CAS CLINIQUE Syndrome du muscle pyramidal et toxine botulinique ■ L. Carluer*, P. Mouton** OBSERVATION * Service de neurologie, CHU Côte-de-Nacre, Caen. ** Centre hospitalier privé Saint-Martin, Caen. Un homme de 29 ans présentant un syndrome de Little consulte en raison d’une sciatalgie gauche évoluant depuis un an, localisée à la fesse, et irradiant à la face postérieure de la cuisse gauche. La douleur n’est pas impulsive. Cette douleur est très nettement majorée lors de la station assise, rendant le maintien de cette position très difficile (15 minutes environ) et altérant ainsi sa vie socioprofessionnelle. Divers traitements antalgiques ont été essayés, mais aucun n’a eu d’effet sur la douleur. À l’examen clinique, il existe un syndrome pyramidal réflexe des membres inférieurs ainsi qu’une spasticité prédominant au niveau des adducteurs. À la marche, on constate une adduction et une rotation interne des cuisses ainsi qu’une flexion des genoux. La palpation de la fesse gauche en regard du bord latéral du sacrum provoque une douleur localisée à la fesse. On note des dysesthésies à la piqûre de l’ensemble du pied, du mollet et de la face postérieure de la cuisse gauche. La mise en tension du muscle pyramidal par des manœuvres spécifiques (cf. infra) déclenche une douleur intense pendant plusieurs minutes irradiant à la face postérieure de la cuisse gauche. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du rachis lombaire est normale. L’électroneuromyographie (EMG) ne montre pas d’argument pour un0e atteinte radiculaire ou plexique. Le scanner du bassin montre une hypertrophie du muscle pyramidal gauche (figure 1). Le diagnostic de syndrome du pyramidal est évoqué. Le patient a bénéficié d’une première injection de toxine botulinique (Dysport®, 400 unités) dans le muscle pyramidal gauche (figure 2). Le résultat a été très satisfaisant avec une amélioration des douleurs estimée par le patient à plus de 50 % et la possibilité de maintenir la station Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 2 - octobre 2005 Figure 1. Hypertrophie du muscle pyramidal gauche (point rouge). Aiguille Figure 2. Injection de toxine botulinique dans le muscle pyramidal gauche avec un repérage par scanner. assise pendant plusieurs heures. Cette évolution favorable lui a permis de reprendre son travail à mi-temps. L’amélioration s’est maintenue plusieurs mois, puis la symptomatologie douloureuse invalidante est réapparue. Une deuxième injection de toxine botulinique a permis à nouveau une amélioration significative et prolongée de la sciatalgie. 35 CAS CLINIQUE COMMENTAIRES Le syndrome du pyramidal se définit comme une sciatalgie tronquée due à la compression du nerf sciatique dans le canal sous-pyramidal. Il s’agit d’une entité mal connue dont l’existence est contestée par certains auteurs. Cette observation suggère la réalité de cette pathologie sur les données cliniques caractéristiques, la mise en évidence en imagerie d’une hypertrophie du muscle pyramidal du côté symptomatique et l’amélioration significative et prolongée des symptômes à deux reprises après injection de toxine botulinique dans le muscle hypertrophié. ✓ Rappel anatomique (figure 3) Recouvert par le muscle grand fessier, le muscle pyramidal se trouve à la face profonde de la fesse, juste au-dessus du muscle jumeau supérieur avec lequel il limite le canal sous-pyramidal. Le muscle pyramidal est rotateur externe lorsque la hanche est en extension et devient abducteur lorsque la hanche est en flexion. Le canal sous-pyramidal contient le nerf sciatique et une de ses branches, le nerf fessier inférieur, qui innerve le muscle grand fessier. Le nerf fessier supérieur, autre branche du nerf sciatique, a quitté le tronc du nerf avant le canal sous-pyramidal et innerve les muscles moyen et petit fessier, après être passé dans le canal suspyramidal avec l’artère fessière. Échancrure sciatique Muscle pyramidal Muscle jumeau supérieur Muscle obturateur interne Nerf sciatique Figure 3. Anatomie normale. 36 Muscle jumeau inférieur ✓ Symptomatologie Il s’agit d’une douleur profonde de la fesse, irradiant à la face postérieure de la cuisse et dépassant rarement le genou. Les douleurs sont typiquement déclenchées par les marches de longue durée et la position assise prolongée. Des troubles sensitifs à type de paresthésies peuvent être rapportés. ✓ Examen clinique Il n’existe pas de signe rachidien ni de signe neurologique déficitaire. Le réflexe tendineux achilléen est présent. L’examen de la hanche est normal. La palpation de la fesse en regard du bord latéral du sacrum déclenche souvent une douleur. Trois manœuvres mettant en tension le muscle pyramidal ont été décrites et permettent d’apporter des éléments supplémentaires au diagnostic si elles reproduisent la symptomatologie douloureuse : ◆ La manœuvre de Freiberg (1) : le patient est en décubitus dorsal, le membre inférieur asymptomatique en extension est placé progressivement en adduction et rotation interne. ◆ La manœuvre de Pace et Nagle (2) : le patient est assis au bord de la table d’examen, genoux fléchis à angle droit ; l’examinateur place ses mains à la face externe des genoux et résiste à une abduction forte et prolongée. ◆ La manœuvre de Beatty (3) : le patient est en décubitus latéral du côté sain, le membre inférieur symptomatique est placé en adduction-flexion et rotation interne (le genou du côté symptomatique reposant ainsi sur la table) ; on demande au patient d’élever son membre inférieur de façon à le placer en abduction et rotation externe. ✓ Examens complémentaires Au préalable, une imagerie du rachis lombaire a permis d’éliminer formellement toute pathologie discale ou rachidienne. ◆ Imagerie Le scanner ou l’IRM du bassin peuvent montrer une hypertrophie du muscle pyramidal du côté symptomatique. L’échographie peut également mettre en évidence des anomalies morphologiques du muscle pyramidal par comparaison avec le côté asymptomatique (4). ◆ EMG Il peut mettre en évidence une atteinte neurogène dans les muscles innervés par le nerf Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 2 - octobre 2005 Muscle pyramidal a Figure 4. Variations anatomiques du trajet du nerf sciatique. Nerf sciatique c b d sciatique, et notamment les muscles proximaux (ischio-jambiers), alors que les muscles paraspinaux lombaires et les muscles innervés par le nerf fessier supérieur (moyen et petit fessier) sont normaux, ce qui permet de différencier l’atteinte du nerf sciatique d’une atteinte radiculaire ou plexique. Il est rare d’observer des signes de dégénérescence axonale avec une altération du potentiel moteur ou sensitif. Des anomalies de la conduction proximale (onde F des nerfs SPE ou SPI, réflexe H du soléaire) peuvent être rencontrées (5). ✓ Étiologies Le syndrome du pyramidal survient habituellement dans un contexte clinique particulier. L’hypertrophie ou la contracture du muscle pyramidal, responsable d’une compression du nerf sciatique, peuvent ainsi être observées en pathologie sportive, notamment dans le cadre de la course à pied et du cyclisme, ou dans le contexte d’une spasticité des membres inférieurs, comme Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 2 - octobre 2005 dans cette observation (6). Les traumatismes avec chute sur la fesse peuvent aussi être à l’origine d’une atteinte du muscle pyramidal et d’une souffrance du nerf sciatique. Il existe des variations anatomiques du trajet du nerf sciatique (figure 4) qui sont prédisposantes pour le syndrome du pyramidal quand le nerf sciatique traverse le muscle pyramidal (7). ✓ Traitement La kinésithérapie peut avoir une action favorable par des techniques d’étirement. Les injections locales peuvent être proposées avec un repérage par scanner ou par échographie. De bons résultats sont observés par la plupart des auteurs avec un anti-inflammatoire ou de la toxine botulinique (8). En cas d’échec, un geste chirurgical peut être proposé avec la neurolyse du nerf sciatique et la section du muscle pyramidal (6). ■ RÉFÉRENCES 1. Freiberg AH. Sciatic pain and relief by operations on the muscle and fascia. Arch Phys Med Rehabil 1992;73: 359-64. 2. Pace JB, Nagle D. Piriform syndrome. West J Med 1976; 47:1144-6. 3. Beatty RA. The piriformis muscle syndrome: a simple diagnostic maneuver. Neurosurg 1994;34:512-4. 4. Broadhurst NA, Simmons DN, Bond MJ. Piriformis syndrome: correlation of muscle morphology with symptoms and signs. Arch Phys Med Rehabil 2004;85:2036-9. 5. Fishman LM, Dombi GW, Michaelsen C et al. Piriformis syndrome: diagnosis, treatment and outcomea ten-year study. Arch Phys Med Rehabil 2002;83:295-301. 6. Kouvalchouk JF, Bonnet JM, Mondenard JP. Le syndrome du pyramidal. Rev Chir Orthop 1996;82:647-57. 7. Pecina M. Contribution to the etiological explanation of the piriformis syndrome. Acta Anat 1979;105:181-7. 8. Lang AM. Botulinum toxin type B in piriformis syndrome. Am J Phys Med Rehabil 2004;83:198-202. 37