180 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 5 - septembre-octobre 2013
CAS CLINIQUE
propage le long du dartos pénien et scrotal, du fascia de Colles
périnéal et du fascia de Scarpa de la paroi abdominale antérieure.
Les organes contenus dans le scrotum (testicules, épididymes,
cordons) sont séparés du fascia du dartos scrotal par 2 autres
fascias plus profonds (les fascias spermatiques externes et
internes). De fait, les testicules sont la plupart du temps épar-
gnés par l’infection. Ils sont de plus vascularisés par des vaisseaux
rétropéritonéaux qui sont indépendants de la vascularisation
du scrotum. S’ils sont atteints, il faudra suspecter une atteinte
intra- ou rétropéritonéale (1, 2). Cette infection progresse rapide-
ment vers une endartérite oblitérante qui entraîne des nécroses
vasculaires cutanées et sous-cutanées. Il en résulte une nécrose
tissulaire consécutive à l’ischémie locale et à la multiplication
concomitante de bactéries aéro- et anaérobies (1, 3, 6). Dans ce
contexte, la diffusion des antibiotiques dans les zones infectées
est limitée.
Épidémiologie
La porte d’entrée est identifiée dans près de 82 % des cas (2).
Cutanée, colorectale ou urologique, elle peut faire suite à l’exten-
sion d’un abcès, périanal ou génital (dans 40 à 50 % des cas) [1, 2,
4, 6, 7], à un traumatisme (2, 6) [instrumentation rectale ou périu-
réthrale, sonde à demeure], à une tumeur (1), ou à une intervention
chirurgicale (1, 2). On retrouve, dans les différentes études, une
nette majorité d’hommes (3 à 10 fois plus que de femmes) [1, 2,
4-6, 7], possiblement du fait d’un meilleur drainage des sécrétions
génitales chez la femme (2). L’âge médian de survenue se situe
entre 50 et 60 ans (1-3, 6, 7), mais cette infection peut survenir
à tous les âges de la vie.
Les facteurs de risque retrouvés sont : une maladie périanale
(près de 40 % des cas) – hémorroïdes, infection chronique locale,
tumeur – [3], le diabète (environ 30 % des cas dans la plupart des
cohortes) [1-3, 5-7], l’insuffisance cardiaque (de 30 à 50 %) [1, 2,
5], l’obésité (40 %) [1, 2], l’alcoolisme chronique (30 %) [2, 4, 7],
une immunodépression (18 %) [2], l’HTA (de 10 à 25 %) [3, 5] et
une néoplasie (4 %) [1, 3].
Microbiologie
La gangrène de Fournier est une infection généralement plurimicro-
bienne (jusqu’à 83 % des cas) [1, 2, 5], résultant d’une combinaison
des germes des flores uréthrale, rectale et digestive. E.coli, Bacte-
roides sp., Pseudomonas aeruginosa, Streptococcus pyogenes et les
staphylocoques sont les germes le plus fréquemment identifiés
(1-4, 6, 7). Une observation de gangrène de Fournier à Candida
sp. a été rapportée (8).
Diagnostic
Le diagnostic est avant tout clinique. Les patients présentent
fréquemment un épisode récent de traumatisme ou d’infection
locale, qui peut orienter vers la porte d’entrée. L’évolution est
insidieuse, ce qui explique une prise en charge souvent retardée
par rapport aux premiers symptômes (en moyenne 6 jours) [2,
4], associée à un examen clinique des parties génitales parfois
négligé, ou difficile, comme chez les sujets obèses. Les signes
cliniques évocateurs sont ceux d’une cellulite, débutant par une
douleur ou un simple prurit au niveau des organes génitaux
externes, puis, de façon presque systématique, un érythème
local, un œdème et une fièvre dans près de la moitié des cas (3).
Apparaissent ensuite les signes généraux de sepsis (1-5) et les
signes locaux orientant vers une fasciite nécrosante : plages de
nécrose, diminution de la sensibilité, crépitation neigeuse signant
l’emphysème sous-cutané.
On retrouve, dans la littérature, une mortalité plus élevée chez
les patients en choc septique à l’admission (1-3, 5, 7), et en
cas de retard de la prise en charge chirurgicale (4, 6). Certains
facteurs pronostiques sont inconstamment retrouvés, comme
les comorbidités, notamment cardiaques (2) ou rénales (1, 2, 7),
l’obésité (2), le délai avant la prise en charge hospitalière (4),
l’étendue de la surface cutanée atteinte (3, 6, 7) et des anomalies
de certains paramètres biologiques (créatinine, urée, hémato-
crite, bicarbonates, leucocytes, natrémie, kaliémie, protides,
albumine) [1, 3, 6].
Dès 1995, un score pronostique s’inspirant du score APACHE II, le
FGSI (Fournier Gangrene Severity Index), a été proposé. Il permet-
trait de prédire de façon simple une mortalité supérieure à 75 %
lorsqu’il est supérieur ou égal 9 (1-3, 6, 7), mais certaines études
n’ont pas confirmé sa valeur. On ne retrouve pas de corrélation
entre la mortalité et le site de survenue (1), la mise en place d’une
stomie (1, 7), le nombre de débridements chirurgicaux (1, 3, 6, 7),
le type de germe (1, 3) et l’âge du patient (2, 3, 6, 7).
Thérapeutique
La gangrène de Fournier est avant tout une urgence chirurgicale
qui ne doit pas être retardée par une imagerie (4). Un débridement
au bloc opératoire doit être réalisé rapidement, et il est parfois
nécessaire de mettre en place une colostomie de décharge lorsque
le risque de contamination fécale est important ou lorsque la
nécrose des tissus s’étend jusqu’à l’anus, ce qui concerne 15 à
38 % des patients (1, 6, 7). En cas d’atteinte de l’urètre ou du
pénis (19 % des cas), il peut être nécessaire de mettre en place une
cystostomie transitoire (1, 6, 7). Le but de cette prise en charge,
d’autant plus délabrante que les lésions sont étendues, est de
réséquer le tissu nécrosé afin de stopper l’extension de l’infec-
tion. Elle doit par ailleurs le plus souvent être répétée au début
de la prise en charge : débridements (souvent 2 à 3 par patient,
jusqu’à une dizaine) [2, 7], pansements sous anesthésie générale,
mise en place d’une VAC-thérapie. Dans un second temps, quand
l’infection est contrôlée et que les tissus sont sains, une chirurgie
plastique de reconstruction peut être indispensable.
Le traitement médical, commencé également en urgence (avant
même la prise en charge chirurgicale), consiste en une antibiothé-
rapie probabiliste active sur les bactéries à Gram négatif et positif,
y compris les anaérobies, qui sera ensuite ajustée à la culture
des prélèvements peropératoires (4). Les antibiotiques les plus
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