160 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIV - n° 3 - mars 2015
ÉDITORIAL
Faut-il se préoccuper du vécu émotionnel
des étudiants en médecine ?
Should we be concerned about the emotional
experiences of medical students?
“
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Le film Hippocrate rencontre un succès inattendu. En le voyant,
oncomprend que, à l’hôpital, l’expression du vécu émotionnel
desinternes et des médecins n’a pas de place et serait même
dansune certaine mesure déplacée. Pour les plus jeunes, la salle de garde
joue ou plutôt jouait le rôle de soupape, l’hyperbole sexuelle ydéfiait la
mort. L’ancien modèle relationnel était celui du paternalisme, infantilisant
lemalade “pour son bien”. Ce modèle offrait en même temps l’avantage
deprotéger lemédecin, par définition bienfaisant. Les temps ont changé.
Aujourd’hui, chacun doit trouver sa solution pour supporter la souffrance,
l’angoisse et les plaintes des autres. Denos jours, on apprend à éteindre
toute émotion en se consacrant – si ce n’est exclusivement, du moins
prioritairement – à la maladie ou à l’acte thérapeutique, c’est-à-dire en
devenant peu ou prou un ingénieur. C’est d’ailleurs parfaitement légitime
en situation d’urgence. N’est-ce pas par ailleurs le modèle relationnel
adapté à la recherche clinique thérapeutique, dont le principe de base est
de supprimer au mieux toute subjectivité, du patient comme du médecin,
grâce au “double aveugle” ? Pourtant,les responsables de la
communication ne cessent de proclamer que le patient est un “client”
quidoit être placé au “cœur” ou au “centre” de l’activité hospitalière.
Commentexpliquer la contradiction entre le slogan et la pratique ?
Elletrouve son origine au sein même ducursus de la formation médicale.
L’étudiant de première année est submergé parlasympathie. Il souffre de
la souffrance du malade. Il a peur de sa peur. Sa main tremble et il tourne
facilement de l’œil. Les infirmières le soutiennent. Puis, apprenant
dansleslivres les maladies, il connaît en général une phase
hypochondriaquedurant laquelle il croit être atteint de diverses
pathologies ou se demande si ses proches n’enprésentent pas les
symptômes. L’accumulation massive de connaissances et l’excès de travail
ont un effet sédatif. Les étudiants en médecine sortent bien souvent de
cette période avec un émoussement émotionnel et parfois même une
dépression. Indifférents aux autres et désaffectés de soi. Ils s’interrogent
alors sur leurchoix professionnel et sedemandent, comme Benjamin, le
jeune interne du film Hippocrate, s’ils n’ont pas fait fausse route. Certains
finissent dans l’indifférence à l’égard des patients, quand ce n’est pas dans
l’arrogance, l’ironie ou, pire, la détestation. Le patient est alors davantage
unporteur de maladie, un objet de recherche ou de gain qu’un sujet de
soins. Heureusement, d’autres gardent ou retrouvent l’aptitude à se laisser
© La Lettre du Neurologue 2014;
XVIII(10):361-2.