Progrès en Urologie (1997), 7, 471-475 Apport de l’imagerie dans le diagnostic précoce de la gangrène de Fournier Frédéric MICHEL (1), Alain FAUCHERY (1), Maher BELHADJ (1), Jean-François COUAILLER (2), Raphaëlle MARTIN-CHAMPETIER (2) (1) Service de Chirurgie Urologique-Andrologie, (2) Service de Radiologie, Hôpital du Bocage, Dijon, France RESUME L’échographie scrotale, complétée par une IRM, a permis un diagnostic précoce d’une gangrène de Fournier, avant l’apparition d’une crépitation souscutanée, permettant un traitement rapide et adapté à l’étendue de la nécrose. La réalisation d’une échographie est recommandée dans le bilan des affections inflammatoires du scrotum et/ou du périnée. L’IRM permet d’affiner les données de l’échographie, de préciser l’extension de la gangrène ainsi que son point de départ. Mots clés : Scrotum, gangrène de Fournier, échographie scrota le, imagerie en résonance magnétique. Progrès en Urologie (1997), 7, 471-475. La gangrène de Fournier ou gangrène nécrotique des organes génitaux externes et du périnée est une affection grave dont le pronostic dépend de la rapidité avec laquelle le traitement est instauré. Un retard de diagnostic aggrave sensiblement la mortalité [4]. Nous rapportons l’observation d’un malade chez qui l’échographie testiculaire et l’imagerie à résonance magnétique (IRM) ont permis un diagnostic précoce de gangrène de Fournier en mettant en évidence l’air dans les tissus mous sous-cutanés alors qu’il n’existait pas de crépitation à l’examen clinique. OBSERVATION Monsieur J.M., 26 ans, est hospitalisé dans le service d’Urologie pour des douleurs testiculaires évoluant depuis 48 heures. L’interrogatoire retrouve une crise hémorroïdaire avec thrombose externe traitée par application locale d’une pommade anti-hémorroïdaire. Le lendemain, sont apparus une rougeur, un oedème et une douleur d’une bourse pour lesquels le malade est mis par son médecin traitant sous corticoïde et antihistaminique. La non régression de la symptomatologie amène son hospitalisation. A son admission, la température est à 37°1C. Le scrotum est oedématié, rouge, avec une douleur bilatérale à la palpation des bourses et de la région inguinale. Le patient signale également plusieurs selles liquides depuis 24 heures. Il n’y a pas de symptôme urologique, pas d’écoulement urétral, le toucher rectal est normal. Biologiquement, les globules blancs sont à 16,5/mm3 avec hématocrite à 39,2%, la vitesse de sédimentation à 82mm à la 1ère heure. L’examen cytobactériologique des urines trouve 100000 leucocytes par ml, la culture est stérile. Les sérologies (HIV 1 et 2, hépatite A, B et C, syphilis, chlamydia et mycoplasme) reviendront négatives. Le bilan hépatique va montrer une bilirubine totale élevée (112 µmol/l; normale inférieure à 22) aux dépens de la bilirubine conjuguée, des t ransami nases élevées, ASAT à 180 UI/l (normale inférieure à 46) et ALAT à 99 UI/l (normale inférieure à 72) ainsi que les famaGT (2004 UI/l; normale inférieure à 78). Les phosphatases alcalines sont normales ainsi que la fonction rénale. Une échographie ne va montrer qu’une lame d’hydrocèle bilatérale. Le soir de son admission, la température monte à 40°C avec des frissons. Une antibiothérapie probabiliste associant Netil micine, Cefotaxime et Metronidazol est instituée après avoir prélevé une série d’hémoculture. Le diagnostic évoqué est celui d’orchi-épididymite sévère, du fait du syndrome septique grave associé à des anomalies biologiques hépatiques. Une urographie intraveineuse ne va pas montrer d’anomalie du bas appareil. Au 3ème jour, le malade est toujours fébrile et le scrotum, la verge, le périnée et la région sus-pubienne sont érythémateux, chauds, tendus. Il n’y a aucun crépitement à l’examen clinique. Un cathéter sus-pubien est mis en place en raison de l’oedème de la verge. Une nouvelle échographie scrotale va cette fois-ci montrer un contenu scrotal hétérogène avec de nombreuses images aériques remontant le long du cordon et faisant évoquer au radiologue une hernie inguinale scrotale bilatérale (Figures 1 et 2). Les testicules sont d’échostructure normale. Une IRM est réalisée le jour même et va objectiver un épanchement à la fois liquidien et gazeux autour des testicules. Ceux-ci apparaissent de taille normale et de signal homogène. L’air suit le trajet des deux cordons spermatiques (Figures 3 et 4). Il existe une collection purulente et gazeuse dans la par- Manuscrit reçu : septembre1996, accepté : janvier 1997. Adresse pour correspondance : Dr. F. Michel, Service de Chirurgie UrologiqueAndrologie, Hôpital du Bocage, 21034 Dijon Cedex. 471 Figure 1. Echographie du testicule avec des zones hyperéchogènes associées à un cône d’ombre acoustique. Figure 2. Echographie du cordon montrant la présence d’air. Figure 3. IRM testiculaire montrant la présence d’air autour du testicule remontant le long du cordon; coupe transversale; séquence T 1 après injection de Gadolinium (☞ air). 472 Figure 4. IRM testiculaire montrant la présence d’air autour du testicule remontant le long du cordon; coupe sagittale; séquence T 1 (☞ air). Figure 5. IRM montrant la présence d’air dans la région suspubienne; coupe sagittale; séquence T 1 ( ☞ air). 473 DISCUSSION La «gangrène foudroyante de la verge» décrite par Jean Alfred FOURNIER en 1883 est une affection rare (700 cas rapportés dans la littérature en 1993) [13] mais grave qui a été caractérisée initialement par trois éléments : début brutal chez un homme souvent en bonne santé, progression foudroyante de la gangrène et absence de cause évidente [10]. Il s’agit d’une nécrose infectieuse des tissus sous-cutanés débutant au niveau des bourses. Elle est liée à des germes anaérobies (Bactéroïdes, Streptococcus, Enterococcus) et aérobies (Escherichia coli, Entérobacter, Klebsiella, Proteus, Streptococcus) pour les plus fréquents, qui agissent de façon synergistique [19]. Une moyenne de quatre germes est en règle retrouvée dans la majorité des cas rapportés [18]. Les germes aérobies favorisent la croissance des bactéries anaérobies en diminuant la tension en oxygène dans les tissus sous-cutanés. Le métabolisme anaérobie aboutit à des composants insolubles (principalement azote, nitrite d’azote et hydrogène) responsables de la crépitation sous-cutanée perçue à l’examen clinique et retrouvée sous forme gazeuse sur les radiographies sans préparation [9]. La croissance bactérienne produit une thrombose des vaisseaux souscutanés puis cutanés à l’origine de la nécrose des tissus [7, 14]. Décrite originalement comme idiopathique, actuellement, dans la majorité des observations, une porte d’entrée est retrouvée [18]. Celle-ci est souvent d’origine digestive [3] comme chez notre patient, mais cela peut être une infection urogénitale, une lésion cutanée de voisinage [13]. Un terrain déficient est également souvent associé [18] (éthylisme, diabète, insuffisance rénale, infection par le virus HIV). Le délai entre l’apparition des symptômes et le diagnostic est en moyenne de cinq jours [1]. Le pronostic reste grave (mortalité comprise entre 10 et 30% [15, 18] et dépend de la précocité du traitement qui associe chirurgie et antibiothérapie et éventuellement oxygénothérapie hyperbare [17]. Le crépitement sous-cutané, pathognomonique, n’est présent lors du diagnostic que chez 20 à 64% des patients [1, 3, 9]. Les clichés sans préparation du périnée peuvent montrer de l’air dans les tissus sous-cutanés avant l’apparition des crépitements, mais l’analyse radiologique en est parfois difficile. L’échographie dans le diagnostic de la gangrène de Fournier a fait l’objet de 5 publications [2, 5, 6, 7, 15]. Seuls K ANE et coll [15] ont rapporté, comme dans notre observation, l’existence d’air dans le scrotum en échographie, alors qu’il n’existait pas de crépitants à l’examen clinique. Il s’agit d’un examen simple, indolore, d’accès facile et d’une grande fiabilité [20] permettant d’étudier le scrotum, le périnée, les fosses ischiorectales et l’abdomen. L’aspect de la gangrène de Fournier est caractéristique. Les testicules et l’épididyme sont normaux. Le tissu cutané et sous-cutané des bourses est épaissi avec de nombreuses zones hyper-échogènes associées à un cône d’ombre acoustique lié au fort Figure 6. IRM montrant la diffusion gazeuse vers le rectum; ( ☞ ); coupe transversale; séquence T 1 après injection de Gadolinium. tie sous-cutanée de la région pelvienne antérieure audessus de la verge (Figure 5). Il n’y a pas de collection aérique ou liquidienne anormale dans la cavité pelvienne. On note un aspect inflammatoire de la graisse sous-cutanée en arrière des bourses avec une fusée gazeuse venant au contact de l’anus et faisant évoquer comme point de départ de la gangrène la thrombose hémorroïdaire que le patient a présenté quelques jours auparavant (Figure 6). En urgence, une large excision des tissus scrotaux nécrosés va être réalisée permettant d’évacuer une collection hydro-aérique nauséabonde. Une incision sus-pubienne permettra de parfaire la détersion des tissus infectés. Un nettoyage abondant des zones excisées est fait à l’aide d’eau oxygénée. Les prélèvements vont trouver de rares Escherichia coli au sein d’une flore polymorphe anaérobie abondante. Les hémocultures vont revenir positives à bactéroïdes fragilis. En raison d’une persistance de la fièvre, une seconde mise à plat chirurgicale est réalisée six jours plus tard. L’apyrexie est alors obtenue évitant le recours à une oxygénothérapie hyperbare. Le cathéter sus-pubien est retiré au 15ème jour avec reprise normale des mictions. L’antibiothérapie IV est arrêtée au 10ème jour et remplacée par l’association Amoxicilline-acide clavulanique et Ornidazol per os pendant un mois. Les anomalies biologiques hépatiques vont se normaliser. La cicatrisation dirigée des plaies va se faire en deux mois. 474 degré de réflectivité de l’interface eau-air comme cela a déjà été décrit lorsqu’il existe de l’air dans le système portal [8]. Cependant, la présence d’air dans le scrotum peut être liée à une hernie inguino-scrotale incarcérée [15] et le diagnostic de gangrène de Fournier peut, comme cela a été le cas pour notre malade, ne pas être évoqué sur l’échographie. La symptomatologie clinique, la fièvre en particulier, nous a fait demander une IRM qui a confirmé la présence d’air, non seulement dans le scrotum, mais aussi dans la graisse sus-pubienne alors que les testicules étaient normaux. Seuls O KIZUKA et coll. [16] ont décrit, comme dans notre observation, un diagnostic de gangrène de Fournier par l’IRM. Cet examen nous a permis de plus de délimiter précisément l’extension des lésions permettant une chirurgie adaptée. Il a confirmé l’absence de lésion périnéale ou pelvienne nous confortant dans notre attitude chirurgicale. Il nous a précisé le point de départ, périanal, de la gangrène. La tomodensitométrie, examen souvent plus accessible que l’IRM, apporte les mêmes renseignements que l’échographie [7] mais son champ d’exploration est plus étendu et elle peut mettre en évidence des lésions intra-abdominales [11]. Son usage est recommandé par HUBERT et coll. [13] en cas de doute diagnostique sur la clinique. CONCLUSION Dans le bilan d’une infection scrotale ou périnéale, l’échographie est un examen essentiel permettant de mettre en évidence de l’air dans les tissus sous-cutanés avant l’apparition d’une crépitation clinique. Elle doit faire partie du bilan paraclinique de toute infection scrotale, quel qu’en soit le mode de présentation. Elle est complétée au mieux par la tomodensitométrie ou, si cela est possible, par une IRM qui, outre son intérêt diagnostique, permet d’évaluer le point de départ et la diffusion de la gangrène, permettant une chirurgie rapide et adaptée à l’importance de la nécrose. REFERENCES 1. BASKIN L.S., CARROLL P.R., CATTOLICA E.V., Mc ANINCH J.W. Necrotizing soft tissue infections of the perineum and genitalia: bacteriology, treatment and risk assessment. Br. J. Urol., 1990, 65, 524-529. 2. BEGLEY M.G., SHAWKER T.H., ROBERTSON C.N., BOCK S.N., WEI J.P., LOTZE M.T. Fournier gangrene : diagnosis with scrotal ultrasound. Radiology, 1988, 169, 387-389. 3. CARROLL P.R., CATTOLICA E.V., TURZAN C.W., McANINCH J.W. Necrotizing soft tissu infections of the perineum and genitalia : etiology and early reconstruction. West J. Med., 1986, 144, 174-178. 6. DOGRA V.S., SMELTZER J.S., POBLETTE J. Sonographic diagnosis of Fournier’s gangrene. J. Clin. Ultrasound, 1994, 22, 571-572. 7. 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