Pour le public français de cette fin de siècle, le terme
d'existentialisme évoque le climat d'une époque, un
style,
voire une mode, plutôt qu'un
corpus <Je
pensées
cohérentes. Il faut l'avouer, le terme ne désigne aucune
orientation précise — que ce soit dans le champ de
l'ontologie, de la théorie de la connaissance, de la pen-
sée morale ou politique, de la philosophie de
l'art,
de
la culture ou de la religion. D'autre part, il se trouve
qu'aucun des auteurs dits existentialistes n'a revendi-
qué durablement et sans réticences cette qualification.
Cependant, l'inscription historique et philosophique
des philosophies de l'existence peut être assez claire-
ment déterminée. Certes, dès ses origines grecques,
puis prenant en compte l'enseignement des religions du
Livre, la philosophie n'a jamais cessé de méditer sur ce
qui ne
s'est
pas toujours appelé le sens de la vie
humaine,
mais qui constitue bel et bien le cœur de la
question éthique. C'est avec Kant que la philosophie,
renonçant au nom orgueilleux
d'ontologie,
a fait place
à une pensée de la liberté, habilitée à parler philosophi-
quement du supra-sensible, sans spéculer sur la nature
ontologique du divin, sans se soucier d'élaborer son
concept, sans analyser les rapports de son essence et de
son existence. Mais c'est chez Hegel que la substance
est conçue comme vie et comme esprit : la négation
déterminante productrice de différenciation interne
permet de penser, et non seulement d'évoquer de
manière lyrique, la subjectivité en ses altérations, en
ses intimes déchirures.
La thématique existentielle apparaît ainsi située his-
toriquement et philosophiquement, à titre de pensée
postkantienne de la liberté, et de pensée posthégélienne
de la subjectivité travaillée par la négativité. Si l'âme,
le monde et Dieu réapparaissent dans cette théma-
tique, ce ne sera plus à titre de concepts purs de la rai-
son se portant d'elle-même vers l'inconditionné. Ce ne
sera pas davantage comme les constituants d'un sys-
tème dialectique.
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