É D I T O R I A L Traitement médical des troubles fonctionnels digestifs : la difficile quête du Graal ● M.A. Bigard* L es deux tableaux cliniques les plus fréquents dans le cadre des troubles fonctionnels digestifs sont la dyspepsie fonctionnelle et le syndrome de l’intestin irritable. Dans l’ouvrage de référence de J.C. Rambaud (1), nous pouvons lire : – au chapitre “Dyspepsie” (B. Coffin, R. Jian, p. 354) : Il est clair qu’aucun des médicaments disponibles n’a pu être incontestablement distingué de l’effet placebo qui varie de 30 à 60 % dans ce type de pathologie. Cette inefficacité relative peut être en rapport avec des effets pharmacologiques insuffisants, une mauvaise sélection des patients par rapport aux effets pharmacologiques des médicaments et une trop grande hétérogénéité de la physiopathologie des symptômes. – au chapitre “Troubles fonctionnels intestinaux” (J. Frexinos, M. Delvaux, p. 51) : L’effet placebo pèse sur les résultats thérapeutiques constatés et les différentes études contrôlées n’apportent pas toujours de résultats significatifs. En effet, à court terme, sur 2 à 3 mois, l’évolution des troubles fonctionnels digestifs est le plus souvent favorable. Ceci s’explique en grande partie par l’importance de l’effet placebo dont l’efficacité peut atteindre 70 % d’amélioration, la moyenne se situant à 35 ± 20 % (2 DS). En résumé, on dispose essentiellement dans la dyspepsie des prokinétiques, et dans le syndrome du côlon irritable des antispasmodiques. Dans ce syndrome, l’efficacité des antispasmodiques sur la douleur a été suggérée par une méta-analyse (2) avec en moyenne une différence de 18 % par rapport au placebo (28 essais randomisés analysés). La méta-analyse a cependant le défaut de ne pouvoir inclure les essais négatifs non publiés. De nouveaux médicaments sont donc clairement nécessaires et la reconnaissance de cibles pharmacologiques au niveau des afférences viscérales ouvre la voie à la mise au point de molécules candidates. Cependant, il est indispensable que les médicaments du XXIe siècle possèdent d’une part, une efficacité indiscutable et cliniquement significative, d’autre part une sécurité d’emploi absolue. Dans le cadre de l’élaboration de la classification de Rome II, un groupe de travail a élaboré des recommandations pour le design des * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IV - juin 2001 essais thérapeutiques pour les troubles fonctionnels digestifs (3). L’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (EMEA) a également produit des guidelines pour les essais concernant par exemple le syndrome de l’intestin irritable. Une méthodologie rigoureuse des essais cliniques devrait permettre de situer l’intérêt exact d’une nouvelle molécule. Il apparaît bien sûr indispensable que la différence avec le placebo soit non seulement statistiquement significative, mais également “cliniquement” significative. Le niveau de la différence avec le placebo n’a pas été déterminé mais pour le clinicien une différence de 15 à 20 % n’apparaît pas comme une exigence démesurée. La molécule doit également faire clairement la preuve de son efficacité sur la douleur digestive et ne pas agir uniquement par le biais d’une amélioration des troubles du transit associés. Le défaut d’enregistrement du tégasérod par l’Agence européenne du médicament est lié à l’absence de ces critères d’efficacité. Enfin, la sécurité d’emploi doit être absolue dans le cadre d’une pathologie parfaitement bénigne. Un grand nombre de malades doit donc être inclus dans les essais de phase III, et la pharmacovigilance, après commercialisation, a un rôle particulièrement important. L’exemple récent de l’alosétron, retiré du marché après quelques mois de commercialisation aux États-Unis en raison de la survenue de cas de constipation sévères et de colites ischémiques, montre bien l’importance de la sécurité d’emploi d’une molécule destinée à être administrée à de grandes populations de malades. Espérons que malgré toutes ces difficultés, l’industrie pharmacologique pourra mettre à la disposition des médecins, une ou plusieurs molécules actives et sûres dans les prochaines années, même si l’histoire de l’oméprazole dans les maladies acidodépendantes a peu de chances de se répéter dans le domaine des troubles fonctionnels digestifs. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Rambaud JC. Traité de gastroentérologie. Paris : Flammarion, 2000. 2. Poynard T, Regimbeau C, Benhamou Y. Meta-analysis of smooth muscle relaxants in the treatment of irritable bowel disease. Aliment Pharmacol Ther 2001 ; 15 : 355-61. 3. Veldhuyzen Van Zanten SJO, Talley NJ, Bytzer P et al. Design of treatment trials fort the functional gastrointestinal disorders in Drossman DA ed. Rome II : the functional gastrointestinal disorders. Diagnosis, pathophysiopathology and treatment : a multinational consensus. 2nd ed. Mc Lean VA. Degnon Assoc ; 2000. 119