À S o i n s o n c o...

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2006 : l’année des soins de support en oncologie
2006: the year of supportive care in oncology
#F. Scotté, E. Lévy, S. Oudard*
À
la suite du congrès de l’ASCO 2006 durant lequel l’accent a été mis par la présidente sur la qualité des soins
et la prise en compte des “survivors”, notamment en
ce qui concerne les troubles cognitifs, les associations ASCO
et ESMO (European Society for Medical Oncology) ont publié
un article commun (1). Il a pour objectif d’unifier les pratiques
dans la prise en charge des patients cancéreux en Europe et aux
États-Unis. L’ASCO et l’ESMO ont ainsi établi un consensus de
qualité des soins. Ces recommandations sont regroupées en
une charte de dix points :
– accès aux informations du dossier médical ;
– respect de l’intimité, de la confidentialité et de la dignité du
patient ;
– accès aux enregistrements médicaux ;
– accès aux services de prévention ;
– bannissement des discriminations ;
– participation du patient aux décisions et aux choix thérapeutiques ;
– accès à une équipe soignante médicale et paramédicale pluridisciplinaire ;
– accès aux essais cliniques et aux thérapeutiques innovantes ;
– préparation à un plan de surveillance et aux effets indésirables
à long terme des traitements ;
– accès à des soins optimaux en termes de traitements antalgiques, de soins de support et de soins palliatifs.
L’ensemble de ces mesures correspond aux différents points
identifiés dans notre Plan cancer, ce qui prouve l’adéquation de
notre politique de santé avec les préoccupations internationales.
Ces recommandations s’intègrent également dans le champ
des soins de support (mesure 42 du Plan cancer) et montrent
l’importance, pour la qualité des soins, d’accorder les protocoles
de soins à la recherche et à la communication entre les différents
intervenants autour de la maladie (du patient au médecin).
même à distance du traitement. Parmi les présentations orales,
on retiendra une étude menée sur une cohorte de 595 patients
répartis entre différentes étiologies cancéreuses, dont une majorité
de cancers du sein (sein : 320, prostate : 118, hématologiques : 41,
digestifs : 39, poumon : 39, gynécologiques : 32, ORL : 6). L’évaluation a été menée avant et après traitement (à 3 mois), puis lors
de la consultation de surveillance, à 6 mois de la consultation
initiale (S. Kohli et al., abstract 8502). L’analyse a porté sur la
mémoire et la concentration en utilisant différents tests validés.
Les deux valeurs étaient perturbées dès l’instauration du traitement, avec un pic d’aggravation en fin de traitement, que ce soit
pour la chimiothérapie (plus délétère) ou la radiothérapie. La
diminution des troubles en cours de surveillance était par la suite
progressive, sans toutefois de retour à la normale à 6 mois.
Ces troubles cognitifs peuvent intégrer la notion de fatigue,
qui touche 30 à 40 % des patients prétraités pour cancer. La
prise en charge de ces patients peut être menée par thérapie
cognitive. Une étude randomisée entre patients pris en charge
par thérapie cognitive et liste d’attente a inclus 112 patients
(98 évaluables), avec une évaluation de la sévérité de la fatigue
(checklist individual strength) et de l’altération fonctionnelle
(sickness impact profile) [2]. Les résultats ont montré un net
impact de cette thérapie sur les deux échelles utilisées. Une
amélioration de la sévérité de la fatigue a été retrouvée pour
54 % des patients sous thérapie contre 4 % sans. Quant à l’altération fonctionnelle, elle a été améliorée dans 50 % des cas
sous thérapie contre 18 % dans le groupe liste d’attente. On
pourrait envisager l’utilisation de ces thérapies cognitives afin
d’aider nos patients, et on insiste ici sur l’importance de la prise
en compte des désordres cognitifs des patients prétraités et sur
la nécessité de développer l’évaluation et la prise en charge de
cette population.
Soins oncologiques de support
S oins oncologiques de support
LES GUIDELINES 2006
TROUBLES DES FONCTIONS COGNITIVES
Au sein des soins de support, les fonctions cognitives représentent un volet encore mal exploré, car au second plan en cours de
traitement de la maladie, puis difficilement apprécié en phase
de surveillance. L’ASCO 2006 a offert une place particulière
à l’évaluation de ces troubles gênant le patient au quotidien,
* Service d’oncologie médicale , hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
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Utilisation des érythropoïétines (EPO)
En attendant les nouvelles recommandations de la European
Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC)
sur l’utilisation des érythropoïétines recombinantes, la European
Cancer Anaemia Survey a proposé ses propres recommandations (3). Le traitement par EPO s’y révèle toujours bénéfique à
long terme en ce qui concerne la qualité de vie et le bon rapport
coût-efficacité. L’EPO doit être initiée chez les patients recevant
une chimiothérapie et/ou une radiothérapie, lorsque le taux
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S oins oncologiques de support
d’hémoglobine se situe entre 9 et 11 g/dl, en fonction de la
sévérité des symptômes. Le taux cible d’hémoglobine doit être
situé entre 12 et 13 g/dl. Le traitement doit être impérativement
arrêté lorsque le taux d’hémoglobine atteint 14 g/dl en raison
du risque thromboembolique. Les objectifs à atteindre sont
l’amélioration de la qualité de vie et l’absence de recours aux
supports transfusionnels.
Utilisation des G-CSF
Les recommandations de l’ASCO ont été mises à jour en incluant
un tableau détaillant les risques de neutropénie liés aux différents
protocoles de chimiothérapie (4). L’utilisation de facteurs de croissance des granulocytes (granulocyte colony-stimulating factor
[G-CSF]) est recommandée, en prophylaxie primaire, lorsque le
risque de neutropénie du protocole de chimiothérapie dépasse
20 % (contre 40 % lors des recommandations antérieures). Cette
recommandation est également proposée en cas de facteurs de
risque élevés de neutropénie (âge supérieur à 65 ans, antécédents, caractéristiques de la pathologie cancéreuse et protocole
utilisé). Bien que les bénéfices sur la survie, sur la qualité de vie
et sur le coût ne soient pas évidents, la prophylaxie secondaire
est recommandée au cas par cas, notamment pour les patients
qui ont présenté une neutropénie aux cycles précédents (sans
prophylaxie primaire) et chez lesquels une réduction de dose
pourrait compromettre la survie. L’utilisation des G-CSF n’est pas
recommandée en traitement des neutropénies sans fièvre. Elle
l’est en revanche en cas de neutropénie fébrile avec des facteurs
de risque de complications. Ces derniers nécessitent de nouvelles
données afin de pouvoir être définis avec précision. Des données
complémentaires sont attendues pour l’utilisation des facteurs
de croissance selon la dose-intensité. Les recommandations en
hématologie ne sont pas modifiées, notamment en ce qui concerne
la mobilisation des cellules souches. Pour les patients âgés, ces
nouvelles recommandations proposent une prophylaxie en cas
de lymphome diffus en chimiothérapie curative.
Le schéma d’utilisation actuellement recommandé est une administration commançant entre 24 et 72 heures après la chimiothérapie (ou 4 jours avant la cytaphérèse en cas de mobilisation).
La dose est de 5 μg/kg/j pour les G-CSF (10 μg/kg/j en cas de
mobilisation) et de 250 μg/m²/j pour les granulocyte-macromucophage colony-stimulating factors (GM-CSF). La voie souscutanée reste privilégiée. Aucun résultat ne peut statuer sur la
comparaison d’efficacité entre G-CSF et GM-CSF. L’utilisation du
pegfilgrastim peut être proposée, mais les données de sécurité
et d’efficacité méritent un plus grand recul.
Les recommandations de l’EORTC suivent les propositions
de l’ASCO en distinguant la sous-population des protocoles
de chimiothérapie, avec un risque de neutropénie entre 10 et
20 % (5). L’EORTC met l’accent sur la vigilance quant aux facteurs
de risque, notamment un âge supérieur à 65 ans. L’analyse
comparative entre filgrastim et pegfilgrastim ne peut conclure
actuellement à une supériorité de l’un sur l’autre, mais elle amène
l’EORTC à recommander l’utilisation du pegfilgrastim autant
que celle du filgrastim et du lenograstim selon les indications
décrites.
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Utilisation des antiémétiques
Les recommandations de la MASCC, lors de la conférence de
Pérouse, concernant l’utilisation des antiémétiques prennent
en compte les nouveaux traitements utilisés oraux et/ou ciblés,
ainsi que la question des prises quotidiennes, qui imposent
une remise en cause des notions de nausées-vomissements
(NV) précoces et retardés (6). Une liste des différents agents
est proposée, avec une répartition en quatre classes du risque
émétogène (minime < 10 % ; faible = 10-30 % ; modéré = 3090 % ; forte > 90 %). Pour la prévention des NV aigus lors
des chimiothérapies à haut risque émétogène, il est recommandé une triple association aprépitant 125 mg oral préchimiothérapie + sétron (dose efficace la plus basse) par voie
orale (efficacité identique à la voie i.v.) + dexaméthasone à
12 mg. Pour la prévention des NV retardés (> 24 h) lors des
chimiothérapies à haut risque émétogène, il est proposé une
association aprépitant 80 mg à J2 et J3 + dexaméthasone. La
dose de corticoïde optimale reste à définir ainsi que la place
du métoclopramide.
Dans les chimiothérapies modérément émétisantes, il est
recommandé, pour les NV aigus, d’utiliser l’association sétron
(oral ou i.v.) + dexaméthasone, excepté en cas de protocole de
chimiothérapie avec anthracycline et cyclophosphamide pour
lequel l’association à l’aprépitant a montré sa supériorité. Il est
ainsi proposé d’utiliser, dans ce cas, aprépitant 125 mg à J1 +
dexaméthasone 8 mg + un antagoniste des récepteurs 5HT3.
En cas de NV retardés, la dexaméthasone reste recommandée
en monothérapie pour une durée et une dose non définies. En
cas d’association à l’aprépitant à J1, la poursuite de celui-ci est
recommandée à J2 et J3. La place du palonosétron, de demi-vie
longue, semble intéressante dans ces indications.
Dans les chimiothérapies à risque faible ou minime, une dose
unique de dexaméthasone à 8 mg préchimiothérapie est recommandée.
En cas de chimiothérapie sur plusieurs jours, l’utilisation d’un
sétron avec une corticothérapie est recommandée. La dexaméthasone sera administrée à 20 mg/j les jours de chimiothérapie
puis à 8 mg per os les 2 jours suivant la chimiothérapie, et à
4 mg le dernier jour.
La prise en charge des NV anticipés peut être faite par benzodiazépine, avec une efficacité diminuant à chaque cycle. Il est
recommandé de prévenir au mieux les NV aigus et retardés afin
d’éviter la survenue d’épisodes anticipatoires.
Enfin, un tableau est proposé aux radiothérapeutes, afin d’adapter
le traitement antiémétique en fonction du type et de la topographie de la radiothérapie.
Les recommandations de l’ASCO suivent la classification de la
MASCC ainsi que la plupart de ses propositions (7). L’ASCO
continue de recommander l’association dexaméthasone + antagoniste des récepteurs 5HT3 afin de prévenir les NV aigus lors
de chimiothérapies modérément émétisantes. Les médicaments
tels que le métoclopramide, les butyrophénones, les phénothiazines et les cannabinoïdes ne sont pas recommandés en dehors
des cas d’intolérance ou de NV réfractaires aux antagonistes du
récepteur 5HT3, à la dexaméthasone et à l’aprépitant.
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Prise en charge des radiodermites
Supplémentation nutritionnelle intraveineuse prophylactique :
Le “guidelines group” de soins de support de l’Ontario a proposé des
recommandations pour la prévention et le traitement des toxicités
cutanées radio-induites (8). Vingt-huit travaux ont été retenus pour
ce travail qui propose essentiellement, en prévention de la survenue
d’une radiodermite, le lavage non traumatique à l’eau seule ou en
utilisant un savon au pH doux sans lanoline (Dove®, seul savon
testé avec efficacité), et un shampoing de même nature pour les
radiothérapies du chef. L’utilisation d’un topique local se limite à la
calendula, qui réduit l’incidence des radiodermites de grade ≥ 2. Ces
recommandations ne retiennent pas l’utilisation de l’amifostine, des
traitements oraux à base d’acide (hyaluronique) ou de sucralfate,
ni celle des topiques locaux (Biafine®, corticostéroïdes, aloe vera,
huile d’amande, pansements, etc.). Le traitement des dermites
postradiques consiste essentiellement en l’application d’une crème
hydrophile simple, sans lanoline. L’expérience des experts propose
également l’utilisation d’une crème aux corticostéroïdes faiblement
dosée (1 %) pour limiter l’irritation et le prurit, en respectant un
temps d’application le plus court possible (< 8 semaines).
pas d’utilisation de parentérales d’alanyl-glutamine (C). Pas de
données suffisantes pour les antioxydants, l’acide folinique et
la vitamine E.
Prise en charge des mucites
Le groupe mucite de la MASCC a consacré un numéro entier de
la revue Supportive Care in Cancer à la proposition de recommandations de prise en charge des mucites. De nombreuses
attitudes et différentes molécules ont également été évaluées
dans plusieurs revues de la littérature.
Facteurs de croissance et cytokines (9)
Il est proposé d’utiliser un facteur de croissance des kératinocytes
humain recombinant (palifermin 60 μg/kg/j les 3 jours précédant
le conditionnement) afin de prévenir les mucites orales pour des
patients recevant de hautes doses de chimiothérapie et une irradiation corporelle totale suivies d’une transplantation de cellules
souches en cas d’hémopathie maligne. Il n’est pas recommandé
d’utiliser des bains de bouche avec un facteur de croissance des
granulocytes (GM-CSF) dans la même indication.
Antibiotiques, topiques locaux (10)
Antiseptiques, antibiotiques : pas de recommandation d’utilisation de la chlorhexidine (niveau de preuve C), ni d’antibiotiques
en topiques locaux en cas de mucite postchimiothérapie ou
postradique (B). Ces non-recommandations sont valables pour
les adultes comme pour les enfants.
Pansement topique (sucralfate) : pas de recommandation d’utilisation en postchimiothérapie (C) ou en postradique (A).
Anesthésiques locaux : pas de recommandation possible ;
un article positif en faveur de la kétamine. Attente d’autres
données (D).
Analgésiques locaux (postradiothérapie) : pas de recommandation possible pour l’utilisation de sulfate de morphine ou de
fentanyl en topique (D).
Analgésiques systémiques (postchimiothérapie) : pas de
recommandation possible en faveur du fentanyl transdermique (C). Pas de changement pour le sulfate de morphine. Idem
chez l’enfant (D).
Cryothérapie, laser, agents naturels (11)
L’utilisation de la cryothérapie reste recommandée en prévention
des mucites orales. Aucune recommandation n’est proposée en
faveur de l’utilisation du laser, en dépit de plusieurs études intéressantes, les protocoles d’utilisation étant trop divers. L’utilisation d’agents naturels (glutamine, vitamines A, B12, E, aloe vera,
curcumin) n’est pas soutenue par le panel d’experts en raison de
défauts multiples retrouvés dans les différentes études.
Anti-inflammatoires (12)
Bien que la littérature soit abondante et les produits utilisés,
intéressants, aucune donnée correcte ne permet de proposer
des recommandations dans l’utilisation d’anti-inflammatoires.
Des études randomisées versus placebo sont en attente, notamment avec un nouvel agent, le RK-0202, qui est un antioxydant
N-acétylcystéine dans une matrice polymère. Dans une étude de
phase II en double aveugle, randomisée versus placebo, cet agent
semble entraîner une diminution de 32 % des mucites modérées
à sévères après radiothérapie dans les cancers ORL.
Soins oncologiques de support
S oins oncologiques de support
Amifostine (13)
L’utilisation de l’amifostine est recommandée en cours de radiochimiothérapie des cancers du poumon non à petites cellules
afin de prévenir la survenue d’œsophagite (niveau de preuve C).
Son utilisation est également recommandée dans les cancers
du rectum durant la radiothérapie à la dose de 340 mg/m² afin
d’éviter les proctites (B). Aucune recommandation n’est proposée
pour éviter les stomatites en raison des résultats inconsistants
des différentes études. De nouvelles voies d’administration (intrarectale, sous-cutanée) sont en cours d’évaluation pour ce produit
qui semble, au regard de ces différents articles, représenter la
seule véritable avancée dans la prévention des mucites.
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Au-delà des recommandations des sociétés savantes concer-
nant l’utilisation des facteurs de croissance hématopoïétiques,
une revue de la littérature des prophylaxies des neutropénies
fébriles a permis d’apporter un complément, notamment en
ce qui concerne l’antibiothérapie prophylactique (14). Une
étude publiée dans le New England Journal of Medicine en
2005 (15) a montré l’efficacité versus placebo d’un traitement
systématique par quinolone, sur la survenue des fièvres, des
infections et des hospitalisations, dans les tumeurs solides et
les lymphomes traités par chimiothérapie à dose standard.
Malgré l’émergence de souches résistantes et l’augmentation de
l’incidence des infections à cocci Gram positif, un traitement
par quinolone (lévofloxacine en une prise quotidienne) reste
recommandé en monothérapie.
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S oins oncologiques de support
Dans
le cadre de la recherche de facteurs pronostiques de
survenue d’une neutropénie, afin d’appliquer au mieux les recommandations, un modèle prédictif de risque de neutropénie a été
présenté à l’ASCO 2006. Une étude prospective multicentrique
a ainsi été menée auprès de 4 466 patients traités pour cancers
colorectal, du sein, du poumon (NSCLC et SCLC), de l’ovaire,
pour lymphome non hodgkinien (LNH) et hodgkinien (Gary H.
Lyman et al. abstract 8561).
Les résultats ont confirmé l’incidence importante des neutropénies (N) lors du premier cycle, mise en évidence par Lyman
en 2003, avec deux tiers des patients atteints. Les définitions
utilisées étaient : neutropénie (< 1.109/l), neutropénie sévère
(NS) [nadir < 0,5.109/l], neutropénie fébrile (NF) [fièvre/infection et nadir < 1.109/l] et NF sévère (NFS) [fièvre/infection et
nadir < 0,5.109/l].
Les facteurs prédictifs de neutropénie ont été : antécédents
personnels de traitement (chirurgie récente ou chimiothérapie),
traitements associés (immunosuppresseurs) et comorbidités,
type de cancer (en particulier poumon et LNH), type de chimiothérapie reçue (dose prévue, association de drogues).
Les facteurs associés à un risque plus faible au premier cycle ont
été un haut débit de filtration glomérulaire, un compte élevé de
neutrophiles en début de traitement et une prophylaxie primaire
par G-CSF.
En utilisant ce modèle, deux groupes de patients ont été définis.
Le groupe à risque élevé et celui à risque faible avaient respectivement un risque de NF et de NS de 36,3 % et de 5,9 %.
En utilisant au mieux l’ensemble de ces données, le suivi des
recommandations pourrait permettre une meilleure prévention des NF.
Si la corticothérapie, les sétrons et les inhibiteurs de la neuroki-
nine constituent les traitements standard antiémétiques, d’autres
voies complémentaires peuvent être explorées. Une étude randomisée en cross-over a évalué une association acupuncture
et acupression à visée antiémétique lors de chimiothérapies
moyennement à hautement émétisantes (16). Les 28 patients
inclus ont reçu un traitement antiémétique standard associant
sétron et corticoïdes (pas de traitement par aprépitant). La
randomisation a consisté à comparer un groupe de patient avec
traitement complémentaire au point P6 (au-dessus du poignet)
et un groupe avec traitement sans point spécifique. Aucune
différence significative entre les deux groupes de traitement
n’a été mise en évidence. Les auteurs notent toutefois un taux
faible de NV dans les deux groupes. Dix-sept des 21 patients
ayant terminé l’étude souhaitaient néanmoins poursuivre un
traitement complémentaire par acupuncture et acupression
pour les autres cycles de chimiothérapie. Effet placebo ou attrait
pour une technique complémentaire non traditionnelle ? La
question d’une large étude randomisée versus pas de technique
d’acupuncture reste posée afin de déterminer statistiquement
l’efficacité ou non de ces traitements.
Une
étude prospective et multicentrique internationale a
évalué l’impact des NV sur la qualité de vie de 298 patients
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traités par des chimiothérapies fortement et moyennement
émétisantes (17). Ces patients ont reçu un traitement associant
sétron et corticoïdes selon les recommandations émises en 2001
et 2002 (époque de l’étude). L’incidence des vomissements a été
de 36,4 % et celle des nausées de 59,7 %, l’incidence des nausées
étant supérieure à celle des vomissements quel que soit le type
de chimiothérapie. Parmi les patients n’ayant pas présenté de
nausées ou de vomissements aigus, 22,9 % ont rapporté un
impact négatif sur leur qualité de vie du fait de nausées ou de
vomissements retardés. Les nouvelles recommandations des
sociétés savantes proposent l’utilisation des inhibiteurs de la
neurokinine. De futures évaluations pourront montrer si ces
nouvelles stratégies modifient la qualité de vie des patients,
notamment en ce qui concerne les nausées.
Les
insuffisances rénales constituent une toxicité importante en termes de retentissement thérapeutique ainsi qu’en
termes de morbidité. Dans le domaine de l’insuffisance rénale
chimio-induite, les résultats de l’étude IRMA ont été présentés à
l’ASCO 2006 (V. Launay-Vacher et al., abstract 8603). Cet essai
rétrospectif observationnel national français a été mené sur
deux périodes de 15 jours en 2004. L’objectif était de définir la
prévalence de l’insuffisance rénale chez les patients cancéreux
et d’évaluer le potentiel néphrotoxique des chimiothérapies et
la nécessité d’ajustement de leur posologie. Quatorze centres
ont inclus 4 684 patients, dont 81,6 % ont reçu un traitement
de chimiothérapie. La prévalence de l’insuffisance rénale a été
de 60 % (patients ayant une fonction rénale anormale). Près de
80 % des patients ont reçu au moins une drogue anticancéreuse
potentiellement néphrotoxique, et près de 80 % des patients ont
reçu une drogue nécessitant un ajustement de posologie.
Le suivi régulier de la fonction rénale doit être mené en routine,
en suivant prioritairement la mesure de la clairance selon Cockcroft et Gault. La fonction rénale préthérapeutique des patients
doit être systématiquement analysée avec un choix se portant
sur des drogues de chimiothérapie ayant des recommandations validées afin d’adapter au mieux les posologies en cas de
toxicité rénale.
Une évaluation de l’intérêt de la dialyse peut compléter les
résultats de l’étude IRMA, une fois l’altération de la fonction
rénale installée (18). Menée sur une unité de soins intensifs
cancérologiques par l’Institut national du cancer brésilien,
cette étude prospective monocentrique a montré un intérêt
sur la mortalité, en cas d’insuffisance rénale aiguë, de la dialyse
précoce (les premiers jours) comparativement à une dialyse
tardive (64 % versus 86 % ; p = 0,03). L’objectif principal de
l’étude a été de définir les facteurs pronostiques péjoratifs
en cas d’insuffisance rénale. Un âge supérieur à 60 ans, une
maladie cancéreuse en échappement, un mauvais performance
status et plus de deux organes aux fonctions altérées sont les
principaux facteurs d’augmentation de l’incidence de la mortalité à 6 mois. On note ainsi l’absence du type de cancer et
de la neutropénie parmi les facteurs de risque. Ces résultats
peuvent aider à poser l’indication d’une dialyse précoce chez
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des patients en insuffisance rénale aiguë ne présentant pas ces
facteurs de risque péjoratifs.
L’impact positif du traitement par EPO recombinante sur
l’anémie et la qualité de vie des patients a été largement
démontré. La question d’un impact négatif de ces traitements
sur le contrôle de la maladie et la survie a été soulevée dans
deux études portant sur les cancers du sein métastatiques
et ORL locorégionaux traités par radiothérapie. Les tissus
néoplasiques de 157 patients d’un des centres de l’essai portant
sur les cancers tête et cou ont été étudiés, en recherchant
l’expression ou non du récepteur à l’EPO à la surface des
cellules malades (19). Les survies sans progression ont alors
été analysées selon que les patients avaient reçu de l’EPO ou le
placebo et que leurs tissus étaient positifs ou non au récepteur
à l’EPO. Le traitement par EPO recombinante (rEPO) n’affecte
pas le pronostic des patients dont le cancer est récepteur EPO
négatif. En revanche, le risque de progression locorégionale
et de décès est augmenté pour ces patients traités par radiothérapie, ayant une positivité au récepteur et recevant un
traitement par rEPO comparativement à des patients traités
par placebo (risque relatif 1,4/0,7 = 2 ; p = 0,003). D’autres
études complémentaires sont attendues afin de déterminer le
mécanisme exact de ces résultats et de définir une conduite à
tenir pour les patients ORL en cours d’irradiation ayant une
maladie cancéreuse positive au récepteur à l’EPO.
Les soins de support regroupent l’ensemble des actions
nécessaires au confort du malade. Une étude randomisée
menée auprès de patients traités en phase avancée avec un
pronostic péjoratif a évalué la pertinence d’un groupe pluridisciplinaire interventionnel en soins de support (20). Audelà des recommandations, des études évaluant les meilleurs
traitements, ce travail a prouvé l’intérêt d’un regroupement
de compétences autour du malade. L’objectif a été de prouver
l’intérêt d’une prise en charge des différents domaines de la
qualité de vie : cognitif, physique, émotionnel, spirituel et
social. Les interventions ont consisté en groupes de travail
de 90 minutes, réunis toutes les trois semaines, en présence
de plusieurs intervenants (notamment psychologues). Chaque séance a été structurée en phases de conditionnement
physique, d’informations, de stratégies cognitives, de parole
libre, et s’est close sur une période de relaxation. Le groupe
contrôle a bénéficié de consultations avec des oncologues en
suivant les recommandations de l’ASCO. Trois études portant
sur la qualité de vie ont été menées en début de traitement,
à S4, S8 et S27, au moyen des échelles Linear Analog Scale of
Assessment ou Spitzer Uniscale. Une amélioration de 3 points
de l’évaluation de base a été retrouvée dans le bras soumis à
l’intervention du groupe de travail, tandis que les patients suivis
de façon standard (groupe contrôle) ont eu une détérioration
de 9 points de leur évaluation initiale. La différence entre les
deux bras a été significative (p = 0,009), en faveur du groupe
d’accompagnement, prouvant par voie statistique l’intérêt
d’une telle prise en charge. Forts des réunions de concertation pluridisciplinaires imposées par le Plan cancer, on peut
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imaginer la création de groupes de ce type rassemblant des
compétences volontaires dans chaque centre, visant à développer sur le terrain l’accompagnement en soins de support
des malades.
OBSERVATOIRES
Deux observatoires importants ont été mis en place cette année.
Le programme EDIFICE (Étude sur le dépistage des cancers et
ses facteurs de compliance) a été réalisé auprès des médecins
généralistes ainsi que du grand public sur les cancers du sein,
du côlon, de la prostate et du poumon, dans le but d’effectuer
un état des lieux du dépistage des cancers en France. Ce premier
observatoire a mis en évidence que le cancer du sein est diagnostiqué par le biais d’un dépistage dans 93 % des cas, dont 45 %
dans le cadre de dépistages organisés. Le cancer du poumon
est le cancer le moins dépisté (6 %), en l’absence de mesures
clairement identifiées. Le dépistage du cancer du côlon est plus
important dans les 22 départements dans lesquels il est organisé
(34 % contre 20 % dans les autres départements). Le cancer de
la prostate est le second cancer dépisté derrière celui du sein
(36 % des patients diagnostiqués l’ont été par un test de dépistage) bien qu’il soit largement recommandé par les généralistes
(58 % contre 68 % pour le cancer du sein) [X. Pivot et al., ASCO
2006, abstract 6092 ; D. Serin et al., ASCO 2006, abstract 10701 ;
Y. Coscas et al., ASCO 2006, abstract 6078].
Soins oncologiques de support
S oins oncologiques de support
Le deuxième observatoire a porté sur la prise en charge initiale
des patients en cancérologie. Cette mine d’informations a été
recueillie sur un an, de mars 2005 à mars 2006, auprès de
1 556 patients répartis dans 82 centres. Une immense majorité de malades se sont dits satisfaits de leur prise en charge
(note de 8,2/10) et des informations reçues (94 %). Le dispositif
d’annonce et la formation des non-cancérologues à l’annonce
du diagnostic sont fondamentaux, puisque 90 % des annonces
n’ont pas été faites par un spécialiste du cancer. Soixante-dix
pour cent des patients souhaitent une prise en charge psychologique, et 66 % un accès à un service social. La généralisation
et le développement du dispositif d’annonce doivent mobiliser
l’ensemble des centres traitant des patients atteints de cancer
(G. Ganem, communiqué de presse paru dans Le Quotidien du
médecin du 26 octobre 2006, p.13).
Cette année 2006, riche en recommandations des sociétés
savantes et en communications lors de congrès, a renforcé la
notion de soins de support en oncologie. Les traitements fondamentaux tels que les EPO, les G-CSF ou les antiémétiques sont
codifiés, ainsi que la prise en charge des mucites. L’attention
portée aux anciens patients traités pour cancer augmente. Les
observatoires de prise en charge se multiplient. Au travers de la
prise de conscience de ce domaine de soin, la qualité d’accompagnement des malades doit être en permanence améliorée.
Les recherches et les publications se développent. Gageons que
l’année 2007 sera au moins aussi riche que la précédente. O
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Soins oncologiques de support
S oins oncologiques de support
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Les articles publiés dans La Lettre du Cancérologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Sont routés avec ce numéro :
- le supplément 1 intitulé : Actualités sur le cétuximab à l’ESMO 2006 (8 pages) ;
- le supplément 2 intitulé : Actualités dans le cancer de l’ovaire (12 pages) ;
- un Infos Congrès intitulé : Actualités sur le trastuzumab dans le cancer du sein à l’ESMO 2006 (8 pages).
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays.
Edimark SAS © mai 1992 - Imprimé en Fance - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution
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La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 7 - décembre 2006
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