Les conséquences politiques de la paix

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>5»if*,
%
i
LES
CONSÉQUENCES POLITIQUES
DE LA PAIX
^\
DU MEME AUTEUR
(chez le
même
éditeur)
Histoire de France.
Napoléon.
La Troisième République.
Histoire de deux peuples continuée jusqu'à Hitler.
Histoire de trois générations.
La guerre et l'Italie.
L'Allemagne romantique
et réaliste.
Hn^
JACQUES BAINVILLE
de l'Académie Française
LES
CONSÉQUENCES POLITIQUES
DE LA PAIX
•
On
aura les conséquences.
Celui qui creuse une fosse y tombe.
Celui qui rompt une haie, le serpent le mord.
L'Ecctésiasle, i, 8.
PARIS
ARTHÈME FAYARD ET
18-20, rue
C'%
ÉDITEURS
du Saint-Golhard
D
6////
Cnpyriiilit 1**20,
/))/
SocUné fvnncdise
(l'I^dition et de Lil/rairie, })ro^>vielor
Librairie ^^ltionale.
of ISûui'clte
(le Iniduction ctdercproréserves pour tous pays.
Tous droits
ductiou
Voici un livre unique dans l'œuvre de M. Jacques
La pente naturelle de son esprit porte
M. Bainville à comprendre et à expliquer plutôt qu'à
pré<,'oir. Pourtant, en 1920, il a prévu; il a écrit ce
livre et il a pu, sans remords, laisser à d'autres le
Bainville.
métier de prophète parce qu'il avait tout annoncé,
tout ce qui s'est passé depuis 1920, et probablement
tout ce qui se passera dans les années à venir. Il n'est
pas de lecture qui laisse l'impression plus vive d'une
intelligence exceptionnelle, cà la fois lucide, ferme,
rapide, vigoureuse, appliquée au réel, s'élevant sans
fatigue du détail géographique aux vues les plus
vastes et se servant de l'expérience historique avec
une sûreté qui éblouit et une aisance qui enchante.
Le trait le plus frappant de notre temps est, sans
doute, la décrépitude de l'intelligence politique. Le
fonctionnement du régime parlementaire exige des
chefs plus d'habileté que de puissance, plus d'opportunisme que de ténacité, plus de roueries que de vues
générales. Sont portés au pouvoir des hommes sans
expérience qui s'imaginent suppléer à leur défaut de
préparation, en s'entourant de spécialistes méticuleux
et bornés. Ainsi les détails du traité de Versailles
sont l'œuvre d'experts et de techniciens. L'ensemble
et les grandes lignes sont l'ouvrage d'amateurs. La
compétence se rencontrent dans l'accesLes dispositions générales et essentielles dont
réflexion et la
soire.
dépendent la solidité et le succès de toutes les
autres ont été arrêtées par des hommes que ne guidaient pas la connaissance du passé mais les principes
sommaires d'une philosophie oratoire.
C'est le drame de Versailles, c'est aussi le sujet de
ce livre. Du désaccord fondamental découlaient des
conséquences. Jacques Bainville a l'honneur de les
avoir prévues et d'avoir défini la politique qui, dans
la mesure du possible, aurait pu les conjurer.
Pierre Gaxotte.
AVANT-PROPOS
Ce n'est yas -parce qu'un auteur anglais a écrit
les
Conséquences économiques de
nous avons composé
cet ouvrage.
pas une réponse à Keynes.
On
le
troduction de ces pages,
un
livre n'est
verra tout de
jeii
ressorts des principaux Etats
les
même
forces
les
du monde.
de politique est tombée dans
crédit. Peut-être faisait-elle
l'in-
contraste singulier.
Après une guerre qui a mis en
Vidée
Ce
paix que
Nous voulons marquer seulement, à
suite.
et
la
mal
le
à la tête?
Il
disest
vrai que jamais matière aussi vaste et aussi confuse ne s'était offerte à des conducteurs de peu-
ples chargés d'établir une grande paix.
de plus pour réfléchir
et
Raison
pour prévoir beaucoup.
être fatigant.
Faute de calcul,
une part énorme de l'avenir a
été livrée à l'in-
Le calcul pouvait
connu
l'excès
et
les
au hasard, une part qui dépasse à
limites
que rencontrent
les
intelli-
AVANT-PROPOS
8
gcïices
quent à diriger
Dans un
fini
profondes
2)lus
les
lorsqu'elles
s'appli-
cours des grandes affaires.
le
où Von croyait au progrès indé-
siècle
de V esprit humain, Fontenelle avait dit
est certain,
et
que
le
« //
peufles s'en convaincront de
les
plus en plus, que
/
le
monde
politique, aussi bien
physique, se règle par nombre, poids
et
m,esure. » Pauvres peuples! Tout s'est fait en leur
nom
et ils
ont-ils
n'ont
vu que
sique? Mais
le
j^lus
la
nombre,
se négligent pas
comprendront
encore à payer
cjuà subir.
paix violait
le
A
poids
et la
impunément. Et
même
«n
pas
quel
les lois
les
pourquoi
mesure ne
peuples ne
ils
auront
jour.
J.
1920
moment
de la phy-
B.
LES
CONSÉQUENCES POLITIQUES
DE LÀ PAIX
CHAPITRE PREMIER
LA FAUTE DES CHOSES ET LA FAUTE
DES HOMMES
Il
le
n'est pas rare qu'après
vainqueur, ou, quand
il
au moins des vainqueurs
une guerre gagnée,
y a des coalisés, l'un
soit
paix et pense qu'il a été dupe.
mécontent de
En
1815, les Prus-
siens se plaignaient que le Congrès de
se fût terminé pour eux par
«
la
une farce
Vienne
».
Nous
avons eu nous-mêmes, en des temps plus anciens,
«
Bête
un
traité
comme
qui n'a pas
dont
il
la paix.
ménagé
était proverbial
»
M.
Raymond
ses critiques
de dire
:
Poincaré,
aux actes de
Versailles, de Saint-Germain et autres lieux voi-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
10
sins de Paris, a eu raison d'écrire
que
la décep-
tion qu'ils ont causée n'était pas nouvelle.
On a
tout dit des lacunes du traité de Ver-
de ce qu'il ne nous a pas donné,
sailles,
manque à gagner
Territoires,
est
qu'il
frontières,
à
inférieur
ce
espéré.
On
même
pas retrouvé
celles
pour nous.
représente
argent,
qu'on
ce qu'il apporte
généralement
avait
a remarqué partout que nous n'avions
les
de
limites
français
avait
tion.
est
forte, le dire
peuple
devenu banal, tant l'évidence
que cette paix
nous.
Enfin M.
qu'il
n'avait pas
est
<(
et qu'elle est «
Millerand,
fait,
est
au comptant
à terme
a prononcé
le
pour
»
qui a hérité
»
de ce
jugement
après quelques mois d'expérience lors-
qu'il a déclaré à la tribune
sailles,
le
longtemps ressenti l'humilia-
si
pour l'Angleterre
définitif
mais
1814,
de 1815, celles de Waterloo, dont
Il
du
malgré
les
que
le traité
de Ver-
longues et minutieuses dispo-
sitions qui sont destinées à assurer la réparation
de nos ruines et de nos dommages, était
lourd de promesses que de réalités
Il
<(
plus
».
eût été possible de concevoir une sorte de
paix qui ne nous eût pas donné tout ce que nous
désirions,
mais qui nous eût payés d'une autre
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES il
manière. Une paix, par exemple, qui, nous
buant sur
le
eût laissé de
réels
en diminuant nos charges
dans une mesure considérable
et
en
notre jeunesse de la conscription.
Le
militaires
libérant
attri-
papier moins de milliards, nous en
bénéfice eût été indirect mais
Des conditions propres à en
il
eût été immense.
finir
avec
le
régime
barbare de la paix armée étaient
le
sultat vers lequel
Nous eussions
largement
fallait tendre.
premier
ré-
rapidement regagné en sécurité,
et
en tranquillité
terrible
il
et
servitude,
par l'affranchissement d'une
les
sacrifices
consentis
par
ailleurs. C'était le point principal de la paix.
Il
a échappé aux négociateurs, et l'attention publique, fixée sur les détails
quand
ce n'était pas
sur les vétilles, ne l'a pas davantage
saisi.
D'ordinaire, en politique, les effets sont aper-
çus quand
à-dire
salité,
ils
quand
il
commencent à
se produire, c'est-
est trop tard.
Le principe de cau-
qui tourmente à peine les
encore plus indifférent aux peuples.
hommes,
Il
est
est naturel
que des démocraties aient conclu une grande
paix sans se soucier des répercussions. Dans les
contes arabes,
si
peu philosophiques,
fable qui n'exprime pas
mal
il
y a une
ce fatalisme enfan-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
12
tin.
Un
voyageur, dans
ment autour de
composé son
lui les
vue
que tu
jetais tes
a reçu
un dans
pourquoi
je vais
et lui dit
noyaux,
l'œil
me
mon
et
:
«
Dans
le
temps
passait.
fils
Il
en
en est mort. C'est
il
venger.
Pour que
»
séquences apparaissent aux nations,
des catastrophes ou
innocem-
dattes qui ont
Soudain un génie effrayant
repas.
se présente à sa
le désert, jette
noyaux des
le recul
il
les
con-
leur faut
de l'histoire. Elles
se résignent à vivre entourées de forces invisibles,
comme
qu'elles
les
génies des Mille
et
une Nuits,
blessent sans le savoir et qui exigent
des comptes tout à coup.
On
s'est
la paix.
à peine occupé des conséquences de
Nous voulons
dire des conséquences po-
litiques,
car
un auteur anglais a prétendu en
montrer
les
conséquences
économiques.
L'ou-
vrage retentissant de Keynes est un pamphlet
d'apparence scientifique qui a obtenu un succès
de curiosité et de scandale par
les
dont
le
il
est rempli.
Il
est
devenu
paradoxes
manuel de
tous ceux qui désirent que l'Allemagne ne paye
pas ou paye
le
moins possible
entreprise manquée.
connue.
Elle a
les
frais
La thèse de Keynes
de son
est bien
exercé une action certaine sur
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 13
l'opinion et sur le gouvernement britanniques.
Ce qui
est curieux, c'est
que
premier auteur
le
qui se soit appliqué, de son point de vue spécial,
un point de vue de
à étudier
financier,
les
suites de la paix, ait été conduit à des conclu-
sions pessimistes.
Il
que ce pessimisme
est vrai
Keynes voit noir pour
est unilatéral.
vaincus.
Il
est
les
pays
optimiste pour les vainqueurs.
Son évaluation des dommages que
subis est très basse.
Il
la
France a
estime que nous relève-
rons nos ruines à beaucoup moins de frais qu'on
ne calcule en général. C'est
magne
qui
comme un
donne du
complaisance
rieuses,
si elle
et
Et
souci.
lugubre refrain que
ménagée,
n'est pas
la
lui
sort de l'Alle-
le
si
répète
il
l'Allemagne
ne se relève pas avec
l'appui
nations
des
victo-
l'Europe tout entière tombera dans la
détresse et dans
le
chaos.
Dans son épilogue, Keynes parle de
«
ces cou-
rants inconnus qui coulent sans cesse sous la
surface
de l'histoire politique
peut prévoir
les résultats ».
est claire
elle
et
et
Pour
dont nul ne
lui (sa
pensée
se dégage de tout son livre),
ces courants sont déterminés par les forces éco-
nomiques
et
par
elles
seules.
C'est
un autre
CONSEQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
14
aspect,
un aspect conservateur, de
la conception
Keynes a eu un pré-
matérialiste de l'histoire.
curseur, qui se tait aujourd'hui, mais qui a parlé
pendant
guerre.
la
Lansdowne
lord
Lansdowne,
et
déjà pessimiste avant
le
C'était lord
était
traité
de Versailles. Ce grand seigneur oubliait
qu'il
avait,
sous Edouard VII,
une large part à former
contribué pour
la triple Entente.
Il
était
hanté par l'idée que
le
capital de notre vieille
humanité européenne
se
consumait un peu plus
tous
misère
La banqueroute,
jours.
les
générale
l'obsédaient.
ruine de l'Europe
<(
jusqu'au bout
».
si
les
un de
disette,
la
annonçait
la
voulaient aller
Et c'était aussi l'idée favorite
calculateurs
ces
Il
Alliés
mais plus secrète d'un autre
litti,
la
vieillard.
silencieux
M, Gio-
comme
rilalie sait les produire.
Do
dès
sombres prédictions,
ces
le
temps de
que mieux
la guerre,
valait
qui
abondaient
on aurait dû conclure
donner à l'Allemagne partie
gagnée ou à demi gagnée plutôt que de désorganiser la machine industrielle, commerciale et
financière
du
monde.
Des
intérêts
supérieurs étaient en jeu et lord
lait
dans
le
désert.
infiniment
Lansdowne
par-
Plus habile, M. Giolitti ne
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 15
disait rien.
se contentait de signifier
Il
attitude qu'il n'avait pas
puis
début
le
et que,
par son
changé d'opinion de-
de toute façon, cela
finirait
mal. Retranché sur cette position personnelle et
forte,
il
attendait seulement de vivre assez pour
voir son heure revenir.
comptait pour
Il
sur une déception quelconque et
il
l'Italie
se réservait
de rentrer au pouvoir à la faveur de cette décep-
Mais M.
tion. C'est ce qui est arrivé.
Lansdowne ne
parle plus du passé. Lord
plus mot.
L'un
avant Keynes
est à regretter
l'autre
et
ne
souffle
ont été des Keynes
n'ont rien changé à rien.
et ils
que
Giolitti
les Alliés n'aient
Il
pas eu une
politique plus avisée, plus perspicace et plus in-
ventive, qui leur eût permis de gagner la guerre
plus vite et dans de meilleures conditions. Mais
quel qu'ait été
quelles
prix payé pour la victoire,
le
que soient
les
misères de l'heure pré-
sente, personne n'oserait dire
férable de
Allemands.
:
« Il
eût été pré-
conclure une paix blanche avec les
Il
eût
même
se soumettre dès le
été encore meilleur de
mois de
juillet
1914.
Ainsi
la merveilleuse horlogerie des importations
des exportations n'eût pas été dérangée.
Et,
et
»
de même, l'Europe peut souffrir longtemps
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
2
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
16
de disette. Elle peut être ravagée par les épidémies, menacée de
faillite.
Les Etats
et les na-
tions n'en continueront pas moins de vivre selon
leurs
lois.
Le jeu des nécessités économiques
n'est pas niable.
Il
se réduit, en dernière analyse,
On peut
à la conquête du manger.
le
soutenir que
peuple allemand, en 1914, s'est décidé à la
guerre parce que
sait
ne
qu'il occupait
sol
le
suffi-
pas à nourrir 68 millions d'hommes et que
grande aven-
cet instinct l'a poussé à courir la
Mais
ture.
tels et tels
structure,
l'Empire allemand n'avait pas eu
si
antécédents historiques,
si
été différent, les alliances
même mieux
d'être
telle et telle
l'équilibre des forces en
agencées,
retenue dans
libéral, se fût
Europe eût
autrement agencées ou
si
l'Angleterre,
l'hésitation
au
par son
engagée tout de suite
et
lieu
parti
sans hési-
tation à intervenir, alors le prix de la viande à
Berlin n'eût pas été
l'Allemagne courût
S'il
après
que
un motif
le
suffisant
pour que
risque de la guerre.
y a lieu d'être pessimiste pour l'Europe
le
celui
traité,
c'est
à un autre point de vue
de Kcynes. Le chaos économique est
profond. Mais
le
chaos politique
l'est
plus en-
core. L'indicible misère de la Russie bolcheviste
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 17
a-t-elle
empêché l'armée rouge de
discrédit
le
déficit,
empêché
la
frontières?
se battre?
du papier-monnaie
Le
ont-ils
Pologne de chercher à dessiner ses
Sur une vaste surface de l'Europe,
dix nations se font la guerre malgré la pénurie,
le
typhus, dans des conditions d'existence épou-
vantables qui ne devraient laisser aux
que le souci du pain quotidien.
cette
Or,
hommes
auprès de
mêlée des nationalités, des religions
races,
l'Allemagne,
reste
il
seule
et des
concentrée,
seule homogène, suffisamment organisée encore,
et
dont
le poids,
suspendu sur
le
vide de l'Eu-
rope orientale, risque de faire basculer un jour
le
continent tout entier. Les considérations des
économistes ne changeront rien aux
déséquilibre essentiel.
Il
effets
frappant de
est
de ce
à
lire
ce point de vue l'histoire de la Révolution de
Thiers.
Adonné aux questions de
brillait la clarté
finances
oij
de son esprit, Thiers a pu relater
tous les événements diplomatiques et militaires
de l'Europe sous la Révolution
sans que
tielle
en
les
sous l'Empire
assignats et la banqueroute par-
de 1797 en France, les
Autriche,
et
« billets
occupent^ dans
de retrait
»
son récit d'autre
place que celle d'un épisode qui n'a rien changé
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
18
au cours des choses. Dans son
pour l'Allemagne,
parti pris évident
thèse de Keynes est déjà
la
jugée. Ce qu'elle a de futile en général tient dans
cet exemple-là.
Les conséquences politiques de
donc bien plus importantes que
économiques.
plus
est
Il
la
paix sont
conséquences
les
aussi
difficile
de
les
Mais quelques principes
déduire avec rigueur.
de l'expérience et du bon sens peuvent y
aider. Il est certain que les plus grands hommes
tirés
d'Etat ne peuvent tout prévoir et qu'ils ne peu-
vent surtout prévoir plus d'un ou deux contre-
coups des dispositions qu'ils ont prises.
pourtant des causes dont
les effets sont
sûrs qu'il faut presque
le
en voir d'avance
partis,
dans ce
le
commence
pable.
sinq)le
limites
oii
pour
aller
ce composé
à se dissoudre dans un détail impal-
C'est tout ce
dans cet ouvrage.
et
tellement
Nous sommes donc
du plus
au composé, jusqu'aux
y a
vouloir pour ne pas
rapport.
livre,
Il
Il
({u'il
y a de méthodique
est surtout
formé d'analyses
d'hypothèses déduites de ces analyses. Nous
présentons plus de probabilités
et
môme
ples possibilités que de certitudes.
maine,
les certitudes
de sim-
Dans ce do-
sont toujours faibles quand
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 19
il
s'agit de savoir
vement
quand
comment tourneront
les choses. Elles
En
choses prendront.
sont déjà plus sérieuses
discerner
de
s'agit
il
définiti-
à
1871,
l'unité allemande, les Anglais
cours que les
le
la
(il
fondation de
y en a eu beau-
coup), qui s'étaient félicités qu'un grand
fût placé désormais entre la
Empire
et la Russie,
France
parce que ce serait un gage de sécurité pour eux
et pour l'Europe, ces Anglais-là se sont évidem-
ment trompés.
de
leur
le
dire.
au Congrès de Berlin, ce calcul ne
Pourtant,
parut pas faux
et
intéressés.
encore plus
fallut attendre
il
de vingt ans pour que
les
facile
était
Il
le vice
en fût senti par
après
Lorsque Bismarck,
longtemps délibéré avec lui-même,
opta
avoir
pour
l'alliance autrichienne et s'éloigna de la Russie,
il
aperçut
le
risque de l'opération.
Il
avertit ses
successeurs qu'en aucun cas l'Allemagne ne devait se lancer dans
une guerre
et s'exposer
au
danger des coalitions pour un prétexte autrichien.
Il
montrait justement l'obstacle sur lequel
Guillaume
II
est allé
donner. Ce sont deux cas
entre mille des erreurs de l'imprévoyance et des
limites de la prévoyance.
Les pronostics
les plus
remarquables qui aient
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
20
été retenus par l'histoire reposaient sur des don-
même
nées très simples, on peut
à la portée des
de Thiers au
hommes
moment
dire triviales,
les plus ordinaires. Celui
Sadowa
de
resté
est
le
modèle du genre. Thiers partait d'une idée qu'un
épicier eût eue h sa place
les
au
si,
lieu d'observer
progrès de la Prusse, l'épicier eût observé
avec
inquiétude
agrandissements
les
de
Félix
Potin. « L'abrégé de tous les préceptes consiste
XIV
au bon sens
»,
beaucoup.
y a ainsi des choses que tout le
Il
disait
Louis
monde peut annoncer avec un peu
Il
ne
fallait
pas
en avait
qui
d'expérience.
extrêmement perspicace
être
pour découvrir que ces quelques mots
l'Allemagne d'autre part
de Versailles
les
comme
»,
et
le fruit.
Quand
délégués de l'Empire allemand signaient ce
traité
dans
la
même
Galerie des Glaces où l'unité
allemande avait été proclamée une première
un demi-siècle plus
d'instruction
ce
«
étaient dans le traité
ver dans
le
:
serait
tenus.
miracle
Ce qu'on
exemple,
tôt,
c'est
si
leurs
ne
quand
homme
n'importe quel
moyenne pouvait
peut
les
nécessaires se produiront et
fois
déjà conclure que
engagements étaient
pas
annoncer,
événements
comment
les
ils
par
plus
se pré-
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 21
senteront. Di Rudini,
qui était entré fort jeune
dans
la
avait
coutume de répéter
politique et qui avait vécu fort vieux,
Evitez de dire
<(
:
:
c'est
grave. J'ai entendu dire trop souvent que c'était
grave. Et surtout ne donnez jamais de dates.
II
»
y a un certain degré de complexité qui
dépasse
le
est sortie
On ne
raisonnement.
que ce degré
de
est atteint
la
contestera pas
par l'Europe
telle qu'elle
guerre et des cinq traités de Ver-
de Saint-Germain, de Neuilly, de Trianon
sailles,
et de Sèvres. Bien peu de personnes possèdent
dans leur esprit
le détail
complet de ces instru-
ments diplomatiques qui forment plusieurs volumes. Plus rares encore sont celles qui peuvent
une image exacte de
se faire
où
la
confusion extrême
continent est retombé. Nous n'avons pas
le
tenté de décrire l'indescriptible.
flatter
de saisir et de ne pas perdre
et le
On ne peut
se
d'embrasser ce chaos. Nous avons tâché
bout de
la
le
bout de
la chaîne,
chaîne se trouve certainement à
Berlin.
Beaucoup de questions sont
dans ce
livre. Il est inutile
laissées
d'emmener
le
de côté
lecteur
au fond du Caucase. C'est surtout dans un
sujet qu'il faut se borner et
même
tel
procéder par
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
22
PAIX
LA.
exclusion pour arriver à une clarté relative.
On
risque aussi de tomber dans une banalité mortelle si l'on se
met à étudier un à un
ce qu'on
appelle les grands problèmes, dont la classification
ne répond pas toujours à la
Le
réalité.
peuple français est retenu pour longtemps en
Europe
l^otre
et
dans
bassin de la Méditerranée,
le
attention
doit
se
fixer
qui se passe à nos portes.
d'abord
sur
ce
plus on
D'ailleurs,
s'éloigne de nos frontières, plus les affaires s'obscurcissent, plus
sitions.
Une de
pent peu
et
on
aux vagues suppo-
est réduit
ces données simples,
qui
permettent
pareilles matières, c'est
d'avancer
que ce qui
médiatement à côté de nous
important.
magne
qui trom-
est
aussi
le
En ne perdant jamais de vue
unifiée,
en
de
se passe im-
plus
l'Alle-
dans son contraste avec une Eu-
rope morcelée, contraste qui apparaît presque à
chacun des chapitres de ce
livre,
on
finit
par
ordonner au moins un certain nombre de questions. S'il y a des points sur lesquels
nous reve-
nons avec insistance, au risque de nous répéter,
et
même
parfois
c'est parce qu'ils
de sembler
dominent
nous contredire,
tout. Ainsi,
en mon-
tagne, les pics principaux reparaissent à chaque
FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 23
le
voyageur.
reparaissent chaque fois sous
un aspect
détour du chemin jusqu'à obséder
Mais
ils
différent.
Pendant
nous
la guerre,
année de
la dernière
livre qui a paru très peu de se-
avions écrit un
maines avant l'armistice du 11 novembre 1918
et qui était destiné à montrer, par des exemples
encore tout frais
par l'histoire
et tout sanglants,
de trois générations dont la troisième avait payé
pour
les
qu'il y a des
deux autres,
quelques idées maîtresses des
décisions
prises
sous
quelques
de ces
l'influence
quelques mots écrits dans
moments où
esprits,
les actes
idées,
diplomatiques
à la suite de ces décisions, entraînent pour de
longues années des conséquences incalculables.
arrive
« Il
souvent,
XIV,
Louis
encore
disait
qu'on veut obscurcir le mérite des bonnes actions
en
s'
imaginant que
le
monde
se
gouverne de
lui-même, par certaines révolutions fortuites
naturelles,
nion que
qu'il
les
était
esprits
peine parce qu'elle
leur
paresse,
fautes
du nom
leur
impossible d'éviter
:
et
opi-
du commun reçoivent sans
flatte leur
peu de lumière
permettant
de malheur
d'appeler
et
leurs
et l'industrie d'autrui
du nom de bonne fortune.
»
Ainsi,
du 11 no-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
24
vembre 1918 au 28
juin
1919,
ce n'est pas le
hasard qui a décidé. Ce n'est pas
choses. Ce sont des
et
leurs
idées.
hommes, avec
Mille
autres
la
force des
leur caractère
combinaisons que
adoptées étaient possibles.
celles qui ont été
On
s'en est bien aperçu en cours de route puisque,
par
telle
ou
telle
intervention, plusieurs dispo-
sitions des traités ont été changées soit en bien,
soit
en mal. Maintenant
il
n'y a plus qu'à atten-
dre, et, s'il se peut, à prévenir et à corriger les
effets.
le
«
On aura
les
conséquences
)>,
avait
dit
sage d'Israël, rassasié de voir les dirigeants
recommencer
fier
leur vie
les
mômes
et
leurs
fautes et les foules con-
destins
aux mêmes
diri-
geants. Les conséquences viennent toujours. Et
nous
les
avons déjà.
CHAPITRE
II
CARACTÈRES DE LA PAIX
Le 3
juillet
1919, M.
Lloyd George priait
Chambre des Communes de
Et
Versailles.
le
paix.
disait-il,
exposait les raisons pour
« Je
les-
demande à n'importe
qui,
de montrer, pour ce qui est de l'une
quelconque
de
ces
seul trait d'injustice
judiciaire
la
de
Parlement britannique devait approu-
quelles
ver
la
il
ratifier le traité
conditions
principales,
un
ou une décision qu'une cour
parfaitement impartiale n'aurait pas
prise exactement dans le
même
sens qu'a décidé
Conseil qui a siégé pendant six mois à Paris
le
en examinant scrupuleusement toutes ces clauses. »
Il
Et
le
qu'elle était
et,
Parlement britannique
ratifia.
n'y avait rien à reprocher à cette paix parce
bonne au point de vue de
la justice,
par conséquent, aussi raisonnable que juste.
D'autres traités avaient été des traités politiques.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
2()
un
Celui-là était
traité moral.
l'Allemagne fût désarmée
non germaniques,
tres peuples
ment.
était
Il
laume
II
été.
fût privée de sa
((
en
et ceux-là seule-
guerre fussent jugés, Guil-
la
à leur tête
ne l'ont pas
le
moral que
moral, au plus haut degré, que
responsables de
ne
était
de territoires, ceux qu'elle avait pris à d'au-
fait
les
Il
qu'elle perdît,
et
:
est vrai, toutefois, qu'ils
il
moral que l'Allemagne
était
Il
marine
de ses colonies. Elle
et
gardées que pour un mauvais usage
les eût
C'eût été élargir
monde
le
offrir
et
domaine de
:
dans
l'injustice
à l'Allemagne des occasions
nouvelles de faire peut-être du mal dans l'avenir.
Enfin
))
il
était
moral, deux fois moral, que
l'Allemagne fût astreinte à payer, d'abord parce
qu'elle avait à réparer les
autrui,
dommages
ensuite parce qu'il fallait que
allemand comprît que
la
causés à
peuple
le
guerre est une mau-
vaise opération et qui ne rapporte rien.
cette
paix,
aurait
damné.
rendue
encore
<(
comme un
l'avantage
de
Ainsi
arrêt de justice,
moraliser
le
con-
J'espère, continuait M. Lloyd George,
que l'Allemagne comprendra que sa défaite a
son salut en
la
fait
débarrassant du militarisme, des
Junkers, des Hohenzollern. Elle a payé un prix
27
CARACTÈRES DE LA PAIX
élevé pour sa délivrance.
vera que cela en valait
alors
croira,
Je crois qu'elle trou-
Quand
la peine.
l'Allemagne
digne
sera
dans la Société des Nations.
elle
le
d'entrer
»
Ce discours de M. Lloyd George a autant de
clartés
que d'ombres.
silence
les
bénéfices que la Grande-Bretagne a
de la victoire, et
tirés
est soulagée
table.
passe assurément sous
Il
le principal,
c'est qu'elle
d'une concurrence maritime redou-
Apparemment,
ces avantages étaient sentis
par la masse des Anglais.
qu'il fût inutile
En France, au
que
le
l'étaient assez
Ils
premier ministre
et la ratification
pas
do
insistât.
Clemenceau
contraire, M.
collaborateurs, afin d'obtenir l'adhésion
pour
et ses
du pays
de nos Chambres, ne se lassaient
compter nos gains
nette de toute charge,
:
F Alsace-Lorraine,
rendue à
propriété des mines de la Sarre,
la
le
France,
Maroc
la
libéré
de ses hypothèques. Grande différence entre les
Anglais et nous. Ce qui allait sans dire pour eux,
tant leur bénéfice était évident et tangible, devait
être
démontré pour nous
et tout le
monde
était
loin d'être satisfait. Mais, entre l'Angleterre et
contraste s'étendait plus loin. Sur
la
France,
la
garantie de la paix par l'occupation de la rive
le
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
28
gauche du Rhin,
le
le
gouvernement français
et
gouvernement britannique présentaient deux
presque
thèses
opposées
une
:
occupation
de
quinze années, disaient nos négociateurs, et qui
pourra être prolongée
pas ses
si
l'Allemagne ne tient
engagements; une occupation qui paraî-
tra peut-être bien longue, disait
M. Lloyd George,
mais qui pourra être abrégée
car,
le
moment
venu, la question de l'occupation sera examinée
de nouveau.
Ainsi M. Lloyd George avait peut-être besoin
de plaider pour
Mais
dres.
tain qu'il
était
la
c'était
paix qu'il rapportait à Lon-
seulement
le
libéralisme puri-
L'Angleterre
cherchait à convaincre.
comblée d'avance. Elle
l'était
depuis
l'ar-
mistice, depuis que les navires allemands repo-
saient en rades britanniques. L'Angleterre n'avait
même
guerre.
était
et
((
plus besoin de penser aux bénéfices de la
Elle les avait reçus tout de suite.
en possession. Et
elle goûtait
Elle
sans scrupules
sans remords ce que lui donnait cette paix
juste »,
si
juste
M. Lloyd George,
qu'à travers
elle finissait
le
discours
de
par sembler im-
matérielle.
Elle
l'est,
en
effet,
dans toute
la
mesure où
29
CARACTÈRES DE LA PAIX
pas une paix politique. Sans doute
elle n'est
les
auteurs d'un traité n'ont pas coutume de dire
en public
tel
parti
les raisons
pour lesquelles
plutôt que
tel
autre.
ont pris
ils
Lorsqu'il s'agit
de coalisés qui, une fois la victoire acquise, obéissent à des intérêts divers, cette dissimulation est
plus naturelle encore. Le langage de l'idéalisme
est
commode
et
vainqueurs de
il
était déjà
1815.
venu aux lèvres des
Nous savons aujourd'hui
quels avaient été les calculs, les soucis, les diffé-
rends des Alliés de l'autre
sommes
Déjà,
siècle.
nous
a peine moins renseignés sur la Confé-
rence de Paris que sur le Congrès de Vienne.
Les divulgations sont venues très
Le
révélé qui ne fût parfaitement clair?
traité
de
Servis par
Versailles parle plus haut que tout.
un
Qu'a-t-on
vite.
instinct puissant, par la tradition de l'Ami-
rauté et du Foreign Office et par des circons-
tances
favorables,
des
intérêts
très
clairs,
les
intérêts maritimes de la Grande-Bretagne avaient
été satisfaits tout de suite et sans discussion.
reste ne s'était inspiré
semble.
d'aucune conception d'en-
Et le reste, c'était la constitution
Europe nouvelle.
Le
Rien de moins.
suprême, M. Clemenceau rappelait
Au
d'une
Conseil
les droits
et
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
30
de la France.
les sacrifices
mais
énergie,
une
avec
les rappelait
Il
un peu
énergie
PAIX
LA.
parce qu'il appuyait toujours
les
monotone
décisions les
plus sévères pour l'Allemagne sans rompre
cercle des idées où s'enfermaient ses
locuteurs,
idées auxquelles
deux
inter-
croyait assez
il
le
fai-
blement sans croire davantage à d'autres. Par
là,
réussit
il
George
et
seulement à donner à M.
France ressentait une
la
veuse
»
les
et,
l'
appréhension
Allemagne lorsque
ner-
les
Britanniques
Américains seraient rentrés chez eux
pour calmer
comme
<(
à la pensée qu'elle se retrouverait seule
en face de
et
Lloyd
au président Wilson l'impression que
disait,
ses
inquiétudes
d'un peu haut,
le
^,
« légitimes »,
premier ministre
anglais, Britanniques et Américains avaient pro-
mis de revenir en cas
tifiée ».
Telle
fut
la
«
d'
«
agression non jus-
garantie
»
ajoutée,
à
la
dernière heure, au traité de Versailles.
Prodigieuse puérilité
d'hommes pourtant
que mûrs. Supposaient-ils donc que
recommenceraient
telles qu'ils les
Qu'il y aurait encore
I.
Mémo
discours
3 juillet 1919.
une
déi)eclie
les
plus
choses
avaient vues?
d'Ems ou un
de M. Lloyd Georges sur
la
paix,
31
CARACTÈRES DE LA PAIX
assassinat d'archiduc et que l'Allemagne pourrait attaquer la
en 1870
et
France à visage découvert
en 1914? Alors
que
le
là,
peut-être,
jour
oij
admettaient aussi
ils
dans
qu'ils avaient laissé l'Europe
le
même
guerre avait éclaté.
la
pour
Il
négociateurs
les
comme
état
y avait
français,
l'occasion de démontrer que la paix était imparfaite
et
d'introduire
une autre conception du
règlement européen. Le recours à
quel que soit
le
sort de
toute façon,
quelle
convention,
la
qu'en soit la valeur pratique
—
la garantie
—
de
témoigne,
contre une paix qui n'est pas re-
connue capable de se soutenir par elle-même
qui a
si
peu changé
la face
du monde
porte d'envisager l'hypothèse
renaîtrait dans les
mômes
Composé par des
par des
même
guerre
conditions.
pour
lecteurs de la Bible et
des lecteurs de la Bible,
l'a été aussi
oii la
le
hommes
appelle aujourd'hui des
<*
et
qu'il im-
traité
de Versailles
d'affaires, ce
techniciens
».
qu'on
Les dis-
positions qui se rapportent au commerce,
douanes, aux tarifs de chemins de
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
fer,
à
aux
la navi3
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
32
gation fluviale,
ont été l'objet d'un soin
etc.,
Des
particulier.
de
spécialistes
pendant
et qui,
les
pays
avaient médité sur
guerre,
la
conditions à imposer à l'Allemagne quand
les
à rédiger
est
ont été consultés
serait vaincue,
elle
et
commerciales du
les clauses
invités
traité.
Il
entendu que, de notre temps, rien ne dépasse
l'importance du commerce,
«
tous
qui avaient l'expérience de ces questions
alliés,
spécialité
»
qui,
dans
appelle la déférence des
Il
est
probable en
et
il
y
un âge
hommes
effet
que
a là une
scientifique,
d'Etat.
spécialistes
les
savants et les dévoués experts de la Conférence
ont introduit dans
le
clauses ingénieuses et
nées,
traité
de Versailles des
harmonieusement combi-
de manière à rendre inoffensive
currence de l'Empire allemand.
expliqué que ces clauses,
particulièrement
la
France,
la
con-
nous a été
Il
en ce qui concerne
ne se contentaient
pas d'effacer celles du traité de Francfort, mais
qu'elles donnaient à notre pays
riorité
et
de
tels
une
telle
supé-
avantages qu'il n'avait qu'à
savoir et à vouloir en profiter pour que ses industriels et ses négociants eussent
privilégiée dans le
une position
monde, tout étant prévu
et
33
CARACTÈRES DE LA PAIX
arrangé, notamment, pour que la production de
l'Allemagne
comme
au
d'être
lieu
autrefois leur maîtresse.
du
chapitres
Ces
servante
leur
fût
traité
aucun doute excellents,
de
sans
Versailles,
dureront
et
vaudront
autant que ce traité lui-même. C'est ce qui était
aux mêmes chapitres du
arrivé
fort,
si
traité
de Franc-
habilement conçus pour favoriser
magne. Et nous espérons aussi que
aura l'organisation
pour que ces
et l'esprit
articles
du
la
l'Alle-
France
de suite nécessaires
traité
ne restent pas
lettre
morte. Ce que nous avons voulu montrer,
c'est
que ni
n'ont
manqué à
ses
réflexion
la
la
«
compétence
cette partie de la paix, alors
dispositions
dépendent
ni
générales et essentielles,
la solidité et le
»
que
dont
succès de toutes les
•autres, ont été arrêtées par des
hommes
qui ne
se guidaient pas d'après l'expérience qui est la
seule
<(
technicité
»
de
la politique,
mais d'après
quelques principes fort sommaires d'une philosophie oratoire. Le tracé des nouvelles frontières,
par exemple, a été confié à des géographes et à
des ethnographes tout à
il
fait distingués,
en qui
était permis d'avoir pleine confiance et qui
n'auront certainement laissé passer dans l'exécu-
co^•sÉQUE^'CES politiques de la paix
34
tion de leur tâche que des erreurs insignifiantes.
Quant au plan selon lequel
les Etats
tribués et modelés,
de jeter
la carte
il
suffit
ont été disles
yeux sur
de l'Europe nouvelle pour s'apercevoir
pu
qu'il n'a
être dirigé
price et de contradiction
que par
l'esprit
de ca-
ou bien au hasard des
sympathies, quand ce n'était pas au hasard de
discussions entre les Alliés. Tout
le
monde
sait,
par exemple, qu'après avoir déclaré qu'un Etat
composite
comme
l'
Autriche-Hongrie
digne de vivre, le Conseil
suprême
s'est
était
in-
empressé
de constituer, en Tchéco-Slovaquie, une Autriche
nouvelle où se retrouvent six sur huit des natio-
dont se composait l'ancienne.
nalités
Il
n'y aura
pas un seul poteau-frontière de l'Etat tchécoles
méthodes
plus rigoureusement scientifiques.
Quant à
slovaque qui ne soit planté selon
les
savoir
combien de temps ces bornes resteront à
leur place et les chances qu'elles ont d'y rester,
ce n'était pas l'affaire des géomètres-arpenteurs.
Ainsi
d'experts
les
et
détails
de
du
traité
techniciens.
un
sont
travail
L'ensemble,
les
grandes lignes sont de l'ouvrage d'amateurs. De
là lui
viennent deux de ses
traits
un caractère moral prononcé, car
dominants
il
est
:
facile
CARACTÈRES DE LA PAIX
communs
de mettre des lieux
35
de moralité à la
place du raisonnement politique qui
effort
lière.
intellectuel
et
une préparation
Ensuite un caractère
moins accusé
avec
elle
a eu pour
effet
le
un
particu-
économique
«
et qui s'accorde
»
non
moralisme
une nouveauté.
puritain. Cette alliance n'est pas
Ici,
exige
de primer toute consi-
dération vraiment politique.
Le célèbre Econo-
mist de Londres concluait,
5 juillet 1919,
étude sur
ces
mots
la
:
<(
le
valeur du traité de Versailles par
L'Allemand n'est pas naturellement
belliqueux. Or,
il
n'est pas d'un
vient d'apprendre que la guerre
bon
Les Etats nouveaux
profit.
ont encore à apprendre cette leçon
de
la Société
Ces
une
des Nations de
prodigieuses
:
le leur
simplifications
c'est le rôle
enseigner.
ne
»
doivent
pas surprendre. Le président Wilson ne réglaitil
pas
le
sort
du monde en quatorze
M. Lloyd George ne prêche-t-il pas dans
non-conformiste
de
son
M.
la
question
Clemenceau,
avait menti
concile.
l'Eglise
gallois.'^
Pour
d'Autriche ne se
que
le
comte Czernin
Le Conférence de
la
paix a été un
réduisait-elle pas à savoir
.î^
village
points.!^
Après qu'il eut été entendu, une
pour toutes, qu'on ne reviendrait
fois
ni sur la liberté
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
36
des mers, ni sur les colonies, ni sur les navires
l'Allemagne,
de
principaux
les
forts de l'armée d'experts et
négociateurs,
de techniciens qui
leur apportaient, sur des questions particulières,
des mémoires
des solutions,
et
édifièrent
une
nouvelle Europe. Et lorsque, du silence parfois
coupé d'orages
oii
enfermé,
le
sortit
le
plus
Conseil
important des
celui de Versailles, qui devait
aux
suprême
traités,
donner leur forme
monstre que l'on
autres, voici le
s'était
vit.
Une Allemagne diminuée d'environ 100.000
lomètres carrés,
mais,
ki-
sur ce territoire réduit,
réunissant encore soixante millions d'habitants,
un
tiers
de plus que la France, subsistait au
centre de l'Europe. L'œuvre de Bismarck et des
Hohenzollern
était
avait d'essentiel.
dans
respectée
ce
qu'elle
L'unité allemande n'était pas
seulement maintenue, mais renforcée. Les Alliés
avaient affirmé leur volonté de ne pas intervenir
dans
les
affaires
intérieures
allemandes.
Ils
y
étaient intervenus pourtant. Toutes les mesures
qu'ils avaient prises avaient eu
pour résultat de
CARACTÈRES DE LA PAIX
allemand
centraliser l'Etat fédéral
37
et de conso-
lider les anciennes victoires de la Prusse.
S'il
y
avait des aspirations à l'autonomie ou au fédé-
ralisme parmi les populations allemandes, elles
étaient étouffées.
Le
traité
tières rétrécies. C'est
au
nom
poussait,
d'hommes
parquait 60 millions
enfermait,
entre des fron-
l'Allemagne d'autre part
<(
»
de laquelle deux ministres sont venus
signer à Versailles le 28 juin 1919.
Du
Bell,
les
fond de la
Galejrie
des Glaces, Millier et
de noir habillés, avaient comparu devant
représentants de vingt-sept peuples réunis.
Dans
le
même
quarante-huit ans plus
avait été proclamé.
Il
tôt,
A
peintures,
l'Empire allemand
y revenait pour s'entendre
déclarer à la fois coupable
gible et criminel.
mêmes
sous les
lieu,
et
légitime,
sa condamnation,
d'être reconnu. Millier
et Bell,
il
intan-
gagnait
obscurs délégués
d'une Allemagne vaincue, pensaient-ils à ce que
la défaite laissait survivre d'essentiel.»^ Peut-être,
pour beaucoup des assistants
et des juges, était-
ce une jouissance de voir le redoutable
de Guillaume
II
Empire
humilié dans la personne d'un
intellectuel socialiste et
d'un avoué de province.
La voix brève de M.
Clemenceau ajoutait à
38
co^•sÉQUE^•CES politiques de la paix
rimmiliation
<(
:
Il
est bien
entendu, Messieurs
délégués allemands, que tous les engagements
les
que vous
allez
signer devront être tenus inté-
gralement et loyalement.
)>
Nous entendrons tou-
jours ce verbe tranchant, et les deux la, indifférents
et
mous, qui sortirent de
Muller et de Bell, conduits
par
le
chef du
bouche de
la
comme
des automates
Faible voix.
protocole.
Débile
garantie. Qu'est-ce que Muller et Bell pouvaient
mou-
engager.^ Le traité de Versailles mettait en
vement des
forces
qui
échappaient déjà à la
volonté de ses auteurs.
Une paix trop douce pour
dès
qu'ellô
donné
cette
avait
définition.
nous en avions
On verra
qu'elle
reste
Le
traité
juste et qu'elle a résisté à l'expérience.
enlève tout à l'Allemagne, sauf
la
le principal,
sauf
puissance politique, génératrice de toutes
autres.
Il
croit
supprimer
les
les
moyens de nuire
que l'Allemagne possédait en 1914.
le
dur
ce qu'elle a de
été connue,
lui
accorde
premier de ces moyens, celui qui doit
lui per-
mettre de reconstituer les autres,
Il
l'Etat,
un Etat
central, qui dispose des ressources et des forces
de GO millions d'êtres humains
service de leurs passions.
et
qui sera au
39
CARACTÈRES DE LA PAIX
Le
traité
laisse
et
Hugo Stinnes
et
forces
ces
sur
avant-hier,
représentaient
Bell
nom
ressources
ces
seul gouvernement, que Mûller
aux mains d'un
dont
pesait hier,
la
lequel
figure et le
prochains nous sont inconnus, mais qui est
toujours l'héritier de l'Etat prussien. Quant
aux
passions, passions nationales, passions humaines,
instincts
mand,
naturels
le traité
animaux du peuple
et
alle-
contient tout ce qu'il faut pour
les surexciter.
La garantie
qu'il
se
vante
désarmement. Les auteurs de
sonné ainsi
la
:
d'offrir,
la
c'est
paix ont
le
rai-
possession d'une force militaire
excessive a poussé l'Allemagne à la guerre et à
la conquête.
Une Allemagne qui n'aura
drapeaux qu'une cen-
droit de conserver sous les
taine de mille
hommes,
juste ce qu'il lui faudra
pour maintenir l'ordre à
fique et inoffensive.
M. Lloyd George,
politique
«
l'intérieur,
sera paci-
L'armée allemande, a
était
prussienne.
plus le
Il
la
clef
fallait
dit
de voûte de la
l'éparpiller,
la
dissoudre, la désarmer, la mettre dans l'impossibilité
de se rassembler de nouveau, rendre im-
possible l'équipement d'une
armée semblable.
»
Alors ce serait assez. L'Allemagne ne serait plus
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
40
rAllemagne. Faible raisonnement, indigne d'un
homme
sujet
Napoléon avait
d'Etat.
de
curieux
Prusse,
la
que M.
M.
Wilson,
au
trouver
pourrait
l'on
et
même
fait le
Lloyd George
et
M. Clemenceau eussent renouvelé l'erreur de ce
militaire-type
si
Napoléon n'avait pris
ses idées
générales au xvm® siècle, c'est-à-dire aux
mêmes
sources qu'eux.
C'est la nature
même
de la Prusse, pays de
colonisation et de conquête, qui a créé le mili-
tarisme prussien. Les chevaliers de l'Ordre teu-
tonique ont précédé les Hohenzollern.
légué
un besoin
et
Ils
un instrument. Sur
tières incertaines et toujours disputées
leur ont
les fron-
du germa-
nisme et du slavisme, dans un pays sans limites
ouvert
naturelles,
militaire est
une
aux quatre
nécessité.
vents,
la
Le Ileimatschutz
force
s'est
constitué sous nos yeux par une création presque
spontanée,
comme un
Ordre teutonique de
la
démocratie. Les débris de l'ancienne armée impériale,
les
bandes dérobées au licenciement ont
trouvé refuge dans les territoires des confins, en
Prusse occidentale et orientale. Peut-être do nouvelles
naître
formes de militarisme sont-elles en train de
là.
Il
ne
manquera que
l'occasion
et
CARACTÈRES DE LA PAIX
l'homme qui mettront
ment. Si Stein
et
41
ce militarisme en
mouve-
Scharnhorst avaient réorganisé
une armée prussienne avec des principes nouveaux,
major Schill avait pris sur
le
l'esprit
ler
guerrier.
lui
de réveil-
après léna,
Pourtant,
la
Prusse avait été désarmée. Mais l'Etat prussien
subsistait.
Il
interdictions
s'était remilitarisé
en cinq ans. Les
du vainqueur avaient
ou violées jusqu'au jour
oii,
les
dant, l'armée prussienne eut la
été tournées
circonstances ai-
même
légitimité
que l'Etat prussien.
La Prusse d'aujourd'hui,
Le
traité
de Versailles
les
l'Allemagne.
c'est
confond. Et ce que
ressent la Prusse, l'Allemagne doit le ressentir
Le désarmement qu'ordonne
aussi.
Versailles est une garantie encore plus faible
celui
—
que
que Napoléon lui-même n'avait pu obtenir,
et
pourtant Napoléon était entré à Berlin.
ne faut pas oublier en outre que
prussien, avant d'être
un
de
le traité
péril
dompté
un
le
militarisme
péril européen,
allemand. Jusqu'en 1866, où
les résistances, le
Il
il
a été
avait
militarisme prussien a
trouvé des limites ou un correctif dans la constitution
môme
de l'Allemagne, dans l'équilibre des
forces et dans les
mœurs
qui résultaient du régime
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
42
En
fédéral.
des
1813,
de
ressources
militarisme ne disposait que
le
Prusse frédéricienne,
la
en
1870, des ressources de la Prusse bismarckienne.
Pour sa renaissance,
il
aura
celles
de tout l'Em-
pire allemand, tel que le Iraité de Versailles l'a
reconnu
'*
et consacré.
La paix a conservé
et resserré l'unité
de l'Etat
allemand. Voilà ce qu'elle a de doux. Cette concession essentielle n'aggrave pas seulement, pour
le
désarmement,
les difficultés
Nous répétons que
la
de la surveillance.
puissance politique engendre
toutes les autres et
un Etat de soixante millions
d'hommes,
nombreux de l'Europe
le
plus
occi-
dentale et centrale, possède dès maintenant cette
puissance politique. Tôt ou tard, l'Allemagne sera
tentée d'en user. Elle y sera
les justes duretés
que
même
poussée par
les Alliés ont mises
dans
les
autres parties de l'acte de Versailles. Tout est
disposé pour faire sentir à GO millions d'Alle-
mands
qu'ils subissaient
ment, un
donner
les
en commun, indivisible-
sort pénible. Tout est disposé pour leur
l'idée et la faculté do s'en affranchir, et
entraves elles-mêmes serviront de stimulants.
43
CARACTÈRES DE LA PAIX
Qu'est-ce qui peut être
le
plus douloureux pour
Allemands vaincus? Qu'est-ce qui peut
les
inciter
davantage à
ou
qu'ils perdent
Les deux, au
la libération
les
même
lient les provinces
Les territoires
P
réparations qu'ils doivent?
degré
et
même
au
Saxon à conserver
tous deux restant citoyens du
unique pays. Sous prétexte que
serait meilleure, le traité a
également solidaires de
risés aussi
dans
Ils
titre.
à l'argent et un Badois se sent
aussi intéressé qu'un
Silésie,
les
rendu
la dette.
Haute-
même
et
créance en
la
les
On
la
Allemands
les a solida-
la protestation. Silésie,
Posnanie,
Dantzig étaient des conquêtes de la Prusse qui
n'intéressaient,
il
y a encore un demi-siècle, que
les vrais Prussiens.
un
homme
l'homme de
<(
La perte en
est ressentie
par
de Stuttgart ou de Munich, parce que
Stuttgart ou de
Munich
Wurtembergeois ou Bavarois,
je
se
dira
possède
et je
comme si j'étais Prussien. Notre actif est
même que notre passif. Tout ce qu'on prend à
Prusse on le prend à l'Allemagne. On me
dois
:
le
la.
le
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
44
prend. Ce que nous reprendrons, nous
drons ensemble aussi.
sonner de
» Ils
repren-
sont 60 millions à rai-
même
rivés à la
la sorte,
le
chaîne des
réparations,
mais qui s'apercevront mieux de
leur force à
mesure que
le traité leur
donne une obligation commune, un
commun
intérêt
temps passera. Car
le
un Etat commun,
et
l'espoir à
travers le désespoir.
Pendant plus d'une génération,
devront
payer
un
payer
tribut
principal
le tribut
tiers
aux
Allemands
les
Alliés.
Ils
devront
aux Français qui sont
de moins qu'eux
:
quarante millions
de Français ont pour débiteurs soixante millions
d'Allemands dont
la
éteinte avant trente années,
être.
dette
ne peut être
un demi-siècle peut-
Des enfants qui ne sont pas encore nés, qui
n'auront connu la guerre que par ouï-dire, par
une légende dont
(«
le
caractère se laisse déjà deviner
nous n'avons pas
seront arrivés à l'âge
de leur travail,
il
été vaincus »),
d'hommes
et,
ces enfants
sur le produit
leur faudra encore prélever la
part des réparations. Quelles garanties, quelles
précautions eût appelées cette formidable créance!
Au moins que
ces millions de créatures ne fussent
pas attachées au
même
boulet, avec
un
seul gou-
45
CARACTÈRES DE LA PAIX
vernement, peut-être demain un seul chef, pour
les dresser
à briser leur chaîne.
Maintenant, regardez
velle,
yeux,
au moment
si,
elle
oii
la carte
de l'Europe nou-
ce livre
tombera sous vos
n'a pas été déchirée, bouleversée en
plusieurs de ses parties. L'Allemagne est sérieu-
sement rognée. Nous l'avons
elle
dit tout
perd environ 100.000 kilomètres carrés, un
cinquième de sa superficie. Mais
A
oii les
perd-elle.*
l'Est surtout, sur sa frontière polonaise. L'Al-
sace-Lorraine,
du Slesvig
:
Eupen
Malmédy,
et
faible Etat polonais,
est sous la
Silésie.
la
zone nord
légères amputations auprès de celles
que l'Empire subit de l'autre
Il
à l'heure,
il
côté.
Au
jeune et
a dû rendre la Posnanie.
menace de
Haute-
lui restituer la
Et Dantzig forme la sortie du couloir qui
sépare désormais la Prusse orientale de la Prusse
occidentale,
comme au
au temps où
qu'un
royaume
«
siècle,
pas
comme
royaume de Frédéric
de
lisières »,
que
Les Alliés n'ont pas dissocié,
raillait.
même
le
dix-huitième
fédéralisé
l'Allemagne.
Ils
n'était
Voltaire
ils
qu'on ne revenait pas sur l'évolution de
toire.
Et
ils
n'ont
ont
dit
l'his-
y sont revenus sur un point. Quel
point! Kœnigsberg, la ville de Kant, la ville oii
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
46
le
premier
roi
de Prusse s'était lui-même cou-
ronné. L'Etat prussien du temps jadis,
si
mal
conformé,
paient trois marteaux
Kœnigsberg ne
le
enclumes que frap-
trois
<(
n'avait eu de cesse que
»,
soudé au reste du royaume
fût
corridor polonais fermé. Et
a
sailles
rétabli
en laissant
si faible,
de
l'îlot
subsister
la
le
de Ver-
traité
Prusse
et
orientale
une grande Prusse-Alle-
magne! Nous examinerons, au chapitre suivant,
les
effets
psychologiques et politiques de cette
demi-mesure
si
gravement inconsidérée.
On ne peut donc pas dire que le traité ne démembre pas l'Allemagne. Il la démembre nettement à
l'Est,
à un point sensible, très loin de
prise des Alliés.
Pologne,
de vingt
Il
trois fois
fois
moins
la
démembre au
profit
moins peuplée qu'elle
forte
si
l'on tient
de
la
la
et plus
compte des
faiblesses intimes de l'Etat polonais et des périls
qu'il court.
lante.
Regardez encore
un animal méchant,
griffe
cette carte si par-
Accroupie au milieu de l'Europe
l'Allemagne
n'a
à étendre pour réunir de nouveau
Kœnigsberg, Dans ce signe,
les
l'extrême rigueur,
il
qu'une
l'îlot
de
prochains mal-
heurs de la Pologne et de l'Europe sont
A
comme
inscrits.
pouvait être admis que,
47
CARACTÈRES DE LA PAIX
le flanc occraental,
sur
en respect par
par
loin,
la
la
l'unité allemande, tenue
France, par la Belgique,
et,
au
garantie anglo-américaine, ne serait
plus dangereuse ou que
le
danger serait
faible,
incertain, qu'il serait facile de le conjurer. Peutêtre.
L'expérience était pourtant bien dangereuse,
car,
à cette Allemagne, toujours apte à redevenir
un puissant
Etat,
nous avons tant de charges,
tant d'obligations à imposer, qu'elle supportera
impatiemment!
Mais
les
auteurs
de
paix
la
ne paraissent pas avoir pensé que, sur l'autre versant,
il
mand
n'y avait rien et que
ferait basculer leur
Pour que
l'Est de
ne
fallait
sur eux.
que
ou ressuscites à
l'Allemagne pussent grandir, s'organiser,
passer par les maladies
crises de la croissance
il
gros poids alle-
Europe dans ce trou.
les petits Etats suscités
développer,
se
le
dans une
et
les
sécurité relative,
pas qu'une énorme Allemagne pesât
La politique des
nationalités, encore plus
la politique d'équilibré, exigeait la dissocia-
tion de l'Allemagne.
De
petits Etats
ne sont pas
en sécurité auprès d'un seul resté grand.
Il
semble que
les
auteurs de la paix aient cru
qu'ils avaient réussi à concilier le principe des
nationalités et celui de l'équilibre,
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
puisque
4
les
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
48
peuples affranchis de l'Est sont chargés d'équilibrer la masse allemande. C'est un problème de
mécanique résolu par une métaphore,
«
ceinture
magne
»
ou de
Et encore
de la
l'Alle-
D'un chapelet de Serbies.
I
Regardez toujours
vous .un instant à
hommes
De quoi
la « barrière ».
est-elle ceinte.^
celle
cette carte étrange. Mettez-
la place
dans
et
la tête des
qui habitent ces Etats nouveaux. Pour
eux, l'Allemagne ne peut être que menace ou
attraction. Entre la soumission et la lutte,
n'y
il
a pas de milieu. Pour la Pologne, aucun choix,
c'est la lutte, et
à mort. Mais l'Etat tchéco-slo-
vaque? Loin d'entourer
germanisme qui
le
germanisme,
l'entoure,
c'est le
l'empêche,
qui
s'il
veut, de respirer, qui tient à sa discrétion son
commerce
et ses industries. Et puis,
craindrons pas, dans ce
— nous
de répéter des
livre,
ne
faits
élémentaires, mais qu'il importe d'avoir à tout
moment
lions
présents à l'esprit,
—
y a trois mil-
il
d'Allemands en Bohême. Une guerre avec
l'Allemagne serait
vaquie.
le
suicide de la Tchéco-Slo-
Une extrême prudence
gouvernement de Prague. Et
est
la
ordonnée au
prudence s'ap-
pelle neutralité. Et la neutralité inconditionnelle.
49
CARACTÈRES DE LA PAIX
s'appelle
absolue,
l'assujettissement.
bientôt
Plus au sud, c'est
pis.
Voilà
l'
un
Autriche,
Elle seule est
morceau d'Allemagne authentique.
détachée de l'unité allemande. Si l'on en détache
l'Autriche,
autres
n'y a pas de raison pour que les
il
resserrées
soient
parties
de
autour
la
Prusse. Si Vienne reste la capitale de l'Autriche,
il
n'y a pas de raison pour que la Bavière et
le
Wurtemberg gravitent autour de Berlin. Et du
moment qu'on
pendante,
ceaux
il
voulait créer une Autriche indé-
fallait qu'il
d'Allemagne
est à la portée
du
y eût aussi d'autres mor-
indépendants.
principal.
L'accessoire
Trop grande tentation
pour l'Allemagne de réincorporer à
allemande
les
le
monde un
surnomme
Vienne de rejoindre une
vaste et puissante. Déjà,
objet de dérision
ou de
il
pour
est
pitié.
On
le
l'Etat avorton. S'il était entouré d'au-
tres Etats de sa taille
(il
compte à peu près autant
d'habitants que la Belgique),
cule.
patrie
pays autrichiens. Trop grande ten-
tation pour l'Etat de
communauté
la
il
ne serait pas
ridi-
Mais cet unique petit groupe allemand, au-
près du colosse germanique, personne ne
le
prend
au sérieux.
Pologne,
Tchéco-Slovaquie,
Autriche
suppo-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
50
LA.
PAIX
saieiit,
pour durer,
d'elles
une grande Allemagne. L'existence
qu'il n'y aurait pas à côté
et la
sécurité de ces petits Etats supposaient d'autres
petits Etats.
se trouve
môme
Aucune considération de
dans
le traité
pas qu'à aucun
de Versailles.
moment
les
ce genre ne
Il
n'apparaît
auteurs de la
paix aient songé à ces questions d'équilibre. Le
traité
de Versailles n'est pas un traité politique.
La politique consiste essentiellement à
Le
traité
du 28 juin
imprévoyance.
Il
est
remarquable par son
accumule
les
renvoie les solutions à plus tard.
nir des litiges et des procès,
l'Allemagne, mais avec nos
l'Allemagne dans quinze
alliances.^
Cependant
prévoir.
difficultés
Il
et
il
lègue à l'ave-
non seulement avec
alliés.
ans.*^
Où
Où en
sera
en seront nos
cette date est celle
où
l'oc-
cupation de la troisième zone, celle de Mayence,
doit prendre
ments. Et
fm
si
comme
l'Allemagne a tenu ses engageelle est déjà
en faute, la thèse
française est que les délais sont suspendus. Cette
thèse sera-t-elle admise partout.^
donnera-t-elle
lieu.'^
A
quels conflits
Mais l'année 1935
est
encore
CARACTÈRES DE LA PAIX
celle
où un plébiscite décidera
si
le
51
bassin de la
Sarre reste à la France ou à l'Allemagne. Et,
le
si
plébiscite se prononce contre nous, l'Allemagne
devra payer
le
prix des mines dont
le traité
rend propriétaires. Grandes complications.
A
nous
quel
point seront-elles accrues par l'état où sera alors
l'Europe et par l'état où sera l'Allemagne.^ Quel
moment le
Nous sommes
sera à ce
sence.^
rapport des forces en préréduits
aux conjectures. De
grands problèmes sont livrés au hasard.
Sans doute une paix aussi générale, embrassant autant d'objets que celle de 1919,
devait
comporter une part d'incertitude.
devait
être
une
phalie
<(
création continue
».
Elle
La paix de West-
elle-même n'avait pas échappé à cette
nécessité,
donné un
puisqu'elle avait
droit
de
garantie à la France et à son alliée du Nord, la
Suède, d'ailleurs devenue bientôt incapable de
l'exercer.
Mais à quoi
la
garantie des traités de
Westphalie s'appliquait-elle
.^
A
quelque chose de
relativement simple, à quelque chose de
statut
clair,
au
du corps germanique qu'aucune puissance
allemande ne devait pouvoir dominer. Ce principe était absolu.
Il
était invariable et
d'une inter-
prétation qui ne laissait pas de place au doute.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
52
La garantie des
à une foule de questions de détail qui prê-
traire,
tent
aux controverses
l'avons vu pour
et
au con-
Alliés de 1919 s'applique,
nous
le
le
aux transactions
et
charbon à
nous
:
la conférence de
Spa
verrons encore. Quant au premier des
points, celui qui tient le reste en sa dépendance,
l'équilibre des forces, c'est
n'est
même
Cette omission
C'est
caractère.
au contraire
donne à
paix son principal
la
une paix qui n'a pas voulu
Le respect de
chercher à réaliser l'équilibre.
l'unité
celui qui
pas considéré.
allemande conduisait
Et toutes les
là.
autres conséquences en découlent et en découleront.
La plus grave
pour
est,
tien de la paix armée, la
la
France,
le
main-
possession d'une grande
force militaire nous restant indispensable,
pour notre
sécurité, soit
que l'inexécution du
Un an
fort.
les
gages
traité rendrait nécessaires.
d'expérience a déjà montré que l'occupa-
tion de la rive gauche
sante.
pour prendre
soit
Il
La
du Rhin
a fallu une première
saisie
du bassin de
n'était pas suffi-
fois aller
la
à Franc-
Ruhr a dû
avenant
de Spa.
être
On
donnée pour sanction à
1'
peut dire que
de Versailles organise la
le traité
guerre éternelle.
«
.
»
...
53
CARACTÈRES DE LA PAIX
Il
ne nous a
même
pas mis dans de très bonnes
conditions pour la soutenir.
nous rend,
c'est celle
d'invasion,
La
frontière qu'il
de 1870. C'est une frontière
dessinée en 1815 contre la France.
L'avis des chefs militaires qui demandaient une
stratégique
frontière
n'a
pas
retenu.
été
Là-
dessus, les « techniciens » n'ont pas été écoutés.
Deux exemples
historiques prouvent cependant
dans ces
qu'il y a profit à écouter les techniciens
« Ici je
»,
En
Vénétie,
:
il
a ses raisons, ses raisons techni-
1866, lorsque l'Autriche avait cédé la
l'
état-major
autrichien
avait
nouvelles limites de l'Empire. Résultat
ans
trois
dit
puis assurer la défense, et là je ne puis
l'assurer
ques.
Quand un état-major
de matières.
sortes
il
a
faibles forces
ses crêtes,
suffi
fixé
:
les
pendant
à l'Empire austro-hongrois de
pour briser l'élan des
de ses cols alpestres,
lancé ses troupes sur
le
Italiens et, de
a deux fois
il
chemin de
la
Lombardie.
En 1871, l'état-major prussien avait voulu garder
Metz.
Il
eut gain de cause. Et c'est pourquoi, en
1914, nous n'avons
même
En revanche, Bismarck
pas pu défendre Briey.
avait passé sur l'opposi-
tion de Moltke et nous avait laissé la trouée de Belfort
:
nous sommes entrés dans
le
Sundgau dès
54
CONSEQUENCES POLITIQUES DE
1914
et
nous y sommes toujours
LA.
PAIX
comme
restés,
Moltke l'avait prédit.
Puisque
la
France demeurait en contact avec
une grande Allemagne,
il
lui
fallait
au moins
une frontière rationnelle, une frontière conforme
à cette politique. Nous ne l'avons pas eue.
A
la
sécurité terrestre, naturelle, stratégique, qui ne
pouvait elle-même que suppléer à l'absence de
sécurité politique, ont été substituées des précau-
tions juridiques,
magne
des interdictions
d'entretenir
gauche du Rhin
et
celles
l'Alle-
sur
la rive
garnisons
dans une zone de 50 kilomètres
sur la rive droite.
comme
des
pour
Il
est clair
que ces clauses,
du désarmement en général, vau-
dront autant que
les circonstances,
rapport des forces entre
autant que
le
les Etats. C'est toujours
à l'équilibre des forces, à l'équilibre politique
qu'on se trouve- ramené.
C'est peut-être parce qu'il était l'adversaire et
le
négateur du principe classique do l'équilibre
que
la
le
président Wilson a voulu que
Société des Nations précédât et
le traité
tés.
de Versailles
comme
le
commandât
tous les autres trai-
Qu'est-ce que la Société des Nations
libre irréel
au
pacte de
lieu de l'équilibre réel.
.î*
L'équi-
La
Société
55
CARACTÈRES DE LA PAIX
des Nations nîï l'équilibre qu'on peut appeler
n'admet pas de disproportion
subjectif, celui qui
entre Etats voisins ou exposés à des conflits. Elle
sulte des
d'alliances. Elle prétend
combinaisons
rendre l'un
les
et l'autre inutiles
charge d'établir
Le jour
en assumant
la justice entre les peuples,
faire respecter le droit et
rêts.
qui ré-
celui
nie également l'équilibre objectif,
d'harmoniser
la
de
les inté-
l'Allemagne sera jugée digne
oii
d'entrer dans l'association, ce jour-là,
système wilsonien,
la
selon le
paix n'aura plus besoin
d'une autre garantie.
Un
seul article,
avait
un sens net
dans
le
pacte de la Société,
et positif.
celui par lequel les
C'était l'article 10,
membres de
la
Ligue s'en-
gageaient entre eux à protéger et à défendre leur
intégrité territoriale et leur indépendance.
Unique
de son espèce, une grande assemblée politique,
le Sénat de Washington, a eu le courage et la
franchise de dire tout haut qu'elle rejetait
pareil fardeau et
ments
et
les
un
un pareil devoir. Les gouverne-
parlements qui
les
ont acceptés
n'étaient pas sincères et ne se croyaient pas réel-
lement tenus par un
ils
si
vaste engagement ou bien
n'en avaient pas mesuré l'étendue. En repous-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
56
sant l'article 10,
une
illusion.
Il
le
Sénat de Washington a détruit
un immense
a rendu
Chaque peuple, désormais,
service.
doit chercher sa voie
et sa politique selon les données de l'expérience
ordinaire.
Il
les
confusion que
cherchera au milieu d'une vaste
le traité
de Versailles n'a pas créée
tout entière, mais qu'il a aggravée pour une part
considérable avec ses appendices, les traités de
Saint-Germain,
de
Neuilly,
de
Trianon
et
Sèvres.
A
de
i
travers ce chaos, la politique de la
comme
reste dominée,
avant 1914, par
blème allemand. La paix ne
France
le
pro-
l'en a pas soulagée.
Quelle sera désormais la nature de nos rapports
avec r Allemagne.»^ C'est
tions. C'est le
pas de doute.
échappé à
la
bout de
Il
la
première des ques-
la chaîne. Et là,
il
n'y a
n'y a pas de choix. Si nous avons
dépendance de l'Allemagne, nous
restons dans la dépendance du problème alle-
mand.
CHAPITRE
III
CE OUI A SAUVÉ L'UNITÉ ALLEMANDE
Tout
le
monde
est
^
aujourd'hui d'accord pour
regretter que l'Allemagne vaincue ait conservé
son unité politique, c'est-à-dire
principal ré-
le
sultat des anciennes victoires militaires de la
Prusse. Les négociateurs français
le
nient pas
:
il
eût
mieux valu que
mande ne survécût pas à
Sadowa)
:
du mot de Thiers
«
européenne
On ne
(six
conteste plus
semaine avant
Le plus grand principe de
est
l'unité alle-
notre victoire. M. Tar-
dieu plaide la force majeure.
la justesse
eux-mêmes ne
que l'Allemagne
la politique
soit
d'Etats indépendants, liés entre eux par
lien fédératif. »
composée
un simple
M. Tardieu a seulement allégué
que M. Clemenceau
et ses collaborateurs s'étaient
heurtés à des impossibilités dont la principale
était l'opposition
de nos
alliés
et
les
principes
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA
58
généraux énoncés par M. Wilson
PA.IX
et acceptés
par
tous, sur lesquels a été fondée la paix.
Nous
laissons de côté la question de savoir
principes étaient intangibles et
ces
si
si
con-
la
version de M. Wilson ne pouvait être tentée. Le
gouvernement
britannique
exemple, l'abandon de
gouvernement
obtenu,
avait
par
des mers. Le
la liberté
français, à l'heure oij les positions
furent prises, c'est-à-dire entre l'armistice et la
réunion de la Conférence, n'aurait-il pas obtenu,
en présentant
lui aussi,
bles,
de
que
le
côté.»* Il
les
arguments convena-
respect de l'unité allemande fût laissé
n'y a eu aucune tentative de ce genre,
et la raison
en
est simple. C'est
que
principe de la politique européenne
Thiers était absent des esprits.
blement obscurci sous
le
peut dire que, de nos jours,
l'état
Il
»
le
«
grand
dont parlait
était déjà terri-
Second Empire. On
il
ne vivait plus qu'à
de souvenir historique chez un très petit
nombre de personnes
qui n'étaient pas de celles à
qui la charge de conduire les négociations était
confiée. Si tel
ou
tel
des
membres de
française a eu, à de certains
de
la politique
la
délégation
moments, une lueur
à suivre, ce ne furent que des vel-
léités aussi tardives
que passagères. Le cœur n'y
CE QUI A SAUVÉ l'u>'ITÉ ALLEMANDE
Les idées non plus,
était pas.
les
59
idées encore
moins. Avant ~et pendant la guerre, M. Clemenceau a eu l'occasion d'exposer
les siennes. Il les
a réunies dans un livre sur l'Allemagne qui respire
un patriotisme
quelque
chose
homme
d'Etat.
sincère.
On y cherche en vain
ressemble
qui
aux vues
M. André Tardieu, dans ses mémoires
d'un
justifi-
rappelle qu'aucun des gouvernements qui
catifs,
ont précédé celui de M. Clemenceau n'avait inscrit,
même
dans ses documents secrets,
sion de r Allemagne au
guerre.
Cependant
il
la divi-
nombre de nos buts de
en avait été question au
cours de conversations particulières avec l'empereur Nicolas
idée.
II,
qui acceptait parfaitement cette
Preuve qu'elle
était
capable de déterminer
des adhésions, car elle n'était pas dans les traditions de la cour de Russie qui, au
moins depuis
la
guerre de Crimée, ne s'était jamais opposée aux
progrès de l'unité allemande et ne l'avait pas contestée en 1871.
Il
Mais M.' André Tardieu a raison.
n'y avait eu en ce sens, pendant la guerre, que
des tentatives isolées, des rayons de lumière fugitifs.
Ni en 1916, au
alliés avaient
moment
oii
les
principaux
conclu leurs accords en vue de
la
60
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
victoire, ni
en 1917, lorsqu'en réponse à
de paix de l'Allemagne
buts de guerre,
l'Allemagne à
1916 plaçaient
il
l'offre
avaient défini leurs
ils
n'avait été question de ramener
l'état
même
fédératif.
la rive
Les accords de
gauche du Rhin sous
notre influence sans prendre garde que le reste
des pays allemands demeurerait centralisé sous
la direction
de la Prusse, en sorte que cette com-
binaison avait
Napoléon
les
mêmes
défauts que celles de
III.
Tout ce que M. André Tardieu a réussi à prouver, c'est
que l'Etat français, pendant
la guerre,
n'a eu ni doctrines ni principes sur les affaires
d'Allemagne. L'orateur qui, à
la
Chambre, eût
parlé des traités de Westphalie, n'eût pas eu plus
de succès que Thiers en 18G6. Ceux qui en parlaient dans des livres
le
suffrage des
ou dans
hommes
la presse
cultivés, et
obtenaient
M. Paul Des-
chanel, par exemple, ne marchandait pas le sien.
Mais ces idées étaient sans doute trop neuves ou
bien elles venaient de trop loin et elles supposaient une préparation trop peu répandue pour en-
traîner des convictions efficaces. Partout ailleurs,
elles étaient
tournées en dérision. Le pouvoir, à
qui elles étaient étrangères uu trop nouvelles, ne
CE QUI K SAUVÉ l'uMTÉ ALLEMANDE
les
eût partagées et mises en
œuvre que
61
si elles
avaient conquît l'esprit public. La conquête de
demande des
l'esprit public
Elle est seulement
efforts et
commencée.
Il
du temps.
y a fallu l'ex-
périence de la paix, et c'est peut-être bien tard.
On
était
dira sans doute que, pendant la guerre,
il
imprudent de menacer l'Allemagne d'une
dissociation et que cette
menace n'eût
resserrer l'union nationale.
pu empêcher
servi qu'à
La même raison eût
aussi de proclamer que la lutte se-
rait poursuivie jusqu'à la victoire complète, jus-
qu'à ce que l'Allemagne fût à genoux. Elle eût
pu empêcher de promettre à Guillaume
II le
der-
nier supplice, car, jusqu'aux dernières semaines
de la guerre,
le
Quand
atteint.
Guillaume
11.^
prestige de l'empereur n'était pas
les
Quand
Allemands
ils
ont-ils
renversé
ont compris que la chute
des Hohenzollern était nécessaire pour obtenir la
paix.
Au début
de novembre, Scheidemann et les
socialistes majoritaires hésitaient encore.
Il
est
probable que
Ye
même
résultat eût été
l'Entente eût annoncé qu'elle accorde-
atteint
si
rait la
paix quand l'Allemagne aurait brisé son
unité, et alors seulement. Peut-être cette déclara-
tion eût-elle été accueillie d'abord avec mépris,
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
62
même
avec une indignation
sincère. Aussi long-
temps que l'Allemagne a cru à
la victoire,
n'a pas consenti à renier Guillaume
à renoncer au
elle
gage
»
de
la Belgique.
disait encore « jamais!
Avec
raine.
fait
<(
II,
»
pour
elle
ni
même
En
1918,
Alsace-Lor-
l'
progrès de nos armes, l'idée eût
le
du chemin. Nous savons aujourd'hui que,
bien avant l'armistice, la Bavière était lasse et
que
le
roi
mieux vaudrait
fût-il
passé
III
commençait à penser que
tirer
son épingle du jeu. Que se
Louis
si
montrée aux
cette issue avait été
Allemands.!^ Personne ne peut dire qu'ils n'au-
raient pas renoncé à leur unité aussi facilement
qu'ils ont
renoncé à leur monarchie.
Il
n'était
pas non plus impossible de leur démontrer que
leur unité était la cause de leurs malheurs et des
nôtres,
autant que
responsables. Pour
les
le
Hohenzollern en étaient
démontrer,
eût fallu
il
le
savoir.
Les Alliés avaient dénoncé
prussien
»
l'Europe et
et l'autocratie
les
«
militarisme
les
ennemis do
le
comme
auteurs de la guerre.
Il
n'était pas
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
non seulement que
entré dans leur esprit,
allemande
seils
et
de
mais encore qu'elle serait tou-
jours portée à recourir
Il
l'unité
l'œuvre de ce militarisme
était
cette autocratie,
créée.
63
aux moyens qui l'avaient
n'y a eu à aucun moment, dans les con-
des Alliés, d'examen raisonné de la question
d'Allemagne. Les causes historiques de la catastrophe européenne,
n'ont
qui éclairaient tout,
pas retenu l'attention d'hommes d'Etat que rien
n'avait préparés à ce genre d'étude. L'Allemagne
qu'ils avaient
Son unité
connue
était
était
regardée
une Allemagne
comme un
fait
unifiée.
qui d'ail-
leurs s'accordait avec le principe des nationalités
et le droit des peuples à disposer
Dans
l'édifice
Hohenzollern,
ses parties
ser
une
élevé
il
par
suffirait,
d'eux-mêmes.
Bismarck
et
par
après l'avoir réduit à
authentiquement allemandes, de verdose
certaine
de
démocratie.
Alors,
moyennant quelques précautions d'ordre
taire,
mili-
jusqu'à ce que la conversion du peuple
allemand
était
les
fût complète,'
humainement
de l'Europe
et le
on aurait
fait
ce qu'il
possible de faire pour la paix
progrès de l'humanité.
Nous ne traçons pas une caricature du
tême des Saxons
».
Ou
«
bap-
bien cette vue philoso-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
5
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
64
phique a dirigé
ils
négociateurs alliés ou bien
les
n'ont rien pensé du tout. De ce qui se disait
Clemenceau, on peut
dans l'entourage de M.
déduire que
le
chef du gouvernement français a
considéré l'unité allemande
mène dû à
comme un phéno-
l'évolution générale des peuples euro-
péens au dix-neuvième
siècle et sur lequel
on ne
pouvait revenir en vertu de cet adage qu'il n'y
a pas de régression.
M. Clemenceau n'était pas de
l'école qui en-
seigne à ménager l'ennemi. Son romantisme de
largement contribué à
la guerre, après avoir si
sauver la France, a
pire allemand.
comme
fini
par aider à sauver l'Em-
Le détour paraît imprévu. Mais,
le diable, le
romantisme
est logicien.
Au
fond, M. Clemenceau répugnait à distinguer entre
les
Allemands
réservait
tiel »
et c'est
sa sévérité.
à l'Allemagne en bloc qu'il
Un
traitement
«
différen-
appliqué aux Bavarois ou aux Rhénans l'eût
choqué deux
fois,
d'abord parce que
mands, formant un lout à
Alle-
les
ses yeux, étaient tous
également coupables; ensuite parce qu'une
tinction entre ces coupables tous
l'histoire
réalité
égaux eût
dis-
été de
ancienne et n'eût répondu à aucune
du temps présent
:
sur ce point non plus
CE QUI A SAUVE L UNITE ALLEMANDE
nous
croyons
ne
dénaturer
pas
sa
65
pensée.
Les idées de la génération républicaine à
la-
quelle appartient M. Clemenceau ont eu là leur
point de rencontre avec son vif patriotisme, son
brûlant sentiment de la guerre et de la culpabilité
des agresseurs. Mais, pour punir l'Allemagne,
comme au moment
eût fallu penser aussi,
il
oii
l'Autriche fut détruite, à ne pas nous punir nous-
mêmes. L'entourage de M. Clemenceau
s'efforçait
d'ailleurs de traduire en langage positif sa théo-
logie de l'évolution et sa doctrine de la vindicte.
Non pas une
fois,
mais dix, pendant
les négocia-
tions de paix, quelques-uns de ses collaborateurs
immédiats ont expliqué devant nous ou devant
des personnes dignes de confiance qui nous ont
rapporté leurs paroles, que les forces particularistes
n'existaient plus,
que
les
guelfes
hano-
vriens n'étaient qu'une poignée, « une demi-dou-
zaine
»,
qu'on ne revenait pas sur cinquante ans
d'histoire,
que
la
guerre et la défaite elle-même
avaient resserré l'unité allemande, enfin que cette
unité, après avoir été
morale
devenue économique, qu'elle
le
réseau
des
voies
ferrées,
et politique,
était
était constituée
des
canaux,
par
des
échanges, par l'organisation de l'industrie, et que
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
66
PAIX
LA.
réalisme ordonnait de tenir compte de ces
le
faits... Il
y a lieu de croire que M. Clemenceau ne
s'embarrassait pas de tant de raisons.
l'Allemagne une vue sommaire.
Il
Il
avait de
la jugeait d'as-
sez loin et sans se mettre en peine de ses caractères particuliers.
A
la
tribune,
peu de temps
avant l'armistice, lorsque Guillaume
à un
vieil
empereur germanique de
seurs, avait accordé
une
«
M. Clemenceau avait
jets,
semblable
II,
ses prédéces-
Bulle d'or
raillé cette
»
à ses su-
démocratie
impériale. Quelques mois plus tard, l'Assemblée
Weimar
de
l'idée
accouplait à l'Empire, dont
le
nom
et
étaient maintenus, une constitution répu-
blicaine où le
qu'une seule
mot de République
fois. Il
n'est prononcé
y a plus de variétés
et plus
de
contradictions dans les choses allemandes et dans
les
esprits allemands
faible connaissance et
La
dans
droite pure était
le
que n'en conçoivent une
une brève philosophie.
beaucoup moins nombreuse
Reichstag de 1912 que dans celui qui est
issu des élections
du 6 juin 1920. Pourtant
ce
Reichstag de la guerre avait répondu par une
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
67
manifestation indignée lorsqu'il était apparu que
l'Entente exigeait, pour accorder la paix à l'Alle-
magne, l'abdication de Guillaume
lemagne
jours eu
II.
Bientôt l'Al-
et les chefs militaires (qui
avaient tou-
un
parfait mépris
pour
le
souverain qu'ils
rendaient responsable de mille fautes et surtout
de n'avoir pas déclaré la guerre plus
monde
tôt),
tout le
arriva à la conviction que le sacrifice des
Hohenzollern
était nécessaire
pour échapper à une
catastrophe totale. Les Alliés ont-ils eu raison de
poser,
comme
Guillaume
II
.î>
condition préalable, la chute de
Un
célèbre journal radical anglais,
Manchester Guardian,
le
Guillaume
II,
du
nationalistes
l'a regretté depuis.
Si
a dit ce journal après les élections
6 juin, avait signé la paix de Ver-
sailles, c'est lui, et
démocrates, que
le
non pas
les socialistes et les
peuple allemand eût accusé de
ses
maux
les
plus perfides et les plus sûres. Ainsi,
et la réaction n'eût
pas trouvé ses armes
il
n'est
pas certain que la chute des Hohenzollern, au mo-
ment où
elle
s'est produite,
ait été
une bonne
chose pour l'avenir de la démocratie en Alle-
magne. Mais
et
la
chute de cette dynastie détestable,
que nous avons vu disparaître avec un profond
soulagement
et
un ardent
plaisir
de vengeance,
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
68
s'était
accompagnée de tout un écroulement de
trônes.
h
C'est
et petites dynaslies
passé
le
Au
contraire. Les
nous
moyennes
allemandes avaient été dans
support du particularisme.
versellement admis
que
écroulement-là
cet
n'avons rien gagné.
le
PAIX
LA.
Il
était uni-
qu'en cas de désastre, la désa-
grégation de l'Empire commencerait par les princes
allemands.
Bismarck
savait bien.
le
Aussi
l'Allemagne qu'il avait fondée reposait-elle sur
une double assurance contre
trifuges
»,
c'est-à-dire
la révolution.
les «
particularistes,
les
Hohenzollern, devaient
heureux de garder leur couronne sans
être trop
avoir à craindre de
mouvements
populaires, l'em-
pire de 1871 conciliant le principe
avec
le
monarchique
principe libéral et unitaire. Leur docilité
était certaine. Ils étaient intéressés
que do
et contre
les princes alle-
Dans son système,
mands, vassalisés par
tendances cen-
«
loyaux confédérés
à ne plus être
D'autre part, la
».
survivance des petites dynasties garantissait
les
Hohenzollern à leur tour contre une révolution.
Bismarck avait calculé que
raient
toujours
à
les
renverser
Allemands
l'
liésite-
empereur-roi
de
Berlin parce qu'une révolution en Prusse libérerait les princes
du Sud
et
annoncerait la
fin
de
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
Pour que
l'unité allemande.
zollern pût avoir lieu sans
il
que
fallait
remplie
:
la
la
69
chute des Hohen-
dommages pour
l'unité,
condition extraordinaire fût
cette
chute préalable de tous les autres
trônes allemands.
Ces choses étaient connues à Berlin. C'était un
A
pont aux ânes de
la politique
du moment
apparut au gouvernement impé-
rial
que
la
ovi
il
allemande.
partir
guerre menaçait de mal tourner, son
attention se fixa sur les deux périls de la révolution et
du particularisme, l'un devant accompa-
gner l'autre. Ce n'est pas par hasard que l'avantdernier chancelier de Guillaume
Hertling, président
dernier
le
prince
grand-ducal.
A
Max
du désastre,
allait
et des
il
magne
à l'Autriche
lern, tandis
que
il
L'œuvre de 1866
Un renversement
les
et
à la mo-
était sûr que, si la
à Berlin seulement,
se déchirerait.
serait anéantie.
de
l'Alle-
monarchies de l'Allemagne
allait
éclatait
et le
le souci
donc du côté de
narchie des Habsbourg, tant
révolution
comte
le
de Bade, héritier du trône
la veille
du Sud, comme
a été
du conseil en Bavière,
l'empereur allemand
magne du Sud,
II
Habsbourg,
et
l'Alle-
de 1871
des Hohenzol-
les
Wittelsbach
eussent été épargnés avec les autres dynasties ger-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
70
maniques, aurait eu des conséquences incalculables.
La
face et l'avenir de l'Europe eiaesent été
changés.
Guillaume
de
Les préoccupations
étaient
II
celles d'un empereur allemand. C'étaient celles
du nationalisme allemand
socialiste.
libéral,
dû
Elles auraient
démocrate ou
éclairer les
Alliés,
guider leur politique, surtout la politique française. Il
n'en fut rien. L'Entente ne voulut pas
distinguer. Elle exigea des peuples allemands
une
révolution intégrale. Elle exigea partout la démocratie.
Ce
La
fut le salut de l'unité allemande.
volution de novembre se
faire
pour que
dans
le désastre, les «
fit
comme
elle
la dissociation fût évitée,
prissent pas le dessus
pour que,
tendances centrifuges
:
Guillaume
II
ré-
devait se
tomba
le
»
ne
der-
nier. Militaires et parlementaires, pressés d'obte-
nir
un armistice avant
satisfaction
aux
la catastrophe et
Guillaume
Alliés, n'obligèrent
à fuir en Hollande qu'au
moment
de donner
oii le
II
sépara-
tisme parut conjuré grâce aux révolutions qui
avaient
commencé à Munich
condition
extraordinaire,
et
à Stuttgart. La
presque
invraisem-
blable, qui permettait de marier la république et
l'empire bismarckien, était remplie. Elle
l'était
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
71
conformément au programme que l'Entente avait
fixé.
La disparition des dynasties secondaires ne
rendait pas impossible une politique de dissociaElle la rendait infiniment
tion de l'Allemagne.
plus
Le particularisme personnifié par
difficile.
des princes nous eût
même.
et ils
fait
des avances de lui-
L'intérêt de ces princes les y eût engagés
moyens diplomatiques
eussent possédé les
nécessaires pour entrer en conversation. Imagi-
nons Guillaume
chassé de Berlin, tandis que
II
Charles I" reste à Vienne, Louis
l'autre Guillaume,
gart, etc. Aussitôt,
queur.
Ils
pour eux-mêmes
et
communique avec
ché pendant
III
ils
se tournent vers le vain-
cherchent
pour leurs peuples. Charles I"
Paris,
comme
les hostilités,
s'adresse
Ils
de la sécurité
des avantages,
lui
à Munich,
de Wurtemberg, à Stutt-
implorent sa protection.
à obtenir de
Louis
III
roi
il
l'a déjà cher-
par la cour de Madrid.
à Bruxelles et se souvient
qu'Albert I" a épousé une princesse bavaroise. Le
Wurtembergeois, moins bien placé parce que ses
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
72
parents
peuvent
ne
russes
plus
LA.
PAIX
à
servir
lui
grand'chose, trouve dans sa généalogie d'autres
intermédiaires.
De même pour
Badois et
moindres seigneurs. C'est à qui
les
se fera bien venir et
le
Saxon, pour
donnera des gages
le
le pre-
mier.
Après
le
raz de
marée de novembre 1918,
commodités n'existaient plus
ces
et la révolution alle-
mande, en raison de son caractère d'opportunité,
marchait dans un sens unificateur.
laissait le particularisme
d'action, subsistant
vague
et d'instinct
La
défaite
sans voix et sans moyens
quand même à
l'état
de désir
parce qu'il répond à la nature
des choses, mais dépourvu de l'instrument politique qui lui eût permis de se manifester.
cial-démocratie,
principale
journées de révolution trop
bénéficiaire
La
de
so-
ces
facile, travaillait d'ail-
leurs tout de suite dans le sens d'une centralisa-
tion renforcée. Le Vorwaerts l'avait dit le 3 no-
vembre
:
«
Plus l'empire est démocratique, plus
son unité devient sûre
d'attraction.
et plus
grande sa force
La grande Allemagne, qui déjà sem-
blait se faire en
1848 et dont
les
contours se des-
sinent de nouveau devant nous, avait été conçue
sous la forme d'un Etat démocratique.
»
Dans
la
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÊ ALLEMANDE
mesure où ces journées de novembre ont
blicaines, elles ont été favorables
lemagne
été répu-
à l'unité de
l'Al-
^.
la politique française s'en
Les conducteurs de
rendaient-ils
ment
73
compte? Leur
ailleurs. Ils pensaient
d'intervention
projets
toute leur attention eût
esprit était visible-
à l'on ne
sait
quels
en Russie à l'heure où
dû
se tourner vers l'Alle-
magne. Pas plus à ce moment-là qu'à aucun
moment
de la guerre,
ils
n'avaient de plan, parce
qu'ils n'avaient pas d'idée directrice.
Néanmoins,
on pouvait leur prêter l'intention de mettre
toire à profit
pire allemand.
des fautes,
cratie
il
la vic-
pour tenter une dissociation de l'Em-
Pour leur épargner des erreurs
et
importait de les avertir que la démo-
allemande ne travaillait pas dans ce sens-là,
qu'elle représentait
rable à l'unité,
Le
le
un courant historique favo-
même
d'où l'empire des Hohen-
juillet iguo, à l'Assembl.'e nationale de Vienne,
grand-allemand » Angerer (grand-allemand, c'està-dire partisan du rattachement de l'Autriche à l'Allemagne),
« Nous ne permettrons pas la restauration de la
déclarait
monarchie en Autriche parce qu'elle enterrerait pour toujours toute possibilité de rattachement. « On ne saurait
mieux dire que l'élément dynastique est essentiel au particularisme. Et ce qui est vrai de lAulriche l'est également
de la Bavière et des autres Etats allemands.
I.
le
député
'20
«
:
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
74
zollern était sorti.
l'œuvre de
de
Dans
le
mémorial
la délégation française
PAIX
LA.
défend
oij il
à la Conférence
M. André Tardieu, invoquant notre
la paix,
témoignage, affecte de croire que nous considérions alors
l'unité
nous
et
comme
pour
et
comme
impraticable pour
les Alliés toute politique
Nous
ce résultat.
les
impossible une dissociation de
allemande
conditions
avertissions,
au contraire, que
changées,
étaient
trompé du tout au tout
si
tendant à
qu'on se
fût
l'on avait cru que les
liens de l'unité avaient été relâchés par la révolu-
tion de
novembre
et que,
dissocier l'Allemagne,
il
par conséquent, pour
fallait
songer à d'autres
moyens.
L'avertissement
puisqu'il a été pris
nir
quand
il
était
certainement
comme un
était destiné
à exciter les imagina-
tions et à les rendre plus ingénieuses.
servi à rien de ne pas se rendre
magne de 1918
inutile,
conseil de s'abste-
Il
compte que
n'était plus celle de 1866
n'eût
l'Alle-
oh
les
princes germaniques se battaient contre la Prusse.
Il
n'était pas question
non plus de
faire
en Alle-
magne du séparatisme, comme nous disions, » sur
commando». Le séparatisme allemand n'a jamais
été
provoqué du dehors. Les expériences de Napo-
A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
CE QUI
75
léon I" ont été décisives à cet égard. La vraie
politique de la France consistait à favoriser les
mouvements de
naturellement à
sécession
qui
l'intérieur, et
se
produisaient
une instruction du
dix-huitième siècle au ministre de France accré-
germanique
dité près de la Diète
excellents
:
«
disait
en termes
Bien entendu que M, de Chavigny
évitera soigneusement de paraître jamais l'auteur
de ces sortes de mouvements; car
l'origine en fût
traires eussent
il
connue pour que des
lieu. »
politique française,
que
suffirait
effets
con-
Ce qui n'empêchait pas la
conformément à un principe
toujours maintenu depuis la paix de AVestphalie,
d'intervenir par tous les moyens, y compris ceux
de
la force,
sait
lorqu'un des Etats de l'Allemagne
mine de vouloir soumettre
et
rassembler
fai-
les
autres.
Il
n'était
même
pas besoin de connaissances
historiques pour retrojiver ces règles de conduite
aussi simples que sages.
Le bon sens y
D'ailleurs, le particularisme
cines
le
si
profondes,
il
suffisait.
allemand a des
ra-
commandé
par
est tellement
génie de la race et celui des lieux, qu'un philo-
sophe errant, un bohème
devenu par
le
politicien,
Kurt Eisner,
hasard des révolutions dictateur à
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
76
Munich, ne tardait pas à
France
se
tourner vers la
par des appels d'un idéalisme bizarre,
et,
cherchait à entrer en contact avec
ment
un
français.
Un
officier
allemand
gouverne-
le
le
comme
tua
chien.
« Il
m'a
fait
trop de bien pour en dire du mal.
»
Ainsi doivent penser les Français de Georges Cle-
menceau. Mais ses idées
et
son œuvre, qui en dé-
ont besoin d'être jugées.
coule,
Homme
de la
guerre, M. Clemenceau n'était pas préparé à la
paix.
Il
songeait à faire
le
plus de
mal possible à
l'Allemagne, et, là-dessus, Keynes, qui l'a
Conseil suprême, lui a rendu
tant.
Seulement sa haine
clairvoyante,
guer
l'esprit
les «
Le jour
même
le
écla-
n'était ni informée ni
rire
amèrement quand
ouvert leur demandait de distin-
Rhénans
atténuantes pour
un témoignage
à ces vieux briscards que
pareil
nous avons vus, à Mayence,
un chef à
vu au
»
oià,
des Prussiens.
plaidant les circonstances
le traité
de Versailles,
il
priait
Sénat de croire qu'il eût dissocié l'Allemagne
s'il
l'eût pu,
M. Clemenceau apportait
la
preuve
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
77
qu'il ne croyait pas à l'efficacité de cette dissociation.
Il
invoquait ses souvenirs de 1870 et
il
donnait en exemple la Bavière qui, non seulement
avait
tré
marché avec
la Prusse,
mais qui avait mon-
dans la guerre un férocité inoubliable.
Il
y a
pourtant d'autres choses que la politique ne doit
pas oublier.
En
1870, l'armée bavaroise, bien que
commandée par un
de
distincte
prince prussien, était encore
l'armée
prussienne.
Surtout
elle
n'avait reçu que dans une faible mesure le dres-
sage prussien. Son infériorité militaire était manifeste et c'est sur elle
que
les
Français rempor-
tèrent la plupart de leurs succès pendant la cam-
pagne. L'armée de la Bavière, en 1870, était à
de
celle
la
Prusse ce que l'armée autrichienne, en
1914, était à l'armée allemande.
dance des Etats allemands,
tème
fédéral,
Quand
même
l'indépen-
dans un sys-
ne servirait qu'à maintenir ces
dif-
férences et ces inégalités de niveau, elle ne serait
pas d'un poids négligeable. Ainsi la centralisation
par la Prusse, au point de vue de
péenne,
est
ce
qu'il
la sécurité euro-
importe avant tout d'é-
viter.
Il
est
malheureusement certain que ce principe
salutaire était étranger à l'esprit des négociateurs
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
78
Encore plus à celui des autres négocia-
français.
teurs pour qui l'existence de l'Etat allemand était
non seulement un
mais un
fait,
même
partit de là. Et
ternational public fut écartée.
Gambon
fait légitime.
On
toute question de droit in-
eut un scrupule et
Quand M.
demanda
si la
Jules
Bavière,
possédant, d'après la Constitution de 1871, une
représentation diplomatique, ne devait pas être
convoquée à
la
pour que l'instrument de
la signature
paix fût en règle,
problème
le
fut
examiné
et
tranché, séance tenante, par la négative.
Dès
liés
il
lors, tout suivit.
chercha
oublia
sister
le
le
des Al-
meilleur, qui était de ne laisser sub-
que de petites armées attribuées à chacun
Il
Il
une seule armée,
c'est-à-dire qu'il la
presque autant qu'il
blic français eut
initiative
«
donna à
militarisme prussien
lui prenait.
Ce
la
»
jour-là, le pu-
une première inquiétude. Mais on
embarqué. Une
française,
ne connaissait pas ces
donna une armée à toute l'Allemagne,
Prusse, rendant ainsi au
était
le conseil
moyen de désarmer l'Allemagne,
des Etats allemands.
Etats.
Lorsque
fois,
seulement, la délégation
— nous croyons que l'honneur de cette
revient à M. Stephen Pichon, — tenta de
manœuvrer dans
le
sens que les événements indi-
CE QUI A SAUVÉ l'uMTÉ ALLEMANDE
79
quaient. Elle proposa, timidement, de ravitailler
de préférence
les Bavarois. C'était le
un observateur neutre
disait
L'Allemagne ap-
«
:
moment où
partiendra au premier qui se promèpera avec un
saucisson au bout d'une perche.
On
française fut repoussée.
Il
n'est pas
garde.
Ils
et
la
première heure,
M. Wilson n'aient
Ils
n'en voulaient pas pour des
sons philosophiques et politiques.
négociateurs français
parce que leur philosophie
celle
A
rai-
ces raisons,
n'en opposaient pas,
parce qu'ils n'en avaient pas.
que
été en
ne voulaient pas d'une dissociation de
l'Allemagne.
les
La suggestion
n'insista pas.
douteux que, dès
M. Lloyd George
»
n'en avaient pas
Ils
était,
au fond,
même
la
de leurs interlocuteurs anglo-saxons
droit des nationalités d'abord,
:
le
et la nationalité
les mêmes droits qu'une
comme l'évolution interdit
allemande devait avoir
autre; l'évolution, et
que l'on revienne en
arrière, cinquante
ans de-
vaient avoir rendu l'unité allemande indestructible.
En partant de
donna
là,
on
lui
lui
manquait, on aida
on
fit
ce qu'on devait faire:
la consécration
du
droit public qui
les centralisateurs
à compléter l'œuvre de Bismarck.
qu'une politique
réaliste
On nous a
et pratique
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
prussiens
le
dit
voulait
6
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
80
qu'une grande
aussi,
LA.
PAIX
Allemagne aux rouages
formant un tout économique,
simplifiés,
serait,
pour nos réparations, un débiteur plus sûr qu'une
Allemagne composée de
ment
prospères.
apparaître
petits
Etats
médiocre-
Ce raisonnement commence à
comme une
des folies les plus remar-
Nous y avons
quables de l'histoire moderne.
gagné que 40 millions de Français sont créanciers
d'une masse de 60 millions d'Allemands,
et
pour
une créance recouvrable en trente ou quarante
années.
On
demande comment, dans
se
ces conditions,
licence n'a pas été laissée à l'Allemagne d'an-
nexer l'Autriche.
Après tout, l'Autriche,
pro-
vince allemande, représentée en 1848 au Parle-
ment de
la
Francfort, n'avait été tenue à l'écart de
grande Allemagne, de
la
mère commune des
Germains, que par des causes historiques
L'Etat
nastiques.
d'exister,
il
des
et dy-
Habsbourg ayant cessé
n'y avait que des raisons politiques
qui pussent déterminer les Alliés à interdire aux
Allemands d'Autriche de
se
réunir aux autres
Allemands. Ces raisons étaient
si
fortes qu'elles
ont triomphé contre
le
principe des nationalités et
des peuples.
Il
eût été absurde et scanda-
le droit
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
81
leux de permettre à l'Allemagne vaincue de jouer
à qui perd gagne et de retrouver plus de territoires
et
de population qu'elle n'en restituait. Encore ne
sommes-nous pas bien sûrs que, sans
la presse et
l'opinion publique, qui, cette fois, grondèrent, la
séparation de l'Autriche eût été maintenue et que
le
gouvernement français n'y eût pas renoncé.
avait peu de certitude,
peu de
fixité
Il
y
chez nos négo-
ciateurs et leurs conseillers, parce qu'ils n'avaient
ni
vue d'ensemble ni doctrine.
Un moment,
songèrent
même
au jeu dangereux des
sations
Contre
la rive
»
.
«
ils
compen-
gauche du Rhin abandon-
née à notre influence, l'Allemagne eût annexé
naïfs diplomates napoléoniens, di-
l'Autriclie.
sions-nous alors, savez-vous ce qui
que vous n'aurez pas
les
arrivera.»* C'est
provinces rhénanes et
que l'Allemagne gardera l'Autriche.
Elle ne renonce pas à l'espoir de la prendre
jour.
à portée de sa main, une tentation
C'est,
permanente.
l'intérieur,
un
Elle
en a d'autres.
Concentrée à
l'Allemagne a été dissociée à sa péri-
phérie. Des millions d'Allemands vivent
au
voisi-
nage immédiat de ses frontières, six ou sept en Autriche, trois
en Tchéco-Slovaquie. La dissociation
de l'unité allemande, dont les Alliés n'ont pas
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
82
voulu au dedans,
ils
au dehors. La
l'ont réalisée
raison, l'expérience l'indiquent
fragile et mauvaise. S'il était
:
cette
œuvre
est
bon que des portions
de pays germaniques fussent écartées de l'unité
allemande,
il
fallait aussi
fussent isolées.
l'attraction
que d'autres portions en
Sinon, les morceaux, soumis à
d'un grand Etat allemand, tomberont
ou tard sous sa dépendance.
tôt
Ainsi, les Alliés ont reculé devant les dernières
conséquences de leurs principes.
Ils
ont
démembré
l'Allemagne tout en l'unifiant. Par là leur œuvre
est illogique et incohérente. Elle est fragile aussi.
hommes
qui ont succédé aux négociateurs
la paix, qui
ont reçu leur héritage, se trouvent
Et les
de
aujourd'hui dans un grand embarras devant cette
Allemagne compacte, unie,
et
aux pourtours de
laquelle paraissent des irrédentismes qui l'excitent à poursuivre l'achèvement
Après avoir tourné
le
de
son
unité.
problème allemand sous
toutes ses faces, M. Millerand, n'ayant en
que
main
le traité de Versailles, s'estimant lié par ce
traité,
en est venu, à la Conférence de Spa, à es-
sayer de la collaboration et de la coopération avec
cette trop
grande Allemagne. Quelle que
soit la
différence qu'il y ait de la victoire à la défaite.
CE QUI A SA.UVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
c'est
un peu
la situation et l'état d'esprit
83
de Thiers
après 1871. Nul mieux que Thiers n'avait annoncé
les difficultés et les
malheurs qui résulteraient de
l'unité allemande.
Cette unité faite,
comme
pensa que nous n'avions plus
accablé.
Il
il
se sentit
d'autre recours que de nous entendre avec cette
puissante Allemagne et de collaborer avec
L'homme
elle.
des discours prophétiques de 1865 et de
1866 ouvrait la voie à une politique qui devait
s'épanouir un jour avec M. Joseph Caillaux. Pre-
nons garde d'être encore placés sur ce chemin
dangereux.
En 1919 comme en
1866, tout a dépendu des
idées qui régnaient en France.
Faut-il
accuser
seulement M. Wilson.^ Lorsqu'il débarqua sur
le
continent européen, après l'armistice, le prési-
dent rapportait chez nous les idées de Napoléon
III,
à peu près
mené George Sand
comme
et Tolstoï
seau. Le succès fut de
trouvait
un
Ibsen nous avait ra-
même
terrain préparé.
napoléoniennes
», les
Jean-Jacques Rousordre
:
M. Vilson
Contre ses
a
idées
esprits étaient sans défense.
Ils
n'en avaient pas d'autres à opposer aux siennes
et
une paix générale, œcuménique,
comme
celle
qu'il s'agissait de conclure, se fait avec des prin-
84
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
cipes et des idées. Celles qui prévalaient jusque
chez
les
négociateurs français étaient favorables
à l'unité allemande.
ne croyaient pas que
Ils
dissociation fût possible.
Ils
dans
la révolution,
par
la
la
même
la désiraient
faiblement. Et ce n'était pas en
elle,
la
mais dans
conversion de l'Allemagne
démocratie, qu'ils mettaient surtout leur
espoir de rendre l'Europe habitable et sûre. Ce
qui s'est passé dans les pays germaniques entre la
chute de Guillaume
II et la
signature de la paix,
le
mouvement de
centralisation qui a suivi la chute
des dynasties
tout a été prétexte à persister dans
:
l'abstention.
On
a refusé de prendre au sérieux,
quand on ne
les
a pas découragées,
de république rhénane
promoteurs n'ont pas
Gomme
si
les
et c'est tout juste si leurs
été
tournés en ridicule.
précurseurs, tant qu'ils n'ont pas
réussi, n'étaient pas toujours
fort
les tentatives
un peu
ridicules!
honnête homme, alors haut placé,
patriote,
animé des intentions
les
très
Un
bon
meilleures, à
qui nous parlions du docteur Dorten
et
de
l'in-
quiétude qu'il donnait aux autorités prussiennes,
nous répondait que
c'était très intéressant,
qu'il ne fallait pas oublier
se resserre et se
mais
que l'unité des nations
trempe par
la défaite et
par
le
CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE
85
malheur. Ces raisons ont été déterminantes.
On
subissait l'analogie de l'histoire de France et la
doctrine de l'évolution, cette évolution uniforme
qui doit pousser tous les peuples, toutes les races,
par
les
mêmes voies, à la concentration. C'est à
comme si l'on disait que l'évolution doit
peu près
conduire
au
la
langue allemande à devenir analytique
lieu d'être synthétique,
composés
et
à renoncer aux mots
à ne plus rejeter à la fin des phrases
les participes et les infinitifs.
Ainsi a été conservée l'unité allemande.
sailles, oij elle avait
vu
le
A
Ver-
jour en 1871, elle a été
consacrée par les Alliés sous la présidence d'un
Français
et la
d'autre part
paix a été signée avec
».
le
l'Allemagne
Cela ne veut pas dire que l'unité
allemande reste à
même vu
«
l'abri des accidents;
nous avons
séparatisme renaître sous des formes
nouvelles et encore timides à mesure que l'Alle-
magne
tion.
réagissait contre le socialisme et la révolu-
Rien n'est
fini peut-être, et la fragilité
de la
paix laisse entrevoir plus d'une possibilité de bou-
leversements dans l'Europe centrale. Ces boule-
versements ne nous seront pas nécessairement
favorables et
dangers,
ils
ils
nous exposeront à de nouveaux
exigeront de nous de nouveaux efforts.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
86
Un
rendez-vous à une autre
donné à l'Allemagne
il
et
fois est
probablement
à la France. Cette
fois-là,
faudra que la politique française ne soit plus
desservie par ses idées.
CHAPITRE IV
SOIXANTE MILLIONS D'ALLEMANDS
DÉBITEURS DE QUARANTE MILLIONS
DE FRANÇAIS
Le budget militaire de
1920 égale à
lui
dépenses pour
soit
France pour l'année
la
seul l'ensemble de toutes nos
les
exercices antérieurs à 1914,
environ cinq milliards. Quant à la nouvelle
constitution de l'armée, le ministre de la Guerre
n'a pu promettre mieux qu'un retour au service
de deux ans. Tous
les
hommes
valides resteront
mobilisables jusqu'à la cinquantaine. Pourquoi,
lourde charge,
l'Allemagne étant battue,
cette
ce dur effort? Parce que,
selon les paroles du
ministre, M.
André Lefèvre,
cepte pas sa défaite
cepte-t-elle
allemande
».
l'Allemagne n'ac-
Mais pourquoi ne
pas? Pourquoi
est-elle si
<(
peu
l'idée
l'ac-
d'une revanche
absurde
que
nous
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
88
soyons obligés de revenir au régime de
armée P Quelles sont donc
les
la
paix
forces et les in-
fluences qui vont déterminer la nature des rap-
ports
dans lesquels
France
la
et
l'Allemagne
vivront à l'avenir P
Au
normal
tout
de
point
vue purement humain,
naturel qu'une guerre décisive,
et
quand
elle
est
il
sur-
a été une guerre de peuple à
peuple, laisse au vaincu du ressentiment contre
le
vainqueur, tandis que
ne comprend pas que
le
le
vainqueur,
vaincu
satisfait,
garde ran-
lui
cune. Telle a été grossièrement résumée, l'histoire des relations franco-allemandes de
1914. Cette histoire a été,
si
1871 à
l'on veut, celle d'un
énorme malentendu, mais d'un malentendu qui
était fatal
de
la
part des Allemands. Elle s'est
terminée d'une manière qui, dans
siècles,
enchantera
vertueux
et
les
également
la
les
moralistes railleurs.
suite des
moralistes
Les vain-
d'eux-mêmes, remis en
queurs de Sedan ont,
question leur victoire. Bismarck leur avait pourtant assez répété de sages conseils qu'il résu-
mait par
le
précepte
défaut de Bismarck,
:
le
Quicla
non movere. A
bon sens indiquait
(et
c'est ce qui empêchait certains Français de croire
LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS
89
à la possibilité de la guerre) que l'Allemagne
devait éviter de casser quoi que ce fût dans une
Europe formée à sa convenance, d'attenter à un
choses dont elle était l'unique bénéfi-
état de
ciaire,
au maintien duquel
et
elle était la plus
L'Empire allemand aurait dû
intéressée.
être
conservateur. C'est lui qui s'est chargé de tout
A
renverser.
quoi
formidable
cette
erreur
a-
t-elle tenu.^
Les Allemands vantent
la
méthode
objective.
C'est sans doute parce qu'ils sont les plus subjectifs
des
hommes. On peut
paix de Francfort à
dire
la
grande
de la
la déclaration
de
que,
guerre, l'attitude de l'Allemagne à l'égard de la
France a été un cas d'inintelligence remarquable.
Du commencement à
sur
la
renseignements
perfectionné,
regarder
de
que tout
monde pouvait
Un
il
Allemands
chose
:
y a déjà longtemps, ce portrait du
».
Sur
la route, le
celle
voir sans espions.
de leurs plus célèbres caricaturistes a
logue
le
trompée
s'est
les
qu'une
n'oubliaient
le
elle
fin,
Munis d'un service de
peuple français.
le
«
laissé,
psycho-
psychologue passe. Dans
jardin d'une maison de campagne, une famille
est réunie et,
ce qu'elle
fait,
tout le
monde
le
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
90
voit
il
du
colle
deliors.
Mais
le
PAIX
LA.
psychologue s'approche,
son œil au trou de la serrure
et
il
ob-
serve studieusement.
C'est
à
peu
près
que
ainsi
aperçu
pas
ce
puis Guillaume
que
II
nul
la
France.
douche froide alternant avec
Comme
:
«
dans
la
Bismarck,
n'ignorait.
l'avaient d'ail-
Ils
main
leurs cherché sans adresse, d'une
dire
n'avaient
ils
avaient plusieurs fois cherché
à gagner l'amitié de
la
Allemands
les
avaient étudié la nation française et
chanson,
ils
la
brutale,
douche chaude.
semblaient toujours
Si je t'aime, prends garde à toi. » Et puis,
leurs avances avaient une arrière-pensée qui était
d'enrôler la France au service de la politique
allemande. Lorsque Bismarck favorisait nos entreprises
coloniales,
mettre en conflit la France
l'Angleterre.
avec
c'était
le
et l'Italie, la
La diplomatie
française,
encore, la nation française, avec
perçait aisément ces calculs.
un
de
dessein
France
et
et
mieux
instinct juste,
La France
restait
polie et insensible. Alors l'Allemand dépité
me-
provoquant
lui-
naçait,
même
justifiant notre réserve,
nos précautions de légitime défense. Pen-
dant quarante-quatre ans, l'Allemagne a commis
erreur sur erreur dans ses rapports avec la France
LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS
9i
parce qu'elle tenait pour inexistante la question
d'Alsace-Lorraine et la question de notre sécurité.
Ces questions, que
l'Allemagne ne se
le
monde
les posait
dait sa politique sur la
Conserver
contre le
des
vœu
entier connaissait,
même
pas. Elle fon-
négation de ces réalités.
provinces
conquises
françaises
de leurs habitants était pour
elle
l'exercice d'un droit naturel. S'armer sans cesse
moment envahir
de manière à pouvoir à tout
ses voisines,
c'était l'exercice
d'un autre
droit.
Voilà les conditions dans lesquelles la France a
réussi,
pendant près d'un demi-siècle, à force de
modération
et
de dignité, à vivre en paix avec la
puissante Allemagne, sans aliéner son indépen-
dance par rapport à
elle.
Durant
cette période, les
relations franco -allemandes n'ont pas été faites
d'autre chose jusqu'à ce qu'elles fussent rompues
par
la
volonté de l'Allemagne elle-même.
Mille ans d'histoire avaient
vu déjà bien des
changements, bien des retournements de situation entre l'Empire
germanique
et la
France. La
période 1871-1914 a vu s'accomplir une expérience toute particulière.
gne
La France
et
l'Allema-
avaient achevé leur unité. Mais l'unité de la
France
était
purement nationale, sans un protes-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
92
allemande comprenait des Fran-
tataire. L'unité
des Polonais, des Danois, annexés par la
çais,
force.
De
princes
cette
République de
plus, l'Allemagne, jadis «
devenue une monarchie
», était
La France
il
PAIX
LA.
était
Allemagne
militaire.
une démocratie pacifique. Entre
France ainsi constituées,
et cette
moyen
n'y avait ni proportion, ni équilibre, ni
de vivre autrement que sous
régime de
le
paix armée. Cette expérience a été courte
vement à
cluante.
tration.
la
longueur des
L'Allemagne
Elle-même
chargée de
la
démons-
dans
la
guerre.
ruée
s'est
L'état de choses que la France
fices,
a été la première à
le
pour
des événements
sité
(et
l'Europe subisles
était
indispensable
Quelle que soit l'immen-
ne peut y en avoir qui
il
dépassent ceux de la guerre universelle),
toujours un lien entre
la
bouleversement politique
La
béné-
rendre caduc.
Ce coup d'œil en arrière
éclairer l'avenir.
et
en recueillait
saient, l'Allemagne, qui
relati-
a été con-
siècles. Elle
s'est
la
il
existe
situation qui suit
un
et celle qui l'a précédé.
continuité, loi banale de l'histoire et qui appa-
raît
à travers
les plus vastes révolutions,
pliquerait par le seul fait que les
assistent
aux
jtlus
s'ex-
hommes
qui
grands changements ou qui
LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS
93
ont vécu, ont formé leurs habi-
les conduisent,
tudes et leurs idées sous
le
régime antérieur. Les
choses évoluent plus ou moins lentement, mais
il
contraire à la nature
est
par bonds.
Les générations
intimement,
il
y
a,
marchent
qu'elles
se
pénètrent trop
des vieillards aux jeunes
hom-
mes, trop de degrés pour que des sauts brusques,
des métamorphoses complètes soient possibles.
A
cela s'ajoute ce qui ne
lois
les
change pas,
c'est-à-dire
imposées aux peuples par leurs condi-
tions géographiques et politiques, leurs intérêts
et
leur caractère.
Les événements qui se sont
accomplis de 1914 à 1918 ont beau, par leurs
proportions,
ordinaires,
avoir l'air
d'échapper aux règles
ont beau ressembler à une de ces
ils
catastrophes qui font table rase,
mêmes
obéi à
ils
ont eux-
subi des antécédents historiques.
la loi
commune. De
la
Ils
ont
guerre à la paix,
leur cours a dépendu sans doute pour une large
part de la volonté des peuples
leur
hérédité),
part,
il
mais
aussi,
et
(liée
elle-même à
pour une autre
a été déterminé par des forces étrangères
à cette volonté. Pour ne
M.
Clemenceau,
çais
pendant
chef
du
citer
qu'un exemple,
gouvernement
fran-
de la
chef
la dernière partie
lutte,
94
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE Lk PAIX
de la délégation française pendant la préparation
du
traité, n'était-il pas,
dans l'Assemblée de 1871,
de ces députés républicains qui voulaient, avec
Gambetta,
la guerre
à outrance? N'était-il pas
entré dans la vie politique, avant la chute du
Second Empire, comme républicain,
c'est-à-dire
avec l'idéalisme romantique de son parti, attaché
au principe des nationalités, à
la fraternité des
peuples, au désarmement, à l'illusion de la fin
des guerres? M.
Clemenceau appartient à une
nommer
génération qu'on pourrait
position de 18G7.
En
lui se
celle
de l'Ex-
rencontrent la plupart
des courants du dix-neuvième siècle et
il
a eu
sa plus grande période d'activité au vingtième.
Ce cas
suffit
à montrer combien
le
passé a tenu
de place dans ce conflit qui apparaît
comme une
révolution et un renouvellement de la face des
choses.
En
magne,
la
ce qui concerne la France et l'Alle-
guerre ayant
fini
paix étant conclue, que
Quels sont
les
par notre victoire, la
reste-t-il
éléments nouveaux?
pas nous égarer,
il
est nécessaire
un peu plus haut dans
le
temps.
de ce passé?
Ici,
pour ne
de remonter
LES ALLEMANDS DEDITEURS DES FRANÇAIS
Vue d'ensemble, à
95
très larges traits, l'histoire
des rapports de la nation française et de la nation
germanique peut
se
résumer ainsi
antagonisme, conflit violent, chaque
lemagne a
que ce
été
:
fois
une grande construction
y a eu
il
que
l'Al-
politique,
l'Allemagne d'Othon (Bouvines), de
fût
Charles-Quint (deux cents ans de lutte contre la
maison d'Autriche) ou des Hohenzollern, avec
toutes les différences que le régime des Othon,
des Charles ou des Guillaume comportait.
traire,
chaque
fois
Au
con-
que l'Allemagne a été formée
de plusieurs Etats indépendants, n'ayant entre
eux que
plus
les
liens
peu tendus d'une fédération,
ou moins cohérente,
non seulement
les
guerres ont été rares, localisées et dépourvues de
ce caractère national qui les rend impitoyables,
mais encore
les divers
montrés accessibles à
peuples allemands se sont
la civilisation française.
On
ne peut citer aucune époque où l'empreinte ger-
manique
France.
Il
se soit
marquée profondément sur
la
y a eu, au contraire, une époque où la
France a trouvé en Allemagne des admirateurs,
CONSFQUENCES POLITIQUES DE LA
r'.\I.\.
7
96
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
des alliés et des amis
au dix-huitième
au dix-septième
et
lorsque l'Empire, selon
le
c'est
:
siècle,
mot du prince de Bûlow,
disjointe »,
au
lieu
était
une
«
mosaïque
de constituer un corps de
nation.
L'expérience a donc prouvé que
les
condamnés
ples n'étaient pas impénétrables ni
à une hostilité éternelle.
Mais,
deux peu-
jusqu'ici,
cette
entente entre Allemands et Français n'a pu être
obtenue qu'à une condition
magne
fût
décomposée
que
c'est
:
l'Alle-
en ses éléments naturels,
qu'elle ne formât pas un seul Etat centralisé, en
possession d'une puissance politique génératrice
de la puissance militaire
cette
puissance
et qui appelle
militaire.
Un
Etat
elle-même
allemand,
étant donné la place que l'Allemagne occupe au
centre de l'Europe, sans frontières déterminées,
avec des territoires contestés sur tout son pourtour, des prolongements et des îlots
germaniques
qui créent un irrédentisme déclaré ou latent aussitôt qu'existe l'unité
allemande, centre d'aiman-
tation, cet Etat-là exige et postule le militarisme.
Que
ce soit celui des chevaliers de l'Ordre teuto-
nique ou celui de
la
Reichswehr, c'est tout un.
Le germanisme a inventé
le
militarisme parce
LES ALLEMANDS LÉBITEURS DES FRANÇAIS
que
germanisme a besoin d'une grande
le
dès
militaire
qu'il
est
97
force
d'un Etat,
l'expression
c'est-à-dire
d'une puissance politique. Ou, ce qui
revient au
même,
germanisme
le
est alors per-
suadé qu'il a besoin du militarisme pour exister,
pour
protéger
races diverses.
a
qu'un
pas
ses
De
d'un
donne fatalement
»
mélangées
la défense à l'agression,
motifs
les
:
La possession
marches
«
sont
n'y
mêmes.
les
bon instrument
il
de
militaire
l'envie de s'en servir. Voilà ce
qui a fait que la sécurité de la France et le repos
de l'Europe, dans les temps anciens et modernes,
ont été incompatibles avec une forte organisation
politique allemande, que le siège en fût à Vienne
ou à Berlin. Ce n'est pas seulement
la
l'histoire
de
France, c'est celle de la Pologne et de la Bo-
hême
mêmes
moyen ni
qui conduit aux
N'y
donc
a-t-il
ni
magne, enfermée dans
voisins
la
.*
sienne,
vive
comme
en
Ayant obtenu son
mais rien que son
un membre
droit,
espoir qu'une Alle-
ses justes limites,
réalisé son unité nationale
réalisé
conclusions.
la
ayant
France avait
harmonie avec
droit, tout
son
ses
droit,
ne pourrait-elle devenir
pacifique de la famille européenne.^
Admettons qu'à
cet égard elle ait de
son droit
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
98
la
même
conception que
les autres peuples.
voilà dans la pleine tradition politique
lisme.
Nous
du
Nous
libéra-
voilà au principe des nationalités, à
l'hypothèse qui a mis aux prises, dans la France
du
diplomatie spéculative repré-
siècle dernier, la
sentée par Napoléon
III et la
diplomatie expéri-
mentale représentée par Thiers. De Michelet à
Jean Jaurès, une école ininterrompue a enseigné
chez nous qu'une Allemagne dont
les aspirations
nationales seraient à la fois satisfaites et conte-
nues dans leurs justes limites devrait vivre non
seulement en bon voisinage, mais en amitié avec
la France, cette
à l'harmonie
grande Allemagne
était nécessaire
morale du monde.
donne, disait Michelet
^,
«
Dieu
nous
de voir une grande Alle-
magne!... Le concile européen reste incomplet,
inharmonique, sujet aux fantaisies cruelles, aux
guerres impies des rois, tant que ces hauts génies
de peuples n'y siègent pas dans leur majesté,
n'ajoutent pas un nouvel élément de sagesse et de
paix au fraternel équilibre du monde.
»
Qu'a-t-il
manqué à ce rôve.^ Michelet a vécu assez pour le
voir. En février 1871, il écrivait sous le coup de
I.
Dans son
tobre 1869.
livre A'os fils donl la préface
o.sl
datée d'oc-
LES ALLEMANDS DÉBIIEURS DES FRANÇAIS
désillusion
la
<(
:
99
Pour nous, nous avions tou-
jours désiré l'unité de l'Allemagne, l'unité vraie,
non
consentie,
gnement
cette unité sauvage, violente, indi-
forcée.
Et
»
il
rappelait,
ceux de
ses sentiments d'alors à
pour comparer
la veille,
émotion, l'émotion de Paris républicain
à la fête
son
quand,
«
du 4 mars 1848, nous vîmes devant
parmi
Madeleine,
les
drapeaux
des
la
nations,
qu'apportaient les députations d'exilés de chaque
pays, le grand drapeau de l'Allemagne,
noir,
rouge
Kant
et Fichte,
peau
et or,
rouge
noir,
le
si
noble,
saint drapeau de Luther,
Ce dra-
Schiller, Beethoven... »
et or, c'est celui qu'a relevé la
vœu
de Mi-
événements ne suivent jamais
la voie
nouvelle Piépublique allemande. Le
chelet serait-il accompli?
Mais
les
qu'on leur assigne, surtout quand on veut que
les
choses soient autrement qu'elles ne sont, ce
qui, disait Bossuet, est « le plus
ment de
l'esprit ».
répété que
si
l'unité
pacifiquement, par
cratie,
alors
le
Après
Michelet,
Jaurès
a
allemande avait été créée
libéralisme et par la démo-
une grande France
Allemagne eussent
grand dérègle-
et
une grande
été naturellement amies...
de paroles ont pu être aussi vaines que
Peu
celles-là.
100
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
Car nous ne savons qu'une chose, mais
que l'unité allemande, tentée en
certaine, c'est
1848 par
elle est
les idées
du libéralisme
et la démocratie,
avait échoué et qu'elle a réussi en 1866 et en 1870
par Bismarck
plomatie
et
et
par
Hohenzollern, par la
les
par la guerre, par la force
conquête, par
le fer et
par
le feu.
par la
et
Aucun
di-
regret,
aucune hypothèse, aucune prophétie du passé,
aucune
«
Ce qui a
uchronie
»
été a été.
ne changeront rien à ce
fait.
Sous sa première forme, sa
originelle et la seule qui ait existé, l'unité
forme
allemande, conquérante et victorieuse, ne pouvait être suivie d'une amitié entre l'Allemagne
et la
"
France.
Mais, en 1919, l'unité allemande a survécu à la
défaite, à la chute des
Non seulement
de Versailles.
pectée, mais encore
sceau,
ils
Hohenzollern
ils
et
au
traité
les Alliés l'ont res-
l'ont consacrée de leur
ont donné la base juridique inter-
lui
nationale qui lui manquait depuis 1871. Les constituants de
Weimar
se sont chargés
du
reste. Ils
ont resserré l'unité nationale. L'empire de Guil-
laume
II était,
malgré
tout,
une fédération d'Etats.
L'Empire républicain
s'est centralisé et
naît que des
Cette
((
pays
».
ne con-
Allemagne plus unie
LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS 101
que
d'hier,
celle
malheureuse
par
encore
c'est
la guerre,
cette fois, qu'elle a réalisé sa fusion.
Et ce nouveau déterminisme, celui de la défaite,
pèse sur
elle et
sur l'avenir des relations franco-
allemandes exactement
comme
déterminisme
le
de sa victoire après 1871.
A
la tribune
du Palais-Bourbon, pendant
la dis-
cussion du traité de paix, nous avons entendu
s'exprimer la pensée de Michelet, de Napoléon
et
de Jaurès.
On nous a
dit
que l'Allemagne,
III
déli-
vrée de ses Hohenzollern, convertie à la démocratie et
au libéralisme, pouvait
et devait être
encore une grande Allemagne, que son unité était
nécessaire, qu'elle serait bienfaisante, et que cette
Allemagne nouvelle,
purifiée,
amputée, pour son
bien, de tout ce qui n'était pas allemand, vivrait
en fraternité avec
les
peuples ses voisins. C'est la
pure doctrine des nationalités, au regard de
la-
quelle la nationalité allemande a autant de droits
que
les autres et doit,
les autres,
former
la
avec les autres
et
comme
grande fédération humaine.
Après un sommeil de cinquante années,
principe des nationalités,
inscrit
sur les
le
éten-
dards des Alliés, a été appliqué avec toute la
rigueur dont étaient capables
les
réalités
hu-
102
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
maines
et l'esprit
ciateurs.
théorique des principaux négo-
comme
Mais,
en 186G
et
en 1870,
le
principe des nationalités n'a pu jouer sans subir
les nécessités et la pression
guerre et de l'histoire.
Comme
par des contradictions.
alliés.
encore de
jeté
l'
Il
alors,
il
s'est résolu
a laissé des déceptions
Cela est vrai de quelques-uns
et des rancunes.
des pays
de la politique, de la
A
quel point ne
Allemagne
I
On
l'
dirait
sur l'unité allemande pour
la
est-ce pas plus
qu'un sort
est
rendre incom-
patible avec la réconciliation de l'Europe.
Si
l'unilé
allemande
qu'elle était sortie
telle
des victoires de 186G et de 1870 n'a pu être un
gage de Iralernilô
telle
et
de
i)ai\,
l'unité allemande,
qu'elle sort de la délaite,
mieux. Encore une
fois,
les
ne promet pas
antécédents l'auront
voulu. Nous admettons, pour la commodité de
l'exposition,
(jne
l'Allemagne
restera
républi-
caine et qu'elle sera une démocratie selon le
mode
et la conception des nations occidentales.
Cette
Allemagne démocratique,
elle
a à i)ayer aux Alliés
les frais de la guerre, à réparer les
immenses dont
Pouvail-oii
elle
s'est
dommages
rendue responsable.
Vvn dispenserP Non, sous peine do
LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 103
ruine pour les peuples victimes de son agression.
A
tous les égards, l'impunité
politique,
îïiencer.
un
d'Allemands
encouragement
de
résulte
Il
là
recom-
à
que soixante millions
formant un seul Etat, ayant der-
^
sont condamnés
eux un grand passé,
rière
été impossible.
un scandale, une prime à l'immo-
Elle eût été
ralité
eiit
payer une redevance dont
le
règlement s'étendra
sur deux générations au moins. Juste et
insuffisante pour nous,
comme
sentie
magne.
de
à
cette
même
redevance est res-
exorbitante et inique par l'Alle-
A mesure
que s'éloigneront
les
souvenirs
guerre et l'impression de la défaite, la force
la
de ce sentiment croîtra. Nul n'y peut rien. Une
autre fatalité l'a voulu. Insensés seraient les Français qui compteraient sur l'amitié
mand devenu
même, chez
chirer
un
le
leur
qui
compteraient
naturel de dé-
traité qui l'obligera
à travailler trente
ou cinquante ans pour acquitter sa
drait,
Alors
pour
le
c'est
alle-
le désir
débiteur,
vaincu, sans
du peuple
dette.
Il
fau-
contenter, qu'elle fût réduite à zéro.
nous qui souffririons,
qui
serions
Douze à quinze de trop pour le territoire », disait
I.
Arthur Heicheu daus la Neue Zeit du 3 octobre quelques
mois ([ui ouvrent d'étranges hoi-izons.
tt
:
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LÀ PAIX
104
qui prendrions la place des vaincus. Et
ruinés,
l'Allemagne, disposant de ses ressources, en profiterait
pour annuler
un
C'est
A
ces
les autres clauses
traité.
cercle vicieux.
millions d'hommes,
soixante
d'un
même
poser
le tribut.
pays,
Il
il
n'a
a fallu fixer
le
qu'ils auraient le
citoyens
seulement im-
fallu
a fallu encore prendre contre
eux des précautions légitimes
Il
du
nombre de
et indispensables.
soldats et de canons
droit de conserver
et,
par con-
séquent, limiter le droit de souveraineté de l'Etat
allemand. Ce n'est pas tout. Des frontières nouvelles ont été dessinées,
et ces frontières,
aux-
quelles
l'Allemagne se résignerait peut-être à
l'Ouest,
ce serait miracle qu'elle consentît bien
longtemps à
côté de
lui
l'Est.
les
regarder
l'assiette
territoriale
avait donnée en 1866, est
que Bismarck
du
au dix-huitième
lui
ramenée au point où
se trouvait avant Frédéric
comme
lin.
définitives
ont été reprises, et la Prusse, qui conserve
ailleurs
elle
comme
Là, ses conquêtes sur la Pologne
II.
siècle, est
Kœnigsberg,
séparé de Ber-
C'est sur son flanc oriental que l'Allemagne
a dû restituer
le
plus de ses biens mal acquis et
c'est là qu'elle est encore la plus forte,
en faco
LES ALLEMA>-DS DEBITEURS DES FRANÇAIS
105
de pays jeunes et à peine formés, à l'endroit
les
grandes nations occidentales n'ont pas sur
de
prise directe.
vieille
comme au temps
deux,
était
La
au régime de
oii
elle
Prusse est coupée en
l'Empire germanique
la Kleinstaaterei,
larisme et des petits Etats.
oij
Même
du particu-
alors, la
Prusse
n'avait eu de cesse que ses deux tronçons fussent
Aujourd'hui,
réunis.
n'existe
Kleinstaaterei
la
plus, et ce n'est plus seulement l'Etat prussien,
c'est toute l'Allemagne, concentrée
tres parties,
blir
Pour
paix.
et
est lancé
les
deux Prusses. Par
là
à l'avenir, aurait dit Frédéric.
à notre sens, un des plus gros vices de la
C'est,
à
qui aspirera naturellement à réta-
soudure entre
la
un appel
dans ses au-
même
ressusciter la Pologne,
il
fallait tailler
l'Allemagne. Mais, pour que la Pologne,
par conséquent tout l'édifice européen cons-
truit
par la Conférence, fût en sécurité,
il
n'au-
rait pas fallu que l'opération fût tentée sur une
nation allemande ni sur
un
Etat allemand. Ima-
ginons un instant que la France
ait été
et que, pour des raisons quelconques,
queur
ait
vain-
jugé bon de donner à l'Espagne un
couloir aboutissant à
le
vaincue
le
Bordeaux en nous laissant
département des Basses-Pyrénées
et
Bayonne.
COÎSSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
106
Combien de temps
une nation
un
et
France,
la
restée
d'ailleurs
ampu-
Etat, subirait-elle cette
tation? Juste autant que le vainqueur l'obligerait
à
la
subir et que l'Espagne serait capable
défendre son couloir.
Il
de
no pourra pas en être
autrement du couloir de Dantzig
de la Prusse
et
orientale.
Il
en
triche.
même
en ce qui concerne l'Au-
La logique du principe des
voulu
eût
langue
de
est
que les provinces
allemande,
proprement
les
provinces
dites, fissent retour
nationalités
autrichiennes
de
autrichiennes
à la grande Ger-
manie. N'étaient-elles pas représentées en 1848
au Parlement de Francfort? La réunion
elle
n'était-
pas inscrite au plus ancien programme du
libéralisme allemand? L'évolution particulière de
l'Autriche, hors des cadres de l'Empire restauré
en 1871, avait tenu à une question dynastique.
La maison de Habsbourg étant tombée comme
celle
de Hohenzollern, l'Allemagne étant devenue
une nationalité
libre, la
réunion, V Anschluss ne
trouvait plus d'obstacles politiques et s'imposait
aux
ni
esprits.
Cependant
les
Alliés
ne pouvaient
ne devaient y consentir. Admettre que
magne annexât
l'Autriche,
même
par une
l'Alle«
con-
LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS
quête morale
le
»,
107
c'eût été encore lui reconnaître
droit de conquête.
C'eût été
la
récompenser
territorialement de ce qu'elle perdait ailleurs, la
favoriser au jeu de qui perd gagne, réaliser, au
nom
des principes de Wilson,
conçu par
les
reste prohibée. Mais,
contradiction surgit
Elle réside
à qui
il
unité
dans
les faits et
est défendu,
d'intérêt
dans
les
conséquences
Cette
les idées.
Allemagne
justement défendu, pour des
européen,
par VAnschluss,
cette unité,
Milteleuropa
comme pour la Pologne, la
avec les mêmes caractères.
encore plus que dans
raisons
le
pangermanistes. La réunion est et
elle
de
compléter
son
garde d'autre part
inachevée à ses yeux. Elle reste un
centre d'attraction puissant pour la petite Répu-
blique de Arienne. L'accessoire est séparé du principal.
Et l'accessoire est sans défense, réduit à
une vie misérable
et précaire.
L'Empire austro-
hongrois était encore assez vigoureux pour tenir
une dizaine de millions d'Allemands en dehors
de
la
communauté germanique. A
portée de sa
main, l'Allemagne a désormais ces millions de
frères
pauvres et- nus, réduits à une situation
politique et géographique paradoxale. Là encore,
pour 60 millions d'Allemands,
la
tentation est
108
co^'sÉQUE^cEs politiques de la paix
trop forte. L'appel à l'avenir est trop évident.
ne nous
Ils
diraient pas qu'il serait encore
le
certain qu'à leurs yeux,
comme
celles de l'Est sont provisoires.
que
Pologne affranchie, de
la
du Sud
ces frontières
même
tchéco-slovaque bourré d'Allemands,
indépendante, pour durer sans
De même
qu'un Etat
l'Autriche
péril,
supposait
en Allemagne des Etats allemands indépendants.
Telles sont les conditions dans lesquelles l'Eu-
rope
fait,
pour
la
seconde
fois
depuis
l'expérience de l'unité allemande.
vue de
la politique et
Au
1871,
point de
de la psychologie, ces con-
ditions sont mauvaises.
A
moins d'un acte de
foi (qui
ne peut se donner
rationnellement) dans l'influence bienfaisante de
la
démocratie, à moins de croire sans
que l'Allemagne nouvelle, touchée de
examen
la grâce, se
convertira à l'idée qu'elle est une grande coupable, une grande pécheresse, qu'elle a mérité son
sort et qu'elle expie justement, à moins, pour tout
dire,
qu'un coup de baguette magique
non seulement
la nature
n'ait
changé
allemande, mais la na-
LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 109
humaine
ture
et la
cela, toutes les
nature des choses, à moins de
vraisemblances
(et le
devoir de la
politique est d'en tenir compte) sont pour que
l'Allemagne ressente et ressente de plus en plus
comme
les
insupportable
le traité
du 28
Toutes
juin.
vraisemblances sont pour qu'elle prenne à
avec
tâche de s'en délivrer et de
le détruire,
moyens qui peuvent
un peuple de 60
lions
rester à
d'hommes pour
briser ses chaînes.
Il
les
mil-
suffit
de se souvenir des sentiments qu'avaient inspirés
en France
les traités
de 1815 et qui ont gouverné
notre politique intérieure et extérieure depuis la
chute de Napoléon I" jusqu'à l'avènement de Na-
poléon
III.
L'Allemagne actuelle pourrait ne pas protester
contre
le
traité
clauses avec
de Versailles,
bonne volonté
que notre avis resterait
le
et
en exécuter
d'un cœur contrit
même.
Cette
volonté, cette contrition n'existent pas.
porte. Peu importent également
que
le
les
gouvernement de Berlin
bonne
Peu im-
les protestations
et l'opinion
blique ont multipliées contre la paix.
pu-
Peu importe
encore que ces protestations aient été sincères ou
qu'elles
aient
été
de circonstance.
Un
peuple
vaincu a plus de vingt-quatre heures pour mau-
110
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
dire
ses
juges.
seule chose,
c'est
retenir,
C'est
Ce que nous examinons,
en vérité, que
la
politique
la
et
doive
une situation prise en elle-même.
un problème de
forces et de
mécanique.
Les forces ne sont pas ajustées de
telle
ma-
nière que les conditions nécessaires à une paci-
profonde soient remplies. Celles d'une
fication
ne
conciliation entre la France et l'Allemagne
le
sont pas non plus. Les Français ne peuvent
pas renoncer à leur créance. Les Allemands
gent
pas
tribut exorbitant et n'en reconnaissent
le
le bien-fondé...Oi;i
tente?
ju-
Il
est
peut être
terrain d'en-
le
en outre extrêmement peu croyable
que l'Allemagne
comme
accei)te
définitives
frontières qui lui ont été fixées à l'Est et
Comment, du
côté français,
se
les
au Sud.
reposer sur
confiance que les compétitions politiques
la
sont
finies.»^
L'obstacle h la naissance de rapports amicaux
entre les deux peuples ne tient pas tant aux
cruels
souvenirs
et
aux
ressentiments
de
la
guerre qu'aux dispositions du traité de paix. Le
Français n'est pas vindicatif.
sociable. C'est
même un
tère d'aimer à être
aimé
11
est
éminemment
des traits de son caracet d'être
douloureuse-
LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 111
ment
pas.
surpris
quand
Pendant de
il
s'aperçoit qu'il ne l'est
anciens, les Français et
un grand nombre
comme nous
mands ont
vécu,
plus
dans une cordialité
haut,
aux temps
très longues années,
d'Alle-
l'avons rappelé
une amitié
et
complètes, au point qu'ils combattaient souvent
ensemble sous
les
mêmes drapeaux. Le nom du
maréchal de Saxe, célèbre par
littérature,
l'histoire
cette époque.
illustre
et la
n'y a donc
Il
pas incompatibilité d'humeur, hostilité de principe
entre
Français et Allemands.
vivent en bon voisinage,
que
les
il
suffit
Pour
(mais
qu'ils
il
faut)
conditions politiques nécessaires à cette
compénétration aient recommencé à exister.
Malheureusement,
elles
n'existent
pas.
Par
quel endroit veut-on que la France prenne le
bloc allemand.^ L'influence morale de l'étranger
glisse fatalement sur
un peuple nombreux, uni
par un lien national solide.
Un Kurt
Eisner,
un
Dorten se sont montrés accessibles à des senti-
ments de sympathie à notre égard.
dénoncés
comme
failli
l'être.
ont été
des traîtres à la patrie alle-
mande. Kurt Eisner a
a
Ils
même
été assassiné.
Dorten
Ce n'est pas ce qui encouragera
les autres.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
8
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
112
Alors, que nous reste-t-il à faire? Ce que nous
faisons
:
prendre nos précautions, nous tenir sur
nos gardes, nous souvenir de nous méfier. Par
une
injustice
France cet état d'esprit.
par
la
de
les conditions
France de
deux ou
«
on reproche à
monstrueuse,
est créé et légitimé
Il
Ceux qui accusent
la paix.
militarisme
trois générations,
la
oublient que, depuis
»
nous subissons
le liar-
nois militaire, que nous ne l'avons jamais désiré
et
qu'une
mauvaise
organisation
nous l'impose encore. Aucun
homme
comme une
n'a jamais conçu
de
l'Europe
raisonnable
chose bonne
et
souhaitable que les Français et les Allemands
dussent,
dans
se regarder
ainsi tant
la
suite
comme
que
les
des siècles,
continuer à
chien et chat. Mais
il
en sera
circonstances propices à une
conciliation n'auront pas apparu. Et ces circons-
tances ne peuvent pas se trouver tant que l'Empire allemand
et
demeure
tel
qu'il est.
La France
l'Allemagne restent condamnées à l'antago-
nisme. Ce n'est pas une question morale. C'est
une question politique. Exactement
traité
posée.
de Francfort,
le
traité
comme
de Versailles
le
l'a
CHAPITRE V
ILS
Ici,
demandons une pause au milieu des
ductions,
tins.
IGNORERONT
un moment pour méditer sur
Notre sort est
rations.
Combien
dé-
les des-
engagé pour plusieurs géné-
De nouvelles tribulations commencent.
l'ont
\u? Combien s'en doutent.^ Pour-
quoi ces choses et non d'autres?
A
des
sommes
prodigieuses de dévouement et de sacrifice ré-
pondent des abîmes d'ignorance. Grand
njombre des
hommes
souffrent et
meurent sans avoir interroge.
nombre de ceux
le
les
est
le
qui subissent, qui vivent,
Petit
qui cherchent à déchiffrer
causes pour lesquelles
ils
payent jusque dans
leur chair.
Par Macbeth mourant, Shakespeare adresse au
monde son
adieu et son mépris
:
<(
Une
fable
contée par un fou, avec un grand fracas de mots
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
114
de gestes, et qui ne signifie rien.
et
vu
les
hommes
de dix peuples.
d'encourager
«
LA.
s'agiter.
Il
les
a
Il
»
PAIX
Voltaire a
désespère d'expliquer.
politiques
Le gros du genre humain a
annales
écrit les
et
Il
refuse
historiens
les
été et sera toujours
imbécile; les plus insensés sont ceux
qui
ont
voulu trouver un sens à ces fables absurdes
mettre de
la raison
dans
la pitié.
Rien n'instruit
périence des pères est
dans
et rien
le
et
Shakespeare
la folie. »
et Voltaire se rencontrent
:
dédain
et
dans
n'améliore. L'ex-
perdue pour
les enfants.
L'humanité tourne dans un cercle de douleurs.
Devant ce vain théâtre, qui recommence sans
cesse,
face
:
les
les
prophètes d'Israël s'étaient voilé la
peuples travaillent pour
néant, s'ex-
le
ténuent au profit du feu.
Il
faut se délecter dans ce pessimisme ou en
secouer la lourde chape.
On peut conclure à
différence, à l'inutilité de tout. C'est bien
son compte, chacun est résolu à subir
la sottise
pour
les suites
de
en se consolant de ce qu'il souffre par
l'acre plaisir
que procure
verselle insanité. Mais le
désabusé des
les
si,
l'in-
le
spectacle de l'uni-
moins forcené,
juifs l'avaient déjà dit
:
le
plus
nous aurons
conséquences. Et nous les aurons tous. Elles
ILS
IGNORERONT
viendront chercher l'ironiste et
le
115
philosophe.
ne sépare pas son sort de celui des nations.
On
Ou
bien on ne l'en sépare qu'à la condition de re-
noncer à soi-même pour se moquer du genre humain.
Un
jour, chez nous, la guerre a requis
l'homme
bourgeois économe et
penché sur
la
prudent,
spéculatif désintéressé et la grande
le
glèbe,
le
masse de ceux qui pensent qu'après
temps
et
sous n'importe quel régime, on
tune et on organise librement sa
du plus grand nombre
était
en tout
tout,
vie.
fait for-
L'existence
fondée sur des calculs
qui supposaient une longue stabilité. Ceux qui
prédisaient des catastrophes n'avaient pas d'auditoire
ou ne rencontraient que des incrédules.
Encore personne n'eût osé annoncer
ce que nous avons vu.
L'homme
la moitié
extraordinaire-
ment perspicace qui eût seulement approché
réalité eût passé
pour un
fou.
chacun dispose de soi-même
sont
les
Il
et
que
:
les
peuples
cent causes
ont disposé d'eux, causes lointaines,
si
la
admis que
était
maîtres "de leurs destinées
inaccessibles à la foule,
de
multiples,
obscures,
si
mêlées
qu'elles ressemblent à ce qu'on appelle, faute de
mieux,
le
hasard. Cent causes, qui échappent de
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
116
même
à la foule, sont toutes prêtes à en disposer
encore.
Après cet immense bouleversement, une seule
chose reste intacte
çais et
versés.
:
du peuple fran-
le tête-à-tête
du peuple allemand. Les rôles sont renLe vainqueur est devenu le vaincu. La
même
revanche n'est plus à prendre du
Mais, cette
fois, le
côté.
vaincu aura des raisons de
prendre que nous n'avions pas.
la
aura des occa-
Il
sions que nous n'avons pas eues. Soixante millions d'Allemands sont devenus nos tributaires
dans une Europe où, depuis 1914,
la
guerre n'a
pas cessé et ne s'éteint sur un point que pour se
rallumer sur un point différent. La paix est montée
comme une mécanique
homicide. Et
la
même
question obsède l'esprit. Pourquoi ces choses et
non d'autres P Pourquoi
autre
En
cette paix et
non une
paix.^^
1917, la
sible.
fin,
une meilleure
Quiconque avait
le
fin,
eût été pos-
sens de la politique
songeait à la dislocation de la coalition ennemie.
d'Espagne ne se bornait pas à
Le
roi
Il
s'offrait
volité,
Le
fil
la conseiller.
pour l'entreprendre. Incapacité,
inexpérience, préjugé
tendu ne fut pas
saisi.
:
fri-
il
y eut de tout.
La
vie de milliers
ILS
IGNORERONT
117
de Français tués depuis cette date
de
et l'avenir
ceux qui restent ont tenu à une maladresse qui
ne peut plus être réparée.
Enfin l'ennemi s'agenouille. Des heures,
profiter de la victoire.
des
aux vainqueurs pour
jours au plus sont donnés
Hésitations, incertitudes.
L'armée allemande, avec
ses armes,
repasse
le
Rhin. Tandis que la foule insouciante se réjouit,
pousse un grand
la guerre, des
«
ouf
soulagée du poids de
»,
moments uniques
s'enfuient sans
retour.
Et plus tard encore,
il
arriva une chose fan-
hommes
tastique. Quelques
s'étaient réunis
Leur pouvoir
établir la paix.
qu'on n'en avait jamais vu.
l'humanité.
était
Ils
pour
immense,
tel
disposaient de
créaient à leur gré ou renver-
Ils
saient des Etats. Et]ej^uâ^uissant de ces
homme^
pareils à des dieux, celui qui était obéi parce qu'il
semblait parler au
vidus,
il
était,
à ce
nom de cent millions d'indimoment même, désa¥-ûué,par
son^Séxiat souverain. Et
nait-il plus tout
non seulement son auto-
mais peut-être déjà ne gouver-
rité était factice,
à
fait
son
esprit.
capitale, le dictateur s'abattit.
sa raison.
<(
Est-ce là cet
Rentré dans sa
On
homme
craignit pour
qui ébranla la
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
118
tomber
empires?
terre, qui
fit
tôt, cette
hémiplégie eût changé
et l'avenir
les
Six mois plus
»
physionomie
la
du monde. Cette prodigieuse
histoire
se trouve mêlée à notre histoire nationale.
a rien d'aussi cruel dans Candide
et
Le Français qui ne verrait que
n'y
Il
dans Gulliver.
de
la dérision
ces choses n'aurait ni enfants, ni frères, ni amis.
Toutes ses fibres seraient séchées. Déjà, en 1914,
un
nihiliste excité
par la volupté des ruines, ou
encore un émigré stérile et méchant, auraient pu
goûter
le
comique nocturne de
sion, cette
morale de
cinquième
fois
pens de
nouvelle inva-
est
tations pour l'ironie! Mais
lui-même ne
l'événement
rêts.
De nos
ni
dans
fût
il
Quelles ten-
faudrait que
exposé
dans sa personne
ni
à
d'insulter
Un
Quant à
plume pour ne pas
per-
le
de
souffrir
dans ses
dans
d'être mobilisé jusqu'à cinquante ans
drait de sa sérénité d'esprit.
anciennes
ses
jours, l'Ecclésiaste serait
retiendrait sa
la
aujourd'hui encore, la
retombée
erreurs, dans ses vieilles illusions.
sifleur
pour
en trois âges d'homme, aux dé-
la démocratie. Et
démocratie
la
la fable s'exerçant,
:
il
inté-
le
cas
y per-
Voltaire,
être
il
accusé
au malheur public.
jour, peut-être, l'heure de la raillerie trans-
cendante viendra,
loisir et
119
IGNORERONT
ILS
les
si
l'humeur de
hommes
railler.
retrouvent
le
Tant d'espérances
fauchées, de sacrifices à demi perdus, d'efforts à
recommencer arracheraient plutôt des larmes à
un grand poète
avions un.
A
un
patriote, à
Virgile
nous en
si
comme
plus tard les lamentations,
l'ironie qui sort de ces
immenses
gaspillages.
Il
faudra bien reprendre ce qui n'est pas achevé.
Les chirurgiens de Versailles ont recousu
de l'Europe
France doit regarder en
Alors la
et
autour
d'elle.
après cette paix, voilà les
Après cette guerre
et
dangers dont
reste
elle
elle
ventre
le
sans avoir vidé l'abcès.
entourée,
ce
qu'elle
a
encore à faire pour que sa victoire ne s'envole pas
et
pour qu'elle en garde autre chose que
et le
parfum. Dans
le
rayon
cette vaste confusion, quelle
politique peut-elle suivre? Quelles sont ses res-
sources et ses chances.^ La masse allemande jette
encore son ombre sur nous.
d'une
confusion
barbare
qu'allons-nous trouver.^
Au
delà,
dans
ou presque
la
zone
barbare,
CHAPITRE
VI
LE JEU DE TRENTE -DEUX CARTES
Ainsi,
entre la France et l'Allemagne,
victoire a renversé les situation sans
logue tragique ait cessé. Et
le
que
notre
le dia-
tour que prendra
ce dialogue déjà violent sera soumis à toutes les
circonstances internes et externes.
Comme
avant
1914, ce qui se passera au dedans et au dehors
des deux Etats agira sur leurs relations, qui resteront l'élément essentiel de la politique conti-
nentale et par rapport auxquelles s'ordonneront
encore alliances,
intérêts,
rivalités
et
conflits.
Une grande Allemagne seulement blessée, attachée par des liens qui sont fragiles et qu'elle supportera plus mal d'année en année, une grande
Allemagne toujours poussée à nuire au pays
qui,
après avoir été pendant la guerre son principal
ennemi,
est
devenu son créancier principal
:
voilà
122
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
ce qui dominera, et de très haut, toute l'Europe.
Quelle Europe? Sans doute la carte et la phy-
sionomie du vieux monde ont été renouvelées
être méconnaissables
au point d'en
parties.
Mais où ont eu lieu
les
transformations.^ Sur les points
en quelques
plus sérieuses
oij
la
France a
toujours dû chercher un contrepoids à la puis-
sance
germanique.
Par
définition,
poids ne s'obtient pas du
Nous sommes conduits à
le
même
un contre-
côté que soi.
chercher de l'autre
côté de l'Allemagne. Pendant la guerre, la coalition occidentale, toute
formidable qu'elle
n'a pu refouler l'invasion allemande
de très longs
sion russe,
il
efforts, et,
est
qu'après
en 1914, sans la diver-
probable que la digue de l'Ouest
eût été emportée. Or,
il
sera prudent de consi-
dérer que l'Angleterre, placée en marge du
européen
libre
et
au
était,
monde
fléau de la balance, conçoit l'équi-
moins absolument que nous
et
non pas
seulement par rapport à l'Allemagne. Nous ne
pourrons pas compter sur une alliance positive
formelle,
dont la raison d'être ne
que
les
et
qui lui répugnait déjà avant 1914 et
lui
apparaît plus depuis
forces navales et maritimes allemandes
sont brisées. D'ailleurs, l'expérience de la guerre
1
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
a montré
que
médiocrité des moyens
la
123
militaires
Royaume-Uni peut mettre en œuvre pour
le
à
résister
un premire choc.
La__combinaisDn
franco-belge est la seule sur laquelle nous puis-
nous reposer avec certitude. La
sions, à l'Ouest,
France
et la
Belgique ne se suffiront pas encore.
Une combinaison anglo-franco-belge elle-même
aurait besoin d'un renfort à l'Est. C'est d'ailleurs
dans cette pensée que
le roi
Edouard
VII, après
avoir rapproché l'Angleterre et la France, avait
encore opéré un rapprochement anglo-russe, quoi
qu'il en coûtât
dans
la
aux Anglais de mettre leurs mains
main de
Ce travail diploma-
la Russie.
tique, qui paraissait devoir réussir de lui-même,
avait exigé beaucoup de soins et de peines. Et la
situation de l'Europe était simple et claire auprès
de ce qu'elle est aujourd'hui. Pour trouver
le
con-
cours sérieux, efficace, de peuples capables de
prendre l'Allemagne à revers, nous aurons plus
d'une expérience à
adresser.^ Qui
faire.
voudra
Et d'abord où nous
être le contrepoids? Quel
sera le contrepoids sérieux.^
A
cet égard,
on peut dire que notre
politique,
au cours des âges, a épuisé la série des combinaisons possibles sans oublier la meilleure de
^
124
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
toutes qui consistait à avoir, en Allemagne
des auxiliaires contre la
contre l'Etat prussien
exclue par
le
:
même,
Maison d'Autriche ou
cette solution idéale est
maintien de l'unité allemande. Pour
plus de garantie,
en dehors de ces précieuses
alliances germaniques, la France a eu tour à tour
l'alliance
des royaumes Scandinaves (durant la
guerre de Trente ans), l'alliance polonaise,
liance autrichienne,
Enfin,
russe.
l'alliance
l'al-
en
1916, et pour la première fois, nous avons porté
les
yeux encore plus
Chacune de
loin et sollicité la
Roumanie.
ces alliances, dont plusieurs se sont
répétées à de longs intervalles, a eu son histoire.
Aucune n'a
daient à
un
été éternelle.
C'est qu'elles répon-
certain état de l'Europe et qu'elles
n'ont pas tenu seulement à notre volonté et à
notre habileté diplomatiques, encore moins à
l'af-
fection désintéressée que ces pays pouvaient avoir
pour nous, mais à leur position
et
à leur poli-
tique, l'une et l'autre changeantes, soumises aux
circonstances et à l'opportunité.
Faisons, d'après la carte actuelle,
nouveaux
éléments anciens
et
rassemblés. Pour
les Etats
le
tour des
susceptibles d'être
Scandinaves,
la
période
de l'activité politique et militaire est close depuis
LE JEU DE THEME-DEUX CARTES
longtemps.
Il
125
n'est pas impossible qu'elle renaisse
par suite des modifications qui se sont produites
dans
régions dites baltiques. Les signes de
les
ce renouveau d'activité ne paraissent pas. Neutres
pendant
guerre et ligués pour leur neutralité,
la
Scandinaves ont montré par leur adhé-
les Etats
sion prudente et conditionnelle au pacte de la
Société des nations qu'ils entendaient se tenir à
Le Danemarck
l'écart des conflits européens.
même,
lui-
qui avait de sérieux griefs contre la Prusse,
minute, de
s'est gardé, jusqu'à la dernière
voquer.
de 1864,
En
guise de réparations pour la violence
se contente
il
la pro-
pour laquelle
il
d'une seule zone du Slesvig
même payé
a
une indemnité afin
d'être en règle avec l'Empire voisin, encore trop
puissant pour lui et qu'il continue de redouter.
Le mot d'ordre Scandinave
dence. Ainsi, pour
est la réserve et la pru-
moment,
le
et
sans doute pour
longtemps, rien au Nord. Passons à
Au
dix-huitième
l'Est.
de l'alliance
siècle, l'attelage
polonaise et de l'alliance autrichienne a été
le
casse-tête de la diplomatie française qui se trou-
vait à
à
chaque instant
l'autre.
roi ».
On
De
a
là est
été,
on
sollicitée
venu
le
de sacrifier l'une
fameux
est encore sévère
« secret
pour
du
la poli-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
126
tique extérieure et le « secret
de Louis XV.
»
s'apercevra mieux, d'ici peu d'années, que
dont
liance polonaise,
la
l'al-
mon-
a été
faiblesse
On
trée par l'alerte de 1920, doit entraîner des com-
plications semblables, sinon pires.
si la
France contemporaine s'en
Tout indique
le
tire
Nous verrons
mieux.
sens de ces complications. Elles
ne peuvent manquer de se produire du côté de
Russie.
la
Depuis qu'il y a une Russie, l'alliance
franco-russe a été tentée ou nouée dix
fois,
tant
elle paraissait naturelle à notre besoin de contre-
poids oriental, tant la Russie nous paraissait créée
pour répondre à ce besoin. C'est au point qu'on
comme
a voulu voir dans l'alliance franco-russe
une harmonie préétablie. Pourtant, chaque
fois
qu'elle est entrée en pratique contre l'Allemagne,
1
cette alliance
terminée par une défection
s'est
Idu côté de la Russie. Si grave qu'ait été la tra-
hison de 1917,
et la
ot
si
dures qu'aient été pour
paix séparée et
les
111,
il
concours militaire de
phase de
France
de Brest-Litovsk,
somme
bolchévicks ont renouvelé en
coup de Pierre
la
l'infidélité
la
faut reconnaître que,
la
Russie avait
la collaboration,
été,
inférieur
sions qui étaient nourries chez nous,
il
si
le
le
pendant
aux
illu-
avait été
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
extrêmement
lia sécurité
utile.
Ainsi a été démontrée, pour
de l'Occident, la nécessité d'une forte
Vdiversion à
l'est.
L'alliance russe a rendu des ser-
/vices incontestables.
que
Avons-nous
le
droit d'espérer
cette alliance renaîtra.^ Si la diplomatie fran-
çaise persiste à
compter sur
le
retour d'une Russie
loyale, libérale par surcroît, attachée à
la
sympathie, la gratitude,
populaire,
encore plus fidèle et constante que
sur une Russie qui n'aurait
mers,
il
est
II, si
môme
l'on comptait
plus de Stiir-
probable que la France se ménagerait
une autre sorte de déboires: Nul ne
République des Soviets,
sortira de la
succédera. Nul ne sait
lemment ou
Nul ne
sait
nous par
d'une amitié
les liens
n'avait été la Russie de Nicolas
;
127
si elle
si
elle sera
sait ce qui
ni ce qui lui
renversée vio-
se transformera en évoluant.
non plus
si
la
Russie ne passera pas
par une anarchie d'une autre sorte, par un autre
«
il
temps des troubles
».
Mais, en toute hypothèse,
n'est guère concevable que le régime
après avoir obéi, dans sa politique exté-
niste,
rieure,
à quelques-unes des
lois historiques
Russie, n'engage pas lui-même
nir. Si
nent
commu-
peu
les
«
démocratique
»,
la suite
au sens
Occidentaux, que soit
le
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
de la
de l'ave-
oij le
pren-
gouvernement
9
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
128
de Lénine,
il
mû
bolchevik ait
cratie
de penser que l'auto-
est difficile
contre
leur
gré
cent
millions de Russes plus facilement que ne les
mouvait l'autocratie
Au
tsariste.
cas où l'on ver-
l'armée rouge refuser de continuer
rait
contre la Pologne et les
comme
«
la
lulte
agents de l'Entente
)>
l'armée russe de 1917 a refusé de con-
tinuer la guerre contre l'Allemagne, bien des espoirs seraient permis. S'il en est autrement, on
sera conduit à penser que la guerre contre la
Pologne
et les associés
de
la
France a été plus
populaire que la guerre contre l'Allemagne et
que
si
Lénine a réussi
c'est peut-être
que
là
où
s'était brisé le tsar,
la politique extérieure
de l'un
répondait mieux que celle de l'autre aux aspirations,
Dans
même
inconscientes, des masses russes.
cette incertitude,
nous serons réduits long-
temps aux tâtonnements
et la confiance gratuite
vis-à-vis de la Russie
que nous mettrions dans
une Russie meilleure risquerait d'être trompée.
Il
serait
alliance
au moins téméraire de compter sur son
prochaine et de
sacrifier
quoi
que ce
fût d'assuré à l'espoir de cette alliance. L'expectative et la méfiance seront plus saines et, vis-à-
vis
de
la Russie, la politique^ la plus sage cousis-
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
tera
la
probablement à tenter de
129
la neutraliser
dans
mesure du possible.
Res^tejajlounianie,
dernier en date des Alliés
le
que nous ayons trouvés pour
exemple
est
instructif.
la
guerre.
s'agissait
11
Son
d'un Etat
organisé par cinquante ans d'un règne paisible
et qui occupait
un rang
très
honorable en Europe.
Par ses ressources, sa
civilisation,
tration, ses finances,
était
à
la
moyenne
donné par
la
les
il
son adminis-
nettement supérieur
des petits Etats. Cependant, aban-
Russes,
il
a subi
le
même
sort
que
Serbie et son rôle militaire a été terminé en
peu de temps.
Il
ne peut pas y avoir de cas meil-
leur ni plus favorable d'alliance avec
dont
la
population
et les forces
un peuple
sont limitées. Les
services que ces sortes d'alliances peuvent nous
rendre en cas de conflit ave une grande puissance
continentale sont aussi jugés par ce cas-là.
non plus
doit pas négliger
la Bessarabie, les
le fait
de
la
quelle
qu'en reprenant
Roumains savent
rent l'antagonisme des Russes.
Il
On ne
qu'ils encou-
y aura du moins
méfiance entre eux. Sur ce point encore,
difficulté
nous voudrions
d'accorder
qu'ils
les
peuples
fussent accordés!
comme
130
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE lA PAIX
Résumons encore
triche-Hongrie.
bare
et
Plus d'Au-
ce bref exposé.
Une Russie pour
moment
le
bar-
hostile et dont l'avenir est inquiétant.
Entre cette Russie
et
l'Allemagne, et depuis les
bords de la Baltique jusqu'à ceux de la mer
un éparpillement de nations dont
Noire,
nombreuse,
deux feux.
la nation polonaise,
Il
la plus
est prise entre
n'existe plus sur le continent euro-
péen de grande puissance pour nous aider à
établir
un équilibre que
présence de la masse
la
germanique rend nécessaire. Et
la seule qui soit
homogène
cette
et organisée
/d'une vaste décomposition
:
voilà
masse
est
au milieu
ce
qu'il
est
impossible de perdre de vue.
La
stastistique
nous apprend que l'Europe de
1914 comptait vingt-six Etats.
l'Europe de
1920,
R
y en
environ trente-deux,
qui n'est pas encore définitif, car
il
a,
dans
chiffre
subsiste des
incertitudes au sujet de quelques-uns, sans parler,
bien entendu, de
la fragilité
de quelques autres
dont l'existence pourrait être brève.
veaux Etats
se sont détachés
ou
ils
Ces nou-
ont été déta-
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
131
chés de l'empire russe et de l'empire austrohongrois. Ce sont, du nord au sud, la Finlande,
l'Estonie,
la
la
Lettonie,
Lituanie,
la
Pologne,
la
Tchéco-Slovaquie. Entre l'Autriche et la Hon-
grie,
une
il
n'y a plus de lien et chacune compte pour
unité.
Tous ces Etats offrent un
trait
commun
sont dépourvus de frontières naturelles.
limites sont à
celles
peu
près, et tant bien
de la nationalité dont
Encore convient-il de
faire
surtout à
mement
l'est,
du côté de
difficile
le
nom.
de nombreuses ré-
La nationalité polonaise
serves.
ils
que mal,
portent
ils
:
Leurs
est diffuse,
la Russie,
de discerner
oii
il
et,
est extrê-
elle
s'arrête.
La Tchéco-Slovaquie, comme nous l'avons déjà
indiqué, est presque aussi bigarrée que l'ancien
empire des Habsbourg,
l'élément tchèque
et
l'élément
proprement
dit,
national,
ne domine
pas autant qu'il faudrait. La Hongrie,
posé,
plaint de n'avoir pas
se
Hongrois
et
annonce un
à l'Autriche, sur
le
«
à l'op-
son compte de
irrédentisme
».
papier c'est un Etat, mais ce
n'est plus que le résidu d'un Etat, auquel
quent
les
mais de
Quant
man-
conditions non seulement de la durée,
la vie.
132
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
Qu'ils soient ressuscites ou qu'ils soient le reste
de quelque chose de plus vaste, ces nouveaux
venus ont une étendue
Le plus grand
encore,
et
serait la
une population inégales.
Pologne
si,
en ce
moment
y avait rien de moins assuré que
il
les
frontières et peut-être le sort de la République
polonaise. Les autres varient entre une quinzaine
de millions d'habitants (Tchéco-Slovaquie), sept
ou huit (Autriche
pour
et Hongrie), un,
deux ou
le reste.
Dans toute l'Europe orientale
a des
«
marches
»
et centrale,
et des « confins »
il
y
qui ne ré-
sultent pas seulement de la configuration
et
trois
du
sol
de l'absence de limites naturelles. Les limites
dites
naturelles sont loin
absolu.
en Occident,
Si,
les indiquer,
Ailleurs,
il
d'avoir
la
un caractère
géographie semble
l'histoire y a plus de part encore.
y a beaucoup de nationalités et peu
de nations. Ce qui
fait
une nation,
c'est l'habi-
tude de vivre ensemble. La frontière a un sens
précis
quand des hommes savent qu'au delà du
poteau cessent des mœurs, des coutumes, des
souvenirs auxquels
nouveaux
Etats, rien
ils
sont attachés.
Dans
les
de pareil à ce contour idéal,
plus résistant qu'aucun rempart. Tout y est neuf,
LE JEU DE TUENTE-DEUX CARTES
imprécis
amorphe. Dix, vingt, cent combi-
et
politiques
naisons
133
distributions
et
territoriales
dfférentes de celles que la paix a décrétées sont
possibles et ne seraient ni plus ni
une
Pourquoi
nables.
Pourquoi
district
le
ville
moins raisonde
libre
de Teschen,
oij
Dantzig.!^
cohabitent
des Polonais, des Allemands et des Tchèques, partagé de telle manière plutôt que de telle autre?
Pourquoi
quand
nationalité
la
ruthène
la voisine se voit reconnaître
droit divin?
Une
est-elle
niée
une sorte de
presque infinie reste
plasticité
l'apanage de ces peuples et de ces régions. Et la
plasticité, c'est l'instabilité.
A
défaut de frontières naturelles et de fronces Etats-enfants ont-ils reçu
tières historiques,
au moins des frontières stratégiques? Ont-ils
moyen de
France,
se
défendre? Pas plus que pour la
on n'y a songé pour eux. Dans son
remarquable rapport sur
les
toriales des traités de paix,
relève
un oubli
singulier.
a été créée, mais
la
Bohême, par
en 1866, a été
le
le
le
oii
stipulations
terri-
M. Charles Benoist
Une Tchéco-Slovaquie
quadrilatère de Glatz, clef de
l'armée prussienne avait passé
laissé
mot de Bismarck
à l'Allemagne,
avait
cessé
comme
d'être
vrai
si
:
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
134
\
((
Celui qui est
le
maître de
maître de l'Europe centrale
proposition n'était pas
fameuses de
batailles
la
)>,
la
Bohême
et
comme
démontrée par
est
si
les
Montagne-Blanche
le
cette
deux
et
de
Sadowa.
Les Etats anciens à qui la guerre a valu des
accroissements considérables ne sont d'ailleurs
pas mieux constitués que
Comme
Etats nouveaux.
les
Tchéco-Slovaquie, la Roumanie
la
et la
Yougo-Slavie sont tout en longueur. Par rapport
à leur étendue,
le
développement de leurs fron-
tières est excessif et,
en est extrêmement
de
la
par conséquent,
côtière.
La Grèce, dépourvue
comme
disait
sécurité
littoral,
d' «
une bande
épine dorsale
»,
M. Venizelos avant de succomber à
mégalomanie, sera
la
La
défense
Près de la moitié
difficile.
Grèce ne sera qu'un
la
manque
très exposée et très faible.
à tous ces pays dont la cons-
truction n'est ni naturelle ni rationnelle. La force
Ileur manque également. Et quand des peuples ne
se sentent ni forts ni sûrs, leur politique louvoie.
Les provinces
«
rédimées
»
ou conquises qui
ont doublé la Roumanie, triplé la Serbie, accru
la
Grèce dans des proportions excessives, n'ont
d'ailleurs
pas ajouté autant qu'il semble à la
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
135
puissance de ces Etats. Imaginons que l'AIsace-
Lorraine soit égale en superficie et en population au reste de la France. Imaginons qu'une telle
Alsace n'eût jamais
çaise
très
ou n'en eût
lointains.
partie de l'unité fran-
fait
fait
partie que dans des
Quelles
difficultés
à l'administrer! Voilà justement
le
temps
nous aurions
cas des Etats
qui ont été dotés de vastes provinces. L'assimilation de ces territoires et de leurs habitants sera
longue
et
délicate,
nible. C'est
elle
ne sera pas pé-
une œuvre qui laissera aux gouver-
nements peu de
temps que
quand
loisir et
peu de
liberté,
en
même
la conscience de leur fragilité ajou-
tera à leur peur naturelle des coups. Bien
mieux
placés que nous pour mesurer les périls de la
situation dans l'Europe centrale, loin de courir
à des alliances en vue de la guerre défensive
contre l'Allemagne et à plus forte raison contre
une coalition germano-russe,
les alliances qu'ils
concevront
comme une
seront
conclues
rance contre les risques.
tente
et
»,
assu-
Ainsi la « petite En-
qui s'est formée entre Prague, Belgrade
Bucarest au mois d'août 1920, quand la Po-
logne a été en danger, a pris ouvertement
caractère d'une « ligue des neutres
».
le
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
136
Enfin, et ce n'est pas la
sidérer,
quels sont les
moindre chose à con-
hommes
et les principes
qui dirigent les pays neufs? Quelle est la nature
de
institutions?
leurs
A
soumis? Quelles garanties
quel
régime
offrent-ils
contre les tares diverses dont
à l'intérieur
ont été affligés
ils
à leur naissance? L'unité nationale de
que
fier
des maladies d'enfance.
fixe,
plupart
nom que pour
signi-
entre Tchèques et Slovaques
la fusion
est loin d'être accomplie.
ment
la
La Tchéco-Slo-
d'entre eux est encore à faire.
vaquie ne porte sans doute ce
sont-ils
Ces pays sont à l'âge
Oi^i
est,
chez eux,
l'expression permanente
l'élé-
qui, à l'ori-
gine de toutes les nations européennes demeurées solides, a été
une dynastie ? Sauf
Yougo-Slavie et
la
leur,
les
— bien
la
la
Roumanie,
Grèce qui conservent la
ébranlée dans ce dernier pays,
—
autres nationalités ont sauté à pieds joints
dans
démocratie pure. Tout
la
neuvième
siècle,
il
avait été
le
long du dix-
admis que
les
peuples
enfants avaient, plus ([ue les autres, besoin de
Une
tuteurs.
((
unité
»
nationalité
qu'on
libérait,
une
qui se formait recevaient ou se don-
naient une
monarchie constitutionnelle.
Celles
qui n'avaient pas de famille désignée par l'his-
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
137
empruntaient un prince à une dynastie
toire
régnante pour éviter
compétitions, et la greffe
les
produisait ses effets ordinaires. Le nouveau roi
se nationalisait rapidement.
Il
apportait des rela-
tions avec l'étranger, de l'expérience politique,
des
méthodes
même
le
de
gouvernement,
Sa présence atténuait
le
quelquefois
noyau d'un personnel administratif.
les luttes
de partis. Tel fut
cas de la Grèce, de la Belgique, de la Rou-
manie, de la Bulgarie, sans parler de l'Allemagne
et
de
dont l'unité avait été due aux mai-
l'Italie
sons de Prusse et de Savoie. Neuf années seu-
lement avant
la guerre,
séparés de la Suède,
choisi la
les
Norvégiens, s'étant
avaient encore librement
forme monarchique
comme
étant la plus
convenable à leurs débuts. En 1919,
avait changé. Les Alliés ont affranchi
nalités
en masse
universelle.
et ils
Tous
les
la
mode
les natio-
ont instauré la démocratie
nouveaux
Etats,
sans ex-
ception, sont au régime de la République parle-
mentaire. Leur constitution est calquée sur les
modèles
les
plus hardis. Dangereuse expérience.
Ceux qui peut-être ne
ont dû
la désiraient
la subir. Ils seraient
mal
qu'à moitié
notés, suspects
de tendances autocratiques et de sympathies pour
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
138
Guillaume
II,
accusés d'impérialisme,
aux
testaient pas leur fidélité
En
sorte
que
idées républicaines.
Pologne elle-même essaye de
la
nouveau ce qui
s'ils n'at-
l'a jadis tuée.
La démocratie pure
introduite
est
dans des
pays qui ont tout à créer, tout à fonder, des fronà défendre, des populations hétérogènes
tières
œuvre rude, de longue haleine, qui
commode mal d'un gouvernement faible,
à unir
:
et
t-able
la
ins-
divisé. Etant neufs, ces pays ne pos-
sèdent pas
adopté
s'ac-
le correctif
des pays anciens qui ont
démocratie sur
le tard. Ils
n'ont pas de
formation sociale historique, d'organisation administrative, de traditions politiques et bureaucratiques. Et
il
n'y a pas à craindre seulement
que leur développement en
soit retardé
ou com-
promis. Ce qu'ils ont de plus précieux, la nationalité
elle-même, peut être remis en question.
Le régime des partis ouvre
la porte
aux intrigues
de l'étranger. Les alliances seront l'enjeu des
luttes
nets
»
publiques
:
contre les
éternelle
<(
histoire
chapeaux
».
l'Allemagne, aussi pénétrés par
des
<(
bon-
Aussi près de
elle qu'ils
sont
loin de nous, ces pays n'auront qu'une défense
très
médiocre_ contre une action méthodique qui
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
trouvera des complicités à l'intérieur.
Il
139
s'en faut
d'ailleurs de
beaucoup que, dans ces pays comme
en d'autres,
les
éléments
plus démocratiques,
fluence
les plus
avancés
d'ordinaire soumis à l'in-
du socialisme germanique quand
sont pas tentés par
et les
le
ils
ne
bolchévisme russe, nous
soient naturellement dévoués.
Il
y a encore plus
d'ignorance que de fatuité à s'imaginer que tous
les
peuples ont une inclination naturelles pour
notre pays. Les moujiks nous ont bien montré
que
le
Russe ne venait pas au monde avec un
deux yeux
nez,
et le culte
de
la
France. L'in-
fluence française en Europe était surtout
d'aristocratie.
Elle tenait à
une éducation
gnée, qui elle-même impliquait
social. Elle tenait aussi
du temps
oiî le
un
un
fait
soi-
certain niveau
à des traditions héritées
prestige de notre civilisation et
de notre langage n'avait pas de rival. De là
suit,
contrairement à un préjugé encore trop répandu,
en dépit de
la
preuve instantanée qu'a fournie la
chute du tsarisme, que notre véritable clientèle,
dans ces parties primitives de l'Europe,
en général dans
les
les classes les plus raffinées et
plus conservatrices.
dont
les
se trouve
Les masses populaires
représentants sont au pouvoir n'ont pas
140
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LÀ PAIX
ces raisons profondes d'attachement à la France
qui résultent surtout d'une bonne éducation. La
loi
du nombre ne nous favorise
pas.
par un curieux renversement des
D'ailleurs,
choses, la France de la Révolution est devenue
pays
le
monde. Aux
plus réactionnaire du
le
yeux des masses prolétariennes
paysannes
et
de l'Europe orientale, qui tendent vers des formes
barbares de dictature beaucoup plus que vers la
sommes un
démocratie parlementaire, nous
ple
de
<(
bourgeois
Compter que
».
Rien
n'est
sympathies de
les
plus
gauche
«
peuvrai.
»
nous
sont acquises au dehors, ce serait nous exposer
à des déceptions.
Mais on s'apercevra qu'il y a dans
quelque chose
qui
n'est
pas
le
monde
changé à notre
avantage, quand nous aurons affaire à des ministres qui n'ont pas eu de précepteur français
et
qui
n'ont
allemandes,
étudié
si
que dans
les
Universités
ce n'est à l'école du socialisme
allemand. Nous étions partout de plain-pied dans
l'ancienne Europe. La communication s'établissait sans peine
administration.
inculte, propre
par
Le
les cours, le
règne
monde,
d'un
la
haute
nationalisme
aux démocraties qui ne connais-
LE JEU DE TRE>;TE-DEUX CARTES
141
sent qu'elles-mêmes, restreint ces circonstances
favorables à notre action politique et les anciennes
commodités de nos relations extérieures. Heureux
si,
à la longue,
ne
il
les abolit pas.
Ainsi, dans cette vaste partie de l'Europe oii
nous avons à chercher des
alliés et les
d'un nouvel équilibre, tout
éléments
est faiblesse et con-
fusion. Les éléments interchangeables de l'équilibre ancien ont disparu.
pour longtemps,
La Russie, sans doute
est hostile.
Nous avons
détruit
l'Empire austro-hongrois de nos mains. Huit ou
dont l'existence est précaire, jalon-
dix Etats,
nent
les
pourtours de l'Allemagne unie. Loin de
nous aider, ce sont eux qui auront besoin de
notre assistance
feux,
ne
le
:
la
Pologne, prise entre deux
montre que
mais rien n'est
sûr,
notre confiance serait
—
le
trop.
Et pourtant,
c'est encore
mieux
en
elle
que
placée.
Ce n'est pas tout. Ces peuples sont
et le
—
propre des faibles, c'est l'égoïsme.
faibles,
Ils
se-
ront naturellement portés à rechercher des com-
142
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
binaisons par lesquelles
croiront se mettre
ils
à l'abri de leurs trop puissants voisins,
moyen
d'ailleurs infaillible d'avancer l'heure et de se
livrer
à eux. Si
qui viennent de
les nationalités
retrouver leur indépendance l'avaient jadis perdue, ce n'avait pas été sans raison. Elles avaient
succombé à
la
supériorité d'organisation et de
masse des grands Etats qui
dans l'Europe des
les avoisinaient,
et,
de 1919, les petits sont
traités
encore dominés par des géants. Enfin, ces petits
Etats ont entre eux des haines et des querelles
qui les rendent aveugles au bien général et à
leur propre bien. Ce n'est pas en vain que, selon
la
remarque de
américain
l'écrivain
Morton Fullerton,
ont
les Alliés
William
balkanisé
«
»
la
moitié de l'Europe en s'abstenant avec soin de
«
balkaniser
n
niques, qui ne sont que les
petits
Etats,
Des moeurs balka-
l'Allemagne.
seront
d'une division qui
race germanique,
mœurs
éternelles des
conséquence nécessaire
la
au
s'est arrêtée
seuil
de la
pourtant aussi apte que
les
autres à se diviser.
Tout cela réuni
fait
que
la
peuples libres n'existe pas ou
rien pour la renverser.
La
«
barrière
qu'il suffira
»
des
d'un
coalition de ces peuples
LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES
143
contre l'Allemagne et à nos côtés est une chi-
mère. La
Entente
« petite
»
dont
la
Tchéco-Slo-
vaquie a pris au mois d'août l'initiative était
tout simplement une ligue des neutres, formée
au moment où
chute de Varsovie semblait
la
prochaine. Ainsi la Pologne eût été abandonnée
et la
France avec
elle.
C'est
un avertissement.
Si les nouvelles nations vivent toutes, nous avons
chance de
voir, entre
amis
et
ennemis
d'hier, les
alliances les plus bizarres et aussi les plus instables.
On
que
sait
le
nombre des combinaisons
d'un jeu de trente-deux cartes est presque
et
infini,
l'Europe compte désormais trente-deux Etats
entre lesquels les combinaisons pourront égale-
ment
varier à l'infini au gré des événements, des
passions et des intérêts. Absence d'équilibre, foi-
sonnement des
conditions pour
monde
Ce ne sont pas de bonnes
intrigues.
le
repos
et la tranquillité
et la politique française,
huitième
siècle,
du vieux
depuis
le
dix-
n'aura jamais eu tant de peine
à éviter de se fourvoyer.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
10
CHAPITRE
VII
L'ALERTE DE 1920
ET L'AVENIR DES SLAVES
Joseph de Maistre se méfiait des prédictions.
« S'il
faut
Renan, qui
prophétiser!...
était
)>
sceptique,
hasarder quelques prophéties.
disait-il
un
jour.
n'a pas craint de
Il
en a laissé une
qui est fameuse. Dans la deuxième lettre qu'il
adressait à Strauss, pendant la guerre de 1870,
il
avait
menacé l'Allemagne du slavisme.
nombre des Slaves
est
double du vôtre
»,
((
Le
disait-
il
à celui qu'il appelait encore son savant maître.
«
Et
le Slave,
comme
le
dragon de l'Apocalypse,
dont la queue balaye la troisième partie des
étoiles, traînera
un jour après
lui le
troupeau de
l'Asie centrale, l'ancienne clientèle des Gengis-
Khan
et des
Tamerlan.
»
Cette queue du dragon qui balaye la troisième
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
146
figure
apocalyptique,
partie
des
c'était
un peu mieux tourné que
cette
étoiles,
compresseur
Au
».
fond,
Renan, qui ne croyait,
l'aristocratie,
illusion populaire,
même
idée.
dans l'humanité,
qu'à
c'était la
succombé ce
avait
rouleau
«
le
jour-là à
une
au préjugé du nombre. Les
foules innombrables de la race slave lui apparaissaient dans
un avenir vengeur. Nombre
et sur-
nombre. Les légions allemandes, qui opprimaient
la France,
seraient noyées à leur tour.
Renan
oubliait que les Slaves formaient des nations multiples,
médiocrement
et
accessibles à l'anarchie
part, arrivées à
un
diversement
et,
pour
civilisées,
la plus
grande
très bas niveau d'organisation
politique.
Pourtant
il
avait eu une vision d'historien et
de poète, quand
la
il
avait montré, au siècle futur,
Russie jetant vers l'ouest
l'Asie centrale
».
Renan
n'y a pas de Russie d'Europe
communique avec
mers
asiatiques,
les
Mongols,
troupeau de
les plaines,
».
<(
qu'il
La Russie, qui
les fleuves et les
plus qu'à demi asiatique
même, pouvait un
et
« le
savait ou sentait
elle-
jour embrigader les Tartares
les
ramener contre
saires européens. Elle le pouvait,
ses adver-
mais
elle
pou-
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 147
vait encore s'identifier avec cette Asie.
Au
lieu
de diriger et de conduire les Mongols, elle pouvait
être
les
mongolisée. Et surtout, au lieu de mener
hordes d'Asie contre l'Allemagne, l'asiatisme
pouvait devenir complice des Germains.
comme
peut-être la vérité d'aujourd'hui
celle
C'est
ce fut
du passé. Gengis-Khan, évoqué par Renan,
qui semble le connaître mal,
s'entendait avec
l'empereur Frédéric d'Allemagne en cette année
1241,
que l'Occident menacé appela «(l'année
d'angoisse
».
Et
ce
Gengis-Khan,
qui
d'autre culte que celui de l'Etat, aurait
plu à
Renan que
Moscou,
religion
les fanatiques
mieux
orientaux qui, de
monde
la
croyait que
la
ont voulu répandre sur
le
du communisme.
Renan
se
trompait quand
Russie ne conduirait
écraser l'Allemagne.
ginait
n'avait
les
Il
il
hordes d'Asie que pour
se trompait
quand
une croisade du slavisme contre
nisme oppresseur.
Il
le
il
ima-
germa-
semble bien que son
illu-
sion ait été partagée par les auteurs du traité
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
148
de Versailles. Tout
le
dix-neuvième
siècle,
Napo-
léon, Tocqueville, Michelet, avait été obsédé par
la puissance russe.
Il
en avait eu horreur. C'est à
comme
partir de 1871 qu'il se mit à la concevoir
bienfaisante en l'opposant à la puissance alle-
mande. La Russie
au moment où
nous
tsariste trouva grâce chez
elle
commençait à
jetant dans la circulation l'idée d'un
décliner.
grand
En
conflit
de races où la France obtiendrait d'innombrables
alliés
était le
lui
l'Allemagne
contre
Renan
conquérante,
précurseur de l'alliance franco-russe.
donnait une base idéologique
Qu'avait-il
vu de son temps
ples allemands
.^
Il
et
avait
Il
mythique.
vu
les
peu-
s'éveiller à l'idée de nationalité,
se concentrer et s'unir.
Le dix-neuvième
siècle
avait été l'âge de la race germanique. Alors les
contemporains regardaient
asservie dans
beaucoup de
encore
la race slave,
ses branches,
et
ils
calculaient que son réveil ne tarderait pas à suivre
celui des
le
Germains, son unité à se former sur
modèle de
l'est et
la leur. Et
comme
les
Germains, à
au centre de l'Europe, étaient
teurs et les oppresseurs des Slaves,
il
les exploi-
ne paraissait
pas douteux que l'Allemagne ne dût, tôt ou tard,
avoir affaire au slavisme
non seulement
coalisé,
l'alerte de 1920 et l'avemr des slaves 149
comme
mais devenu,
les
Allemands eux-mêmes,
une seule nation.
Renan annonçait à Strauss en
C'est ce que
montrant toutes
populations slaves, des mil-
les
lions et des millions
Moraves
d'hommes, Serbes, Croates,
Tchèques, groupés
et
«
autour du grand
conglomérat moscovite, noyau désigné de
ture unité slave
été le
noyau de
»
même
(de
que
Renan,
oppression séculaire.
sagesse ou prudence.^
se fonder
:
la
la fu-
Prusse avait
l'unité allemande), et lancés tous
ensemble contre l'Allemagne à
avait raison
lui
la
revanche d'une
—
— omettait
était-ce
l'alliance franco-russe
que sur l'oubli de
la
oubli,
les Polonais. Il
ne pouvait
question polo-
naise.
Une
une image
simple,
idée
longtemps sur
les
esprits.
forte
agissent
La vision grandiose
de Renan a été pour beaucoup dans la formation
de l'alliance entre la démocratie française et
le
tsarisme. Qui fera la part de l'imagination dans
la politique
La France
liée
que
.^*
Qui fera
même
se trompait
la part
quand
de l'illusion?
elle se croyait l'al-
d'un peuple et^même d'une race. Elle n'était
l'alliée
d'un gouvernement
aperçu seulement quand Nicolas
II
:
on s'en
est
a été renversé.
150
A
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
donné
ce momenl-là, d'ailleurs, l'alliance avait
ses meilleurs résultats.
de l'isolement,
Après nous avoir
tirés
nous avait sans doute aussi
elle
retenus sur la pente qui conduisait à une abdication
complète à l'égard de l'Allemagne.
guerre ayant éclaté, l'armée russe
toujours lui rendre cette justice
—
il
La
faudra
— détourna assez
de troupes allemandes pour que notre défense
devînt possible. Et puis l'aide morale ne fut pas
moindre
opprimé par
:
sans quantité,
le
l'idée
avec
lui.
était,
Quand
qualité
peuple français avait besoin de
savoir qu'une grande masse,
d'hommes
du nombre,
un grand réservoir
quelque part dans
la
le
monde,
Russie fut défaillante, l'Amé-
rique vint à point pour en tenir l'emploi.
Tels sont les services que l'alliance russe nous
a rendus.
Ils
sont loin d'avoir été imaginaires.
Cependant l'Allemagne, de son
par prendre peur du slavisme.
côté,
avait fini
Le cauchemar
russe fournit au moins un prétexte à la guerre
de 1914 et un aliment à la colère allemande. Et
la
guerre
commença
i)ar la Serbie. C'était
comme
l'esquisse de la grande coalition slave. Mais de-
puis? La Russie avait beau s'être retirée de la
lutte par
une de ces défections dont
elle
avait
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 151
déjà donné l'exemple dans le passé, elle avait
dans des condi-
beau avoir déserté
les alliances
tions qui laissaient
peu d'espoir de retour, on a
continué à croire en
elle.
La Russie
sente, la Russie rouge était
une Russie
se fiait à
idéale,
visible et pré-
devenue
hostile.
On
une Russie invisible
qui aspirait secrètement à reprendre sa place
dans
la
grande alliance. On ne pouvait se résigner
à voir dans
un adversaire
Quand
peuple russe, au lieu d'un
le
allié,
possible.
l'heure vient de faire une grande paix,
de créer des Etats
et
de dessiner des frontières,
alors d'anciens souvenirs, de vieilles lectures, le
communs
fonds de lieux
sur lequel une géné-
ration a vécu, déterminent souvent les décisions
des négociateurs.
En
1919, on est parti de ce prin-
cipe que des nations slaves, disposées en cercle
autour des pays allemands, formeraient une barrière et
un rempart. On n'abandonnait pas
l'es-
poir de voir ces nations se rassembler, se fédérer
autour du
«
l'équilibre,
grand conglomérat moscovite
au
».
Ainsi
lieu d'être celui des Etats, aurait
été celui des races.
n
n'est pas impossible que l'idée de race tra-
vaille encore le
vieux monde. Mais
il
n'est pas
152
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
certain que ce soit dans le sens désiré.
Il
n'est
pas certain que ce soit dans un sens favorable à
la paix.
Etendue à Prague
à Belgrade,
et
Moscou
ternité slave sous la direction de
en ce
moment
Qui
bolchéviste.
qu'elle sera demain.^
Du
jour
la fra-
serait
peut dire
l'idée
oii
ce
de race
a été jetée dans la circulation européenne datent
les plus atroces
Il
convulsions de notre humanité.
n'y a pas de raison pour qu'elle produise de
meilleurs effets à l'avenir.
communauté
Et quand
même
la
des origines et du langage parvien-
drait à rassembler en notre faveur quelques-uns
des éléments du slavisme,
qu'elle
temps
réussisse
la
il
est invraisemblable
à les rassembler tous.
Bulgarie a
passé
avancée du slavisme dans
les
pour
la
Long-
sentinelle
Balkans. Les Russes
l'avaient chérie, choyée, préférée maintes fois à
la Serbie.
La statue du
tsar libérateur se dresse
encore à Sofia. Les guerres bulgaro-serbes,
la
dernière,
celle
de
1913,
la
plus
môme
haineuse,
n'avaient pas roussi à tuer la chimère d'une Confédération balkanique, à laquelle l'Occident s'attardait.
Il
a fallu, en 1915, ce qu'on a appelé la
trahison bulgare
(comme
si
les
Alliés n'avaient
pas été trahis surtout par leurs illusions) pour
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 153
qu'on s'avisât tout à coup
que
les
Bulgares
«
Tou-
frères des Turcs et des Hongrois.
Rien
n'étaient pas des Slaves, mais d'indignes
raniens
»,
de plus vain que cette mythologie des races, aussi
capricieuse, aussi décevante que celle des nationalités.
((
Avant d'être stigmatisée
nation de proie
»,
la
comme une
Hongrie a passé long-
temps pour une nation victime. Depuis 1913 seulement, les
sens,
les
et
comme
<(
des
atrocités bulgares
anciens
»
ont changé de
persécutés
persécuteurs.
sont
apparus
N'échafaudons
plus
jamais de politique sur ces vanités.
Bien hardi qui oserait annoncer l'avenir du
slavisme. Les Bulgares en sont rayés pour cause
De
d'indignité.
les
Yougo- Slaves suivent des routes incertaines
et obscures.
les
leur côté, les Tchéco-Slovaques,
Hs ne sont pas disposés à
se faire
instruments du système trop simple, vrai-
ment
naïf,
qu'avaient imaginé les auteurs de la
paix. Ces peuples se recueillent. Ils
situation.
Hs sentent,
ils
examinent
la
savent que leurs Etats
sont fragiles, qu'ils ont quelque chose d'amorphe,
154
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
peut-être de provisoire,
et qu'ils
se briseraient
au premier choc avec une puissance plus
forte
qu'eux. Leur attitude sera celle d'une neutralité
A
prudente.
d'éviter
un
l'égard de l'Allemagne, grand soin
Même
conflit.
l'autre colosse,
le
sympathies de race qui,
favorables à
soit,
dans
même
le
la
crainte de contrarier
moscovite, sans compter les
si elles
politique
bolchéviste,
russe,
même
la crainte
est
par
donc
le
le
qu'elle
faibles,
:
de masquer
sentiment.
très
douteux que,
est capable de s'unir,
Mais
quelle
et surtout dirigée
sens d'une alliance avec l'Allemagne
double raison alors, pour ces
Il
agissent, seront
si
le
slavisme
son unité soit désirable.
slavisme n'est pas uni. Ce n'est pas en
Bulgarie, c'est en Pologne que se trouve sa cou-
pure
la plus visible.
Là, le schisme est ancien,
profond, la querelle inexpiable, aggravée par
la
parenté elle-même. Si on l'avait oublié, l'alerte
de 1920 est venue rafraîchir trois cents ans d'histoire.
La Pologne a retrouvé son indépendance à un
moment
oii,
pour dire toute
ne passionnait plus personne.
la vérité,
Il
sa cause
y avait d'abord
sur son tombeau la pierre de l'alliance franco-
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 155
russe. Et puis,
si
les
Français avaient cessé de
ce n'était pas seule-
s'intéresser à la Pologne,
politique et pour plaire au grand allié.
ment par
la nationalité souffrante et
Depuis 1871,
n'était-ce
reuse,
pas la France.^
Polonais à nous-mêmes
un républicain après
Strasbourg
avait
pris
traité
place
la
si actif,
dans
qu'il intervenait
siècle,
malheu-
Soyons nos
disait spirituellement
»,
le
L'amour de la Pologne,
<(
de
Francfort.
de
Varsovie.
au dix-neuvième
les révolutions
de
notre politique intérieure, était passé à l'état de
souvenir littéraire et n'était plus vraiment senti.
La Pologne
n'était plus d'actualité, ce qui
pour conséquence de
même temps
la
chasser des esprits en
qu'elle sortait des cœurs. Certaines
notions qui étaient autrefois des lieux
étaient ignorées,
1920
les
comme
et,
quand
les
ont remises en honneur,
des nouveautés ou
Cependant
a eu
les
hommes
comme
communs
événements de
elles
ont paru
des paradoxes.
qui avaient réfléchi jadis
au problème polonais, qui l'avaient étudié du
point de vue politique et dégagé de l'alliage sentimental, n'avaient pas tardé à en découvrir le
caractère.
celle
La persécution de
la
Pologne n'était pas
d'un peuple par un tyran, mais d'une na-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
156
une autre,
tionalité par
et c'était aussi vrai
du
partageant russe que du partageant prussien.
«
Pour
la Russie,
de sa part de
la
disait Guizot, la conservation
Pologne n'est pas seulement une
question de gouvernement, un intérêt de souverain, c'est
une passion nationale;
est encore plus ardent
souffrir
que
la
le
peuple russe
que l'empereur à ne pas
Pologne échappe à l'empire.
»
On
avait vu plus tard, en 1863, avec quelle fureur
enthousiaste les Russes avaient réprimé l'insurrection polonaise. « Ce qu'on
quement à Paris
la
et à
nomme
sympathi-
Londres l'indépendance de
Pologne, écrivait alors Emile de Girardin, se
nomme
cou
patriotiquement à Pétersbourg et à Mos-
démembrement de
le
la
Russie.
»
Et l'auteur
contemporain d'un traité de politique européenne
relève encore « l'acharnement âpre et farouche
dont
le
siècles,
peuple russe
fait
preuve,
depuis trois
contre la malheureuse Pologne. Le tsar
voudrait rendre à ce
libertés qu'il
ne
le
pays une partie de ses
pourrait pas.
Il
faut,
pour
plaire à la majorité de ses sujets, qu'il règne par
la terreur sur la Vistule
i.
^ ».
Debidour, Histoire diplountlique de l Europe.
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 157
Entre Polonais
a des causes
et Russes, l'hostilité
anciennes et profondes. Faite de rancunes historiques; elle renaît toujours parce que les griefs
sont permanents et parce que l'incompatibilité
tient à la nature des
par
latinisés
Russes
comme
le
deux peuples. Les Polonais,
apparaissent aux
catholicisme,
des dissidents du slavisme. Que la
différence des religions tienne à des différences
premières et originelles ou bien à l'histoire,
même. Ce sont deux nations aux
est le
indistinctes, entre lesquelles
nomme
quand
quand F
pour
n'y a pas d'accom-
domination
elles
Polonais sont
les
frontières
depuis qu'elles se connaissent. La paix
modement
se
il
l'effet
ordre
«
»
les
conquête,
et
maîtres de Moscou ou
russe règne à Varsovie. Dans
l'intervalle, guerres
mêlées de trêves.
La Pologne à peine rendue à l'indépendance,
guerre a recommencé. La
comportée
comme
la Russie tout court.
raux du tsar se sont mis à
rouge.
Guerre de principe
guerre
politique
et
russe de vieux style,
n'est
même
la tête
de
et
Les géné-
de l'armée
propagande,
:
guerre polono-
fatale, si
spontanée, qu'il
nationale
si
la
Russie bolchéviste s'est
pas possible de dire quel a été l'agres-
seur. Les Polonais ont
marché sur Kiev
et
cherché
158
CONSÉQUEiNCES POLITIQUES DE LA PAIX
comme
à atteindre leurs frontières de 1772,
rien ne s'était passé depuis 1772.
si
Les Russes,
ayant repris l'offensive, ont marché sur Varsovie
comme
si
un Romanof,
et
non pas Lénine,
était
au Kremlin. Le bolchévisme a suivi à son tour
fameuse
la
de continuité nationale, règle des
loi
révolutions. L'histoire est d'une fatigante
mono-
tonie.
La Pologne a
été sauvée
à la dernière heure.
Livrée à elle-même, elle courait à la décomposition politique, et nous avons vu approcher le
ment
oii
mo-
l'armée polonaise succomberait encore
par l'anarchie de l'Etat. Le patriotisme ne
pas aux peuples, et
si la
aide, ses hommes, son
nul ne sait
oii la
suffit
France n'avait prêté son
commandement
militaire,
défaillance de la Pologne se fût
arrêtée.
L'image d'une catastrophe a
été
devant nos
yeux. C'est ce qu'on appellera l'alerte de 1920.-
Après
le
s'étaient
guerre
L'alerte
traité
écoulés
de
avant
connu sous
le
Francfort,
le
quatre
ans
nouveau danger de
nom
du mois d'août 1920
d'alerte
est
de
1875.
survenue qua-
torze mois après le traité de Versailles. Bref délai,
course accélérée des événements et des consé-
î
l'alerte de 1920 et l'aveiNir des slaves 159
quences. Et cette alerte s'est présentée dans des
conditions qui doivent servir d'avertissement pour
Tavenir.
En
1875,
il
y avait encore les éléments
d'un équilibre européen.
de simple
L'attitude
désapprobation prise par la Russie et par l'Angleterre avait suffi
à calmer Bismarck, à
lui
mon-
l'imprudence d'une politique qui exposait
trer
En
l'Allemagne au danger d'une coalition.
c'est
1920,
autour de la France que l'isolement a été
organisé. L'Angleterre et l'Italie désapprouvaient
la politique française et déconseillaient la résis-
tance.
<<
La grande Entente
petite Entente
»
était
ou ligue des neutres
dans l'Europe centrale entre
la
«
barrière
la seule
une
et
se formait
les nationalités
pour abandonner
la
Pologne
de
et
puissance qui soutînt la Pologne. Tchéco-
slovaques
la
»
dénoncée
Yougo-Slaves,
et
Roumanie,
invoquaient
mais
c'était
elle,
l'Allemagne.
se
la
pour favoriser
la
rapprochant do
fraternité
Russie
Conscients de leur
et,
slave,
avec
fragilité,^
ces Etats refusaient d'avance d'affronter les ris-
ques d'un conflit avec de plus forts qu'eux. Enfin,
partout l'Allemagne était à l'œuvre,
suscitant
des troubles, se servant de ses relations soit avec
les socialistes, soit
avec les mécontents de toutes
CONSÉQUENTES POLITIQUES DE
U
PAIX.
11
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
160
sortes, Irlandais
ou flamingants. La Belgique
même, jusque dans son gouvernement,
Pour son compte,
divisée.
et
tenait prête.
PAIX
LA.
Une
elle-
était agitée
l'Allemagne
se
victoire des Russes eût été le
signal d'un soulèvement sur le modèle de 1813.
Nos
détachements
de
en
garde
étaient attaqués. Sur la rive gauche
Haute- Silésie
du Rhin, des
grèves, une excitation méthodique de la popula-
inspectée à ce
tion,
nistre
d'Empire
:
moment
un mi-
précis par
c'étaient les signes d'un plan
destiné à paralyser ou à gêner l'action de nos
troupes.
En Allemagne même, de
nisations militaires surgissaient
les
:
nouvelles orga-
VOrgesch après
gardes d'habitants, la police de sûreté,
matdiensl,
etc.,
l'esprit
le Ilei-
allemand ne se lassant
pas d'inventer de nouvelles formes de militarisme, de nouvelles façons de conserver et de dé-
guiser une armée. Et l'on voyait aussi, ce qui
n'était pas encore arrivé,
ces milices s'étendre
hors des frontières de l'Empire, dans
les
pro-
vinces autrichiennes, Tyrol et Vorarlberg,
sus-
ceptibles de se détacher les premières
gouvernement de Vienne,
en sorte que
plie
la
du pauvre
d'ailleurs consentant,
réunion, VAnschhiss, se fût accom-
non pas en bloc
et
d'une façon solennelle,
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 161
mais par coups de forces successifs
et
d'appa-
rence spontanés.
Le sauvetage de Varsovie a empêché l'exécution de ce vaste plan.
l'a
suspendu. Tous
On
doit lire plutôt qu'elle
les préparatifs subsistent. Ils
pourront servir une autre
Nous avons
fois.
à une répétition générale de
mande, interrompue par
la
des principaux acteurs. Nous
Nous sommes
la
assisté
revanche
alle-
défaillance de l'un
sommes
renseignés.
avertis.
L'alerte de 1920 comporte en effet plusieurs
leçons. Elle est le premier effet sensible
vais
agencement de
la paix.
du mau-
Les critiques théo-
riques et raisonnées qui, dès l'origine, ont été
adressées au traité de Versailles se trouvent vérifiées
par l'expérience. Cette paix ne se soutient
pas par elle-même. Elle ne peut être défendue
qu'au prix d'efforts militaires sans cesse renouvelés, et elle reste
à la merci de tout événement,
également militaire, survenu aux points
les plus
fragiles de la construction.
Et d'abord, ce qui devait être,
le traité
de Ver-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
162
sailles a
noué
On
Russie.
moment
l'alliance de
n'a plus
l'Allemagne
et
de la
droit de s'y tromper.
le
Du
qu'entre l'Allemagne et la Russie, aux
dépens de l'une
une Pologne,
la
de l'autre, on reconstituait
et
communauté des
intérêts et des
sentiments s'établissait. Allemands
s'aiment pas, mais
ils
plémentaires.
ont
Ils
et
Russes ne
sont pour ainsi dire com-
de
besoin
se
toucher,
d'échanger des produits, des idées, des hommes,
et ils
ne peuvent se joindre que par-dessus
corps de l'Etat polonais.
Ils
complices pour se garantir
leur
les
uns aux autres
morceau de Pologne que pour
la détruire et
de nouveau. L'Allemagne, après sa
la partager
défaite,
le
sont encore moins
devait
désirer
naturellement l'alliance
de la Russie. Ce n'aurait pas été une raison suffisante
pour qu'elle fût certaine de l'obtenir. La
Pologne semble avoir été inventée pour hâter
le
rapprochement.
L'alliance de l'Allemagne et de la Russie par
la
Pologne
:
c'était
encore un lieu
notre ancienne politique,
commun
un principe qui
plus besoin d'être démontré.
Il
subsiste.
de
n'avail
Il
n'y
a jamais eu tant de raisons de s'en souvenir. Le
traité
de Versailles a rendu à la Pologne son
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 163
indépendance
comme
en cire atteinte
part,
si
l'Allemagne seule devait
et blessée,
comme
Russie était résignée et consentante et
la
devait se réjouir d'avoir fait
On
justice.
pour sa
si,
se figure aussi
un
sacrifice
mesure du possible,
suivraient, dans la
à la
que des frontières qui
les limites
ethnographiques, avec des concessions mutuelles
et
des compensations
sibles,
auraient
durable entre
la
le
dans
les
régions
résultat d'assurer
Pologne
et la Russie.
indivi-
une paix
En admet-
tant la possibilité d'un partage équitable et qui
contente les deux nations,
la
il
faudrait encore que
Pologne cessât de gêner, d'offusquer,
la Russie
ment de
quand
par
le seul fait
qu'elle existe.
fixer les frontières de la
celles
de l'ouest, en
d'irriter
Au mo-
Pologne à
Silésie,
l'est,
sont encore
imprécises, on pense gagner le sentiment national
russe par la modération et par la douceur.
peut l'essayer. Mais
tèle la
Pologne,
si
si,
on
On
du même coup, on démanlui
enlève ses bastions,
si
l'on excite chez les Russes la tentation de l'en-
vahir une autre
Ce n'est pas
si
fois.»^
Redoutables perplexités.
simple qu'on voudrait
le croire.
L'alliance germano-russe par la Pologne a des
racines tellement fortes qu'il
y a très peu de
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
164
chances pour que de simples arrangements de
Un homme
carte réussissent à l'empêcher.
sentait
—
et des nerfs.
Il
peu de
—
y
cette intuition des entrailles
a,
dans notre littérature
Il
poli-
qu'une centaine
livres plus ignorés
de pages écrites par Michelet pendant
de 1870.
qui
charnellement l'histoire a eu un jour,
et quel jour!
tique,
la
y en a peu de plus fiévreux
guerre
la
et
de plus
fulgurants. Le célèbre halluciné, dans sa douleur,
dans sa colère, dans sa déception
(car
avait
il
aimé l'Allemagne), a eu sur l'avenir des vues
d'une justesse étonnante.
ples dont
il
Il
semble que
avait écrit l'histoire aient
devant ses yeux.
Il
magnétiseuse.
comme une
hésitait,
qu'il
les
tremblait,
il
accouchât enfin de
Celle
Comme
dans
il
Et
((
voyait
)>,
les
peu-
marché
comme une
sibylle
aussi,
il
se reprenait jusqu'à ce
la
prophétie.
de Michelet contredit celle de Renan.
le
rationaliste, le
l'avenir
portant en
elle
une
voyant a bien aperyu
Russie
on ne
errante,
guerrière,
de monstrueux
sait quoi
hérité de l'Asie. Et Michelet annonçait à son tour
que cette immense Russie, peuple instable
gabond, se déplacerait encore vers
ce
pour écraser l'Allemagne,
et va-
l'ouest. Serait-
pour venger
la
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 165
Cet
France? Michelet ne distinguait pas bien.
avenir était obscur.
Il
l'épelait
en haletant.
Et,
tout à coup, le trépied s'agitait, le voile se dé-
hommes
Le devin interpellait des
chirait.
in-
connus, innommés, ceux qui ont rédigé la paix
de Versailles, sans doute, et
leur adressait des
il
Ah! comment vous y prenezparoles étranges
vous pour vous aveugler vous-mêmes.^ Ne pas voir
:
ce
que vous voyez
Comment
terrible,
de
la
Mariage par
Ignorer ce que vous savez .î^...
la
banquet où
deux
les traités
Pologne
:
«
communion,
la Russie. « Elle
main encore
plus,
du
d'être
une
I.
Avec
où,
servie,
.^
Mais
»
un
pour
Cette
en aura besoin des'éveillera,
rêve, de son ivresse actuelle, oii l'idée
lui
a fait oublier. Mais, pour être une,
oià elle
voudra
son petit
être,
Prusse, lui montrera la Russie
^.
»
La France devant l'Europe, par Jules Michelet
celte
»
Prusse a
la
quand l'Allemagne
faut être. Le jour
la
sont inutiles!
on but un verre de son sang.
sortira
est si
C'est la Prusse,
Pologne fut
la
eu besoin de
tyran,
Il
.^^
qui proposa au dernier siècle
la rompra-t-elle
il
mariage profond,
le
Prusse avec la Russie
Etat demi-slave,
dessert,
.^
avez-vous oublié
fort qu'entre elles
le
«
épigraphe
:
«
Les juges seront jugés
».
(1871).
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
166
Mettez la prophétie de Michelet sur
même
de ce que vous voudrez,
l'épilepsie. Elle est là. Elle
a
avons vu
le
compte de
pour notre
sur
Pologne
la
:
les
les traités
rassemble. Nous
Allemands compter
les
compte
l'air faite
temps. Entre l'Allemagne et la Russie,
sont superflus
le
les
jours jus-
qu'à la prise de Varsovie et se tenir prêts à prode l'écrasement de la Pologne. Pas d'al-
fiter
plus
liance
naturelle.
jours spontanément, et
aussi
décisives
Nous
serions
Elle
se
reformera
tou-
y a peu d'expériences
il
dans toute
l'histoire
impardonnables
politique.
d'oublier
cette
leçon.
La Pologne a
été sauvée à la
onzième heure.
L'extrême danger qu'elle a couru montre qu'elle
est
mal
avec
articulée
montre aussi que
Europe.
nouvelle
la
Il
la solidité intérieure de l'Etat
polonais est des plus douleuses. Sa capacité de
résistance
à
la
double
s'exercera encore sur
pression
lui
dans
latérale
les
qui
temps pro-
chains sera évidemment médiocre. La Pologne
comme une protection
magne, comme un Etat-tampon
conçue
et
l'Allemagne, n'a pas les
fallu
pour tenir ce
rôle.
contre
entre la Russie
moyens
Au
lieu
l'Alle-
qu'il lui aurait
de nous servir
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 167
de point d'appui,
il
faudra l'aider à se défendre.
pour nous une charge. C'est un grave
Elle sera
sujet de préoccupation pour l'avenir.
Quelle est la plus grande faiblesse de la Pologne.!^
C'est qu'elle n'a pas d'Etat.
La question
de ses frontières vient au second rang.
Dans
toute cette partie de l'Europe, aucun pays ne peut
avoir de bonnes frontières. Les frontières naturelles,
elles
sujettes
à caution partout,
même
là oiî
semblent à première vue inscrites sur
le
sont inexistantes à travers les vastes plaines
sol,
de l'Europe orientale. Les frontières ethnogra-
phiques sont mouvantes
toujours contestées
et
en raison du mélange et du conflit des races, des
langues et des religions. Quant aux frontières
stratégiques, elles sont illusoires
s'il
n'y a pas,
derrière les bastions et les lignes de défense, une
force organisée. Depuis l'époque moderne, toutes
engagées entre
les luttes
les
peuples qui voisinent
sur ces Marches se sont terminées de la
manière
tral
et
«
:
même
ceux qui possédaient un pouvoir cen-
vigoureux mangeaient peu à peu
rassemblaient la terre
».
Ainsi,
les autres
et grâce
cette supériorité, l'Etat prussien et l'Etat
vite étaient
venus à bout de
la
à
mosco-
Pologne qui n'avait
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
168
un
solide gouver-
jamais su constituer chez
elle
nement. Ainsi encore
Habsbourg, bien assis
les
dans leurs provinces héréditaires, avaient cousu
peu à peu à leur Empire des morceaux disparates et
non germaniques échappés à l'impuis-
sance des peuples qui
bordaient.
le
Une des plus précieuses remarques dont
toire ait fait
cadeau à
contemporaine
l'a
l'his-
la politique, et la politique
totalement négligée, est cer-
tainement due à M. Ernest Lavisse. Après avoir
raconté l'ascension des Hohenzollern et de l'Etat
prussien,
M. Lavisse note dans ses Etudes sur
l'histoire
de Prusse
dans
:
«
Seules ont été grandes
temps modernes
les
au moyen âge des dynasties consacrées
hême,
la
ont eu
les nations qui
:
la
Bo-
Pologne, la Hongrie ont perdu leur indé-
pendance pour
tion d'un
s'être fiées
aux hasards de
l'élec-
roi. »
La cause
essentielle de la faiblesse des natio-
nalités rendues aujourd'hui à l'indépendance se
trouve donc dans leurs origines mêmes. L'inégalité
à laquelle la Pologne avait succombé au dix-
huitième siècle subsiste.
que
la
Il
semble à beaucoup
Pologne, Lazare des nationalités, reparte
du même point que l'Allemagne
et
la
Russie
l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 169
après leurs révolutions et qu'elle soit à égalité
nouvelle. Grave erreur. Quelques ravages que la
révolution ait
ils
pu exercer dans
ces
deux Empires,
n'en gardent pas moins l'héritage matériel et
les
traditions qu'ont légués à l'un les rois de
Prusse, à l'autre les tsars de Moscou. Les diri-
geants de
République des Soviets eux-mêmes,
la
quelles que soient les destructions qu'ils aient
commencé par commettre,
se sont trouvés
une situation plus favorable que
de la République polonaise.
les vestiges
Ils
les
avaient au moins
de l'organisation, de la bureaucratie,
La Pologne
de la police et de l'armée tsaristes.
est
devant
dans
dirigeants
le
vide. Elle a tout à créer, jusqu'aux
organes rudimentaires d'une administration. En
fait
de personnel expérimenté,
guère que
les Galiciens
elle
ne possède
qui participaient au gou-
vernement de Vienne. Encore ces bureaucrates
ont-ils
leur système auquel ne sont pas pliées
celles des populations polonaises qui étaient na-
guère incorporées à la Prusse
et
à la Russie.
Quand
ils
rience
d'administrateurs (l'adroit Bilinski s'est
n'appliquent pas au néant leur expé-
essayé mais sans succès aux finances), ces fonctionnaires se heurtent à la résistance des habi-
170
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
sont étrangers à la masse
tudes et des mœurs.
Ils
du pays
même
et ils n'ont
vernement dont
recte.
la
pas l'appui d'un gou-
ne sont pas l'émanation di-
ils
Le seul élément qui
soit
capable d'organiser
Pologne, celui qui vient d'Autriche, ne pos-
sède pas les conditions qui lui seraient nécessaires
pour rendre service
et
pour
réussir.
Le
seul élément qui ait une conception de l'Etat et
le
sens de la politique, celui qui vient de Pos-
nanie, est une minorité incomprise. Et l'on ne
fonde pas un Etat uniquement avec du patriotisme et de la bonne volonté.
Pour
ressusciter
une Pologne, pour
avec l'Europe, pour
la
l'articuler
mettre à égalité avec la
Russie et avec l'Allemagne, en un mot pour la
rendre viable,
lution
il
c'était
:
n'y avait sans doute qu'une so-
que
Pologne héritât de l'orga-
la
nisation dont le centre était à Vienne et qu'elle
à
s'intégrât
l'Empire
autrichien
délibérément
reporté des Balkans et de l'Adriatique vers l'Eu-
rope de
l'est.
forme aux
lois
Cette
combinaison eût été con-
de la mécanique politique
et,
par
consétpient, naturelle. L'artificiel, c'est le décret
qui rend à un peuple l'indépendance sans lui
donner
les
moyens de
la
garder et qui
le
met de
l'alerte de 1920 et l'avexMr des slaves 171
prime abord en
état d'infériorité à l'égard de ses
ennemis-nés.
L'Autriche ayant été détruite, cette possibilité
échappait. La Pologne a été restaurée au hasard.
C'est
un enfant mineur chargé de
dans
la vie.
On
une Pologne morte autrefois de
lité
se conduire seul
n'a pas songé un instant qu'à
de ses institutions,
mauvaise qua-
la
n'était pas
il
donné des
Une République de Po-
institutions meilleures.
A
logne succède à la République de Pologne.
aucun point de vue,
semer
la
n'était raisonnable
il
démocratie parmi
de
peuples libérés de
les
l'Europe centrale et orientale. Les résultats peu-
vent être rapidement funestes.
la
En
ce qui concerne
Pologne, la France se trouve, pour sa part,
associée et engagée avec
un pays inorganique
en état d'anarchie latente. Par là encore,
logne,
conçue
comme une
auxiliaire,
la
est
et
Podéjà
redevenue ce qu'était pour nous l'ancienne République de Pologne
Une
:
un souci quotidien.
célèbre instruction de Choiseul au sujet
des affaires suédoises, avant
l'autorité de
Gustave
France, disait fortement
Suède,
tel
qu'il
y
le
avec
III
:
«
rétablissement de
le
concours de
la
Le gouvernement en
est établi,
est
une véritable
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
172
anarchie dont
le
gouvernail est tantôt entre les
mains d'une faction
la cabale opposée.
et
mains de
et tantôt entre les
Le choc continuel de passions
d'intrigues entre
deux
partis qui
cherchent
continuellement à se culbuter et à s'anéantir ré-
ciproquement ne peut être que funeste à ce
royaume
et
rendre son alliance inutile ou
dangereuse aux autres puissances.
que
très sérieux
»
même
C'est unrjs^-
que nous soyons amenés à en
dire autant de J' alliance polonaise.
La Pologne
organisera son Etat et elle sortira de l'anarchie
ou bien nous devrons l'aider tous
les
dix-huit
mois à gagner une bataille de Varsovie
sera pour nous
un poids à
ne succombe
comme
jadis.
traîner.
elle
A moins
avait déjà
et elle
qu'elle
succombé
APPENDICE AU CHAPITRE
VII
L'ALLEMAGNE ET LA POLOGNE
Un
anonyme, en qui nous croyons
écrivain
re-
connaître un célèbre historien polonais, a publié
dans
la
dont
les
revue
Pologne de
la
document
de conclu-
et
:
Le partage de
et
vague de
et
regardé
très
1920, une étude
grandes lignes méritent d'être recueillies
à cette place à titre de
sion
juillet
la
Pologne n'est pas un but éloigné
la politique
allemande.
comme pouvant
rapproché.
Il
être réalisé
En observant
la
est
bien défini
dans un temps
politique allemande
événements en Europe Orientale, on peut se
rendre exactement compte du plan allemand. D'après
ce plan, la politique allemande doit procéder par
et les
trois étapes
:
i" le
rétablissement des anciennes fron-
tières à l'est; 2° l'établissement
mande dans
de l'ouest
européen.
el
l'est
d'une hégémonie
l'hégémonie allemande sur
•
.
alle-
de l'Europe; 3° la revanche du côté
le
Continent
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
174
L'exécution de ce
le
programme
est
conditionnée par
rétablissement de la Prusse dans ses anciennes fron-
tières, ce
qui implique
un nouveau partage de
logne...
La
réussite
contre
d'un partage de
mêmes, principe proclamé
par
et accepté
vite
vants
—
1°
:
Pologne
si
hautement à
et
Versailles
pourraient en tirer en Europe
ils
se base sur les trois ordres
le
— malgré
Allemands, qui ont compris bien
les
quels profits
orientale,
la
Po-
des nationalités à disposer d'elles-
droits
les
la
de
faits sui-
rétablissement d'une situation politique
qui, au dix-huitième siècle, a abouti aux partages de
Pologne et a maintenu une Pologn divisée au dixneuvième siècle; 2° la situation intérieure de la Po-
la
logne
et
les
tendances de
la
politique polonaise,
et
3° la neutralité des puissances occidentales telle qu'elle
a existé
telle
pendant
les
partages au dix-huitième siècle et
qu'elle a persisté devant les partages accomplis
dix-neuvième siècle.
La politique de Frédéric le Grand et de ses successeurs a été couronnée d'un succès éclatant parce
qu'elle a réussi à gagner la Russie et l'Autriche et
a,u
ambitions de Catherine
parce qu'elle a su éluder
les
opposée au partage de
Pologne, parce que désireuse
la
de l'annexer tout entière
Marie-Thérèse,
violés et les
et d'apaiser les
la
scrupules de
céda eu pleurant sur
les
droits
Pologne outragée. Les
politique du grand roi jouent le
malheurs de
successeurs de
même
qui
II
la
voudraient rétablir un cercle de convoitises autoui- du nouvel Etat polonais; ils voudraient
être de nouveau à trois pour exécuter la Pologne.
jeu;
ils
l'Allemagne et la Pologne
175
ont déjà gagné les bolcheviks qui sont devenus
champions de l'idée de la réunion de « la terre
russe » qui a été la grande idée de Pierre le Grand et
Ils
les
de tous ses successeurs.
Ils
affichent sur leurs
dra-
peaux les mêmes principes humanitaires que les armées des tsars. S.uwarow a massacré les habitants du
faubourg de Varsovie, Prag, pour prendre la défense
« des protestants opprimés » par la Pologne catholique; les armées rouges de Braunstein-Trotzky massacrent les populations polonaises pour délivrer le prolétariat de
«
l'qj^pression de la bourgeoisie polonaise,
réactionnaire
changé, mais pas
impérialiste
et
Les
».
mots
ont
fond.
le
L'Autriche-Hongrie n'existe pas, mais
allemande considère que
les
la
politique
facteurs politiques, éco-
nomiques et géographiques qui ont formé l'Empire
Habsbourg n'ont pas disparu et qu'il existe un
ensemble d'intérêts qui, sous une forme ou sous une
des
autre, ressusciteront l'ancien Empii'c. Ils se souvien-
nent bien qu'il fut un temps où
occupé
la
le
trône royal de
Bohême
possibilité de la reconstruction
Tchéco-Slovaq.ues.
les
Ils
les
empereurs ont
et ils
comptent sur
de l'Autriche par
espèrent que l'aliance qui a
uni au dix-huitième siècle
de Prusse aux empe-
le roi
reurs do toutes les Russies et aux empereurs de Vienne
l)Ourra bien renaître au vingtième siècle entre trois
républiques, qui
jettes
que
aux mêmes
les
De
—
pense-t-on à Berlin
lois
—
sont su-
historiques et géographiques
anciennes monarchies.
cette
conception générale se déduisent
conclusions pratiques suivantes
:
les
i° la nécessité
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
12
deux
d'une
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
176
entente avec
PAIX
LA.
gouvernement bolchéviste,
le
action tendant à aggraver
et 2"
une
polono- tchèque au
le conflit
sujet de Teschen.
En
ce
Pologne,
fiter
qui concerne la situation intérieure de la
le
plan allemand est bien simple.
de toutes
organisateurs d'un Etat nouveau
ques, sociales et économiques.
lutte des partis,
encourager
la
Il
faut pro-
qui se posent devant les
les difficultés
difficultés
:
faut
11
politi-
envenimer
la
faut soutenir la hausse des prix,
il
lutte
des classes et organiser la lutte
des nationalités contre l'Etat polonais. Les juifs, les
Lituaniens, les Ruthènes, les Allemands, voilà autant
d'éléments propices pour une activité de
allemande. Maintenant que
gande allemande ont
été
les
propagande
la
mystères de
dévoilés en France,
de s'imaginer ce que peuvent faire
facile
la
les
propail
est
agents
allemands dans im pays qui possède une administra-
une situation économique
La Pologne fourmille
d'agents allemands qui ont une influence réelle et
trop peu appréciée sur l'état intérieur de ce pays. Et
inexpérimentée
tion
et
extrêmement
compliquée.
enfin,
bien
il
faut
dire,
le
la
politique
allemande
espère pouvoir jouer sur les erreurs traditionnelles de
la politique polonaise; elle
Pologne dans
façon qu'elle
les affaires
ait
les
espère pouvoir engager la
ukraniennes
mains
liées
occidentale; elle espère enfin que
nais
rompra
l'équilibre qui,
le
et russes
dans
la
de
telle
politique
romantisme polo-
dans une politique
ra-
moyens dont on
dis-
tionnelle, doit subsister entre les
les buis qu'on se propose.
La politique allemande escompte
pose et
aussi la ncutralilé
!
177
l'aLLEMAGNE et la l'OLOGiNE
des Alliés, résultant de divergences de vue sur l'application
du
traité
de Versailles.
Pou gagner une neutra-
bienveillante des Alliés, les Allemands agitent le
lité
spectre
du bolchévisme
par
vainqueurs
les
mique
et
tâchent de faire admettre
principe de la solidarité écono-
le
de toutes les nations européennes.
La politique allemande fait tout son possible pour
démontrer que l'Allemagne seule est capable de sauver
l'Europe du bolchévisme russe; ils soutiennent donc
en secret le gouvernement de Moscou et l'armée rouge
contre les Polonais pour prouver par les faits que la
Pologne est incapable de tenir tète aux soldats de
Trotzky. D'autre part, ils démontrent qu'il faut
donner
à l'Allemagne la possibilité de développer son
industrie et son agriculture pour vaincre le danger
bolchéviste intérieur.
Ils
demandent donc
les
condi-
tions nécessaires à la reconstitution de leur vie écono-
mique
—
et
l'allégement des charges imposées par
les réparations, et le charbon de la Haute- Silésie. La
propagande allemande
monde
est très habile à lancer
dans
le
des formules qui servent ses intérêts. Pendant
une paix sans annexion ni indemmaintenant c'est « une Allemagne organisatrice de l'Est » et « la collaboration économique des
vainqueurs et des vaincus ». Nous savons qu'un
groupe important en Angleterre, dont M. Keynes est
la guerre, c'était «
nités »,
le
porte-parole, a déjà été
le
programme allemand;
complètement acquis par
si
ces
idées
devaient être
acceptées par la diplomatie alliée, l'Allemagne serait
rétablie dans sa situation d'avant-guerre...
Les diplomates de
la
Wilhelmstrasse ont à présent
178
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
PAIX
LA.
une politique polonaise nette et bien définie, comme
ils ont eu seuls une politique polonaise pendant la
gueiTe, parce qu'ils considèrent le problème polonais
comme étant le plus important pour l'avenir de
l'Allemagne. Mais pour le résoudre sur la base des
considérations ci-dessus indiquées, il faut que la Pologne subisse un désastre militaire. C'est à quoi
travaillé la politique allemande depuis des mois.
Quiconque
a
événements a pu consune préparation de l'offen-
a bien observé les
tater les faits suivants
:
i°
Pologne; 2" des
sive des
armées bolchévistes contre
pour présenter les Polonais
la
efforts
comme
seurs
et
devant
impérialistes
des
péenne; 3° des tentatives pour empêcher
procurer
armes
se
4°
des tentatives pour acheter en
et les
Amérique du matériel de chemin de
produits nécessaires pour
la
les
euro-
Polonais
munitions nécessaires;
Angleterre et en
de
les
des agres-
l'opinion
fer et d'autres
conduite de
la
guerre
5°
des tentaPologne (mission Krassine);
un moufomenter
échouées,
pour
tives, heureusement
l'apparence
Pologne
sons
en
révolutionnaire
vement
de grèves économiques et pour commencer une action
contre
la
pacifiste.
allemands
On
:
voit
bien
que
après avoir tout
les
procédés classiques
fait
pour discréditer
la
victime et après avoir feint d'être attaqué, déclencher
une offensive avec un but bien défini.
Les Allemands se garderont d'inlervenir militairement eux-mêmes; mais ils ont pour celle action un
élément tout
prêt,
le
gouvcrn(>menl arlucl de
la
Li-
tuanie.
...Il suffit
de regarder une carte de l'Europe oricn-
l' ALLEMAGNE
ET LA POLOGNE
179
pour voir que stratégiquement la Lituanie ethnographique joue par rapport à la Pologne le même
rôle que l'Irlande par rapport à la Grande-Bretagne,
et que de là peut, dans un moment opportun, partir
taie
un coup
décisif contre les voies de
communication de
l'armée polonaise. L'expérience séculaire a appris aux
Polonais que celui qui tient
libre vers le centre
même
La Pologne envahie par
c'est la
magne
la
plus
siècle
et
Wilno
a la route
Pologne.
la
hordes bolchévistes,
les
Prusse restaurée, c'est
la
position de l'Alle-
à l'est reconquise, c'est la première étape, et
difficile,
sur
le
chemin de
Voilà un document à
d'hui.
Lwôw
de
II
faudrait
aura passé.
lire et
pouvoir
le
la
revanche.
à méditer aujourrelire
quand un
CHAPITRE
VIII
L'IMBROGLIO ADRIATIQUE
Des Italiens
intelligents, nationalistes
pour leur
pays, nous ont dit bien des fois qu'ils compre-
naient à merveille que l'ancienne politique française dont Thiers a été le dernier représentant,
fût
opposée à l'unité italienne
:
on ne doit pas
travailler à établir auprès de soi de grandes puis-
sances. Mais, en 1914, l'unité italienne était
fait
accompli
celle
et
il
un
n'y avait qu'une chose à tenter,
que M. Delcassé avait préparée dès 1902
:
obtenir la neutralité de l'Italie au cas d'une guerre
franco-allemande. La neutralité étant un état incertain,
dans
il
était
la lutte
du
encore mieux que
même
l'Italie
entrât
côté que nous, et que la
rupture avec ses alliés d'autrefois fût consommée.
C'est ce qui s'est produit, grâce à
un concours
heureux de circonstances, grâce au patriotisme
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
182
dans
italien qui,
d'achever
l'
intervention, avait
programme
le
national
:
Les conditions que
s'en souvenir.
vu
le
moyen
on aurait dû
l'Italie
avait
mises à sa nouvelle alliance, conditions qui sont
dans
inscrites
clairement
c'était
:
de Londres, parlent assez
le traité
l'Adriatique
avant tout. Son adversaire
qu'elle
voulait
direct, ce n'était
pas
l'Empire allemand, c'était l'Empire austro-hongrois.
Là
s'est
trouvé
principe des difficultés
le
futures. Mais la vérité est
que
l'Etat italien, depuis
qu'il existe, s'adapte avec peine à
un système de
politique européenne, quel qu'il soit.
compromis
au
cette adaptation
La paix a
lieu de la faci-
liter.
L'unité italienne, au dix-neuvième siècle, avait
marché du même pas que
là,
chez
le
plus grand
qu'il subsiste
l'Allemagne
que
nombre des
une solidarité
et leur
l'Italie serait
pays.
I.
Italiens, l'idée
une relation entre
fallait
donc prévoir
^,
et
qu'on
lui
représen-
sans doute vainement qu'elle ne gagne-
rait rien
si
le
germanisme avec lequel
Nous renvoyons
l'Italie,
et
Il
De
opposée à tout ce qui tendrait
à dissocier l'Allemagne
terait
l'unité allemande.
elle serait
là-dcssiis à notre livre la Guerre et
publié en 1916.
183
l'imbroglio ADRIATIQUE
en contact
le
contre lequel elle aurait à défendre
et
Brenner,
Trieste
forme prussienne au
l'Adriatique
et
lieu de la
prenait
la
forme autrichienne.
L'Italie n'a pas eu lieu d'intercéder pour l'unité
allemande, qui n'a pas été mise en question à
Conférence de Paris. Mais
s'est passé
il
chose qui défie toute espèce de raison
n'a laissé que malaise et rancune à
que
la
quelque
la
:
l'Italie
paix
après
guerre avait été prolongée de deux années
pour ne pas manquer de parole à
Si les
ils
la
hommes
l'Italie.
d'Etat italiens, au
moment
oii
prenaient leurs précautions par écrit avant
d'intervenir, n'admettaient pas l'idée d'une dis-
sociation de l'Allemagne,
tant pas davantage au
ils
ne pensaient pour-
démembrement de
triche. Peut-être les plus avisés d'entre
tenaient-ils
pas.
En
tout
cas,
eux n'y
au mois d'avril
1919, nous nous
sommes
tion suivante
guerre avait été conduite
si la
:
la
l'Au-
trouvés devant la situa-
comme
destruction de l'Empire austro-hongrois eût
été le résultat principal
que
proposé d'atteindre; toutes
la coalition se fût
les
opérations diplo-
d'Espagne ou par
la
cour de Vienne elle-même en vue de disloquer
la
matiques suggérées par
le roi
coalition adverse, avaient été repoussées en 1917
184
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
SOUS
le
prétexte qu'une paix séparée avec
l'
Au-
triche-Hongrie était rendue impossible par les
engagements du
traité
de Londres. Or,
les Alliés
qui avaient laissé tomber la conversation offerte
par
le
traité
prince Sixte, en se retranchant derrière
le
mêmes
à
de Londres, les
l'Italie
Alliés refusaient
bénéfice de ce traité à l'heure
le
où.
ils
étaient les maîtres absolus de la situation. C'est
pour en arriver
manœuvre
liances
là
que l'opportune
autrichienne,
la
et légitime
dislocation
des al-
ennemies, pour laquelle Alphonse XIII
avait proposé ses bons offices, avait été repousséeJ
Prodigieux scandale pour
Il
était
la raison.
dangereux de décevoir un peuple émotif
et politique
à
la fois
comme
le
peuple
italien.
L'effet a été rapide et profond. La déception a
retourné les esprits. Elle a troublé toute la vie
italienne. Et elle a
ramené au pouvoir, au milieu
des acclamations,
l'homme qui
que
ne
l'Italie
la payerait pas.
litti,
et
Ce qu'il faut voir en M. Gio-
ce n'est pas le neutraliste, le gibelin. C'est
l'homme
pays
avait été d'avis
avait tort d'intervenir et que la guerre
d'Etat réaliste qui est apparu dans son
comme un
de doctrine,
sauveur. Dépourvu de sentiment
il
dirigea l'Italie dans le sens
du
185
l'imbroglio ADRIATIQUE
moindre risque
et
du moindre mal. Ainsi
l'inter-
vention n'aurait été qu'une parenthèse ouverte
fermée aux noces d'or de l'unité italienne.
et
Tout
serait à
ment
et
recommencer.
faut savoir
Il
com-
pourquoi.
* *
L'Autriche, qui n'était pas une nation mais un
Etat,
qu'on pouvait rogner, modeler, déplacer
selon les besoins de l'heure, cette
triche n'est plus.
surgi.
A
Et quand on
des nations ont
sa place,
taille
dans
nation, elle crie, elle résiste.
commode Au-
la
chair d'une
L'Italie, autrefois,
avait été affranchie et unie au
nom du
principe
des nationalités. Voilà qu'une nationalité nouvelle paraissait, la yougo-slave, et c'est sur elle,
à
ses.
dépens, que
l'Italie
revendiquait des pro-
vinces et l'Adriatique. Ce qu'on pouvait enlever
sans souffrance à l'Empire des Habsbourg, com-
ment
le
prendre au peuple des Serbes, des Croates
et des Slovènes.^ L'Italie avait
la
pu
se réjouir de
chute de ses vieux ennemis les Habsbourg.
Elle avait
libre
pu
être indifférente à l'élément d'équi-
que l'Europe perdait avec eux. Elle n'y
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
186
gagnait qu'une concurrente d'une espèce nouvelle,
bien plus dangereuse: une jeune nationalité,
telle
qu'elle-même avait été soixante ans plus
tôt lorsqu'elle était l'enfant de prédilection de
Napoléon
III,
qui a été
le
Wilson de son temps.
Nationalité d'abord, l'Italie est devenue à son
tour un Etat. Selon la doctrine romanesque que
la Conférence a
constamment appliquée, une na-
tionalité a tous les droits.
Un
Etat n'en a aucun.
C'est ainsi que l'Italie a été maltraitée et que la
nationalité yougo-slave, parce qu'elle était nouvelle,
a eu la préférence. Grand trouble, violente
indignation dans l'esprit des Italiens qui n'ont
pas compris
le
raisonnement d'après lequel
Croates, qu'ils avaient combattus sous
le
des Habsbourg, devaient être considérés
les
drapeau
comme
des alliés depuis qu'ils s'étaient fondus avec les
un
Serbes, fondus jusqu'à
meurant.
Il
ment du monde, que
est
certain point, au de-
est résulté de là, le plus naturelle-
la question
de l'Adriatique
devenue à peu près insoluble, ou qu'elle ne
pourra recevoir que des solutions incomplètes,
provisoires,
aussi
peu satisfaisantes
partie que pour l'autre.
De
i>our
une
là encore, entre les
deux riverains de l'Adriatique, une
hostilité per-
187
l'imbroglio ADRIATIQUE
manente, principe de futures
flits.
Ils s'y
sont mis, peut-être
Plus d'un an après que M.
M. Sonnino avaient rompu avec
prême pour
du
et
Conseil su-
le
se résigner ensuite et
un peu
Orlando
pour tomber
pouvoir enfin, la presse italienne a fini par
donner
cette
image
dans laquelle
fort exacte
l'Italie
rition de l'Autriche
En
ment
cette
de la situation
a été placée par la dispa-
:
nous concerne, la Yougo-Slavie est purel'héritière de l'Autriche avec
simplement
et
circonstance aggravante que l' Autriche-Hongrie,
ce qui
grand Etat
et
de con-
Les Italiens ont été longs à découvrir la
cause du mal.
tard.
difficultés et
dualiste,
contenant plusieurs nationalités
ayant quatre frontières, suivait nécessairement une
politique assez compliquée, où l'opposition à l'Italie
ne représentait qu'un seul élément, non le plus important, et qui se trouvait d'ailleurs largement contrebalancée par d'autres en notre faveur. C'est précisé-
ment pour
cela
que
l'Etat autrichien,
nonobstant
les
pressions exercées sur lui par des groupes politiques
influents et les conseils des chefs militaires,
s'était
toujours abstenu de se brouiller avec nous. Mais la
Yougo-Slavie, au contraire, considère
son principal ennemi;
elle
l'Italie
possède du côté de
sa frontière la plus étendue et la plus
ainsi
c'est
comme
l'Italie
importante,
que ses plus grands points de froissement; et
contre nous qu'elle concentre la plus grande
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
188
somme
de passion nationale, réunissant, par l'aver-
sion envers
les
l'Italie, et
par
le
programme
anti-italien,
graves divergences des trois peuples qui
sent
la
compo-
^,
Est-ce tout? Ce serait trop simple.
Qu'est-ce que
trop beau.
Ce serait
yougo-
la nationalité
slave? Pour les Italiens, c'est l'héritière de l'Autriche abhorrée.
ritière
Pour
les autres alliés, c'est l'hé-
de l'héroïque Serbie, l'amie de la pre-
mière heure, d'autant plus chère qu'elle a coûté
plus de sacrifices. Les Italiens voient choyer leur
ennemie naturelle
:
on ne s'entend
plus.
Alors
l'idée d'un monstrueux complot hante leur
prit
es-
:
La Yougo-Slavie figure dans les conseils de l'Entente
non comme une vaincue, mais comme une alliée sur
le même pied que l'Italie, et qui doit même, à cause
des litres vrais ou faux de la Serbie, être préférée à
l'Italie. Et dans le jeu des forces internalionales, la
Yougo-Slavie remplace l'Aulrichc, avec cette différence que l'empire habsbourgeois faisait partie d'une
constellation politique fermée, et même opposée à
celle
de
la
France
Yougo-Slavie
groupe que
I.
se
ces
et
de l'Angleterre,
tandis que la
trouve aujourd'hui dans
dernières.
Résultat
Luigi Salvalorelli, Stampa du
:
le
l'Italie
21 juillet 1920.
même
a,
sur
189
l'imbroglio ADRIATIQUE
deux frontières et dans deux mers, non plus des ennemis appartenant à des groupes opposés et qui par
conséquent se neutralisaient mutuellement, mais des
ennemis alliés entre eux ^.
Des ennemis, partout des ennemis. Tel
est l'état
d'esprit que la paix a créé chez les Italiens. Et
ces citations pourraient être multipliées. Quatre
jours après l'article de la Stampa, toujours
Giolitti et des
proche de M.
le
pensées de M.
si
Giolitti,
chroniqueur bien connu qui signe Rastignac
analysait dans la Tribuna une note de griefs et
de reproches, adressée
suprême,
oii
M. Tittoni se plaignait que
l'Italie fût traité
présentant de
l'être celui
1919 au Conseil
le 7 juillet
d'un Etat ennemi
comme
et
vaincu
de rendre compte d'agissements criminels
I.
Extrait du même arliclo.
Pour connaître et pour comprendre
« le re-
pourrait
sommé
-
».
Ces
de vue
passage du
même document « Quant au traite de Londres de 191 5, il
s'agit... d'un traité en bonne et due forme. Aucune espèce
de justification ne pourrait légitimer l'afTirmation que ce
traité est par endroits périmé ou sur le point de l'être. Si
des conditions de fait existant en 1913 ont subi des changements, il est facile d'en tenir compte. Mais il y a loin de là
à vouloir altérer l'esprit du traité jusqu'à priver un seul
des contractants des fruits de la victoire remportée en commun. » En d'autres termes, l'Italie estime qu'elle a été
•2.
italien,
il
:
trompée
le point
n'est pas inutile de citer encore ce
et volée.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
190
paroles amères et graves de l'ancien ministre des
étrangères,
Affaires
développait, les amplifiait, et
extrême conclusion
:
journaliste
célèbre
le
il
les
arrivait à cette
« Il n'est peut-être
pas
illo-
gique de déduire que les Alliés souhaitaient que
deux puissances, l'Allemagne
sent vaincues et abattues de
ment pour eux que l'Adriatique
amère
On
que
Tel est
Ce n'est pas seule-
d'esprit des Italiens.
l'état
sortis-
et l'Italie,
la guerre. »
sera encore
((
très
».
parlait autrefois
».
Tous
celui-là
les équilibres
comme
« l'équilibre
de
adriati-
ont été niés par la paix,
les autres.
Et nous avons un im-
broglio adriatique qui n'eût pas existé
si
l'Au-
triche avait survécu, qu'il n'eût été possible de
prévenir, l'Autriche une fois
les
démembrée, que
Yougo-Slaves avaient été franchement
aux
Italiens,
par
le fait
et restent
mais qui
que tous
s'est
développé
les intéressés se
et
si
sacrifiés
aggravé
jugent lésés
mécontents. Nous n'avons
même
pas
choisi!
Il
y a eu un temps où
le
ministre français qui
avait préparé l'entente franco- italienne était ac-
cusé d'avoir débauché
grief à
l'Italie et
Guillaume IL Cette
fois
fourni par là
un
nous n'avons pas
191
l'imbroglio ADRIATIQUE
débauché
l'Italie.
ment que
Pourquoi? Pour
rien.
Du mo-
engagements de 1915 étaient dé-
les
pouvait valoir la peine de se fâcher avec
chirés,
il
l'Italie
si
méconnaissait
elle
équilibre de l'Europe.
Il
conditions d'un
les
pouvait valoir la peine
de négliger ses protestations
si c'était
pour créer
un ordre continental qui nous eût permis de nous
passer d'elle et de rendre impuissante son hostic'eût été beau, que
Nous ne dirons pas que
lité.
c'eût été noble. Ce n'eût pas été plus immoral
que
reniement des signatures données
le
et,
du
moins, c'eût été rationnel. D'ailleurs, un Empire
austro-hongrois subsistant,
il
eût été possible de
trouver des combinaisons qui eussent procuré à
l'Italie
ticité,
encore plus qu'elle n'a reçu. Avec sa plas-
une Autriche reportée vers
Pologne, vers Dantzig
la
tion,
eût re-
à Fiume,
comme
les
italienne a été
le
:
cette solu-
avait été esquissée
pourparlers secrets de
pour
et
renoncé autrefois à Venise
naturelle,
si
nord-est, vers
et la Baltique,
noncé sans douleur à Trieste
elle avait
le
1917.
pendant
Mais l'amitié
compromise sans contre-partie
et
néant.
Aujourd'hui
malades.
Ils
les
nerfs
du peuple
italien
sont
n'ont pas résisté aux efforts de la
CO.NSIÎQUENCLS POLITIQUES DE LA PAIX.
13
192
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
guerre suivis des désillusions de la paix. Ce serait
une erreur de croire
qu'ils sont brisés
pour tou-
jours. L'Italie se remettra sans doute
du grand
trouble moral, social et politique dont elle souffre
en ce moment-ci. Alors
elle
s'apercevra qu'elle
compte 40 millions d'habitants
et
que
les Alliés
ont eu tort de la rendre plus forte, puisque c'était
pour ne pas
dait,
lui
donner tout ce qu'elle deman-
pour avantager ses concurrents directs
Grèce,
Yougo-Slavie),
la
dans une situation
pour
la
(la
mettre enfin
conduite à
telle qu'elle sera
rechercher les éléments de sa propre politique
conformément à
et
ses aspirations et à ses intérêts,
sans avoir égard aux amitiés d'un temps. Et
elle dira toujours
mencé
que ce n'est pas
elle
qui a com-
les infidélités.
L'Italie est entrée
dans une période de recueil-
de repliement sur elle-même,
lement,
oii
elle
n'entreprendra aucune grande action au dehors,
oij
s'appliquera à rester en contact avec ses
elle
alliés
de la guerre. Cependant
comptes
et elle
elle
établira ses
mesurera ses risques. Ses con-
quêtes, qu'elle a trouvées inférieures à ses espé-
rances,
il
faudra les conserver. Elle cherchera des
assurances.
Pour garder
le
Brenner
et
Trieste
l'imbroglio ADRIATIQUE
193
contre l'éternelle descente des Germains, elle son-
gera à la méthode par laquelle
l'Autriche,
guerre avec
la
de l'Autriche.
alliée
était
elle
gardait autre-
elle
Pour ne pas avoir
fois la Vénétie.
situation semblable et seulement plus
Une
complexe
suggère déjà l'idée d'entretenir de bons rap-
lui
ports avec
peuple allemand devenu son quasi-
le
Et la Yougo-Slavie?
voisin.
qu'un rapprochement de
magne
tière
On peut imaginer
l'Italie
et
de l'Alle-
intimiderait et neutraliserait cette héri-
de l'ancienne Autriche, seulement plus faible
qu'elle, et
aussi,
à qui une situation, qui
inspirerait les
gérerait les
même,
mêmes
mêmes
idées.
est identique
sentiments et sug-
Pour
se garantir elle-
se sachant constituée à la fois
du peuple
italien et
aux dépens de
la
aux dépens
race germa-
nique, ne serait-elle pas conduite à entrer dans
leur système,
moyennant
la
des frontières.^ Elle pourrait
des
services,
l'Orient.
et
devenir
leur
nous savons avec quelle
vertu des
:
même
poste
leur rendre
avancé
Un rapprochement en détermine
« itinéraires
plicien
garantie mutuelle
forcés
mêmes
)>.
d'autres
facilité se tracent les
Ainsi
causes,
vers
le
reformerait,
en
vieux syndicat
tri-
se
à défaut d'équilibre général, chaque pays
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
194
cherche l'équilibre qu'il peut, et
de puissances
tions
PAIX
LA.
les
<(
comme avant
constella-
1914,
se
reconstitueront par des besoins semblables.
Ce
que nous en disons
l'esprit que,
le
dans
»,
peu une simple vue de
est si
la période
grave qui a précédé
sauvetage de Varsovie, en août 1920,
chef
le
du gouvernement tchéco-slovaque, M. Tusar qui
organisait une ligue des neutres contre la Pologne
par conséquent, en faveur de l'Allemagne,
et,
au comte Sforza sa médiation pour conci-
offrait
lier l'Italie et les
Yougo-Slaves. L'idée de ce rap-
prochement a d'abord choqué
lien autant
tôt,
le
que
l'avait
le
patriotisme
choqué, quarante ans plus
rapprochement avec l'Autriche.
comme
pourra s'accoutumer à l'un
accoutumée à
ita-
l'autre.
Il
L'Italie
elle
s'était
faut savoir distinguer
entre les alliances sentimentales et les alliances
politiques.
Quant à nous,
avions
nous
les
le
moment
paraît passé où nous
moyens de nous attacher
associant
à
qu'elle voulait, ce
l'Adriatique.
pour
elle
que
qu'elle
lui avait été
Du temps
l'Italie
en
reçût
ce
promis dans
irréparable a
fui.
L'al-
liance italienne est fêlée. Satisfaite, c'est de notre
côté que l'Italie eût cherché la garantie de ses
195
l'imbroglio adrlvtique
possessions. Le pacte conclu pour la victoire eût
une raison de durer après
pour
On
le butin.
la victoire.
On
se lie
se lie par les partages. Et c'est
peut-être ce qu'il y avait de plus judicieux et de
plus prévoyant dans les accords de 1915 et de
1916.
Aujourd'hui,
l'Italie
nous échappe. Elle cherche
sa voie avec indifférence. Elle revient à la politique de
(<
versatilité réfléchie
»
qui, depuis ses
ducs de Savoie, l'incline tour à tour vers l'Eu-
rope centrale
et
guerre pouvait
ment
fixe.
La
vers l'Europe occidentale.
lui
donner
voilà de
la
La
qualité d'un élé-
nouveau déracinée
faut s'attendre à ses oscillations.
et
il
Aucune amélio-
ration de l'Europe d'avant-guerre n'a été réalisée
non plus sur
ce point-là.
Il
n'y a aucun progrès.
L'Italie n'est pas plus adaptée
qu'avant à un sys-
tème conservateur européen. Et son incertitude
fera la nôtre.
difficultés.
Ses difficultés engendreront nos
Les relations franco-italiennes redede notre tâche
viendront la partie
la plus difficile
diplomatique. Que
les Italiens entrent
avec
les
en conflit
Yougo-Slaves, qu'ils s'allient avec eux
par l'intermédiaire de l'Allemagne (car ce ne peut
être,
comme
avec l'Autriche, que tout l'un ou
196
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
l'autre,
ralliance ou le conflit), notre embarras
sera égal, nous subirons les conséquences de la
même
être 011
façon. Cette Adriatique, la seule
nous n'ayons rien à
faire,
les
peut-
où nous n'ayons
pas d'intérêts, l'amertume en reste à
orages pour nous.
mer
l'Italie
et
CHAPITRE IX
HYPOTHÈSES ET PROBABILITÉS
Il
y a eu un moment, pendant les mois qui
ont suivi l'armistice,
les
hommes
allait
ont pu
oij le
désordre a été
tel,
que
croire que l'Europe entière
sombrer. De partout montaient la famine
et la révolution.
vivres,
Pour
M. Hoover,
il
le
dictateur américain des
y avait cent millions d'êtres
humains de trop sur noire vieux continent,
et
l'Amérique, inquiète pour sa propre subsistance,
finissait
par se résigner à
les laisser
mourir. De
funestes pressentiments assiégeaient les esprits.
L'historien Ferrero évoquait la
tique. Jamais,
guerre,
il
aux heures
les
fm du monde an-
plus sombres de la
n'y avait eu cette désolation. La Bourse
baissait à Londres et à Paris
triomphait en Allemagne.
nal qui est
Un
un rendez-vous
quand Spartacus
soir,
dans un jour-
parisien,
quelqu'un
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
198
lut
une dépêche
:
le
château royal de Berlin venait
d'être pris, le drapeau rouge y était arboré.
On
entendit un gémissement. C'était un diplomate
ami de
la
France qui n'avait pu résister à ce
coup.
A
la guerre
nisée,
il
des nations, terrible mais orga-
semblait qu'une autre guerre allait suc-
céder, plus atroce, pour achever de détruire ce
qui restait de l'ancienne société
ciale, la
guerre pour
le pain. Il
guerre so-
la
:
n'y avait pas eu
de peur pendant la vraie guerre.
Il
y eut de la
terreur dans les quelques mois qui l'ont suivie,
et
cette
terreur a donné
Elle a fait désirer
pour
résister
à
L'Allemagne a
c'est alors
qu'a
de mauvais conseils.
que l'Allemagne
la
du bolchévisme.
contagion
résisté.
se consolidât
Elle s'est consolidée.
commencé
sa résistance
:
Et
nous
ne nous en trouvons pas mieux.
La révolution allemande a
été
d'un type
in-
connu jusqu'à ce jour et elle n'a pas ressemblé h
ce qu'elle devait être selon la prophétie de Henri
Heine. Le système monarchique ayant été renversé dans les conditions que nous avons vues,
non pas par conviction mais par opportunité,
celte
brusque décompression, jointe à
l'etfet dé-
199
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
moralisant de
la défaite,
une révolution véritable
avait fini par soulever
et
cement d'anarchie. On put
un sérieux commense
demander
si
les
Allemands, habitués à être gouvernés, seraient
capables de se gouverner eux-mêmes.
l'ordre fut une tâche difficile.
Rétablir
Les moyens par
lesquels l'Allemagne y a réussi ont attesté une
méthode, une politique. La répression régulière
et légale, celle
de l'émeute des rues, fut accom-
pagnée d'une répression extraordinaire, terroriste,
à
qui visa les têtes et supprima les chefs. L^n
Rosa Luxembourg,
Liebknecht,
un,
Haase furent assassinés. Çà
mes d'action de
l'
Eisner,
et là, d'autres
hom-
extrême-gauche disparurent.
Erzberger, considéré
comme un
élément dissol-
vant, reçut lui-même une balle qui l'avertit et
découragea ses imitateurs. Ainsi l'Allemagne a
réagi lentement mais sûrement. Le coup d'Etat
de Kapp
était
et
de Liittwitz, au mois de mars 1920,
et
prématuré. L'échec n'a pas
les partis
de droite de mener une cam-
maladroit
empêché
pagne
efficace et, trois
élections
du
mois plus tard, après
G juin, de rentrer
au gouvernement.
La monarchie des HohenzoUern a
magne
les
laissé l'Alle-
vaincue. Mais elle a laissé aussi un Etat,
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
200
une administration, des cadres
civils et militaires,
des élites intellectuelles et industrielles, des traditions politiques, tout
un
capital grâce auquel
l'Allemagne, pour commencer, est venue à bout
de son anarchie intérieure. Si des rechutes restent possibles, la
méthode qui a
l'ordre est toujours bonne.
réussi à rétablir
Pour l'appliquer,
le
gouvernement dispose de moyens plus puissants
qu'hier.
Surtout
l'esprit
public
s'est
ressaisi.
L'Allemagne n'a pas désespéré longtemps
et le
suicide d'un Ballin après le désastre, devant le
port de
Hambourg
vide de ses vaisseaux, n'a été
qu'un cas de pessimisme
isolé. Il
vement peu, à
que l'Empire allemand
cet égard,
importe
retourne à la monarchie ou qu'il devienne,
l'a
appelé
le
président Ebert,
((
la
relati-
comme
plus grande
République
du monde après
Unis
doit prendre la forme d'une vaste
»,
s'il
celle
des
Etats-
entreprise conduite, dans l'esprit des Ilohenzollern,
est
par des capitaines d'industrie dont
annoncé par Hugo Stinnes. En tout
lemagne n'a
même
le
type
cas, l'Al-
pas attendu que sa réorgani-
sation intérieure fût terminée pour passer à l'action extérieure et à l'offensive contre
Versailles.
le traité
de
201
HYPOTHÈSES ET PROBABILITÉS
La répression de
l'anarchie, le rétablissement
de l'ordre élémentaire, ce n'est qu'une première
étape. Mais
ne faut pas oublier que, dans de
il
pareilles circonstances,
la
première est
Elle est aussi
la
plus importante.
difficile.
1871, pendant la
plus
la
En
Commune, beaucoup de Fran-
çais ont presque désespéré. Finis Franciae,
mur-
murait Renan, abîme au-dessous de l'abîme. Et
il
une exagération qui
ajoutait, avec
car
trouble,
n'a pas manqué,
il
siècles, de dates
oii
est,
depuis mille ans,
française a été
cience
tâmes un moment,
France
est
son
au cours des
l'avenir de la France a paru
bien plus gravement compromis
1871
attestait
si
le
elle
venue à bout de
le
:
((
Le 18 mars
moment où
plus bas.
la cons-
Nous dou-
se reformerait. »
la
La
Commune beaucoup
plus vite que l'Allemagne n'est venue à bout de
Spartacus et d'un
têtes.
Il
communisme
qui avait cent
n'y a pourtant pas de signe que l'Alle-
magne, dans
les esprits oii elle se
conçoit
comme
une grande force nationale, ait renoncé à l'avenir.
Ce qu'il y a peut-être de plus étonnant dans sa
vitalité,
c'est
que
l'idée
des
énormes erreurs
d'appréciation et de calcul qu'elle a
dans tous
les
commises
domaines, militaires aussi bien que
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
202
politiques, avant la guerre et
ne
l'a
de ses aptitudes,
capacités,
pas
critique.
et
la défaite
Rien de pareil ne s'observe chez
Allemands. L'expérience
fautes,
se relever
de 1870 avait porté à son
à sa confiance. Une longue timidité avait
suivi le désastre.
truits et
doute qui n'aurait
La France a mis longtemps à
du coup que
les
la guerre,
d'accabler un peuple doué d'esprit
manqué
moral
pendant
pas amenée à douter d'elle-même, de ses
on
les sent prêts
même
les
a à peine ins-
à recommencer leurs
leurs fautes militaires, dans la con-
viction que ce n'est pas leur intelligence qui les
a
mais
trahis,
les
événements,
et
que,
dans
d'autres circonstances, ce qui n'a échoué que par
hasard réussira.
Après un ébranlement aussi profond,
solidation
est
un
fait
relativement
rapide
de
la
con-
l'Allemagne
qui appelle l'attention la plus sou-
tenue. L'Allemagne a paru à plusieurs reprises
sombrer sans recours dans
le
chaos. L'unité qui
avait survécu par miracle à la défaite semblait
devoir se rompre par la guerre civile. Les sinistres
prédictions qu'avaient prodiguées Bismarck et Bii-
low pour
trice
le
cas où tomberait la monarchie fédéra-
des Ilohenzollern semblaient sur
le
point de
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
s'accomplir.
Il
203
que Bismarck
n'est pas encore dit
et
Bûlow n'aient pas eu
le
premier chancelier de l'Empire estimait que
l'unité
De son temps,
raison.
allemande ne pouvait se passer du
lien
dynastique. Le quatrième chancelier, dont les observations sont plus récentes, annonçait
un
parti-
cularisme politique qui répéterait l'ancien particularisme
territorial
et
qui
en précéderait
le
retour. « L'ergotage et la petitesse, l'acharnement
et
l'animosité qui existaient autrefois dans les
querelles des peuples et des Etats allemands, se
sont transmis à notre vie de parti
prince de
Bûlow dans
»,
écrivait le
sa Politique allemande.
Il
notait en outre une tendance propre à l'esprit
allemand, celle qui consiste à
les idées
idées
de parti
au delà de
»,
internationaliser
«
c'est-à-dire à prolonger ces
la frontière,
en sorte que
les
catholiques allemands, pour ne prendre qu'eux,
seraient de véritables « ultramontains
».
marques du prince de Bûlow ne doivent
nement pas
être négligées.
Dans
le
cas
Ces recertai-
oii l'Alle-
magne
traverserait de nouvelles crises intérieures,
cil elle
se montrerait définitivement impuissante,
après une accalmie et un semblant de mieux, à
rétablir chez elle
un ordre durable
et
à remplacer
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
204
une autorité nouvelle,
l'autorité ancienne par
est clair
que
les luttes
il
de partis s'aggraveraient
dans des proportions considérables. Des scissions
telles
qu'en prévoyaient
la répulsion violente
se-
que manifeste
la
Bavière à
du socialisme réputé comme un produit
en Allemagne, l'antagonisme
Ainsi,
de Berlin.
mœurs
des idées et des
choses,
deux chanceliers
Nous en avons un exemple par
raient possibles.
l'égard
les
un caractère
prend, par la force des
territorial.
Il
prendrait
même
aisément un caractère international, au sens où
l'entendait le prince de Bùlow. Car
un conser-
vateur bavarois se sentirait plus d'affinités avec
une France conservatrice
socialisante.
par
qu'avec
Le particularisme, entretenu
les querelles
de religion,
le serait
jours d'après le jugement que
portait sur les
« la lutte
En
une Prusse
le
encore, tou-
prince de Biilow
Allemands en temps calme, par
des états sociaux et des classes
d'autres
jadis
termes,
l'unité
de
».
l'Allemagne
tiendrait à l'identité des sentiments et des idées
politiques entre les groupes principaux des populations qui
composent l'Empire. Dans une
magne ordonnée,
satisfaits,
fidèles,
les
Alle-
Bavarois conservateurs sont
aussi nationalistes et panger-
205
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
manistes que
vieux Prussiens d'outre-Elbe.
les
Dans une Allemagne anarcliique ou
socialiste, la
Bavière conservatrice deviendrait un corps étranger qui obéirait vite à ses tendances particulières.
Dans
cette
mesure,
les
observations pessimistes
des deux chanceliers gardent leur prix.
Mais
si
l'Allemagne continue à se consolider,
ce sera encore par le
et elle se retrouvera
gouvernement de Berlin
peu à peu dans un
siblement pareil à celui où
elle était
deux images qu'elle a devant
l'Empire puissant
et
première sera
en 1914. Des
yeux, celle de
prospère et celle du chaos
qui a suivi la révolution,
la
les
état sen-
il
y a gros à parier que
la plus forte.
Pour
la réaliser,
l'administration et la tradition prussiennes seront
aussi les
mieux désignées.
C'est pourquoi
quelques
puisse
personnes
un jour prendre
sont
portées
la tête
à
le
il
est
comme
très peu vraisemblable que la Bavière,
penser,
d'une réorganisation
de l'Allemagne. Elle n'a aucun des moyens qu'il
faudrait pour une
si
lourde tâche.
Il
est
même
improbable qu'elle arrive seulement à diriger une
fédération partielle des pays du Sud.
Ce n'est
pas que l'ambition lui ait manqué, au cours de
son histoire, d'occuper
la
première place dans
les
206
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
LA.
pays germaniques. Elle n'y a jamais
PAIX
Le
réussi.
caractère de ses habitants, sa situation géogra-
phique, l'absence d'institutions civiles et militaires assez originales et assez vigoureuses
si
grand
rôle, la laissent
pour un
dépourvue des aptitudes
nécessaires à l'exercice d'une hégémonie. L'Alle-
magne améliorée par
l'influence modératrice de
l'élément bavarois est une chimère.
bavarois ne peut être bienfaisant que
un
sens particulariste, et
conditions
le
et c'est
qu'elle ait sa capitale
s'il
agit dans
nous avons vu à quelles
particularisme
lopper. D'ailleurs,
L'élément
pourrait
se
un principe
au Sud ou
déve-
absolu,
au
qu'elle l'ait
Nord, une grande Allemagne ne vaut pas mieux
pour nous. La maison d'Autriche, contre laquelle
la
siècles, avait
son
S'il était possible
que
France a lutté pendant deux
siège principal à Vienne.
Munich succédât à Vienne
et
à Berlin, qu'y ga-
gnerions-nous? Seule une Bavière autonome
et
réfractaire à la Prusse serait digne d'attention et
d'intérêt.
Cependant
les
pays germaniques
et leur péri-
phérie, tout en aspirant à l'ordre, n'ont pas
re-
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
207
trouvé une stabilité incontestable. Des crises leur
sont encore réservées et peut-être des crises d'un
genre nouveau.
Nous avons vu
serait capable de produire
les
que
effets
en Allemagne un état
révolutionnaire prolongé ou aggravé. Selon toutes
apparences, cet état de révolution inguéris-
les
sable favoriserait
territorial,
pays
Il
si
le
séparatisme.
Au
point de vue
au point de vue des groupements de
et d'Etats,
que produirait une réaction
.i^
ne serait guère concevable que la réaction,
elle
l'emportait définitivement à Berlin,
limitée à l'Allemagne.
Il
ne
le serait
tage qu'elle le fût à l'ordre social.
fût
pas davan-
En
dépit des
troubles qui renaissent et qui renaîtront encore
sur divers points du vieux monde, en dépit de
la
durée du bolchévisme russe, la révolution est
ne
en train de perdre
la partie,
l'avait eue si belle.
L'ancienne société, que l'on
avait crue détruite, a
et
jamais
montré une force de
tance presque étonnante.
En beaucoup
en France surtout, c'est à peine
ébranlée.
vante.
La
Nous venons
elle
d'assister à
résis-
d'endroits,
si
elle
a été
une
lutte
émou-
victoire finale est à peine douteuse.
La
réaction qui se laissait pressentir à l'aube de la
période guerrière, en 1912 et 1913, a d'abord subi
CONSÉQIEN'CES POLITIQUES DE LA
PAI.X.
14
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
203
une éclipse par
rales,
triomphe des puissances
le
libé-
par l'écroulement de trois grandes monar-
chies et par le principe de la démocratie universelle qui
est
domine
les traités
rapidement ensuivi
s'est
vu tout près de
et le
il
et,
si
monde
civilisé
Alors la contre-
l'on s'en rapporte
n'est guère possible
un jour ou
n'affecte pas
vieux
la ruine.
révolution a commencé,
aux précédents,
de paix. Le chaos s'en
l'autre, la carte
qu'elle
même
de l'Europe.
L'instinct de conservation, ayant été le plus
fort,
s'exercera aussi dans le domaine de la poli-
tique générale. Les peuples et les gouvernements,
après avoir restauré l'ordre à l'intérieur, seront
poussés à chercher de la stabilité à l'extérieur et
la confusion qui résulte
traire des Etats
sera ressentie
d'une distribution arbi-
dans l'Europe centrale
comme une
et orientale
anarchie internationale
aussi malfaisante que l'autre et propre à engen-
drer l'autre. L'application intégrale du principe
des nationalités est une expérience qui n'a pas
donné des
résultats favorables.
En
multipliant les
Etats faibles et rivaux, elle a multiplié aussi la
guerre civile
et la
guerre étrangère. Pour en
finir
avec ces deux fléaux, une réorganisation s'impo-
HYPOTHÈSES ET PROBA.BILITÉS
209
Après avoir restauré un ordre social beau-
sera.
coup plus semblable à celui d'autrefois qu'on ne
l'aurait cru, l'Europe tendra encore à revenir sur
la création d'Etats qui
ne sont pas viables ou qui
une cause de troubles incessants par
seraient
leur impuissance à se défendre et à se gouverner
eux-mêmes.
contre-révolution
Cette
conséquence nécessaire de
par
mêmes moyens,
diplomatique sera la
l'autre.
Elle
se fera
non sans
dé-
chirements et sans douleurs, et c'est dans
les
les
c'est-à-dire
parties les plus transformées et les
moins stables
de l'Europe qu'elle se produira d'abord.
torien
célèbre
a
pu annoncer,
trente
Un
his-
ans
à
l'avance, que la question d'Autriche se poserait
à la suite de
dant,
une
pour
la
question d'Orient.
détruire
l'Empire
a fallu cepen-
Il
autro-hongrois,
crise sans pareille, des batailles oii la plupart
des peuples ont été engagés.
d'un
édifice politique
La reconstruction
quelconque à
la place des
ruines que l'ancien a laissées sera probablement
une des tâches du prochain avenir.
Il
y a très peu
de chances pour qu'elle s'accomplisse autrement
que par
l'effet
d'une autre crise
recours à la force.
et
par un autre
210
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
Beaucoup de combinaisons
que
les traités
différentes de celles
et
de
l'Est. Il
y a seule-
cas de moindre vraisemblance. D'abord
celui 011 ce qui
que
PAIX
ont établies peuvent se concevoir
dans l'Europe du Centre
ment deux
LA.
a été
fait durerait
beaucoup plus
conditions dans lesquelles les nouveaux
les
Etats ont été créés et leurs frontières dessinées.
Dès que
les Alliés
capacité de
n'auront plus la volonté ou la
s'opposer à des changements,
qu'ils ne seront plus d'accord
dès
pour exercer leur
surveilllance et leur tutelle sur des peuples trop
divers,
il
ne faudra pas donner longtemps avant
que ces peuples reçoivent un nouveau
statut.
L'autre cas, aussi peu vraisemblable, est celui où
ces peuples, de leur propre
mouvement, dans
leur
pleine liberté, avec l'assentiment de tous, consti-
tueraient quelque chose qui ressemblerait à l'an-
cienne
mands
Autriche.
et
même
Si
les
quelques
millions
d'Alle-
Slovaques n'avaient pas été
introduits d'autorité dans l'Etat tchèque,
ils
n'y
fussent pas venus de leur gré. S'ils doivent en
sortir, ils
n'en sortiront aussi que par
le jeu
d'une
force extérieure. C'est pourquoi, inversement, les
héritiers de l'Empire d'Autriche, quel
être leur intérêt à vivre ensemble,
que puisse
ne se réuniront
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
commun
pas d'un
accord.
On
211
a cru longtemps à
une fédération balkanique qui n'est jamais venue.
Une
fédération danubienne qui se formerait toute
simplement parce que ce
seule,
la plus raisonnable,
serait la solution
participe de la
même
chi-
mère. Qui dit fédération dit fédérateur. Le Danube, jusqu'ici, n'en a connu qu'un
:
c'était le
Habsbourg. Lorsque l'Empereur avait été chassé
de Vienne en 1848, l'Empire se serait déjà désa-
grégé
s'il
n'y avait eu l'armée, Windischgrœtz et
Radetzki,
fameux,
dans
camp duquel,
le
était l'Autriche.
tombé en 1918.
capitaines.
armée
ni
doit pas retenir sérieusement
Charles I" ni quelque autre
oii
bre
famille,
sa
autre Habsbourg est
Celui-là ne gardait ni
On ne
l'hypothèse
de
Un
selon le vers
rappelé
mem-
soudain au trône,
reconstituerait l'Autriche par la seule vertu
du
principe de légitimité. Ce principe, à lui seul, est
aussi impuissant à relever
l'idéal
un Empire que
le serait
du fédéralisme républicain. Quel que
soit
l'avantage qu'elles auraient à être rassemblées,
les
populations de l'ancien Empire vivront en état
d'hostilité,
au moins de méfiance, formant entre
elles des coalitions
changeantes, jusqu'au jour où
se présentera et s'imposera le véritable fédéra-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
212
rélément
teur, qui sera
capable de rassembler
La France a
le
plus robuste et
maintes
été
en
les autres
les
le
plus
dominant.
fois accusée,
l'armistice, de chercher à mettre sur pied
depuis
une con-
fédération danubienne. C'était son droit et son
devoir. L'équilibre et la tranquillité de l'Europe
le
demandent. Mais que
par
la
la
France puisse y réussir
persuasion diplomatique, c'est extrême-
ment peu
croyable. Pas plus que la dissociation
en Allemagne, on ne fera en Autriche de
centration sur
par
les
relles.
commande. L'occasion
événements
Il
et
par
le jeu
la con-
sera fournie
des forces natu-
s'agira de connaître ces forces, de dis-
tinguer entre elles et de les diriger dans un sens
qui soit le bon. Car
il
n'est nullement dit
que
la
grande puissance danubienne qui viendrait à se
reconstituer serait nécessairement dans nos intérêts. Il faudrait
encore prendre garde que sa nais-
sance ne fût pas propre à alarmer des peuples
capables de s'y opposer et de s'y opposer d'une
manière
efficace.
En partant de
conclure que,
ment fédérateur
ment
la plus
ces principes,
s'il
on
est conduit
à
doit y avoir fédération, l'élé-
sera la nationalité,
nombreuse, mais
non pas
la plus
forcé-
robuste et
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
213
douée d'esprit militaire. Deux seulement,
la plus
la
Yougo-Slavie et la Hongrie sont dans ce cas.
Et
il
semble que
la
seconde, malgré son désastre,
réunisse des conditions qui
manquent à
l'autre.
Les Hongrois ont un sens national vigoureux,
une volonté âpre.
se
moins paradoxal
sur les voisins qui
Ils offrent,
agrandis
sont
à
leurs
dépens,
l'avantage,
qu'il n'en a l'air, de n'avoir pas
à assimiler des populations nouvelles. Leur unité
est pure.
petits
Ils
peuvent inquiéter
ou moyens qui
les
divers Etats
les encerclent,
mais aucune
grande puissance n'a de raison directe
et
person-
nelle de s'opposer à leur relèvement et à leurs
progrès.
Au
contraire, le
Croates et des Slovènes,
royaume des Serbes, des
même
d'un acier
s'il était
bien trempé pour conduire à l'extérieur
assez
des desseins d'une certaine envergure, serait aus-
en butte à
sitôt
rait
l'hostilité
de monter contre
sibles.
En
de
l'Italie
qui se hâte-
lui toutes les coalitions pos-
outre, autant que l'on peut apprécier
des chances aussi incertaines, la Hongrie a pour
elle d'être entrée
des premières dans
de cette réaction européenne qui,
le
si elle
courant
doit défi-
nitivement l'emporter, ne l'emportera pas sans
quelques nouvelles
luttes.
Que
le
courant contre-
214
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE Lk PAIX
révolutionnaire grossisse ou que la révolution ait
des retours offensifs, qu'une Europe blanche se
heurte à une Europe rouge,
qu'elle est orientée, semble en
cristalliser les
sinage,
même
la
Hongrie,
telle
bonne posture pour
éléments conservateurs de son voiles
On
éléments germaniques.
a pu
concevoir ainsi une ébauche de fédération qui
rayonnerait jusqu'en Bavière.
Et,
bien entendu,
même
si
les
il
n'est pas
du tout sûr que
choses doivent se passer d'une ma-
nière à peu près semblable à celle que l'on ima-
gine parfois, elles doivent tourner toutes seules
et
fatalement dans
le
Au
sens de nos intérêts.
lieu de détacher et de rassembler des territoires
pour son compte,
rassembler pour
la
le
Hongrie pourra
fort bien les
compte de l'Allemagne,
être
aspirée elle-même et subir l'attraction d'une Alle-
magne
réorganisée et vigoureuse.
A
cet égard, et
au point de vue où nous nous plaçons en ce moment-ci, tout dépendra sans doute de la vitesse
du mouvement de restauration politique dans
les
pays susceptibles d'exercer une influence
de
prendre une
initiative.
ment retournée à
en aurait aussi
le
Une Allemagne
et
rapide-
l'ordre dans toutes ses parties
bénéfice à l'extérieur.
Non
seu-
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
215
lement cette Allemagne retiendrait, au lieu de
les
perdre, ses éléments conservateurs du Sud, mais
encore
elle
attirerait et elle absorberait les élé-
ments hétérogènes également avides d'ordre, de
conservation
—
de revanche.
et
Gomme
cinquante ans, Berlin serait pour
les
il
y a
Hongrois
L'Autriche-Hongrie se reconsti-
l'itinéraire forcé.
tuerait alors en tout
ou en
de l'Empire allemand et
partie,
mais au
profit
comme une dépendance
de cet Empire. Sans compter, ce qui tombe sous
le sens,
que,
le
jour
oii la
réunion de
blique autrichienne serait un
jour
oiî
Vienne,
Répu-
accompli,
le
l'Allemagne de Berlin serait installée à
elle serait
à
la veille
de l'être à Budapest,
et elle aurait enfin constitué le
rojm.
fait
la
fameux
Mitteleii-
Tout dépend du point d'où sera parti
le
mouvement.
L'avenir de l'Europe centrale reste à la merci
d'une nouvelle bataille de Sadowa, ou de l'équivalent politique et moral d'un autre Sadowa. Cette
partie
du continent
est trop pulvérisée, trop
mal
agencée pour qu'elle ne se concentre pas un jour.
Raison de plus pour
la
France de surveiller de
près les points où pourront
commencer
les
con-
centrations futures. Raison de plus pour elle de
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
216
n'être absente nulle part. Le rôle que peut remplir
la Hongrie, toute réduite qu'elle est, et
parce qu'elle est réduite,
occupe sur
le
tourne bien, car
elle
dans l'avenir. En
commande de ne pas
tourne mal,
qu'elle
soit
politique,
pour léger
craindre
«
qu'
de
il
>k II
au précepte qu'a
a
siècle qui passait
à
Tout calculer et ne pas tout
faut se redire aussi avec Frédéric II
des causes secondes qui tournent sou-
événements d'une manière que l'on ne
les
peut ni concevoir ni prévoir
ajoutait
laissé
y a une sorte de fatalité, ou, à défaut
fatalité,
vent
:
qu'elle
de prévision et d'action
un homme du dix-huitième
tort
soit
la
semble appelée à compter
fait
faut s'en tenir
il
parce qu'elle
Danube une position médiane d'une
qualité exceptionnelle,
négliger,
et aussi
justement
:
«
Lorsqu'il
tances favorables,
il
se
».
A
présente
se fait
quoi Frédéric
des
une sorte
circons-
d'éclaircie
subite dont profitent les habiles. » C'est de ces
circonstances favorables qu'il importe de se mettre à
même
de profiter.
217
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
On
a répété pendant plus de trente ans que la
question d'Orient engendrerait une guerre générale.
mité.
Tous
les
prophètes avaient parlé en confor-
Cet avertissement n'a servi de rien.
Une
Les Balkans
et la
image célèbre
disait encore
«
:
flèche de Strasbourg dominent
l'Europe.
On
»
Désormais,
la
politique de
la figure doit être
pourrait dire que la politique de l'Europe est
dominée aujourd'hui par
Sophie
et
par
les
coupole de Sainte-
la
hauts fourneaux silésiens.
pourrait employer d'autres métaphores.
temps que
la
changée.
étendue vers
s'en
l'aire
l'Est.
est
De toutes
En même
données usuelles de
se modifiaient les
politique,
On
considérablement
parts sont ouverts de
vastes trous. Et plus on avance vers l'Orient, plus
ils
sont profonds.
tige
Il
ne faut pas craindre
le
ver-
pour y regarder.
Le système européen qui a duré tant bien que
mal, depuis 1871 jusqu'à la guerre, reposait sur
l'hexarchie, le directoire des six grandes puis-
sances
(France,
Angleterre,
Autriche, Russie), dont le
«
Italie,
concert
Allemagne,
»
préalable
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
218
était requis
pour régler
Si ces puissances
elles,
les difficultés orientales.
ne s'étaient mises d'accord entre
n'importe quelle affaire de Macédoine eût
été insoluble ou bien elle eût pris les proportions
les
plus graves et les « hexarques
entre-choqués.
»
se fussent
Le concert européen
était
assurance contre ces risques. C'était en
une
même
temps une vague survivance de l'ancienne chré-
une sorte de syndicat de
tienté,
européenne en face de l'Islam.
un principe qui
A
civilisation
la
quoi s'ajoutait
un dogme
avait été autrefois
celui de l'intégrité de l'Empire ottoman.
que
fût la décrépitude de cet
:
Quelle
Empire, on en reve-
nait toujours à la nécessité d'y toucher le
moins
possible, d'abord pour éviter d'entrer dans
l'ère
tumultueuse des partages, c'est-à-dire des compétitions, et ensuite
par
Turquie représentait
la plus
le
la
sentiment que l'ancienne
forme
la plus
modérée
et
européenne de l'Islam. On n'aurait rien
gagné quand
prudents
les
vieux diplomates turcs,
et subtils
les vizirs
avec lesquels on avait l'habi-
tude de causer seraient remplacés par des fanatiques.
La révolution jeune-turque
avait
donné
l'avant-goût de ce que produirait en Orient
réveil
du nationalisme par
le libéralisme.
le
Et sur-
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
Constantinople,
tout
nople
que
»,
le
une
est
mieux
ville
« cette
219
Constanti-
funeste
qui excite tant de convoitises
turque pour que
était qu'elle restât
personne ne pût s'en emparer.
Il
les
est vrai que, d'après les accords conclus entre
principaux
alliés
pendant
Constan-
la guerre,
tinople devait revenir à la Russie.
Que
arrivé
fût-il
Russie était restée fidèle à l'Entente jusqu'à
si la
la fin et
victorieuse avec nous, elle avait ré-
si,
clamé son
lot.^
Elle
ne l'eût sans doute pas eu
davantage que nous n'avons eu
Rhin,
et l'on se fût tiré d'affaire
l'expédient ordinaire
grité de la
et
le
nôtre sur
le
en recourant à
en maintenant
l'inté-
Turquie par raison d'Etat européenne.
Les Turcs ont peut-être perdu plus qu'ils ne
pensent à l'effondrement de l'Empire russe. En
Orient aussi
il
y avait un équilibre classique, qui
neutralisait les convoitises, et que rien n'a encore
remplacé.
Après de longues hésitations, étendant
pour
la retirer ensuite,
La
ville reste
dans
la ville.
Grecs, ses
est
mise seule-
hommes
au sultan ou plutôt
Mais quelle
main
l'Angleterre n'a pas osé
se saisir de Constantinople. Elle l'a
ment à portée des
la
son
le
de paille.
sultan reste
autorité.-^
Où
sont
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
220
Turcs qui
les
obéissent? Les Grecs
lui
cernent
le
jusque dans la banlieue de sa capitale. Une com-
mission internationale, la Commission des Désouveraine que
est plus
troits,
d'occupation, avec un
commandement
permanence sur
resteront en
Des forces
lui.
le
interallié,
Bosphore. Théori-
quement, Gonstantinople ne doit être à personne.
Il
faudra bien qu'un jour
à quelqu'un. Le
elle soit
système qui consiste à internationaliser
sensibles de la carte remplace
un
les points
équilibre naturel
qui a disparu, par un équilibre
artificiel.
C'est
une solution provisoire. C'est une transition. Tout
ce que les Alliés ont
c'est
A
il
pu
faire à Constantinople,
de reculer un dangereux procès.
monde,
l'un des lieux les plus importants du
y a un vide, une place énorme pour l'inconnu.
Sur
de
l'avenir
Mineure,
il
pronostic.
pour
est impossible
Une
être en
de porter
mesure de conserver
reçoit
et
dont
de
et
seule chose est sûre.
qu'elle
ritoires
Constantinople
le
l'Asie
moindre
La Grèce,
les vastes ter-
la
défense sera
ardue, devra devenir beaucoup plus forte qu'elle
ne
l'est,
plus
tellement forte qu'il
difficile
garder
ne
lui
soit
pas
de prendre Constantinople que de
Smyrne.
La
Grèce
sera
l'Empire
de
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
221
Thrace
et l'Ionie.
Byzance ou bien
En somme,
comme
celée
ressemblance
la
tient
comme
reperdra
elle
la
Mineure a
l'Asie
mor-
été cassée et
l'Europe centrale et orientale. La
est
même
curieuse
si
que
place
que l'Arménie y
Pologne,
la
serrée
elle entre deux ennemis qui n'ont qu'à
se rejoindre
pour
l'écraser.
déjà obscur dans l'Europe
Mais
l'avenir est
si
du Centre
et
de
l'Est,
pour l'Asie Mineure on cherche en vain des points
de repère. Le chaos en est pire puisque
nalités s'y trouvent mêlées
sances européennes,
les
des Nations, les restes
la
France au
trafic
les natio-
aux mandats des
puis-
Croisades à la Société
du protectorat chrétien de
du pétrole
et
à la protection
des routes de l'Inde, tout cela au contact d'une
force,
celle
de l'Islam, dont la direction et
développement échappent à tout
le
calcul, et avec la
menace que représentera toujours
la Russie sur-
venant pour réclamer sa part.
A
ces frontières de
vilisations,
complète,
la
si
paix
deux mondes
atteint
une
et
de deux
déliquescence
complète que personne n'a voulu
servir de protecteur à l'orpheline Arménie.
fiance,
ci-
abstention
qui
ne résolvent
rien.
Mé-
Une
cause d'incertitude est ajoutée à d'autres causes.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
222
Au
cas d'un nouvel accident européen,
Asie Mineure la matière d'un
il
immense
y a en
incendie.
Hinc movet Euphrates, iUinc Germania hélium.
Vraie du temps de Virgile, vraie en 1914, cette
correspondance peut
au Rhin,
De l'Euphrate
l'être encore.
rapport est presque constant et la
le
France se trouve lourdement engagée en Asie Mineure, pour garder au moins en Syrie une parcelle
de son antique héritage, tandis qu'il
lui reste,
pour une longue période, à régler ses comptes avec
les
Allemands.
Un peu comme
pire
avait
turc
l'Empire austro-hongrois, l'Em-
duré surtout par
la
qu'éprouvait l'Europe à se passer de
remplacer.
Ces
vieilles
difficulté
lui
constructions
et
à
le
offraient
l'avantage d'être connues. De plus elles neutralisaient les conflits des races et des religions. Les
services qu'elles avaient rendus autrefois seront
regrettés. Si la Turquie,
devenue malfaisante,
le
comme
principe du mal était dans
une grande Allemagne. Et
mal
subsiste,
il
l'Autriche, était
comme
le
principe du
faudra voir encore ce que
l'in-
fluence d'un puissant Etat germanique produira
aux lieux
trefois.
oià
ces édifices politiques s'élevaient au-
Ce qui
est sûr, c'est que,
pour
la France,
223
HYPOTHÈSES ET PROBABILITES
qui avait partout une situation acquise par
le
temps, que ses intérêts par conséquent devaient
rendre conservatrice, qui a toujours perdu aux
bouleversements depuis que sa fortune nationale
est faite,
comme le nôtre, les
A chacune nous lais-
pour un vieux pays
démolitions ne valent rien.
sons quelque chose de notre capital. Avec une
du
régularité frappante, depuis le milieu
siècle
dernier, chaque fois qu'un aspect de l'ancienne
Europe a changé
(et
c'était toujours
nous l'avions voulu ou permis),
la
première à
pâtir.
En Orient
la
parce que
France a été
surtout,
où nous
occupions sans frais une place privilégiée,
il
était
prudent de ne toucher à rien ou de limiter
les
dégâts à la plus petite surface possible. Les Turcs
ne posséderont que quelques provinces d'Asie
Mineure. Notre influence ne s'y étendra plus que
sur une faible zone. Nous aurons peu de profit
et
beaucoup de charges. Qu'y gagnera
A
ce point
le
.^
dangereux du contact de l'Europe avec
l'Asie, le vide appellera peut-être d'autres
rants.
monde
conqué-
Alors on regrettera ceux que les siècles
avaient apprivoisés.
CONSÉQUENXES POLITIQUES DE LA PAIX.
15
I
CHAPITRE X
POSITION DE LA FRANCE
Après avoir eu jusqu'à vingt-cinq
sociés
la
pendant
la guerre, la
Belgique pour aller avec
elle
avril 1920, et elle n'a trouvé
puyer ni
même
alliés et as-
France n'a trouvé que
à Francfort, en
personne pour ap-
pour approuver son action en
Pologne quatre mois plus tard. Si une catastrophe
s'était
produite à Varsovie, notre isolement eût
été complet.
qu'après
le
Un
revirement favorable n'a eu lieu
sauvetage de
la
Pologne. Cette expé-
rience doit servir à guider notre politique extérieure.
De même que nous devons encore entretenir
une armée, consacrer des sommes immenses à
notre défense nationale,
nous devons chercher
des garanties et des sécurités politiques au de-^
hors. Vainqueurs de l'Allemagne, avec les avan-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
226
tages et les supériorités que la victoire apporte,
nous sommes dans une situation
ne
qui,
néanmoins,
diffère pas essentiellement de celle oii
nous trouvions après 1871. Alors vingt
et
nous
un ans
que nous eussions avec
s'étaient écoulés avant
Russie une convention militaire encore bien
complète,
bien imprécise.
avait fallu
Il
la
in-
douze
années de plus avant de nous rapprocher de l'Angleterre, et le
rapprochement
n'était pas fini
en
1914 puisqu'il n'y avait pas d'alliance francobritannique en règle. Dans l'Europe nouvelle, une
Europe pulvérisée,
la
recherche des alliances ne
pas moins ardue.
sera
Peut-être
le
sera-t-elle
davantage.
Notre politique reste dominée, notre voie reste
tracée par la question allemande. Si l'on excepte
la
Belgique, la question allemande ne se pose
comme
pour personne
En
elle
se
pose pour nous.
1871, la création de l'Empire allemand n'avait
inquiété ni
même
européennes.
erreur, y avail
tal et
on
gne
choqué aucune des puissances
L'Angleterre,
\
u
par
est
s'alarme,
vaincue
et
tragique
un gage d'équilibre contmen-
des raisons de se réjouir.
(ju'elle
une
aujourd'liui
que toutes
les
Comment
veuL-
que l'Allemaprécautions ont
POSITION DE LA FRANCE
été prises
pour qu'elle ne puisse, de longtemps,
redevenir une rivale sur mer?
comme
nous
le
227
alliés
que
les
Nous n'aurons
peuples qui sentiront
comme
besoin de se protéger contre un réveil
possible de l'Empire allemand et qui se sentiront
assez forts pour s'exposer à
Ce n'est pas
tout.
un
conflit
avec
lui.
Nous aurons à nous assurer
contre une coalition germano-russe,
éventuelle
sans doute, mais qu'il sera plus prudent de considérer
comme
cultés
pour trouver des partenaires qui consentent
probable.
Accroissement de
diffi-
à courir ce double risque. L'exemple du mois
d'août 1920 nous montre que la Pologne, attaquée
par
la Russie,
avec une Allemagne hostile dans
le
dos,
n'a trouvé aucun concours parmi ses voi-
sins.
Nous avons dû venir à son aide
:
c'est le
type de l'alliance qu'il faut tenir à bras tendu.
en serait exactement de
un jour attaquée par
même
les
si la
Pologne
Allemands,
la
Il
était
Russie
étant prête à profiter de son désastre et à la poi-
gnarder par derrière.
La marche de l'Allemagne
G^est par l'Est qu'elle
eL_sa,-r£\'aiiclie-
bérément
le
Si
est tout indiquée.
commencera
sa libération
nous n'intervenons pas
déli-
jour où elle essayera de reconsti-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
228
luer sa frontière orientale,
la
si
nous renouvelons
funeste abstention de Sadowa, alors, un an,
dix ans ou vingt ans plus tard,
pour nous. Mais dans
dowa, surtout
magne
si
danger sera
cas d'un second
Sa-
l'occasion choisie par l'Alle-
propice,
est
le
le
si
la
diploma-
préparation
tique du coup a été habile, nous devrons nous
résigner à agir seuls ou à peu près seuls et
même
peut-être à être désapprouvés. Cet isolement et
cette
désapprobation sont indiqués par
le
pacte
de garantie qui a été ajouté au traité de Versailles et
les
est
que n'ont d'ailleurs
ratifié jusqu'ici ni
Etats-Unis ni l'Angleterre. Cette garantie nous
promise dans
provoquée
qu'elle
»
et
suppose
le
cas d'une
non dans un
1914,
agression non
autre,
une agression
spécialement contre la France.
moins que l'évidence ne
«
c'est-à-dire
lancée
directe,
Même
alors,
fût aussi éclatante
à
qu'en
nos garants voudraient d'abord une en-
quête, des débats dans leurs parlements avant de
se porter à notre secours. C'est dire
qu'une agres-
sion bien machinée par une dépêche
nous ouvrirait aucun droit à
d'Ems ne
cette garantie très
conditionnelle. Quant à une agression indirecte,
celle
dont serait victime un pays ami
et solidaire
POSITION DE LA FRANCE
du nôtre (pensons toujours à
verte,
si
229
Pologne,
si
décou-
exposée), quant à une annexion,
même
sans violence
(comme
celle
dangereusement
accroîtrait
forces de l'Allemagne
:
la
de l'Autriche), qui
le
territoire
les
et
tous ces cas-là, dont nous
aurions pourtant à supporter les répercussions
si
nous demeurions
catégorie
inertes, rentreraient
de ceux où,
nous serions considérés
Il
dans
la
par notre intervention,
comme
les
provocateurs.
ne nous resterait qu'à en prendre hardiment
notre parti en expliquant au
épargner un 1914,
il
monde
que, pour lui
ne faut pas répéter
la faute
de 1866.
Les futures
difficultés,
sinent déjà, auront
elles seront
à
l'origine,
un double
qu'elles se des-
caractère. D'abord
d'une gravité croissante. Le danger,
n'apparaîtra
exercés et à des
foules
telles
hommes
qu'à
des
yeux
très perspicaces.
très
Les
y resteront insensibles et les gouverne-
ments seront tentés de
les nier.
En second
lieu,
ces difficultés seront surtout terrestres et continentales.
Il
n'y a plus, dans les mers d'Europe,
de concurrence maritime sérieuse pour l'Empire
britannique. L'Angleterre sera donc portée à se
désintéresser des conflits qui pourront survenir.
230
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX
tant qu'il ne se produira pas d'accident qui affecte
les détroits et Constantinople.
On
que
vit encore sur l'idée
les alliances
de la
guerre se perpétueront. Ce serait désirable, mais
extrêmement peu
Une
naturel.
coalition, et sur-
tout une coalition aussi vaste, ne peut pas survivre aux conditions qui l'ont créée. Tant de peu-
même
ples ne peuvent pas garder le
point de vue,
n'avoir qu'un seul intérêt. Celui de la France est
d'être payée par l'Allemagne et d'être en sécurité
vis-à-vis de l'xlllemagne.
pays qui n'ont pas
de considérer
le
les
Des alliances avec des
mêmes
raisons que nous
problème allemand comme
problème principal, des alliances
(jui
le
nous con-
duiraient à renoncer à une partie de nos droits
seraient bien pesantes. Elles constitueraient pour
nous une servitude ou bien
elles
ne fonctionne-
raient qu'avec des frottements continuels, C^ n'est
pas tout.
affaires
nous.
Il
nous faut des
allemandes avec
alliés qui
les
voient les
mêmes yeux que
Mais nous avons aussi à
que nos alliances ne soient pas
faire
telles
en sorte
qu'elles
apportent à l'Allemagne elle-même des
Nous avons déjà montré, sans craindre
titions ni l'insistance,
que
nojlre option
alliés.
les répé-
pour
la
POSITION DE LA FRANCE
231
danger d'une
conjonction
Pologne aggrave
le
germano-russe. Ce risque ne saurait être multi-
Ce qui peut se présenter un jour,
plié ailleurs.
c'est
un syndicat des vaincus
bien plus
celui
actif,
mécontents,
bien plus facile à constituer que
de vainqueurs
de se souvenir que,
duré, si la victoire
si
et des
et des profiteurs.
si la
a été
tardive, c'est parce
Il
importe
guerre de 1914 a tant
que
coûteuse,
difficile, si
si
la politique
de l'En-
tente a été impuissante à désagréger le bloc en-
nemi autrement que par
ce bloc,
c'est
donc
la
les
armes. Reconstituer
première chose à éviter,
tandis que, d'autre part,
il
importe de ne pas
nous aliéner les Etats qui ont joué sur
le
même
tableau que nous et qui ont eu moins de comptes
à demander à l'Allemagne qu'aux Hongrois ou
aux Bulgares. Tâche malaisée. Que nous puissions
avoir avec nous tous ces Etats, c'est assurément
chimérique.
Il
est plus
chimérique encore d'es-
pérer que nous les réconcilierons tous avec leurs
anciens adversaires et que la France exercera une
protection paternelle sur la famille des
moyens
et
petits Etats. Notre ressource sera d'essayer des
séries de réconciliations, l'essentiel étant de pré-
venir un bloc de l'Europe centrale dont la direc-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
232
tion appartiendrait encore à l'Allemagne, et de
couper
la
ligne Berlin- Vienne-Budapest-Sofia.
n'est pas douteux que
si,
pendant
la guerre,
Il
la
Bulgarie avait pu être détachée de la coalition adverse, cette défection nous eût été plus utile que
l'alliance
roumaine
et elle eût été profitable
Roumanie elle-même. Dans des
cas pareils
il
à
la
faut
savoir choisir. C'est ainsi qu'une Tchéco-Slova-
même
quie neutre,
hostile,
serait encore préférable à
c'était
si
possible,
un système germano-
hongrois de l'Europe centrale. Ces choix seront
délicats. Ils
ne devront pas être
Mieux vaudra en prendre
subir.
faits
à la légère.
que de
l'initiative
Nous n'obtiendrons
pas,
pour
les
prendre
encore un exemple, que la Hongrie se rapproche
également des
des territoires.
trois
pays à qui
Son propre
elle
a dû céder
intérêt lui conseille
de ne pas réunir toujours ces trois voisins dans
la
même
méfiance et dans la
même
hostilité et
de se réconcilier avec les uns ou avec les autres.
Quelles que soient les sympathies et quels que
soient les ressentiments que l'on puisse avoir,
il
est clair,
pour
la froide raison,
des Hongrois, des
elle
pouvait
être
Roumains
formée
qu'une entente
et des Bulgares,
sous
nos
si
auspices.
POSITION DE LA FRANCE
constituerait
un
barrage
233
supérieur,
véritable,
parce qu'il serait mieux groupé et mieux placé,
à celui qui semble avoir été construit par les
traités et
dont
moindre défaut
le
de se pré-
est
senter sur des points dispersés, sans avantages
contre
1914,
un bloc adverse disposant,
des fameuses
Nous n'avons
par
le
lignes intérieures
«
jeté sur la
que quelques lueurs.
comme
Il
en
».
question des alliances
faut reprendre les choses
commencement.
L'Allemagne d'abord.
Nous devons compter
avec sa mauvaise volonté persistante, probable-
ment
accrue,
h
mesure qu'elle
Nous devrons
qu'elle se fortifiera.
nous tenir en garde contre
offensifs,
être
se
prêts,
relèvera
et
la surveiller,
ses ruses et ses retours
tout au moins,
à
la
con-
traindre à remplir ses engagements essentiels,
dette
et
tâche demandera une attention soutenue
de longs
efforts.
En
définitive, notre politique
extérieure reste dominée par
mand.
Il
le
problème
devait en être ainsi du
nous demeurions
les
unitaire, sur laquelle
voisins
moment que
d'une
.\llemagne
nous n'exerçons pas d'in-
fluence, sur laquelle n'avons de prise
seul côté et par
alle-
que d'un
une occupation provisoire, une
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
234
Allemagne enfin
PAIX
LA.
de ce livre) qui
(c'est le refrain
compte 20 millions d'habitants de plus que nous.
l'exécution
La surveillance de l'Allemagne,
non pas même
de
intégrale,
Versailles,
activité et
mais
absorbera
presque
nos forces pendant
Avec une Allemagne
partielle,
les
du
traité
notre
toute
années à venir.
une grande
unitaire, avec
Germanie, non seulement une véritable entente,
mais une détente
même
est exclue, à
moins que
revendications
nous ne renoncions à nos
élé-
mentaires, y compris celle de notre sécurité.
est inutile
même
de s'arrêter à cette hypothèse.
Il
Il
est
dangereux d'y penser.
Les négociateurs français du traité de Veront
sailles
été
conséquents
avec
eux-mêmes
quand, après avoir conservé l'unité allemande,
ils
ont cherché une garantie contre
subsistait et
sion.
prévu
le
garantie,
Cette
le
danger qui
cas d'une nouvelle agres-
comme nous venons
M. Clemenceau croyait l'avoir trou-
l'indiquer,
vée aux Etats-Unis et en Angleterre. Pour
quérir,
il
avait fait
En
l'ac-
d'importantes concessions
au point de vue américain
anglais.
de
et
au point de vue
tout état de cause,
compter, avec plus ou moins de
nous pouvions
difficultés et
de
235
POSITION DE LA FRANCE
saxonnes
1914
et
la
même
conditions
qu'en
nous étions attaqués de
si
manière
des puissances anglo-
l'assistance
sur
retards,
dans
et
les
mêmes
en admettant que l'histoire fût toujours
semblable à elle-même. Toutefois,
de ce
et
fœderis, prévu pour
castes
il
un
y avait loin
péril éclatant
d'extrême urgence, à une alliance intime
permanente qui eût joué dans
et
de tous les
la vie
jours et pour l'application intégrale
du
traité.
supposait que les Etats-Unis
Une
telle
et la
Grande-Bretagne continueraient à avoir sur
alliance
l'Allemagne
der
les
mêmes
idées que nous, à regar-
problème allemand
le
comme
problème
le
essentiel et à ne pas avoir des intérêts et des
soucis différents de ceux de la France, qui est
avant tout une puissance continentale
et
euro-
péenne.
Il
a
suffi
revînt
à
de peu de temps pour que l'Amérique
cette
politique
purement américaine
dont une menace, qu'elle avait
fini
par sentir
sur elle-même, avait été seule capable de l'arracher.
Dans
le cas le plus favorable,
Unis, ayant éliminé le
ront libres de nos
les Etats-
wilsonisme, nous laisse-
mouvements
et
nous donne-
ront leur approbation morale chaque fois que
236
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
nous pratiquerons une politique de conservation
et d'ordre.
sident Wilson,
Nations
rompent avec
S'ils
leur
a
Il
serait
sur
craindre
fait
les
d'être
entraînés
complications européennes.
donc imprudent de compter de leur part
un concours
actif.
Quant à l'Angleterre, sa politique
de
du pré-
parce que la Société des
c'est
malgré eux dans
les idées
l'Empire
Les
britannique.
celle
est
mêmes
facilités
qu'elle a rencontrées dans la paix pour élargir
démesurément son programme
impérial
l'ont
inclinée à ne considérer les affaires européennes
que par rapport au inonde
entier.
Nous sommes,
nous, obligés de tout subordonner aux comptes
que nous avons à régler avec l'Allemagne. Pour
l'Angleterre, ces comptes sont réglés. Ses préoc-
cupations vont ailleurs.
demandant
même
Il
de
ranger
On
en
lui
les
dans
le
se tromperait
questions
ordre d'importance que nous.
I
n'y a pas d'alliance franco-britannique.
Il
n'y en a plus depuis que les engagements du
pacte de Londres (celui de septembre 1914) ont
été remplis
mun
signé.
et
par
la
depuis que
Tout au plus
victoire
remportée en com-
le traité
de Versailles a été
subsiste-t-il la solidarité
que
237
POSITION DE LA FRANCE
ce traité a créée entre les signataires tenus à le
faire
ce qui ne veut pas dire qu'ils
respecter,
l'interprètent toujours
même
de la
pour entraîner
tentatives qui ont été faites
Grande-Bretagne dans un accord
a
décliné
positif et défini
poliment
proposition
la
d'entrer dans une alliance franco-belge et
une notable fraction de
été loué par
anglaise d'avoir refusé
comme
properly). Tout ce qu'il a
une
garantie
il
il
a
presse
la
convenait
{verij
faire a été d'offrir
années
cinq
de
pu
la
Le gouvernement
ont échoué jusqu'à présent.
britannique
Les
façon.
à
Belgique,
la
c'est-à-dire une sorte de retour au système de
la neutralité belge
bref.
Comment en
veille
même
pour un temps extrêmement
A
serions-nous surpris.^
la
de 1914, une alliance en règle répu-
gnait à l'Angleterre. Nous n'avions jamais réussi
à aller au delà d'une
magne
<(
entente cordiale
battue, l'Angleterre aspire de
L'Alle-
».
nouveau à
se dégager des affaires du continent, à les surveiller et
à
les contrôler
à fond. On a
de haut, sans s'y mêler
tort, peut-être,
au splendide isolement. Ce
cipe
même
des
alliances
de parler de retour
n'est pas
le
prin-
que l'Angleterre
pousse. Ce sont les alliances terrestres,
si
re-
l'on
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
238
nommer
peut les
tions vont à
la
Nations peuvent
se dérober
aux
maritimes
engagements
le
un bon prétexte pour
lui être
Japon,
lorsqu'il
devenus
qu'elle
et
coloniaux,
particuliers.
elle
Mais, en dépit du
sollicitations.
elle n'hésite pas,
Pacte,
rêts
Toutes ses préoccupa-
ainsi.
mer. Les statuts de la Société des
a
déjà
traditionnels.
Avec
s'agit d'inté-
à contracter des
le
Portugal, avec
renouvelé
des
contrats
La
est
le
Grèce
pion
pousse dans la Méditerranée orientale.
Et c'est aussi par les intérêts coloniaux et mariplus de chances de
times que nous aurons
le
nous entendre avec
Anglais.
tion,
toutefois.
les
A une
que nous tenions
C'est
condi-
notre
place et notre part en Orient, que nous y soyons
forts,
que nous n'y paraissions pas en parents
pauvres.
Il
ni conduire
ne faudra pas nous laisser évincer
aux échanges coûteux. Et
il
ne fau-
dra pas non plus, quand tout nous ordonne de
nous concentrer, que
le
compagnonnage anglais
nous disperse, nous envoie monter
guerroyer dans des
li(Mix
lointains
la
garde
et
où jamais,
avant les grandes démolitions, un soldat français
n'avait paru et n'avait eu besoin de paraître.
France, à grands
frais,
doit conserver
La
une puis-
239
POSITION DE LA FRANCE
santé armée parce qu'elle n'a pas à l'égard de
l'Allemagne,
parmi
seule,
nécessaires.
sûretés
les
pays
les
séder une sérieuse
de
comme un
se sont empressés de
nous
de la conscription,
fardeau
le
pos-
organisation militaire qu'il
Pour ceux qui
abandonner
est
à
l'Entente,
ne sera jamais permis de considérer
luxe.
Elle
la
tentation est grande de tirer sur cette provision,
de nous charger des plus ingrates corvées, de
nous conférer
et
mandat de
le
recevoir des coups
de récolter des rancunes pour des causes qui
n'ont avec
la
nôtre qu'un lointain rapport. Gen-
darmes pour
compte d'autrui,
le
nous avons
ensuite à nous défendre contre des accusations
d'impérialisme
et
crisie intolérable. Cela
armée
est
un
ne peut pas durer. Notre
que
national
capital
devons pas gaspiller
d'une hypo-
militarisme
de
et,
si
nous
le
nous
ne
prêtons, ne
prêter qu'à gros intérêts, c'est-à-dire seulement
pour nos propres
intérêts.
L'Angleterre a chez
elle
de nombreuses tâches, et
Elle a
supprimé
constance,
de nombreux soucis,
elle
n'a pas d'armée.
la conscription,
tardivement
mesure de
cir-
pendant
la
adoptée
guerre, et qui répugne à ses
mœurs. A
CO.NSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX.
l'égard
10
240
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE
LA.
PAIX
des Allemands, à l'égard des Russes, elle écarte,
ou remet à plus tard
rejette
En
giques.
les solutions éner-
Asie Mineure, elle prend volontiers
la France, ou,
à son défaut, la Grèce pour soldat.
C'est que l'Angleterre n'a pas trop de ses forces
pour
elle-même,
pour
pour
l'Egypte,
pour
l'Inde,
Mésopotamie, pour l'Irlande. Quand
la
le
gouvernement britannique, avec l'Allemagne ou
avec
les Soviets,
gements
il
recommande, impose
et la conciliation,
les
ména-
voilà encore à quoi
pense.
A
la fin
tribué
au
du mois de
Parlement
du maréchal
sir
1920,
britannique
il
a été dis-
un
Henry Wilson, dont
sion est lumineuse
Il
juillet
rapport
la conclu-
:
y a une dure leçon à tirer de l'hisloire de noire
campagne en Russie du Nord. Elle commence par le
débarquement de i5o soldats d'infanterie de marine à
Mourmansk en avril 1918 ils sont suivis par 368 sol:
dats fin mai, et à leur tour, le aS juin, par fioo fantassins et mitrailleurs.
A
partir de cette date,
les
de-
mandes de renforts se sont succédé sans interruption
et nos obligations ont augmenté progressivement,
sans que nous puissions y mettre un terme. Je crois
que
le
contingent britannifjue atteignit
le chiffre
de
18.400.
La campagne de Mésopotamie commença de
même
POSITION DE
par l'envoi de deux brigades
LA.
241
FRANCE
et finit
par absorber près
de 900.000 hommes. Les six divisions avec lesquelles
nous sommes entrés en guerre en France et en Bel-
gique sont arrivées à 63 avant que nous eussions la
La conclusion est facile à tirer on dit que
lorsqu'un contingent militaire se trouve engagé dans
victoii'C.
:
des opérations,
il
presque impossible de limiter
lui est
Dans l'état de chaos où
il ne serait pas sage
monde,
se
nous pouvons nous
car
principe,
vue
ce
perdre
de
de
attendre à recevoir des demandes de troupes, ne fût-ce
qu'une ou deux compagnies, sur tous les coins du
l'étendue de ses obligations.
trouve aujourd'hui
continent, et
il
le
sera difficile parfois de ne pas céder.
Refusons aujourd'hui avec insistance d'accéder à toute
demande de ce genre n'émanant pas d'une partie de
l'empire britannique avant
un examen
attentif
obligations qu'impliquerait éventuellement une
des
telle
requête.
Ainsi,
plus
la
Royaume-Uni
rope
et
haute
se rend
autorité
militaire
du
compte du chaos de l'Eu-
des embarras de l'Empire britannique.
Les forces de l'Empire britannique sont absorbées par des besognes trop vastes,
santes,
et
ne
il
le continent.
et
non pas
reste rien
:
le
maréchal Wilson
du mal à envoyer
))
pour figurer sur
Encore ne pourrait-il que figurer
agir
qu'il aurait
compagnies
lui
trop pres-
«
sait
bien
une ou deux
dans beaucoup d'endroits à
la fois.
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
242
Il
bien qu'il nous a demandé de remplacer,
sait
dans
pays à plébiscite,
les
par nos soldats à nous.
et qui finissent
tate
au
fond, et c'est ce qui se
éliminée
l'excès
expédi-
les
des
lit
de s'en
affaires
cons-
Il
à travers les
que l'Angleterre,
d'autres raisons
n'avait
soldats anglais
par des corps d'armée.
lignes de son rapport,
serait
les
redoute
commencent par quelques escouades
qui
tions
Il
si
elle
désintéresser,
continentales
par
L'Empire
bri-
de ses propres charges.
tannique a des embarras réels qui sont
çon de ses acroissements immodérés.
Il
la ran-
souffre
aussi pour sa part, et peut-être sans s'en rendre
compte, d'avoir respecté ce qu'il eût fallu détruire et détruit ce qu'il eût
ver.
Les embarras de l'Angleterre alourdissent
singulièrement sa politique.
comme une
sure
ils
Ils
sont pour elle
hypothèque. Dans une certaine me-
diminuent
Si l'Angleterre
pas,
mieux valu conser-
la
valeur de
son alliance.
a des escadres que nous n'avons
nous avons une armée qu'elle n'a pas non
plus. Cette
comparaison
rétablit l'égalité.
Par
là
aussi elle nous rend libres.
Un
soldat
comme
le
maréchal Wilson ne ferme
pas les yeux à cette évidence
:
l'Europe est dans
243
POSITION DE LA FRANCE
Et
« cliaos ».
le
chances
des
chaos,
c'est aussi
L'instabilité,
nomie que
le
que
pour
Il
y a
physio-
la
de Versailles avait cru donner
Ce sont
à l'Europe soit provisoire.
eux-mêmes
ments
l'instabilité.
mouvement.
le
croissantes
le traité
c'est
nous
qui
événe-
les
obligeront
sans
doute à reprendre une œuvre imparfaite et mal
équilibrée.
Alors,
la
France, qui a les moyens
d'agir sur le continent, devrait-elle subordonner
sa politique
comporte
se
et
de l'Angleterre
extérieure à celle
de son propre aveu, n'a pas ces moyens
qui,
en
conséquence,
chaque
fois
qu'elle conclut à l'inaction.!^
La France ne garde pas seulement
combien de temps
a
Elle
encore.^
l'expérience
des
—
les
—
moyens
affaires
pour
d'agir.
européennes.
Elle possède les idées et les solutions efficaces.
Pourquoi ne
rence
.^^
serait-elle
Pourquoi
les points
ne seraient-ils pas
rait-elle
pas entendue de préfé-
les siens
de vue qui prévalent
.^
Et pourquoi n'agi-
pas dans son indépendance quand
faut? Avec
un
instinct juste, le
le
donné en Pologne aurait des
des choses seront à reprendre,
le
maréchal Wilson
a prévu que l'ébranlement dont
été
il
si
signal a déjà
suites.
Bien
on ne veut pas
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
244
reprennent
qu'elles
traité
toutes
de Versailles n'a rien terminé,
qu'on a commencé
ce
impératrice.
Alors,
»,
idées
directrices.
la
paix
<(
avoir
:
le
faut finir
autrefois
disait
faudra
il
manqué aux auteurs de
des
Puisque
seules.
cette
qui
ce
a
des méthodes,
Les orages prochains se
chargeront de démontrer que rien ne sera
fait
tant que l'Allemagne conservera cette puissance
politique qui engendre toute autre puissance et
qui lui rendra tôt ou tard sa puissance militaire
en dépit des interdictions.
au
Mais,
milieu
de
ces
orages
européens,
l'Allemagne elle-même n'échapperait sans doute
pas à des secousses et à des crises.
que
politique française devra pouvoir,
la
aider
entraves,
doctrine
(et
politique),
pêchera
si
et
diriger
les
là
sans
événements.
Sa
sans une doctrine on n'a pas de
sa
doctrine
est qu'il n'y a
Europe
C'est
fondée sur l'expérience
pas de repos ni de sécurité en
l'Allemagne reste
qu'elle
redevienne
forte, et rien
forte
tant
n'emqu'elle
sera unie et centralisée. C'est ce dont convient
le
plus grand journal des financiers,
raux
et
des libé-
des unitaires allemands, la Gazette de
Francfort, lorsqu'elle dit des projets fédéralistes
POSITION DE LA FRANCE
du docteur Heim,
bavarois
recette
populaire
parti
Une Allemagne fédérale
<(
:
du
chef
le
245
selon
la
Ileim aurait certainement du succès en
France, parce que ce serait une Allemagne impuissante. »
admirablement
C'est
qu'il
alliés et
moyens
faut,
et
n'y a
Il
là.
Et nous avons
idées,
pour ramener
qu'à ne pas nous écarter de
ce
dit.
ennemis à ce point de vue
essentiel,
à
travers les prochains événements.
Ces
quels
alliés,
trouverons-nous.^
alliances.
On
Il
seront-ils
les
les
obtient par la force et par le
les
On
Comment
ne s'agit pas de mendier
prestige qu'on possède,
peut rendre.
.f*
par
les
les obtient aussi
mité des intérêts. Et
les
systèmes
qu'on
services
par
la confor-
les plus
ambi-
tieux ne sont pas les plus solides. Pedetemptim,
c'est la devise des forts et des sages. Brin
nous organiserons
Depuis
on peut
la
signature
même
à brin,
le faisceau.
du
traité
de Versailles,
dire depuis l'armistice,
l'union
des temps de la guerre ne s'est plus reformée, et
pour quelques heures seulement, que par
les pro-
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
246
vocations
et
Gomment
maladresses
l'Allemagne.
de
quand on connaît
l'his-
du commandement unique, quand on
toire
quel péril
ce
les
s'en étonner
il
a fallu pour que,
commandement
L'union,
fût
aujourd'hui,
sait
23 mars 1918,
le
donné au maréchal Foch?
n'est plus
qu'une union
de circonstance. Elle est de courte durée. Une
fois
passé l'incident qui
l'a fait renaître,
chacun
retourne à ses affaires et à ses idées. Les souvenirs de la guerre s'éloignent.
les
musées historiques. Seules
Ils
la
entrent dans
Belgique et la
France restent rassemblées en permanence, face
même
au Rhin, par un
un même
de conservation.
instinct
franco-belge est
le
souci de sécurité,
premier point,
autour duquel pourront se
Pour
alliances.
la nouer,
il
le
par
L'alliance
point solide
cristalliser
d'autres
aura fallu pourtant
de longs mois et passer par l'étape de la convention
Elle
militaire.
toute seule, et
il
a
fallu
ne
se
sera
pas
faite
que, des deux côtés,
hommes en prissent l'initiative. Elle a
langui un moment à cause de la question du
Luxembourg, comme si cette question ne devait
des
pas être résolue par l'alliance au lieu que
liance
en
dépendît.
Du temps
l'al-
a été i)erdu
à
POSITION DE LA FRANCE
combinaison
une
chercher
anglo-franco-belge
dont l'Angleterre ne voulait pas et
meilleure
façon
britannique
chose toute
d'intéresser
n'était
pas
de
le
lui
comme
cela
présenter
représenter ailleurs.
prouve que, dans
même
la
il
parti.
Tout
les cas les plus simples,
entre deux peuples qui ont subi
les plus clairs,
la
se
la
gouvernement
y a eu des résistances, des oppositions de
Tout cela pourra
si
en Belgique même,
Enfin,
faite.
247
invasion, et dans la fraîcheur de leurs
souvenirs,
l'entente et la collaboration rencon-
trent encore des obstacles.
On trouve
qu'un
surtout des alliances contre quel-
ou contre
quelque
chose.
Celle
de
la
Belgique s'est fondée sur une identité d'intérêts
et
de vues en face du péril allemand. D'autres
nous apporteront d'autres asso-
périls partagés
ciés.
et
Ces périls ne sont pas seulement politiques
militaires.
Or,
société.
s'est
chie.
sans
y a aussi ceux que court
même
mise en Europe à
Elle est
lence,
Il
devenue
l'antithèse
le
s'en douter,
la tête
la
la
France
de la résistance.
pays de l'ordre par excel-
du bolchévisme
Depuis longtemps,
et
de l'anar-
mais depuis Varsovie
surtout, nous avons cessé de tenir boutique de
248
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
Nous ne séduisons plus
révolution.
gauche,
de
et
tournent
entier
du
yeux vers nous.
les
hommes
monde
les
conservateurs
les
Qu'est-ce
que notre révolution de 1789 auprès de
de Moscou
.i^
Aujourd'hui,
les idées
celle
avancées, ce
sont les idées socialistes dont la France ne veut
à aucun prix, dont
Tout
loir.
toire,
ses
même
ne peut
elle
pas vou-
son caractère, son
le lui interdit,
mœurs, sa formation
sociale.
ne nous reste qu'à avancer dans
voie
la
his-
Alors
où.
il
la
force des choses nous a mis, où elle a mis à leur
insu
hommes
des
étaient
qu'ils
nés
ne
qui
soupçonnaient
une réaction.
pour
pas
Depuis
que de vieux gouvernements monarchiques sont
tombés
pour
au
place
laisser
au
désordre,
chaos, à une sombre négation, depuis ce retour
en arrière, sans précédent par
la rapidité,
la position
la violence et
intellectuelle,
par
morale
et
politique
du peuple français a changé du tout
au
Par
tout.
le
seul
fait
qu'elle
restait
telle
qu'elle était et qu'elle continuait à vivre dans
les
mêmes
conditions,
réactionnaire.
dans
le
sens
Et
oij
elle
elle
la
est
France
allée
était portée.
rend pas toujours compte
est
devenue
naturellement
Elle
ne s'en
et l'un des plus
beaux
249
POSITION DE LA FRA.NCE
vers
de notre langue
dit
l'a
«
:
Rarement un
esprit ose être ce qu'il est. » Oserons-nous être
ce
la
que nous sommes? Depuis que,
d'instinct,
France a manifesté sa répulsion pour
révolutionnaire
tel
l'esprit
qu'il est apparu au vingtième
sous ses formes franchement asiatiques,
siècle
on aura beau
monde
France
entier, la
révolution.
on aura beau dire
faire,
C'est
pays de
est le
tellement
évident,
:
pour
le
la contre-
tellement
sûr que l'étiquette réactionnaire nous est appli-
Dans
quée partout.
nous n'avons qu'à
l'état
présent
la garder.
Elle
du monde,
nous vaudra
des sympathies nombreuses, car personne ne la
porte
avec cet
éclat,
avec ce
prestige.
Notre
physionomie morale en est renouvelée. Et puis,
il
y a un
besoin
d'ordre
croissant
qu'aucun
autre pays n'est capable de satisfaire. Nous avons
un
rôle à prendre. C'est
nous reste à prendre.
le
Si
même
le seul rôle qu'il
nous retombions dans
radicalisme d'autrefois, pétri de concessions
pour
les
idées révolutionnaires,
nous perdrions
toute raison d'être. Nous serions exposés, sans
gloire
et
sans profit,
à nous asseoir entre la
réaction et la révolution. La réaction, nous en
laisserions
le
bénéfice
à d'autres.
Quant à
la
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX
250
révolution, ce n'est plus sur la France,
désor-
mais, que les amateurs seront tentés de prendre
modèle. C'est à l'école de Moscou.
Très lentement, au bout d'un demi-siècle, la
troisième République a subi l'évolution que la
seconde avait parcourue en quelques mois. Rien
ne ressemble aussi peu à
que
de 1849. La
celle
République de 1848
la
même
trouve entre la République
voyons en 1920
en 1914
et
large
très
et telle
même
c'est
la
la guerre.
le
Dans une
comme
il
y a
contraste entre la
de la nation française
convulsions anarchiques des autres parties
de l'Europe qui a poussé
le
pays
dans un sens conservateur, qui
vers
re-
que nous
telle
mesure, aujourd'hui
soixante-douze ans,
se
que nous l'avons connue
pendant
solidité intime et naturelle
et les
différence
une
politique
comme au
dehors.
régime
a orientés
les
conservatrice
Ajoutez
et le
au
dedans
aux leçons de
la
guerre, à l'expérience désastreuse de la Russie,
que
les idées révolutionnaires
ont perdu de la séduction
qu'elles
gardaient
en
ont
et
1849.
vieilli,
de
la
Avec
qu'elles
puissance
plus
de
bonheur, entouré d'une atmosphère infiniment
plus
favorable,
M. Millerand apparaît un peu
POSITION DE LA FRANCE
comme
((
Bastide de cette période républicaine,
Bastide
sage
le
r
le
251
éteignoir
»
que
ses
ennemis
appelaient
parce qu'il arrêtait en Europe
le
feu des révolutions. Les circonstances sont plus
propices qu'alors à une politique de grande envergure,' politique nationale et contre-révolution-
naire à la fois, au service de laquelle la France
mettra sa force retrouvée et son prestige accru.
Il
n'y a pas d'autre issue aux difficultés innom-
brables que nous a léguées la paix. Nous sou-
haitons
seulement à
dans
voie
la
la
Bépublique,
où l'ont introduite
nouvelle
événements, de ne pas
comme
troisième
la
seconde avait
finir
fini.
FIN
les
par un contresens,
.
TABLE DES MATIÈRES
I';iS.'cs.
Avant-propos
Chapitre premier.
faute des
Chapitre
Chapitre
7
—
La faute des choses
et la
hommes
9
— Caractères de la paix
III. — Ce qui a sauvé l'unité
25
II.
alle-
mande
5 7
—
Chapitre IV.
Soixante millions d'Allemands
débiteurs de quarante millions de Français.
—
Chapitre V.
Chapitre VI.
Chapitre VII.
Ils
—
L'alerte
cartes.
121
de 1920 et l'avenir
145
des Slaves
Appendice au chapitre VIL
la
87
113
Le jeu de trente-deux
—
...
ignoreront
—
L'Allemagne
Pologne
Chapitre VIII. — L'imbroglio adriatique
Chapitre IX. — Hypothèses et probabilités
Chapitre X. — Position de la France
et
173
181
197
225
-^S>
ACHEVE
LE
5
D IMPRIMER
JUIN
1935
par firmin-didot au
mesnil-sur-l'estrée
(frange)
^Mà
B23
Robarts Lfbrary
DUE DATE:
'^UE
C
Apr. 12,
1993
Por téléphone
renewals
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