère assez peu prescriptif. L’échelle pertinente de mise en œuvre d’un SCOT n’est également toujours pas clairement précisée. Alors que
l’aire urbaine paraît le niveau le plus adapté pour
penser la relation entre ville et campagne et tenter
106
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
La Charte de Leipzig et l’Agenda territorial européen,
premiers pas vers une vision européenne
de la « ville durable »
Les 24 et 25 mai 2007, dans le cadre de la présidence
allemande de l’Union européenne, les ministres responsables du Développement urbain et de l’Aménagement du territoire se sont réunis à Leipzig afin de
« renforcer les villes européennes et leur région, de
promouvoir la compétitivité ainsi que la cohésion
sociale et territoriale ». Suite à cette réunion, la Charte
de Leipzig sur la ville européenne durable, ainsi que
l’Agenda territorial de l’Union européenne intitulé
« Vers une Europe plus compétitive et durable avec
des régions diverses », ont été adoptés. Cette initiative
jette les bases d’une nouvelle politique européenne
en matière d’urbanisme. Elle porte notamment l’idée
que le développement urbain doit être replacé dans
son contexte territorial global, en intégrant le fait
urbain dans un ensemble d’interactions ville-campagne. L’attention particulière à porter sur les quartiers sensibles est par ailleurs soulignée (ex : zones
urbaines sensibles ou zones franches urbaines en
France)
de gérer les dynamiques d’étalement urbain, la loi
reste muette sur la dimension qui devrait être celle de
l’espace de cohérence territoriale. Cette incertitude
est d’autant plus gênante qu’émerge, au niveau
européen, un consensus sur la nécessité de réfléchir
107
au développement de la ville durable à l’échelle de la
« région fonctionnelle urbaine ». Comme le soulignent
la Charte de Leipzig et l’Agenda territorial européen
adoptés en 2007 par une réunion des ministres responsables des États membres de l’Union, l’urbanisme
doit désormais pleinement intégrer la gestion des
espaces périurbains.
La loi Grenelle 2 impose au SCOT d’arrêter des objectifs chiffrés de consommation économe d’espace et
de lutte contre l’étalement urbain (article 17). Mais
elle n’encadre nullement les modalités de fixation de
ces objectifs et n’oblige pas les intercommunalités à
les détailler par secteur géographique. De fait, la loi
laisse une très grande liberté aux plans locaux d’urbanisme (PLU) dans la régulation de l’étalement urbain.
Avec le recul de dix ans d’application de la loi relative
à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU),
on peut douter de leur capacité à le faire. L’objectif
initial du projet de loi Grenelle 2 d’imposer à toutes
les intercommunalités la définition de PLU intercommunaux aurait-il permis d’avancer efficacement vers
une gestion plus économe qu’actuellement des sols ?
Dans les plus grandes agglomérations, fortes d’une
population de plus de 500 000 habitants et dotées
d’un statut de communauté urbaine, la compétence
de plein droit accordée à l’intercommunalité de gérer
le PLU tend à limiter la progression de l’artificialisation
des sols.
108
Chapitre 5 Le Grenelle de l'environnement
Le plan local d’urbanisme intercommunal
La loi Grenelle 2 a modifié les dispositions du Code
de l’urbanisme sur les plans locaux d’urbanisme
(PLU). Si la loi n’impose pas l’établissement de PLU
intercommunaux, elle offre cependant aux intercommunalités volontaires la possibilité de le faire (articles
L. 123-1 à L. 123-20 du Code). Complexes à mettre
en œuvre et reposant sur l’accord de l’ensemble des
maires du territoire concerné, les PLU intercommunaux restent aujourd’hui très rares là où réside un fort
enjeu d’étalement urbain. En milieu rural, quelques
communautés de communes développent ce type
d’approche, comme par exemple celle du canton de
Prayssas (Lot-et-Garonne). Le souci de mise en valeur
touristique de territoires éloignés des grands centres
urbains est souvent à l’origine de la démarche. Dans
le cas du canton de Prayssas, le PLU intercommunal
adopté en 2009 fait suite à la définition d’une Charte
paysagère en 2006-2007. Cette démarche volontaire avait commencé à sensibiliser les élus à la préservation concertée d’un territoire rural. On perçoit
ici la complémentarité entre approche volontaire et
démarche réglementaire.
L’absence d’encadrement de l’urbanisme commercial,
facteur important de la consommation d’espaces
périurbains, est une lacune majeure du Grenelle de
l’environnement. Aujourd’hui encore, l’implantation des enseignes commerciales, le plus souvent
109
en périphérie des villes, ne fait pas l’objet d’une
réflexion urbanistique. C’est sur une base purement
économique que les autorisations d’installations sont
délivrées par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). Une proposition de
loi a été déposée en 2010 afin de ramener le droit
de l’urbanisme commercial dans le droit commun
de l’urbanisme. En substance, la proposition de loi
prévoit que le SCOT pourrait contenir un document
d’aménagement commercial (DAC). Ce DAC délimiterait précisément les zones où seraient autorisées des
implantations commerciales de plus de 1 000 m2. En
l’absence de DAC, hors des centres-villes, les implantations commerciales de plus de 1 000 m2 seraient
interdites. Cette proposition de loi est pour l’instant
restée sans suite.
110
Chapitre 6
L’économique et le social :
encore beaucoup à faire
Les dimensions économique et sociale
du développement durable poussent au
renouvellement de la réflexion sur l’avenir
de la société française. Forte d’une longue
tradition sociale, la France pourrait contribuer à
l’élaboration d’une pensée européenne en matière
de développement « vivable ». Ne pourrait-elle
pas devenir un terrain privilégié pour une mise en
œuvre concrète du développement durable dans
toutes ses dimensions ?
Trois piliers inconciliables ?
Les enjeux environnementaux auxquels la France est
confrontée ne sont pas sans influence sur l’activité
économique ni sur l’équilibre social du pays. Les engagements pris à Rio en 1992 ont remis en cause notre
rapport à l’énergie et, dans une certaine mesure, à
l’espace. Le développement doit en effet être repensé
dans une perspective de long terme, susceptible de
modifier les équilibres socio-économiques sur lesquels
notre société repose. Ainsi, sur le plan économique, le
traitement des grands défis environnementaux tend
à promouvoir une économie « verte » qui se substituerait partiellement à l’économie traditionnelle. Les
nouvelles activités économiques liées à la protection de
l’environnement – les éco-activités (ex : construction
d’éoliennes) – sont certes créatrices de richesses et
d’emplois, mais leur essor s’accompagne aussi de la
113
disparition de filières et de métiers mal adaptés aux
exigences du développement durable (ex : production
de sac plastique à base de pétrole).
Les ampoules basse consommation « durent plus
longtemps »
Les États de l’Union européenne ont décidé d’interdire progressivement l’usage des lampes à incandescence à partir du 1er septembre 2009 pour aboutir à
une disparition complète au 30 décembre 2012. Il
s’agit d’abord d’économiser de l’énergie, mais aussi
de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Si les
lampes de substitution (lampe fluo compacte, lampe
halogène « haute efficacité » et lampe LED) consomment moins d’énergie par quantité de lumière produite (mesurée en lumens), elles sont plus chères
que les anciennes ampoules à incandescence. L’ordre
de grandeur du prix d’une ampoule à incandescence
est d’environ un euro, tandis que celui d’une lampe
de substitution varie de 5 à 50 euros selon la technologie utilisée. La durée de vie des ampoules à
incandescence (environ 1 000 heures) est plus courte
que celle des lampes de substitution comprise entre
2 000 et 10 000 heures. Le rapport entre la durée de
vie et le prix d’achat reste cependant en défaveur des
ampoules de substitution et varie de 1 000 heures/
euro à 200 heures/euro. Indépendamment des économies d’énergie susceptibles d’être réalisées sur le
long terme, les ménages doivent donc supporter un
« coût d’investissement ».
114
Chapitre 6 L'économique et le social
Au final, quel bilan économique peut être dressé des
mutations en cours ? L’interrogation porte également
sur le plan social. Le renchérissement des énergies
fossiles, la taxation (ex : taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ex-TIPP) ou le
prix à payer des émissions carbone dans le cadre du
marché européen des quotas pèsent sur le budget
des ménages, les comptes de certaines entreprises
et affectent de manière différenciée les composantes
de la société française. La recherche d’un mode de
développement plus éco-responsable que par le passé
corrige-t-elle ou renforce-t-elle les inégalités sociales ?
Autrement dit, l’équilibre entre les trois composantes
environnementale, économique et sociale du développement durable est-il réalisable ou demeure-t-il
théorique ?
L’économie verte,
un beau sujet mais un peu flou
Apparue récemment dans le débat public, la notion
d’économie « verte » ou de croissance « verte » n’en
demeure pas moins porteuse d’une profonde révision
de notre système économique. Selon l’Organisation
de coopération et de développement économiques
(OCDE), « La croissance verte est la voie à suivre
pour passer de l’économie actuelle à une économie
durable. Elle consiste à promouvoir la croissance et le
développement tout en réduisant la pollution et les
115
émissions de gaz à effet de serre, en limitant le plus
possible la production de déchets et le gaspillage des
ressources naturelles, en préservant la biodiversité et
en renforçant la sécurité énergétique. Elle nécessite de
“découpler” davantage les impacts environnementaux
et la croissance économique et d’adopter des modes
de consommation et de production plus respectueux
de l’environnement tout en réduisant la pauvreté et
en améliorant les perspectives des populations en
matière de santé et d’emploi. La croissance verte
implique de faire de l’investissement environnemental
une nouvelle source de croissance économique ».
Cette définition a été précisée au niveau national
dans le cadre d’une coordination européenne. Les
activités économiques qui composent la croissance
verte sont les éco-activités – produisant des biens et
des services directement appliqués à la préservation
de l’environnement au sens classique du terme (eau,
air, sol, déchets, bruit…), à l’efficacité énergétique et
à la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
et aux énergies renouvelables – et les autres activités
« vertes », produisant des biens et des services favorables à l’environnement, au sens où ils engendrent
moins de nuisance et sont moins consommateurs de
matière ou d’énergie (ex : chaudières à condensation,
ampoule basse consommation). Cette définition des
éco-activités constitue le périmètre de référence retenu
par Eurostat, le service statistique de l’Union européenne, pour le suivi de long terme des emplois dits
116
Chapitre 6 L'économique et le social
L’économie verte : une définition qui pose problème
La notion même d’économie verte fait débat. Selon
les sources, le périmètre de ce champ économique
varie sensiblement. Or, l’appréciation du potentiel
de croissance et de création d’emplois qu’elle peut
induire dépend évidemment de la définition retenue. Celle assez étroite, retenue par l’OCDE et reprise
au niveau de l’Union européenne structure désormais les statistiques publiques nationales. Mais certains acteurs institutionnels, chercheurs ou bureaux
d’étude considèrent l’économie verte de manière
plus ou moins extensive, prenant par exemple
en compte les activités industrielles polluantes
qui améliorent leur processus de fabrication pour
réduire les pollutions émises. Ces différences d’approches expliquent des variations importantes dans
l’évaluation des effets socio-économiques de l’essor
des éco-activités, notamment en matière d’emplois
créés. Ainsi, en 2010, un grand cabinet d’étude privé
estimait à 600 000 emplois le potentiel des éco-activités, alors que l’Agence de l’environnement et de
la maîtrise de l’énergie (ADEME) l’estimait à environ
200 000 emplois. Il convient donc d’être très vigilant
sur les méthodes et les sources statistiques retenues
en la matière.
environnementaux au niveau international. Certaines
activités internes aux entreprises, dites « auxiliaires »
ou « transversales », qui participent indirectement
117
à la croissance verte, lui sont également associées,
comme par exemple la recherche-développement. Si
cette définition a le mérite d’exister et de servir de
fondement aux premières études sur l’économie verte,
elle est cependant évolutive. En effet, en fonction
des innovations technologiques et des exigences de
la réglementation, tel ou tel produit peut apparaître
initialement comme favorable à la protection de l’environnement, puis neutre, voire défavorable selon les
révisions des standards de qualité environnementale.
Le périmètre des « autres activités vertes » est donc
amené à être revu sur le long terme.
Des résultats difficiles à évaluer
en termes de croissance et d’emplois
L’évaluation des effets de l’économie verte sur la
croissance et l’emploi appelle une analyse par secteurs d’activités. Selon le dernier rapport sur l’environnement en France de 2010, la production des
éco-activités s’élevait à 62,5 milliards d’euros en
2008. Les domaines d’activités liés à la protection
de l’environnement, parmi lesquels prédominent le
secteur des déchets (14,3 milliards d’euros) et celui
des eaux usées (14 milliards d’euros), représentaient
57 % de ce montant. Parmi les activités liées à la gestion des ressources naturelles, le secteur des énergies
renouvelables se plaçait en première position avec
11,2 milliards d’euros, la vente d’énergie d’origine
118
Chapitre 6 L'économique et le social
renouvelable contribuant à ce résultat à hauteur de
8 milliards d’euros. Le rythme de croissance de la
production d’« écoproduits » s’établissait à 7,5 %
en moyenne annuelle de 2004 à 2008 (en valeur
courante) contre 4,8 % pour l’ensemble de l’économie. La croissance a été particulièrement soutenue
pour le secteur des énergies renouvelables (26,3 %)
et celui de la gestion durable de l’eau (12 %). Ce
taux de croissance intègre l’évolution des prix dont
la hausse a été sensible au cours de cette période.
En 2008, les éco-activités représentaient près de
405 000 emplois à temps plein, soit environ 1,6 % de
l’emploi en France. Parmi eux, 287 700, soit 71 % du
total, étaient dus aux éco-activités marchandes des
entreprises. Le nombre d’emplois de cette économie
verte est en hausse rapide, 3 % en moyenne annuelle
sur la période 2004-2008, contre un peu moins de
1 % pour l’ensemble des branches de l’économie,
notamment sous l’effet de la croissance des emplois
liés à la gestion durable de l’eau (+ 5,9 % par an
environ) ou au développement des énergies renouvelables (+ 17,8 % par an environ).
La croissance soutenue de l’emploi environnemental
ne traduit pas pour autant des créations nettes liées
à l’économie verte. Il est important également de
prendre en compte les effets de substitution, qui
se traduiraient par d’éventuelles baisses d’emplois
dans certains secteurs. C’est tout l’enjeu des mesures
119
d’impact de la croissance verte sur l’emploi que de
tenter d’évaluer les effets directs, indirects et induits
par l’essor de cette nouvelle économie.
Les éco-activités ne connaissent pas la crise
En 2010, la production des éco-activités a atteint
69,9 milliards d’euros. Elle représentait une part
croissante de la production totale : 2 % en 2010
contre 1,9 % en 2009. Après un ralentissement en
2009, la production des éco-activités connaît un
regain de dynamisme (+ 8,5 %), nettement supérieur
à celui du reste de l’économie (+ 3,5 %). Le montant
des exportations d’éco-activités s’élevait à 6,1 milliards d’euros, soit 1,2 % du total des exportations. La
balance commerciale du domaine est excédentaire
de l’ordre de 1,1 milliard d’euros. Les éco-activités ont
mobilisé 452 600 emplois à temps plein en 2010, soit
4,5 % de plus qu’en 2009. De 2009 à 2010, les effectifs ont augmenté de 4,5 % contre 0,1 % dans le reste
de l’économie.
Source : ministère du Développement durable, « Les éco-activités
et l’emploi environnemental en 2010 : premiers résultats », mars 2012.
120
Chapitre 6 L'économique et le social
Des effets directs, indirects et induits
sur l’emploi
Concernant les effets directs, l’émergence et la croissance de nouveaux marchés, stimulés par les politiques
et les dépenses environnementales, pourraient se
traduire par une augmentation de l’activité et de
l’emploi dans les secteurs centraux de la croissance
verte. L’ampleur de la création directe d’emplois
dépend, entre autres, des besoins en main-d’œuvre
de ces secteurs. Cette hausse d’activité correspondrait également en partie à la redéfinition d’emplois
existants, pour lesquels de nouvelles compétences
sont nécessaires (chauffagiste, ouvriers du bâtiment).
La croissance verte peut occasionner également des
pertes d’emplois dans d’autres secteurs, en déclin.
La substitution progressive des produits et services
« verts » aux produits et services traditionnels pourrait
entraîner une redistribution de l’activité entre secteurs,
comme au sein d’un même domaine. Par ailleurs,
les activités économiques consommatrices d’énergie
(industrie lourde, transports, secteur automobile)
ou polluantes seraient affectées par une perte de
compétitivité-prix – c’est-à-dire une évolution défavorable de nos prix à l’exportation par rapport à ceux
de nos partenaires – liée aux surcoûts occasionnés
par les politiques environnementales (ex : prix du
CO2, coûts de mise en conformité). Certains emplois
pourraient être amenés à disparaître totalement, sans
121
être remplacés, en particulier dans les activités liées
à la production de substances interdites ou limitées
par des politiques environnementales.
Aux effets directs de la croissance verte sur l’emploi
s’ajoute un effet indirect pour les domaines d’activités producteurs de biens et services intermédiaires
à destination des secteurs directement bénéficiaires
ou touchés par la croissance verte (sidérurgie pour la
construction d’éolienne, fabrication de fenêtres pour
l’isolation des bâtiments…). L’ampleur de la création
indirecte d’emplois dépend de la fabrication, ou non,
sur le territoire national de ces biens et services intermédiaires. Le solde de ces créations et destructions
simultanées d’emplois directs et indirects est a priori
difficile à calculer. Il dépend de la vitesse à laquelle l’économie verte pourrait se mêler à l’économie générale.
Enfin, la croissance verte peut avoir un effet induit
sur l’emploi dans les autres secteurs de l’économie
dû aux effets indirects du développement des écoactivités (ex : effet d’entraînement sur des secteurs
connexes ou bien effet d’éviction sur des secteurs
producteurs d’activités polluantes ou énergivores),
ainsi qu’aux contraintes budgétaires qui pèsent sur
les ménages et les pouvoirs publics pour gérer la transition écologique. Les variations de revenu disponible
des ménages, c’est-à-dire les revenus d’activité, du
patrimoine et les transferts sociaux nets d’impôt, qui
en résultent se traduiraient par une modification de la
122
Chapitre 6 L'économique et le social
Les véhicules électriques : avanti !
La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre
et la consommation d’énergie fossile conduit à promouvoir les transports collectifs, à réduire les émissions dues au parc automobile existant, mais aussi à
développer une offre de véhicules électriques individuels. Le défi écologique rencontre un véritable
enjeu industriel, en particulier pour les constructeurs
français. En effet, il s’agit de conserver un appareil de
production en l’adaptant. Grâce aux progrès technologiques, de nouveaux modèles de voitures électriques commencent à être commercialisés. Si leur
autonomie reste inférieure à celle des véhicules à
essence, d’importantes avancées ont été réalisées :
certains modèles peuvent désormais rouler pendant
environ 300 km pour un temps de rechargement
d’une dizaine d’heures. Néanmoins, deux obstacles
demeurent et freinent l’essor de cette technologie : la
faiblesse des infrastructures publiques de rechargement, dont l’investissement devrait largement incomber aux collectivités territoriales, et le coût d’achat
relativement important des voitures, en particulier
celles dotées de batteries d’accumulateur. Ainsi, pour
un modèle de véhicule utilitaire d’entrée de gamme,
le prix d’achat peut varier d’environ 12 000 euros pour
une motorisation diesel à 15 000 euros (hors location
mensuelle des batteries) pour une motorisation électrique. Le surcoût en termes d’investissement n’est pas
négligeable, mais peut rapidement être compensé
par la réduction du budget « énergie ».
123
demande adressée à ces autres secteurs économiques
et donc par une hausse ou une baisse de leur activité et de leurs emplois. Le changement d’équilibre
sur le marché du travail pourrait s’accompagner de
rétroactions (négociations salariales, offre de travail).
Pour être complète, l’analyse des impacts de la
croissance verte doit donc tenir compte des emplois
directs et indirects, situés dans la chaîne de fournisseurs, détruits du fait du déclin d’activités réputées
polluantes.
Si de nombreuses études ont d’ores et déjà tenté de
chiffrer l’impact sur l’emploi de l’économie verte,
la plupart émanent d’associations de protection de
la nature et d’administrations (WWF, Greenpeace,
ADEME) a priori plutôt favorables au développement de cette nouvelle économie. De fait, il est à
craindre que les effets indirects négatifs sur l’économie
et l’emploi soient négligés et que le solde net des
emplois créés apparaisse excessivement optimiste. À
l’échéance 2020, date de projection la plus communément retenue par ces études, le nombre d’emplois nets
supplémentaires créés par l’économie verte en France
oscillerait entre 40 000, pour la Confédération européenne des syndicats, et 700 000, pour Greenpeace.
Deux études, menées l’une à l’échelle européenne et
l’autre à l’échelle nationale, relativisent ces effets de
l’économie verte sur l’emploi. Au niveau européen, et
à échéance 2020, il faudrait plutôt tabler sur le statu
124
Chapitre 6 L'économique et le social
quo, selon l’étude d’impact du paquet énergie-climat,
établie en 2008 par la Commission européenne. En
France, une étude estime que d’ici 2014, environ
200 000 emplois nets pourraient être créés, mais
que le solde des emplois pourrait devenir négatif à
partir de 2023, de l’ordre de 150 000 emplois, une
fois passé le cap de la transition écologique (Briard
et alii., « Impacts macroéconomique du Grenelle de
l’environnement », 2010). Malgré tout, l’impact sur
l’emploi de l’économie verte n’en reste pas moins
modeste, variant de + 700 000 emplois nets pour
les plus optimistes à – 150 000 emplois nets pour
les plus pessimistes. Alors que la population active se
situe aujourd’hui en France autour de 22 millions de
personnes, il ne faut pas attendre de bouleversement
du marché de l’emploi du fait de la croissance verte.
Il convient cependant de prêter une grande attention
aux dispositifs de formations professionnelles, initiale
et continue, qui faciliteront l’adaptation des personnes
entrant sur le marché du travail et la reconversion des
actifs dans une économie verte.
Le social, une dimension du développement
durable à renforcer
Les enjeux écologiques auxquels est confrontée la
France ont sans doute des répercussions sociales.
Encore peu exploré, ce pan de la réflexion sur le
développement durable bénéficie cependant de
125
quelques travaux pionniers qui ont porté sur la prise
en charge de la facture énergétique par les ménages,
en particulier sous l’effet d’un étalement urbain croissant. Conséquence de la raréfaction progressive des
gisements de carburants d’origine fossile, du renchérissement de leur prix et du surcoût que représentent les mesures prises par les pouvoirs publics
pour limiter leur consommation (ex : taxe intérieure
de consommation sur les produits énergétiques,
ex-TIPP), l’énergie fossile coûte de plus en plus cher.
Selon les modes de vie, ce poste de dépense pèse
de manière différente sur le budget des particuliers.
Tout d’abord, il convient de distinguer le problème
posé par le chauffage des ménages de celui lié à leur
consommation de carburant.
Variable selon les sources d’énergie, l’évolution des
prix est globalement orientée à la hausse sur une
longue période, à l’exception notable du prix de
l’électricité. Bien connue des automobilistes, la hausse
des prix à la pompe s’inscrit dans la durée : en euros
constants 2009, le prix du litre de gazole est passé
d’environ 0,8 euro/litre à la fin des années 1980 à
environ 1,2 euro/litre fin 2009. Certes, le prix de l’électricité est lui orienté à la baisse avec une diminution de
17 à 12 euros de 1983 à 2009 (données TVA incluse
pour 100 kWh, en tarif bleu heures creuses et pour
une consommation annuelle de 13 MWh). La relative
modicité du prix de l’électricité associée aux progrès
126
Chapitre 6 L'économique et le social
Comment se compose le budget des familles ?
Grâce aux enquêtes sur le budget des familles qui sont
périodiquement réalisées par l’INSEE, le poids des
différents postes budgétaires d’une famille ou d’un
couple peut être estimé. En 2006, en moyenne, pour
une famille avec enfants, les dépenses alimentaires
mensuelles représentaient 22 % du budget, soit 685
euros, contre 22,4 % du budget (516 euros) pour un
couple sans enfant et 20 % pour une personne seule
(276 euros). C’est le poste de dépense le plus important dans le budget des couples, avec ou sans enfant.
Pour les célibataires, en revanche, c’est le logement
qui constitue la dépense la plus importante (24,4 %
de leur budget, soit 336 euros). Pour les couples
avec enfants, les dépenses de logement mensuelles
s’élèvent à environ 400 euros et, pour les couples sans
enfant, à 345 euros. Les frais de transports (entretien
de la voiture, carburants ...) représentent également
un coût important, en particulier dans le budget des
couples sans enfant (363 euros) et des familles (556
euros). Ainsi, la hausse attendue du prix du chauffage,
de l’éclairage et des transports pèsera-t-elle fortement
sur le pouvoir d’achat des Français.
réalisés en matière de performance énergétique des
logements permet d’ailleurs de maîtriser la part du
coût de l’énergie dans le budget des ménages (8,4 %
en 2006), en dépit de la multiplication des appareils
électriques ou électroniques, de l’accroissement de la
127
taille des logements et de l’étalement urbain. Il n’est
cependant pas dit que cette situation perdure. En effet,
le coût de l’électricité payé par les ménages en France
ne prend qu’imparfaitement en compte le coût total du
fonctionnement de la filière électrique (ex : gestion des
déchets radioactifs, provision pour le démantèlement
des centrales nucléaires les plus anciennes).
En matière de chauffage, les données permettant
de mesurer l’importance d’une mauvaise isolation
thermique de l’habitat sur la consommation d’énergie
dans un logement, en particulier chez les ménages
les plus modestes, manquent. Cependant, ceux-ci
sont pour la plupart locataires de leur logement.
Ce sont eux qui paient la facture de chauffage et le
propriétaire qui est responsable de l’investissement. Il
n’a donc guère intérêt à réaliser des travaux coûteux.
La situation est plus ou moins sensible selon que l’on
considère le parc locatif public ou privé.
Dans le secteur public, en particulier dans les habitations à loyers modérés (HLM), les pouvoirs publics
peuvent atténuer la charge de chauffage du locataire
en soutenant des projets de réhabilitation. L’éco-prêt
« logement social » mis en œuvre dans le cadre du
Grenelle de l’environnement a pour objectif de soutenir la rénovation des 800 000 logements sociaux,
considérés comme étant les plus consommateurs
d’énergie, avant 2020. En 2009-2010, un effort
particulier a déjà visé 100 000 logements prioritaires.
128
Chapitre 6 L'économique et le social
Le Pacte de solidarité écologique
Établi en février 2010, le Pacte de solidarité écologique vise à réunir les Français autour du projet d’une
nouvelle société à responsabilité sociale et environnementale à l’horizon 2020. Complément social
du Grenelle de l’environnement, il suit l’adoption
en août 2009 de la loi Grenelle 1. La réflexion s’est
organisée autour de cinq thèmes, dont la croissance
verte et l’emploi et la lutte contre la précarité énergétique dans le logement. La sensibilité particulière
des ménages les plus modestes au renchérissement
de la facture énergétique d’un logement (chauffage,
éclairage) est clairement mise en évidence, tout
comme le fait qu’ils soient contraints de résider loin
de leur lieu de travail et de recourir à des véhicules
individuels alors que le coût des carburants ne cesse
de croître. Au final, les familles les plus modestes
semblent rester en marge de la « révolution écologique » portée par le Grenelle, tout en assumant une
charge économique croissante.
Dans le secteur privé, en revanche, la puissance
publique n’a guère de levier d’action pour inciter
des propriétaires non-résidents à investir au profit de
leur locataire. Dans le cas, relativement marginal et
concentré en milieu rural, des propriétaires occupants
modestes, un fonds national d’aide à la rénovation
thermique (FART) des logements privés a été prévu.
Institué le 1er octobre 2010, après l’adoption de la
129
loi Grenelle 2 dans le cadre de la mise en œuvre du
Pacte de solidarité écologique, ce fonds permet de
subventionner les deux tiers des dépenses engagées,
par un ménage modeste propriétaire, pour l’isolation de son habitat. Faisant l’objet d’une régulation
forcément partielle de la part des pouvoirs publics,
le problème de l’inégalité des Français devant leur
facture énergétique demeure globalement d’une
grande acuité.
S’agissant des dépenses de carburants, les interactions
entre surconsommation d’essence, étalement urbain
et niveau de vie des ménages commencent à être bien
mises en évidence. Une étude récente montre qu’au
sein des 100 plus grandes aires urbaines métropolitaines, le prix des terrains décroît lorsqu’on s’éloigne
du centre-ville (Calvet et alii, « La facture énergétique
des ménages serait 10 % plus faible sans l’étalement
urbain des 20 dernières années », 2010). En moyenne,
pour un terrain équivalent, un doublement de la
distance au centre de l’aire urbaine se traduisait par
un prix du mètre carré plus faible de 17 % en 2008.
Suivant l’importance de la contrainte foncière, les
ménages aux revenus les plus modestes ou présentant les familles les plus nombreuses ont tendance
à se loger de plus en plus loin des centres-villes. En
s’éloignant des centres urbains et des zones d’emploi,
les ménages périurbains augmentent le poids de leur
facture de carburant dans leurs dépenses : à niveau
130
Chapitre 6 L'économique et le social
de vie et structure familiale équivalents, un ménage
équipé d’une voiture dépense 440 euros de carburant
de plus par an s’il est installé en zone périurbaine
plutôt qu’en centre-ville de province (données pour
2006) ; a contrario, un ménage installé dans le pôle
urbain de Paris dépense 450 euros de moins par an
qu’un ménage équivalent résidant en centre-ville de
province. Mécaniquement, la part budgétaire consacrée à l’énergie augmente à mesure que le niveau
de vie diminue. Ainsi, les 20 % de ménages les plus
modestes consacrent près de 10 % de leur budget
à l’énergie contre seulement 7 % pour les 20 %
les plus aisés. L’étalement urbain agit comme une
« trappe à précarité énergétique », combinant à la fois
des conséquences néfastes pour l’environnement et
pour les ménages socialement les plus sensibles. La
fiscalité sur le carburant, à travers la taxe intérieure
de consommation sur les produits énergétiques (exTIPP) qui représente plus de la moitié de la fiscalité
environnementale en France, présente un caractère
aggravant sur le plan social. Elle taxe en effet un
mode de déplacement auquel sont condamnés des
actifs sans pouvoir s’y soustraire. Avec l’étalement
urbain, plus on s’éloigne des centres-villes, plus la
desserte en transports en commun devient difficile
à mettre en œuvre.
131
La TIPP, une taxe en faveur du développement durable ?
La taxe intérieure de consommation sur les produits
énergétiques (TICPE), anciennement taxe intérieure
sur les produits pétroliers (TIPP) et qui continue
d’être appelée ainsi par abus de langage, est un droit
d’accise, c’est-à-dire une taxe qui porte sur la quantité d’un produit et non sur sa valeur. Elle impose la
consommation de produits énergétiques par unité
de volume selon un tarif variable en fonction des
types de carburant. Comme toutes les accises (ex :
accises sur l’alcool et le tabac), la TIPP a une fonction
dissuasive. Alors que la fiscalité environnementale
s’élevait en France à environ 2 % du produit intérieur
brut à la fin de la décennie 2000-2010, la TIPP représente l’essentiel des impôts et taxes censés réguler
les pollutions (avec environ 14 milliards d’euros au
budget de l’État pour 2012). Si le caractère écologique de la TIPP peut être défendu, force est cependant de reconnaître sa faible pertinence en termes
de développement durable. Impôt indirect, comme
la taxe sur la valeur ajoutée, la TIPP frappe tous les
ménages de manière égale, quel que soit leur niveau
de revenu. Le prélèvement qu’elle représente n’est
pas pour autant équitable, puisqu’il correspond
à une part plus importante dans le budget des
ménages les plus modestes. Compte tenu des dynamiques d’étalement urbain et de la localisation des
ménages les plus pauvres en périphérie des villes,
la TIPP tend même à surtaxer ceux qui ont les plus
faibles revenus. La dimension environnementale du
développement durable ne sert donc pas forcément
ses deux autres piliers économique et social.
132
Chapitre 7
De nouvelles règles du jeu
pour un développement
durable ?
Le développement durable oblige à réfléchir
et à travailler de manière transversale et interinstitutionnelle. Aujourd’hui, c’est la capacité
d’un système politique et administratif d’échelle
continentale à gérer cette question complexe
qui est en jeu. Si la France a bénéficié de l’effet
d’entraînement de l’Union européenne, elle
demeure une élève « moyenne » en matière
d’environnement, mais peut porter une ambition
sociétale renouvelée, prenant mieux en compte
la dimension sociale du développement durable.
Une gestion trop dispersée des trois piliers
du développement durable
Le développement durable impose de gérer de façon
intégrée des compétences relevant des domaines
économique, social et environnemental, piliers du
développement durable. Actuellement, force est de
constater qu’elles sont dispersées entre différents
niveaux de responsabilité dans un système institutionnel européen assez complexe, en particulier en France.
Ainsi, la dimension sociale relève pour l’essentiel de
l’État, des départements et des communes, tandis que
les questions économiques et environnementales sont
plutôt traitées par l’Union européenne, les régions
et les intercommunalités.
135
Facteurs d’unité entre l’État, les départements et les
communes, l’aide et l’action sociale prennent une
place grandissante dans le champ des politiques
mises en œuvre par ces acteurs. Les conseils généraux
– assemblées des départements – ont en particulier
un rôle pivot à jouer dans la gestion décentralisée des
mesures relevant de l’État-providence. L’implication
très forte des départements dans ce champ de l’action
publique trouve son origine dans les lois fondatrices
de la décentralisation de 1982-1983, particulièrement
celle du 22 juillet 1983. De nombreuses lois sont
depuis venues compléter l’édifice du droit sanitaire
et social ainsi que la responsabilité des départements
en la matière. Parmi les innovations les plus récentes,
les départements se sont vu confier la prise en charge
de l’allocation personnalisée d’autonomie (loi du
20 juillet 2001), du versement de la prestation de
compensation du handicap (loi du 11 février 2005),
du revenu de solidarité active (loi du 21 août 2007).
La loi du 13 août 2004, dite « Libertés et responsabilités locales », a reconnu clairement le rôle social
des conseils généraux en leur donnant la fonction
de « chef de file » dans ce domaine.
Globalement, les départements apparaissent donc
aujourd’hui comme les pivots de la politique d’aide
et d’action sociale française. Ils travaillent en étroite
collaboration avec les communes, auxquelles sont
136
Chapitre 7 De nouvelles règles du jeu ?
adossés les centres communaux d’action sociale
(CCAS) depuis la loi du 6 janvier 1986.
Toutefois, cette responsabilité n’est pas sans avoir
d’importantes conséquences financières sur le budget
des départements, alors que la population vieillit, que
l’effectif des chômeurs de longue durée s’accroît et
que les handicapés aspirent à une vie digne.
Des institutions plus coordonnées
pour gérer les trois piliers du développement durable
ÉCONOMIE + ENVIRONNEMENT
Union européenne
DÉVELOPPEMENT DURABLE
Union européenne
État-Nation France
régions
État-Nation France
régions
départements
intercommunalités
SOCIAL
départements
intercommunalités
Communes
communes
L’Union européenne (UE), les régions et les intercommunalités forment, quant à elles, une unité fonctionnelle en matière économique et environnementale.
L’UE repose en effet sur l’affirmation d’une économie
de marché régulée et sur une volonté politique de
préserver l’environnement. Ces deux aspects jouent
137
d’ailleurs de concert, puisque le développement d’une
économie verte participe à l’équilibre industriel de long
terme du continent. L’économie de marché régulée
est un trait caractéristique de l’Europe qui participe de
son identité à l’échelle internationale. Dans le cadre
des négociations commerciales menées au sein de
l’Organisation mondiale du commerce par la Commission européenne, l’Union tente en effet d’insuffler une
dimension environnementale aux échanges de biens et
de services. À l’intérieur de l’espace européen, l’Union,
les régions et les intercommunalités ont un rôle clef
d’incitation et d’orientation en faveur du développement économique durable des territoires. L’Union reste
en effet fondamentalement – aujourd’hui encore – une
construction communautaire d’intérêt économique.
Les régions françaises gardent par ailleurs, malgré
l’extension progressive de leur champ d’intervention, un rôle privilégié en matière économique qui
se traduit notamment par la possibilité offerte aux
conseils régionaux d’établir des schémas régionaux de
développement économique (loi du 13 août 2004).
S’agissant de l’intercommunalité, les communautés
de communes, les communautés d’agglomération
et les communautés urbaines ont obligatoirement
des compétences économiques (loi 12 juillet 1999).
Par ailleurs, l’environnement apparaît de plus en plus
central dans les orientations générales de développement données, tant au niveau européen que régional
138
Chapitre 7 De nouvelles règles du jeu ?
ou local. À l’échelle européenne, l’Agenda de Lisbonne
(2000), auquel a rapidement été adossée la Stratégie
de Göteborg (2001) en faveur de la protection de
l’environnement, a déjà marqué une étape significative dans l’affirmation d’une politique d’inspiration
libérale et écologique pour la période 2000-2010.
La nouvelle Stratégie de l’Union 2020 intègre pleinement le pilier environnemental dans les axes de
développement économique européen pour les dix
années à venir. L’environnement n’est plus considéré comme un champ à part de l’action publique,
mais comme un des facteurs clés de la croissance
de l’Union, un gisement d’innovations potentielles à
développer par une politique de recherche volontaire,
à valoriser sur le plan industriel et à exporter vers les
marchés émergents. À l’échelle régionale et locale,
l’environnement apparaît également comme un des
piliers du développement économique. Les schémas
régionaux d’aménagement et de développement
durable du territoire, introduits par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement
durable du territoire du 25 juin 1999, participent
d’une planification régionale favorable à l’essor des
transports ferroviaires de voyageurs. Les schémas
régionaux climat-air-énergie, les plans climat-énergie
territoriaux et les schémas régionaux de cohérence
139
La Stratégie de l’Union 2020
En mars 2010, la Commission européenne a présenté
sa nouvelle stratégie sur dix ans, destinée à relancer
l’économie européenne. Baptisée « Europe 2020 »,
celle-ci vise à développer une croissance « intelligente, durable et inclusive » s’appuyant sur une plus
grande coordination entre les politiques nationales
et européennes.
Les grands axes de la stratégie sont la promotion des
industries sobres en carbone, l’investissement dans
le développement de nouveaux produits, l’exploitation des possibilités de l’économie numérique et la
modernisation de l’éducation et de la formation.
L’Union a également fixé cinq objectifs interdépendants pour réaliser son ambition :
– remonter le taux d’emploi de la population âgée de
20 à 64 ans à au moins 75 % contre 69 % aujourd’hui ;
– consacrer 3 % du produit intérieur brut à la
recherche et au développement, au lieu des 2 %
actuels ;
– réaffirmer les objectifs de l’UE en matière de lutte
contre le changement climatique ;
– proposer de réduire le taux de pauvreté de 25 %,
ce qui reviendrait à faire sortir 20 millions de personnes de la pauvreté ;
– améliorer les niveaux d’éducation en réduisant le
taux d’abandon scolaire à 10 % et en portant à 40 %
la proportion des personnes de 30 à 34 ans ayant
obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou
atteint un niveau d’études équivalent.
Source : présentation de la stratégie par la Commission européenne.
140
Chapitre 7 De nouvelles règles du jeu ?
écologique, supports des trames verte et bleue, issus
de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, vont renforcer
les politiques régionales d’aménagement du territoire.
Vers des articulations politiques régionales
et locales plus efficaces ?
Dans ce contexte de dispersion des compétences,
toutes les innovations institutionnelles tendant à
unifier les processus décisionnels en matière économique, environnementale et sociale peuvent paraître
les bienvenues. En France, la réforme des collectivités
territoriales par la loi du 16 décembre 2010 (loi RCT)
favorise a priori l’émergence d’une prise de décision
intégrée au niveau régional et local. La remise en cause
annoncée de certaines des dispositions de cette loi
pourrait se révéler préjudiciable au développement
durable territorial.
Disposition marquante et vivement débattue de la loi
RCT, l’élection à partir de mars 2014 de conseillers
territoriaux, siégeant à la fois aux conseils généraux
et régionaux en remplacement des conseillers généraux et régionaux, devait faciliter le développement
de politiques coordonnées entre les régions et les
départements. En charge à la fois de la définition d’une
stratégie régionale de développement économique
et d’aménagement du territoire, d’un plan régional
de développement de la formation professionnelle
et de schémas de protection de l’environnement, les
141
conseillers territoriaux seraient également en mesure
d’ajuster, à l’échelle départementale, les dispositifs de
l’aide et de l’action sociale, à réfléchir aux conditions
de mise en œuvre du revenu de solidarité active.
Liens entre des territoires et des compétences, ces
élus d’un genre nouveau pourraient porter l’ambition d’un développement durable opérationnel au
sein du bloc région/département. À titre d’exemple,
et d’un point de vue environnemental, la coordination des politiques régionales et départementales de
transports est cruciale. Compétents dans la gestion
du réseau routier et des lignes de car, les conseils
généraux ont en effet naturellement tendance à
développer les infrastructures viaires et leurs usages.
Les conseils régionaux sont, quant à eux, porteurs
du développement de l’offre de transport ferroviaire.
Le fait que les conseillers territoriaux partagent une
culture commune de l’aménagement du territoire
devait tendre à l’amélioration de la cohérence des
politiques publiques en matière de transports. La
suppression du conseiller territorial, annoncée dans
le cadre de l’Acte III de la décentralisation attendu
pour l’automne-hiver 2012-2013, pourrait rendre
difficile l’établissement de stratégies territoriales de
développement durable efficaces.
Le renforcement de l’intercommunalité, que porte
par ailleurs la loi RCT, participe de l’affirmation de
cadres de décision locaux mieux à même de mettre
142
Chapitre 7 De nouvelles règles du jeu ?
en œuvre le développement durable. Ainsi, l’élection
au suffrage universel direct des conseillers communautaires – et non plus une désignation indirecte par
les conseillers municipaux – participe à l’affirmation
de la légitimité des décisions intercommunales. Les
orientations définies dans les schémas de cohérence
territoriale, les plans énergie-climat territoriaux mais
aussi les programmes locaux de l’habitat paraissent
pouvoir être renforcés à terme, au moins à partir de
2014 avec le prochain renouvellement des conseils
municipaux. Sans doute, peut-on regretter sur le plan
environnemental que la loi Grenelle 2 n’ait pas imposé
la définition de plans locaux d’urbanisme intercommunaux. Néanmoins, la pression croissante qui s’exerce
sur les finances publiques locales pourrait accélérer
les processus de mutualisation, de regroupement,
voire de fusion institutionnelle, des échelons locaux
et favoriser l’émergence de politiques réellement
globales.
Vers un groupe européen plus soudé ?
Portée par un projet économique au sein duquel la
protection de l’environnement est un moteur de croissance, l’Europe tente de mettre en œuvre une politique écologique plus que de développement durable.
En effet, la gouvernance européenne ne suit pas les
mêmes règles dans les domaines social, économique
et environnemental, ce qui crée un déséquilibre dans
143
la gestion des trois piliers du développement durable.
Si le marché unique, les politiques régionale et environnementale de l’Union bénéficient de la souplesse d’un
vote à la majorité qualifiée – et non à l’unanimité – des
États membres du Conseil de l’Union européenne,
suivi d’une codécision avec le Parlement européen, il
n’en va pas de même pour les politiques sociales. Dans
ce domaine, c’est la décision à l’unanimité des États
membres du Conseil de l’Union qui s’applique pour
l’essentiel. Reposant sur des principes très différents
selon les pays membres et renvoyant à des traditions
nationales fortement établies, les politiques sociales
européennes restent ainsi davantage marquées par
la diversité que par l’unité. Néanmoins, en matière
d’emploi, une stratégie européenne a été lancée en
1997 à la suite du sommet sur l’emploi de Luxembourg. Elle encourage la coordination des politiques
nationales dans ce domaine et introduit également
une nouvelle méthode de travail, la méthode ouverte
de coordination, qui établit des objectifs communs
quantifiés à atteindre au niveau européen.
De fait, la construction européenne est assez dynamique sur les plans économique et environnemental,
mais laisse aux États membres la gestion des conséquences sociales de la mondialisation. Déséquilibrée, la
gouvernance européenne du développement durable
devient source d’inégalités nouvelles et creuse un peu
plus le fossé entre une aspiration libérale et écologique
et la réalité d’une souffrance sociale. La mise en place
144
Chapitre 7 De nouvelles règles du jeu ?
d’une gouvernance européenne à la hauteur des
enjeux du développement durable est donc nécessaire.
Elle pose la question d’une répartition équilibrée des
compétences entre l’Union et les États membres. Le
partage actuel entre des attributions économiques
et environnementales exercées par l’Union et une
compétence sociale assurée pour l’essentiel par les
États membres semble difficilement tenable.
Pour faire évoluer cette gouvernance, il semble nécessaire d’avancer vers une Union toujours plus intégrée,
qui puisse prendre pleinement en charge les trois
piliers – économique, social et environnemental –
du développement durable. La définition et la mise
en œuvre d’une véritable stratégie européenne de
développement durable butent sur la réalité de la
répartition des compétences en matière économique,
social et environnemental qui met en jeu des acteurs
différents à des échelles diverses, allant de la commune
à l’Union en passant par le cadre national.
Un nouveau champ d’action appelle
de nouvelles règles du jeu
Le développement durable est un domaine nouveau
qui se situe à la croisée de l’économie, du social, des
sciences de l’environnement et des sciences politiques.
Il appelle donc une réflexion transversale. Sans doute,
la France n’est-elle qu’une élève assez « moyenne »
en matière d’environnement. Elle peut cependant se
prévaloir d’une longue expérience socio-économique
145
et d’une volonté de mieux faire en termes de lutte
contre le changement climatique et de préservation
de la biodiversité. Une meilleure coordination des
composantes de sa géographie politique et administrative pourrait peut-être l’aider à œuvrer en faveur
d’un développement durable territorial.
Le développement durable appelle également la
formation d’un collectif européen plus soudé qu’actuellement pour avancer concrètement. En effet, les
contraintes budgétaires et financières qui pèsent
aujourd’hui sur l’ensemble des acteurs publics concernés – l’Union et ses États membres, les régions, les
départements, les intercommunalités et leurs communes – militent en faveur d’une rationalisation
de leurs politiques. Actuellement, l’Europe et ses
territoires, dont la France, ne sont pas en mesure de
bien gérer l’ensemble des contraintes économiques,
sociales et environnementales. Les cadres d’une bonne
gouvernance publique ne sont pas posés. De fait, la
définition de la stratégie européenne de développement durable efficace et ses déclinaisons territoriales
opérationnelles restent à faire.
Finalement, en 2012, la célébration conjointe des vingt
ans du Sommet de Rio et du traité de Maastricht ainsi
que des trente ans de la décentralisation française ne
nous conduit-elle pas à considérer, avec réalisme mais
non sans ambition, une nouvelle organisation des territoires pour relever le défi du développement durable ?
146
Bibliographie et sitothèque
◗◗ Paul Claval,
« Le développement durable : stratégies descendantes
et stratégies ascendantes », Vox geographi, mai 2006.
Disponible sur http : //www.cafe-geo.net/article.
php3 ? id_article=851
◗◗ Commissariat général au développement durable,
Le rapport sur l’environnement en France, juin 2010.
Disponible sur http : //www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/154/1098/
lenvironnement-france-edition-2010.html
« Activités, emplois et métiers liés à la croissance
verte », Études et documents, juin 2011.
Disponible sur http : //www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/1808/1097/
activites-emplois-metiers-lies-croissance-verte-1.html
◗◗ Commission mondiale sur l’environnement
et le développement,
Notre avenir à tous, 1987.
http : //www.diplomatie.gouv.fr/fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf
◗◗ Robin Degron,
« La décentralisation et la construction européenne
face au développement durable », Pouvoirs locaux,
no 92, mars 2012
◗◗ Direction générale de l’Énergie et du Climat,
Étalement urbain et politique climatique, décembre
2010.
Disponible sur http : //www.developpement-durable.
gouv.fr/Synthese-Etalement-urbain-et.html
◗◗ Jean Giono,
Les vraies richesses, Grasset, 1937.
147
◗◗ André-Jean Guérin et Thierry Libaert,
Le développement durable, Dunod, 2008.
◗◗ Yves Petit (dir.),
Droit et politiques de l’environnement, La
Documentation française, coll. Les Notices, 2009.
◗◗ Dossiers et débats pour le développement durable,
Disponibles sur http : //www.association4d.org/
◗◗ Site du Programme des Nations unies
pour l’environnement,
http : //www.unep.org/
◗◗ Site de l’Agence internationale de l’énergie,
http : //www.iea.org/
◗◗ Site de l’Agence européenne pour l’environnement,
http : //www.eea.europa.eu/
◗◗ Site du ministère de l’Écologie, du Développement
durable et de l’Énergie,
http : //www.developpement-durable.gouv.fr/
◗◗ Site du service de l’observation et des statistiques
du ministère de l’Écologie,
http : //www.statistiques.developpement-durable.
gouv.fr/
148
Collection Doc’ en poche
Série « Entrez dans l’actu »
1. Parlons nucléaire en 30 questions
de Paul Reuss
2. Parlons impôts en 30 questions
de Jean-Marie Monnier
3. Parlons immigration en 30 questions
de François Héran
4. France 2012, les données clés du débat présidentiel
des rédacteurs de la Documentation française
5. Le président de la République en 30 questions
d’Isabelle Flahault et Philippe Tronquoy
6. Parlons sécurité en 30 questions
d’Éric Heilmann
7. Parlons mondialisation en 30 questions
d’Eddy Fougier
8. Parlons école en 30 questions
de Georges Felouzis
9. L’Assemblée nationale en 30 questions
de Bernard Accoyer
10. Parlons Europe en 30 questions
de David Siritzky
13. Parlons dette en 30 questions
de Jean-Marie Monnier
À paraître en mars 2013
14. Parlons jeunesse en 30 questions
d’Olivier Galland
À paraître en mars 2013
Série « Place au débat »
11. Retraites : quelle nouvelle réforme ?
d’Antoine Rémond
12. La France, bonne élève du développement durable ?
de Robin Degron
15. L’industrie française décroche-t-elle ?
de Pierre-Noël Giraud et Thierry Weil
À paraître en mars 2013
16. Les classes moyennes
de Serge Bosc
À paraître en mars 2013
Série « Regard d’expert »
17. Le vote populiste en Europe
À paraître en mars 2013
18. Les politiques éducatives en France
À paraître en mars 2013
19. La face cachée de Harvard
À paraître en mars 2013
Téléchargement