
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 6 - novembre-décembre 2011 | 251
Points forts
»
Après une amputation abdominopérinéale (AAP) standard, il existe un fort risque de perforation rectale
et de marge circonférentielle envahie responsable d’une majoration du taux de récidive locale et d’une
augmentation du risque de décès par cancer de 30 %.
»
Afin d’obtenir une exérèse oncologique de qualité, il faut réaliser une AAP “moderne”, dite extra-
lévatorienne, qui consiste en une dissection cylindrique sans pénétrer l’espace entre la tumeur et les
releveurs de l’anus.
»
Le critère de choix entre AAP et conservation sphinctérienne n’est plus la distance de la tumeur par
rapport à la marge anale ou au sphincter mais l’infiltration circonférentielle de la tumeur au sphincter
externe évaluée par IRM.
Mots-clés
Bas rectum
Marge
circonférentielle
AAP extra-
lévatorienne
Résection
intersphinctérienne
Highlights
»
After classical abdominoperi-
neal resection there is a high
risk of rectal perforation and
positive circumferential margin
which may compromise both
local control and survival.
»
A modern called extralevator
abdominoperineal resection
must be performed to improve
oncologic results.
»
The choice between APR and
sphincter saving resection is
not the longitudinal distance
between the tumour and the
anal sphincter but the circum-
ferential margin between
the tumour and the external
sphincter assessed by MRI.
Keywords
Low rectum
Circumferential margin
Extralevator
abdominoperineal resection
Intersphincteric resection
plancher pelvien en sectionnant les muscles releveurs
de l’anus. Cela entraîne des plaies pelvipérinéales
dont la cicatrisation, parfois longue après un traite-
ment néoadjuvant, favorise des processus inflamma-
toires ou infectieux locaux, ce qui facilite la récidive
locale, voire métastatique, par l’intermédiaire des
facteurs de croissance cellulaire comme les cytokines
(10). Il a ainsi été observé un taux de 33 % (10/30)
de récidive locale après sepsis postopératoire contre
8 % (5/60) sans sepsis chez des patients traités par
AAP pour cancer du bas rectum (11).
Par ailleurs, la fonction génitale est plus altérée après
AAP qu’après TME conservative : 63-75 % versus
72-90 % (12). Ce constat s’explique par l’existence
d’un risque plus important de section des branches
des plexus hypogastriques lors de la phase périnéale
de l’AAP.
Au total, l’AAP telle qu’elle est pratiquée apparaît
comme une technique non anatomique et non stan-
dardisée, voire pour certains chirurgiens colorec-
taux, comme une intervention potentiellement
dangereuse (13). Afin d’améliorer ces résultats, les
solutions sont, d’une part, une meilleure formation
chirurgicale à la technique d’amputation et, d’autre
part, une standardisation des indications de la prise
en charge des tumeurs du bas rectum incluant les
techniques de conservation sphinctérienne et l’AAP.
L’AAP “moderne”
extralévatorienne
L’objectif principal lors d’une exérèse rectale pour
cancer est de mettre le patient dans une situation
carcinologique optimale en s’assurant d’obtenir des
marges de résection non envahies (circonférentielle et
distale) et d’éviter une perforation tumorale. Concer-
nant l’AAP, afin d’obtenir une résection R0, l’objectif
va être de rester à distance de la tumeur en faisant
une dissection cylindrique sans disséquer l’espace
entre la tumeur et les releveurs de l’anus. Dans la
technique décrite par T. Holm et al. (14), les règles
carcinologiques du temps abdominal sont inchangées.
En revanche, la dissection pelvienne doit s’arrêter
précocement afin de ne pas ouvrir l’espace entre la
partie basse du mésorectum et les releveurs de l’anus,
qui ne doivent pas être vus. L’objectif du temps péri-
néal est la réalisation d’une exérèse cylindrique de
la jonction anopérinéale. Celle-ci est l’ablation en
monobloc des releveurs et du mésorectum, qui n’ont
pas été séparés lors de la dissection abdominale. Afin
d’obtenir une exérèse cylindrique, il est recommandé,
en arrière, de réséquer le coccyx et, latéralement,
de sectionner les releveurs au contact de la paroi
pelvienne, enfin, en avant, de suivre le plan recto-
prostatique ou vaginal. En revanche, cette technique
d’AAP est plus délabrante sur le plan pelvipérinéal et
nécessite le plus souvent des artifices de comblement
afin de limiter le risque de complication septique
pelvienne ou de hernie périnéale. Différentes tech-
niques de lambeau sont proposées, telles que l’épi-
plooplastie, le prélèvement de gracilis, les lambeaux
de grand fessier, de grand droit ou fasciocutané.
Résultats oncologiques
de l’AAP “moderne”
Dans l’étude multicentrique de N.P. West et al. (15),
124 patients ayant eu une AAP standard ont été
comparés à 176 patients avec une AAP extralévato-
rienne. Les 2 groupes étaient identiques concernant
les données démographiques, tumorales et théra-
peutiques (79 % de traitement néoadjuvant dans les
2 groupes). Le taux de perforation rectale (8 % versus
28 %) et de marge circonférentielle envahie (20 %
versus 49 %) était significativement diminué en cas
d’AAP extralévatorienne. La technique d’AAP était
un facteur de risque indépendant de perforation ou
de marge circonférentielle envahie selon l’analyse
multivariée. Dans cette étude, il n’y avait pas de
données oncologiques sur le long terme, mais il est
probable qu’il y aura une amélioration sensible du
contrôle local en raison d’une meilleure qualité de
l’exérèse. D’ailleurs, en 2003, N. Dehni et al. avaient
rapporté leurs résultats oncologiques d’une série
d’AAP extralévatorienne avec un taux de récidive
locale de 10 % et un recul médian de 55 mois (16).
En pratique, si l’AAP doit garder une place dans
l’arsenal des traitements chirurgicaux du cancer du
rectum, il faut qu’elle soit réalisée selon des règles
carcinologiques bien précises par des chirurgiens
ayant été formés à la technique de l’AAP extralé-
vatorienne.