Quelles sont les données épidémiologiques récentes

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3 questions à...
Données récentes
sur le cancer bronchique
Entretien avec E. Quoix (service de pneumologie Lyautey, hôpitaux universitaires de Strasbourg)
> Réalisé par G. Mégret
Quelles sont les données
épidémiologiques récentes
sur le cancer bronchique vous
semblant mériter d’être relevées ?
La modification épidémiologique la plus marquante est
incontestablement l’arrivée massive des femmes sur le “marché” du cancer bronchique. Entre 1985 et 1995, l’incidence
du cancer du poumon chez la femme a presque doublé, avec,
en 1985, 1892 cas diagnostiqués, et 3 578 en 1995. Cela
s’explique probablement par l’augmentation du tabagisme
féminin depuis les années 1960. Il est donc probable que l’on
constate, avec vingt ans de retard, le phénomène observé
outre-Atlantique, où le tabagisme féminin avait débuté dès
la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1950, la mortalité
par cancer du poumon représentait chez la femme, aux ÉtatsUnis, 3 % des décès par cancer. Entre 1968 et 1999, le taux
de cancer du poumon a augmenté de 266 % (alors qu’il diminuait dans le même temps chez l’homme, de 15 %). Depuis
1987, le cancer bronchique représente aux États-Unis la première cause de mortalité par cancer chez les femmes, devant
les cancers du sein, avec un taux de 22 %, alors qu’en France
il est passé de la sixième place en 1985 à la troisième place
en 1995. La consommation de tabac relevée chez les femmes
ayant un cancer bronchique est constamment inférieure à
celle relevée chez les hommes. Cela tend à accréditer l’idée
d’une plus grande sensibilité au tabac chez les femmes, expliquée par des capacités inférieures de réparation de l’ADN, la
présence plus fréquente de récepteur au GRP et une moindre
capacité à détoxifier les composants de la fumée du tabac.
D’un autre côté, la part des cancers bronchiques attribuables
au tabagisme actif est largement inférieure (environ 70 %)
chez les femmes que chez les hommes (environ 85 %).
D’autres facteurs de risque interviennent, difficiles à quantifier et à affirmer pour beaucoup d’entre eux (exposition
domestique au radon, antécédents de maladies pulmonaires
bénignes, exposition hormonale, tabagisme passif).
Beaucoup de recherches sont actuellement en cours pour
expliquer les différences dans les facteurs de risque selon le
sexe, en sachant que d’autres différences existent, comme la
répartition par type histologique, la présentation clinique et
le pronostic.
Quelles modalités actuelles permettent
d’optimiser le traitement des tumeurs
bronchiques opérables ?
Les cancers bronchiques à la fois résécables (stades I et II
ainsi que certains stades IIIA) et opérables (sans comorbidités empêchant médicalement de les opérer) représentent
environ 20 à 25 % des cancers bronchiques non à petites cellules. Les résultats de la chirurgie restent largement insatisfaisants, avec un taux de survie de 40 % à 5 ans. Dans une
méta-analyse des essais de radiothérapie postopératoire, il a
été largement démontré que la radiothérapie était délétère
dans les stades I et II. Dans les stades IIIA, elle permet de
diminuer le taux de rechutes locales mais n’a pas d’effet sur
la survie, et il y a actuellement certainement la place pour
un essai randomisé s’attachant à établir, avec des techniques
de radiothérapie moderne, la place éventuelle de la radiothérapie postopératoire dans les stades IIIA. La place de la
chimiothérapie périopératoire, qui a fait l’objet de nombreux
essais en ce qui concerne son administration en adjuvant
mais nettement moins en ce qui concerne son administration
en néoadjuvant, est à présent établie. Parmi les essais de
chimiothérapie adjuvante, l’essai IALT, qui a inclus plus de
1 800 patients, est positif, avec un gain de survie de 4,1 %
à 5 ans. L’essai ALPI, qui a inclus près de 1 100 patients, est
quant à lui négatif, même s’il existe une tendance en faveur
de la chimiothérapie postopératoire en termes de temps jusqu’à progression. En Amérique du Nord, le NCIC a publié un
essai consacré aux stades IB et II, avec une chimiothérapie
postopératoire à base de cisplatine + vinorelbine. Le gain de
survie dans le bras chimiothérapie est de 15 % à 5 ans. Deux
autres essais, l’essai français ANITA, consacré aux stades IB
à IIIA, employant également une chimiothérapie par cisplatine + vinorelbine, et l’essai du CALGB, n’ont encore été
publiés que sous forme d’abstracts à l’ASCO et sont tous deux
La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 6 - décembre 2005
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également positifs. Tous ces essais de chimiothérapie adjuvante, quels que soient leurs résultats, se caractérisent par
une compliance médiocre, 70 % environ des patients recevant
la chimiothérapie prévue. Cela n’est pas le cas des essais de
chimiothérapie néoadjuvante, où la compliance est supérieure
à 90 %. Le concept de chimiothérapie néoadjuvante, présente
d’autres avantages par rapport à la chimiothérapie adjuvante :
le fait de pouvoir juger de l’efficacité de la chimiothérapie, la
possibilité de diminuer l’extension de la résection parenchymateuse. Le seul inconvénient, si c’en est un, est de ne pas
pouvoir disposer d’une stadification chirurgicale initiale. Après
deux essais positifs publiés en 1994 concernant les stades IIIA
et ayant inclus chacun 60 patients seulement, le seul essai
d’envergure publié est français. Bien qu’il existe une tendance
en faveur du bras chimiothérapie, avec un gain de survie de
10 % à 5 ans, ce bénéfice n’est pas significatif (p = 0,14),
alors que le temps jusqu’à progression est significativement
plus long dans le bras chimiothérapie. Cette année a été présenté à l’ASCO un essai nord-américain de taille à peu près
identique ; là encore, malgré une tendance à une survie plus
longue dans le bras chimiothérapie, la différence n’est pas
significative. Une récente méta-analyse a montré l’intérêt à la
fois de la chimiothérapie néoadjuvante et de la chimiothérapie adjuvante ; dans ces conditions, on peut conclure que la
chimiothérapie périopératoire est devenue un standard, du
moins dans les stades IB, II et IIIA, en Europe. Nous n’avons
pas d’élément actuellement permettant de la proposer aux
stades IA. D’autres essais en cours, et notamment l’essai espagnol, permettront peut-être de déterminer le meilleur moment
pour l’administration de la chimiothérapie.
Est-il possible d’identifier les patients
susceptibles de bénéficier de thérapies
ciblées ?
Dès les premiers essais de phase II du géfitinib, il est apparu
clairement que certains groupes de patients étaient davantage susceptibles de répondre à cette thérapeutique : les
femmes, les non-fumeurs, les patients ayant un adénocarcinome (et ce d’autant plus qu’il s’agira du type pneumonique
ou bronchiolo-alvéolaire) et les Asiatiques. Au printemps
2004 sont sortis simultanément deux articles capitaux qui
mettaient en évidence l’existence de mutations sur le gène
codant pour le domaine intracellulaire de l’EGFR. Ces mutations siègent essentiellement, mais pas seulement, sur les
exons 18 à 21 (et tout particulièrement les exons 19 et 21).
Ces analyses ont été effectuées rétrospectivement sur des
échantillons tumoraux disponibles chez des répondeurs et
18
des non-répondeurs. En novembre 2004, 192 mutations différentes avaient été identifiées, dont 165 sur les exons 19 et
21. Dans un premier temps, il est apparu que ces mutations
responsables de changements dans la conformation du
domaine intracellulaire d’EGFR étaient présentes chez pratiquement tous les répondeurs et absentes chez les nonrépondeurs et qu’elles se rencontraient donc essentiellement
dans les sous-groupes cliniques définis plus haut. Par la
suite, des études prospectives ont montré que ces mutations
n’étaient en fait ni obligatoirement présentes chez les répondeurs, ni obligatoirement absentes ches les non-répondeurs.
On a également pu montrer que, lorsqu’il existait une mutation de K-ras, aucune réponse au géfitinib ni à l’erlotinib
n’était observée, et qu’à l’inverse la mise en évidence (par
FISH) de plusieurs copies du gène de l’EGRF était corrélée à
la réponse. Dans la récente étude ayant comparé l’erlotinib
(un autre inhibiteur du domaine intracellulaire de l’EGFR) à
un placebo en deuxième ou troisième ligne, on retrouve une
prédominance des réponses dans les sous-groupes définis
plus haut. Néanmoins, on observe un bénéfice du traitement
par erlotinib dans tous les sous-groupes, y compris celui des
hommes fumeurs et ayant un cancer bronchique épidermoïde.
La raison de la négativité de l’essai ISEL comparant le géfitinib à un placebo en deuxième ou troisième ligne, alors que
l’essai avec l’erlotinib dans la même indication est positif,
n’est pas claire. Il est possible que le géfitinib et l’erlotinib
n’aient pas tout à fait le même mécanisme d’action, que
la réaction aux mutations soit différente, que ce soit un
“manque de chance”, etc.
Ce pourrait être un problème de dose, l’erlotinib étant administré à une dose plus proche de la dose maximale tolérée
(DMT) que le géfitinib. Quoi qu’il en soit, même si l’appartenance à certains groupes cliniques permet d’espérer un taux
de réponse supérieur, dans la mesure où un bénéfice thérapeutique est observé dans les autres groupes également, il
est actuellement impossible de sélectionner cliniquement les
patients devant recevoir un inhibiteur des tyrosines kinases.
De même, le rôle des mutations dans la survenue d’une réponse
s’est révélé moins prépondérant qu’initialement, et la recherche
de ces mutations n’est de toute façon pas pour l’instant passée
dans la routine. Il importe donc dans l’immédiat de s’en tenir
à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) : “Tarceva®
(erlotinib) est indiqué dans le traitement des formes localement avancées ou métastatiques du cancer bronchique non à
petites cellules après échec d’au moins une ligne de chimiothérapie”. Il est néanmoins probable que l’on arrivera dans un
avenir plus ou moins proche à cibler les populations susceptibles de bénéficier des thérapeutiques… ciblées, la recherche
■
n’en étant dans ce domaine qu’à ses débuts.
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