C Éditorial La qualité des soins : mythe et réalité André Grimaldi

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Éditorial
La qualité des soins : mythe et réalité
André Grimaldi (Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris)
C
omment améliorer la qualité des soins ? Le “manageur”
et le “consommateur éclairé” répondent en cœur :
“d’abord en la mesurant, puis en la payant”. Et l’économiste
libéral ajoute : “en optimisant le rapport qualité/coût grâce à la libre
concurrence”. Hélas, il n’est pas facile de transformer la qualité
en quantité (“de faire d’un tout un tas”, comme dirait Régis Debray)
dès lors qu’il ne s’agit pas d’appliquer simplement des procédures
mais d’individualiser les traitements en prenant en compte l’extrême
variabilité des êtres humains sur le plan biomédical et plus encore
psychosocial. Si les “indices de qualité” portent sur les résultats,
ils incitent à sélectionner les patients ; s’ils portent sur les procédures,
ils entraînent des biais de comportements opportunistes
et ratent l’objectif. Verser de la solution hydroalcoolique dans le lavabo
améliore l’indice de lutte contre les infections nosocomiales ICALIN !
L’expérience anglaise du Pay for Performance (P4P) a montré que,
pour remplacer la motivation intrinsèque des médecins
par une motivation financière extrinsèque, il fallait y mettre le prix !
Plus récemment, la Cour des comptes a estimé que la carotte au doux
nom de ROSP (Revenu sur objectif de santé publique) était trop sucrée
et qu’il serait judicieux d’y associer le bâton ! Et, surtout, on a vu
que les médecins avaient alors tendance à soigner les indices plutôt
que les patients. D’où, en retour, une certaine méfiance des patients :
“Il m’a prescrit un générique pour toucher la prime !”
Il est une autre voie qui ne repose pas sur la récompense financière individuelle
des acteurs mais qui s’appuie sur la motivation intrinsèque des professionnels
et sur la culture de l’évaluation pour l’amélioration et non pour la sanction. Le
premier critère est évidemment une activité suffisante. Comme le sportif ou
le musicien, le professionnel de santé doit avoir un grand entraînement. Une
grande expérience. Trente-cinq heures par semaine avec repos compensateur, c’est un peu court pour être au top, quand on sait que “ce qui est difficile
en médecine, ce sont les 80 premières années” ! Certes, la spécialisation
accroît l’expérience, mais elle en rétrécit le champ. D’où le deuxième critère
de qualité : l’indispensable travail en équipe avec des professionnels médicaux et paramédicaux, en nombre suffisant, formés, reconnus et respectés,
habitués à travailler ensemble et à débattre collectivement des difficultés
rencontrées et des changements à apporter. C’est-à-dire l’inverse du modèle
“hôpital entreprise” mis en œuvre par la loi HPST, réduisant le soin au respect
de procédures, le soignant à des tâches interchangeables et l’équipe à une
chaîne de production. Corollaire : lorsque le personnel soignant est en souffrance, l’absentéisme élevé et la rotation des agents importante, on ne peut
pas penser que cela est sans effet sur la qualité des soins. Pour faciliter la
cohésion de l’équipe, il vaut mieux partager des objectifs, avoir une culture
commune et un mode de rémunération cohérent. Un chirurgien en secteur 2
avec de gros dépassements d’honoraires et un anesthésiste salarié doivent
avoir quelque vertu pour travailler ensemble ! Le troisième critère de qualité
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Images en Dermatologie • Vol. VIII • no 3 • mai-juin 2015
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est l’engagement de l’équipe dans l’évaluation et ses diverses facettes : autoévaluation, évaluation comparative entre équipes d’activités comparables sur
des critères décidés en commun, évaluation par les usagers, par les patients,
les collègues, les étudiants, les médecins correspondants… Les médias ont le
mérite de fournir des coups de projecteur épisodiques en excitant la curiosité ;
ils ont l’inconvénient de déformer la réalité. Les effets de la publication de ces
palmarès semblent d’ailleurs concerner moins l’amélioration de la qualité des
soins que l’augmentation du nombre de journaux vendus. Ce qui témoigne
néanmoins d’une demande.
L'auteur n'a pas
précisé ses éventuels
liens d'intérêts.
Reste la question du VIP réduit à juger de la qualité sur le montant des dépassements d’honoraires payés par son assurance privée et du rationaliste féru
de statistiques qui rêve d’un classement des hôpitaux et des services similaire à celui des hôtels et des restaurants : pour les chirurgiens comme pour
les grands chefs. Tous réclament un guide officiel attribuant des étoiles.
“Cela permettrait de réduire la pire des inégalités, celle de l’information”,
ajoute l’économiste. “Mais que fait l’État ?” Interpellation légitime mais confuse !
L’État doit garantir la sécurité de base en fermant les établissements et en
interdisant d’exercice les médecins dangereux pour la vie des patients, tout
en répartissant les moyens sur l’ensemble du territoire. Il doit interpeller les
professionnels sur leur programme d’actions pour améliorer la qualité des
soins et leur demander des explications sur la diversité de leurs pratiques.
Il ne peut pas et il ne doit pas classer les médecins en distinguant les excellents, les très bons, les bons, les en progrès, etc. C’est le rôle de chaque
médecin traitant de premier recours de conseiller son patient et de le piloter
au mieux dans le système de soins. Tout médecin de premier recours doit tisser
des liens structurels avec les spécialistes du deuxième recours. C’est même
un des critères de qualité du premier recours. Et c’est pourquoi la relation
médecin/patient – et en l’occurrence médecin traitant/patient – doit d’abord
reposer sur la confiance. En l’absence de confiance, il est vivement conseillé
au patient de changer de médecin. Hélas, en médecine comme dans la vie,
il n’y a pas de confiance sans risque de déception. Mais la défiance de principe a toute chance de dégrader la qualité des soins. Et lorsqu’il s’agit d’une
urgence vitale, mieux vaut faire confiance. On n’a d’ailleurs pas le choix ! II
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