>5»if*, % i LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX ^\ DU MEME AUTEUR (chez le même éditeur) Histoire de France. Napoléon. La Troisième République. Histoire de deux peuples continuée jusqu'à Hitler. Histoire de trois générations. La guerre et l'Italie. L'Allemagne romantique et réaliste. Hn^ JACQUES BAINVILLE de l'Académie Française LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX • On aura les conséquences. Celui qui creuse une fosse y tombe. Celui qui rompt une haie, le serpent le mord. L'Ecctésiasle, i, 8. PARIS ARTHÈME FAYARD ET 18-20, rue C'% ÉDITEURS du Saint-Golhard D 6//// Cnpyriiilit 1**20, /))/ SocUné fvnncdise (l'I^dition et de Lil/rairie, })ro^>vielor Librairie ^^ltionale. of ISûui'clte (le Iniduction ctdercproréserves pour tous pays. Tous droits ductiou Voici un livre unique dans l'œuvre de M. Jacques La pente naturelle de son esprit porte M. Bainville à comprendre et à expliquer plutôt qu'à pré<,'oir. Pourtant, en 1920, il a prévu; il a écrit ce livre et il a pu, sans remords, laisser à d'autres le Bainville. métier de prophète parce qu'il avait tout annoncé, tout ce qui s'est passé depuis 1920, et probablement tout ce qui se passera dans les années à venir. Il n'est pas de lecture qui laisse l'impression plus vive d'une intelligence exceptionnelle, cà la fois lucide, ferme, rapide, vigoureuse, appliquée au réel, s'élevant sans fatigue du détail géographique aux vues les plus vastes et se servant de l'expérience historique avec une sûreté qui éblouit et une aisance qui enchante. Le trait le plus frappant de notre temps est, sans doute, la décrépitude de l'intelligence politique. Le fonctionnement du régime parlementaire exige des chefs plus d'habileté que de puissance, plus d'opportunisme que de ténacité, plus de roueries que de vues générales. Sont portés au pouvoir des hommes sans expérience qui s'imaginent suppléer à leur défaut de préparation, en s'entourant de spécialistes méticuleux et bornés. Ainsi les détails du traité de Versailles sont l'œuvre d'experts et de techniciens. L'ensemble et les grandes lignes sont l'ouvrage d'amateurs. La compétence se rencontrent dans l'accesLes dispositions générales et essentielles dont réflexion et la soire. dépendent la solidité et le succès de toutes les autres ont été arrêtées par des hommes que ne guidaient pas la connaissance du passé mais les principes sommaires d'une philosophie oratoire. C'est le drame de Versailles, c'est aussi le sujet de ce livre. Du désaccord fondamental découlaient des conséquences. Jacques Bainville a l'honneur de les avoir prévues et d'avoir défini la politique qui, dans la mesure du possible, aurait pu les conjurer. Pierre Gaxotte. AVANT-PROPOS Ce n'est yas -parce qu'un auteur anglais a écrit les Conséquences économiques de nous avons composé cet ouvrage. pas une réponse à Keynes. On le troduction de ces pages, un livre n'est verra tout de jeii ressorts des principaux Etats les même forces les du monde. de politique est tombée dans crédit. Peut-être faisait-elle l'in- contraste singulier. Après une guerre qui a mis en Vidée Ce paix que Nous voulons marquer seulement, à suite. et la mal le à la tête? Il disest vrai que jamais matière aussi vaste et aussi confuse ne s'était offerte à des conducteurs de peu- ples chargés d'établir une grande paix. de plus pour réfléchir et Raison pour prévoir beaucoup. être fatigant. Faute de calcul, une part énorme de l'avenir a été livrée à l'in- Le calcul pouvait connu l'excès et les au hasard, une part qui dépasse à limites que rencontrent les intelli- AVANT-PROPOS 8 gcïices quent à diriger Dans un fini profondes 2)lus les lorsqu'elles s'appli- cours des grandes affaires. le où Von croyait au progrès indé- siècle de V esprit humain, Fontenelle avait dit est certain, et que le « // peufles s'en convaincront de les plus en plus, que / le monde politique, aussi bien physique, se règle par nombre, poids et m,esure. » Pauvres peuples! Tout s'est fait en leur nom et ils ont-ils n'ont vu que sique? Mais le j^lus la nombre, se négligent pas comprendront encore à payer cjuà subir. paix violait le A poids et la impunément. Et même «n pas quel les lois les pourquoi mesure ne peuples ne ils auront jour. J. 1920 moment de la phy- B. LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LÀ PAIX CHAPITRE PREMIER LA FAUTE DES CHOSES ET LA FAUTE DES HOMMES Il le n'est pas rare qu'après vainqueur, ou, quand il au moins des vainqueurs une guerre gagnée, y a des coalisés, l'un soit paix et pense qu'il a été dupe. mécontent de En 1815, les Prus- siens se plaignaient que le Congrès de se fût terminé pour eux par « la une farce Vienne ». Nous avons eu nous-mêmes, en des temps plus anciens, « Bête un traité comme qui n'a pas dont il la paix. ménagé était proverbial » M. Raymond ses critiques de dire : Poincaré, aux actes de Versailles, de Saint-Germain et autres lieux voi- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 10 sins de Paris, a eu raison d'écrire que la décep- tion qu'ils ont causée n'était pas nouvelle. On a tout dit des lacunes du traité de Ver- de ce qu'il ne nous a pas donné, sailles, manque à gagner Territoires, est qu'il frontières, à inférieur ce espéré. On même pas retrouvé celles pour nous. représente argent, qu'on ce qu'il apporte généralement avait a remarqué partout que nous n'avions les de limites français avait tion. est forte, le dire peuple devenu banal, tant l'évidence que cette paix nous. Enfin M. qu'il n'avait pas est <( et qu'elle est « Millerand, fait, est au comptant à terme a prononcé le pour » qui a hérité » de ce jugement après quelques mois d'expérience lors- qu'il a déclaré à la tribune sailles, le longtemps ressenti l'humilia- si pour l'Angleterre définitif mais 1814, de 1815, celles de Waterloo, dont Il du malgré les que le traité de Ver- longues et minutieuses dispo- sitions qui sont destinées à assurer la réparation de nos ruines et de nos dommages, était lourd de promesses que de réalités Il <( plus ». eût été possible de concevoir une sorte de paix qui ne nous eût pas donné tout ce que nous désirions, mais qui nous eût payés d'une autre FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES il manière. Une paix, par exemple, qui, nous buant sur le eût laissé de réels en diminuant nos charges dans une mesure considérable et en notre jeunesse de la conscription. Le militaires libérant attri- papier moins de milliards, nous en bénéfice eût été indirect mais Des conditions propres à en il eût été immense. finir avec le régime barbare de la paix armée étaient le sultat vers lequel Nous eussions largement fallait tendre. premier ré- rapidement regagné en sécurité, et en tranquillité terrible il et servitude, par l'affranchissement d'une les sacrifices consentis par ailleurs. C'était le point principal de la paix. Il a échappé aux négociateurs, et l'attention publique, fixée sur les détails quand ce n'était pas sur les vétilles, ne l'a pas davantage saisi. D'ordinaire, en politique, les effets sont aper- çus quand à-dire salité, ils quand il commencent à se produire, c'est- est trop tard. Le principe de cau- qui tourmente à peine les encore plus indifférent aux peuples. hommes, Il est est naturel que des démocraties aient conclu une grande paix sans se soucier des répercussions. Dans les contes arabes, si peu philosophiques, fable qui n'exprime pas mal il y a une ce fatalisme enfan- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 12 tin. Un voyageur, dans ment autour de composé son lui les vue que tu jetais tes a reçu un dans pourquoi je vais et lui dit noyaux, l'œil me mon et : « Dans le temps passait. fils Il en en est mort. C'est il venger. Pour que » séquences apparaissent aux nations, des catastrophes ou innocem- dattes qui ont Soudain un génie effrayant repas. se présente à sa le désert, jette noyaux des le recul il les con- leur faut de l'histoire. Elles se résignent à vivre entourées de forces invisibles, comme qu'elles les génies des Mille et une Nuits, blessent sans le savoir et qui exigent des comptes tout à coup. On s'est la paix. à peine occupé des conséquences de Nous voulons dire des conséquences po- litiques, car un auteur anglais a prétendu en montrer les conséquences économiques. L'ou- vrage retentissant de Keynes est un pamphlet d'apparence scientifique qui a obtenu un succès de curiosité et de scandale par les dont le il est rempli. Il est devenu paradoxes manuel de tous ceux qui désirent que l'Allemagne ne paye pas ou paye le moins possible entreprise manquée. connue. Elle a les frais La thèse de Keynes de son est bien exercé une action certaine sur FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 13 l'opinion et sur le gouvernement britanniques. Ce qui est curieux, c'est que premier auteur le qui se soit appliqué, de son point de vue spécial, un point de vue de à étudier financier, les suites de la paix, ait été conduit à des conclu- sions pessimistes. Il que ce pessimisme est vrai Keynes voit noir pour est unilatéral. vaincus. Il est les pays optimiste pour les vainqueurs. Son évaluation des dommages que subis est très basse. Il la France a estime que nous relève- rons nos ruines à beaucoup moins de frais qu'on ne calcule en général. C'est magne qui comme un donne du complaisance rieuses, si elle et Et souci. lugubre refrain que ménagée, n'est pas la lui sort de l'Alle- le si répète il l'Allemagne ne se relève pas avec l'appui nations des victo- l'Europe tout entière tombera dans la détresse et dans le chaos. Dans son épilogue, Keynes parle de « ces cou- rants inconnus qui coulent sans cesse sous la surface de l'histoire politique peut prévoir les résultats ». est claire elle et et Pour dont nul ne lui (sa pensée se dégage de tout son livre), ces courants sont déterminés par les forces éco- nomiques et par elles seules. C'est un autre CONSEQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 14 aspect, un aspect conservateur, de la conception Keynes a eu un pré- matérialiste de l'histoire. curseur, qui se tait aujourd'hui, mais qui a parlé pendant guerre. la Lansdowne lord Lansdowne, et déjà pessimiste avant le C'était lord était traité de Versailles. Ce grand seigneur oubliait qu'il avait, sous Edouard VII, une large part à former contribué pour la triple Entente. Il était hanté par l'idée que le capital de notre vieille humanité européenne se consumait un peu plus tous misère La banqueroute, jours. les générale l'obsédaient. ruine de l'Europe <( jusqu'au bout ». si les un de disette, la annonçait la voulaient aller Et c'était aussi l'idée favorite calculateurs ces Il Alliés mais plus secrète d'un autre litti, la vieillard. silencieux M, Gio- comme rilalie sait les produire. Do dès sombres prédictions, ces le temps de que mieux la guerre, valait qui abondaient on aurait dû conclure donner à l'Allemagne partie gagnée ou à demi gagnée plutôt que de désorganiser la machine industrielle, commerciale et financière du monde. Des intérêts supérieurs étaient en jeu et lord lait dans le désert. infiniment Lansdowne par- Plus habile, M. Giolitti ne FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 15 disait rien. se contentait de signifier Il attitude qu'il n'avait pas puis début le et que, par son changé d'opinion de- de toute façon, cela finirait mal. Retranché sur cette position personnelle et forte, il attendait seulement de vivre assez pour voir son heure revenir. comptait pour Il sur une déception quelconque et il l'Italie se réservait de rentrer au pouvoir à la faveur de cette décep- Mais M. tion. C'est ce qui est arrivé. Lansdowne ne parle plus du passé. Lord plus mot. L'un avant Keynes est à regretter l'autre et ne souffle ont été des Keynes n'ont rien changé à rien. et ils que Giolitti les Alliés n'aient Il pas eu une politique plus avisée, plus perspicace et plus in- ventive, qui leur eût permis de gagner la guerre plus vite et dans de meilleures conditions. Mais quel qu'ait été quelles prix payé pour la victoire, le que soient les misères de l'heure pré- sente, personne n'oserait dire férable de Allemands. : « Il eût été pré- conclure une paix blanche avec les Il eût même se soumettre dès le été encore meilleur de mois de juillet 1914. Ainsi la merveilleuse horlogerie des importations des exportations n'eût pas été dérangée. Et, et » de même, l'Europe peut souffrir longtemps CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. 2 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 16 de disette. Elle peut être ravagée par les épidémies, menacée de faillite. Les Etats et les na- tions n'en continueront pas moins de vivre selon leurs lois. Le jeu des nécessités économiques n'est pas niable. Il se réduit, en dernière analyse, On peut à la conquête du manger. le soutenir que peuple allemand, en 1914, s'est décidé à la guerre parce que sait ne qu'il occupait sol le suffi- pas à nourrir 68 millions d'hommes et que grande aven- cet instinct l'a poussé à courir la Mais ture. tels et tels structure, l'Empire allemand n'avait pas eu si antécédents historiques, si été différent, les alliances même mieux d'être telle et telle l'équilibre des forces en agencées, retenue dans libéral, se fût Europe eût autrement agencées ou si l'Angleterre, l'hésitation au par son engagée tout de suite et lieu parti sans hési- tation à intervenir, alors le prix de la viande à Berlin n'eût pas été l'Allemagne courût S'il après que un motif le suffisant pour que risque de la guerre. y a lieu d'être pessimiste pour l'Europe le celui traité, c'est à un autre point de vue de Kcynes. Le chaos économique est profond. Mais le chaos politique l'est plus en- core. L'indicible misère de la Russie bolcheviste FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 17 a-t-elle empêché l'armée rouge de discrédit le déficit, empêché la frontières? se battre? du papier-monnaie Le ont-ils Pologne de chercher à dessiner ses Sur une vaste surface de l'Europe, dix nations se font la guerre malgré la pénurie, le typhus, dans des conditions d'existence épou- vantables qui ne devraient laisser aux que le souci du pain quotidien. cette Or, hommes auprès de mêlée des nationalités, des religions races, l'Allemagne, reste il seule et des concentrée, seule homogène, suffisamment organisée encore, et dont le poids, suspendu sur le vide de l'Eu- rope orientale, risque de faire basculer un jour le continent tout entier. Les considérations des économistes ne changeront rien aux déséquilibre essentiel. Il effets frappant de est de ce à lire ce point de vue l'histoire de la Révolution de Thiers. Adonné aux questions de brillait la clarté finances oij de son esprit, Thiers a pu relater tous les événements diplomatiques et militaires de l'Europe sous la Révolution sans que tielle en les sous l'Empire assignats et la banqueroute par- de 1797 en France, les Autriche, et « billets occupent^ dans de retrait » son récit d'autre place que celle d'un épisode qui n'a rien changé CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 18 au cours des choses. Dans son pour l'Allemagne, parti pris évident thèse de Keynes est déjà la jugée. Ce qu'elle a de futile en général tient dans cet exemple-là. Les conséquences politiques de donc bien plus importantes que économiques. plus est Il la paix sont conséquences les aussi difficile de les Mais quelques principes déduire avec rigueur. de l'expérience et du bon sens peuvent y aider. Il est certain que les plus grands hommes tirés d'Etat ne peuvent tout prévoir et qu'ils ne peu- vent surtout prévoir plus d'un ou deux contre- coups des dispositions qu'ils ont prises. pourtant des causes dont les effets sont sûrs qu'il faut presque le en voir d'avance partis, dans ce le commence pable. sinq)le limites oii pour aller ce composé à se dissoudre dans un détail impal- C'est tout ce dans cet ouvrage. et tellement Nous sommes donc du plus au composé, jusqu'aux y a vouloir pour ne pas rapport. livre, Il Il ({u'il y a de méthodique est surtout formé d'analyses d'hypothèses déduites de ces analyses. Nous présentons plus de probabilités et môme ples possibilités que de certitudes. maine, les certitudes de sim- Dans ce do- sont toujours faibles quand FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 19 il s'agit de savoir vement quand comment tourneront les choses. Elles En choses prendront. sont déjà plus sérieuses discerner de s'agit il définiti- à 1871, l'unité allemande, les Anglais cours que les le la (il fondation de y en a eu beau- coup), qui s'étaient félicités qu'un grand fût placé désormais entre la Empire et la Russie, France parce que ce serait un gage de sécurité pour eux et pour l'Europe, ces Anglais-là se sont évidem- ment trompés. de leur le dire. au Congrès de Berlin, ce calcul ne Pourtant, parut pas faux et intéressés. encore plus fallut attendre il de vingt ans pour que les facile était Il le vice en fût senti par après Lorsque Bismarck, longtemps délibéré avec lui-même, opta avoir pour l'alliance autrichienne et s'éloigna de la Russie, il aperçut le risque de l'opération. Il avertit ses successeurs qu'en aucun cas l'Allemagne ne devait se lancer dans une guerre et s'exposer au danger des coalitions pour un prétexte autrichien. Il montrait justement l'obstacle sur lequel Guillaume II est allé donner. Ce sont deux cas entre mille des erreurs de l'imprévoyance et des limites de la prévoyance. Les pronostics les plus remarquables qui aient CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 20 été retenus par l'histoire reposaient sur des don- même nées très simples, on peut à la portée des de Thiers au hommes moment dire triviales, les plus ordinaires. Celui Sadowa de resté est le modèle du genre. Thiers partait d'une idée qu'un épicier eût eue h sa place les au si, lieu d'observer progrès de la Prusse, l'épicier eût observé avec inquiétude agrandissements les de Félix Potin. « L'abrégé de tous les préceptes consiste XIV au bon sens », beaucoup. y a ainsi des choses que tout le Il disait Louis monde peut annoncer avec un peu Il ne fallait pas en avait qui d'expérience. extrêmement perspicace être pour découvrir que ces quelques mots l'Allemagne d'autre part de Versailles les comme », et le fruit. Quand délégués de l'Empire allemand signaient ce traité dans la même Galerie des Glaces où l'unité allemande avait été proclamée une première un demi-siècle plus d'instruction ce « étaient dans le traité ver dans le : serait tenus. miracle Ce qu'on exemple, tôt, c'est si leurs ne quand homme n'importe quel moyenne pouvait peut les nécessaires se produiront et fois déjà conclure que engagements étaient pas annoncer, événements comment les ils par plus se pré- FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 21 senteront. Di Rudini, qui était entré fort jeune dans la avait coutume de répéter politique et qui avait vécu fort vieux, Evitez de dire <( : : c'est grave. J'ai entendu dire trop souvent que c'était grave. Et surtout ne donnez jamais de dates. II » y a un certain degré de complexité qui dépasse le est sortie On ne raisonnement. que ce degré de est atteint la contestera pas par l'Europe telle qu'elle guerre et des cinq traités de Ver- de Saint-Germain, de Neuilly, de Trianon sailles, et de Sèvres. Bien peu de personnes possèdent dans leur esprit le détail complet de ces instru- ments diplomatiques qui forment plusieurs volumes. Plus rares encore sont celles qui peuvent une image exacte de se faire où la confusion extrême continent est retombé. Nous n'avons pas le tenté de décrire l'indescriptible. flatter de saisir et de ne pas perdre et le On ne peut se d'embrasser ce chaos. Nous avons tâché bout de la le bout de la chaîne, chaîne se trouve certainement à Berlin. Beaucoup de questions sont dans ce livre. Il est inutile laissées d'emmener le de côté lecteur au fond du Caucase. C'est surtout dans un sujet qu'il faut se borner et même tel procéder par CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 22 PAIX LA. exclusion pour arriver à une clarté relative. On risque aussi de tomber dans une banalité mortelle si l'on se met à étudier un à un ce qu'on appelle les grands problèmes, dont la classification ne répond pas toujours à la Le réalité. peuple français est retenu pour longtemps en Europe l^otre et dans bassin de la Méditerranée, le attention doit se fixer qui se passe à nos portes. d'abord sur ce plus on D'ailleurs, s'éloigne de nos frontières, plus les affaires s'obscurcissent, plus sitions. Une de pent peu et on aux vagues suppo- est réduit ces données simples, qui permettent pareilles matières, c'est d'avancer que ce qui médiatement à côté de nous important. magne qui trom- est aussi le En ne perdant jamais de vue unifiée, en de se passe im- plus l'Alle- dans son contraste avec une Eu- rope morcelée, contraste qui apparaît presque à chacun des chapitres de ce livre, on finit par ordonner au moins un certain nombre de questions. S'il y a des points sur lesquels nous reve- nons avec insistance, au risque de nous répéter, et même parfois c'est parce qu'ils de sembler dominent nous contredire, tout. Ainsi, en mon- tagne, les pics principaux reparaissent à chaque FAUTE DES CHOSES ET FAUTE DES HOMMES 23 le voyageur. reparaissent chaque fois sous un aspect détour du chemin jusqu'à obséder Mais ils différent. Pendant nous la guerre, année de la dernière livre qui a paru très peu de se- avions écrit un maines avant l'armistice du 11 novembre 1918 et qui était destiné à montrer, par des exemples encore tout frais par l'histoire et tout sanglants, de trois générations dont la troisième avait payé pour les qu'il y a des deux autres, quelques idées maîtresses des décisions prises sous quelques de ces l'influence quelques mots écrits dans moments où esprits, les actes idées, diplomatiques à la suite de ces décisions, entraînent pour de longues années des conséquences incalculables. arrive « Il souvent, XIV, Louis encore disait qu'on veut obscurcir le mérite des bonnes actions en s' imaginant que le monde se gouverne de lui-même, par certaines révolutions fortuites naturelles, nion que qu'il les était esprits peine parce qu'elle leur paresse, fautes du nom leur impossible d'éviter : et opi- du commun reçoivent sans flatte leur peu de lumière permettant de malheur d'appeler et leurs et l'industrie d'autrui du nom de bonne fortune. » Ainsi, du 11 no- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 24 vembre 1918 au 28 juin 1919, ce n'est pas le hasard qui a décidé. Ce n'est pas choses. Ce sont des et leurs idées. hommes, avec Mille autres la force des leur caractère combinaisons que adoptées étaient possibles. celles qui ont été On s'en est bien aperçu en cours de route puisque, par telle ou telle intervention, plusieurs dispo- sitions des traités ont été changées soit en bien, soit en mal. Maintenant il n'y a plus qu'à atten- dre, et, s'il se peut, à prévenir et à corriger les effets. le « On aura les conséquences )>, avait dit sage d'Israël, rassasié de voir les dirigeants recommencer fier leur vie les mômes et leurs fautes et les foules con- destins aux mêmes diri- geants. Les conséquences viennent toujours. Et nous les avons déjà. CHAPITRE II CARACTÈRES DE LA PAIX Le 3 juillet 1919, M. Lloyd George priait Chambre des Communes de Et Versailles. le paix. disait-il, exposait les raisons pour « Je les- demande à n'importe qui, de montrer, pour ce qui est de l'une quelconque de ces seul trait d'injustice judiciaire la de Parlement britannique devait approu- quelles ver la il ratifier le traité conditions principales, un ou une décision qu'une cour parfaitement impartiale n'aurait pas prise exactement dans le même sens qu'a décidé Conseil qui a siégé pendant six mois à Paris le en examinant scrupuleusement toutes ces clauses. » Il Et le qu'elle était et, Parlement britannique ratifia. n'y avait rien à reprocher à cette paix parce bonne au point de vue de la justice, par conséquent, aussi raisonnable que juste. D'autres traités avaient été des traités politiques. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 2() un Celui-là était traité moral. l'Allemagne fût désarmée non germaniques, tres peuples ment. était Il laume II été. fût privée de sa (( en et ceux-là seule- guerre fussent jugés, Guil- la à leur tête ne l'ont pas le moral que moral, au plus haut degré, que responsables de ne était de territoires, ceux qu'elle avait pris à d'au- fait les Il qu'elle perdît, et : est vrai, toutefois, qu'ils il moral que l'Allemagne était Il marine de ses colonies. Elle et gardées que pour un mauvais usage les eût C'eût été élargir monde le offrir et domaine de : dans l'injustice à l'Allemagne des occasions nouvelles de faire peut-être du mal dans l'avenir. Enfin )) il était moral, deux fois moral, que l'Allemagne fût astreinte à payer, d'abord parce qu'elle avait à réparer les autrui, dommages ensuite parce qu'il fallait que allemand comprît que la causés à peuple le guerre est une mau- vaise opération et qui ne rapporte rien. cette paix, aurait damné. rendue encore <( comme un l'avantage de Ainsi arrêt de justice, moraliser le con- J'espère, continuait M. Lloyd George, que l'Allemagne comprendra que sa défaite a son salut en la fait débarrassant du militarisme, des Junkers, des Hohenzollern. Elle a payé un prix 27 CARACTÈRES DE LA PAIX élevé pour sa délivrance. vera que cela en valait alors croira, Je crois qu'elle trou- Quand la peine. l'Allemagne digne sera dans la Société des Nations. elle le d'entrer » Ce discours de M. Lloyd George a autant de clartés que d'ombres. silence les bénéfices que la Grande-Bretagne a de la victoire, et tirés est soulagée table. passe assurément sous Il le principal, c'est qu'elle d'une concurrence maritime redou- Apparemment, ces avantages étaient sentis par la masse des Anglais. qu'il fût inutile En France, au que le l'étaient assez Ils premier ministre et la ratification pas do insistât. Clemenceau contraire, M. collaborateurs, afin d'obtenir l'adhésion pour et ses du pays de nos Chambres, ne se lassaient compter nos gains nette de toute charge, : F Alsace-Lorraine, rendue à propriété des mines de la Sarre, la le France, Maroc la libéré de ses hypothèques. Grande différence entre les Anglais et nous. Ce qui allait sans dire pour eux, tant leur bénéfice était évident et tangible, devait être démontré pour nous et tout le monde était loin d'être satisfait. Mais, entre l'Angleterre et contraste s'étendait plus loin. Sur la France, la garantie de la paix par l'occupation de la rive le CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 28 gauche du Rhin, le le gouvernement français et gouvernement britannique présentaient deux presque thèses opposées une : occupation de quinze années, disaient nos négociateurs, et qui pourra être prolongée pas ses si l'Allemagne ne tient engagements; une occupation qui paraî- tra peut-être bien longue, disait M. Lloyd George, mais qui pourra être abrégée car, le moment venu, la question de l'occupation sera examinée de nouveau. Ainsi M. Lloyd George avait peut-être besoin de plaider pour Mais dres. tain qu'il était la c'était paix qu'il rapportait à Lon- seulement le libéralisme puri- L'Angleterre cherchait à convaincre. comblée d'avance. Elle l'était depuis l'ar- mistice, depuis que les navires allemands repo- saient en rades britanniques. L'Angleterre n'avait même guerre. était et (( plus besoin de penser aux bénéfices de la Elle les avait reçus tout de suite. en possession. Et elle goûtait Elle sans scrupules sans remords ce que lui donnait cette paix juste », si juste M. Lloyd George, qu'à travers elle finissait le discours de par sembler im- matérielle. Elle l'est, en effet, dans toute la mesure où 29 CARACTÈRES DE LA PAIX pas une paix politique. Sans doute elle n'est les auteurs d'un traité n'ont pas coutume de dire en public tel parti les raisons pour lesquelles plutôt que tel autre. ont pris ils Lorsqu'il s'agit de coalisés qui, une fois la victoire acquise, obéissent à des intérêts divers, cette dissimulation est plus naturelle encore. Le langage de l'idéalisme est commode et vainqueurs de il était déjà 1815. venu aux lèvres des Nous savons aujourd'hui quels avaient été les calculs, les soucis, les diffé- rends des Alliés de l'autre sommes Déjà, siècle. nous a peine moins renseignés sur la Confé- rence de Paris que sur le Congrès de Vienne. Les divulgations sont venues très Le révélé qui ne fût parfaitement clair? traité de Servis par Versailles parle plus haut que tout. un Qu'a-t-on vite. instinct puissant, par la tradition de l'Ami- rauté et du Foreign Office et par des circons- tances favorables, des intérêts très clairs, les intérêts maritimes de la Grande-Bretagne avaient été satisfaits tout de suite et sans discussion. reste ne s'était inspiré semble. d'aucune conception d'en- Et le reste, c'était la constitution Europe nouvelle. Le Rien de moins. suprême, M. Clemenceau rappelait Au d'une Conseil les droits et CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 30 de la France. les sacrifices mais énergie, une avec les rappelait Il un peu énergie PAIX LA. parce qu'il appuyait toujours les monotone décisions les plus sévères pour l'Allemagne sans rompre cercle des idées où s'enfermaient ses locuteurs, idées auxquelles deux inter- croyait assez il le fai- blement sans croire davantage à d'autres. Par là, réussit il George et seulement à donner à M. France ressentait une la veuse » les et, l' appréhension Allemagne lorsque ner- les Britanniques Américains seraient rentrés chez eux pour calmer comme <( à la pensée qu'elle se retrouverait seule en face de et Lloyd au président Wilson l'impression que disait, ses inquiétudes d'un peu haut, le ^, « légitimes », premier ministre anglais, Britanniques et Américains avaient pro- mis de revenir en cas tifiée ». Telle fut la « d' « agression non jus- garantie » ajoutée, à la dernière heure, au traité de Versailles. Prodigieuse puérilité d'hommes pourtant que mûrs. Supposaient-ils donc que recommenceraient telles qu'ils les Qu'il y aurait encore I. Mémo discours 3 juillet 1919. une déi)eclie les plus choses avaient vues? d'Ems ou un de M. Lloyd Georges sur la paix, 31 CARACTÈRES DE LA PAIX assassinat d'archiduc et que l'Allemagne pourrait attaquer la en 1870 et France à visage découvert en 1914? Alors que le là, peut-être, jour oij admettaient aussi ils dans qu'ils avaient laissé l'Europe le même guerre avait éclaté. la pour Il négociateurs les comme état y avait français, l'occasion de démontrer que la paix était imparfaite et d'introduire une autre conception du règlement européen. Le recours à quel que soit le sort de toute façon, quelle convention, la qu'en soit la valeur pratique — la garantie — de témoigne, contre une paix qui n'est pas re- connue capable de se soutenir par elle-même qui a si peu changé la face du monde porte d'envisager l'hypothèse renaîtrait dans les mômes Composé par des par des même guerre conditions. pour lecteurs de la Bible et des lecteurs de la Bible, l'a été aussi oii la le hommes appelle aujourd'hui des <* et qu'il im- traité de Versailles d'affaires, ce techniciens ». qu'on Les dis- positions qui se rapportent au commerce, douanes, aux tarifs de chemins de CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. fer, à aux la navi3 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 32 gation fluviale, ont été l'objet d'un soin etc., Des particulier. de spécialistes pendant et qui, les pays avaient médité sur guerre, la conditions à imposer à l'Allemagne quand les à rédiger est ont été consultés serait vaincue, elle et commerciales du les clauses invités traité. Il entendu que, de notre temps, rien ne dépasse l'importance du commerce, « tous qui avaient l'expérience de ces questions alliés, spécialité » qui, dans appelle la déférence des Il est probable en et il y un âge hommes effet que a là une scientifique, d'Etat. spécialistes les savants et les dévoués experts de la Conférence ont introduit dans le clauses ingénieuses et nées, traité de Versailles des harmonieusement combi- de manière à rendre inoffensive currence de l'Empire allemand. expliqué que ces clauses, particulièrement la France, la con- nous a été Il en ce qui concerne ne se contentaient pas d'effacer celles du traité de Francfort, mais qu'elles donnaient à notre pays riorité et de tels une telle supé- avantages qu'il n'avait qu'à savoir et à vouloir en profiter pour que ses industriels et ses négociants eussent privilégiée dans le une position monde, tout étant prévu et 33 CARACTÈRES DE LA PAIX arrangé, notamment, pour que la production de l'Allemagne comme au d'être lieu autrefois leur maîtresse. du chapitres Ces servante leur fût traité aucun doute excellents, de sans Versailles, dureront et vaudront autant que ce traité lui-même. C'est ce qui était aux mêmes chapitres du arrivé fort, si traité de Franc- habilement conçus pour favoriser magne. Et nous espérons aussi que aura l'organisation pour que ces et l'esprit articles du la l'Alle- France de suite nécessaires traité ne restent pas lettre morte. Ce que nous avons voulu montrer, c'est que ni n'ont manqué à ses réflexion la la « compétence cette partie de la paix, alors dispositions dépendent ni générales et essentielles, la solidité et le » que dont succès de toutes les •autres, ont été arrêtées par des hommes qui ne se guidaient pas d'après l'expérience qui est la seule <( technicité » de la politique, mais d'après quelques principes fort sommaires d'une philosophie oratoire. Le tracé des nouvelles frontières, par exemple, a été confié à des géographes et à des ethnographes tout à il fait distingués, en qui était permis d'avoir pleine confiance et qui n'auront certainement laissé passer dans l'exécu- co^•sÉQUE^'CES politiques de la paix 34 tion de leur tâche que des erreurs insignifiantes. Quant au plan selon lequel les Etats tribués et modelés, de jeter la carte il suffit ont été disles yeux sur de l'Europe nouvelle pour s'apercevoir pu qu'il n'a être dirigé price et de contradiction que par l'esprit de ca- ou bien au hasard des sympathies, quand ce n'était pas au hasard de discussions entre les Alliés. Tout le monde sait, par exemple, qu'après avoir déclaré qu'un Etat composite comme l' Autriche-Hongrie digne de vivre, le Conseil suprême s'est était in- empressé de constituer, en Tchéco-Slovaquie, une Autriche nouvelle où se retrouvent six sur huit des natio- dont se composait l'ancienne. nalités Il n'y aura pas un seul poteau-frontière de l'Etat tchécoles méthodes plus rigoureusement scientifiques. Quant à slovaque qui ne soit planté selon les savoir combien de temps ces bornes resteront à leur place et les chances qu'elles ont d'y rester, ce n'était pas l'affaire des géomètres-arpenteurs. Ainsi d'experts les et détails de du traité techniciens. un sont travail L'ensemble, les grandes lignes sont de l'ouvrage d'amateurs. De là lui viennent deux de ses traits un caractère moral prononcé, car dominants il est : facile CARACTÈRES DE LA PAIX communs de mettre des lieux 35 de moralité à la place du raisonnement politique qui effort lière. intellectuel et une préparation Ensuite un caractère moins accusé avec elle a eu pour effet le un particu- économique « et qui s'accorde » non moralisme une nouveauté. puritain. Cette alliance n'est pas Ici, exige de primer toute consi- dération vraiment politique. Le célèbre Econo- mist de Londres concluait, 5 juillet 1919, étude sur ces mots la : <( le valeur du traité de Versailles par L'Allemand n'est pas naturellement belliqueux. Or, il n'est pas d'un vient d'apprendre que la guerre bon Les Etats nouveaux profit. ont encore à apprendre cette leçon de la Société Ces une des Nations de prodigieuses : le leur simplifications c'est le rôle enseigner. ne » doivent pas surprendre. Le président Wilson ne réglaitil pas le sort du monde en quatorze M. Lloyd George ne prêche-t-il pas dans non-conformiste de son M. la question Clemenceau, avait menti concile. l'Eglise gallois.'^ Pour d'Autriche ne se que le comte Czernin Le Conférence de la paix a été un réduisait-elle pas à savoir .î^ village points.!^ Après qu'il eut été entendu, une pour toutes, qu'on ne reviendrait fois ni sur la liberté CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 36 des mers, ni sur les colonies, ni sur les navires l'Allemagne, de principaux les forts de l'armée d'experts et négociateurs, de techniciens qui leur apportaient, sur des questions particulières, des mémoires des solutions, et édifièrent une nouvelle Europe. Et lorsque, du silence parfois coupé d'orages oii enfermé, le sortit le plus Conseil important des celui de Versailles, qui devait aux suprême traités, donner leur forme monstre que l'on autres, voici le s'était vit. Une Allemagne diminuée d'environ 100.000 lomètres carrés, mais, ki- sur ce territoire réduit, réunissant encore soixante millions d'habitants, un tiers de plus que la France, subsistait au centre de l'Europe. L'œuvre de Bismarck et des Hohenzollern était avait d'essentiel. dans respectée ce qu'elle L'unité allemande n'était pas seulement maintenue, mais renforcée. Les Alliés avaient affirmé leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes. Ils y étaient intervenus pourtant. Toutes les mesures qu'ils avaient prises avaient eu pour résultat de CARACTÈRES DE LA PAIX allemand centraliser l'Etat fédéral 37 et de conso- lider les anciennes victoires de la Prusse. S'il y avait des aspirations à l'autonomie ou au fédé- ralisme parmi les populations allemandes, elles étaient étouffées. Le traité tières rétrécies. C'est au nom poussait, d'hommes parquait 60 millions enfermait, entre des fron- l'Allemagne d'autre part <( » de laquelle deux ministres sont venus signer à Versailles le 28 juin 1919. Du Bell, les fond de la Galejrie des Glaces, Millier et de noir habillés, avaient comparu devant représentants de vingt-sept peuples réunis. Dans le même quarante-huit ans plus avait été proclamé. Il tôt, A peintures, l'Empire allemand y revenait pour s'entendre déclarer à la fois coupable gible et criminel. mêmes sous les lieu, et légitime, sa condamnation, d'être reconnu. Millier et Bell, il intan- gagnait obscurs délégués d'une Allemagne vaincue, pensaient-ils à ce que la défaite laissait survivre d'essentiel.»^ Peut-être, pour beaucoup des assistants et des juges, était- ce une jouissance de voir le redoutable de Guillaume II Empire humilié dans la personne d'un intellectuel socialiste et d'un avoué de province. La voix brève de M. Clemenceau ajoutait à 38 co^•sÉQUE^•CES politiques de la paix rimmiliation <( : Il est bien entendu, Messieurs délégués allemands, que tous les engagements les que vous allez signer devront être tenus inté- gralement et loyalement. )> Nous entendrons tou- jours ce verbe tranchant, et les deux la, indifférents et mous, qui sortirent de Muller et de Bell, conduits par le chef du bouche de la comme des automates Faible voix. protocole. Débile garantie. Qu'est-ce que Muller et Bell pouvaient mou- engager.^ Le traité de Versailles mettait en vement des forces qui échappaient déjà à la volonté de ses auteurs. Une paix trop douce pour dès qu'ellô donné cette avait définition. nous en avions On verra qu'elle reste Le traité juste et qu'elle a résisté à l'expérience. enlève tout à l'Allemagne, sauf la le principal, sauf puissance politique, génératrice de toutes autres. Il croit supprimer les les moyens de nuire que l'Allemagne possédait en 1914. le dur ce qu'elle a de été connue, lui accorde premier de ces moyens, celui qui doit lui per- mettre de reconstituer les autres, Il l'Etat, un Etat central, qui dispose des ressources et des forces de GO millions d'êtres humains service de leurs passions. et qui sera au 39 CARACTÈRES DE LA PAIX Le traité laisse et Hugo Stinnes et forces ces sur avant-hier, représentaient Bell nom ressources ces seul gouvernement, que Mûller aux mains d'un dont pesait hier, la lequel figure et le prochains nous sont inconnus, mais qui est toujours l'héritier de l'Etat prussien. Quant aux passions, passions nationales, passions humaines, instincts mand, naturels le traité animaux du peuple et alle- contient tout ce qu'il faut pour les surexciter. La garantie qu'il se vante désarmement. Les auteurs de sonné ainsi la : d'offrir, la c'est paix ont le rai- possession d'une force militaire excessive a poussé l'Allemagne à la guerre et à la conquête. Une Allemagne qui n'aura drapeaux qu'une cen- droit de conserver sous les taine de mille hommes, juste ce qu'il lui faudra pour maintenir l'ordre à fique et inoffensive. M. Lloyd George, politique « l'intérieur, sera paci- L'armée allemande, a était prussienne. plus le Il la clef fallait dit de voûte de la l'éparpiller, la dissoudre, la désarmer, la mettre dans l'impossibilité de se rassembler de nouveau, rendre im- possible l'équipement d'une armée semblable. » Alors ce serait assez. L'Allemagne ne serait plus CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX 40 rAllemagne. Faible raisonnement, indigne d'un homme sujet Napoléon avait d'Etat. de curieux Prusse, la que M. M. Wilson, au trouver pourrait l'on et même fait le Lloyd George et M. Clemenceau eussent renouvelé l'erreur de ce militaire-type si Napoléon n'avait pris ses idées générales au xvm® siècle, c'est-à-dire aux mêmes sources qu'eux. C'est la nature même de la Prusse, pays de colonisation et de conquête, qui a créé le mili- tarisme prussien. Les chevaliers de l'Ordre teu- tonique ont précédé les Hohenzollern. légué un besoin et Ils un instrument. Sur tières incertaines et toujours disputées leur ont les fron- du germa- nisme et du slavisme, dans un pays sans limites ouvert naturelles, militaire est une aux quatre nécessité. vents, la Le Ileimatschutz force s'est constitué sous nos yeux par une création presque spontanée, comme un Ordre teutonique de la démocratie. Les débris de l'ancienne armée impériale, les bandes dérobées au licenciement ont trouvé refuge dans les territoires des confins, en Prusse occidentale et orientale. Peut-être do nouvelles naître formes de militarisme sont-elles en train de là. Il ne manquera que l'occasion et CARACTÈRES DE LA PAIX l'homme qui mettront ment. Si Stein et 41 ce militarisme en mouve- Scharnhorst avaient réorganisé une armée prussienne avec des principes nouveaux, major Schill avait pris sur le l'esprit ler guerrier. lui de réveil- après léna, Pourtant, la Prusse avait été désarmée. Mais l'Etat prussien subsistait. Il interdictions s'était remilitarisé en cinq ans. Les du vainqueur avaient ou violées jusqu'au jour oii, les dant, l'armée prussienne eut la été tournées circonstances ai- même légitimité que l'Etat prussien. La Prusse d'aujourd'hui, Le traité de Versailles les l'Allemagne. c'est confond. Et ce que ressent la Prusse, l'Allemagne doit le ressentir Le désarmement qu'ordonne aussi. Versailles est une garantie encore plus faible celui — que que Napoléon lui-même n'avait pu obtenir, et pourtant Napoléon était entré à Berlin. ne faut pas oublier en outre que prussien, avant d'être un de le traité péril dompté un le militarisme péril européen, allemand. Jusqu'en 1866, où les résistances, le Il il a été avait militarisme prussien a trouvé des limites ou un correctif dans la constitution môme de l'Allemagne, dans l'équilibre des forces et dans les mœurs qui résultaient du régime CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 42 En fédéral. des 1813, de ressources militarisme ne disposait que le Prusse frédéricienne, la en 1870, des ressources de la Prusse bismarckienne. Pour sa renaissance, il aura celles de tout l'Em- pire allemand, tel que le Iraité de Versailles l'a reconnu '* et consacré. La paix a conservé et resserré l'unité de l'Etat allemand. Voilà ce qu'elle a de doux. Cette concession essentielle n'aggrave pas seulement, pour le désarmement, les difficultés Nous répétons que la de la surveillance. puissance politique engendre toutes les autres et un Etat de soixante millions d'hommes, nombreux de l'Europe le plus occi- dentale et centrale, possède dès maintenant cette puissance politique. Tôt ou tard, l'Allemagne sera tentée d'en user. Elle y sera les justes duretés que même poussée par les Alliés ont mises dans les autres parties de l'acte de Versailles. Tout est disposé pour faire sentir à GO millions d'Alle- mands qu'ils subissaient ment, un donner les en commun, indivisible- sort pénible. Tout est disposé pour leur l'idée et la faculté do s'en affranchir, et entraves elles-mêmes serviront de stimulants. 43 CARACTÈRES DE LA PAIX Qu'est-ce qui peut être le plus douloureux pour Allemands vaincus? Qu'est-ce qui peut les inciter davantage à ou qu'ils perdent Les deux, au la libération les même lient les provinces Les territoires P réparations qu'ils doivent? degré et même au Saxon à conserver tous deux restant citoyens du unique pays. Sous prétexte que serait meilleure, le traité a également solidaires de risés aussi dans Ils titre. à l'argent et un Badois se sent aussi intéressé qu'un Silésie, les rendu la dette. Haute- même et créance en la les On la Allemands les a solida- la protestation. Silésie, Posnanie, Dantzig étaient des conquêtes de la Prusse qui n'intéressaient, il y a encore un demi-siècle, que les vrais Prussiens. un homme l'homme de <( La perte en est ressentie par de Stuttgart ou de Munich, parce que Stuttgart ou de Munich Wurtembergeois ou Bavarois, je se dira possède et je comme si j'étais Prussien. Notre actif est même que notre passif. Tout ce qu'on prend à Prusse on le prend à l'Allemagne. On me dois : le la. le CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 44 prend. Ce que nous reprendrons, nous drons ensemble aussi. sonner de » Ils repren- sont 60 millions à rai- même rivés à la la sorte, le chaîne des réparations, mais qui s'apercevront mieux de leur force à mesure que le traité leur donne une obligation commune, un commun intérêt temps passera. Car le un Etat commun, et l'espoir à travers le désespoir. Pendant plus d'une génération, devront payer un payer tribut principal le tribut tiers aux Allemands les Alliés. Ils devront aux Français qui sont de moins qu'eux : quarante millions de Français ont pour débiteurs soixante millions d'Allemands dont la éteinte avant trente années, être. dette ne peut être un demi-siècle peut- Des enfants qui ne sont pas encore nés, qui n'auront connu la guerre que par ouï-dire, par une légende dont (« le caractère se laisse déjà deviner nous n'avons pas seront arrivés à l'âge de leur travail, il été vaincus »), d'hommes et, ces enfants sur le produit leur faudra encore prélever la part des réparations. Quelles garanties, quelles précautions eût appelées cette formidable créance! Au moins que ces millions de créatures ne fussent pas attachées au même boulet, avec un seul gou- 45 CARACTÈRES DE LA PAIX vernement, peut-être demain un seul chef, pour les dresser à briser leur chaîne. Maintenant, regardez velle, yeux, au moment si, elle oii la carte de l'Europe nou- ce livre tombera sous vos n'a pas été déchirée, bouleversée en plusieurs de ses parties. L'Allemagne est sérieu- sement rognée. Nous l'avons elle dit tout perd environ 100.000 kilomètres carrés, un cinquième de sa superficie. Mais A oii les perd-elle.* l'Est surtout, sur sa frontière polonaise. L'Al- sace-Lorraine, du Slesvig : Eupen Malmédy, et faible Etat polonais, est sous la Silésie. la zone nord légères amputations auprès de celles que l'Empire subit de l'autre Il à l'heure, il côté. Au jeune et a dû rendre la Posnanie. menace de Haute- lui restituer la Et Dantzig forme la sortie du couloir qui sépare désormais la Prusse orientale de la Prusse occidentale, comme au au temps où qu'un royaume « siècle, pas comme royaume de Frédéric de lisières », que Les Alliés n'ont pas dissocié, raillait. même le dix-huitième fédéralisé l'Allemagne. Ils n'était Voltaire ils qu'on ne revenait pas sur l'évolution de toire. Et ils n'ont ont dit l'his- y sont revenus sur un point. Quel point! Kœnigsberg, la ville de Kant, la ville oii CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 46 le premier roi de Prusse s'était lui-même cou- ronné. L'Etat prussien du temps jadis, si mal conformé, paient trois marteaux Kœnigsberg ne le enclumes que frap- trois <( n'avait eu de cesse que », soudé au reste du royaume fût corridor polonais fermé. Et a sailles rétabli en laissant si faible, de l'îlot subsister la le de Ver- traité Prusse et orientale une grande Prusse-Alle- magne! Nous examinerons, au chapitre suivant, les effets psychologiques et politiques de cette demi-mesure si gravement inconsidérée. On ne peut donc pas dire que le traité ne démembre pas l'Allemagne. Il la démembre nettement à l'Est, à un point sensible, très loin de prise des Alliés. Pologne, de vingt Il trois fois fois moins la démembre au profit moins peuplée qu'elle forte si l'on tient de la la et plus compte des faiblesses intimes de l'Etat polonais et des périls qu'il court. lante. Regardez encore un animal méchant, griffe cette carte si par- Accroupie au milieu de l'Europe l'Allemagne n'a à étendre pour réunir de nouveau Kœnigsberg, Dans ce signe, les l'extrême rigueur, il qu'une l'îlot de prochains mal- heurs de la Pologne et de l'Europe sont A comme inscrits. pouvait être admis que, 47 CARACTÈRES DE LA PAIX le flanc occraental, sur en respect par par loin, la la l'unité allemande, tenue France, par la Belgique, et, au garantie anglo-américaine, ne serait plus dangereuse ou que le danger serait faible, incertain, qu'il serait facile de le conjurer. Peutêtre. L'expérience était pourtant bien dangereuse, car, à cette Allemagne, toujours apte à redevenir un puissant Etat, nous avons tant de charges, tant d'obligations à imposer, qu'elle supportera impatiemment! Mais les auteurs de paix la ne paraissent pas avoir pensé que, sur l'autre versant, il mand n'y avait rien et que ferait basculer leur Pour que l'Est de ne fallait sur eux. que ou ressuscites à l'Allemagne pussent grandir, s'organiser, passer par les maladies crises de la croissance il gros poids alle- Europe dans ce trou. les petits Etats suscités développer, se le dans une et les sécurité relative, pas qu'une énorme Allemagne pesât La politique des nationalités, encore plus la politique d'équilibré, exigeait la dissocia- tion de l'Allemagne. De petits Etats ne sont pas en sécurité auprès d'un seul resté grand. Il semble que les auteurs de la paix aient cru qu'ils avaient réussi à concilier le principe des nationalités et celui de l'équilibre, CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. puisque 4 les CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 48 peuples affranchis de l'Est sont chargés d'équilibrer la masse allemande. C'est un problème de mécanique résolu par une métaphore, « ceinture magne » ou de Et encore de la l'Alle- D'un chapelet de Serbies. I Regardez toujours vous .un instant à hommes De quoi la « barrière ». est-elle ceinte.^ celle cette carte étrange. Mettez- la place dans et la tête des qui habitent ces Etats nouveaux. Pour eux, l'Allemagne ne peut être que menace ou attraction. Entre la soumission et la lutte, n'y il a pas de milieu. Pour la Pologne, aucun choix, c'est la lutte, et à mort. Mais l'Etat tchéco-slo- vaque? Loin d'entourer germanisme qui le germanisme, l'entoure, c'est le l'empêche, qui s'il veut, de respirer, qui tient à sa discrétion son commerce et ses industries. Et puis, craindrons pas, dans ce — nous de répéter des livre, ne faits élémentaires, mais qu'il importe d'avoir à tout moment lions présents à l'esprit, — y a trois mil- il d'Allemands en Bohême. Une guerre avec l'Allemagne serait vaquie. le suicide de la Tchéco-Slo- Une extrême prudence gouvernement de Prague. Et est la ordonnée au prudence s'ap- pelle neutralité. Et la neutralité inconditionnelle. 49 CARACTÈRES DE LA PAIX s'appelle absolue, l'assujettissement. bientôt Plus au sud, c'est pis. Voilà l' un Autriche, Elle seule est morceau d'Allemagne authentique. détachée de l'unité allemande. Si l'on en détache l'Autriche, autres n'y a pas de raison pour que les il resserrées soient parties de autour la Prusse. Si Vienne reste la capitale de l'Autriche, il n'y a pas de raison pour que la Bavière et le Wurtemberg gravitent autour de Berlin. Et du moment qu'on pendante, ceaux il voulait créer une Autriche indé- fallait qu'il d'Allemagne est à la portée du y eût aussi d'autres mor- indépendants. principal. L'accessoire Trop grande tentation pour l'Allemagne de réincorporer à allemande les le monde un surnomme Vienne de rejoindre une vaste et puissante. Déjà, objet de dérision ou de il pour est pitié. On le l'Etat avorton. S'il était entouré d'au- tres Etats de sa taille (il compte à peu près autant d'habitants que la Belgique), cule. patrie pays autrichiens. Trop grande ten- tation pour l'Etat de communauté la il ne serait pas ridi- Mais cet unique petit groupe allemand, au- près du colosse germanique, personne ne le prend au sérieux. Pologne, Tchéco-Slovaquie, Autriche suppo- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 50 LA. PAIX saieiit, pour durer, d'elles une grande Allemagne. L'existence qu'il n'y aurait pas à côté et la sécurité de ces petits Etats supposaient d'autres petits Etats. se trouve môme Aucune considération de dans le traité pas qu'à aucun de Versailles. moment les ce genre ne Il n'apparaît auteurs de la paix aient songé à ces questions d'équilibre. Le traité de Versailles n'est pas un traité politique. La politique consiste essentiellement à Le traité du 28 juin imprévoyance. Il est remarquable par son accumule les renvoie les solutions à plus tard. nir des litiges et des procès, l'Allemagne, mais avec nos l'Allemagne dans quinze alliances.^ Cependant prévoir. difficultés Il et il lègue à l'ave- non seulement avec alliés. ans.*^ Où Où en sera en seront nos cette date est celle où l'oc- cupation de la troisième zone, celle de Mayence, doit prendre ments. Et fm si comme l'Allemagne a tenu ses engageelle est déjà en faute, la thèse française est que les délais sont suspendus. Cette thèse sera-t-elle admise partout.^ donnera-t-elle lieu.'^ A quels conflits Mais l'année 1935 est encore CARACTÈRES DE LA PAIX celle où un plébiscite décidera si le 51 bassin de la Sarre reste à la France ou à l'Allemagne. Et, le si plébiscite se prononce contre nous, l'Allemagne devra payer le prix des mines dont le traité rend propriétaires. Grandes complications. A nous quel point seront-elles accrues par l'état où sera alors l'Europe et par l'état où sera l'Allemagne.^ Quel moment le Nous sommes sera à ce sence.^ rapport des forces en préréduits aux conjectures. De grands problèmes sont livrés au hasard. Sans doute une paix aussi générale, embrassant autant d'objets que celle de 1919, devait comporter une part d'incertitude. devait être une phalie <( création continue ». Elle La paix de West- elle-même n'avait pas échappé à cette nécessité, donné un puisqu'elle avait droit de garantie à la France et à son alliée du Nord, la Suède, d'ailleurs devenue bientôt incapable de l'exercer. Mais à quoi la garantie des traités de Westphalie s'appliquait-elle .^ A quelque chose de relativement simple, à quelque chose de statut clair, au du corps germanique qu'aucune puissance allemande ne devait pouvoir dominer. Ce principe était absolu. Il était invariable et d'une inter- prétation qui ne laissait pas de place au doute. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 52 La garantie des à une foule de questions de détail qui prê- traire, tent aux controverses l'avons vu pour et au con- Alliés de 1919 s'applique, nous le le aux transactions et charbon à nous : la conférence de Spa verrons encore. Quant au premier des points, celui qui tient le reste en sa dépendance, l'équilibre des forces, c'est n'est même Cette omission C'est caractère. au contraire donne à paix son principal la une paix qui n'a pas voulu Le respect de chercher à réaliser l'équilibre. l'unité celui qui pas considéré. allemande conduisait Et toutes les là. autres conséquences en découlent et en découleront. La plus grave pour est, tien de la paix armée, la la France, le main- possession d'une grande force militaire nous restant indispensable, pour notre sécurité, soit que l'inexécution du Un an fort. les gages traité rendrait nécessaires. d'expérience a déjà montré que l'occupa- tion de la rive gauche sante. pour prendre soit Il La du Rhin a fallu une première saisie du bassin de n'était pas suffi- fois aller la à Franc- Ruhr a dû avenant de Spa. être On donnée pour sanction à 1' peut dire que de Versailles organise la le traité guerre éternelle. « . » ... 53 CARACTÈRES DE LA PAIX Il ne nous a même pas mis dans de très bonnes conditions pour la soutenir. nous rend, c'est celle d'invasion, La frontière qu'il de 1870. C'est une frontière dessinée en 1815 contre la France. L'avis des chefs militaires qui demandaient une stratégique frontière n'a pas retenu. été Là- dessus, les « techniciens » n'ont pas été écoutés. Deux exemples historiques prouvent cependant dans ces qu'il y a profit à écouter les techniciens « Ici je », En Vénétie, : il a ses raisons, ses raisons techni- 1866, lorsque l'Autriche avait cédé la l' état-major autrichien avait nouvelles limites de l'Empire. Résultat ans trois dit puis assurer la défense, et là je ne puis l'assurer ques. Quand un état-major de matières. sortes il a faibles forces ses crêtes, suffi fixé : les pendant à l'Empire austro-hongrois de pour briser l'élan des de ses cols alpestres, lancé ses troupes sur le Italiens et, de a deux fois il chemin de la Lombardie. En 1871, l'état-major prussien avait voulu garder Metz. Il eut gain de cause. Et c'est pourquoi, en 1914, nous n'avons même En revanche, Bismarck pas pu défendre Briey. avait passé sur l'opposi- tion de Moltke et nous avait laissé la trouée de Belfort : nous sommes entrés dans le Sundgau dès 54 CONSEQUENCES POLITIQUES DE 1914 et nous y sommes toujours LA. PAIX comme restés, Moltke l'avait prédit. Puisque la France demeurait en contact avec une grande Allemagne, il lui fallait au moins une frontière rationnelle, une frontière conforme à cette politique. Nous ne l'avons pas eue. A la sécurité terrestre, naturelle, stratégique, qui ne pouvait elle-même que suppléer à l'absence de sécurité politique, ont été substituées des précau- tions juridiques, magne des interdictions d'entretenir gauche du Rhin et celles l'Alle- sur la rive garnisons dans une zone de 50 kilomètres sur la rive droite. comme des pour Il est clair que ces clauses, du désarmement en général, vau- dront autant que les circonstances, rapport des forces entre autant que le les Etats. C'est toujours à l'équilibre des forces, à l'équilibre politique qu'on se trouve- ramené. C'est peut-être parce qu'il était l'adversaire et le négateur du principe classique do l'équilibre que la le président Wilson a voulu que Société des Nations précédât et le traité tés. de Versailles comme le commandât tous les autres trai- Qu'est-ce que la Société des Nations libre irréel au pacte de lieu de l'équilibre réel. .î* L'équi- La Société 55 CARACTÈRES DE LA PAIX des Nations nîï l'équilibre qu'on peut appeler n'admet pas de disproportion subjectif, celui qui entre Etats voisins ou exposés à des conflits. Elle sulte des d'alliances. Elle prétend combinaisons rendre l'un les et l'autre inutiles charge d'établir Le jour en assumant la justice entre les peuples, faire respecter le droit et rêts. qui ré- celui nie également l'équilibre objectif, d'harmoniser la de les inté- l'Allemagne sera jugée digne oii d'entrer dans l'association, ce jour-là, système wilsonien, la selon le paix n'aura plus besoin d'une autre garantie. Un seul article, avait un sens net dans le pacte de la Société, et positif. celui par lequel les C'était l'article 10, membres de la Ligue s'en- gageaient entre eux à protéger et à défendre leur intégrité territoriale et leur indépendance. Unique de son espèce, une grande assemblée politique, le Sénat de Washington, a eu le courage et la franchise de dire tout haut qu'elle rejetait pareil fardeau et ments et les un un pareil devoir. Les gouverne- parlements qui les ont acceptés n'étaient pas sincères et ne se croyaient pas réel- lement tenus par un ils si vaste engagement ou bien n'en avaient pas mesuré l'étendue. En repous- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 56 sant l'article 10, une illusion. Il le Sénat de Washington a détruit un immense a rendu Chaque peuple, désormais, service. doit chercher sa voie et sa politique selon les données de l'expérience ordinaire. Il les confusion que cherchera au milieu d'une vaste le traité de Versailles n'a pas créée tout entière, mais qu'il a aggravée pour une part considérable avec ses appendices, les traités de Saint-Germain, de Neuilly, de Trianon et Sèvres. A de i travers ce chaos, la politique de la comme reste dominée, avant 1914, par blème allemand. La paix ne France le pro- l'en a pas soulagée. Quelle sera désormais la nature de nos rapports avec r Allemagne.»^ C'est tions. C'est le pas de doute. échappé à la bout de Il la première des ques- la chaîne. Et là, il n'y a n'y a pas de choix. Si nous avons dépendance de l'Allemagne, nous restons dans la dépendance du problème alle- mand. CHAPITRE III CE OUI A SAUVÉ L'UNITÉ ALLEMANDE Tout le monde est ^ aujourd'hui d'accord pour regretter que l'Allemagne vaincue ait conservé son unité politique, c'est-à-dire principal ré- le sultat des anciennes victoires militaires de la Prusse. Les négociateurs français le nient pas : il eût mieux valu que mande ne survécût pas à Sadowa) : du mot de Thiers « européenne On ne (six conteste plus semaine avant Le plus grand principe de est l'unité alle- notre victoire. M. Tar- dieu plaide la force majeure. la justesse eux-mêmes ne que l'Allemagne la politique soit d'Etats indépendants, liés entre eux par lien fédératif. » composée un simple M. Tardieu a seulement allégué que M. Clemenceau et ses collaborateurs s'étaient heurtés à des impossibilités dont la principale était l'opposition de nos alliés et les principes CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA 58 généraux énoncés par M. Wilson PA.IX et acceptés par tous, sur lesquels a été fondée la paix. Nous laissons de côté la question de savoir principes étaient intangibles et ces si si con- la version de M. Wilson ne pouvait être tentée. Le gouvernement britannique exemple, l'abandon de gouvernement obtenu, avait par des mers. Le la liberté français, à l'heure oij les positions furent prises, c'est-à-dire entre l'armistice et la réunion de la Conférence, n'aurait-il pas obtenu, en présentant lui aussi, bles, de que le côté.»* Il les arguments convena- respect de l'unité allemande fût laissé n'y a eu aucune tentative de ce genre, et la raison en est simple. C'est que principe de la politique européenne Thiers était absent des esprits. blement obscurci sous le peut dire que, de nos jours, l'état Il » le « grand dont parlait était déjà terri- Second Empire. On il ne vivait plus qu'à de souvenir historique chez un très petit nombre de personnes qui n'étaient pas de celles à qui la charge de conduire les négociations était confiée. Si tel ou tel des membres de française a eu, à de certains de la politique la délégation moments, une lueur à suivre, ce ne furent que des vel- léités aussi tardives que passagères. Le cœur n'y CE QUI A SAUVÉ l'u>'ITÉ ALLEMANDE Les idées non plus, était pas. les 59 idées encore moins. Avant ~et pendant la guerre, M. Clemenceau a eu l'occasion d'exposer les siennes. Il les a réunies dans un livre sur l'Allemagne qui respire un patriotisme quelque chose homme d'Etat. sincère. On y cherche en vain ressemble qui aux vues M. André Tardieu, dans ses mémoires d'un justifi- rappelle qu'aucun des gouvernements qui catifs, ont précédé celui de M. Clemenceau n'avait inscrit, même dans ses documents secrets, sion de r Allemagne au guerre. Cependant il la divi- nombre de nos buts de en avait été question au cours de conversations particulières avec l'empereur Nicolas idée. II, qui acceptait parfaitement cette Preuve qu'elle était capable de déterminer des adhésions, car elle n'était pas dans les traditions de la cour de Russie qui, au moins depuis la guerre de Crimée, ne s'était jamais opposée aux progrès de l'unité allemande et ne l'avait pas contestée en 1871. Il Mais M.' André Tardieu a raison. n'y avait eu en ce sens, pendant la guerre, que des tentatives isolées, des rayons de lumière fugitifs. Ni en 1916, au alliés avaient moment oii les principaux conclu leurs accords en vue de la 60 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX victoire, ni en 1917, lorsqu'en réponse à de paix de l'Allemagne buts de guerre, l'Allemagne à 1916 plaçaient il l'offre avaient défini leurs ils n'avait été question de ramener l'état même fédératif. la rive Les accords de gauche du Rhin sous notre influence sans prendre garde que le reste des pays allemands demeurerait centralisé sous la direction de la Prusse, en sorte que cette com- binaison avait Napoléon les mêmes défauts que celles de III. Tout ce que M. André Tardieu a réussi à prouver, c'est que l'Etat français, pendant la guerre, n'a eu ni doctrines ni principes sur les affaires d'Allemagne. L'orateur qui, à la Chambre, eût parlé des traités de Westphalie, n'eût pas eu plus de succès que Thiers en 18G6. Ceux qui en parlaient dans des livres le suffrage des ou dans hommes la presse cultivés, et obtenaient M. Paul Des- chanel, par exemple, ne marchandait pas le sien. Mais ces idées étaient sans doute trop neuves ou bien elles venaient de trop loin et elles supposaient une préparation trop peu répandue pour en- traîner des convictions efficaces. Partout ailleurs, elles étaient tournées en dérision. Le pouvoir, à qui elles étaient étrangères uu trop nouvelles, ne CE QUI K SAUVÉ l'uMTÉ ALLEMANDE les eût partagées et mises en œuvre que 61 si elles avaient conquît l'esprit public. La conquête de demande des l'esprit public Elle est seulement efforts et commencée. Il du temps. y a fallu l'ex- périence de la paix, et c'est peut-être bien tard. On était dira sans doute que, pendant la guerre, il imprudent de menacer l'Allemagne d'une dissociation et que cette menace n'eût resserrer l'union nationale. pu empêcher servi qu'à La même raison eût aussi de proclamer que la lutte se- rait poursuivie jusqu'à la victoire complète, jus- qu'à ce que l'Allemagne fût à genoux. Elle eût pu empêcher de promettre à Guillaume II le der- nier supplice, car, jusqu'aux dernières semaines de la guerre, le Quand atteint. Guillaume 11.^ prestige de l'empereur n'était pas les Quand Allemands ils ont-ils renversé ont compris que la chute des Hohenzollern était nécessaire pour obtenir la paix. Au début de novembre, Scheidemann et les socialistes majoritaires hésitaient encore. Il est probable que Ye même résultat eût été l'Entente eût annoncé qu'elle accorde- atteint si rait la paix quand l'Allemagne aurait brisé son unité, et alors seulement. Peut-être cette déclara- tion eût-elle été accueillie d'abord avec mépris, CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 62 même avec une indignation sincère. Aussi long- temps que l'Allemagne a cru à la victoire, n'a pas consenti à renier Guillaume à renoncer au elle gage » de la Belgique. disait encore « jamais! Avec raine. fait <( II, » pour elle ni même En 1918, Alsace-Lor- l' progrès de nos armes, l'idée eût le du chemin. Nous savons aujourd'hui que, bien avant l'armistice, la Bavière était lasse et que le roi mieux vaudrait fût-il passé III commençait à penser que tirer son épingle du jeu. Que se Louis si montrée aux cette issue avait été Allemands.!^ Personne ne peut dire qu'ils n'au- raient pas renoncé à leur unité aussi facilement qu'ils ont renoncé à leur monarchie. Il n'était pas non plus impossible de leur démontrer que leur unité était la cause de leurs malheurs et des nôtres, autant que responsables. Pour les le Hohenzollern en étaient démontrer, eût fallu il le savoir. Les Alliés avaient dénoncé prussien » l'Europe et et l'autocratie les « militarisme les ennemis do le comme auteurs de la guerre. Il n'était pas CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE non seulement que entré dans leur esprit, allemande seils et de mais encore qu'elle serait tou- jours portée à recourir Il l'unité l'œuvre de ce militarisme était cette autocratie, créée. 63 aux moyens qui l'avaient n'y a eu à aucun moment, dans les con- des Alliés, d'examen raisonné de la question d'Allemagne. Les causes historiques de la catastrophe européenne, n'ont qui éclairaient tout, pas retenu l'attention d'hommes d'Etat que rien n'avait préparés à ce genre d'étude. L'Allemagne qu'ils avaient Son unité connue était était regardée une Allemagne comme un fait unifiée. qui d'ail- leurs s'accordait avec le principe des nationalités et le droit des peuples à disposer Dans l'édifice Hohenzollern, ses parties ser une élevé il par suffirait, d'eux-mêmes. Bismarck et par après l'avoir réduit à authentiquement allemandes, de verdose certaine de démocratie. Alors, moyennant quelques précautions d'ordre taire, mili- jusqu'à ce que la conversion du peuple allemand était les fût complète,' humainement de l'Europe et le on aurait fait ce qu'il possible de faire pour la paix progrès de l'humanité. Nous ne traçons pas une caricature du tême des Saxons ». Ou « bap- bien cette vue philoso- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. 5 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 64 phique a dirigé ils négociateurs alliés ou bien les n'ont rien pensé du tout. De ce qui se disait Clemenceau, on peut dans l'entourage de M. déduire que le chef du gouvernement français a considéré l'unité allemande mène dû à comme un phéno- l'évolution générale des peuples euro- péens au dix-neuvième siècle et sur lequel on ne pouvait revenir en vertu de cet adage qu'il n'y a pas de régression. M. Clemenceau n'était pas de l'école qui en- seigne à ménager l'ennemi. Son romantisme de largement contribué à la guerre, après avoir si sauver la France, a pire allemand. comme fini par aider à sauver l'Em- Le détour paraît imprévu. Mais, le diable, le romantisme est logicien. Au fond, M. Clemenceau répugnait à distinguer entre les Allemands réservait tiel » et c'est sa sévérité. à l'Allemagne en bloc qu'il Un traitement « différen- appliqué aux Bavarois ou aux Rhénans l'eût choqué deux fois, d'abord parce que mands, formant un lout à Alle- les ses yeux, étaient tous également coupables; ensuite parce qu'une tinction entre ces coupables tous l'histoire réalité égaux eût dis- été de ancienne et n'eût répondu à aucune du temps présent : sur ce point non plus CE QUI A SAUVE L UNITE ALLEMANDE nous croyons ne dénaturer pas sa 65 pensée. Les idées de la génération républicaine à la- quelle appartient M. Clemenceau ont eu là leur point de rencontre avec son vif patriotisme, son brûlant sentiment de la guerre et de la culpabilité des agresseurs. Mais, pour punir l'Allemagne, comme au moment eût fallu penser aussi, il oii l'Autriche fut détruite, à ne pas nous punir nous- mêmes. L'entourage de M. Clemenceau s'efforçait d'ailleurs de traduire en langage positif sa théo- logie de l'évolution et sa doctrine de la vindicte. Non pas une fois, mais dix, pendant les négocia- tions de paix, quelques-uns de ses collaborateurs immédiats ont expliqué devant nous ou devant des personnes dignes de confiance qui nous ont rapporté leurs paroles, que les forces particularistes n'existaient plus, que les guelfes hano- vriens n'étaient qu'une poignée, « une demi-dou- zaine », qu'on ne revenait pas sur cinquante ans d'histoire, que la guerre et la défaite elle-même avaient resserré l'unité allemande, enfin que cette unité, après avoir été morale devenue économique, qu'elle le réseau des voies ferrées, et politique, était était constituée des canaux, par des échanges, par l'organisation de l'industrie, et que CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 66 PAIX LA. réalisme ordonnait de tenir compte de ces le faits... Il y a lieu de croire que M. Clemenceau ne s'embarrassait pas de tant de raisons. l'Allemagne une vue sommaire. Il Il avait de la jugeait d'as- sez loin et sans se mettre en peine de ses caractères particuliers. A la tribune, peu de temps avant l'armistice, lorsque Guillaume à un vieil empereur germanique de seurs, avait accordé une « M. Clemenceau avait jets, semblable II, ses prédéces- Bulle d'or raillé cette » à ses su- démocratie impériale. Quelques mois plus tard, l'Assemblée Weimar de l'idée accouplait à l'Empire, dont le nom et étaient maintenus, une constitution répu- blicaine où le qu'une seule mot de République fois. Il n'est prononcé y a plus de variétés et plus de contradictions dans les choses allemandes et dans les esprits allemands faible connaissance et La dans droite pure était le que n'en conçoivent une une brève philosophie. beaucoup moins nombreuse Reichstag de 1912 que dans celui qui est issu des élections du 6 juin 1920. Pourtant ce Reichstag de la guerre avait répondu par une CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE 67 manifestation indignée lorsqu'il était apparu que l'Entente exigeait, pour accorder la paix à l'Alle- magne, l'abdication de Guillaume lemagne jours eu II. Bientôt l'Al- et les chefs militaires (qui avaient tou- un parfait mépris pour le souverain qu'ils rendaient responsable de mille fautes et surtout de n'avoir pas déclaré la guerre plus monde tôt), tout le arriva à la conviction que le sacrifice des Hohenzollern était nécessaire pour échapper à une catastrophe totale. Les Alliés ont-ils eu raison de poser, comme Guillaume II .î> condition préalable, la chute de Un célèbre journal radical anglais, Manchester Guardian, le Guillaume II, du nationalistes l'a regretté depuis. Si a dit ce journal après les élections 6 juin, avait signé la paix de Ver- sailles, c'est lui, et démocrates, que le non pas les socialistes et les peuple allemand eût accusé de ses maux les plus perfides et les plus sûres. Ainsi, et la réaction n'eût pas trouvé ses armes il n'est pas certain que la chute des Hohenzollern, au mo- ment où elle s'est produite, ait été une bonne chose pour l'avenir de la démocratie en Alle- magne. Mais et la chute de cette dynastie détestable, que nous avons vu disparaître avec un profond soulagement et un ardent plaisir de vengeance, CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 68 s'était accompagnée de tout un écroulement de trônes. h C'est et petites dynaslies passé le Au contraire. Les nous moyennes allemandes avaient été dans support du particularisme. versellement admis que écroulement-là cet n'avons rien gagné. le PAIX LA. Il était uni- qu'en cas de désastre, la désa- grégation de l'Empire commencerait par les princes allemands. Bismarck savait bien. le Aussi l'Allemagne qu'il avait fondée reposait-elle sur une double assurance contre trifuges », c'est-à-dire la révolution. les « particularistes, les Hohenzollern, devaient heureux de garder leur couronne sans être trop avoir à craindre de mouvements populaires, l'em- pire de 1871 conciliant le principe avec le monarchique principe libéral et unitaire. Leur docilité était certaine. Ils étaient intéressés que do et contre les princes alle- Dans son système, mands, vassalisés par tendances cen- « loyaux confédérés à ne plus être D'autre part, la ». survivance des petites dynasties garantissait les Hohenzollern à leur tour contre une révolution. Bismarck avait calculé que raient toujours à les renverser Allemands l' liésite- empereur-roi de Berlin parce qu'une révolution en Prusse libérerait les princes du Sud et annoncerait la fin de CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE Pour que l'unité allemande. zollern pût avoir lieu sans il que fallait remplie : la la 69 chute des Hohen- dommages pour l'unité, condition extraordinaire fût cette chute préalable de tous les autres trônes allemands. Ces choses étaient connues à Berlin. C'était un A pont aux ânes de la politique du moment apparut au gouvernement impé- rial que la ovi il allemande. partir guerre menaçait de mal tourner, son attention se fixa sur les deux périls de la révolution et du particularisme, l'un devant accompa- gner l'autre. Ce n'est pas par hasard que l'avantdernier chancelier de Guillaume Hertling, président dernier le prince grand-ducal. A Max du désastre, allait et des il magne à l'Autriche lern, tandis que il L'œuvre de 1866 Un renversement les et à la mo- était sûr que, si la à Berlin seulement, se déchirerait. serait anéantie. de l'Alle- monarchies de l'Allemagne allait éclatait et le le souci donc du côté de narchie des Habsbourg, tant révolution comte le de Bade, héritier du trône la veille du Sud, comme a été du conseil en Bavière, l'empereur allemand magne du Sud, II Habsbourg, et l'Alle- de 1871 des Hohenzol- les Wittelsbach eussent été épargnés avec les autres dynasties ger- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX 70 maniques, aurait eu des conséquences incalculables. La face et l'avenir de l'Europe eiaesent été changés. Guillaume de Les préoccupations étaient II celles d'un empereur allemand. C'étaient celles du nationalisme allemand socialiste. libéral, dû Elles auraient démocrate ou éclairer les Alliés, guider leur politique, surtout la politique française. Il n'en fut rien. L'Entente ne voulut pas distinguer. Elle exigea des peuples allemands une révolution intégrale. Elle exigea partout la démocratie. Ce La fut le salut de l'unité allemande. volution de novembre se faire pour que dans le désastre, les « fit comme elle la dissociation fût évitée, prissent pas le dessus pour que, tendances centrifuges : Guillaume II ré- devait se tomba le » ne der- nier. Militaires et parlementaires, pressés d'obte- nir un armistice avant satisfaction aux la catastrophe et Guillaume Alliés, n'obligèrent à fuir en Hollande qu'au moment de donner oii le II sépara- tisme parut conjuré grâce aux révolutions qui avaient commencé à Munich condition extraordinaire, et à Stuttgart. La presque invraisem- blable, qui permettait de marier la république et l'empire bismarckien, était remplie. Elle l'était CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE 71 conformément au programme que l'Entente avait fixé. La disparition des dynasties secondaires ne rendait pas impossible une politique de dissociaElle la rendait infiniment tion de l'Allemagne. plus Le particularisme personnifié par difficile. des princes nous eût même. et ils fait des avances de lui- L'intérêt de ces princes les y eût engagés moyens diplomatiques eussent possédé les nécessaires pour entrer en conversation. Imagi- nons Guillaume chassé de Berlin, tandis que II Charles I" reste à Vienne, Louis l'autre Guillaume, gart, etc. Aussitôt, queur. Ils pour eux-mêmes et communique avec ché pendant III ils se tournent vers le vain- cherchent pour leurs peuples. Charles I" Paris, comme les hostilités, s'adresse Ils de la sécurité des avantages, lui à Munich, de Wurtemberg, à Stutt- implorent sa protection. à obtenir de Louis III roi il l'a déjà cher- par la cour de Madrid. à Bruxelles et se souvient qu'Albert I" a épousé une princesse bavaroise. Le Wurtembergeois, moins bien placé parce que ses CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 72 parents peuvent ne russes plus LA. PAIX à servir lui grand'chose, trouve dans sa généalogie d'autres intermédiaires. De même pour Badois et moindres seigneurs. C'est à qui les se fera bien venir et le Saxon, pour donnera des gages le le pre- mier. Après le raz de marée de novembre 1918, commodités n'existaient plus ces et la révolution alle- mande, en raison de son caractère d'opportunité, marchait dans un sens unificateur. laissait le particularisme d'action, subsistant vague et d'instinct La défaite sans voix et sans moyens quand même à l'état de désir parce qu'il répond à la nature des choses, mais dépourvu de l'instrument politique qui lui eût permis de se manifester. cial-démocratie, principale journées de révolution trop bénéficiaire La de so- ces facile, travaillait d'ail- leurs tout de suite dans le sens d'une centralisa- tion renforcée. Le Vorwaerts l'avait dit le 3 no- vembre : « Plus l'empire est démocratique, plus son unité devient sûre d'attraction. et plus grande sa force La grande Allemagne, qui déjà sem- blait se faire en 1848 et dont les contours se des- sinent de nouveau devant nous, avait été conçue sous la forme d'un Etat démocratique. » Dans la CE QUI A SAUVÉ l'uNITÊ ALLEMANDE mesure où ces journées de novembre ont blicaines, elles ont été favorables lemagne été répu- à l'unité de l'Al- ^. la politique française s'en Les conducteurs de rendaient-ils ment 73 compte? Leur ailleurs. Ils pensaient d'intervention projets toute leur attention eût esprit était visible- à l'on ne sait quels en Russie à l'heure où dû se tourner vers l'Alle- magne. Pas plus à ce moment-là qu'à aucun moment de la guerre, ils n'avaient de plan, parce qu'ils n'avaient pas d'idée directrice. Néanmoins, on pouvait leur prêter l'intention de mettre toire à profit pire allemand. des fautes, cratie il la vic- pour tenter une dissociation de l'Em- Pour leur épargner des erreurs et importait de les avertir que la démo- allemande ne travaillait pas dans ce sens-là, qu'elle représentait rable à l'unité, Le le un courant historique favo- même d'où l'empire des Hohen- juillet iguo, à l'Assembl.'e nationale de Vienne, grand-allemand » Angerer (grand-allemand, c'està-dire partisan du rattachement de l'Autriche à l'Allemagne), « Nous ne permettrons pas la restauration de la déclarait monarchie en Autriche parce qu'elle enterrerait pour toujours toute possibilité de rattachement. « On ne saurait mieux dire que l'élément dynastique est essentiel au particularisme. Et ce qui est vrai de lAulriche l'est également de la Bavière et des autres Etats allemands. I. le député '20 « : CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 74 zollern était sorti. l'œuvre de de Dans le mémorial la délégation française PAIX LA. défend oij il à la Conférence M. André Tardieu, invoquant notre la paix, témoignage, affecte de croire que nous considérions alors l'unité nous et comme pour et comme impraticable pour les Alliés toute politique Nous ce résultat. les impossible une dissociation de allemande conditions avertissions, au contraire, que changées, étaient trompé du tout au tout si tendant à qu'on se fût l'on avait cru que les liens de l'unité avaient été relâchés par la révolu- tion de novembre et que, dissocier l'Allemagne, il par conséquent, pour fallait songer à d'autres moyens. L'avertissement puisqu'il a été pris nir quand il était certainement comme un était destiné à exciter les imagina- tions et à les rendre plus ingénieuses. servi à rien de ne pas se rendre magne de 1918 inutile, conseil de s'abste- Il compte que n'était plus celle de 1866 n'eût l'Alle- oh les princes germaniques se battaient contre la Prusse. Il n'était pas question non plus de faire en Alle- magne du séparatisme, comme nous disions, » sur commando». Le séparatisme allemand n'a jamais été provoqué du dehors. Les expériences de Napo- A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE CE QUI 75 léon I" ont été décisives à cet égard. La vraie politique de la France consistait à favoriser les mouvements de naturellement à sécession qui l'intérieur, et se produisaient une instruction du dix-huitième siècle au ministre de France accré- germanique dité près de la Diète excellents : « disait en termes Bien entendu que M, de Chavigny évitera soigneusement de paraître jamais l'auteur de ces sortes de mouvements; car l'origine en fût traires eussent il connue pour que des lieu. » politique française, que suffirait effets con- Ce qui n'empêchait pas la conformément à un principe toujours maintenu depuis la paix de AVestphalie, d'intervenir par tous les moyens, y compris ceux de la force, sait lorqu'un des Etats de l'Allemagne mine de vouloir soumettre et rassembler fai- les autres. Il n'était même pas besoin de connaissances historiques pour retrojiver ces règles de conduite aussi simples que sages. Le bon sens y D'ailleurs, le particularisme cines le si profondes, il suffisait. allemand a des ra- commandé par est tellement génie de la race et celui des lieux, qu'un philo- sophe errant, un bohème devenu par le politicien, Kurt Eisner, hasard des révolutions dictateur à CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 76 Munich, ne tardait pas à France se tourner vers la par des appels d'un idéalisme bizarre, et, cherchait à entrer en contact avec ment un français. Un officier allemand gouverne- le le comme tua chien. « Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal. » Ainsi doivent penser les Français de Georges Cle- menceau. Mais ses idées et son œuvre, qui en dé- ont besoin d'être jugées. coule, Homme de la guerre, M. Clemenceau n'était pas préparé à la paix. Il songeait à faire le plus de mal possible à l'Allemagne, et, là-dessus, Keynes, qui l'a Conseil suprême, lui a rendu tant. Seulement sa haine clairvoyante, guer l'esprit les « Le jour même le écla- n'était ni informée ni rire amèrement quand ouvert leur demandait de distin- Rhénans atténuantes pour un témoignage à ces vieux briscards que pareil nous avons vus, à Mayence, un chef à vu au » oià, des Prussiens. plaidant les circonstances le traité de Versailles, il priait Sénat de croire qu'il eût dissocié l'Allemagne s'il l'eût pu, M. Clemenceau apportait la preuve CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE 77 qu'il ne croyait pas à l'efficacité de cette dissociation. Il invoquait ses souvenirs de 1870 et il donnait en exemple la Bavière qui, non seulement avait tré marché avec la Prusse, mais qui avait mon- dans la guerre un férocité inoubliable. Il y a pourtant d'autres choses que la politique ne doit pas oublier. En 1870, l'armée bavaroise, bien que commandée par un de distincte prince prussien, était encore l'armée prussienne. Surtout elle n'avait reçu que dans une faible mesure le dres- sage prussien. Son infériorité militaire était manifeste et c'est sur elle que les Français rempor- tèrent la plupart de leurs succès pendant la cam- pagne. L'armée de la Bavière, en 1870, était à de celle la Prusse ce que l'armée autrichienne, en 1914, était à l'armée allemande. dance des Etats allemands, tème fédéral, Quand même l'indépen- dans un sys- ne servirait qu'à maintenir ces dif- férences et ces inégalités de niveau, elle ne serait pas d'un poids négligeable. Ainsi la centralisation par la Prusse, au point de vue de péenne, est ce qu'il la sécurité euro- importe avant tout d'é- viter. Il est malheureusement certain que ce principe salutaire était étranger à l'esprit des négociateurs CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 78 Encore plus à celui des autres négocia- français. teurs pour qui l'existence de l'Etat allemand était non seulement un mais un fait, même partit de là. Et ternational public fut écartée. Gambon fait légitime. On toute question de droit in- eut un scrupule et Quand M. demanda si la Jules Bavière, possédant, d'après la Constitution de 1871, une représentation diplomatique, ne devait pas être convoquée à la pour que l'instrument de la signature paix fût en règle, problème le fut examiné et tranché, séance tenante, par la négative. Dès liés il lors, tout suivit. chercha oublia sister le le des Al- meilleur, qui était de ne laisser sub- que de petites armées attribuées à chacun Il Il une seule armée, c'est-à-dire qu'il la presque autant qu'il blic français eut initiative « donna à militarisme prussien lui prenait. Ce la » jour-là, le pu- une première inquiétude. Mais on embarqué. Une française, ne connaissait pas ces donna une armée à toute l'Allemagne, Prusse, rendant ainsi au était le conseil moyen de désarmer l'Allemagne, des Etats allemands. Etats. Lorsque fois, seulement, la délégation — nous croyons que l'honneur de cette revient à M. Stephen Pichon, — tenta de manœuvrer dans le sens que les événements indi- CE QUI A SAUVÉ l'uMTÉ ALLEMANDE 79 quaient. Elle proposa, timidement, de ravitailler de préférence les Bavarois. C'était le un observateur neutre disait L'Allemagne ap- « : moment où partiendra au premier qui se promèpera avec un saucisson au bout d'une perche. On française fut repoussée. Il n'est pas garde. Ils et la première heure, M. Wilson n'aient Ils n'en voulaient pas pour des sons philosophiques et politiques. négociateurs français parce que leur philosophie celle A rai- ces raisons, n'en opposaient pas, parce qu'ils n'en avaient pas. que été en ne voulaient pas d'une dissociation de l'Allemagne. les La suggestion n'insista pas. douteux que, dès M. Lloyd George » n'en avaient pas Ils était, au fond, même la de leurs interlocuteurs anglo-saxons droit des nationalités d'abord, : le et la nationalité les mêmes droits qu'une comme l'évolution interdit allemande devait avoir autre; l'évolution, et que l'on revienne en arrière, cinquante ans de- vaient avoir rendu l'unité allemande indestructible. En partant de donna là, on lui lui manquait, on aida on fit ce qu'on devait faire: la consécration du droit public qui les centralisateurs à compléter l'œuvre de Bismarck. qu'une politique réaliste On nous a et pratique CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. prussiens le dit voulait 6 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 80 qu'une grande aussi, LA. PAIX Allemagne aux rouages formant un tout économique, simplifiés, serait, pour nos réparations, un débiteur plus sûr qu'une Allemagne composée de ment prospères. apparaître petits Etats médiocre- Ce raisonnement commence à comme une des folies les plus remar- Nous y avons quables de l'histoire moderne. gagné que 40 millions de Français sont créanciers d'une masse de 60 millions d'Allemands, et pour une créance recouvrable en trente ou quarante années. On demande comment, dans se ces conditions, licence n'a pas été laissée à l'Allemagne d'an- nexer l'Autriche. Après tout, l'Autriche, pro- vince allemande, représentée en 1848 au Parle- ment de la Francfort, n'avait été tenue à l'écart de grande Allemagne, de la mère commune des Germains, que par des causes historiques L'Etat nastiques. d'exister, il des et dy- Habsbourg ayant cessé n'y avait que des raisons politiques qui pussent déterminer les Alliés à interdire aux Allemands d'Autriche de se réunir aux autres Allemands. Ces raisons étaient si fortes qu'elles ont triomphé contre le principe des nationalités et des peuples. Il eût été absurde et scanda- le droit CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE 81 leux de permettre à l'Allemagne vaincue de jouer à qui perd gagne et de retrouver plus de territoires et de population qu'elle n'en restituait. Encore ne sommes-nous pas bien sûrs que, sans la presse et l'opinion publique, qui, cette fois, grondèrent, la séparation de l'Autriche eût été maintenue et que le gouvernement français n'y eût pas renoncé. avait peu de certitude, peu de fixité Il y chez nos négo- ciateurs et leurs conseillers, parce qu'ils n'avaient ni vue d'ensemble ni doctrine. Un moment, songèrent même au jeu dangereux des sations Contre la rive » . « ils compen- gauche du Rhin abandon- née à notre influence, l'Allemagne eût annexé naïfs diplomates napoléoniens, di- l'Autriclie. sions-nous alors, savez-vous ce qui que vous n'aurez pas les arrivera.»* C'est provinces rhénanes et que l'Allemagne gardera l'Autriche. Elle ne renonce pas à l'espoir de la prendre jour. à portée de sa main, une tentation C'est, permanente. l'intérieur, un Elle en a d'autres. Concentrée à l'Allemagne a été dissociée à sa péri- phérie. Des millions d'Allemands vivent au voisi- nage immédiat de ses frontières, six ou sept en Autriche, trois en Tchéco-Slovaquie. La dissociation de l'unité allemande, dont les Alliés n'ont pas CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 82 voulu au dedans, ils au dehors. La l'ont réalisée raison, l'expérience l'indiquent fragile et mauvaise. S'il était : cette œuvre est bon que des portions de pays germaniques fussent écartées de l'unité allemande, il fallait aussi fussent isolées. l'attraction que d'autres portions en Sinon, les morceaux, soumis à d'un grand Etat allemand, tomberont ou tard sous sa dépendance. tôt Ainsi, les Alliés ont reculé devant les dernières conséquences de leurs principes. Ils ont démembré l'Allemagne tout en l'unifiant. Par là leur œuvre est illogique et incohérente. Elle est fragile aussi. hommes qui ont succédé aux négociateurs la paix, qui ont reçu leur héritage, se trouvent Et les de aujourd'hui dans un grand embarras devant cette Allemagne compacte, unie, et aux pourtours de laquelle paraissent des irrédentismes qui l'excitent à poursuivre l'achèvement Après avoir tourné le de son unité. problème allemand sous toutes ses faces, M. Millerand, n'ayant en que main le traité de Versailles, s'estimant lié par ce traité, en est venu, à la Conférence de Spa, à es- sayer de la collaboration et de la coopération avec cette trop grande Allemagne. Quelle que soit la différence qu'il y ait de la victoire à la défaite. CE QUI A SA.UVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE c'est un peu la situation et l'état d'esprit 83 de Thiers après 1871. Nul mieux que Thiers n'avait annoncé les difficultés et les malheurs qui résulteraient de l'unité allemande. Cette unité faite, comme pensa que nous n'avions plus accablé. Il il se sentit d'autre recours que de nous entendre avec cette puissante Allemagne et de collaborer avec L'homme elle. des discours prophétiques de 1865 et de 1866 ouvrait la voie à une politique qui devait s'épanouir un jour avec M. Joseph Caillaux. Pre- nons garde d'être encore placés sur ce chemin dangereux. En 1919 comme en 1866, tout a dépendu des idées qui régnaient en France. Faut-il accuser seulement M. Wilson.^ Lorsqu'il débarqua sur le continent européen, après l'armistice, le prési- dent rapportait chez nous les idées de Napoléon III, à peu près mené George Sand comme et Tolstoï seau. Le succès fut de trouvait un Ibsen nous avait ra- même terrain préparé. napoléoniennes », les Jean-Jacques Rousordre : M. Vilson Contre ses a idées esprits étaient sans défense. Ils n'en avaient pas d'autres à opposer aux siennes et une paix générale, œcuménique, comme celle qu'il s'agissait de conclure, se fait avec des prin- 84 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX cipes et des idées. Celles qui prévalaient jusque chez les négociateurs français étaient favorables à l'unité allemande. ne croyaient pas que Ils dissociation fût possible. Ils dans la révolution, par la la même la désiraient faiblement. Et ce n'était pas en elle, la mais dans conversion de l'Allemagne démocratie, qu'ils mettaient surtout leur espoir de rendre l'Europe habitable et sûre. Ce qui s'est passé dans les pays germaniques entre la chute de Guillaume II et la signature de la paix, le mouvement de centralisation qui a suivi la chute des dynasties tout a été prétexte à persister dans : l'abstention. On a refusé de prendre au sérieux, quand on ne les a pas découragées, de république rhénane promoteurs n'ont pas Gomme si les et c'est tout juste si leurs été tournés en ridicule. précurseurs, tant qu'ils n'ont pas réussi, n'étaient pas toujours fort les tentatives un peu ridicules! honnête homme, alors haut placé, patriote, animé des intentions les très Un bon meilleures, à qui nous parlions du docteur Dorten et de l'in- quiétude qu'il donnait aux autorités prussiennes, nous répondait que c'était très intéressant, qu'il ne fallait pas oublier se resserre et se mais que l'unité des nations trempe par la défaite et par le CE QUI A SAUVÉ l'uNITÉ ALLEMANDE 85 malheur. Ces raisons ont été déterminantes. On subissait l'analogie de l'histoire de France et la doctrine de l'évolution, cette évolution uniforme qui doit pousser tous les peuples, toutes les races, par les mêmes voies, à la concentration. C'est à comme si l'on disait que l'évolution doit peu près conduire au la langue allemande à devenir analytique lieu d'être synthétique, composés et à renoncer aux mots à ne plus rejeter à la fin des phrases les participes et les infinitifs. Ainsi a été conservée l'unité allemande. sailles, oij elle avait vu le A Ver- jour en 1871, elle a été consacrée par les Alliés sous la présidence d'un Français et la d'autre part paix a été signée avec ». le l'Allemagne Cela ne veut pas dire que l'unité allemande reste à même vu « l'abri des accidents; nous avons séparatisme renaître sous des formes nouvelles et encore timides à mesure que l'Alle- magne tion. réagissait contre le socialisme et la révolu- Rien n'est fini peut-être, et la fragilité de la paix laisse entrevoir plus d'une possibilité de bou- leversements dans l'Europe centrale. Ces boule- versements ne nous seront pas nécessairement favorables et dangers, ils ils nous exposeront à de nouveaux exigeront de nous de nouveaux efforts. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 86 Un rendez-vous à une autre donné à l'Allemagne il et fois est probablement à la France. Cette fois-là, faudra que la politique française ne soit plus desservie par ses idées. CHAPITRE IV SOIXANTE MILLIONS D'ALLEMANDS DÉBITEURS DE QUARANTE MILLIONS DE FRANÇAIS Le budget militaire de 1920 égale à lui dépenses pour soit France pour l'année la seul l'ensemble de toutes nos les exercices antérieurs à 1914, environ cinq milliards. Quant à la nouvelle constitution de l'armée, le ministre de la Guerre n'a pu promettre mieux qu'un retour au service de deux ans. Tous les hommes valides resteront mobilisables jusqu'à la cinquantaine. Pourquoi, lourde charge, l'Allemagne étant battue, cette ce dur effort? Parce que, selon les paroles du ministre, M. André Lefèvre, cepte pas sa défaite cepte-t-elle allemande ». l'Allemagne n'ac- Mais pourquoi ne pas? Pourquoi est-elle si <( peu l'idée l'ac- d'une revanche absurde que nous CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 88 soyons obligés de revenir au régime de armée P Quelles sont donc les la paix forces et les in- fluences qui vont déterminer la nature des rap- ports dans lesquels France la et l'Allemagne vivront à l'avenir P Au normal tout de point vue purement humain, naturel qu'une guerre décisive, et quand elle est il sur- a été une guerre de peuple à peuple, laisse au vaincu du ressentiment contre le vainqueur, tandis que ne comprend pas que le le vainqueur, vaincu satisfait, garde ran- lui cune. Telle a été grossièrement résumée, l'histoire des relations franco-allemandes de 1914. Cette histoire a été, si 1871 à l'on veut, celle d'un énorme malentendu, mais d'un malentendu qui était fatal de la part des Allemands. Elle s'est terminée d'une manière qui, dans siècles, enchantera vertueux et les également la les moralistes railleurs. suite des moralistes Les vain- d'eux-mêmes, remis en queurs de Sedan ont, question leur victoire. Bismarck leur avait pourtant assez répété de sages conseils qu'il résu- mait par le précepte défaut de Bismarck, : le Quicla non movere. A bon sens indiquait (et c'est ce qui empêchait certains Français de croire LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS 89 à la possibilité de la guerre) que l'Allemagne devait éviter de casser quoi que ce fût dans une Europe formée à sa convenance, d'attenter à un choses dont elle était l'unique bénéfi- état de ciaire, au maintien duquel et elle était la plus L'Empire allemand aurait dû intéressée. être conservateur. C'est lui qui s'est chargé de tout A renverser. quoi formidable cette erreur a- t-elle tenu.^ Les Allemands vantent la méthode objective. C'est sans doute parce qu'ils sont les plus subjectifs des hommes. On peut paix de Francfort à dire la grande de la la déclaration de que, guerre, l'attitude de l'Allemagne à l'égard de la France a été un cas d'inintelligence remarquable. Du commencement à sur la renseignements perfectionné, regarder de que tout monde pouvait Un il Allemands chose : y a déjà longtemps, ce portrait du ». Sur la route, le celle voir sans espions. de leurs plus célèbres caricaturistes a logue le trompée s'est les qu'une n'oubliaient le elle fin, Munis d'un service de peuple français. le « laissé, psycho- psychologue passe. Dans jardin d'une maison de campagne, une famille est réunie et, ce qu'elle fait, tout le monde le CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 90 voit il du colle deliors. Mais le PAIX LA. psychologue s'approche, son œil au trou de la serrure et il ob- serve studieusement. C'est à peu près que ainsi aperçu pas ce puis Guillaume que II nul la France. douche froide alternant avec Comme : « dans la Bismarck, n'ignorait. l'avaient d'ail- Ils main leurs cherché sans adresse, d'une dire n'avaient ils avaient plusieurs fois cherché à gagner l'amitié de la Allemands les avaient étudié la nation française et chanson, ils la brutale, douche chaude. semblaient toujours Si je t'aime, prends garde à toi. » Et puis, leurs avances avaient une arrière-pensée qui était d'enrôler la France au service de la politique allemande. Lorsque Bismarck favorisait nos entreprises coloniales, mettre en conflit la France l'Angleterre. avec c'était le et l'Italie, la La diplomatie française, encore, la nation française, avec perçait aisément ces calculs. un de dessein France et et mieux instinct juste, La France restait polie et insensible. Alors l'Allemand dépité me- provoquant lui- naçait, même justifiant notre réserve, nos précautions de légitime défense. Pen- dant quarante-quatre ans, l'Allemagne a commis erreur sur erreur dans ses rapports avec la France LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS 9i parce qu'elle tenait pour inexistante la question d'Alsace-Lorraine et la question de notre sécurité. Ces questions, que l'Allemagne ne se le monde les posait dait sa politique sur la Conserver contre le des vœu entier connaissait, même pas. Elle fon- négation de ces réalités. provinces conquises françaises de leurs habitants était pour elle l'exercice d'un droit naturel. S'armer sans cesse moment envahir de manière à pouvoir à tout ses voisines, c'était l'exercice d'un autre droit. Voilà les conditions dans lesquelles la France a réussi, pendant près d'un demi-siècle, à force de modération et de dignité, à vivre en paix avec la puissante Allemagne, sans aliéner son indépen- dance par rapport à elle. Durant cette période, les relations franco -allemandes n'ont pas été faites d'autre chose jusqu'à ce qu'elles fussent rompues par la volonté de l'Allemagne elle-même. Mille ans d'histoire avaient vu déjà bien des changements, bien des retournements de situation entre l'Empire germanique et la France. La période 1871-1914 a vu s'accomplir une expérience toute particulière. gne La France et l'Allema- avaient achevé leur unité. Mais l'unité de la France était purement nationale, sans un protes- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 92 allemande comprenait des Fran- tataire. L'unité des Polonais, des Danois, annexés par la çais, force. De princes cette République de plus, l'Allemagne, jadis « devenue une monarchie », était La France il PAIX LA. était Allemagne militaire. une démocratie pacifique. Entre France ainsi constituées, et cette moyen n'y avait ni proportion, ni équilibre, ni de vivre autrement que sous régime de le paix armée. Cette expérience a été courte vement à cluante. tration. la longueur des L'Allemagne Elle-même chargée de la démons- dans la guerre. ruée s'est L'état de choses que la France fices, a été la première à le pour des événements sité (et l'Europe subisles était indispensable Quelle que soit l'immen- ne peut y en avoir qui il dépassent ceux de la guerre universelle), toujours un lien entre la bouleversement politique La béné- rendre caduc. Ce coup d'œil en arrière éclairer l'avenir. et en recueillait saient, l'Allemagne, qui relati- a été con- siècles. Elle s'est la il existe situation qui suit un et celle qui l'a précédé. continuité, loi banale de l'histoire et qui appa- raît à travers les plus vastes révolutions, pliquerait par le seul fait que les assistent aux jtlus s'ex- hommes qui grands changements ou qui LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS 93 ont vécu, ont formé leurs habi- les conduisent, tudes et leurs idées sous le régime antérieur. Les choses évoluent plus ou moins lentement, mais il contraire à la nature est par bonds. Les générations intimement, il y a, marchent qu'elles se pénètrent trop des vieillards aux jeunes hom- mes, trop de degrés pour que des sauts brusques, des métamorphoses complètes soient possibles. A cela s'ajoute ce qui ne lois les change pas, c'est-à-dire imposées aux peuples par leurs condi- tions géographiques et politiques, leurs intérêts et leur caractère. Les événements qui se sont accomplis de 1914 à 1918 ont beau, par leurs proportions, ordinaires, avoir l'air d'échapper aux règles ont beau ressembler à une de ces ils catastrophes qui font table rase, mêmes obéi à ils ont eux- subi des antécédents historiques. la loi commune. De la Ils ont guerre à la paix, leur cours a dépendu sans doute pour une large part de la volonté des peuples leur hérédité), part, il mais aussi, et (liée elle-même à pour une autre a été déterminé par des forces étrangères à cette volonté. Pour ne M. Clemenceau, çais pendant chef du citer qu'un exemple, gouvernement fran- de la chef la dernière partie lutte, 94 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE Lk PAIX de la délégation française pendant la préparation du traité, n'était-il pas, dans l'Assemblée de 1871, de ces députés républicains qui voulaient, avec Gambetta, la guerre à outrance? N'était-il pas entré dans la vie politique, avant la chute du Second Empire, comme républicain, c'est-à-dire avec l'idéalisme romantique de son parti, attaché au principe des nationalités, à la fraternité des peuples, au désarmement, à l'illusion de la fin des guerres? M. Clemenceau appartient à une nommer génération qu'on pourrait position de 18G7. En lui se celle de l'Ex- rencontrent la plupart des courants du dix-neuvième siècle et il a eu sa plus grande période d'activité au vingtième. Ce cas suffit à montrer combien le passé a tenu de place dans ce conflit qui apparaît comme une révolution et un renouvellement de la face des choses. En magne, la ce qui concerne la France et l'Alle- guerre ayant fini paix étant conclue, que Quels sont les par notre victoire, la reste-t-il éléments nouveaux? pas nous égarer, il est nécessaire un peu plus haut dans le temps. de ce passé? Ici, pour ne de remonter LES ALLEMANDS DEDITEURS DES FRANÇAIS Vue d'ensemble, à 95 très larges traits, l'histoire des rapports de la nation française et de la nation germanique peut se résumer ainsi antagonisme, conflit violent, chaque lemagne a que ce été : fois une grande construction y a eu il que l'Al- politique, l'Allemagne d'Othon (Bouvines), de fût Charles-Quint (deux cents ans de lutte contre la maison d'Autriche) ou des Hohenzollern, avec toutes les différences que le régime des Othon, des Charles ou des Guillaume comportait. traire, chaque fois Au con- que l'Allemagne a été formée de plusieurs Etats indépendants, n'ayant entre eux que plus les liens peu tendus d'une fédération, ou moins cohérente, non seulement les guerres ont été rares, localisées et dépourvues de ce caractère national qui les rend impitoyables, mais encore les divers montrés accessibles à peuples allemands se sont la civilisation française. On ne peut citer aucune époque où l'empreinte ger- manique France. Il se soit marquée profondément sur la y a eu, au contraire, une époque où la France a trouvé en Allemagne des admirateurs, CONSFQUENCES POLITIQUES DE LA r'.\I.\. 7 96 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX des alliés et des amis au dix-huitième au dix-septième et lorsque l'Empire, selon le c'est : siècle, mot du prince de Bûlow, disjointe », au lieu était une « mosaïque de constituer un corps de nation. L'expérience a donc prouvé que les condamnés ples n'étaient pas impénétrables ni à une hostilité éternelle. Mais, deux peu- jusqu'ici, cette entente entre Allemands et Français n'a pu être obtenue qu'à une condition magne fût décomposée que c'est : l'Alle- en ses éléments naturels, qu'elle ne formât pas un seul Etat centralisé, en possession d'une puissance politique génératrice de la puissance militaire cette puissance et qui appelle militaire. Un Etat elle-même allemand, étant donné la place que l'Allemagne occupe au centre de l'Europe, sans frontières déterminées, avec des territoires contestés sur tout son pourtour, des prolongements et des îlots germaniques qui créent un irrédentisme déclaré ou latent aussitôt qu'existe l'unité allemande, centre d'aiman- tation, cet Etat-là exige et postule le militarisme. Que ce soit celui des chevaliers de l'Ordre teuto- nique ou celui de la Reichswehr, c'est tout un. Le germanisme a inventé le militarisme parce LES ALLEMANDS LÉBITEURS DES FRANÇAIS que germanisme a besoin d'une grande le dès militaire qu'il est 97 force d'un Etat, l'expression c'est-à-dire d'une puissance politique. Ou, ce qui revient au même, germanisme le est alors per- suadé qu'il a besoin du militarisme pour exister, pour protéger races diverses. a qu'un pas ses De d'un donne fatalement » mélangées la défense à l'agression, motifs les : La possession marches « sont n'y mêmes. les bon instrument il de militaire l'envie de s'en servir. Voilà ce qui a fait que la sécurité de la France et le repos de l'Europe, dans les temps anciens et modernes, ont été incompatibles avec une forte organisation politique allemande, que le siège en fût à Vienne ou à Berlin. Ce n'est pas seulement la l'histoire de France, c'est celle de la Pologne et de la Bo- hême mêmes moyen ni qui conduit aux N'y donc a-t-il ni magne, enfermée dans voisins la .* sienne, vive comme en Ayant obtenu son mais rien que son un membre droit, espoir qu'une Alle- ses justes limites, réalisé son unité nationale réalisé conclusions. la ayant France avait harmonie avec droit, tout son ses droit, ne pourrait-elle devenir pacifique de la famille européenne.^ Admettons qu'à cet égard elle ait de son droit CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 98 la même conception que les autres peuples. voilà dans la pleine tradition politique lisme. Nous du Nous libéra- voilà au principe des nationalités, à l'hypothèse qui a mis aux prises, dans la France du diplomatie spéculative repré- siècle dernier, la sentée par Napoléon III et la diplomatie expéri- mentale représentée par Thiers. De Michelet à Jean Jaurès, une école ininterrompue a enseigné chez nous qu'une Allemagne dont les aspirations nationales seraient à la fois satisfaites et conte- nues dans leurs justes limites devrait vivre non seulement en bon voisinage, mais en amitié avec la France, cette à l'harmonie grande Allemagne était nécessaire morale du monde. donne, disait Michelet ^, « Dieu nous de voir une grande Alle- magne!... Le concile européen reste incomplet, inharmonique, sujet aux fantaisies cruelles, aux guerres impies des rois, tant que ces hauts génies de peuples n'y siègent pas dans leur majesté, n'ajoutent pas un nouvel élément de sagesse et de paix au fraternel équilibre du monde. » Qu'a-t-il manqué à ce rôve.^ Michelet a vécu assez pour le voir. En février 1871, il écrivait sous le coup de I. Dans son tobre 1869. livre A'os fils donl la préface o.sl datée d'oc- LES ALLEMANDS DÉBIIEURS DES FRANÇAIS désillusion la <( : 99 Pour nous, nous avions tou- jours désiré l'unité de l'Allemagne, l'unité vraie, non consentie, gnement cette unité sauvage, violente, indi- forcée. Et » il rappelait, ceux de ses sentiments d'alors à pour comparer la veille, émotion, l'émotion de Paris républicain à la fête son quand, « du 4 mars 1848, nous vîmes devant parmi Madeleine, les drapeaux des la nations, qu'apportaient les députations d'exilés de chaque pays, le grand drapeau de l'Allemagne, noir, rouge Kant et Fichte, peau et or, rouge noir, le si noble, saint drapeau de Luther, Ce dra- Schiller, Beethoven... » et or, c'est celui qu'a relevé la vœu de Mi- événements ne suivent jamais la voie nouvelle Piépublique allemande. Le chelet serait-il accompli? Mais les qu'on leur assigne, surtout quand on veut que les choses soient autrement qu'elles ne sont, ce qui, disait Bossuet, est « le plus ment de l'esprit ». répété que si l'unité pacifiquement, par cratie, alors le Après Michelet, Jaurès a allemande avait été créée libéralisme et par la démo- une grande France Allemagne eussent grand dérègle- et une grande été naturellement amies... de paroles ont pu être aussi vaines que Peu celles-là. 100 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX Car nous ne savons qu'une chose, mais que l'unité allemande, tentée en certaine, c'est 1848 par elle est les idées du libéralisme et la démocratie, avait échoué et qu'elle a réussi en 1866 et en 1870 par Bismarck plomatie et et par Hohenzollern, par la les par la guerre, par la force conquête, par le fer et par le feu. par la et Aucun di- regret, aucune hypothèse, aucune prophétie du passé, aucune « Ce qui a uchronie » été a été. ne changeront rien à ce fait. Sous sa première forme, sa originelle et la seule qui ait existé, l'unité forme allemande, conquérante et victorieuse, ne pouvait être suivie d'une amitié entre l'Allemagne et la " France. Mais, en 1919, l'unité allemande a survécu à la défaite, à la chute des Non seulement de Versailles. pectée, mais encore sceau, ils Hohenzollern ils et au traité les Alliés l'ont res- l'ont consacrée de leur ont donné la base juridique inter- lui nationale qui lui manquait depuis 1871. Les constituants de Weimar se sont chargés du reste. Ils ont resserré l'unité nationale. L'empire de Guil- laume II était, malgré tout, une fédération d'Etats. L'Empire républicain s'est centralisé et naît que des Cette (( pays ». ne con- Allemagne plus unie LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS 101 que d'hier, celle malheureuse par encore c'est la guerre, cette fois, qu'elle a réalisé sa fusion. Et ce nouveau déterminisme, celui de la défaite, pèse sur elle et sur l'avenir des relations franco- allemandes exactement comme déterminisme le de sa victoire après 1871. A la tribune du Palais-Bourbon, pendant la dis- cussion du traité de paix, nous avons entendu s'exprimer la pensée de Michelet, de Napoléon et de Jaurès. On nous a dit que l'Allemagne, III déli- vrée de ses Hohenzollern, convertie à la démocratie et au libéralisme, pouvait et devait être encore une grande Allemagne, que son unité était nécessaire, qu'elle serait bienfaisante, et que cette Allemagne nouvelle, purifiée, amputée, pour son bien, de tout ce qui n'était pas allemand, vivrait en fraternité avec les peuples ses voisins. C'est la pure doctrine des nationalités, au regard de la- quelle la nationalité allemande a autant de droits que les autres et doit, les autres, former la avec les autres et comme grande fédération humaine. Après un sommeil de cinquante années, principe des nationalités, inscrit sur les le éten- dards des Alliés, a été appliqué avec toute la rigueur dont étaient capables les réalités hu- 102 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX maines et l'esprit ciateurs. théorique des principaux négo- comme Mais, en 186G et en 1870, le principe des nationalités n'a pu jouer sans subir les nécessités et la pression guerre et de l'histoire. Comme par des contradictions. alliés. encore de jeté l' Il alors, il s'est résolu a laissé des déceptions Cela est vrai de quelques-uns et des rancunes. des pays de la politique, de la A quel point ne Allemagne I On l' dirait sur l'unité allemande pour la est-ce pas plus qu'un sort est rendre incom- patible avec la réconciliation de l'Europe. Si l'unilé allemande qu'elle était sortie telle des victoires de 186G et de 1870 n'a pu être un gage de Iralernilô telle et de i)ai\, l'unité allemande, qu'elle sort de la délaite, mieux. Encore une fois, les ne promet pas antécédents l'auront voulu. Nous admettons, pour la commodité de l'exposition, (jne l'Allemagne restera républi- caine et qu'elle sera une démocratie selon le mode et la conception des nations occidentales. Cette Allemagne démocratique, elle a à i)ayer aux Alliés les frais de la guerre, à réparer les immenses dont Pouvail-oii elle s'est dommages rendue responsable. Vvn dispenserP Non, sous peine do LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 103 ruine pour les peuples victimes de son agression. A tous les égards, l'impunité politique, îïiencer. un d'Allemands encouragement de résulte Il là recom- à que soixante millions formant un seul Etat, ayant der- ^ sont condamnés eux un grand passé, rière été impossible. un scandale, une prime à l'immo- Elle eût été ralité eiit payer une redevance dont le règlement s'étendra sur deux générations au moins. Juste et insuffisante pour nous, comme sentie magne. de à cette même redevance est res- exorbitante et inique par l'Alle- A mesure que s'éloigneront les souvenirs guerre et l'impression de la défaite, la force la de ce sentiment croîtra. Nul n'y peut rien. Une autre fatalité l'a voulu. Insensés seraient les Français qui compteraient sur l'amitié mand devenu même, chez chirer un le leur qui compteraient naturel de dé- traité qui l'obligera à travailler trente ou cinquante ans pour acquitter sa drait, Alors pour le c'est alle- le désir débiteur, vaincu, sans du peuple dette. Il fau- contenter, qu'elle fût réduite à zéro. nous qui souffririons, qui serions Douze à quinze de trop pour le territoire », disait I. Arthur Heicheu daus la Neue Zeit du 3 octobre quelques mois ([ui ouvrent d'étranges hoi-izons. tt : CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LÀ PAIX 104 qui prendrions la place des vaincus. Et ruinés, l'Allemagne, disposant de ses ressources, en profiterait pour annuler un C'est A ces les autres clauses traité. cercle vicieux. millions d'hommes, soixante d'un même poser le tribut. pays, Il il n'a a fallu fixer le qu'ils auraient le citoyens seulement im- fallu a fallu encore prendre contre eux des précautions légitimes Il du nombre de et indispensables. soldats et de canons droit de conserver et, par con- séquent, limiter le droit de souveraineté de l'Etat allemand. Ce n'est pas tout. Des frontières nouvelles ont été dessinées, et ces frontières, aux- quelles l'Allemagne se résignerait peut-être à l'Ouest, ce serait miracle qu'elle consentît bien longtemps à côté de lui l'Est. les regarder l'assiette territoriale avait donnée en 1866, est que Bismarck du au dix-huitième lui ramenée au point où se trouvait avant Frédéric comme lin. définitives ont été reprises, et la Prusse, qui conserve ailleurs elle comme Là, ses conquêtes sur la Pologne II. siècle, est Kœnigsberg, séparé de Ber- C'est sur son flanc oriental que l'Allemagne a dû restituer le plus de ses biens mal acquis et c'est là qu'elle est encore la plus forte, en faco LES ALLEMA>-DS DEBITEURS DES FRANÇAIS 105 de pays jeunes et à peine formés, à l'endroit les grandes nations occidentales n'ont pas sur de prise directe. vieille comme au temps deux, était La au régime de oii elle Prusse est coupée en l'Empire germanique la Kleinstaaterei, larisme et des petits Etats. oij Même du particu- alors, la Prusse n'avait eu de cesse que ses deux tronçons fussent Aujourd'hui, réunis. n'existe Kleinstaaterei la plus, et ce n'est plus seulement l'Etat prussien, c'est toute l'Allemagne, concentrée tres parties, blir Pour paix. et est lancé les deux Prusses. Par là à l'avenir, aurait dit Frédéric. à notre sens, un des plus gros vices de la C'est, à qui aspirera naturellement à réta- soudure entre la un appel dans ses au- même ressusciter la Pologne, il fallait tailler l'Allemagne. Mais, pour que la Pologne, par conséquent tout l'édifice européen cons- truit par la Conférence, fût en sécurité, il n'au- rait pas fallu que l'opération fût tentée sur une nation allemande ni sur un Etat allemand. Ima- ginons un instant que la France ait été et que, pour des raisons quelconques, queur ait vain- jugé bon de donner à l'Espagne un couloir aboutissant à le vaincue le Bordeaux en nous laissant département des Basses-Pyrénées et Bayonne. COÎSSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 106 Combien de temps une nation un et France, la restée d'ailleurs ampu- Etat, subirait-elle cette tation? Juste autant que le vainqueur l'obligerait à la subir et que l'Espagne serait capable défendre son couloir. Il de no pourra pas en être autrement du couloir de Dantzig de la Prusse et orientale. Il en triche. même en ce qui concerne l'Au- La logique du principe des voulu eût langue de est que les provinces allemande, proprement les provinces dites, fissent retour nationalités autrichiennes de autrichiennes à la grande Ger- manie. N'étaient-elles pas représentées en 1848 au Parlement de Francfort? La réunion elle n'était- pas inscrite au plus ancien programme du libéralisme allemand? L'évolution particulière de l'Autriche, hors des cadres de l'Empire restauré en 1871, avait tenu à une question dynastique. La maison de Habsbourg étant tombée comme celle de Hohenzollern, l'Allemagne étant devenue une nationalité libre, la réunion, V Anschluss ne trouvait plus d'obstacles politiques et s'imposait aux ni esprits. Cependant les Alliés ne pouvaient ne devaient y consentir. Admettre que magne annexât l'Autriche, même par une l'Alle« con- LES ALLEMANDS DÉBITEURS DES FRANÇAIS quête morale le », 107 c'eût été encore lui reconnaître droit de conquête. C'eût été la récompenser territorialement de ce qu'elle perdait ailleurs, la favoriser au jeu de qui perd gagne, réaliser, au nom des principes de Wilson, conçu par les reste prohibée. Mais, contradiction surgit Elle réside à qui il unité dans les faits et est défendu, d'intérêt dans les conséquences Cette les idées. Allemagne justement défendu, pour des européen, par VAnschluss, cette unité, Milteleuropa comme pour la Pologne, la avec les mêmes caractères. encore plus que dans raisons le pangermanistes. La réunion est et elle de compléter son garde d'autre part inachevée à ses yeux. Elle reste un centre d'attraction puissant pour la petite Répu- blique de Arienne. L'accessoire est séparé du principal. Et l'accessoire est sans défense, réduit à une vie misérable et précaire. L'Empire austro- hongrois était encore assez vigoureux pour tenir une dizaine de millions d'Allemands en dehors de la communauté germanique. A portée de sa main, l'Allemagne a désormais ces millions de frères pauvres et- nus, réduits à une situation politique et géographique paradoxale. Là encore, pour 60 millions d'Allemands, la tentation est 108 co^'sÉQUE^cEs politiques de la paix trop forte. L'appel à l'avenir est trop évident. ne nous Ils diraient pas qu'il serait encore le certain qu'à leurs yeux, comme celles de l'Est sont provisoires. que Pologne affranchie, de la du Sud ces frontières même tchéco-slovaque bourré d'Allemands, indépendante, pour durer sans De même qu'un Etat l'Autriche péril, supposait en Allemagne des Etats allemands indépendants. Telles sont les conditions dans lesquelles l'Eu- rope fait, pour la seconde fois depuis l'expérience de l'unité allemande. vue de la politique et Au 1871, point de de la psychologie, ces con- ditions sont mauvaises. A moins d'un acte de foi (qui ne peut se donner rationnellement) dans l'influence bienfaisante de la démocratie, à moins de croire sans que l'Allemagne nouvelle, touchée de examen la grâce, se convertira à l'idée qu'elle est une grande coupable, une grande pécheresse, qu'elle a mérité son sort et qu'elle expie justement, à moins, pour tout dire, qu'un coup de baguette magique non seulement la nature n'ait changé allemande, mais la na- LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 109 humaine ture et la cela, toutes les nature des choses, à moins de vraisemblances (et le devoir de la politique est d'en tenir compte) sont pour que l'Allemagne ressente et ressente de plus en plus comme les insupportable le traité du 28 Toutes juin. vraisemblances sont pour qu'elle prenne à avec tâche de s'en délivrer et de le détruire, moyens qui peuvent un peuple de 60 lions rester à d'hommes pour briser ses chaînes. Il les mil- suffit de se souvenir des sentiments qu'avaient inspirés en France les traités de 1815 et qui ont gouverné notre politique intérieure et extérieure depuis la chute de Napoléon I" jusqu'à l'avènement de Na- poléon III. L'Allemagne actuelle pourrait ne pas protester contre le traité clauses avec de Versailles, bonne volonté que notre avis resterait le et en exécuter d'un cœur contrit même. Cette volonté, cette contrition n'existent pas. porte. Peu importent également que le les gouvernement de Berlin bonne Peu im- les protestations et l'opinion blique ont multipliées contre la paix. pu- Peu importe encore que ces protestations aient été sincères ou qu'elles aient été de circonstance. Un peuple vaincu a plus de vingt-quatre heures pour mau- 110 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX dire ses juges. seule chose, c'est retenir, C'est Ce que nous examinons, en vérité, que la politique la et doive une situation prise en elle-même. un problème de forces et de mécanique. Les forces ne sont pas ajustées de telle ma- nière que les conditions nécessaires à une paci- profonde soient remplies. Celles d'une fication ne conciliation entre la France et l'Allemagne le sont pas non plus. Les Français ne peuvent pas renoncer à leur créance. Les Allemands gent pas tribut exorbitant et n'en reconnaissent le le bien-fondé...Oi;i tente? ju- Il est peut être terrain d'en- le en outre extrêmement peu croyable que l'Allemagne comme accei)te définitives frontières qui lui ont été fixées à l'Est et Comment, du côté français, se les au Sud. reposer sur confiance que les compétitions politiques la sont finies.»^ L'obstacle h la naissance de rapports amicaux entre les deux peuples ne tient pas tant aux cruels souvenirs et aux ressentiments de la guerre qu'aux dispositions du traité de paix. Le Français n'est pas vindicatif. sociable. C'est même un tère d'aimer à être aimé 11 est éminemment des traits de son caracet d'être douloureuse- LES ALLEMANDS DEBITEURS DES FRANÇAIS 111 ment pas. surpris quand Pendant de il s'aperçoit qu'il ne l'est anciens, les Français et un grand nombre comme nous mands ont vécu, plus dans une cordialité haut, aux temps très longues années, d'Alle- l'avons rappelé une amitié et complètes, au point qu'ils combattaient souvent ensemble sous les mêmes drapeaux. Le nom du maréchal de Saxe, célèbre par littérature, l'histoire cette époque. illustre et la n'y a donc Il pas incompatibilité d'humeur, hostilité de principe entre Français et Allemands. vivent en bon voisinage, que les il suffit Pour (mais qu'ils il faut) conditions politiques nécessaires à cette compénétration aient recommencé à exister. Malheureusement, elles n'existent pas. Par quel endroit veut-on que la France prenne le bloc allemand.^ L'influence morale de l'étranger glisse fatalement sur un peuple nombreux, uni par un lien national solide. Un Kurt Eisner, un Dorten se sont montrés accessibles à des senti- ments de sympathie à notre égard. dénoncés comme failli l'être. ont été des traîtres à la patrie alle- mande. Kurt Eisner a a Ils même été assassiné. Dorten Ce n'est pas ce qui encouragera les autres. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. 8 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 112 Alors, que nous reste-t-il à faire? Ce que nous faisons : prendre nos précautions, nous tenir sur nos gardes, nous souvenir de nous méfier. Par une injustice France cet état d'esprit. par la de les conditions France de deux ou « on reproche à monstrueuse, est créé et légitimé Il Ceux qui accusent la paix. militarisme trois générations, la oublient que, depuis » nous subissons le liar- nois militaire, que nous ne l'avons jamais désiré et qu'une mauvaise organisation nous l'impose encore. Aucun homme comme une n'a jamais conçu de l'Europe raisonnable chose bonne et souhaitable que les Français et les Allemands dussent, dans se regarder ainsi tant la suite comme que les des siècles, continuer à chien et chat. Mais il en sera circonstances propices à une conciliation n'auront pas apparu. Et ces circons- tances ne peuvent pas se trouver tant que l'Empire allemand et demeure tel qu'il est. La France l'Allemagne restent condamnées à l'antago- nisme. Ce n'est pas une question morale. C'est une question politique. Exactement traité posée. de Francfort, le traité comme de Versailles le l'a CHAPITRE V ILS Ici, demandons une pause au milieu des ductions, tins. IGNORERONT un moment pour méditer sur Notre sort est rations. Combien dé- les des- engagé pour plusieurs géné- De nouvelles tribulations commencent. l'ont \u? Combien s'en doutent.^ Pour- quoi ces choses et non d'autres? A des sommes prodigieuses de dévouement et de sacrifice ré- pondent des abîmes d'ignorance. Grand njombre des hommes souffrent et meurent sans avoir interroge. nombre de ceux le les est le qui subissent, qui vivent, Petit qui cherchent à déchiffrer causes pour lesquelles ils payent jusque dans leur chair. Par Macbeth mourant, Shakespeare adresse au monde son adieu et son mépris : <( Une fable contée par un fou, avec un grand fracas de mots CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 114 de gestes, et qui ne signifie rien. et vu les hommes de dix peuples. d'encourager « LA. s'agiter. Il les a Il » PAIX Voltaire a désespère d'expliquer. politiques Le gros du genre humain a annales écrit les et Il refuse historiens les été et sera toujours imbécile; les plus insensés sont ceux qui ont voulu trouver un sens à ces fables absurdes mettre de la raison dans la pitié. Rien n'instruit périence des pères est dans et rien le et Shakespeare la folie. » et Voltaire se rencontrent : dédain et dans n'améliore. L'ex- perdue pour les enfants. L'humanité tourne dans un cercle de douleurs. Devant ce vain théâtre, qui recommence sans cesse, face : les les prophètes d'Israël s'étaient voilé la peuples travaillent pour néant, s'ex- le ténuent au profit du feu. Il faut se délecter dans ce pessimisme ou en secouer la lourde chape. On peut conclure à différence, à l'inutilité de tout. C'est bien son compte, chacun est résolu à subir la sottise pour les suites de en se consolant de ce qu'il souffre par l'acre plaisir que procure verselle insanité. Mais le désabusé des les si, l'in- le spectacle de l'uni- moins forcené, juifs l'avaient déjà dit : le plus nous aurons conséquences. Et nous les aurons tous. Elles ILS IGNORERONT viendront chercher l'ironiste et le 115 philosophe. ne sépare pas son sort de celui des nations. On Ou bien on ne l'en sépare qu'à la condition de re- noncer à soi-même pour se moquer du genre humain. Un jour, chez nous, la guerre a requis l'homme bourgeois économe et penché sur la prudent, spéculatif désintéressé et la grande le glèbe, le masse de ceux qui pensent qu'après temps et sous n'importe quel régime, on tune et on organise librement sa du plus grand nombre était en tout tout, vie. fait for- L'existence fondée sur des calculs qui supposaient une longue stabilité. Ceux qui prédisaient des catastrophes n'avaient pas d'auditoire ou ne rencontraient que des incrédules. Encore personne n'eût osé annoncer ce que nous avons vu. L'homme la moitié extraordinaire- ment perspicace qui eût seulement approché réalité eût passé pour un fou. chacun dispose de soi-même sont les Il et que : les peuples cent causes ont disposé d'eux, causes lointaines, si la admis que était maîtres "de leurs destinées inaccessibles à la foule, de multiples, obscures, si mêlées qu'elles ressemblent à ce qu'on appelle, faute de mieux, le hasard. Cent causes, qui échappent de CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 116 même à la foule, sont toutes prêtes à en disposer encore. Après cet immense bouleversement, une seule chose reste intacte çais et versés. : du peuple fran- le tête-à-tête du peuple allemand. Les rôles sont renLe vainqueur est devenu le vaincu. La même revanche n'est plus à prendre du Mais, cette fois, le côté. vaincu aura des raisons de prendre que nous n'avions pas. la aura des occa- Il sions que nous n'avons pas eues. Soixante millions d'Allemands sont devenus nos tributaires dans une Europe où, depuis 1914, la guerre n'a pas cessé et ne s'éteint sur un point que pour se rallumer sur un point différent. La paix est montée comme une mécanique homicide. Et la même question obsède l'esprit. Pourquoi ces choses et non d'autres P Pourquoi autre En cette paix et non une paix.^^ 1917, la sible. fin, une meilleure Quiconque avait le fin, eût été pos- sens de la politique songeait à la dislocation de la coalition ennemie. d'Espagne ne se bornait pas à Le roi Il s'offrait volité, Le fil la conseiller. pour l'entreprendre. Incapacité, inexpérience, préjugé tendu ne fut pas saisi. : fri- il y eut de tout. La vie de milliers ILS IGNORERONT 117 de Français tués depuis cette date de et l'avenir ceux qui restent ont tenu à une maladresse qui ne peut plus être réparée. Enfin l'ennemi s'agenouille. Des heures, profiter de la victoire. des aux vainqueurs pour jours au plus sont donnés Hésitations, incertitudes. L'armée allemande, avec ses armes, repasse le Rhin. Tandis que la foule insouciante se réjouit, pousse un grand la guerre, des « ouf soulagée du poids de », moments uniques s'enfuient sans retour. Et plus tard encore, il arriva une chose fan- hommes tastique. Quelques s'étaient réunis Leur pouvoir établir la paix. qu'on n'en avait jamais vu. l'humanité. était Ils pour immense, tel disposaient de créaient à leur gré ou renver- Ils saient des Etats. Et]ej^uâ^uissant de ces homme^ pareils à des dieux, celui qui était obéi parce qu'il semblait parler au vidus, il était, à ce nom de cent millions d'indimoment même, désa¥-ûué,par son^Séxiat souverain. Et nait-il plus tout non seulement son auto- mais peut-être déjà ne gouver- rité était factice, à fait son esprit. capitale, le dictateur s'abattit. sa raison. <( Est-ce là cet Rentré dans sa On homme craignit pour qui ébranla la CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 118 tomber empires? terre, qui fit tôt, cette hémiplégie eût changé et l'avenir les Six mois plus » physionomie la du monde. Cette prodigieuse histoire se trouve mêlée à notre histoire nationale. a rien d'aussi cruel dans Candide et Le Français qui ne verrait que n'y Il dans Gulliver. de la dérision ces choses n'aurait ni enfants, ni frères, ni amis. Toutes ses fibres seraient séchées. Déjà, en 1914, un nihiliste excité par la volupté des ruines, ou encore un émigré stérile et méchant, auraient pu goûter le comique nocturne de sion, cette morale de cinquième fois pens de nouvelle inva- est tations pour l'ironie! Mais lui-même ne l'événement rêts. De nos ni dans fût il Quelles ten- faudrait que exposé dans sa personne ni à d'insulter Un Quant à plume pour ne pas per- le de souffrir dans ses dans d'être mobilisé jusqu'à cinquante ans drait de sa sérénité d'esprit. anciennes ses jours, l'Ecclésiaste serait retiendrait sa la aujourd'hui encore, la retombée erreurs, dans ses vieilles illusions. sifleur pour en trois âges d'homme, aux dé- la démocratie. Et démocratie la la fable s'exerçant, : il inté- le cas y per- Voltaire, être il accusé au malheur public. jour, peut-être, l'heure de la raillerie trans- cendante viendra, loisir et 119 IGNORERONT ILS les si l'humeur de hommes railler. retrouvent le Tant d'espérances fauchées, de sacrifices à demi perdus, d'efforts à recommencer arracheraient plutôt des larmes à un grand poète avions un. A un patriote, à Virgile nous en si comme plus tard les lamentations, l'ironie qui sort de ces immenses gaspillages. Il faudra bien reprendre ce qui n'est pas achevé. Les chirurgiens de Versailles ont recousu de l'Europe France doit regarder en Alors la et autour d'elle. après cette paix, voilà les Après cette guerre et dangers dont reste elle elle ventre le sans avoir vidé l'abcès. entourée, ce qu'elle a encore à faire pour que sa victoire ne s'envole pas et pour qu'elle en garde autre chose que et le parfum. Dans le rayon cette vaste confusion, quelle politique peut-elle suivre? Quelles sont ses res- sources et ses chances.^ La masse allemande jette encore son ombre sur nous. d'une confusion barbare qu'allons-nous trouver.^ Au delà, dans ou presque la zone barbare, CHAPITRE VI LE JEU DE TRENTE -DEUX CARTES Ainsi, entre la France et l'Allemagne, victoire a renversé les situation sans logue tragique ait cessé. Et le que notre le dia- tour que prendra ce dialogue déjà violent sera soumis à toutes les circonstances internes et externes. Comme avant 1914, ce qui se passera au dedans et au dehors des deux Etats agira sur leurs relations, qui resteront l'élément essentiel de la politique conti- nentale et par rapport auxquelles s'ordonneront encore alliances, intérêts, rivalités et conflits. Une grande Allemagne seulement blessée, attachée par des liens qui sont fragiles et qu'elle supportera plus mal d'année en année, une grande Allemagne toujours poussée à nuire au pays qui, après avoir été pendant la guerre son principal ennemi, est devenu son créancier principal : voilà 122 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX ce qui dominera, et de très haut, toute l'Europe. Quelle Europe? Sans doute la carte et la phy- sionomie du vieux monde ont été renouvelées être méconnaissables au point d'en parties. Mais où ont eu lieu les transformations.^ Sur les points en quelques plus sérieuses oij la France a toujours dû chercher un contrepoids à la puis- sance germanique. Par définition, poids ne s'obtient pas du Nous sommes conduits à le même un contre- côté que soi. chercher de l'autre côté de l'Allemagne. Pendant la guerre, la coalition occidentale, toute formidable qu'elle n'a pu refouler l'invasion allemande de très longs sion russe, il efforts, et, est qu'après en 1914, sans la diver- probable que la digue de l'Ouest eût été emportée. Or, il sera prudent de consi- dérer que l'Angleterre, placée en marge du européen libre et au était, monde fléau de la balance, conçoit l'équi- moins absolument que nous et non pas seulement par rapport à l'Allemagne. Nous ne pourrons pas compter sur une alliance positive formelle, dont la raison d'être ne que les et qui lui répugnait déjà avant 1914 et lui apparaît plus depuis forces navales et maritimes allemandes sont brisées. D'ailleurs, l'expérience de la guerre 1 LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES a montré que médiocrité des moyens la 123 militaires Royaume-Uni peut mettre en œuvre pour le à résister un premire choc. La__combinaisDn franco-belge est la seule sur laquelle nous puis- nous reposer avec certitude. La sions, à l'Ouest, France et la Belgique ne se suffiront pas encore. Une combinaison anglo-franco-belge elle-même aurait besoin d'un renfort à l'Est. C'est d'ailleurs dans cette pensée que le roi Edouard VII, après avoir rapproché l'Angleterre et la France, avait encore opéré un rapprochement anglo-russe, quoi qu'il en coûtât dans la aux Anglais de mettre leurs mains main de Ce travail diploma- la Russie. tique, qui paraissait devoir réussir de lui-même, avait exigé beaucoup de soins et de peines. Et la situation de l'Europe était simple et claire auprès de ce qu'elle est aujourd'hui. Pour trouver le con- cours sérieux, efficace, de peuples capables de prendre l'Allemagne à revers, nous aurons plus d'une expérience à adresser.^ Qui faire. voudra Et d'abord où nous être le contrepoids? Quel sera le contrepoids sérieux.^ A cet égard, on peut dire que notre politique, au cours des âges, a épuisé la série des combinaisons possibles sans oublier la meilleure de ^ 124 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX toutes qui consistait à avoir, en Allemagne des auxiliaires contre la contre l'Etat prussien exclue par le : même, Maison d'Autriche ou cette solution idéale est maintien de l'unité allemande. Pour plus de garantie, en dehors de ces précieuses alliances germaniques, la France a eu tour à tour l'alliance des royaumes Scandinaves (durant la guerre de Trente ans), l'alliance polonaise, liance autrichienne, Enfin, russe. l'alliance l'al- en 1916, et pour la première fois, nous avons porté les yeux encore plus Chacune de loin et sollicité la Roumanie. ces alliances, dont plusieurs se sont répétées à de longs intervalles, a eu son histoire. Aucune n'a daient à un été éternelle. C'est qu'elles répon- certain état de l'Europe et qu'elles n'ont pas tenu seulement à notre volonté et à notre habileté diplomatiques, encore moins à l'af- fection désintéressée que ces pays pouvaient avoir pour nous, mais à leur position et à leur poli- tique, l'une et l'autre changeantes, soumises aux circonstances et à l'opportunité. Faisons, d'après la carte actuelle, nouveaux éléments anciens et rassemblés. Pour les Etats le tour des susceptibles d'être Scandinaves, la période de l'activité politique et militaire est close depuis LE JEU DE THEME-DEUX CARTES longtemps. Il 125 n'est pas impossible qu'elle renaisse par suite des modifications qui se sont produites dans régions dites baltiques. Les signes de les ce renouveau d'activité ne paraissent pas. Neutres pendant guerre et ligués pour leur neutralité, la Scandinaves ont montré par leur adhé- les Etats sion prudente et conditionnelle au pacte de la Société des nations qu'ils entendaient se tenir à Le Danemarck l'écart des conflits européens. même, lui- qui avait de sérieux griefs contre la Prusse, minute, de s'est gardé, jusqu'à la dernière voquer. de 1864, En guise de réparations pour la violence se contente il la pro- pour laquelle il d'une seule zone du Slesvig même payé a une indemnité afin d'être en règle avec l'Empire voisin, encore trop puissant pour lui et qu'il continue de redouter. Le mot d'ordre Scandinave dence. Ainsi, pour est la réserve et la pru- moment, le et sans doute pour longtemps, rien au Nord. Passons à Au dix-huitième l'Est. de l'alliance siècle, l'attelage polonaise et de l'alliance autrichienne a été le casse-tête de la diplomatie française qui se trou- vait à à chaque instant l'autre. roi ». On De a là est été, on sollicitée venu le de sacrifier l'une fameux est encore sévère « secret pour du la poli- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 126 tique extérieure et le « secret de Louis XV. » s'apercevra mieux, d'ici peu d'années, que dont liance polonaise, la l'al- mon- a été faiblesse On trée par l'alerte de 1920, doit entraîner des com- plications semblables, sinon pires. si la France contemporaine s'en Tout indique le tire Nous verrons mieux. sens de ces complications. Elles ne peuvent manquer de se produire du côté de Russie. la Depuis qu'il y a une Russie, l'alliance franco-russe a été tentée ou nouée dix fois, tant elle paraissait naturelle à notre besoin de contre- poids oriental, tant la Russie nous paraissait créée pour répondre à ce besoin. C'est au point qu'on comme a voulu voir dans l'alliance franco-russe une harmonie préétablie. Pourtant, chaque fois qu'elle est entrée en pratique contre l'Allemagne, 1 cette alliance terminée par une défection s'est Idu côté de la Russie. Si grave qu'ait été la tra- hison de 1917, et la ot si dures qu'aient été pour paix séparée et les 111, il concours militaire de phase de France de Brest-Litovsk, somme bolchévicks ont renouvelé en coup de Pierre la l'infidélité la faut reconnaître que, la Russie avait la collaboration, été, inférieur sions qui étaient nourries chez nous, il si le le pendant aux illu- avait été LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES extrêmement lia sécurité utile. Ainsi a été démontrée, pour de l'Occident, la nécessité d'une forte Vdiversion à l'est. L'alliance russe a rendu des ser- /vices incontestables. que Avons-nous le droit d'espérer cette alliance renaîtra.^ Si la diplomatie fran- çaise persiste à compter sur le retour d'une Russie loyale, libérale par surcroît, attachée à la sympathie, la gratitude, populaire, encore plus fidèle et constante que sur une Russie qui n'aurait mers, il est II, si môme l'on comptait plus de Stiir- probable que la France se ménagerait une autre sorte de déboires: Nul ne République des Soviets, sortira de la succédera. Nul ne sait lemment ou Nul ne sait nous par d'une amitié les liens n'avait été la Russie de Nicolas ; 127 si elle si elle sera sait ce qui ni ce qui lui renversée vio- se transformera en évoluant. non plus si la Russie ne passera pas par une anarchie d'une autre sorte, par un autre « il temps des troubles ». Mais, en toute hypothèse, n'est guère concevable que le régime après avoir obéi, dans sa politique exté- niste, rieure, à quelques-unes des lois historiques Russie, n'engage pas lui-même nir. Si nent commu- peu les « démocratique », la suite au sens Occidentaux, que soit le CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. de la de l'ave- oij le pren- gouvernement 9 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 128 de Lénine, il mû bolchevik ait cratie de penser que l'auto- est difficile contre leur gré cent millions de Russes plus facilement que ne les mouvait l'autocratie Au tsariste. cas où l'on ver- l'armée rouge refuser de continuer rait contre la Pologne et les comme « la lulte agents de l'Entente )> l'armée russe de 1917 a refusé de con- tinuer la guerre contre l'Allemagne, bien des espoirs seraient permis. S'il en est autrement, on sera conduit à penser que la guerre contre la Pologne et les associés de la France a été plus populaire que la guerre contre l'Allemagne et que si Lénine a réussi c'est peut-être que là où s'était brisé le tsar, la politique extérieure de l'un répondait mieux que celle de l'autre aux aspirations, Dans même inconscientes, des masses russes. cette incertitude, nous serons réduits long- temps aux tâtonnements et la confiance gratuite vis-à-vis de la Russie que nous mettrions dans une Russie meilleure risquerait d'être trompée. Il serait alliance au moins téméraire de compter sur son prochaine et de sacrifier quoi que ce fût d'assuré à l'espoir de cette alliance. L'expectative et la méfiance seront plus saines et, vis-à- vis de la Russie, la politique^ la plus sage cousis- LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES tera la probablement à tenter de 129 la neutraliser dans mesure du possible. Res^tejajlounianie, dernier en date des Alliés le que nous ayons trouvés pour exemple est instructif. la guerre. s'agissait 11 Son d'un Etat organisé par cinquante ans d'un règne paisible et qui occupait un rang très honorable en Europe. Par ses ressources, sa civilisation, tration, ses finances, était à la moyenne donné par la les il son adminis- nettement supérieur des petits Etats. Cependant, aban- Russes, il a subi le même sort que Serbie et son rôle militaire a été terminé en peu de temps. Il ne peut pas y avoir de cas meil- leur ni plus favorable d'alliance avec dont la population et les forces un peuple sont limitées. Les services que ces sortes d'alliances peuvent nous rendre en cas de conflit ave une grande puissance continentale sont aussi jugés par ce cas-là. non plus doit pas négliger la Bessarabie, les le fait de la quelle qu'en reprenant Roumains savent rent l'antagonisme des Russes. Il On ne qu'ils encou- y aura du moins méfiance entre eux. Sur ce point encore, difficulté nous voudrions d'accorder qu'ils les peuples fussent accordés! comme 130 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE lA PAIX Résumons encore triche-Hongrie. bare et Plus d'Au- ce bref exposé. Une Russie pour moment le bar- hostile et dont l'avenir est inquiétant. Entre cette Russie et l'Allemagne, et depuis les bords de la Baltique jusqu'à ceux de la mer un éparpillement de nations dont Noire, nombreuse, deux feux. la nation polonaise, Il la plus est prise entre n'existe plus sur le continent euro- péen de grande puissance pour nous aider à établir un équilibre que présence de la masse la germanique rend nécessaire. Et la seule qui soit homogène cette et organisée /d'une vaste décomposition : voilà masse est au milieu ce qu'il est impossible de perdre de vue. La stastistique nous apprend que l'Europe de 1914 comptait vingt-six Etats. l'Europe de 1920, R y en environ trente-deux, qui n'est pas encore définitif, car il a, dans chiffre subsiste des incertitudes au sujet de quelques-uns, sans parler, bien entendu, de la fragilité de quelques autres dont l'existence pourrait être brève. veaux Etats se sont détachés ou ils Ces nou- ont été déta- LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES 131 chés de l'empire russe et de l'empire austrohongrois. Ce sont, du nord au sud, la Finlande, l'Estonie, la la Lettonie, Lituanie, la Pologne, la Tchéco-Slovaquie. Entre l'Autriche et la Hon- grie, une il n'y a plus de lien et chacune compte pour unité. Tous ces Etats offrent un trait commun sont dépourvus de frontières naturelles. limites sont à celles peu près, et tant bien de la nationalité dont Encore convient-il de faire surtout à mement l'est, du côté de difficile le nom. de nombreuses ré- La nationalité polonaise serves. ils que mal, portent ils : Leurs est diffuse, la Russie, de discerner oii il et, est extrê- elle s'arrête. La Tchéco-Slovaquie, comme nous l'avons déjà indiqué, est presque aussi bigarrée que l'ancien empire des Habsbourg, l'élément tchèque et l'élément proprement dit, national, ne domine pas autant qu'il faudrait. La Hongrie, posé, plaint de n'avoir pas se Hongrois et annonce un à l'Autriche, sur le « à l'op- son compte de irrédentisme ». papier c'est un Etat, mais ce n'est plus que le résidu d'un Etat, auquel quent les mais de Quant man- conditions non seulement de la durée, la vie. 132 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX Qu'ils soient ressuscites ou qu'ils soient le reste de quelque chose de plus vaste, ces nouveaux venus ont une étendue Le plus grand encore, et serait la une population inégales. Pologne si, en ce moment y avait rien de moins assuré que il les frontières et peut-être le sort de la République polonaise. Les autres varient entre une quinzaine de millions d'habitants (Tchéco-Slovaquie), sept ou huit (Autriche pour et Hongrie), un, deux ou le reste. Dans toute l'Europe orientale a des « marches » et centrale, et des « confins » il y qui ne ré- sultent pas seulement de la configuration et trois du sol de l'absence de limites naturelles. Les limites dites naturelles sont loin absolu. en Occident, Si, les indiquer, Ailleurs, il d'avoir la un caractère géographie semble l'histoire y a plus de part encore. y a beaucoup de nationalités et peu de nations. Ce qui fait une nation, c'est l'habi- tude de vivre ensemble. La frontière a un sens précis quand des hommes savent qu'au delà du poteau cessent des mœurs, des coutumes, des souvenirs auxquels nouveaux Etats, rien ils sont attachés. Dans les de pareil à ce contour idéal, plus résistant qu'aucun rempart. Tout y est neuf, LE JEU DE TUENTE-DEUX CARTES imprécis amorphe. Dix, vingt, cent combi- et politiques naisons 133 distributions et territoriales dfférentes de celles que la paix a décrétées sont possibles et ne seraient ni plus ni une Pourquoi nables. Pourquoi district le ville moins raisonde libre de Teschen, oij Dantzig.!^ cohabitent des Polonais, des Allemands et des Tchèques, partagé de telle manière plutôt que de telle autre? Pourquoi quand nationalité la ruthène la voisine se voit reconnaître droit divin? Une est-elle niée une sorte de presque infinie reste plasticité l'apanage de ces peuples et de ces régions. Et la plasticité, c'est l'instabilité. A défaut de frontières naturelles et de fronces Etats-enfants ont-ils reçu tières historiques, au moins des frontières stratégiques? Ont-ils moyen de France, se défendre? Pas plus que pour la on n'y a songé pour eux. Dans son remarquable rapport sur les toriales des traités de paix, relève un oubli singulier. a été créée, mais la Bohême, par en 1866, a été le le le oii stipulations terri- M. Charles Benoist Une Tchéco-Slovaquie quadrilatère de Glatz, clef de l'armée prussienne avait passé laissé mot de Bismarck à l'Allemagne, avait cessé comme d'être vrai si : CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 134 \ (( Celui qui est le maître de maître de l'Europe centrale proposition n'était pas fameuses de batailles la )>, la Bohême et comme démontrée par est si les Montagne-Blanche le cette deux et de Sadowa. Les Etats anciens à qui la guerre a valu des accroissements considérables ne sont d'ailleurs pas mieux constitués que Comme Etats nouveaux. les Tchéco-Slovaquie, la Roumanie la et la Yougo-Slavie sont tout en longueur. Par rapport à leur étendue, le développement de leurs fron- tières est excessif et, en est extrêmement de la par conséquent, côtière. La Grèce, dépourvue comme disait sécurité littoral, d' « une bande épine dorsale », M. Venizelos avant de succomber à mégalomanie, sera la La défense Près de la moitié difficile. Grèce ne sera qu'un la manque très exposée et très faible. à tous ces pays dont la cons- truction n'est ni naturelle ni rationnelle. La force Ileur manque également. Et quand des peuples ne se sentent ni forts ni sûrs, leur politique louvoie. Les provinces « rédimées » ou conquises qui ont doublé la Roumanie, triplé la Serbie, accru la Grèce dans des proportions excessives, n'ont d'ailleurs pas ajouté autant qu'il semble à la LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES 135 puissance de ces Etats. Imaginons que l'AIsace- Lorraine soit égale en superficie et en population au reste de la France. Imaginons qu'une telle Alsace n'eût jamais çaise très ou n'en eût lointains. partie de l'unité fran- fait fait partie que dans des Quelles difficultés à l'administrer! Voilà justement le temps nous aurions cas des Etats qui ont été dotés de vastes provinces. L'assimilation de ces territoires et de leurs habitants sera longue et délicate, nible. C'est elle ne sera pas pé- une œuvre qui laissera aux gouver- nements peu de temps que quand loisir et peu de liberté, en même la conscience de leur fragilité ajou- tera à leur peur naturelle des coups. Bien mieux placés que nous pour mesurer les périls de la situation dans l'Europe centrale, loin de courir à des alliances en vue de la guerre défensive contre l'Allemagne et à plus forte raison contre une coalition germano-russe, les alliances qu'ils concevront comme une seront conclues rance contre les risques. tente et », assu- Ainsi la « petite En- qui s'est formée entre Prague, Belgrade Bucarest au mois d'août 1920, quand la Po- logne a été en danger, a pris ouvertement caractère d'une « ligue des neutres ». le CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX 136 Enfin, et ce n'est pas la sidérer, quels sont les moindre chose à con- hommes et les principes qui dirigent les pays neufs? Quelle est la nature de institutions? leurs A soumis? Quelles garanties quel régime offrent-ils contre les tares diverses dont à l'intérieur ont été affligés ils à leur naissance? L'unité nationale de que fier des maladies d'enfance. fixe, plupart nom que pour signi- entre Tchèques et Slovaques la fusion est loin d'être accomplie. ment la La Tchéco-Slo- d'entre eux est encore à faire. vaquie ne porte sans doute ce sont-ils Ces pays sont à l'âge Oi^i est, chez eux, l'expression permanente l'élé- qui, à l'ori- gine de toutes les nations européennes demeurées solides, a été une dynastie ? Sauf Yougo-Slavie et la leur, les — bien la la Roumanie, Grèce qui conservent la ébranlée dans ce dernier pays, — autres nationalités ont sauté à pieds joints dans démocratie pure. Tout la neuvième siècle, il avait été le long du dix- admis que les peuples enfants avaient, plus ([ue les autres, besoin de Une tuteurs. (( unité » nationalité qu'on libérait, une qui se formait recevaient ou se don- naient une monarchie constitutionnelle. Celles qui n'avaient pas de famille désignée par l'his- LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES 137 empruntaient un prince à une dynastie toire régnante pour éviter compétitions, et la greffe les produisait ses effets ordinaires. Le nouveau roi se nationalisait rapidement. Il apportait des rela- tions avec l'étranger, de l'expérience politique, des méthodes même le de gouvernement, Sa présence atténuait le quelquefois noyau d'un personnel administratif. les luttes de partis. Tel fut cas de la Grèce, de la Belgique, de la Rou- manie, de la Bulgarie, sans parler de l'Allemagne et de dont l'unité avait été due aux mai- l'Italie sons de Prusse et de Savoie. Neuf années seu- lement avant la guerre, séparés de la Suède, choisi la les Norvégiens, s'étant avaient encore librement forme monarchique comme étant la plus convenable à leurs débuts. En 1919, avait changé. Les Alliés ont affranchi nalités en masse universelle. et ils Tous les la mode les natio- ont instauré la démocratie nouveaux Etats, sans ex- ception, sont au régime de la République parle- mentaire. Leur constitution est calquée sur les modèles les plus hardis. Dangereuse expérience. Ceux qui peut-être ne ont dû la désiraient la subir. Ils seraient mal qu'à moitié notés, suspects de tendances autocratiques et de sympathies pour CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 138 Guillaume II, accusés d'impérialisme, aux testaient pas leur fidélité En sorte que idées républicaines. Pologne elle-même essaye de la nouveau ce qui s'ils n'at- l'a jadis tuée. La démocratie pure introduite est dans des pays qui ont tout à créer, tout à fonder, des fronà défendre, des populations hétérogènes tières œuvre rude, de longue haleine, qui commode mal d'un gouvernement faible, à unir : et t-able la ins- divisé. Etant neufs, ces pays ne pos- sèdent pas adopté s'ac- le correctif des pays anciens qui ont démocratie sur le tard. Ils n'ont pas de formation sociale historique, d'organisation administrative, de traditions politiques et bureaucratiques. Et il n'y a pas à craindre seulement que leur développement en soit retardé ou com- promis. Ce qu'ils ont de plus précieux, la nationalité elle-même, peut être remis en question. Le régime des partis ouvre la porte aux intrigues de l'étranger. Les alliances seront l'enjeu des luttes nets » publiques : contre les éternelle <( histoire chapeaux ». l'Allemagne, aussi pénétrés par des <( bon- Aussi près de elle qu'ils sont loin de nous, ces pays n'auront qu'une défense très médiocre_ contre une action méthodique qui LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES trouvera des complicités à l'intérieur. Il 139 s'en faut d'ailleurs de beaucoup que, dans ces pays comme en d'autres, les éléments plus démocratiques, fluence les plus avancés d'ordinaire soumis à l'in- du socialisme germanique quand sont pas tentés par et les le ils ne bolchévisme russe, nous soient naturellement dévoués. Il y a encore plus d'ignorance que de fatuité à s'imaginer que tous les peuples ont une inclination naturelles pour notre pays. Les moujiks nous ont bien montré que le Russe ne venait pas au monde avec un deux yeux nez, et le culte de la France. L'in- fluence française en Europe était surtout d'aristocratie. Elle tenait à une éducation gnée, qui elle-même impliquait social. Elle tenait aussi du temps oiî le un un fait soi- certain niveau à des traditions héritées prestige de notre civilisation et de notre langage n'avait pas de rival. De là suit, contrairement à un préjugé encore trop répandu, en dépit de la preuve instantanée qu'a fournie la chute du tsarisme, que notre véritable clientèle, dans ces parties primitives de l'Europe, en général dans les les classes les plus raffinées et plus conservatrices. dont les se trouve Les masses populaires représentants sont au pouvoir n'ont pas 140 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LÀ PAIX ces raisons profondes d'attachement à la France qui résultent surtout d'une bonne éducation. La loi du nombre ne nous favorise pas. par un curieux renversement des D'ailleurs, choses, la France de la Révolution est devenue pays le monde. Aux plus réactionnaire du le yeux des masses prolétariennes paysannes et de l'Europe orientale, qui tendent vers des formes barbares de dictature beaucoup plus que vers la sommes un démocratie parlementaire, nous ple de <( bourgeois Compter que ». Rien n'est sympathies de les plus gauche « peuvrai. » nous sont acquises au dehors, ce serait nous exposer à des déceptions. Mais on s'apercevra qu'il y a dans quelque chose qui n'est pas le monde changé à notre avantage, quand nous aurons affaire à des ministres qui n'ont pas eu de précepteur français et qui n'ont allemandes, étudié si que dans les Universités ce n'est à l'école du socialisme allemand. Nous étions partout de plain-pied dans l'ancienne Europe. La communication s'établissait sans peine administration. inculte, propre par Le les cours, le règne monde, d'un la haute nationalisme aux démocraties qui ne connais- LE JEU DE TRE>;TE-DEUX CARTES 141 sent qu'elles-mêmes, restreint ces circonstances favorables à notre action politique et les anciennes commodités de nos relations extérieures. Heureux si, à la longue, ne il les abolit pas. Ainsi, dans cette vaste partie de l'Europe oii nous avons à chercher des alliés et les d'un nouvel équilibre, tout éléments est faiblesse et con- fusion. Les éléments interchangeables de l'équilibre ancien ont disparu. pour longtemps, La Russie, sans doute est hostile. Nous avons détruit l'Empire austro-hongrois de nos mains. Huit ou dont l'existence est précaire, jalon- dix Etats, nent les pourtours de l'Allemagne unie. Loin de nous aider, ce sont eux qui auront besoin de notre assistance feux, ne le : la Pologne, prise entre deux montre que mais rien n'est sûr, notre confiance serait — le trop. Et pourtant, c'est encore mieux en elle que placée. Ce n'est pas tout. Ces peuples sont et le — propre des faibles, c'est l'égoïsme. faibles, Ils se- ront naturellement portés à rechercher des com- 142 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX binaisons par lesquelles croiront se mettre ils à l'abri de leurs trop puissants voisins, moyen d'ailleurs infaillible d'avancer l'heure et de se livrer à eux. Si qui viennent de les nationalités retrouver leur indépendance l'avaient jadis perdue, ce n'avait pas été sans raison. Elles avaient succombé à la supériorité d'organisation et de masse des grands Etats qui dans l'Europe des les avoisinaient, et, de 1919, les petits sont traités encore dominés par des géants. Enfin, ces petits Etats ont entre eux des haines et des querelles qui les rendent aveugles au bien général et à leur propre bien. Ce n'est pas en vain que, selon la remarque de américain l'écrivain Morton Fullerton, ont les Alliés William balkanisé « » la moitié de l'Europe en s'abstenant avec soin de « balkaniser n niques, qui ne sont que les petits Etats, Des moeurs balka- l'Allemagne. seront d'une division qui race germanique, mœurs éternelles des conséquence nécessaire la au s'est arrêtée seuil de la pourtant aussi apte que les autres à se diviser. Tout cela réuni fait que la peuples libres n'existe pas ou rien pour la renverser. La « barrière qu'il suffira » des d'un coalition de ces peuples LE JEU DE TRENTE-DEUX CARTES 143 contre l'Allemagne et à nos côtés est une chi- mère. La Entente « petite » dont la Tchéco-Slo- vaquie a pris au mois d'août l'initiative était tout simplement une ligue des neutres, formée au moment où chute de Varsovie semblait la prochaine. Ainsi la Pologne eût été abandonnée et la France avec elle. C'est un avertissement. Si les nouvelles nations vivent toutes, nous avons chance de voir, entre amis et ennemis d'hier, les alliances les plus bizarres et aussi les plus instables. On que sait le nombre des combinaisons d'un jeu de trente-deux cartes est presque et infini, l'Europe compte désormais trente-deux Etats entre lesquels les combinaisons pourront égale- ment varier à l'infini au gré des événements, des passions et des intérêts. Absence d'équilibre, foi- sonnement des conditions pour monde Ce ne sont pas de bonnes intrigues. le repos et la tranquillité et la politique française, huitième siècle, du vieux depuis le dix- n'aura jamais eu tant de peine à éviter de se fourvoyer. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. 10 CHAPITRE VII L'ALERTE DE 1920 ET L'AVENIR DES SLAVES Joseph de Maistre se méfiait des prédictions. « S'il faut Renan, qui prophétiser!... était )> sceptique, hasarder quelques prophéties. disait-il un jour. n'a pas craint de Il en a laissé une qui est fameuse. Dans la deuxième lettre qu'il adressait à Strauss, pendant la guerre de 1870, il avait menacé l'Allemagne du slavisme. nombre des Slaves est double du vôtre », (( Le disait- il à celui qu'il appelait encore son savant maître. « Et le Slave, comme le dragon de l'Apocalypse, dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l'Asie centrale, l'ancienne clientèle des Gengis- Khan et des Tamerlan. » Cette queue du dragon qui balaye la troisième CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX 146 figure apocalyptique, partie des c'était un peu mieux tourné que cette étoiles, compresseur Au ». fond, Renan, qui ne croyait, l'aristocratie, illusion populaire, même idée. dans l'humanité, qu'à c'était la succombé ce avait rouleau « le jour-là à une au préjugé du nombre. Les foules innombrables de la race slave lui apparaissaient dans un avenir vengeur. Nombre et sur- nombre. Les légions allemandes, qui opprimaient la France, seraient noyées à leur tour. Renan oubliait que les Slaves formaient des nations multiples, médiocrement et accessibles à l'anarchie part, arrivées à un diversement et, pour civilisées, la plus grande très bas niveau d'organisation politique. Pourtant il avait eu une vision d'historien et de poète, quand la il avait montré, au siècle futur, Russie jetant vers l'ouest l'Asie centrale ». Renan n'y a pas de Russie d'Europe communique avec mers asiatiques, les Mongols, troupeau de les plaines, ». <( qu'il La Russie, qui les fleuves et les plus qu'à demi asiatique même, pouvait un et « le savait ou sentait elle- jour embrigader les Tartares les ramener contre saires européens. Elle le pouvait, ses adver- mais elle pou- l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 147 vait encore s'identifier avec cette Asie. Au lieu de diriger et de conduire les Mongols, elle pouvait être les mongolisée. Et surtout, au lieu de mener hordes d'Asie contre l'Allemagne, l'asiatisme pouvait devenir complice des Germains. comme peut-être la vérité d'aujourd'hui celle C'est ce fut du passé. Gengis-Khan, évoqué par Renan, qui semble le connaître mal, s'entendait avec l'empereur Frédéric d'Allemagne en cette année 1241, que l'Occident menacé appela «(l'année d'angoisse ». Et ce Gengis-Khan, qui d'autre culte que celui de l'Etat, aurait plu à Renan que Moscou, religion les fanatiques mieux orientaux qui, de monde la croyait que la ont voulu répandre sur le du communisme. Renan se trompait quand Russie ne conduirait écraser l'Allemagne. ginait n'avait les Il il hordes d'Asie que pour se trompait quand une croisade du slavisme contre nisme oppresseur. Il le il ima- germa- semble bien que son illu- sion ait été partagée par les auteurs du traité CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 148 de Versailles. Tout le dix-neuvième siècle, Napo- léon, Tocqueville, Michelet, avait été obsédé par la puissance russe. Il en avait eu horreur. C'est à comme partir de 1871 qu'il se mit à la concevoir bienfaisante en l'opposant à la puissance alle- mande. La Russie au moment où nous tsariste trouva grâce chez elle commençait à jetant dans la circulation l'idée d'un décliner. grand En conflit de races où la France obtiendrait d'innombrables alliés était le lui l'Allemagne contre Renan conquérante, précurseur de l'alliance franco-russe. donnait une base idéologique Qu'avait-il vu de son temps ples allemands .^ Il et avait Il mythique. vu les peu- s'éveiller à l'idée de nationalité, se concentrer et s'unir. Le dix-neuvième siècle avait été l'âge de la race germanique. Alors les contemporains regardaient asservie dans beaucoup de encore la race slave, ses branches, et ils calculaient que son réveil ne tarderait pas à suivre celui des le Germains, son unité à se former sur modèle de l'est et la leur. Et comme les Germains, à au centre de l'Europe, étaient teurs et les oppresseurs des Slaves, il les exploi- ne paraissait pas douteux que l'Allemagne ne dût, tôt ou tard, avoir affaire au slavisme non seulement coalisé, l'alerte de 1920 et l'avemr des slaves 149 comme mais devenu, les Allemands eux-mêmes, une seule nation. Renan annonçait à Strauss en C'est ce que montrant toutes populations slaves, des mil- les lions et des millions Moraves d'hommes, Serbes, Croates, Tchèques, groupés et « autour du grand conglomérat moscovite, noyau désigné de ture unité slave été le noyau de » même (de que Renan, oppression séculaire. sagesse ou prudence.^ se fonder : la la fu- Prusse avait l'unité allemande), et lancés tous ensemble contre l'Allemagne à avait raison lui la revanche d'une — — omettait était-ce l'alliance franco-russe que sur l'oubli de la oubli, les Polonais. Il ne pouvait question polo- naise. Une une image simple, idée longtemps sur les esprits. forte agissent La vision grandiose de Renan a été pour beaucoup dans la formation de l'alliance entre la démocratie française et le tsarisme. Qui fera la part de l'imagination dans la politique La France liée que .^* Qui fera même se trompait la part quand de l'illusion? elle se croyait l'al- d'un peuple et^même d'une race. Elle n'était l'alliée d'un gouvernement aperçu seulement quand Nicolas II : on s'en est a été renversé. 150 A CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX donné ce momenl-là, d'ailleurs, l'alliance avait ses meilleurs résultats. de l'isolement, Après nous avoir tirés nous avait sans doute aussi elle retenus sur la pente qui conduisait à une abdication complète à l'égard de l'Allemagne. guerre ayant éclaté, l'armée russe toujours lui rendre cette justice — il La faudra — détourna assez de troupes allemandes pour que notre défense devînt possible. Et puis l'aide morale ne fut pas moindre opprimé par : sans quantité, le l'idée avec lui. était, Quand qualité peuple français avait besoin de savoir qu'une grande masse, d'hommes du nombre, un grand réservoir quelque part dans la le monde, Russie fut défaillante, l'Amé- rique vint à point pour en tenir l'emploi. Tels sont les services que l'alliance russe nous a rendus. Ils sont loin d'avoir été imaginaires. Cependant l'Allemagne, de son par prendre peur du slavisme. côté, avait fini Le cauchemar russe fournit au moins un prétexte à la guerre de 1914 et un aliment à la colère allemande. Et la guerre commença i)ar la Serbie. C'était comme l'esquisse de la grande coalition slave. Mais de- puis? La Russie avait beau s'être retirée de la lutte par une de ces défections dont elle avait l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 151 déjà donné l'exemple dans le passé, elle avait dans des condi- beau avoir déserté les alliances tions qui laissaient peu d'espoir de retour, on a continué à croire en elle. La Russie sente, la Russie rouge était une Russie se fiait à idéale, visible et pré- devenue hostile. On une Russie invisible qui aspirait secrètement à reprendre sa place dans la grande alliance. On ne pouvait se résigner à voir dans un adversaire Quand peuple russe, au lieu d'un le allié, possible. l'heure vient de faire une grande paix, de créer des Etats et de dessiner des frontières, alors d'anciens souvenirs, de vieilles lectures, le communs fonds de lieux sur lequel une géné- ration a vécu, déterminent souvent les décisions des négociateurs. En 1919, on est parti de ce prin- cipe que des nations slaves, disposées en cercle autour des pays allemands, formeraient une barrière et un rempart. On n'abandonnait pas l'es- poir de voir ces nations se rassembler, se fédérer autour du « l'équilibre, grand conglomérat moscovite au ». Ainsi lieu d'être celui des Etats, aurait été celui des races. n n'est pas impossible que l'idée de race tra- vaille encore le vieux monde. Mais il n'est pas 152 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX certain que ce soit dans le sens désiré. Il n'est pas certain que ce soit dans un sens favorable à la paix. Etendue à Prague à Belgrade, et Moscou ternité slave sous la direction de en ce moment Qui bolchéviste. qu'elle sera demain.^ Du jour la fra- serait peut dire l'idée oii ce de race a été jetée dans la circulation européenne datent les plus atroces Il convulsions de notre humanité. n'y a pas de raison pour qu'elle produise de meilleurs effets à l'avenir. communauté Et quand même la des origines et du langage parvien- drait à rassembler en notre faveur quelques-uns des éléments du slavisme, qu'elle temps réussisse la il est invraisemblable à les rassembler tous. Bulgarie a passé avancée du slavisme dans les pour la Long- sentinelle Balkans. Les Russes l'avaient chérie, choyée, préférée maintes fois à la Serbie. La statue du tsar libérateur se dresse encore à Sofia. Les guerres bulgaro-serbes, la dernière, celle de 1913, la plus môme haineuse, n'avaient pas roussi à tuer la chimère d'une Confédération balkanique, à laquelle l'Occident s'attardait. Il a fallu, en 1915, ce qu'on a appelé la trahison bulgare (comme si les Alliés n'avaient pas été trahis surtout par leurs illusions) pour l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 153 qu'on s'avisât tout à coup que les Bulgares « Tou- frères des Turcs et des Hongrois. Rien n'étaient pas des Slaves, mais d'indignes raniens », de plus vain que cette mythologie des races, aussi capricieuse, aussi décevante que celle des nationalités. (( Avant d'être stigmatisée nation de proie », la comme une Hongrie a passé long- temps pour une nation victime. Depuis 1913 seulement, les sens, les et comme <( des atrocités bulgares anciens » ont changé de persécutés persécuteurs. sont apparus N'échafaudons plus jamais de politique sur ces vanités. Bien hardi qui oserait annoncer l'avenir du slavisme. Les Bulgares en sont rayés pour cause De d'indignité. les Yougo- Slaves suivent des routes incertaines et obscures. les leur côté, les Tchéco-Slovaques, Hs ne sont pas disposés à se faire instruments du système trop simple, vrai- ment naïf, qu'avaient imaginé les auteurs de la paix. Ces peuples se recueillent. Ils situation. Hs sentent, ils examinent la savent que leurs Etats sont fragiles, qu'ils ont quelque chose d'amorphe, 154 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX peut-être de provisoire, et qu'ils se briseraient au premier choc avec une puissance plus forte qu'eux. Leur attitude sera celle d'une neutralité A prudente. d'éviter un l'égard de l'Allemagne, grand soin Même conflit. l'autre colosse, le sympathies de race qui, favorables à soit, dans même le la crainte de contrarier moscovite, sans compter les si elles politique bolchéviste, russe, même la crainte est par donc le le qu'elle faibles, : de masquer sentiment. très douteux que, est capable de s'unir, Mais quelle et surtout dirigée sens d'une alliance avec l'Allemagne double raison alors, pour ces Il agissent, seront si le slavisme son unité soit désirable. slavisme n'est pas uni. Ce n'est pas en Bulgarie, c'est en Pologne que se trouve sa cou- pure la plus visible. Là, le schisme est ancien, profond, la querelle inexpiable, aggravée par la parenté elle-même. Si on l'avait oublié, l'alerte de 1920 est venue rafraîchir trois cents ans d'histoire. La Pologne a retrouvé son indépendance à un moment oii, pour dire toute ne passionnait plus personne. la vérité, Il sa cause y avait d'abord sur son tombeau la pierre de l'alliance franco- l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 155 russe. Et puis, si les Français avaient cessé de ce n'était pas seule- s'intéresser à la Pologne, politique et pour plaire au grand allié. ment par la nationalité souffrante et Depuis 1871, n'était-ce reuse, pas la France.^ Polonais à nous-mêmes un républicain après Strasbourg avait pris traité place la si actif, dans qu'il intervenait siècle, malheu- Soyons nos disait spirituellement », le L'amour de la Pologne, <( de Francfort. de Varsovie. au dix-neuvième les révolutions de notre politique intérieure, était passé à l'état de souvenir littéraire et n'était plus vraiment senti. La Pologne n'était plus d'actualité, ce qui pour conséquence de même temps la chasser des esprits en qu'elle sortait des cœurs. Certaines notions qui étaient autrefois des lieux étaient ignorées, 1920 les comme et, quand les ont remises en honneur, des nouveautés ou Cependant a eu les hommes comme communs événements de elles ont paru des paradoxes. qui avaient réfléchi jadis au problème polonais, qui l'avaient étudié du point de vue politique et dégagé de l'alliage sentimental, n'avaient pas tardé à en découvrir le caractère. celle La persécution de la Pologne n'était pas d'un peuple par un tyran, mais d'une na- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 156 une autre, tionalité par et c'était aussi vrai du partageant russe que du partageant prussien. « Pour la Russie, de sa part de la disait Guizot, la conservation Pologne n'est pas seulement une question de gouvernement, un intérêt de souverain, c'est une passion nationale; est encore plus ardent souffrir que la le peuple russe que l'empereur à ne pas Pologne échappe à l'empire. » On avait vu plus tard, en 1863, avec quelle fureur enthousiaste les Russes avaient réprimé l'insurrection polonaise. « Ce qu'on quement à Paris la et à nomme sympathi- Londres l'indépendance de Pologne, écrivait alors Emile de Girardin, se nomme cou patriotiquement à Pétersbourg et à Mos- démembrement de le la Russie. » Et l'auteur contemporain d'un traité de politique européenne relève encore « l'acharnement âpre et farouche dont le siècles, peuple russe fait preuve, depuis trois contre la malheureuse Pologne. Le tsar voudrait rendre à ce libertés qu'il ne le pays une partie de ses pourrait pas. Il faut, pour plaire à la majorité de ses sujets, qu'il règne par la terreur sur la Vistule i. ^ ». Debidour, Histoire diplountlique de l Europe. l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 157 Entre Polonais a des causes et Russes, l'hostilité anciennes et profondes. Faite de rancunes historiques; elle renaît toujours parce que les griefs sont permanents et parce que l'incompatibilité tient à la nature des par latinisés Russes comme le deux peuples. Les Polonais, apparaissent aux catholicisme, des dissidents du slavisme. Que la différence des religions tienne à des différences premières et originelles ou bien à l'histoire, même. Ce sont deux nations aux est le indistinctes, entre lesquelles nomme quand quand F pour n'y a pas d'accom- domination elles Polonais sont les frontières depuis qu'elles se connaissent. La paix modement se il l'effet ordre « » les conquête, et maîtres de Moscou ou russe règne à Varsovie. Dans l'intervalle, guerres mêlées de trêves. La Pologne à peine rendue à l'indépendance, guerre a recommencé. La comportée comme la Russie tout court. raux du tsar se sont mis à rouge. Guerre de principe guerre politique et russe de vieux style, n'est même la tête de et Les géné- de l'armée propagande, : guerre polono- fatale, si spontanée, qu'il nationale si la Russie bolchéviste s'est pas possible de dire quel a été l'agres- seur. Les Polonais ont marché sur Kiev et cherché 158 CONSÉQUEiNCES POLITIQUES DE LA PAIX comme à atteindre leurs frontières de 1772, rien ne s'était passé depuis 1772. si Les Russes, ayant repris l'offensive, ont marché sur Varsovie comme si un Romanof, et non pas Lénine, était au Kremlin. Le bolchévisme a suivi à son tour fameuse la de continuité nationale, règle des loi révolutions. L'histoire est d'une fatigante mono- tonie. La Pologne a été sauvée à la dernière heure. Livrée à elle-même, elle courait à la décomposition politique, et nous avons vu approcher le ment oii mo- l'armée polonaise succomberait encore par l'anarchie de l'Etat. Le patriotisme ne pas aux peuples, et si la aide, ses hommes, son nul ne sait oii la suffit France n'avait prêté son commandement militaire, défaillance de la Pologne se fût arrêtée. L'image d'une catastrophe a été devant nos yeux. C'est ce qu'on appellera l'alerte de 1920.- Après le s'étaient guerre L'alerte traité écoulés de avant connu sous le Francfort, le quatre ans nouveau danger de nom du mois d'août 1920 d'alerte est de 1875. survenue qua- torze mois après le traité de Versailles. Bref délai, course accélérée des événements et des consé- î l'alerte de 1920 et l'aveiNir des slaves 159 quences. Et cette alerte s'est présentée dans des conditions qui doivent servir d'avertissement pour Tavenir. En 1875, il y avait encore les éléments d'un équilibre européen. de simple L'attitude désapprobation prise par la Russie et par l'Angleterre avait suffi à calmer Bismarck, à lui mon- l'imprudence d'une politique qui exposait trer En l'Allemagne au danger d'une coalition. c'est 1920, autour de la France que l'isolement a été organisé. L'Angleterre et l'Italie désapprouvaient la politique française et déconseillaient la résis- tance. << La grande Entente petite Entente » était ou ligue des neutres dans l'Europe centrale entre la « barrière la seule une et se formait les nationalités pour abandonner la Pologne de et puissance qui soutînt la Pologne. Tchéco- slovaques la » dénoncée Yougo-Slaves, et Roumanie, invoquaient mais c'était elle, l'Allemagne. se la pour favoriser la rapprochant do fraternité Russie Conscients de leur et, slave, avec fragilité,^ ces Etats refusaient d'avance d'affronter les ris- ques d'un conflit avec de plus forts qu'eux. Enfin, partout l'Allemagne était à l'œuvre, suscitant des troubles, se servant de ses relations soit avec les socialistes, soit avec les mécontents de toutes CONSÉQUENTES POLITIQUES DE U PAIX. 11 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 160 sortes, Irlandais ou flamingants. La Belgique même, jusque dans son gouvernement, Pour son compte, divisée. et tenait prête. PAIX LA. Une elle- était agitée l'Allemagne se victoire des Russes eût été le signal d'un soulèvement sur le modèle de 1813. Nos détachements de en garde étaient attaqués. Sur la rive gauche Haute- Silésie du Rhin, des grèves, une excitation méthodique de la popula- inspectée à ce tion, nistre d'Empire : moment un mi- précis par c'étaient les signes d'un plan destiné à paralyser ou à gêner l'action de nos troupes. En Allemagne même, de nisations militaires surgissaient les : nouvelles orga- VOrgesch après gardes d'habitants, la police de sûreté, matdiensl, etc., l'esprit le Ilei- allemand ne se lassant pas d'inventer de nouvelles formes de militarisme, de nouvelles façons de conserver et de dé- guiser une armée. Et l'on voyait aussi, ce qui n'était pas encore arrivé, ces milices s'étendre hors des frontières de l'Empire, dans les pro- vinces autrichiennes, Tyrol et Vorarlberg, sus- ceptibles de se détacher les premières gouvernement de Vienne, en sorte que plie la du pauvre d'ailleurs consentant, réunion, VAnschhiss, se fût accom- non pas en bloc et d'une façon solennelle, l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 161 mais par coups de forces successifs et d'appa- rence spontanés. Le sauvetage de Varsovie a empêché l'exécution de ce vaste plan. l'a suspendu. Tous On doit lire plutôt qu'elle les préparatifs subsistent. Ils pourront servir une autre Nous avons fois. à une répétition générale de mande, interrompue par la des principaux acteurs. Nous Nous sommes la assisté revanche alle- défaillance de l'un sommes renseignés. avertis. L'alerte de 1920 comporte en effet plusieurs leçons. Elle est le premier effet sensible vais agencement de la paix. du mau- Les critiques théo- riques et raisonnées qui, dès l'origine, ont été adressées au traité de Versailles se trouvent vérifiées par l'expérience. Cette paix ne se soutient pas par elle-même. Elle ne peut être défendue qu'au prix d'efforts militaires sans cesse renouvelés, et elle reste à la merci de tout événement, également militaire, survenu aux points les plus fragiles de la construction. Et d'abord, ce qui devait être, le traité de Ver- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 162 sailles a noué On Russie. moment l'alliance de n'a plus l'Allemagne et de la droit de s'y tromper. le Du qu'entre l'Allemagne et la Russie, aux dépens de l'une une Pologne, la de l'autre, on reconstituait et communauté des intérêts et des sentiments s'établissait. Allemands s'aiment pas, mais ils plémentaires. ont Ils et Russes ne sont pour ainsi dire com- de besoin se toucher, d'échanger des produits, des idées, des hommes, et ils ne peuvent se joindre que par-dessus corps de l'Etat polonais. Ils complices pour se garantir leur les uns aux autres morceau de Pologne que pour la détruire et de nouveau. L'Allemagne, après sa la partager défaite, le sont encore moins devait désirer naturellement l'alliance de la Russie. Ce n'aurait pas été une raison suffisante pour qu'elle fût certaine de l'obtenir. La Pologne semble avoir été inventée pour hâter le rapprochement. L'alliance de l'Allemagne et de la Russie par la Pologne : c'était encore un lieu notre ancienne politique, commun un principe qui plus besoin d'être démontré. Il subsiste. de n'avail Il n'y a jamais eu tant de raisons de s'en souvenir. Le traité de Versailles a rendu à la Pologne son l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 163 indépendance comme en cire atteinte part, si l'Allemagne seule devait et blessée, comme Russie était résignée et consentante et la devait se réjouir d'avoir fait On justice. pour sa si, se figure aussi un sacrifice mesure du possible, suivraient, dans la à la que des frontières qui les limites ethnographiques, avec des concessions mutuelles et des compensations sibles, auraient durable entre la le dans les régions résultat d'assurer Pologne et la Russie. indivi- une paix En admet- tant la possibilité d'un partage équitable et qui contente les deux nations, la il faudrait encore que Pologne cessât de gêner, d'offusquer, la Russie ment de quand par le seul fait qu'elle existe. fixer les frontières de la celles de l'ouest, en d'irriter Au mo- Pologne à Silésie, l'est, sont encore imprécises, on pense gagner le sentiment national russe par la modération et par la douceur. peut l'essayer. Mais tèle la Pologne, si si, on On du même coup, on démanlui enlève ses bastions, si l'on excite chez les Russes la tentation de l'en- vahir une autre Ce n'est pas si fois.»^ Redoutables perplexités. simple qu'on voudrait le croire. L'alliance germano-russe par la Pologne a des racines tellement fortes qu'il y a très peu de CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 164 chances pour que de simples arrangements de Un homme carte réussissent à l'empêcher. sentait — et des nerfs. Il peu de — y cette intuition des entrailles a, dans notre littérature Il poli- qu'une centaine livres plus ignorés de pages écrites par Michelet pendant de 1870. qui charnellement l'histoire a eu un jour, et quel jour! tique, la y en a peu de plus fiévreux guerre la et de plus fulgurants. Le célèbre halluciné, dans sa douleur, dans sa colère, dans sa déception (car avait il aimé l'Allemagne), a eu sur l'avenir des vues d'une justesse étonnante. ples dont il Il semble que avait écrit l'histoire aient devant ses yeux. Il magnétiseuse. comme une hésitait, qu'il les tremblait, il accouchât enfin de Celle Comme dans il Et (( voyait )>, les peu- marché comme une sibylle aussi, il se reprenait jusqu'à ce la prophétie. de Michelet contredit celle de Renan. le rationaliste, le l'avenir portant en elle une voyant a bien aperyu Russie on ne errante, guerrière, de monstrueux sait quoi hérité de l'Asie. Et Michelet annonçait à son tour que cette immense Russie, peuple instable gabond, se déplacerait encore vers ce pour écraser l'Allemagne, et va- l'ouest. Serait- pour venger la l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 165 Cet France? Michelet ne distinguait pas bien. avenir était obscur. Il l'épelait en haletant. Et, tout à coup, le trépied s'agitait, le voile se dé- hommes Le devin interpellait des chirait. in- connus, innommés, ceux qui ont rédigé la paix de Versailles, sans doute, et leur adressait des il Ah! comment vous y prenezparoles étranges vous pour vous aveugler vous-mêmes.^ Ne pas voir : ce que vous voyez Comment terrible, de la Mariage par Ignorer ce que vous savez .î^... la banquet où deux les traités Pologne : « communion, la Russie. « Elle main encore plus, du d'être une I. Avec où, servie, .^ Mais » un pour Cette en aura besoin des'éveillera, rêve, de son ivresse actuelle, oii l'idée lui a fait oublier. Mais, pour être une, oià elle voudra son petit être, Prusse, lui montrera la Russie ^. » La France devant l'Europe, par Jules Michelet celte » Prusse a la quand l'Allemagne faut être. Le jour la sont inutiles! on but un verre de son sang. sortira est si C'est la Prusse, Pologne fut la eu besoin de tyran, Il .^^ qui proposa au dernier siècle la rompra-t-elle il mariage profond, le Prusse avec la Russie Etat demi-slave, dessert, .^ avez-vous oublié fort qu'entre elles le « épigraphe : « Les juges seront jugés ». (1871). CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 166 Mettez la prophétie de Michelet sur même de ce que vous voudrez, l'épilepsie. Elle est là. Elle a avons vu le compte de pour notre sur Pologne la : les les traités rassemble. Nous Allemands compter les compte l'air faite temps. Entre l'Allemagne et la Russie, sont superflus le les jours jus- qu'à la prise de Varsovie et se tenir prêts à prode l'écrasement de la Pologne. Pas d'al- fiter plus liance naturelle. jours spontanément, et aussi décisives Nous serions Elle se reformera tou- y a peu d'expériences il dans toute l'histoire impardonnables politique. d'oublier cette leçon. La Pologne a été sauvée à la onzième heure. L'extrême danger qu'elle a couru montre qu'elle est mal avec articulée montre aussi que Europe. nouvelle la Il la solidité intérieure de l'Etat polonais est des plus douleuses. Sa capacité de résistance à la double s'exercera encore sur pression lui dans latérale les qui temps pro- chains sera évidemment médiocre. La Pologne comme une protection magne, comme un Etat-tampon conçue et l'Allemagne, n'a pas les fallu pour tenir ce rôle. contre entre la Russie moyens Au lieu l'Alle- qu'il lui aurait de nous servir l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 167 de point d'appui, il faudra l'aider à se défendre. pour nous une charge. C'est un grave Elle sera sujet de préoccupation pour l'avenir. Quelle est la plus grande faiblesse de la Pologne.!^ C'est qu'elle n'a pas d'Etat. La question de ses frontières vient au second rang. Dans toute cette partie de l'Europe, aucun pays ne peut avoir de bonnes frontières. Les frontières naturelles, elles sujettes à caution partout, même là oiî semblent à première vue inscrites sur le sont inexistantes à travers les vastes plaines sol, de l'Europe orientale. Les frontières ethnogra- phiques sont mouvantes toujours contestées et en raison du mélange et du conflit des races, des langues et des religions. Quant aux frontières stratégiques, elles sont illusoires s'il n'y a pas, derrière les bastions et les lignes de défense, une force organisée. Depuis l'époque moderne, toutes engagées entre les luttes les peuples qui voisinent sur ces Marches se sont terminées de la manière tral et « : même ceux qui possédaient un pouvoir cen- vigoureux mangeaient peu à peu rassemblaient la terre ». Ainsi, les autres et grâce cette supériorité, l'Etat prussien et l'Etat vite étaient venus à bout de la à mosco- Pologne qui n'avait CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 168 un solide gouver- jamais su constituer chez elle nement. Ainsi encore Habsbourg, bien assis les dans leurs provinces héréditaires, avaient cousu peu à peu à leur Empire des morceaux disparates et non germaniques échappés à l'impuis- sance des peuples qui bordaient. le Une des plus précieuses remarques dont toire ait fait cadeau à contemporaine l'a l'his- la politique, et la politique totalement négligée, est cer- tainement due à M. Ernest Lavisse. Après avoir raconté l'ascension des Hohenzollern et de l'Etat prussien, M. Lavisse note dans ses Etudes sur l'histoire de Prusse dans : « Seules ont été grandes temps modernes les au moyen âge des dynasties consacrées hême, la ont eu les nations qui : la Bo- Pologne, la Hongrie ont perdu leur indé- pendance pour tion d'un s'être fiées aux hasards de l'élec- roi. » La cause essentielle de la faiblesse des natio- nalités rendues aujourd'hui à l'indépendance se trouve donc dans leurs origines mêmes. L'inégalité à laquelle la Pologne avait succombé au dix- huitième siècle subsiste. que la Il semble à beaucoup Pologne, Lazare des nationalités, reparte du même point que l'Allemagne et la Russie l'alerte de 1920 et l'avenir des slaves 169 après leurs révolutions et qu'elle soit à égalité nouvelle. Grave erreur. Quelques ravages que la révolution ait ils pu exercer dans ces deux Empires, n'en gardent pas moins l'héritage matériel et les traditions qu'ont légués à l'un les rois de Prusse, à l'autre les tsars de Moscou. Les diri- geants de République des Soviets eux-mêmes, la quelles que soient les destructions qu'ils aient commencé par commettre, se sont trouvés une situation plus favorable que de la République polonaise. les vestiges Ils les avaient au moins de l'organisation, de la bureaucratie, La Pologne de la police et de l'armée tsaristes. est devant dans dirigeants le vide. Elle a tout à créer, jusqu'aux organes rudimentaires d'une administration. En fait de personnel expérimenté, guère que les Galiciens elle ne possède qui participaient au gou- vernement de Vienne. Encore ces bureaucrates ont-ils leur système auquel ne sont pas pliées celles des populations polonaises qui étaient na- guère incorporées à la Prusse et à la Russie. Quand ils rience d'administrateurs (l'adroit Bilinski s'est n'appliquent pas au néant leur expé- essayé mais sans succès aux finances), ces fonctionnaires se heurtent à la résistance des habi- 170 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX sont étrangers à la masse tudes et des mœurs. Ils du pays même et ils n'ont vernement dont recte. la pas l'appui d'un gou- ne sont pas l'émanation di- ils Le seul élément qui soit capable d'organiser Pologne, celui qui vient d'Autriche, ne pos- sède pas les conditions qui lui seraient nécessaires pour rendre service et pour réussir. Le seul élément qui ait une conception de l'Etat et le sens de la politique, celui qui vient de Pos- nanie, est une minorité incomprise. Et l'on ne fonde pas un Etat uniquement avec du patriotisme et de la bonne volonté. Pour ressusciter une Pologne, pour avec l'Europe, pour la l'articuler mettre à égalité avec la Russie et avec l'Allemagne, en un mot pour la rendre viable, lution il c'était : n'y avait sans doute qu'une so- que Pologne héritât de l'orga- la nisation dont le centre était à Vienne et qu'elle à s'intégrât l'Empire autrichien délibérément reporté des Balkans et de l'Adriatique vers l'Eu- rope de l'est. forme aux lois Cette combinaison eût été con- de la mécanique politique et, par consétpient, naturelle. L'artificiel, c'est le décret qui rend à un peuple l'indépendance sans lui donner les moyens de la garder et qui le met de l'alerte de 1920 et l'avexMr des slaves 171 prime abord en état d'infériorité à l'égard de ses ennemis-nés. L'Autriche ayant été détruite, cette possibilité échappait. La Pologne a été restaurée au hasard. C'est un enfant mineur chargé de dans la vie. On une Pologne morte autrefois de lité se conduire seul n'a pas songé un instant qu'à de ses institutions, mauvaise qua- la n'était pas il donné des Une République de Po- institutions meilleures. A logne succède à la République de Pologne. aucun point de vue, semer la n'était raisonnable il démocratie parmi de peuples libérés de les l'Europe centrale et orientale. Les résultats peu- vent être rapidement funestes. la En ce qui concerne Pologne, la France se trouve, pour sa part, associée et engagée avec un pays inorganique en état d'anarchie latente. Par là encore, logne, conçue comme une auxiliaire, la est et Podéjà redevenue ce qu'était pour nous l'ancienne République de Pologne Une : un souci quotidien. célèbre instruction de Choiseul au sujet des affaires suédoises, avant l'autorité de Gustave France, disait fortement Suède, tel qu'il y le avec III : « rétablissement de le concours de la Le gouvernement en est établi, est une véritable CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 172 anarchie dont le gouvernail est tantôt entre les mains d'une faction la cabale opposée. et mains de et tantôt entre les Le choc continuel de passions d'intrigues entre deux partis qui cherchent continuellement à se culbuter et à s'anéantir ré- ciproquement ne peut être que funeste à ce royaume et rendre son alliance inutile ou dangereuse aux autres puissances. que très sérieux » même C'est unrjs^- que nous soyons amenés à en dire autant de J' alliance polonaise. La Pologne organisera son Etat et elle sortira de l'anarchie ou bien nous devrons l'aider tous les dix-huit mois à gagner une bataille de Varsovie sera pour nous un poids à ne succombe comme jadis. traîner. elle A moins avait déjà et elle qu'elle succombé APPENDICE AU CHAPITRE VII L'ALLEMAGNE ET LA POLOGNE Un anonyme, en qui nous croyons écrivain re- connaître un célèbre historien polonais, a publié dans la dont les revue Pologne de la document de conclu- et : Le partage de et vague de et regardé très 1920, une étude grandes lignes méritent d'être recueillies à cette place à titre de sion juillet la Pologne n'est pas un but éloigné la politique allemande. comme pouvant rapproché. Il être réalisé En observant la est bien défini dans un temps politique allemande événements en Europe Orientale, on peut se rendre exactement compte du plan allemand. D'après ce plan, la politique allemande doit procéder par et les trois étapes : i" le rétablissement des anciennes fron- tières à l'est; 2° l'établissement mande dans de l'ouest européen. el l'est d'une hégémonie l'hégémonie allemande sur • . alle- de l'Europe; 3° la revanche du côté le Continent CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX 174 L'exécution de ce le programme est conditionnée par rétablissement de la Prusse dans ses anciennes fron- tières, ce qui implique un nouveau partage de logne... La réussite contre d'un partage de mêmes, principe proclamé par et accepté vite vants — 1° : Pologne si hautement à et Versailles pourraient en tirer en Europe ils se base sur les trois ordres le — malgré Allemands, qui ont compris bien les quels profits orientale, la Po- des nationalités à disposer d'elles- droits les la de faits sui- rétablissement d'une situation politique qui, au dix-huitième siècle, a abouti aux partages de Pologne et a maintenu une Pologn divisée au dixneuvième siècle; 2° la situation intérieure de la Po- la logne et les tendances de la politique polonaise, et 3° la neutralité des puissances occidentales telle qu'elle a existé telle pendant les partages au dix-huitième siècle et qu'elle a persisté devant les partages accomplis dix-neuvième siècle. La politique de Frédéric le Grand et de ses successeurs a été couronnée d'un succès éclatant parce qu'elle a réussi à gagner la Russie et l'Autriche et a,u ambitions de Catherine parce qu'elle a su éluder les opposée au partage de Pologne, parce que désireuse la de l'annexer tout entière Marie-Thérèse, violés et les et d'apaiser les la scrupules de céda eu pleurant sur les droits Pologne outragée. Les politique du grand roi jouent le malheurs de successeurs de même qui II la voudraient rétablir un cercle de convoitises autoui- du nouvel Etat polonais; ils voudraient être de nouveau à trois pour exécuter la Pologne. jeu; ils l'Allemagne et la Pologne 175 ont déjà gagné les bolcheviks qui sont devenus champions de l'idée de la réunion de « la terre russe » qui a été la grande idée de Pierre le Grand et Ils les de tous ses successeurs. Ils affichent sur leurs dra- peaux les mêmes principes humanitaires que les armées des tsars. S.uwarow a massacré les habitants du faubourg de Varsovie, Prag, pour prendre la défense « des protestants opprimés » par la Pologne catholique; les armées rouges de Braunstein-Trotzky massacrent les populations polonaises pour délivrer le prolétariat de « l'qj^pression de la bourgeoisie polonaise, réactionnaire changé, mais pas impérialiste et Les ». mots ont fond. le L'Autriche-Hongrie n'existe pas, mais allemande considère que les la politique facteurs politiques, éco- nomiques et géographiques qui ont formé l'Empire Habsbourg n'ont pas disparu et qu'il existe un ensemble d'intérêts qui, sous une forme ou sous une des autre, ressusciteront l'ancien Empii'c. Ils se souvien- nent bien qu'il fut un temps où occupé la le trône royal de Bohême possibilité de la reconstruction Tchéco-Slovaq.ues. les Ils les empereurs ont et ils comptent sur de l'Autriche par espèrent que l'aliance qui a uni au dix-huitième siècle de Prusse aux empe- le roi reurs do toutes les Russies et aux empereurs de Vienne l)Ourra bien renaître au vingtième siècle entre trois républiques, qui jettes que aux mêmes les De — pense-t-on à Berlin lois — sont su- historiques et géographiques anciennes monarchies. cette conception générale se déduisent conclusions pratiques suivantes : les i° la nécessité CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. 12 deux d'une CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 176 entente avec PAIX LA. gouvernement bolchéviste, le action tendant à aggraver et 2" une polono- tchèque au le conflit sujet de Teschen. En ce Pologne, fiter qui concerne la situation intérieure de la le plan allemand est bien simple. de toutes organisateurs d'un Etat nouveau ques, sociales et économiques. lutte des partis, encourager la Il faut pro- qui se posent devant les les difficultés difficultés : faut 11 politi- envenimer la faut soutenir la hausse des prix, il lutte des classes et organiser la lutte des nationalités contre l'Etat polonais. Les juifs, les Lituaniens, les Ruthènes, les Allemands, voilà autant d'éléments propices pour une activité de allemande. Maintenant que gande allemande ont été les propagande la mystères de dévoilés en France, de s'imaginer ce que peuvent faire facile la les propail est agents allemands dans im pays qui possède une administra- une situation économique La Pologne fourmille d'agents allemands qui ont une influence réelle et trop peu appréciée sur l'état intérieur de ce pays. Et inexpérimentée tion et extrêmement compliquée. enfin, bien il faut dire, le la politique allemande espère pouvoir jouer sur les erreurs traditionnelles de la politique polonaise; elle Pologne dans façon qu'elle les affaires ait les espère pouvoir engager la ukraniennes mains liées occidentale; elle espère enfin que nais rompra l'équilibre qui, le et russes dans la de telle politique romantisme polo- dans une politique ra- moyens dont on dis- tionnelle, doit subsister entre les les buis qu'on se propose. La politique allemande escompte pose et aussi la ncutralilé ! 177 l'aLLEMAGNE et la l'OLOGiNE des Alliés, résultant de divergences de vue sur l'application du traité de Versailles. Pou gagner une neutra- bienveillante des Alliés, les Allemands agitent le lité spectre du bolchévisme par vainqueurs les mique et tâchent de faire admettre principe de la solidarité écono- le de toutes les nations européennes. La politique allemande fait tout son possible pour démontrer que l'Allemagne seule est capable de sauver l'Europe du bolchévisme russe; ils soutiennent donc en secret le gouvernement de Moscou et l'armée rouge contre les Polonais pour prouver par les faits que la Pologne est incapable de tenir tète aux soldats de Trotzky. D'autre part, ils démontrent qu'il faut donner à l'Allemagne la possibilité de développer son industrie et son agriculture pour vaincre le danger bolchéviste intérieur. Ils demandent donc les condi- tions nécessaires à la reconstitution de leur vie écono- mique — et l'allégement des charges imposées par les réparations, et le charbon de la Haute- Silésie. La propagande allemande monde est très habile à lancer dans le des formules qui servent ses intérêts. Pendant une paix sans annexion ni indemmaintenant c'est « une Allemagne organisatrice de l'Est » et « la collaboration économique des vainqueurs et des vaincus ». Nous savons qu'un groupe important en Angleterre, dont M. Keynes est la guerre, c'était « nités », le porte-parole, a déjà été le programme allemand; complètement acquis par si ces idées devaient être acceptées par la diplomatie alliée, l'Allemagne serait rétablie dans sa situation d'avant-guerre... Les diplomates de la Wilhelmstrasse ont à présent 178 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE PAIX LA. une politique polonaise nette et bien définie, comme ils ont eu seuls une politique polonaise pendant la gueiTe, parce qu'ils considèrent le problème polonais comme étant le plus important pour l'avenir de l'Allemagne. Mais pour le résoudre sur la base des considérations ci-dessus indiquées, il faut que la Pologne subisse un désastre militaire. C'est à quoi travaillé la politique allemande depuis des mois. Quiconque a événements a pu consune préparation de l'offen- a bien observé les tater les faits suivants : i° Pologne; 2" des sive des armées bolchévistes contre pour présenter les Polonais la efforts comme seurs et devant impérialistes des péenne; 3° des tentatives pour empêcher procurer armes se 4° des tentatives pour acheter en et les Amérique du matériel de chemin de produits nécessaires pour la les euro- Polonais munitions nécessaires; Angleterre et en de les des agres- l'opinion fer et d'autres conduite de la guerre 5° des tentaPologne (mission Krassine); un moufomenter échouées, pour tives, heureusement l'apparence Pologne sons en révolutionnaire vement de grèves économiques et pour commencer une action contre la pacifiste. allemands On : voit bien que après avoir tout les procédés classiques fait pour discréditer la victime et après avoir feint d'être attaqué, déclencher une offensive avec un but bien défini. Les Allemands se garderont d'inlervenir militairement eux-mêmes; mais ils ont pour celle action un élément tout prêt, le gouvcrn(>menl arlucl de la Li- tuanie. ...Il suffit de regarder une carte de l'Europe oricn- l' ALLEMAGNE ET LA POLOGNE 179 pour voir que stratégiquement la Lituanie ethnographique joue par rapport à la Pologne le même rôle que l'Irlande par rapport à la Grande-Bretagne, et que de là peut, dans un moment opportun, partir taie un coup décisif contre les voies de communication de l'armée polonaise. L'expérience séculaire a appris aux Polonais que celui qui tient libre vers le centre même La Pologne envahie par c'est la magne la plus siècle et Wilno a la route Pologne. la hordes bolchévistes, les Prusse restaurée, c'est la position de l'Alle- à l'est reconquise, c'est la première étape, et difficile, sur le chemin de Voilà un document à d'hui. Lwôw de II faudrait aura passé. lire et pouvoir le la revanche. à méditer aujourrelire quand un CHAPITRE VIII L'IMBROGLIO ADRIATIQUE Des Italiens intelligents, nationalistes pour leur pays, nous ont dit bien des fois qu'ils compre- naient à merveille que l'ancienne politique française dont Thiers a été le dernier représentant, fût opposée à l'unité italienne : on ne doit pas travailler à établir auprès de soi de grandes puis- sances. Mais, en 1914, l'unité italienne était fait accompli celle et il un n'y avait qu'une chose à tenter, que M. Delcassé avait préparée dès 1902 : obtenir la neutralité de l'Italie au cas d'une guerre franco-allemande. La neutralité étant un état incertain, dans il était la lutte du encore mieux que même l'Italie entrât côté que nous, et que la rupture avec ses alliés d'autrefois fût consommée. C'est ce qui s'est produit, grâce à un concours heureux de circonstances, grâce au patriotisme CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 182 dans italien qui, d'achever l' intervention, avait programme le national : Les conditions que s'en souvenir. vu le moyen on aurait dû l'Italie avait mises à sa nouvelle alliance, conditions qui sont dans inscrites clairement c'était : de Londres, parlent assez le traité l'Adriatique avant tout. Son adversaire qu'elle voulait direct, ce n'était pas l'Empire allemand, c'était l'Empire austro-hongrois. Là s'est trouvé principe des difficultés le futures. Mais la vérité est que l'Etat italien, depuis qu'il existe, s'adapte avec peine à un système de politique européenne, quel qu'il soit. compromis au cette adaptation La paix a lieu de la faci- liter. L'unité italienne, au dix-neuvième siècle, avait marché du même pas que là, chez le plus grand qu'il subsiste l'Allemagne que nombre des une solidarité et leur l'Italie serait pays. I. Italiens, l'idée une relation entre fallait donc prévoir ^, et qu'on lui représen- sans doute vainement qu'elle ne gagne- rait rien si le germanisme avec lequel Nous renvoyons l'Italie, et Il De opposée à tout ce qui tendrait à dissocier l'Allemagne terait l'unité allemande. elle serait là-dcssiis à notre livre la Guerre et publié en 1916. 183 l'imbroglio ADRIATIQUE en contact le contre lequel elle aurait à défendre et Brenner, Trieste forme prussienne au l'Adriatique et lieu de la prenait la forme autrichienne. L'Italie n'a pas eu lieu d'intercéder pour l'unité allemande, qui n'a pas été mise en question à Conférence de Paris. Mais s'est passé il chose qui défie toute espèce de raison n'a laissé que malaise et rancune à que la quelque la : l'Italie paix après guerre avait été prolongée de deux années pour ne pas manquer de parole à Si les ils la hommes l'Italie. d'Etat italiens, au moment oii prenaient leurs précautions par écrit avant d'intervenir, n'admettaient pas l'idée d'une dis- sociation de l'Allemagne, tant pas davantage au ils ne pensaient pour- démembrement de triche. Peut-être les plus avisés d'entre tenaient-ils pas. En tout cas, eux n'y au mois d'avril 1919, nous nous sommes tion suivante guerre avait été conduite si la : la l'Au- trouvés devant la situa- comme destruction de l'Empire austro-hongrois eût été le résultat principal que proposé d'atteindre; toutes la coalition se fût les opérations diplo- d'Espagne ou par la cour de Vienne elle-même en vue de disloquer la matiques suggérées par le roi coalition adverse, avaient été repoussées en 1917 184 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX SOUS le prétexte qu'une paix séparée avec l' Au- triche-Hongrie était rendue impossible par les engagements du traité de Londres. Or, les Alliés qui avaient laissé tomber la conversation offerte par le traité prince Sixte, en se retranchant derrière le mêmes à de Londres, les l'Italie Alliés refusaient bénéfice de ce traité à l'heure le où. ils étaient les maîtres absolus de la situation. C'est pour en arriver manœuvre liances là que l'opportune autrichienne, la et légitime dislocation des al- ennemies, pour laquelle Alphonse XIII avait proposé ses bons offices, avait été repousséeJ Prodigieux scandale pour Il était la raison. dangereux de décevoir un peuple émotif et politique à la fois comme le peuple italien. L'effet a été rapide et profond. La déception a retourné les esprits. Elle a troublé toute la vie italienne. Et elle a ramené au pouvoir, au milieu des acclamations, l'homme qui que ne l'Italie la payerait pas. litti, et Ce qu'il faut voir en M. Gio- ce n'est pas le neutraliste, le gibelin. C'est l'homme pays avait été d'avis avait tort d'intervenir et que la guerre d'Etat réaliste qui est apparu dans son comme un de doctrine, sauveur. Dépourvu de sentiment il dirigea l'Italie dans le sens du 185 l'imbroglio ADRIATIQUE moindre risque et du moindre mal. Ainsi l'inter- vention n'aurait été qu'une parenthèse ouverte fermée aux noces d'or de l'unité italienne. et Tout serait à ment et recommencer. faut savoir Il com- pourquoi. * * L'Autriche, qui n'était pas une nation mais un Etat, qu'on pouvait rogner, modeler, déplacer selon les besoins de l'heure, cette triche n'est plus. surgi. A Et quand on des nations ont sa place, taille dans nation, elle crie, elle résiste. commode Au- la chair d'une L'Italie, autrefois, avait été affranchie et unie au nom du principe des nationalités. Voilà qu'une nationalité nouvelle paraissait, la yougo-slave, et c'est sur elle, à ses. dépens, que l'Italie revendiquait des pro- vinces et l'Adriatique. Ce qu'on pouvait enlever sans souffrance à l'Empire des Habsbourg, com- ment le prendre au peuple des Serbes, des Croates et des Slovènes.^ L'Italie avait la pu se réjouir de chute de ses vieux ennemis les Habsbourg. Elle avait libre pu être indifférente à l'élément d'équi- que l'Europe perdait avec eux. Elle n'y CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 186 gagnait qu'une concurrente d'une espèce nouvelle, bien plus dangereuse: une jeune nationalité, telle qu'elle-même avait été soixante ans plus tôt lorsqu'elle était l'enfant de prédilection de Napoléon III, qui a été le Wilson de son temps. Nationalité d'abord, l'Italie est devenue à son tour un Etat. Selon la doctrine romanesque que la Conférence a constamment appliquée, une na- tionalité a tous les droits. Un Etat n'en a aucun. C'est ainsi que l'Italie a été maltraitée et que la nationalité yougo-slave, parce qu'elle était nouvelle, a eu la préférence. Grand trouble, violente indignation dans l'esprit des Italiens qui n'ont pas compris le raisonnement d'après lequel Croates, qu'ils avaient combattus sous le des Habsbourg, devaient être considérés les drapeau comme des alliés depuis qu'ils s'étaient fondus avec les un Serbes, fondus jusqu'à meurant. Il ment du monde, que est certain point, au de- est résulté de là, le plus naturelle- la question de l'Adriatique devenue à peu près insoluble, ou qu'elle ne pourra recevoir que des solutions incomplètes, provisoires, aussi peu satisfaisantes partie que pour l'autre. De i>our une là encore, entre les deux riverains de l'Adriatique, une hostilité per- 187 l'imbroglio ADRIATIQUE manente, principe de futures flits. Ils s'y sont mis, peut-être Plus d'un an après que M. M. Sonnino avaient rompu avec prême pour du et Conseil su- le se résigner ensuite et un peu Orlando pour tomber pouvoir enfin, la presse italienne a fini par donner cette image dans laquelle fort exacte l'Italie rition de l'Autriche En ment cette de la situation a été placée par la dispa- : nous concerne, la Yougo-Slavie est purel'héritière de l'Autriche avec simplement et circonstance aggravante que l' Autriche-Hongrie, ce qui grand Etat et de con- Les Italiens ont été longs à découvrir la cause du mal. tard. difficultés et dualiste, contenant plusieurs nationalités ayant quatre frontières, suivait nécessairement une politique assez compliquée, où l'opposition à l'Italie ne représentait qu'un seul élément, non le plus important, et qui se trouvait d'ailleurs largement contrebalancée par d'autres en notre faveur. C'est précisé- ment pour cela que l'Etat autrichien, nonobstant les pressions exercées sur lui par des groupes politiques influents et les conseils des chefs militaires, s'était toujours abstenu de se brouiller avec nous. Mais la Yougo-Slavie, au contraire, considère son principal ennemi; elle l'Italie possède du côté de sa frontière la plus étendue et la plus ainsi c'est comme l'Italie importante, que ses plus grands points de froissement; et contre nous qu'elle concentre la plus grande CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 188 somme de passion nationale, réunissant, par l'aver- sion envers les l'Italie, et par le programme anti-italien, graves divergences des trois peuples qui sent la compo- ^, Est-ce tout? Ce serait trop simple. Qu'est-ce que trop beau. Ce serait yougo- la nationalité slave? Pour les Italiens, c'est l'héritière de l'Autriche abhorrée. ritière Pour les autres alliés, c'est l'hé- de l'héroïque Serbie, l'amie de la pre- mière heure, d'autant plus chère qu'elle a coûté plus de sacrifices. Les Italiens voient choyer leur ennemie naturelle : on ne s'entend plus. Alors l'idée d'un monstrueux complot hante leur prit es- : La Yougo-Slavie figure dans les conseils de l'Entente non comme une vaincue, mais comme une alliée sur le même pied que l'Italie, et qui doit même, à cause des litres vrais ou faux de la Serbie, être préférée à l'Italie. Et dans le jeu des forces internalionales, la Yougo-Slavie remplace l'Aulrichc, avec cette différence que l'empire habsbourgeois faisait partie d'une constellation politique fermée, et même opposée à celle de la France Yougo-Slavie groupe que I. se ces et de l'Angleterre, tandis que la trouve aujourd'hui dans dernières. Résultat Luigi Salvalorelli, Stampa du : le l'Italie 21 juillet 1920. même a, sur 189 l'imbroglio ADRIATIQUE deux frontières et dans deux mers, non plus des ennemis appartenant à des groupes opposés et qui par conséquent se neutralisaient mutuellement, mais des ennemis alliés entre eux ^. Des ennemis, partout des ennemis. Tel est l'état d'esprit que la paix a créé chez les Italiens. Et ces citations pourraient être multipliées. Quatre jours après l'article de la Stampa, toujours Giolitti et des proche de M. le pensées de M. si Giolitti, chroniqueur bien connu qui signe Rastignac analysait dans la Tribuna une note de griefs et de reproches, adressée suprême, oii M. Tittoni se plaignait que l'Italie fût traité présentant de l'être celui 1919 au Conseil le 7 juillet d'un Etat ennemi comme et vaincu de rendre compte d'agissements criminels I. Extrait du même arliclo. Pour connaître et pour comprendre « le re- pourrait sommé - ». Ces de vue passage du même document « Quant au traite de Londres de 191 5, il s'agit... d'un traité en bonne et due forme. Aucune espèce de justification ne pourrait légitimer l'afTirmation que ce traité est par endroits périmé ou sur le point de l'être. Si des conditions de fait existant en 1913 ont subi des changements, il est facile d'en tenir compte. Mais il y a loin de là à vouloir altérer l'esprit du traité jusqu'à priver un seul des contractants des fruits de la victoire remportée en commun. » En d'autres termes, l'Italie estime qu'elle a été •2. italien, il : trompée le point n'est pas inutile de citer encore ce et volée. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 190 paroles amères et graves de l'ancien ministre des étrangères, Affaires développait, les amplifiait, et extrême conclusion : journaliste célèbre le il les arrivait à cette « Il n'est peut-être pas illo- gique de déduire que les Alliés souhaitaient que deux puissances, l'Allemagne sent vaincues et abattues de ment pour eux que l'Adriatique amère On que Tel est Ce n'est pas seule- d'esprit des Italiens. l'état sortis- et l'Italie, la guerre. » sera encore (( très ». parlait autrefois ». Tous celui-là les équilibres comme « l'équilibre de adriati- ont été niés par la paix, les autres. Et nous avons un im- broglio adriatique qui n'eût pas existé si l'Au- triche avait survécu, qu'il n'eût été possible de prévenir, l'Autriche une fois les démembrée, que Yougo-Slaves avaient été franchement aux Italiens, par le fait et restent mais qui que tous s'est développé les intéressés se et si sacrifiés aggravé jugent lésés mécontents. Nous n'avons même pas choisi! Il y a eu un temps où le ministre français qui avait préparé l'entente franco- italienne était ac- cusé d'avoir débauché grief à l'Italie et Guillaume IL Cette fois fourni par là un nous n'avons pas 191 l'imbroglio ADRIATIQUE débauché l'Italie. ment que Pourquoi? Pour rien. Du mo- engagements de 1915 étaient dé- les pouvait valoir la peine de se fâcher avec chirés, il l'Italie si méconnaissait elle équilibre de l'Europe. Il conditions d'un les pouvait valoir la peine de négliger ses protestations si c'était pour créer un ordre continental qui nous eût permis de nous passer d'elle et de rendre impuissante son hostic'eût été beau, que Nous ne dirons pas que lité. c'eût été noble. Ce n'eût pas été plus immoral que reniement des signatures données le et, du moins, c'eût été rationnel. D'ailleurs, un Empire austro-hongrois subsistant, il eût été possible de trouver des combinaisons qui eussent procuré à l'Italie ticité, encore plus qu'elle n'a reçu. Avec sa plas- une Autriche reportée vers Pologne, vers Dantzig la tion, eût re- à Fiume, comme les italienne a été le : cette solu- avait été esquissée pourparlers secrets de pour et renoncé autrefois à Venise naturelle, si nord-est, vers et la Baltique, noncé sans douleur à Trieste elle avait le 1917. pendant Mais l'amitié compromise sans contre-partie et néant. Aujourd'hui malades. Ils les nerfs du peuple italien sont n'ont pas résisté aux efforts de la CO.NSIÎQUENCLS POLITIQUES DE LA PAIX. 13 192 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX guerre suivis des désillusions de la paix. Ce serait une erreur de croire qu'ils sont brisés pour tou- jours. L'Italie se remettra sans doute du grand trouble moral, social et politique dont elle souffre en ce moment-ci. Alors elle s'apercevra qu'elle compte 40 millions d'habitants et que les Alliés ont eu tort de la rendre plus forte, puisque c'était pour ne pas dait, lui donner tout ce qu'elle deman- pour avantager ses concurrents directs Grèce, Yougo-Slavie), la dans une situation pour la (la mettre enfin conduite à telle qu'elle sera rechercher les éléments de sa propre politique conformément à et ses aspirations et à ses intérêts, sans avoir égard aux amitiés d'un temps. Et elle dira toujours mencé que ce n'est pas elle qui a com- les infidélités. L'Italie est entrée dans une période de recueil- de repliement sur elle-même, lement, oii elle n'entreprendra aucune grande action au dehors, oij s'appliquera à rester en contact avec ses elle alliés de la guerre. Cependant comptes et elle elle établira ses mesurera ses risques. Ses con- quêtes, qu'elle a trouvées inférieures à ses espé- rances, il faudra les conserver. Elle cherchera des assurances. Pour garder le Brenner et Trieste l'imbroglio ADRIATIQUE 193 contre l'éternelle descente des Germains, elle son- gera à la méthode par laquelle l'Autriche, guerre avec la de l'Autriche. alliée était elle gardait autre- elle Pour ne pas avoir fois la Vénétie. situation semblable et seulement plus Une complexe suggère déjà l'idée d'entretenir de bons rap- lui ports avec peuple allemand devenu son quasi- le Et la Yougo-Slavie? voisin. qu'un rapprochement de magne tière On peut imaginer l'Italie et de l'Alle- intimiderait et neutraliserait cette héri- de l'ancienne Autriche, seulement plus faible qu'elle, et aussi, à qui une situation, qui inspirerait les gérerait les même, mêmes mêmes idées. est identique sentiments et sug- Pour se garantir elle- se sachant constituée à la fois du peuple italien et aux dépens de la aux dépens race germa- nique, ne serait-elle pas conduite à entrer dans leur système, moyennant la des frontières.^ Elle pourrait des services, l'Orient. et devenir leur nous savons avec quelle vertu des : même poste leur rendre avancé Un rapprochement en détermine « itinéraires plicien garantie mutuelle forcés mêmes )>. d'autres facilité se tracent les Ainsi causes, vers le reformerait, en vieux syndicat tri- se à défaut d'équilibre général, chaque pays CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 194 cherche l'équilibre qu'il peut, et de puissances tions PAIX LA. les <( comme avant constella- 1914, se reconstitueront par des besoins semblables. Ce que nous en disons l'esprit que, le dans », peu une simple vue de est si la période grave qui a précédé sauvetage de Varsovie, en août 1920, chef le du gouvernement tchéco-slovaque, M. Tusar qui organisait une ligue des neutres contre la Pologne par conséquent, en faveur de l'Allemagne, et, au comte Sforza sa médiation pour conci- offrait lier l'Italie et les Yougo-Slaves. L'idée de ce rap- prochement a d'abord choqué lien autant tôt, le que l'avait le patriotisme choqué, quarante ans plus rapprochement avec l'Autriche. comme pourra s'accoutumer à l'un accoutumée à ita- l'autre. Il L'Italie elle s'était faut savoir distinguer entre les alliances sentimentales et les alliances politiques. Quant à nous, avions nous les le moment paraît passé où nous moyens de nous attacher associant à qu'elle voulait, ce l'Adriatique. pour elle que qu'elle lui avait été Du temps l'Italie en reçût ce promis dans irréparable a fui. L'al- liance italienne est fêlée. Satisfaite, c'est de notre côté que l'Italie eût cherché la garantie de ses 195 l'imbroglio adrlvtique possessions. Le pacte conclu pour la victoire eût une raison de durer après pour On le butin. la victoire. On se lie se lie par les partages. Et c'est peut-être ce qu'il y avait de plus judicieux et de plus prévoyant dans les accords de 1915 et de 1916. Aujourd'hui, l'Italie nous échappe. Elle cherche sa voie avec indifférence. Elle revient à la politique de (< versatilité réfléchie » qui, depuis ses ducs de Savoie, l'incline tour à tour vers l'Eu- rope centrale et guerre pouvait ment fixe. La vers l'Europe occidentale. lui donner voilà de la La qualité d'un élé- nouveau déracinée faut s'attendre à ses oscillations. et il Aucune amélio- ration de l'Europe d'avant-guerre n'a été réalisée non plus sur ce point-là. Il n'y a aucun progrès. L'Italie n'est pas plus adaptée qu'avant à un sys- tème conservateur européen. Et son incertitude fera la nôtre. difficultés. Ses difficultés engendreront nos Les relations franco-italiennes redede notre tâche viendront la partie la plus difficile diplomatique. Que les Italiens entrent avec les en conflit Yougo-Slaves, qu'ils s'allient avec eux par l'intermédiaire de l'Allemagne (car ce ne peut être, comme avec l'Autriche, que tout l'un ou 196 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX l'autre, ralliance ou le conflit), notre embarras sera égal, nous subirons les conséquences de la même être 011 façon. Cette Adriatique, la seule nous n'ayons rien à faire, les peut- où nous n'ayons pas d'intérêts, l'amertume en reste à orages pour nous. mer l'Italie et CHAPITRE IX HYPOTHÈSES ET PROBABILITÉS Il y a eu un moment, pendant les mois qui ont suivi l'armistice, les hommes allait ont pu oij le désordre a été tel, que croire que l'Europe entière sombrer. De partout montaient la famine et la révolution. vivres, Pour M. Hoover, il le dictateur américain des y avait cent millions d'êtres humains de trop sur noire vieux continent, et l'Amérique, inquiète pour sa propre subsistance, finissait par se résigner à les laisser mourir. De funestes pressentiments assiégeaient les esprits. L'historien Ferrero évoquait la tique. Jamais, guerre, il aux heures les fm du monde an- plus sombres de la n'y avait eu cette désolation. La Bourse baissait à Londres et à Paris triomphait en Allemagne. nal qui est Un un rendez-vous quand Spartacus soir, dans un jour- parisien, quelqu'un CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 198 lut une dépêche : le château royal de Berlin venait d'être pris, le drapeau rouge y était arboré. On entendit un gémissement. C'était un diplomate ami de la France qui n'avait pu résister à ce coup. A la guerre nisée, il des nations, terrible mais orga- semblait qu'une autre guerre allait suc- céder, plus atroce, pour achever de détruire ce qui restait de l'ancienne société ciale, la guerre pour le pain. Il guerre so- la : n'y avait pas eu de peur pendant la vraie guerre. Il y eut de la terreur dans les quelques mois qui l'ont suivie, et cette terreur a donné Elle a fait désirer pour résister à L'Allemagne a c'est alors qu'a de mauvais conseils. que l'Allemagne la du bolchévisme. contagion résisté. se consolidât Elle s'est consolidée. commencé sa résistance : Et nous ne nous en trouvons pas mieux. La révolution allemande a été d'un type in- connu jusqu'à ce jour et elle n'a pas ressemblé h ce qu'elle devait être selon la prophétie de Henri Heine. Le système monarchique ayant été renversé dans les conditions que nous avons vues, non pas par conviction mais par opportunité, celte brusque décompression, jointe à l'etfet dé- 199 HYPOTHÈSES ET PROBABILITES moralisant de la défaite, une révolution véritable avait fini par soulever et cement d'anarchie. On put un sérieux commense demander si les Allemands, habitués à être gouvernés, seraient capables de se gouverner eux-mêmes. l'ordre fut une tâche difficile. Rétablir Les moyens par lesquels l'Allemagne y a réussi ont attesté une méthode, une politique. La répression régulière et légale, celle de l'émeute des rues, fut accom- pagnée d'une répression extraordinaire, terroriste, à qui visa les têtes et supprima les chefs. L^n Rosa Luxembourg, Liebknecht, un, Haase furent assassinés. Çà mes d'action de l' Eisner, et là, d'autres hom- extrême-gauche disparurent. Erzberger, considéré comme un élément dissol- vant, reçut lui-même une balle qui l'avertit et découragea ses imitateurs. Ainsi l'Allemagne a réagi lentement mais sûrement. Le coup d'Etat de Kapp était et de Liittwitz, au mois de mars 1920, et prématuré. L'échec n'a pas les partis de droite de mener une cam- maladroit empêché pagne efficace et, trois élections du mois plus tard, après G juin, de rentrer au gouvernement. La monarchie des HohenzoUern a magne les laissé l'Alle- vaincue. Mais elle a laissé aussi un Etat, CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 200 une administration, des cadres civils et militaires, des élites intellectuelles et industrielles, des traditions politiques, tout un capital grâce auquel l'Allemagne, pour commencer, est venue à bout de son anarchie intérieure. Si des rechutes restent possibles, la méthode qui a l'ordre est toujours bonne. réussi à rétablir Pour l'appliquer, le gouvernement dispose de moyens plus puissants qu'hier. Surtout l'esprit public s'est ressaisi. L'Allemagne n'a pas désespéré longtemps et le suicide d'un Ballin après le désastre, devant le port de Hambourg vide de ses vaisseaux, n'a été qu'un cas de pessimisme isolé. Il vement peu, à que l'Empire allemand cet égard, importe retourne à la monarchie ou qu'il devienne, l'a appelé le président Ebert, (( la relati- comme plus grande République du monde après Unis doit prendre la forme d'une vaste », s'il celle des Etats- entreprise conduite, dans l'esprit des Ilohenzollern, est par des capitaines d'industrie dont annoncé par Hugo Stinnes. En tout lemagne n'a même le type cas, l'Al- pas attendu que sa réorgani- sation intérieure fût terminée pour passer à l'action extérieure et à l'offensive contre Versailles. le traité de 201 HYPOTHÈSES ET PROBABILITÉS La répression de l'anarchie, le rétablissement de l'ordre élémentaire, ce n'est qu'une première étape. Mais ne faut pas oublier que, dans de il pareilles circonstances, la première est Elle est aussi la plus importante. difficile. 1871, pendant la plus la En Commune, beaucoup de Fran- çais ont presque désespéré. Finis Franciae, mur- murait Renan, abîme au-dessous de l'abîme. Et il une exagération qui ajoutait, avec car trouble, n'a pas manqué, il siècles, de dates oii est, depuis mille ans, française a été cience tâmes un moment, France est son au cours des l'avenir de la France a paru bien plus gravement compromis 1871 attestait si le elle venue à bout de le : (( Le 18 mars moment où plus bas. la cons- Nous dou- se reformerait. » la La Commune beaucoup plus vite que l'Allemagne n'est venue à bout de Spartacus et d'un têtes. Il communisme qui avait cent n'y a pourtant pas de signe que l'Alle- magne, dans les esprits oii elle se conçoit comme une grande force nationale, ait renoncé à l'avenir. Ce qu'il y a peut-être de plus étonnant dans sa vitalité, c'est que l'idée des énormes erreurs d'appréciation et de calcul qu'elle a dans tous les commises domaines, militaires aussi bien que CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 202 politiques, avant la guerre et ne l'a de ses aptitudes, capacités, pas critique. et la défaite Rien de pareil ne s'observe chez Allemands. L'expérience fautes, se relever de 1870 avait porté à son à sa confiance. Une longue timidité avait suivi le désastre. truits et doute qui n'aurait La France a mis longtemps à du coup que les la guerre, d'accabler un peuple doué d'esprit manqué moral pendant pas amenée à douter d'elle-même, de ses on les sent prêts même les a à peine ins- à recommencer leurs leurs fautes militaires, dans la con- viction que ce n'est pas leur intelligence qui les a mais trahis, les événements, et que, dans d'autres circonstances, ce qui n'a échoué que par hasard réussira. Après un ébranlement aussi profond, solidation est un fait relativement rapide de la con- l'Allemagne qui appelle l'attention la plus sou- tenue. L'Allemagne a paru à plusieurs reprises sombrer sans recours dans le chaos. L'unité qui avait survécu par miracle à la défaite semblait devoir se rompre par la guerre civile. Les sinistres prédictions qu'avaient prodiguées Bismarck et Bii- low pour trice le cas où tomberait la monarchie fédéra- des Ilohenzollern semblaient sur le point de HYPOTHÈSES ET PROBABILITES s'accomplir. Il 203 que Bismarck n'est pas encore dit et Bûlow n'aient pas eu le premier chancelier de l'Empire estimait que l'unité De son temps, raison. allemande ne pouvait se passer du lien dynastique. Le quatrième chancelier, dont les observations sont plus récentes, annonçait un parti- cularisme politique qui répéterait l'ancien particularisme territorial et qui en précéderait le retour. « L'ergotage et la petitesse, l'acharnement et l'animosité qui existaient autrefois dans les querelles des peuples et des Etats allemands, se sont transmis à notre vie de parti prince de Bûlow dans », écrivait le sa Politique allemande. Il notait en outre une tendance propre à l'esprit allemand, celle qui consiste à les idées idées de parti au delà de », internationaliser « c'est-à-dire à prolonger ces la frontière, en sorte que les catholiques allemands, pour ne prendre qu'eux, seraient de véritables « ultramontains ». marques du prince de Bûlow ne doivent nement pas être négligées. Dans le cas Ces recertai- oii l'Alle- magne traverserait de nouvelles crises intérieures, cil elle se montrerait définitivement impuissante, après une accalmie et un semblant de mieux, à rétablir chez elle un ordre durable et à remplacer CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 204 une autorité nouvelle, l'autorité ancienne par est clair que les luttes il de partis s'aggraveraient dans des proportions considérables. Des scissions telles qu'en prévoyaient la répulsion violente se- que manifeste la Bavière à du socialisme réputé comme un produit en Allemagne, l'antagonisme Ainsi, de Berlin. mœurs des idées et des choses, deux chanceliers Nous en avons un exemple par raient possibles. l'égard les un caractère prend, par la force des territorial. Il prendrait même aisément un caractère international, au sens où l'entendait le prince de Bùlow. Car un conser- vateur bavarois se sentirait plus d'affinités avec une France conservatrice socialisante. par qu'avec Le particularisme, entretenu les querelles de religion, le serait jours d'après le jugement que portait sur les « la lutte En une Prusse le encore, tou- prince de Biilow Allemands en temps calme, par des états sociaux et des classes d'autres jadis termes, l'unité de ». l'Allemagne tiendrait à l'identité des sentiments et des idées politiques entre les groupes principaux des populations qui composent l'Empire. Dans une magne ordonnée, satisfaits, fidèles, les Alle- Bavarois conservateurs sont aussi nationalistes et panger- 205 HYPOTHÈSES ET PROBABILITES manistes que vieux Prussiens d'outre-Elbe. les Dans une Allemagne anarcliique ou socialiste, la Bavière conservatrice deviendrait un corps étranger qui obéirait vite à ses tendances particulières. Dans cette mesure, les observations pessimistes des deux chanceliers gardent leur prix. Mais si l'Allemagne continue à se consolider, ce sera encore par le et elle se retrouvera gouvernement de Berlin peu à peu dans un siblement pareil à celui où elle était deux images qu'elle a devant l'Empire puissant et première sera en 1914. Des yeux, celle de prospère et celle du chaos qui a suivi la révolution, la les état sen- il y a gros à parier que la plus forte. Pour la réaliser, l'administration et la tradition prussiennes seront aussi les mieux désignées. C'est pourquoi quelques puisse personnes un jour prendre sont portées la tête à le il est comme très peu vraisemblable que la Bavière, penser, d'une réorganisation de l'Allemagne. Elle n'a aucun des moyens qu'il faudrait pour une si lourde tâche. Il est même improbable qu'elle arrive seulement à diriger une fédération partielle des pays du Sud. Ce n'est pas que l'ambition lui ait manqué, au cours de son histoire, d'occuper la première place dans les 206 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA. pays germaniques. Elle n'y a jamais PAIX Le réussi. caractère de ses habitants, sa situation géogra- phique, l'absence d'institutions civiles et militaires assez originales et assez vigoureuses si grand rôle, la laissent pour un dépourvue des aptitudes nécessaires à l'exercice d'une hégémonie. L'Alle- magne améliorée par l'influence modératrice de l'élément bavarois est une chimère. bavarois ne peut être bienfaisant que un sens particulariste, et conditions le et c'est qu'elle ait sa capitale s'il agit dans nous avons vu à quelles particularisme lopper. D'ailleurs, L'élément pourrait se un principe au Sud ou déve- absolu, au qu'elle l'ait Nord, une grande Allemagne ne vaut pas mieux pour nous. La maison d'Autriche, contre laquelle la siècles, avait son S'il était possible que France a lutté pendant deux siège principal à Vienne. Munich succédât à Vienne et à Berlin, qu'y ga- gnerions-nous? Seule une Bavière autonome et réfractaire à la Prusse serait digne d'attention et d'intérêt. Cependant les pays germaniques et leur péri- phérie, tout en aspirant à l'ordre, n'ont pas re- HYPOTHÈSES ET PROBABILITES 207 trouvé une stabilité incontestable. Des crises leur sont encore réservées et peut-être des crises d'un genre nouveau. Nous avons vu serait capable de produire les que effets en Allemagne un état révolutionnaire prolongé ou aggravé. Selon toutes apparences, cet état de révolution inguéris- les sable favoriserait territorial, pays Il si le séparatisme. Au point de vue au point de vue des groupements de et d'Etats, que produirait une réaction .i^ ne serait guère concevable que la réaction, elle l'emportait définitivement à Berlin, limitée à l'Allemagne. Il ne le serait tage qu'elle le fût à l'ordre social. fût pas davan- En dépit des troubles qui renaissent et qui renaîtront encore sur divers points du vieux monde, en dépit de la durée du bolchévisme russe, la révolution est ne en train de perdre la partie, l'avait eue si belle. L'ancienne société, que l'on avait crue détruite, a et jamais montré une force de tance presque étonnante. En beaucoup en France surtout, c'est à peine ébranlée. vante. La Nous venons elle d'assister à résis- d'endroits, si elle a été une lutte émou- victoire finale est à peine douteuse. La réaction qui se laissait pressentir à l'aube de la période guerrière, en 1912 et 1913, a d'abord subi CONSÉQIEN'CES POLITIQUES DE LA PAI.X. 14 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 203 une éclipse par rales, triomphe des puissances le libé- par l'écroulement de trois grandes monar- chies et par le principe de la démocratie universelle qui est domine les traités rapidement ensuivi s'est vu tout près de et le il et, si monde civilisé Alors la contre- l'on s'en rapporte n'est guère possible un jour ou n'affecte pas vieux la ruine. révolution a commencé, aux précédents, de paix. Le chaos s'en l'autre, la carte qu'elle même de l'Europe. L'instinct de conservation, ayant été le plus fort, s'exercera aussi dans le domaine de la poli- tique générale. Les peuples et les gouvernements, après avoir restauré l'ordre à l'intérieur, seront poussés à chercher de la stabilité à l'extérieur et la confusion qui résulte traire des Etats sera ressentie d'une distribution arbi- dans l'Europe centrale comme une et orientale anarchie internationale aussi malfaisante que l'autre et propre à engen- drer l'autre. L'application intégrale du principe des nationalités est une expérience qui n'a pas donné des résultats favorables. En multipliant les Etats faibles et rivaux, elle a multiplié aussi la guerre civile et la guerre étrangère. Pour en finir avec ces deux fléaux, une réorganisation s'impo- HYPOTHÈSES ET PROBA.BILITÉS 209 Après avoir restauré un ordre social beau- sera. coup plus semblable à celui d'autrefois qu'on ne l'aurait cru, l'Europe tendra encore à revenir sur la création d'Etats qui ne sont pas viables ou qui une cause de troubles incessants par seraient leur impuissance à se défendre et à se gouverner eux-mêmes. contre-révolution Cette conséquence nécessaire de par mêmes moyens, diplomatique sera la l'autre. Elle se fera non sans dé- chirements et sans douleurs, et c'est dans les les c'est-à-dire parties les plus transformées et les moins stables de l'Europe qu'elle se produira d'abord. torien célèbre a pu annoncer, trente Un his- ans à l'avance, que la question d'Autriche se poserait à la suite de dant, une pour la question d'Orient. détruire l'Empire a fallu cepen- Il autro-hongrois, crise sans pareille, des batailles oii la plupart des peuples ont été engagés. d'un édifice politique La reconstruction quelconque à la place des ruines que l'ancien a laissées sera probablement une des tâches du prochain avenir. Il y a très peu de chances pour qu'elle s'accomplisse autrement que par l'effet d'une autre crise recours à la force. et par un autre 210 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE Beaucoup de combinaisons que les traités différentes de celles et de l'Est. Il y a seule- cas de moindre vraisemblance. D'abord celui 011 ce qui que PAIX ont établies peuvent se concevoir dans l'Europe du Centre ment deux LA. a été fait durerait beaucoup plus conditions dans lesquelles les nouveaux les Etats ont été créés et leurs frontières dessinées. Dès que les Alliés capacité de n'auront plus la volonté ou la s'opposer à des changements, qu'ils ne seront plus d'accord dès pour exercer leur surveilllance et leur tutelle sur des peuples trop divers, il ne faudra pas donner longtemps avant que ces peuples reçoivent un nouveau statut. L'autre cas, aussi peu vraisemblable, est celui où ces peuples, de leur propre mouvement, dans leur pleine liberté, avec l'assentiment de tous, consti- tueraient quelque chose qui ressemblerait à l'an- cienne mands Autriche. et même Si les quelques millions d'Alle- Slovaques n'avaient pas été introduits d'autorité dans l'Etat tchèque, ils n'y fussent pas venus de leur gré. S'ils doivent en sortir, ils n'en sortiront aussi que par le jeu d'une force extérieure. C'est pourquoi, inversement, les héritiers de l'Empire d'Autriche, quel être leur intérêt à vivre ensemble, que puisse ne se réuniront HYPOTHÈSES ET PROBABILITES commun pas d'un accord. On 211 a cru longtemps à une fédération balkanique qui n'est jamais venue. Une fédération danubienne qui se formerait toute simplement parce que ce seule, la plus raisonnable, serait la solution participe de la même chi- mère. Qui dit fédération dit fédérateur. Le Danube, jusqu'ici, n'en a connu qu'un : c'était le Habsbourg. Lorsque l'Empereur avait été chassé de Vienne en 1848, l'Empire se serait déjà désa- grégé s'il n'y avait eu l'armée, Windischgrœtz et Radetzki, fameux, dans camp duquel, le était l'Autriche. tombé en 1918. capitaines. armée ni doit pas retenir sérieusement Charles I" ni quelque autre oii bre famille, sa autre Habsbourg est Celui-là ne gardait ni On ne l'hypothèse de Un selon le vers rappelé mem- soudain au trône, reconstituerait l'Autriche par la seule vertu du principe de légitimité. Ce principe, à lui seul, est aussi impuissant à relever l'idéal un Empire que le serait du fédéralisme républicain. Quel que soit l'avantage qu'elles auraient à être rassemblées, les populations de l'ancien Empire vivront en état d'hostilité, au moins de méfiance, formant entre elles des coalitions changeantes, jusqu'au jour où se présentera et s'imposera le véritable fédéra- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 212 rélément teur, qui sera capable de rassembler La France a le plus robuste et maintes été en les autres les le plus dominant. fois accusée, l'armistice, de chercher à mettre sur pied depuis une con- fédération danubienne. C'était son droit et son devoir. L'équilibre et la tranquillité de l'Europe le demandent. Mais que par la la France puisse y réussir persuasion diplomatique, c'est extrême- ment peu croyable. Pas plus que la dissociation en Allemagne, on ne fera en Autriche de centration sur par les relles. commande. L'occasion événements Il et par le jeu la con- sera fournie des forces natu- s'agira de connaître ces forces, de dis- tinguer entre elles et de les diriger dans un sens qui soit le bon. Car il n'est nullement dit que la grande puissance danubienne qui viendrait à se reconstituer serait nécessairement dans nos intérêts. Il faudrait encore prendre garde que sa nais- sance ne fût pas propre à alarmer des peuples capables de s'y opposer et de s'y opposer d'une manière efficace. En partant de conclure que, ment fédérateur ment la plus ces principes, s'il on est conduit à doit y avoir fédération, l'élé- sera la nationalité, nombreuse, mais non pas la plus forcé- robuste et HYPOTHÈSES ET PROBABILITES 213 douée d'esprit militaire. Deux seulement, la plus la Yougo-Slavie et la Hongrie sont dans ce cas. Et il semble que la seconde, malgré son désastre, réunisse des conditions qui manquent à l'autre. Les Hongrois ont un sens national vigoureux, une volonté âpre. se moins paradoxal sur les voisins qui Ils offrent, agrandis sont à leurs dépens, l'avantage, qu'il n'en a l'air, de n'avoir pas à assimiler des populations nouvelles. Leur unité est pure. petits Ils peuvent inquiéter ou moyens qui les divers Etats les encerclent, mais aucune grande puissance n'a de raison directe et person- nelle de s'opposer à leur relèvement et à leurs progrès. Au contraire, le Croates et des Slovènes, royaume des Serbes, des même d'un acier s'il était bien trempé pour conduire à l'extérieur assez des desseins d'une certaine envergure, serait aus- en butte à sitôt rait l'hostilité de monter contre sibles. En de l'Italie qui se hâte- lui toutes les coalitions pos- outre, autant que l'on peut apprécier des chances aussi incertaines, la Hongrie a pour elle d'être entrée des premières dans de cette réaction européenne qui, le si elle courant doit défi- nitivement l'emporter, ne l'emportera pas sans quelques nouvelles luttes. Que le courant contre- 214 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE Lk PAIX révolutionnaire grossisse ou que la révolution ait des retours offensifs, qu'une Europe blanche se heurte à une Europe rouge, qu'elle est orientée, semble en cristalliser les sinage, même la Hongrie, telle bonne posture pour éléments conservateurs de son voiles On éléments germaniques. a pu concevoir ainsi une ébauche de fédération qui rayonnerait jusqu'en Bavière. Et, bien entendu, même si les il n'est pas du tout sûr que choses doivent se passer d'une ma- nière à peu près semblable à celle que l'on ima- gine parfois, elles doivent tourner toutes seules et fatalement dans le Au sens de nos intérêts. lieu de détacher et de rassembler des territoires pour son compte, rassembler pour la le Hongrie pourra fort bien les compte de l'Allemagne, être aspirée elle-même et subir l'attraction d'une Alle- magne réorganisée et vigoureuse. A cet égard, et au point de vue où nous nous plaçons en ce moment-ci, tout dépendra sans doute de la vitesse du mouvement de restauration politique dans les pays susceptibles d'exercer une influence de prendre une initiative. ment retournée à en aurait aussi le Une Allemagne et rapide- l'ordre dans toutes ses parties bénéfice à l'extérieur. Non seu- HYPOTHÈSES ET PROBABILITES 215 lement cette Allemagne retiendrait, au lieu de les perdre, ses éléments conservateurs du Sud, mais encore elle attirerait et elle absorberait les élé- ments hétérogènes également avides d'ordre, de conservation — de revanche. et Gomme cinquante ans, Berlin serait pour les il y a Hongrois L'Autriche-Hongrie se reconsti- l'itinéraire forcé. tuerait alors en tout ou en de l'Empire allemand et partie, mais au profit comme une dépendance de cet Empire. Sans compter, ce qui tombe sous le sens, que, le jour oii la réunion de blique autrichienne serait un jour oiî Vienne, Répu- accompli, le l'Allemagne de Berlin serait installée à elle serait à la veille de l'être à Budapest, et elle aurait enfin constitué le rojm. fait la fameux Mitteleii- Tout dépend du point d'où sera parti le mouvement. L'avenir de l'Europe centrale reste à la merci d'une nouvelle bataille de Sadowa, ou de l'équivalent politique et moral d'un autre Sadowa. Cette partie du continent est trop pulvérisée, trop mal agencée pour qu'elle ne se concentre pas un jour. Raison de plus pour la France de surveiller de près les points où pourront commencer les con- centrations futures. Raison de plus pour elle de CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 216 n'être absente nulle part. Le rôle que peut remplir la Hongrie, toute réduite qu'elle est, et parce qu'elle est réduite, occupe sur le tourne bien, car elle dans l'avenir. En commande de ne pas tourne mal, qu'elle soit politique, pour léger craindre « qu' de il >k II au précepte qu'a a siècle qui passait à Tout calculer et ne pas tout faut se redire aussi avec Frédéric II des causes secondes qui tournent sou- événements d'une manière que l'on ne les peut ni concevoir ni prévoir ajoutait laissé y a une sorte de fatalité, ou, à défaut fatalité, vent : qu'elle de prévision et d'action un homme du dix-huitième tort soit la semble appelée à compter fait faut s'en tenir il parce qu'elle Danube une position médiane d'une qualité exceptionnelle, négliger, et aussi justement : « Lorsqu'il tances favorables, il se ». A présente se fait quoi Frédéric des une sorte circons- d'éclaircie subite dont profitent les habiles. » C'est de ces circonstances favorables qu'il importe de se mettre à même de profiter. 217 HYPOTHÈSES ET PROBABILITES On a répété pendant plus de trente ans que la question d'Orient engendrerait une guerre générale. mité. Tous les prophètes avaient parlé en confor- Cet avertissement n'a servi de rien. Une Les Balkans et la image célèbre disait encore « : flèche de Strasbourg dominent l'Europe. On » Désormais, la politique de la figure doit être pourrait dire que la politique de l'Europe est dominée aujourd'hui par Sophie et par les coupole de Sainte- la hauts fourneaux silésiens. pourrait employer d'autres métaphores. temps que la changée. étendue vers s'en l'aire l'Est. est De toutes En même données usuelles de se modifiaient les politique, On considérablement parts sont ouverts de vastes trous. Et plus on avance vers l'Orient, plus ils sont profonds. tige Il ne faut pas craindre le ver- pour y regarder. Le système européen qui a duré tant bien que mal, depuis 1871 jusqu'à la guerre, reposait sur l'hexarchie, le directoire des six grandes puis- sances (France, Angleterre, Autriche, Russie), dont le « Italie, concert Allemagne, » préalable CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 218 était requis pour régler Si ces puissances elles, les difficultés orientales. ne s'étaient mises d'accord entre n'importe quelle affaire de Macédoine eût été insoluble ou bien elle eût pris les proportions les plus graves et les « hexarques entre-choqués. » se fussent Le concert européen était assurance contre ces risques. C'était en une même temps une vague survivance de l'ancienne chré- une sorte de syndicat de tienté, européenne en face de l'Islam. un principe qui A civilisation la quoi s'ajoutait un dogme avait été autrefois celui de l'intégrité de l'Empire ottoman. que fût la décrépitude de cet : Quelle Empire, on en reve- nait toujours à la nécessité d'y toucher le moins possible, d'abord pour éviter d'entrer dans l'ère tumultueuse des partages, c'est-à-dire des compétitions, et ensuite par Turquie représentait la plus le la sentiment que l'ancienne forme la plus modérée et européenne de l'Islam. On n'aurait rien gagné quand prudents les vieux diplomates turcs, et subtils les vizirs avec lesquels on avait l'habi- tude de causer seraient remplacés par des fanatiques. La révolution jeune-turque avait donné l'avant-goût de ce que produirait en Orient réveil du nationalisme par le libéralisme. le Et sur- HYPOTHÈSES ET PROBABILITES Constantinople, tout nople que », le une est mieux ville « cette 219 Constanti- funeste qui excite tant de convoitises turque pour que était qu'elle restât personne ne pût s'en emparer. Il les est vrai que, d'après les accords conclus entre principaux alliés pendant Constan- la guerre, tinople devait revenir à la Russie. Que arrivé fût-il Russie était restée fidèle à l'Entente jusqu'à si la la fin et victorieuse avec nous, elle avait ré- si, clamé son lot.^ Elle ne l'eût sans doute pas eu davantage que nous n'avons eu Rhin, et l'on se fût tiré d'affaire l'expédient ordinaire grité de la et le nôtre sur le en recourant à en maintenant l'inté- Turquie par raison d'Etat européenne. Les Turcs ont peut-être perdu plus qu'ils ne pensent à l'effondrement de l'Empire russe. En Orient aussi il y avait un équilibre classique, qui neutralisait les convoitises, et que rien n'a encore remplacé. Après de longues hésitations, étendant pour la retirer ensuite, La ville reste dans la ville. Grecs, ses est mise seule- hommes au sultan ou plutôt Mais quelle main l'Angleterre n'a pas osé se saisir de Constantinople. Elle l'a ment à portée des la son le de paille. sultan reste autorité.-^ Où sont CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 220 Turcs qui les obéissent? Les Grecs lui cernent le jusque dans la banlieue de sa capitale. Une com- mission internationale, la Commission des Désouveraine que est plus troits, d'occupation, avec un commandement permanence sur resteront en Des forces lui. le interallié, Bosphore. Théori- quement, Gonstantinople ne doit être à personne. Il faudra bien qu'un jour à quelqu'un. Le elle soit système qui consiste à internationaliser sensibles de la carte remplace un les points équilibre naturel qui a disparu, par un équilibre artificiel. C'est une solution provisoire. C'est une transition. Tout ce que les Alliés ont c'est A il pu faire à Constantinople, de reculer un dangereux procès. monde, l'un des lieux les plus importants du y a un vide, une place énorme pour l'inconnu. Sur de l'avenir Mineure, il pronostic. pour est impossible Une être en de porter mesure de conserver reçoit et dont de et seule chose est sûre. qu'elle ritoires Constantinople le l'Asie moindre La Grèce, les vastes ter- la défense sera ardue, devra devenir beaucoup plus forte qu'elle ne l'est, plus tellement forte qu'il difficile garder ne lui soit pas de prendre Constantinople que de Smyrne. La Grèce sera l'Empire de HYPOTHÈSES ET PROBABILITES 221 Thrace et l'Ionie. Byzance ou bien En somme, comme celée ressemblance la tient comme reperdra elle la Mineure a l'Asie mor- été cassée et l'Europe centrale et orientale. La est même curieuse si que place que l'Arménie y Pologne, la serrée elle entre deux ennemis qui n'ont qu'à se rejoindre pour l'écraser. déjà obscur dans l'Europe Mais l'avenir est si du Centre et de l'Est, pour l'Asie Mineure on cherche en vain des points de repère. Le chaos en est pire puisque nalités s'y trouvent mêlées sances européennes, les des Nations, les restes la France au trafic les natio- aux mandats des puis- Croisades à la Société du protectorat chrétien de du pétrole et à la protection des routes de l'Inde, tout cela au contact d'une force, celle de l'Islam, dont la direction et développement échappent à tout le calcul, et avec la menace que représentera toujours la Russie sur- venant pour réclamer sa part. A ces frontières de vilisations, complète, la si paix deux mondes atteint une et de deux déliquescence complète que personne n'a voulu servir de protecteur à l'orpheline Arménie. fiance, ci- abstention qui ne résolvent rien. Mé- Une cause d'incertitude est ajoutée à d'autres causes. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 222 Au cas d'un nouvel accident européen, Asie Mineure la matière d'un il immense y a en incendie. Hinc movet Euphrates, iUinc Germania hélium. Vraie du temps de Virgile, vraie en 1914, cette correspondance peut au Rhin, De l'Euphrate l'être encore. rapport est presque constant et la le France se trouve lourdement engagée en Asie Mineure, pour garder au moins en Syrie une parcelle de son antique héritage, tandis qu'il lui reste, pour une longue période, à régler ses comptes avec les Allemands. Un peu comme pire avait turc l'Empire austro-hongrois, l'Em- duré surtout par la qu'éprouvait l'Europe à se passer de remplacer. Ces vieilles difficulté lui constructions et à le offraient l'avantage d'être connues. De plus elles neutralisaient les conflits des races et des religions. Les services qu'elles avaient rendus autrefois seront regrettés. Si la Turquie, devenue malfaisante, le comme principe du mal était dans une grande Allemagne. Et mal subsiste, il l'Autriche, était comme le principe du faudra voir encore ce que l'in- fluence d'un puissant Etat germanique produira aux lieux trefois. oià ces édifices politiques s'élevaient au- Ce qui est sûr, c'est que, pour la France, 223 HYPOTHÈSES ET PROBABILITES qui avait partout une situation acquise par le temps, que ses intérêts par conséquent devaient rendre conservatrice, qui a toujours perdu aux bouleversements depuis que sa fortune nationale est faite, comme le nôtre, les A chacune nous lais- pour un vieux pays démolitions ne valent rien. sons quelque chose de notre capital. Avec une du régularité frappante, depuis le milieu siècle dernier, chaque fois qu'un aspect de l'ancienne Europe a changé (et c'était toujours nous l'avions voulu ou permis), la première à pâtir. En Orient la parce que France a été surtout, où nous occupions sans frais une place privilégiée, il était prudent de ne toucher à rien ou de limiter les dégâts à la plus petite surface possible. Les Turcs ne posséderont que quelques provinces d'Asie Mineure. Notre influence ne s'y étendra plus que sur une faible zone. Nous aurons peu de profit et beaucoup de charges. Qu'y gagnera A ce point le .^ dangereux du contact de l'Europe avec l'Asie, le vide appellera peut-être d'autres rants. monde conqué- Alors on regrettera ceux que les siècles avaient apprivoisés. CONSÉQUENXES POLITIQUES DE LA PAIX. 15 I CHAPITRE X POSITION DE LA FRANCE Après avoir eu jusqu'à vingt-cinq sociés la pendant la guerre, la Belgique pour aller avec elle avril 1920, et elle n'a trouvé puyer ni même alliés et as- France n'a trouvé que à Francfort, en personne pour ap- pour approuver son action en Pologne quatre mois plus tard. Si une catastrophe s'était produite à Varsovie, notre isolement eût été complet. qu'après le Un revirement favorable n'a eu lieu sauvetage de la Pologne. Cette expé- rience doit servir à guider notre politique extérieure. De même que nous devons encore entretenir une armée, consacrer des sommes immenses à notre défense nationale, nous devons chercher des garanties et des sécurités politiques au de-^ hors. Vainqueurs de l'Allemagne, avec les avan- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 226 tages et les supériorités que la victoire apporte, nous sommes dans une situation ne qui, néanmoins, diffère pas essentiellement de celle oii nous trouvions après 1871. Alors vingt et nous un ans que nous eussions avec s'étaient écoulés avant Russie une convention militaire encore bien complète, bien imprécise. avait fallu Il la in- douze années de plus avant de nous rapprocher de l'Angleterre, et le rapprochement n'était pas fini en 1914 puisqu'il n'y avait pas d'alliance francobritannique en règle. Dans l'Europe nouvelle, une Europe pulvérisée, la recherche des alliances ne pas moins ardue. sera Peut-être le sera-t-elle davantage. Notre politique reste dominée, notre voie reste tracée par la question allemande. Si l'on excepte la Belgique, la question allemande ne se pose comme pour personne En elle se pose pour nous. 1871, la création de l'Empire allemand n'avait inquiété ni même européennes. erreur, y avail tal et on gne choqué aucune des puissances L'Angleterre, \ u par est s'alarme, vaincue et tragique un gage d'équilibre contmen- des raisons de se réjouir. (ju'elle une aujourd'liui que toutes les Comment veuL- que l'Allemaprécautions ont POSITION DE LA FRANCE été prises pour qu'elle ne puisse, de longtemps, redevenir une rivale sur mer? comme nous le 227 alliés que les Nous n'aurons peuples qui sentiront comme besoin de se protéger contre un réveil possible de l'Empire allemand et qui se sentiront assez forts pour s'exposer à Ce n'est pas tout. un conflit avec lui. Nous aurons à nous assurer contre une coalition germano-russe, éventuelle sans doute, mais qu'il sera plus prudent de considérer comme cultés pour trouver des partenaires qui consentent probable. Accroissement de diffi- à courir ce double risque. L'exemple du mois d'août 1920 nous montre que la Pologne, attaquée par la Russie, avec une Allemagne hostile dans le dos, n'a trouvé aucun concours parmi ses voi- sins. Nous avons dû venir à son aide : c'est le type de l'alliance qu'il faut tenir à bras tendu. en serait exactement de un jour attaquée par même les si la Pologne Allemands, la Il était Russie étant prête à profiter de son désastre et à la poi- gnarder par derrière. La marche de l'Allemagne G^est par l'Est qu'elle eL_sa,-r£\'aiiclie- bérément le Si est tout indiquée. commencera sa libération nous n'intervenons pas déli- jour où elle essayera de reconsti- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 228 luer sa frontière orientale, la si nous renouvelons funeste abstention de Sadowa, alors, un an, dix ans ou vingt ans plus tard, pour nous. Mais dans dowa, surtout magne si danger sera cas d'un second Sa- l'occasion choisie par l'Alle- propice, est le le si la diploma- préparation tique du coup a été habile, nous devrons nous résigner à agir seuls ou à peu près seuls et même peut-être à être désapprouvés. Cet isolement et cette désapprobation sont indiqués par le pacte de garantie qui a été ajouté au traité de Versailles et les est que n'ont d'ailleurs ratifié jusqu'ici ni Etats-Unis ni l'Angleterre. Cette garantie nous promise dans provoquée qu'elle » et suppose le cas d'une non dans un 1914, agression non autre, une agression spécialement contre la France. moins que l'évidence ne « c'est-à-dire lancée directe, Même alors, fût aussi éclatante à qu'en nos garants voudraient d'abord une en- quête, des débats dans leurs parlements avant de se porter à notre secours. C'est dire qu'une agres- sion bien machinée par une dépêche nous ouvrirait aucun droit à d'Ems ne cette garantie très conditionnelle. Quant à une agression indirecte, celle dont serait victime un pays ami et solidaire POSITION DE LA FRANCE du nôtre (pensons toujours à verte, si 229 Pologne, si décou- exposée), quant à une annexion, même sans violence (comme celle dangereusement accroîtrait forces de l'Allemagne : la de l'Autriche), qui le territoire les et tous ces cas-là, dont nous aurions pourtant à supporter les répercussions si nous demeurions catégorie inertes, rentreraient de ceux où, nous serions considérés Il dans la par notre intervention, comme les provocateurs. ne nous resterait qu'à en prendre hardiment notre parti en expliquant au épargner un 1914, il monde que, pour lui ne faut pas répéter la faute de 1866. Les futures difficultés, sinent déjà, auront elles seront à l'origine, un double qu'elles se des- caractère. D'abord d'une gravité croissante. Le danger, n'apparaîtra exercés et à des foules telles hommes qu'à des yeux très perspicaces. très Les y resteront insensibles et les gouverne- ments seront tentés de les nier. En second lieu, ces difficultés seront surtout terrestres et continentales. Il n'y a plus, dans les mers d'Europe, de concurrence maritime sérieuse pour l'Empire britannique. L'Angleterre sera donc portée à se désintéresser des conflits qui pourront survenir. 230 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE L\ PAIX tant qu'il ne se produira pas d'accident qui affecte les détroits et Constantinople. On que vit encore sur l'idée les alliances de la guerre se perpétueront. Ce serait désirable, mais extrêmement peu Une naturel. coalition, et sur- tout une coalition aussi vaste, ne peut pas survivre aux conditions qui l'ont créée. Tant de peu- même ples ne peuvent pas garder le point de vue, n'avoir qu'un seul intérêt. Celui de la France est d'être payée par l'Allemagne et d'être en sécurité vis-à-vis de l'xlllemagne. pays qui n'ont pas de considérer le les Des alliances avec des mêmes raisons que nous problème allemand comme problème principal, des alliances (jui le nous con- duiraient à renoncer à une partie de nos droits seraient bien pesantes. Elles constitueraient pour nous une servitude ou bien elles ne fonctionne- raient qu'avec des frottements continuels, C^ n'est pas tout. affaires nous. Il nous faut des allemandes avec alliés qui les voient les mêmes yeux que Mais nous avons aussi à que nos alliances ne soient pas faire telles en sorte qu'elles apportent à l'Allemagne elle-même des Nous avons déjà montré, sans craindre titions ni l'insistance, que nojlre option alliés. les répé- pour la POSITION DE LA FRANCE 231 danger d'une conjonction Pologne aggrave le germano-russe. Ce risque ne saurait être multi- Ce qui peut se présenter un jour, plié ailleurs. c'est un syndicat des vaincus bien plus celui actif, mécontents, bien plus facile à constituer que de vainqueurs de se souvenir que, duré, si la victoire si et des et des profiteurs. si la a été tardive, c'est parce Il importe guerre de 1914 a tant que coûteuse, difficile, si si la politique de l'En- tente a été impuissante à désagréger le bloc en- nemi autrement que par ce bloc, c'est donc la les armes. Reconstituer première chose à éviter, tandis que, d'autre part, il importe de ne pas nous aliéner les Etats qui ont joué sur le même tableau que nous et qui ont eu moins de comptes à demander à l'Allemagne qu'aux Hongrois ou aux Bulgares. Tâche malaisée. Que nous puissions avoir avec nous tous ces Etats, c'est assurément chimérique. Il est plus chimérique encore d'es- pérer que nous les réconcilierons tous avec leurs anciens adversaires et que la France exercera une protection paternelle sur la famille des moyens et petits Etats. Notre ressource sera d'essayer des séries de réconciliations, l'essentiel étant de pré- venir un bloc de l'Europe centrale dont la direc- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 232 tion appartiendrait encore à l'Allemagne, et de couper la ligne Berlin- Vienne-Budapest-Sofia. n'est pas douteux que si, pendant la guerre, Il la Bulgarie avait pu être détachée de la coalition adverse, cette défection nous eût été plus utile que l'alliance roumaine et elle eût été profitable Roumanie elle-même. Dans des cas pareils il à la faut savoir choisir. C'est ainsi qu'une Tchéco-Slova- même quie neutre, hostile, serait encore préférable à c'était si possible, un système germano- hongrois de l'Europe centrale. Ces choix seront délicats. Ils ne devront pas être Mieux vaudra en prendre subir. faits à la légère. que de l'initiative Nous n'obtiendrons pas, pour les prendre encore un exemple, que la Hongrie se rapproche également des des territoires. trois pays à qui Son propre elle a dû céder intérêt lui conseille de ne pas réunir toujours ces trois voisins dans la même méfiance et dans la même hostilité et de se réconcilier avec les uns ou avec les autres. Quelles que soient les sympathies et quels que soient les ressentiments que l'on puisse avoir, il est clair, pour la froide raison, des Hongrois, des elle pouvait être Roumains formée qu'une entente et des Bulgares, sous nos si auspices. POSITION DE LA FRANCE constituerait un barrage 233 supérieur, véritable, parce qu'il serait mieux groupé et mieux placé, à celui qui semble avoir été construit par les traités et dont moindre défaut le de se pré- est senter sur des points dispersés, sans avantages contre 1914, un bloc adverse disposant, des fameuses Nous n'avons par le lignes intérieures « jeté sur la que quelques lueurs. comme Il en ». question des alliances faut reprendre les choses commencement. L'Allemagne d'abord. Nous devons compter avec sa mauvaise volonté persistante, probable- ment accrue, h mesure qu'elle Nous devrons qu'elle se fortifiera. nous tenir en garde contre offensifs, être se prêts, relèvera et la surveiller, ses ruses et ses retours tout au moins, à la con- traindre à remplir ses engagements essentiels, dette et tâche demandera une attention soutenue de longs efforts. En définitive, notre politique extérieure reste dominée par mand. Il le problème devait en être ainsi du nous demeurions les unitaire, sur laquelle voisins moment que d'une .\llemagne nous n'exerçons pas d'in- fluence, sur laquelle n'avons de prise seul côté et par alle- que d'un une occupation provisoire, une CONSÉQUENCES POLITIQUES DE 234 Allemagne enfin PAIX LA. de ce livre) qui (c'est le refrain compte 20 millions d'habitants de plus que nous. l'exécution La surveillance de l'Allemagne, non pas même de intégrale, Versailles, activité et mais absorbera presque nos forces pendant Avec une Allemagne partielle, les du traité notre toute années à venir. une grande unitaire, avec Germanie, non seulement une véritable entente, mais une détente même est exclue, à moins que revendications nous ne renoncions à nos élé- mentaires, y compris celle de notre sécurité. est inutile même de s'arrêter à cette hypothèse. Il Il est dangereux d'y penser. Les négociateurs français du traité de Veront sailles été conséquents avec eux-mêmes quand, après avoir conservé l'unité allemande, ils ont cherché une garantie contre subsistait et sion. prévu le garantie, Cette le danger qui cas d'une nouvelle agres- comme nous venons M. Clemenceau croyait l'avoir trou- l'indiquer, vée aux Etats-Unis et en Angleterre. Pour quérir, il avait fait En l'ac- d'importantes concessions au point de vue américain anglais. de et au point de vue tout état de cause, compter, avec plus ou moins de nous pouvions difficultés et de 235 POSITION DE LA FRANCE saxonnes 1914 et la même conditions qu'en nous étions attaqués de si manière des puissances anglo- l'assistance sur retards, dans et les mêmes en admettant que l'histoire fût toujours semblable à elle-même. Toutefois, de ce et fœderis, prévu pour castes il un y avait loin péril éclatant d'extrême urgence, à une alliance intime permanente qui eût joué dans et de tous les la vie jours et pour l'application intégrale du traité. supposait que les Etats-Unis Une telle et la Grande-Bretagne continueraient à avoir sur alliance l'Allemagne der les mêmes idées que nous, à regar- problème allemand le comme problème le essentiel et à ne pas avoir des intérêts et des soucis différents de ceux de la France, qui est avant tout une puissance continentale et euro- péenne. Il a suffi revînt à de peu de temps pour que l'Amérique cette politique purement américaine dont une menace, qu'elle avait fini par sentir sur elle-même, avait été seule capable de l'arracher. Dans le cas le plus favorable, Unis, ayant éliminé le ront libres de nos les Etats- wilsonisme, nous laisse- mouvements et nous donne- ront leur approbation morale chaque fois que 236 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX nous pratiquerons une politique de conservation et d'ordre. sident Wilson, Nations rompent avec S'ils leur a Il serait sur craindre fait les d'être entraînés complications européennes. donc imprudent de compter de leur part un concours actif. Quant à l'Angleterre, sa politique de du pré- parce que la Société des c'est malgré eux dans les idées l'Empire Les britannique. celle est mêmes facilités qu'elle a rencontrées dans la paix pour élargir démesurément son programme impérial l'ont inclinée à ne considérer les affaires européennes que par rapport au inonde entier. Nous sommes, nous, obligés de tout subordonner aux comptes que nous avons à régler avec l'Allemagne. Pour l'Angleterre, ces comptes sont réglés. Ses préoc- cupations vont ailleurs. demandant même Il de ranger On en lui les dans le se tromperait questions ordre d'importance que nous. I n'y a pas d'alliance franco-britannique. Il n'y en a plus depuis que les engagements du pacte de Londres (celui de septembre 1914) ont été remplis mun signé. et par la depuis que Tout au plus victoire remportée en com- le traité de Versailles a été subsiste-t-il la solidarité que 237 POSITION DE LA FRANCE ce traité a créée entre les signataires tenus à le faire ce qui ne veut pas dire qu'ils respecter, l'interprètent toujours même de la pour entraîner tentatives qui ont été faites Grande-Bretagne dans un accord a décliné positif et défini poliment proposition la d'entrer dans une alliance franco-belge et une notable fraction de été loué par anglaise d'avoir refusé comme properly). Tout ce qu'il a une garantie il il a presse la convenait {verij faire a été d'offrir années cinq de pu la Le gouvernement ont échoué jusqu'à présent. britannique Les façon. à Belgique, la c'est-à-dire une sorte de retour au système de la neutralité belge bref. Comment en veille même pour un temps extrêmement A serions-nous surpris.^ la de 1914, une alliance en règle répu- gnait à l'Angleterre. Nous n'avions jamais réussi à aller au delà d'une magne <( entente cordiale battue, l'Angleterre aspire de L'Alle- ». nouveau à se dégager des affaires du continent, à les surveiller et à les contrôler à fond. On a de haut, sans s'y mêler tort, peut-être, au splendide isolement. Ce cipe même des alliances de parler de retour n'est pas le prin- que l'Angleterre pousse. Ce sont les alliances terrestres, si re- l'on CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 238 nommer peut les tions vont à la Nations peuvent se dérober aux maritimes engagements le un bon prétexte pour lui être Japon, lorsqu'il devenus qu'elle et coloniaux, particuliers. elle Mais, en dépit du sollicitations. elle n'hésite pas, Pacte, rêts Toutes ses préoccupa- ainsi. mer. Les statuts de la Société des a déjà traditionnels. Avec s'agit d'inté- à contracter des le Portugal, avec renouvelé des contrats La est le Grèce pion pousse dans la Méditerranée orientale. Et c'est aussi par les intérêts coloniaux et mariplus de chances de times que nous aurons le nous entendre avec Anglais. tion, toutefois. les A une que nous tenions C'est condi- notre place et notre part en Orient, que nous y soyons forts, que nous n'y paraissions pas en parents pauvres. Il ni conduire ne faudra pas nous laisser évincer aux échanges coûteux. Et il ne fau- dra pas non plus, quand tout nous ordonne de nous concentrer, que le compagnonnage anglais nous disperse, nous envoie monter guerroyer dans des li(Mix lointains la garde et où jamais, avant les grandes démolitions, un soldat français n'avait paru et n'avait eu besoin de paraître. France, à grands frais, doit conserver La une puis- 239 POSITION DE LA FRANCE santé armée parce qu'elle n'a pas à l'égard de l'Allemagne, parmi seule, nécessaires. sûretés les pays les séder une sérieuse de comme un se sont empressés de nous de la conscription, fardeau le pos- organisation militaire qu'il Pour ceux qui abandonner est à l'Entente, ne sera jamais permis de considérer luxe. Elle la tentation est grande de tirer sur cette provision, de nous charger des plus ingrates corvées, de nous conférer et mandat de le recevoir des coups de récolter des rancunes pour des causes qui n'ont avec la nôtre qu'un lointain rapport. Gen- darmes pour compte d'autrui, le nous avons ensuite à nous défendre contre des accusations d'impérialisme et crisie intolérable. Cela armée est un ne peut pas durer. Notre que national capital devons pas gaspiller d'une hypo- militarisme de et, si nous le nous ne prêtons, ne prêter qu'à gros intérêts, c'est-à-dire seulement pour nos propres intérêts. L'Angleterre a chez elle de nombreuses tâches, et Elle a supprimé constance, de nombreux soucis, elle n'a pas d'armée. la conscription, tardivement mesure de cir- pendant la adoptée guerre, et qui répugne à ses mœurs. A CO.NSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX. l'égard 10 240 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA. PAIX des Allemands, à l'égard des Russes, elle écarte, ou remet à plus tard rejette En giques. les solutions éner- Asie Mineure, elle prend volontiers la France, ou, à son défaut, la Grèce pour soldat. C'est que l'Angleterre n'a pas trop de ses forces pour elle-même, pour pour l'Egypte, pour l'Inde, Mésopotamie, pour l'Irlande. Quand la le gouvernement britannique, avec l'Allemagne ou avec les Soviets, gements il recommande, impose et la conciliation, les ména- voilà encore à quoi pense. A la fin tribué au du mois de Parlement du maréchal sir 1920, britannique il a été dis- un Henry Wilson, dont sion est lumineuse Il juillet rapport la conclu- : y a une dure leçon à tirer de l'hisloire de noire campagne en Russie du Nord. Elle commence par le débarquement de i5o soldats d'infanterie de marine à Mourmansk en avril 1918 ils sont suivis par 368 sol: dats fin mai, et à leur tour, le aS juin, par fioo fantassins et mitrailleurs. A partir de cette date, les de- mandes de renforts se sont succédé sans interruption et nos obligations ont augmenté progressivement, sans que nous puissions y mettre un terme. Je crois que le contingent britannifjue atteignit le chiffre de 18.400. La campagne de Mésopotamie commença de même POSITION DE par l'envoi de deux brigades LA. 241 FRANCE et finit par absorber près de 900.000 hommes. Les six divisions avec lesquelles nous sommes entrés en guerre en France et en Bel- gique sont arrivées à 63 avant que nous eussions la La conclusion est facile à tirer on dit que lorsqu'un contingent militaire se trouve engagé dans victoii'C. : des opérations, il presque impossible de limiter lui est Dans l'état de chaos où il ne serait pas sage monde, se nous pouvons nous car principe, vue ce perdre de de attendre à recevoir des demandes de troupes, ne fût-ce qu'une ou deux compagnies, sur tous les coins du l'étendue de ses obligations. trouve aujourd'hui continent, et il le sera difficile parfois de ne pas céder. Refusons aujourd'hui avec insistance d'accéder à toute demande de ce genre n'émanant pas d'une partie de l'empire britannique avant un examen attentif obligations qu'impliquerait éventuellement une des telle requête. Ainsi, plus la Royaume-Uni rope et haute se rend autorité militaire du compte du chaos de l'Eu- des embarras de l'Empire britannique. Les forces de l'Empire britannique sont absorbées par des besognes trop vastes, santes, et ne il le continent. et non pas reste rien : le maréchal Wilson du mal à envoyer )) pour figurer sur Encore ne pourrait-il que figurer agir qu'il aurait compagnies lui trop pres- « sait bien une ou deux dans beaucoup d'endroits à la fois. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 242 Il bien qu'il nous a demandé de remplacer, sait dans pays à plébiscite, les par nos soldats à nous. et qui finissent tate au fond, et c'est ce qui se éliminée l'excès expédi- les des lit de s'en affaires cons- Il à travers les que l'Angleterre, d'autres raisons n'avait soldats anglais par des corps d'armée. lignes de son rapport, serait les redoute commencent par quelques escouades qui tions Il si elle désintéresser, continentales par L'Empire bri- de ses propres charges. tannique a des embarras réels qui sont çon de ses acroissements immodérés. Il la ran- souffre aussi pour sa part, et peut-être sans s'en rendre compte, d'avoir respecté ce qu'il eût fallu détruire et détruit ce qu'il eût ver. Les embarras de l'Angleterre alourdissent singulièrement sa politique. comme une sure ils Ils sont pour elle hypothèque. Dans une certaine me- diminuent Si l'Angleterre pas, mieux valu conser- la valeur de son alliance. a des escadres que nous n'avons nous avons une armée qu'elle n'a pas non plus. Cette comparaison rétablit l'égalité. Par là aussi elle nous rend libres. Un soldat comme le maréchal Wilson ne ferme pas les yeux à cette évidence : l'Europe est dans 243 POSITION DE LA FRANCE Et « cliaos ». le chances des chaos, c'est aussi L'instabilité, nomie que le que pour Il y a physio- la de Versailles avait cru donner Ce sont à l'Europe soit provisoire. eux-mêmes ments l'instabilité. mouvement. le croissantes le traité c'est nous qui événe- les obligeront sans doute à reprendre une œuvre imparfaite et mal équilibrée. Alors, la France, qui a les moyens d'agir sur le continent, devrait-elle subordonner sa politique comporte se et de l'Angleterre extérieure à celle de son propre aveu, n'a pas ces moyens qui, en conséquence, chaque fois qu'elle conclut à l'inaction.!^ La France ne garde pas seulement combien de temps a Elle encore.^ l'expérience des — les — moyens affaires pour d'agir. européennes. Elle possède les idées et les solutions efficaces. Pourquoi ne rence .^^ serait-elle Pourquoi les points ne seraient-ils pas rait-elle pas entendue de préfé- les siens de vue qui prévalent .^ Et pourquoi n'agi- pas dans son indépendance quand faut? Avec un instinct juste, le le donné en Pologne aurait des des choses seront à reprendre, le maréchal Wilson a prévu que l'ébranlement dont été il si signal a déjà suites. Bien on ne veut pas CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 244 reprennent qu'elles traité toutes de Versailles n'a rien terminé, qu'on a commencé ce impératrice. Alors, », idées directrices. la paix <( avoir : le faut finir autrefois disait faudra il manqué aux auteurs de des Puisque seules. cette qui ce a des méthodes, Les orages prochains se chargeront de démontrer que rien ne sera fait tant que l'Allemagne conservera cette puissance politique qui engendre toute autre puissance et qui lui rendra tôt ou tard sa puissance militaire en dépit des interdictions. au Mais, milieu de ces orages européens, l'Allemagne elle-même n'échapperait sans doute pas à des secousses et à des crises. que politique française devra pouvoir, la aider entraves, doctrine (et politique), pêchera si et diriger les là sans événements. Sa sans une doctrine on n'a pas de sa doctrine est qu'il n'y a Europe C'est fondée sur l'expérience pas de repos ni de sécurité en l'Allemagne reste qu'elle redevienne forte, et rien forte tant n'emqu'elle sera unie et centralisée. C'est ce dont convient le plus grand journal des financiers, raux et des libé- des unitaires allemands, la Gazette de Francfort, lorsqu'elle dit des projets fédéralistes POSITION DE LA FRANCE du docteur Heim, bavarois recette populaire parti Une Allemagne fédérale <( : du chef le 245 selon la Ileim aurait certainement du succès en France, parce que ce serait une Allemagne impuissante. » admirablement C'est qu'il alliés et moyens faut, et n'y a Il là. Et nous avons idées, pour ramener qu'à ne pas nous écarter de ce dit. ennemis à ce point de vue essentiel, à travers les prochains événements. Ces quels alliés, trouverons-nous.^ alliances. On Il seront-ils les les obtient par la force et par le les On Comment ne s'agit pas de mendier prestige qu'on possède, peut rendre. .f* par les les obtient aussi mité des intérêts. Et les systèmes qu'on services par la confor- les plus ambi- tieux ne sont pas les plus solides. Pedetemptim, c'est la devise des forts et des sages. Brin nous organiserons Depuis on peut la signature même à brin, le faisceau. du traité de Versailles, dire depuis l'armistice, l'union des temps de la guerre ne s'est plus reformée, et pour quelques heures seulement, que par les pro- CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 246 vocations et Gomment maladresses l'Allemagne. de quand on connaît l'his- du commandement unique, quand on toire quel péril ce les s'en étonner il a fallu pour que, commandement L'union, fût aujourd'hui, sait 23 mars 1918, le donné au maréchal Foch? n'est plus qu'une union de circonstance. Elle est de courte durée. Une fois passé l'incident qui l'a fait renaître, chacun retourne à ses affaires et à ses idées. Les souvenirs de la guerre s'éloignent. les musées historiques. Seules Ils la entrent dans Belgique et la France restent rassemblées en permanence, face même au Rhin, par un un même de conservation. instinct franco-belge est le souci de sécurité, premier point, autour duquel pourront se Pour alliances. la nouer, il le par L'alliance point solide cristalliser d'autres aura fallu pourtant de longs mois et passer par l'étape de la convention Elle militaire. toute seule, et il a fallu ne se sera pas faite que, des deux côtés, hommes en prissent l'initiative. Elle a langui un moment à cause de la question du Luxembourg, comme si cette question ne devait des pas être résolue par l'alliance au lieu que liance en dépendît. Du temps l'al- a été i)erdu à POSITION DE LA FRANCE combinaison une chercher anglo-franco-belge dont l'Angleterre ne voulait pas et meilleure façon britannique chose toute d'intéresser n'était pas de le lui comme cela présenter représenter ailleurs. prouve que, dans même la il parti. Tout les cas les plus simples, entre deux peuples qui ont subi les plus clairs, la se la gouvernement y a eu des résistances, des oppositions de Tout cela pourra si en Belgique même, Enfin, faite. 247 invasion, et dans la fraîcheur de leurs souvenirs, l'entente et la collaboration rencon- trent encore des obstacles. On trouve qu'un surtout des alliances contre quel- ou contre quelque chose. Celle de la Belgique s'est fondée sur une identité d'intérêts et de vues en face du péril allemand. D'autres nous apporteront d'autres asso- périls partagés ciés. et Ces périls ne sont pas seulement politiques militaires. Or, société. s'est chie. sans y a aussi ceux que court même mise en Europe à Elle est lence, Il devenue l'antithèse le s'en douter, la tête la la France de la résistance. pays de l'ordre par excel- du bolchévisme Depuis longtemps, et de l'anar- mais depuis Varsovie surtout, nous avons cessé de tenir boutique de 248 CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX Nous ne séduisons plus révolution. gauche, de et tournent entier du yeux vers nous. les hommes monde les conservateurs les Qu'est-ce que notre révolution de 1789 auprès de de Moscou .i^ Aujourd'hui, les idées celle avancées, ce sont les idées socialistes dont la France ne veut à aucun prix, dont Tout loir. toire, ses même ne peut elle pas vou- son caractère, son le lui interdit, mœurs, sa formation sociale. ne nous reste qu'à avancer dans voie la his- Alors où. il la force des choses nous a mis, où elle a mis à leur insu hommes des étaient qu'ils nés ne qui soupçonnaient une réaction. pour pas Depuis que de vieux gouvernements monarchiques sont tombés pour au place laisser au désordre, chaos, à une sombre négation, depuis ce retour en arrière, sans précédent par la rapidité, la position la violence et intellectuelle, par morale et politique du peuple français a changé du tout au Par tout. le seul fait qu'elle restait telle qu'elle était et qu'elle continuait à vivre dans les mêmes conditions, réactionnaire. dans le sens Et oij elle elle la est France allée était portée. rend pas toujours compte est devenue naturellement Elle ne s'en et l'un des plus beaux 249 POSITION DE LA FRA.NCE vers de notre langue dit l'a « : Rarement un esprit ose être ce qu'il est. » Oserons-nous être ce la que nous sommes? Depuis que, d'instinct, France a manifesté sa répulsion pour révolutionnaire tel l'esprit qu'il est apparu au vingtième sous ses formes franchement asiatiques, siècle on aura beau monde France entier, la révolution. on aura beau dire faire, C'est pays de est le tellement évident, : pour le la contre- tellement sûr que l'étiquette réactionnaire nous est appli- Dans quée partout. nous n'avons qu'à l'état présent la garder. Elle du monde, nous vaudra des sympathies nombreuses, car personne ne la porte avec cet éclat, avec ce prestige. Notre physionomie morale en est renouvelée. Et puis, il y a un besoin d'ordre croissant qu'aucun autre pays n'est capable de satisfaire. Nous avons un rôle à prendre. C'est nous reste à prendre. le Si même le seul rôle qu'il nous retombions dans radicalisme d'autrefois, pétri de concessions pour les idées révolutionnaires, nous perdrions toute raison d'être. Nous serions exposés, sans gloire et sans profit, à nous asseoir entre la réaction et la révolution. La réaction, nous en laisserions le bénéfice à d'autres. Quant à la CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX 250 révolution, ce n'est plus sur la France, désor- mais, que les amateurs seront tentés de prendre modèle. C'est à l'école de Moscou. Très lentement, au bout d'un demi-siècle, la troisième République a subi l'évolution que la seconde avait parcourue en quelques mois. Rien ne ressemble aussi peu à que de 1849. La celle République de 1848 la même trouve entre la République voyons en 1920 en 1914 et large très et telle même c'est la la guerre. le Dans une comme il y a contraste entre la de la nation française convulsions anarchiques des autres parties de l'Europe qui a poussé le pays dans un sens conservateur, qui vers re- que nous telle mesure, aujourd'hui soixante-douze ans, se que nous l'avons connue pendant solidité intime et naturelle et les différence une politique comme au dehors. régime a orientés les conservatrice Ajoutez et le au dedans aux leçons de la guerre, à l'expérience désastreuse de la Russie, que les idées révolutionnaires ont perdu de la séduction qu'elles gardaient en ont et 1849. vieilli, de la Avec qu'elles puissance plus de bonheur, entouré d'une atmosphère infiniment plus favorable, M. Millerand apparaît un peu POSITION DE LA FRANCE comme (( Bastide de cette période républicaine, Bastide sage le r le 251 éteignoir » que ses ennemis appelaient parce qu'il arrêtait en Europe le feu des révolutions. Les circonstances sont plus propices qu'alors à une politique de grande envergure,' politique nationale et contre-révolution- naire à la fois, au service de laquelle la France mettra sa force retrouvée et son prestige accru. Il n'y a pas d'autre issue aux difficultés innom- brables que nous a léguées la paix. Nous sou- haitons seulement à dans voie la la Bépublique, où l'ont introduite nouvelle événements, de ne pas comme troisième la seconde avait finir fini. FIN les par un contresens, . TABLE DES MATIÈRES I';iS.'cs. Avant-propos Chapitre premier. faute des Chapitre Chapitre 7 — La faute des choses et la hommes 9 — Caractères de la paix III. — Ce qui a sauvé l'unité 25 II. alle- mande 5 7 — Chapitre IV. Soixante millions d'Allemands débiteurs de quarante millions de Français. — Chapitre V. Chapitre VI. Chapitre VII. Ils — L'alerte cartes. 121 de 1920 et l'avenir 145 des Slaves Appendice au chapitre VIL la 87 113 Le jeu de trente-deux — ... ignoreront — L'Allemagne Pologne Chapitre VIII. — L'imbroglio adriatique Chapitre IX. — Hypothèses et probabilités Chapitre X. — Position de la France et 173 181 197 225 -^S> ACHEVE LE 5 D IMPRIMER JUIN 1935 par firmin-didot au mesnil-sur-l'estrée (frange) ^Mà B23 Robarts Lfbrary DUE DATE: '^UE C Apr. 12, 1993 Por téléphone renewals calf û'yrt ** — ! à y \'iVi>!>.'>y>.>j