Carcinome à cellules de Merkel : une nouvelle tumeur cutanée viro-induite Littérature

Images en Dermatologie Vol. I 2 avril-mai-juin 2008
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Littérature
Carcinome à cellules de Merkel : une nouvelle tumeur
cutanée viro-induite
Merkel cell carcinoma: a new virus-associated tumor
V. Descamps
(Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris)
L
équipe de Y. Chang et P.S. Moore, qui avait déjà publié
en 1994 dans la revue
Science
la découverte du virus
de la maladie de Kaposi
(1)
rebaptisé depuis HHV8, à
l’aide de techniques de biologie moléculaire, a récidivé cette
année dans le même journal
(2)
en identi ant un nouvel agent
infectieux, un virus de la famille des Polyomavirus, associé au
carcinome à cellules de Merkel (MCC).
Ce travail s’af rme dès à présent comme une des découvertes
majeures de l’année 2008 en cancérologie. Il con rme le rôle
des agents viraux dans la carcinogenèse chez l’homme. Le
MCC s’ajoute à une liste croissante de tumeurs viro-induites
en dermatologie : cancer du col utérin et des organes génitaux
externes et Papillomavirus humain (PVH) à haut risque onco-
gène, maladie de Kaposi et HHV8, léiomyosarcomes cutanés et
Epstein-Barr virus (EBV), etc. La mise en évidence de cet agent
viral permet de mieux comprendre certaines caractéristiques
du MCC : son développement est favorisé par l’immunodépres-
sion ou l’exposition aux ultraviolets. Il souligne en n la perfor-
mance des techniques de biologie moléculaire soustractives,
et pourrait permettre le développement de nouvelles théra-
peutiques à l’heure de la mise à disposition de la vaccination
préventive des infections à PVH muqueux.
Le carcinome à cellules de Merkel : une tumeur
agressive dont l’incidence est croissante
Le MCC est une tumeur cutanée rare, très agressive, d’ori-
gine neuroendocrine
(3)
. Les cellules de Merkel à l’origine de
cette tumeur sont considérées comme des mécanorécepteurs
sensibles aux variations de pression. Elles ont été décrites par
Fredrick Merkel en 1875. Elles sont d’origine neuroendocri-
nienne et migrent depuis la crête neurale jusqu’à la peau, où
elles se différencient en cellules matures. Elles expriment des
marqueurs neuronaux et épithéliaux.
Cette tumeur a un potentiel invasif à la fois cutané, lymphatique
et sanguin. Plusieurs facteurs étaient classiquement associés
à sa survenue : l’immunosuppression et l’exposition aux ultra-
violets. Le meilleur traitement reste le diagnostic précoce avec
exérèse chirurgicale. Cette tumeur est radio- et chimiosensible,
avec toutefois rapidement un échappement à ces traitements
conventionnels.
L’incidence de cette tumeur peu fréquente est estimée à 0,23
pour 100 000 dans la population caucasienne, et elle est 20 fois
moins importante dans la population afro-antillaise. La majo-
rité des MCC s’observent chez des sujets âgés, avec un âge
moyen de 69 ans. Dans seulement 5 % des cas, le diagnostic
peut être plus précoce, avant 50 ans. Ces tumeurs se dévelop-
pent préférentiellement en zones photoexposées.
Jusqu’à ces derniers mois, les facteurs impliqués dans la
survenue du MCC étaient dominés par l’exposition solaire.
R.W. Miller
(4)
avait ainsi pu corréler l’incidence du MCC à un
index d’exposition aux UVB. Toutefois, la présence de MCC en
zones non photoexposées a fait penser à d’autres facteurs
étiologiques. L’arsenic, les psoralènes et les UVA ont été aussi
proposés. L’immunosuppression est le deuxième facteur clas-
siquement impliqué. Le MCC s’observe plus fréquemment chez
les transplantés, avec un risque évalué à 0,13 pour 1 000 chez les
transplantés rénaux. Il est plus fréquent chez les patients infectés
par le VIH ou atteints de leucémie lymphoïde chronique.
Cliniquement, le MCC est typiquement un nodule rouge violacé
recouvert de télangiectasies. Souvent, le diagnostic clinique
n’est pas posé, et sont évoqués un carcinome basocellulaire,
un carcinome épidermoïde, un mélanome achromique ou un
lymphome cutané. La plupart des lésions mesurent moins de
2 centimètres. Peuvent s’associer des lésions satellites puis des
adénopathies régionales, qui sont déjà présentes au moment
du diagnostic dans un tiers des cas. Les localisations métas-
tatiques sont préférentiellement la peau (28 %), les ganglions
(27 %), le foie (13 %), les poumons (10 %), les os (10 %) et, dans
une moindre mesure, le cerveau (6 %). La tumeur primitive
n’est parfois pas identi ée, et peut régresser spontanément.
Le diagnostic histologique repose sur les données immuno-
histochimiques, avec une positivité à la fois des marqueurs
neuroendocrines (
neurone-speci c enolase,
chromogranine)
et des marqueurs de cytokératine (cytokératine 20, CAM5.2),
et une négativité de la protéine S100 et de l’antigène commun
leucocytaire.
Mots-clés : Tumeur de Merkel • Polyomavirus • Virus.
Keywords: Merkel cell carcinoma • Polyomavirus • Virus.
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L’évaluation du stade de la maladie béné cie des procédures
du ganglion sentinelle, de la scintigraphie à l’octréotide et du
PET scan.
Technique de soustraction génomique
L’hypothèse virale du MCC était séduisante et a pu être étudiée
à l’aide de la technique de soustraction génomique.
Cette technique permet d’identi er la présence d’un matériel
génétique d’origine étrangère (agent viral) en comparant des
banques d’acides nucléiques (ADNc) produits à partir des ARN
de la tumeur étudiée avec des banques de férence du génome
humain. Les limites de cette technique sont les quantités du
génome viral au sein des prélèvements. H. Feng et al.
(2)
ont
construit deux banques d’ADNc : la première à partir d’une seule
tumeur, la seconde à partir d’un mélange de trois tumeurs,
qui ont été comparées avec des banques génomiques de réfé-
rence. En faisant une soustraction des séquences génomiques
humaines connues, il a ainsi été mis en évidence un ADNc
étranger ne correspondant à aucune quence génomique
humaine. Un tel fragment peut ensuite être cloné, permettant
de rechercher, au sein d’autres banques d’ADN d’agents infec-
tieux, l’agent viral possiblement impliqué. Ainsi, H. Feng a pu,
à partir d’une banque de 395 000 séquences de 150-200 paires
de bases, restreindre l’étude, après soustraction génomique
des séquences humaines connues, à 2 395 séquences, pour
nalement isoler unequence présentant des similitudes avec
celle d’un polyomavirus. Les auteurs ont ensuite pu cloner l’en-
semble du virus (5 387 paires de bases) et l’ont bapti
Merkel
cell polyomavirus
(MCPyV ou MCV).
De la simple présence d’un ADN viral
à l’affi rmation d’une tumeur viro-induite
La mise en évidence d’un ADN étranger dans une tumeur ne
permet pas d’affirmer sa responsabilité dans son dévelop-
pement. Outre un problème de contamination, de nombreux
agents viraux sont présents sous la forme d’une infection latente
(herpèsvirus, PVH) sans être à l’origine d’une pathologie.
H. Feng et al. ont analysé des prélèvements provenant de
10 patients avec MCC. Le nouveau virus
(Merkel cell polyo-
mavirus)
a été identi é chez 8 des 10 patients (80 %). À l’op-
posé, seuls 5 sur 59 prélèvements non cutanés (8 %) et 4 sur
25 prélèvements cutanés (16 %) issus de patients sans MCC
étaient porteurs de ce virus.
Enfin, ce virus était présent sous une forme intégrée de
façon clonale au génome cellulaire dans les tumeurs (6 des 8
tumeurs étudiées) et les métastases de la même tumeur. Cet
élément est essentiel, car c’est vraisemblablement un événe-
ment majeur dans la carcinogenèse (comme cela est observé
pour les PVH à haut risque oncogène). Il est à noter que le site
d’insertion n’était pas le même pour ces différentes tumeurs.
Dans un des cas, il était au sein d’un possible gène suppres-
seur de tumeur (le gène
PTPRG
du chromosome 3p14). C’est
le premier polyomavirus humain dont l’intégration génomique
a pu être montrée.
Merkel cell polyomavirus
(MCPyV ou MCV) :
un nouvel agent viral à potentiel oncogène
L’analyse phylogénétique du MCV révèle des relations entre
les différents polyomavirus des mammifères. Il est généti-
quement proche du polyomavirus lymphotrope (polyomavirus
des singes verts d’Afrique) et des polyomavirus de la souris
et du hamster. Ces virus ont une grande spéci cité d’espèce
et il était admis qu’ils avaient évolué au cours du temps,
toujours au sein d’une même espèce. La découverte de ce
nouveau virus pourrait remettre en question cette conception,
faisant évoquer un possible transfert d’une autre espèce à
l’homme.
Les polyomavirus sont des modèles de virus oncogénique sur
les animaux de laboratoire. Les antigènes viraux (antigène T)
ont la capacité d’immortaliser et de transformer les cellules en
culture. Il faut rappeler que l’implication d’autres polyomavirus
humains les virus BK et JC, très éloignés du
Merkel cell
polyomavirus
dans des cancers chez l’homme n’a jamais été
démontrée malg de très nombreuses études. Ils sont respec-
tivement associés à des infections urinaires responsables de
néphropathies ou de leucoencéphalopathie multifocale chez
les sujets immunodéprimés.
L’histoire naturelle de l’infection par ce nouvel agent viral reste
à comprendre, et il faut maintenant répondre à de nombreuses
questions, à la fois épidémiologiques, cliniques, thérapeuti-
ques et bien sûr fondamentales : sa prévalence au sein de la
population générale, le mode de contamination, son pouvoir
pathogène et son implication dans d’autres tumeurs, ainsi que
l’immunité, la nature des oncogènes viraux et l’interaction avec
les gènes suppresseurs de tumeurs (p53, p73, pRB, etc.). Et
pourquoi pas imaginer dans quelques années une possible
vaccination préventive…
II
Références bibliographiques
1.
Chang Y, Cesarman E, Pessin MS et al. Identi cation of herpesvirus-like DNA
sequences in AIDS-associated Kaposi’s sarcoma. Science 1994;266:1865-9.
2.
Feng H, Shuda M, Chang Y, Moore PS. Clonal integration of a Polyomavirus
in Human Merkel Cell carcinoma. Science 2008;319:1096-100.
3.
Poulsen M. Merkel-cell carcinoma of the skin. Lancet Oncol 2004;5:593-9.
4.
Miller RW, Rabkin CS. Merkel cell carcinoma and melanoma: etio-
logical similarities and differences. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev
1999;8(2):153-8.
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