L'existentialisme Q U E S A I S - J... JACQUES COLETTE Professeur à l'Université de Paris I - Pantnéon-Sorbonne

QUE SAIS-JE ?
L'existentialisme
JACQUES COLETTE
Professeur à l'Université de Paris I - Pantnéon-Sorbonne
DU MÊME AUTEUR
Kierkegaard. La difficulté d'être chrétien, Paris, Le
Cerf,
1962..
Histoire et absolu. Essai sur Kierkegaard, Paris, Desclée & C6, 1972.
Kierkegaard et la non-philosophie, Paris, Gallimard, 1994.
TRADUCTIONS
Kierkegaard, Discours édifiants, avec introduction et notes, Paris, Desclée
de Brouwer, 1962.
Kierkegaard, La neutralité armée, avec introduction et notes, Paris, Le
.
Cerf,
1968.
Walter Schulz, Le Dieu de la métaphysique moderne, avec introduction et
notes,
Paris, Editions du
CNRS,
1978.
Hegel, Les écrits de Hamann, avec introduction et notes, Paris, Aubier,
1981.
A Elise et Augustin
ISBN2
13
046157 3
Dépôt légal lre édition : 1994, mars
© Presses Universitaires de France, 1994
108,
boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
Introduction
L'EXISTENTIALISME
N'EST PAS UNE DOCTRINE1
Dans une lettre adressée à
J.
Wahl en
1937,
K. Jaspers
écrivait
: «
L'existentialisme est la mort
de la
philosophie
de l'existence. »2 Traduit de l'allemand, le terme d'exis-
tentialisme' faisait^ainsi son entrée
dans
la
langue
philoso-
phique française. Cette innovation terminologique por-
tait d'emblée la marque de la contestation. Promis à un
certain
avenir,
le néologisme
s'était
fait jour, non comme
mot d'ordre
positif,
mais comme pour exclure ce que
semblait suggérer le mot : à savoir que l'existence
humaine, et tout ce qui s'y décide, pourrait enfin être
l'objet
d'une
connaissance théorique. Cinquante ans
plus tard, une autre singularité de vocabulaire vaut
d'être
signalée. Dans un dictionnaire de la langue fran-
çaise (Le
Grand Robert
de 1985)
figure
en bonne et due
place le
terme
de
Dasein.
Ces
rencontres des idiomes
alle-
mand et français portent la marque
d'une
époque histo-
rique précise. Durant la première moitié du
XXe
siècle,
des
deux côtés du Rhin, la manière de penser le moi et le
monde, la natureet4a culture, subit
une
profonde trans-
formation. A l'analyse critique et formelle du néo-kan-
tisme se substitue progressivement la description de
l'existence humaine,
de
son
sens,
de ses
possibilités3.
1.
Les cinq auteurs principaux, dont les œuvres sont ici examinées,
sont : Sôren Kierkegaard (1813-1855), Karl Jaspers (1883-1969), Gabriel
Marcel (1889-1973), Martin Heidegger (1889-1976) et Jean-Paul Sartre
(1905-1980). On rencontrera aussi Albert Camus (1913-1960) et Maurice
Merleau-Ponty (1908-1961) sur des points nullement secondaires.
2.
Bulletin de la Société française de philosophie, séance du
4 décembre 1937, p. 196.
3.
Non moins que le « hégélianisme », 1' « existentialisme » pouvait
s lors apparaître comme
une
philosophie. Voir la
NDLR
non signée dans
Les
Temps
modernes,
janvier 1946. p. 713.
3
Pour le public français de cette fin de siècle, le terme
d'existentialisme évoque le climat d'une époque, un
style,
voire une mode, plutôt qu'un
corpus <Je
pensées
cohérentes. Il faut l'avouer, le terme ne désigne aucune
orientation précise que ce soit dans le champ de
l'ontologie, de la théorie de la connaissance, de la pen-
e morale ou politique, de la philosophie de
l'art,
de
la culture ou de la religion. D'autre part, il se trouve
qu'aucun des auteurs dits existentialistes n'a revendi-
qué durablement et sans réticences cette qualification.
Cependant, l'inscription historique et philosophique
des philosophies de l'existence peut être assez claire-
ment déterminée. Certes,s ses origines grecques,
puis prenant en compte l'enseignement des religions du
Livre, la philosophie n'a jamais cessé de méditer sur ce
qui ne
s'est
pas toujours appelé le sens de la vie
humaine,
mais qui constitue bel et bien le cœur de la
question éthique. C'est avec Kant que la philosophie,
renonçant au nom orgueilleux
d'ontologie,
a fait place
à une pensée de la liberté, habilitée à parler philosophi-
quement du supra-sensible, sans spéculer sur la nature
ontologique du divin, sans se soucier d'élaborer son
concept, sans analyser les rapports de son essence et de
son existence. Mais c'est chez Hegel que la substance
est conçue comme vie et comme esprit : la négation
déterminante productrice de différenciation interne
permet de penser, et non seulement d'évoquer de
manière lyrique, la subjectivité en ses altérations, en
ses intimes déchirures.
La thématique existentielle apparaît ainsi située his-
toriquement et philosophiquement, à titre de pensée
postkantienne de la liberté, et de pensée posthégélienne
de la subjectivité travaillée par la négativité. Si l'âme,
le monde et Dieu réapparaissent dans cette théma-
tique, ce ne sera plus à titre de concepts purs de la rai-
son se portant d'elle-même vers l'inconditionné. Ce ne
sera pas davantage comme les constituants d'un sys-
tème dialectique.
4
Ainsi repérée dans l'histoire de la pensée, la problé-
matique existentielle n'est pas pour autant définie. On
a simplement dessiné le cadre dans lequel s'inscrivent
ses tenants et aboutissants. Ce faisant, on a déjà sug-
géré qu'à la différence des systèmes de pensée en les-
quels
s'est
toujours traduit l'esprit philosophique, les
philosophies de l'existence ne voulaient ni ne pou-
vaient se transmettre comme des doctrines bien arrê-
tées.
Mais elles n'entendaient pas non plus se présenter
comme de simples témoignages d'une époque ou de
destinées singulières. Il leur revenait donc de formuler
quelque chose comme un mixte d'abstrait et de
concret, en lequel les raisons de vivre s'assureraient
d'elles-mêmes, du fait que l'attitude de pensée, qui était
censées fonder, s'avérerait communicable.
Concernant les thèmes principaux des philosophies
de l'existence, dont traite le présent ouvrage, on verra
effectivement se déployer des analyses, se constituer
des notions jusque-là extra-philosophiques, s'inventer
des formes de réflexion qui n'empruntent aux philoso-
phèmes des pensées précritiques qu'en les retravaillant,
pour les extraire de leurs cadres traditionnellement
bien fixés.
On admettra que L'existentialisme n'aura pas été un
épisode sans lendemain, si l'on y voit le premier effort
pour renoncer à la métaphysique comme science fon-
damentale et ultime des catégories, destinée à faire de
l'être réel, possible et nécessaire un champ parfaite-
ment quadrillé. S'il est opportun de se référer aux
auteurs de cette époque, comme aux grands métaphy-
siciens qu'ils prirent pour cibles, c'est qu'il est philoso-
phiquement fécond de connaître l'histoire des prédé-
cesseurs pour ne point les répéter servilement. En
l'occurrence, il s'agissait de ne plus faire de la philoso-
phie l'inventaire exhaustif de ce qui s'offre aux savoirs
et aux pouvoirs humains, de ne plus prétendre dispo-
ser de l'être et de l'étant en toute assurance et certitude
par le simple déploiement des structures de la connais-
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