Carcinome à cellules de Merkel : une nouvelle tumeur cutanée viro-induite Littérature

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Littérature
Carcinome à cellules de Merkel : une nouvelle tumeur
cutanée viro-induite
Merkel cell carcinoma: a new virus-associated tumor
V. Descamps
(Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris)
Mots-clés : Tumeur de Merkel • Polyomavirus • Virus.
Keywords: Merkel cell carcinoma • Polyomavirus • Virus.
L’
à sa survenue : l’immunosuppression et l’exposition aux ultraviolets. Le meilleur traitement reste le diagnostic précoce avec
exérèse chirurgicale. Cette tumeur est radio- et chimiosensible,
avec toutefois rapidement un échappement à ces traitements
conventionnels.
équipe de Y. Chang et P.S. Moore, qui avait déjà publié
en 1994 dans la revue Science la découverte du virus
de la maladie de Kaposi (1) rebaptisé depuis HHV8, à
l’aide de techniques de biologie moléculaire, a récidivé cette
année dans le même journal (2) en identifiant un nouvel agent
infectieux, un virus de la famille des Polyomavirus, associé au
carcinome à cellules de Merkel (MCC).
L’incidence de cette tumeur peu fréquente est estimée à 0,23
pour 100 000 dans la population caucasienne, et elle est 20 fois
moins importante dans la population afro-antillaise. La majorité des MCC s’observent chez des sujets âgés, avec un âge
moyen de 69 ans. Dans seulement 5 % des cas, le diagnostic
peut être plus précoce, avant 50 ans. Ces tumeurs se développent préférentiellement en zones photoexposées.
Ce travail s’affirme dès à présent comme une des découvertes
majeures de l’année 2008 en cancérologie. Il confirme le rôle
des agents viraux dans la carcinogenèse chez l’homme. Le
MCC s’ajoute à une liste croissante de tumeurs viro-induites
en dermatologie : cancer du col utérin et des organes génitaux
externes et Papillomavirus humain (PVH) à haut risque oncogène, maladie de Kaposi et HHV8, léiomyosarcomes cutanés et
Epstein-Barr virus (EBV), etc. La mise en évidence de cet agent
viral permet de mieux comprendre certaines caractéristiques
du MCC : son développement est favorisé par l’immunodépression ou l’exposition aux ultraviolets. Il souligne enfin la performance des techniques de biologie moléculaire soustractives,
et pourrait permettre le développement de nouvelles thérapeutiques à l’heure de la mise à disposition de la vaccination
préventive des infections à PVH muqueux.
Jusqu’à ces derniers mois, les facteurs impliqués dans la
survenue du MCC étaient dominés par l’exposition solaire.
R.W. Miller (4) avait ainsi pu corréler l’incidence du MCC à un
index d’exposition aux UVB. Toutefois, la présence de MCC en
zones non photoexposées a fait penser à d’autres facteurs
étiologiques. L’arsenic, les psoralènes et les UVA ont été aussi
proposés. L’immunosuppression est le deuxième facteur classiquement impliqué. Le MCC s’observe plus fréquemment chez
les transplantés, avec un risque évalué à 0,13 pour 1 000 chez les
transplantés rénaux. Il est plus fréquent chez les patients infectés
par le VIH ou atteints de leucémie lymphoïde chronique.
Le carcinome à cellules de Merkel : une tumeur
agressive dont l’incidence est croissante
Le MCC est une tumeur cutanée rare, très agressive, d’origine neuroendocrine (3). Les cellules de Merkel à l’origine de
cette tumeur sont considérées comme des mécanorécepteurs
sensibles aux variations de pression. Elles ont été décrites par
Fredrick Merkel en 1875. Elles sont d’origine neuroendocrinienne et migrent depuis la crête neurale jusqu’à la peau, où
elles se différencient en cellules matures. Elles expriment des
marqueurs neuronaux et épithéliaux.
Cette tumeur a un potentiel invasif à la fois cutané, lymphatique
et sanguin. Plusieurs facteurs étaient classiquement associés
Cliniquement, le MCC est typiquement un nodule rouge violacé
recouvert de télangiectasies. Souvent, le diagnostic clinique
n’est pas posé, et sont évoqués un carcinome basocellulaire,
un carcinome épidermoïde, un mélanome achromique ou un
lymphome cutané. La plupart des lésions mesurent moins de
2 centimètres. Peuvent s’associer des lésions satellites puis des
adénopathies régionales, qui sont déjà présentes au moment
du diagnostic dans un tiers des cas. Les localisations métastatiques sont préférentiellement la peau (28 %), les ganglions
(27 %), le foie (13 %), les poumons (10 %), les os (10 %) et, dans
une moindre mesure, le cerveau (6 %). La tumeur primitive
n’est parfois pas identifiée, et peut régresser spontanément.
Le diagnostic histologique repose sur les données immunohistochimiques, avec une positivité à la fois des marqueurs
neuroendocrines (neurone-specific enolase, chromogranine)
et des marqueurs de cytokératine (cytokératine 20, CAM5.2),
et une négativité de la protéine S100 et de l’antigène commun
leucocytaire.
Images en Dermatologie • Vol. I • n° 2 • avril-mai-juin 2008
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L’évaluation du stade de la maladie bénéficie des procédures
du ganglion sentinelle, de la scintigraphie à l’octréotide et du
PET scan.
Technique de soustraction génomique
L’hypothèse virale du MCC était séduisante et a pu être étudiée
à l’aide de la technique de soustraction génomique.
Cette technique permet d’identifier la présence d’un matériel
génétique d’origine étrangère (agent viral) en comparant des
banques d’acides nucléiques (ADNc) produits à partir des ARN
de la tumeur étudiée avec des banques de référence du génome
humain. Les limites de cette technique sont les quantités du
génome viral au sein des prélèvements. H. Feng et al. (2) ont
construit deux banques d’ADNc : la première à partir d’une seule
tumeur, la seconde à partir d’un mélange de trois tumeurs,
qui ont été comparées avec des banques génomiques de référence. En faisant une soustraction des séquences génomiques
humaines connues, il a ainsi été mis en évidence un ADNc
étranger ne correspondant à aucune séquence génomique
humaine. Un tel fragment peut ensuite être cloné, permettant
de rechercher, au sein d’autres banques d’ADN d’agents infectieux, l’agent viral possiblement impliqué. Ainsi, H. Feng a pu,
à partir d’une banque de 395 000 séquences de 150-200 paires
de bases, restreindre l’étude, après soustraction génomique
des séquences humaines connues, à 2 395 séquences, pour
finalement isoler une séquence présentant des similitudes avec
celle d’un polyomavirus. Les auteurs ont ensuite pu cloner l’ensemble du virus (5 387 paires de bases) et l’ont baptisé Merkel
cell polyomavirus (MCPyV ou MCV).
De la simple présence d’un ADN viral
à l’affirmation d’une tumeur viro-induite
La mise en évidence d’un ADN étranger dans une tumeur ne
permet pas d’affirmer sa responsabilité dans son développement. Outre un problème de contamination, de nombreux
agents viraux sont présents sous la forme d’une infection latente
(herpèsvirus, PVH) sans être à l’origine d’une pathologie.
H. Feng et al. ont analysé des prélèvements provenant de
10 patients avec MCC. Le nouveau virus (Merkel cell polyomavirus) a été identifié chez 8 des 10 patients (80 %). À l’opposé, seuls 5 sur 59 prélèvements non cutanés (8 %) et 4 sur
25 prélèvements cutanés (16 %) issus de patients sans MCC
étaient porteurs de ce virus.
Enfin, ce virus était présent sous une forme intégrée de
façon clonale au génome cellulaire dans les tumeurs (6 des 8
tumeurs étudiées) et les métastases de la même tumeur. Cet
élément est essentiel, car c’est vraisemblablement un événement majeur dans la carcinogenèse (comme cela est observé
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pour les PVH à haut risque oncogène). Il est à noter que le site
d’insertion n’était pas le même pour ces différentes tumeurs.
Dans un des cas, il était au sein d’un possible gène suppresseur de tumeur (le gène PTPRG du chromosome 3p14). C’est
le premier polyomavirus humain dont l’intégration génomique
a pu être montrée.
Merkel cell polyomavirus (MCPyV ou MCV) :
un nouvel agent viral à potentiel oncogène
L’analyse phylogénétique du MCV révèle des relations entre
les différents polyomavirus des mammifères. Il est génétiquement proche du polyomavirus lymphotrope (polyomavirus
des singes verts d’Afrique) et des polyomavirus de la souris
et du hamster. Ces virus ont une grande spécificité d’espèce
et il était admis qu’ils avaient évolué au cours du temps,
toujours au sein d’une même espèce. La découverte de ce
nouveau virus pourrait remettre en question cette conception,
faisant évoquer un possible transfert d’une autre espèce à
l’homme.
Les polyomavirus sont des modèles de virus oncogénique sur
les animaux de laboratoire. Les antigènes viraux (antigène T)
ont la capacité d’immortaliser et de transformer les cellules en
culture. Il faut rappeler que l’implication d’autres polyomavirus
humains – les virus BK et JC, très éloignés du Merkel cell
polyomavirus – dans des cancers chez l’homme n’a jamais été
démontrée malgré de très nombreuses études. Ils sont respectivement associés à des infections urinaires responsables de
néphropathies ou de leucoencéphalopathie multifocale chez
les sujets immunodéprimés.
L’histoire naturelle de l’infection par ce nouvel agent viral reste
à comprendre, et il faut maintenant répondre à de nombreuses
questions, à la fois épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et bien sûr fondamentales : sa prévalence au sein de la
population générale, le mode de contamination, son pouvoir
pathogène et son implication dans d’autres tumeurs, ainsi que
l’immunité, la nature des oncogènes viraux et l’interaction avec
les gènes suppresseurs de tumeurs (p53, p73, pRB, etc.). Et
pourquoi pas imaginer dans quelques années une possible
vaccination préventive…
II
Références bibliographiques
1. Chang Y, Cesarman E, Pessin MS et al. Identification of herpesvirus-like DNA
sequences in AIDS-associated Kaposi’s sarcoma. Science 1994;266:1865-9.
2. Feng H, Shuda M, Chang Y, Moore PS. Clonal integration of a Polyomavirus
in Human Merkel Cell carcinoma. Science 2008;319:1096-100.
3. Poulsen M. Merkel-cell carcinoma of the skin. Lancet Oncol 2004;5:593-9.
4. Miller RW, Rabkin CS. Merkel cell carcinoma and melanoma: etiological similarities and differences. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev
1999;8(2):153-8.
Images en Dermatologie • Vol. I • n° 2 • avril-mai-juin 2008
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