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Parvenir aux
profondeurs de l'être:
Comprendre et
explorer la
signification de
la maladie
L'auteure a utili des extraits de cet article
dans le cadre de sa participation au Prix de
conférence à la mémoire de Helene
Hudson, 1997.
Prix parrainé par Amgen Canada Inc.
par Doris Howell
Abrégé
Toute infirmière qui souhaite réagir de manière adéquate au vécu
de patients diagnostiqués d'un cancer et de leur entourage doit
comprendre et explorer la signification de la maladie. La signification
est une dimension fondamentale de l'identité individuelle (Cassel,
1982). On aura un entendement bien limité du comportement et des
réactions d'une personne face au cancer si on ne parvient pas à
comprendre la signification de la maladie dans sa vie. Le sens
accordé à une situation donnée peut avoir une incidence profonde sur
la capacité d'adaptation et d'ajustement de la personne et de sa
famille, et peut influer sur les relations qu'elles entretiennent avec
l'équipe de soins. Ainsi, la signification de la maladie peut être
influencée par les croyances culturelles et religieuses, les valeurs, la
philosophie de la vie et les expériences préalables. La signification de
la maladie, qui peut être source de désespoir et de souffrance,
dépasse les réactions superficielles de l'individu pour toucher le plus
profond de son être. La signification que la personne donne à
différents événements évolue tout au long de la maladie et peut
exercer une immense influence sur le vécu de la maladie. La
compréhension de la signification et du vécu de la maladie chez les
patients exige des compétences élargies. Seuls une présence réelle,
une compréhension de l'autre et un partage du vécu d'autrui
permettent aux infirmières d'établir et de comprendre la signification.
C'est grâce au respect et à la compréhension qu'elles manifestent
pour la personne dans le cadre de l'identité individuelle et pour les
significations que celle-ci attribue à son vécu du cancer que les
infirmières sont à même de dépasser la surface pour toucher son âme.
Introduction
Contracter le cancer change tout, notamment les perceptions du
monde et de la vie (Eick-Swigart, 1995). Comme cet énoncé l'indique,
un diagnostic de cancer est un événement qui bouleverse la vie et
menace l'identité personnelle, les systèmes de croyances, les rôles et
les relations ainsi que la confiance en l'avenir. En écartant les malades
de leurs rôles et activités, le cancer se répercute sur leur identité
individuelle (Lupton, 1994). Les limitations qui se produisent au plan
des rôles fonctionnels ont une incidence marquée sur la signification
de la vie puisque la perte de ces rôles peut amener l'individu à avoir
une perception moindre du pourquoi de son existence (Cassel, 1982).
Et comme Koestenbaum (1976) le signale, être utile à autrui plutôt
qu'une entrave est une des facettes les plus enrichissantes de la vie.
Les réactions de patients présentées ci-dessous illustrent bien la
signification du diagnostic de cancer et l'impact dévastateur de la
maladie sur la vie des gens. "C'était comme si le monde s'était dérobé
sous mes pieds"; "Mon monde s'est évanoui. Vous savez, le mot
"cancer", c'est une sentence de mort, le pire diagnostic qu'on puisse
entendre." (Furman, 1993). Confrontés au cancer, les individus
devront peut-être redéfinir leurs relations, réexaminer l'orientation
qu'ils donnent à leur vie, et faire face à leur propre mortalité pour la
toute première fois de leur existence. Et comme le souligne Colyer
(1996), "la conscience de la mort bouleverse l'intégrité humaine". On
décrit souvent la période suivant le diagnostic initial comme une
"crise existentielle" où prédominent les inquiétudes relatives à la
signification de la vie et de la maladie ainsi que les pensées et les
craintes axées sur la mort (Weisman, Worden, 1976).
La signification du cancer
La signification du cancer exerce chez l'individu une profonde
influence sur ses réactions affectives et influe sur la manière dont il
vivra la "crise existentielle" liée au cancer. D'après Cassel (1982), la
signification est une dimension fondamentale de l'identité individuelle
et l'on aura un entendement bien limides réactions d'une personne
face au cancer si l'on ne comprend pas la signification de la maladie
dans la vie de cette dernière. Les patients peuvent faire appel à deux
raisons pour expliquer les symptômes et la maladie, à savoir la raison
médicale et leur propre version des faits. Par exemple, certains verront
le cancer comme une punition (Barkwell, 1991; Luker, Beaver,
Leinster, Owens, 1996), ou la douleur associée au cancer est acceptée
comme la volonté de Dieu (Kumasaki, 1966). Quant à Ferrel et Dean
(1995), ils ont découvert que les gens attribuaient des significations
existentielles ou spirituelles à la douleur et que, pour de nombreux
patients, la douleur liée au cancer était une épreuve de purification, le
CONRENCE À LA MÉMOIRE DE HELENE HUDSON POUR 1997
Doris Howell, Inf., M.Sc.Inf. est consultante en soins en cancérologie, Lisle, Ontario.
Doris Howell Helene Hudson
1945-1993
doi:10.5737/1181912x811723
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signe de la progression de la maladie et l'annonce d'une mort prochaine.
La signification de la maladie peut être influencée par les
croyances culturelles et religieuses, les valeurs, la philosophie de la
vie et les expériences préalables. Les antécédents culturels de la
personne lui dictent comment comprendre les événements de la vie et
comment y réagir. Elle peut hériter de sa culture une réaction
systématique aux changements affectant l'apparence physique, l'état
de santé global, l'état ou le comportement mental, la fonction des
diverses parties du corps ou les émissions corporelles (Donnely,
1995). Les croyances religieuses peuvent influer sur la signification
d'une expérience et changer par même la perception qu'en aura le
sujet. Les significations pourront varier et pour les cliniciennes et
pour les patients qui tentent de donner un sens à la maladie. Les
significations attribuées à une maladie sont l'apanage de l'individu et
donc subjectives, et elles peuvent être extrêmement difficiles à
évaluer. Kleinman (1988) a présenté un modèle explicatif afin d'aider
à comprendre la signification accordée à la maladie. Le modèle
explicatif comprend une vue d'ensemble de l'étiologie, de l'apparition
et la pathophysiologie de la maladie ainsi que du traitement désiré ou
attendu. Lipowski (1970) définit la signification comme étant le sens
subjectif de l'ensemble de l'information liée à la maladie à laquelle le
patient se trouve confronté. Cet auteur a conceptualisé plusieurs
catégories de significations liées à la maladie à savoir: défi, ennemi,
punition, faiblesse, soulagement, stratégie, perte irréparable et valeur.
Parmi ces significations, les femmes atteintes de cancer du sein
avaient tendance à retenir celles de défi et de valeur (Luker, Beaver,
Leinster, Owens, 1996). Ces femmes sont passées par une phase de
réévaluation de leur existence afin d'essayer de déterminer ce qui lui
donnait encore un sens et les aiderait à établir de nouvelles priorités.
En quelque sorte, elles voyaient dans la maladie un regain de
croissance personnelle. Lorsque la personne attache de la valeur à la
maladie, il est possible d'obtenir une modification au niveau de la
perception qu'elle en a:
"J'ai ce sentiment d'être vraiment en vie, de vivre à fond. L'esprit est
l'énergie qui propulse le véhicule tout entier, c'est l'appétit de vivre,
de vouloir avancer, c'est ça l'énergie, c'est ça l'esprit qui me mène, le
zeste de l'énergie... Je peux vivre ma vie à cent pour cent, même si j'ai
perdu mes capacités physiques. Je peux continuer à vivre mon
existence à fond parce que je la vis du plus profond de mon être."
Par contre, les femmes qui considéraient la maladie comme un
ennemi éprouvaient plus de difficul à continuer à vivre et
déclaraient: "C'est comme si on est dans l'antichambre de la mort, à
attendre son tour d'y passer".
Les significations personnelles des patients et leur cadre de vie
affectent la signification qu'aura une maladie grave dans leur vie. La
maladie constitue toujours une interruption et la signification ou la
portée de cette interruption dépendent du cheminement de ces patients
dans la vie (Benner, 1989). L'extrait suivant illustre la signification
qu'a tirée de son diagnostic de cancer un jeune homme athlétique.
"Ce jeune homme atteint d'un cancer des os très virulent durant les
premiers temps du diagnostic et du traitement a créé une image pour
représenter le sens du cancer dans sa vie. Il a dessiné un croquis
assez rudimentaire d'un vase fêlé en son milieu. Peu après, ce jeune
homme a redéfini sa raison d'être et a trouvé sa vocation dans l'aide
qu'il pouvait apporter aux autres patients. Plus tard, il a demandé à
compléter le croquis qu'il avait esquissé auparavant. Il y a ajouté des
lignes jaunes qui partaient de la fêlure pour atteindre les bords de la
page. Puis, en montrant ces lignes jaunes, il s'est exclamé: "voilà par
où rayonne la lumière" (Remen, 1996).
En revanche, un employé du chemin de fer d'âge mûr ne voyait
dans son cancer qu'une source de gêne, une chose à laquelle il ne
convenait pas de penser mais dont il fallait se débarrasser (Ryder,
1993). Les efforts produits par les patients pour s'adapter à ces
interruptions et bouleversements les ont amenés à reformuler la
manière dont ils conçoivent leur existence (Carter, 1990) et à essayer
de saisir la signification de la maladie (Steeves, 1992; Barkwell,
1991).
Exploration de la signification
Les personnes atteintes de cancer s'efforcent d'expliquer leur vécu
de la maladie afin d'essayer de donner un sens au chaos. C'est en
donnant une signification à l'expérience de la maladie que ces
personnes définissent leur vécu du cancer et leur vie, et leur attribuent
une fin (O'Connor, Germino, Funk, 1990). Frankl (1959) a identifié la
quête de signification comme étant la force primaire dans la vie et a
avancé que chaque individu donne à la vie une signification
particulière et originale, et qu'il est donc le seul à pouvoir mener sa
quête; ce n'est qu'à ce moment-là que la vie prend une portée qui
répond à sa "soif de signification".
Les personnes atteintes de cancer peuvent se lancer dans une quête
initiale au cours de laquelle ils souhaitent trouver une réponse à
l'existence de leurs symptômes, à la signification des tests et enfin, au
sens de la vie à la lumière de la maladie (Barnard, 1995). Selon
certains auteurs (Thompson, 1991), leur quête pourrait porter sur les
éléments suivants: attributions causales (Pourquoi certains
événements se produisent-ils?), attributions d'incidence sélective
(Pourquoi est-ce moi qui suis frappé et non pas quelqu'un d'autre?),
attributions de responsabili (responsabilité personnelle liée à
l'événement). Malheureusement, l'auto-incrimination est un des
résultats potentiels de la quête de signification du cancer.
Chercher à comprendre la portée personnelle d'un diagnostic de
cancer pourra également engendrer des significations (O' Connor,
Wicker, Germino, 1990). La découverte de significations à la maladie
peut exiger un changement sur le plan des valeurs et des priorités de
vie. De nombreuses personnes sont capables de repenser et de
redéfinir la signification de leur existence en restructurant leurs
valeurs et leurs attitudes vis-à -vis d'elles-mêmes et des autres et
envers la vie en général. Des femmes qui ressentaient de l'incertitude
face au cancer du sein se sont lancées dans une exploration de la
signification de la vie afin d'être à même d'accepter les multiples
résultats potentiels liés à cette incertitude (Nelson, 1996). Ces
femmes se débattaient avec la signification de leur existence préalable
à la maladie et avec celle de leur avenir incertain, et il leur fallait
apprendre une nouvelle façon d'être sur terre. Pour elles, de nouvelles
significations se faisaient jour lorsqu'elles aidaient les autres.
L'esprit humain est en quête de buts qui ont une signification
personnelle et rehaussent la vie (Frankl, 1959). La signification se
puise dans trois catégories: création (réalisations), expérience (p. ex.
assister à un coucher de soleil) et attitude (adopter une attitude
positive à l'égard d'un destin immuable). Frankl (1959) déclare:
"lorsqu'on fait appel à l'esprit pour faire face aux épreuves de la vie,
il active son pouvoir insolent avec une détermination tenace; il y
réagit par un bouillonnement irrésistible se mêlent notamment
l'envie de vivre, d'être libre, de comprendre, de jouir, de créer,
d'établir des liens et de se transcender". Les personnes qui réussissent
à attribuer une signification à leur vécu du cancer peuvent vivre une
expérience riche en création et en accomplissement personnel
(Granstrom, 1985).
La souffrance, source de signification
La maladie a été décrite comme étant une expérience à la fois
spirituelle et corporelle, et c'est bien au niveau de l'âme que les
significations voient le jour. "La signification est une des
récompenses intrinsèques les plus puissantes qui soient, et elle parle à
l'âme" (Frankl, 1959). Secretan (1997) ajoute: "l'esprit et les émotions
d'une personne sont autant de fenêtres sur son âme, et celle-ci est
l'esprit, l'être profond ou l'essence de la personne; elle est associée à
une plus grande conscience de soi, un plus haut degré de conscience,
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une force et un pouvoir intérieurs qui peuvent accroître les capacités
humaines et permettre à la personne d'atteindre une autre dimension
d'elle-même". On dit de l'âme qu'elle est notre essence et qu'elle
forme la partie immortelle ou spirituelle de notre être qui transcende
notre existence ici-bas (Secretan, 1997). Âme se dit "psukhê" en grec.
Selon Hippocrate, il fallait que l'esprit et l'âme de la personne soient
inspirés avant que la maladie ne puisse être traitée.
La souffrance peut résulter de l'incapacité à trouver une
signification au vécu de la maladie, ou bien les patients peuvent
surmonter la souffrance en découvrant de nouvelles sources de
signification. On a décrit la maladie comme étant l'expression de la
souffrance de l'âme, mais on affirme aussi que l'on peut tirer parti de
souffrances vides de sens pour développer celle-ci (Woodman, 1990).
La portée de notre esprit se limite à l'exploration des possibilités,
tandis que notre âme, elle, est capable de dépasser le plan traditionnel
pour atteindre le monde magique et le rêve suprême (Secretan, 1997).
C'est seulement dans la mesure une personne a réalisé la
signification concrète de l'existence humaine que le moi peut se
réaliser (Watson, 1988).
On peut trouver une signification à la vie dans ses relations
spirituelles ou dans sa croyance en Dieu (Shuster, Steeves,
Richardson, 1996). Les patients des hospices rapportent qu'ils sont
capables de trouver une signification à la souffrance et décrivent le
phénomène de la personne "entière" qui leur a fait prendre conscience
de ce qui les dépasse et existe en dehors de leur vie (Steeves, Kahn,
1987). Comme le philosophe Nieztsche l'indique, "celui qui sait
'pourquoi' il vit, peut supporter presque n'importe quel ‘comment’ de
la vie”. On a découvert que les patients des hospices donnent une
signification ou un but à leur situation afin d'avoir le sentiment de
contrôler leur environnement (Lewis, Haberman, Walligan, 1987).
L'émouvante description ci-dessous faite par une infirmière saisit bien
la signification qu'un individu pourra trouver même dans ses
dernières heures, et qui permet à la personne de reprendre le contrôle
et de dépasser le vécu de son état.
M. Baker était mourant. La médecine ne pouvait plus rien faire pour
lui. Sa femme est entrée dans la salle, en se demandant bien ce qu'elle
pourrait lui offrir dans une situation apparemment désespérée. M.
Baker lui a montré que la vie continue même pour les mourants. Il
tenait encore à boire son café bien chaud, il aimait qu'on le positionne
de manière à ce qu'il puisse regarder le lever et le coucher du soleil. Il
attendait avec impatience les visites de sa femme. On a mis en place
une stratégie de gestion plutôt complexe pour l'aider avec sa
colostomie. Il s'amusait à porter des chaussettes vert vif et à plaisanter
à propos des farfadets et du cachet des Irlandais (Benner, 1989).
Portée de la signification
attribuée à la maladie
Selon Victor Frankl (1986), "vivre, c'est souffrir, et survivre, c'est
trouver une signification à la souffrance". La quête de signification
représente une composante importante de l'expérience du cancer et
elle peut affecter la survie et les capacités d'adaptation et
d'ajustement. La signification est avant tout un phénomène cognitif
qui vient répondre à des situations et événements particuliers; c'est
également un facteur central du processus d'adaptation sociale à
l'existence quotidienne (Mead, 1934). C'est la signification qui permet
à l'individu de recouvrer une "prise intérieure sur la vie" (Frankl,
1986). Un aspect important du processus d'adaptation est la lutte que
l'on mène pour maintenir la force de la signification et recouvrer un
certain sens de soi-même, de l'intégrité personnelle et de la globalité
de la personne (Fife, 1995). La signification que l'individu attribue à
sa maladie peut avoir une incidence sur son bien-être psychologique
(Lewis, 1989) et peut jouer un rôle primordial au niveau de l'atteinte
d'une réponse d'adaptation positive et de la capacité de s'ajuster à
l'expérience de la maladie (Steeves, 1992; Fife, 1994).
On a émis l'hypothèse de l'existence d'une biologie de la
signification qui affecterait le processus de guérison (Barasch, 1993).
La signification pourrait influer sur les processus biochimiques du
corps (Block, 1997). La capacité à considérer la maladie sous un jour
nouveau grâce à la reconstruction de la signification peut influencer
la survie. Speigel (1989) a trouvé que les femmes qui ont participé à
des groupes de soutien ont su tirer une signification de leur situation
tragique en s'appuyant sur leur propre vécu pour aider les autres. On
considère l'absence de signification comme une variable prédictive de
la dépression (Thompson, Sobolew-Shubin, Graham, Janigan, 1989),
de l'angoisse et d'une moindre estime de soi. La quête et la découverte
d'une signification constituaient une facette importante de la guérison
du cancer du sein. Il semblerait que la signification attribuée au
diagnostic de cancer et à son traitement soit une force plus
dévastatrice que le cancer lui-même. Les séquelles psychologiques du
cancer peuvent continuer longtemps après la guérison officielle
(Northouse, 1981).
Réaction à la signification
attribuée à la maladie
Les professionnels de la santé ne comprennent ni ne reconnaissent
la manière dont les gens éprouvent la signification dans leur vie. Pour
la comprendre, il convient d'explorer la signification que les gens
attribuent à diverses situations. Le vécu d'une maladie par une
personne donnée peut se rapporter moins au monde externe qu'à son
monde intérieur. D'après Cassel (1982), il est impossible de
comprendre la maladie et la souffrance si on ignore la signification
personnelle". Travelbee (1977) fait remarquer que l'infirmière qui
espère traiter des réactions humaines dans toute leur étendue doit être
prête à aider les patients et leur entourage non seulement à s'adapter à
la maladie et à la souffrance, mais encore à en trouver la signification.
Dans le contexte des relations patient-infirmière, la sensibilité
consiste à accepter l'invitation du patient à l'accompagner avec
sollicitude dans son périple incertain. Elle partagera son vécu de
douleurs intenses, le sentiment d'être abandonné, la peur de la vie et
du mourir dans le but d'édifier la signification d'exriences
apparemment dénuées de sens (Parker, 1990). La coconstruction de la
signification est une démarche dynamique qui exige un engagement
sur le plan de l'écoute et de l'exploration, une grande compréhension
et une présence réelle; l'infirmière joue un rôle catalyseur en vue de
faciliter le déroulement de la quête de signification et elle a le courage
de devenir témoin.
L'exploration de la signification
Les infirmières occupent une place privilégiée en matière de
compassion et de soutien offerts aux personnes atteintes de cancer; il
s'agit du genre de soutien qui ne se soucie pas seulement de guérir la
maladie mais touche la vie humaine et la transforme. La réponse au
vécu de la maladie chez les patients constitue un domaine de
prédilection pour les infirmières (Dougherty, Tripp-Reimer, 1990).
Cela veut dire qu'il est nécessaire de s'absorber dans la vie des patients
et pas seulement dans leur maladie. À titre d'infirmières, nous devons
dépasser l'utilisation de modèles conceptuels qui divisent la personne
en éléments devant être "réparés" et traités (Bennett, 1993). Pour
établir la signification du mourir et pour soigner le patient considéré
dans sa globalité, nous devons apprendre à connaître l'éventail
complet de l'expérience des patients. Il y va du devoir et de la
responsabilité des infirmières d'aider les patients dans leur quête de
signification (Starck, 1992).
Il se peut fort bien que la signification personnelle d'une maladie
soit en grande partie invisible. Les infirmières sauront créer un
environnement favorisant la réflexion des patients sur la signification
de sa maladie et sur sa redéfinition. Les infirmières peuvent aider les
patients à déterminer la signification personnelle du cancer dans leur
vie en les invitant à s'interroger sur des questions telles que:
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"comment la maladie se répercute-t-elle sur votre vie?"; qu'est-ce qui
a changé?". Cassel (1982) a conclu que la seule façon de savoir si la
personne souffre est de le lui demander. On le fera au moyen de
questions du genre "Pouvez-vous me dire ce que vous ressentez?
Pouvez-vous m'aider à me mettre à votre place, à comprendre ce que
vous vivez?". En explorant ainsi le vécu de la maladie avec les
patients, les infirmières peuvent parvenir à une compréhension et une
signification communes, et donner par même une voix au langage
de la souffrance. Les soins transformationnels exigent que l'on écoute
la personne décrire sa maladie afin de découvrir la signification
qu'elle a pour cette personne. Seul le patient connaît la signification
de la survie ou du mourir dans son cas, et les infirmières, par leur
écoute et leur présence empreinte de sollicitude, seront à même de
l'entendre. Comme Halldorsdottir et Hamrin (1996) l'expliquent, "il y
a des fois où l'infirmière doit aider la personne à trouver les mots qui
expriment son vécu, à rendre conscient ce qui est encore inconscient,
à rendre visible ce qui est invisible, et à rendre tangible ce qui ne l'est
pas. Selon Kubler-Ross (1977), "vous ne viendrez en aide à aucun être
humain si vous ne faites appel ni à votre tête, ni à votre coeur, ni à
votre âme" (p. 13).
Comprendre la signification
D'après Moore (1991), "il y a dans notre compréhension une
qualité qui favorise le rétablissement du corps et de l'esprit, et les
moments de compréhension profonde peuvent transformer la
souffrance". L'extrait ci-dessous nous donne un aperçu d'un moment
de compréhension profonde:
Je lui ai dit: "je commence à comprendre à quel point la vie est
difficile pour vous". Ses yeux se sont remplis de larmes et elle a
doucement hoché la tête. Quand j'ai vu ce que cela voulait dire pour
elle d'avoir quelqu'un qui, même si ce n'était que momentanément,
avait saisi l'enfer personnel qu'elle devait subir, j'en ai eu, moi aussi,
les larmes aux yeux et j'ai ressenti un frisson le long du cou et de la
colonne vertébrale. Pour un instant, j'avais l'impression que nous
faisions un, que nous appartenions l'une et l'autre à un tout qui nous
dépassait; quel moment d'apaisement et de confort moral, d'amour
même. (Mathews, Suchman, Branch, 1993).
Se sentir compris, c'est réaliser que quelqu'un d'autre partage la
même signification que soi. La nature même de la pratique infirmière
exige que l'on écoute et que l'on comprenne le langage des autres. La
seule communication orale peut ne pas être suffisante pour atteindre
la compréhension partagée. "Lorsque j'insiste auprès de mes patients
pour qu'ils redoublent d'efforts et me donnent des définitions orales
afin de décrire leurs sentiments, il est probable que je ne sois pas en
mesure avec eux" (Moore, 1991). Mais il se peut que l'essentiel se
passe à l'extérieur de notre conscience, réside l'art de guérir. Il
est possible que les patients soient incapables de fournir le langage
adéquat et que la majorité de leur communication fasse appel à des
histoires, à un langage symbolique et à des métaphores.
Grâce aux histoires, les êtres humains communiquent leurs rêves,
leurs espoirs et leurs souffrances (Collins, 1996) et nous permettent
de pénétrer dans leur monde, de voir la maladie à travers leurs yeux
afin que nous comprenions comment ils perçoivent, comprennent et
éprouvent l'expérience de la maladie (Kleinman, 1988). L'extrait qui
suit, tiré de la pratique clinique de l'auteure, décrit comment on
pénètre dans le monde du patient et comment on le voit depuis sa
perspective.
Ellen, une jeune femme vouée à une carrière prometteuse dans un
domaine public profitait de la vie au maximum lorsqu'elle contracta
un cancer épidermoïde du palais; celui-ci se solda par une ablation
chirurgicale étendue, dont une énucléation. La seule pièce qu'elle put
faire faire pour cacher ce qu'elle appelait le sultat
"cauchemardesque" de la chirurgie couvrait pour ainsi dire la moitié
de son visage et on avait peint un oeil dessus. Lorsqu'elle est venue
me consulter, elle gardait la tête baissée, tellement humiliée qu'elle ne
pouvait me regarder dans les yeux. Elle avait essayé de reprendre son
existence et de se réinvestir dans la vie, mais sans grand succès, et
était incapable de quitter son domicile, même pas pour aller à sa
boîte à lettres. Lorsqu'elle a examiné sa nouvelle existence, elle a
indiqué "qu'elle se sentait dans la peau d'un monstre" et qu'au centre
commercial, des adolescents avaient confirmé ses perceptions.
Pourtant, la source véritable de sa détresse se trouvait dans son
inconscient: en effet, lorsqu'elle était petite, on lui avait appris que
pour être une "bonne" personne, il faut toujours porter une robe,
avoir des souliers cirés et le visage bien maquillé avant de sortir.
L'identité individuelle d'Ellen en était compromise, et elle s'en
trouvait complètement dévalorisée. Toute la signification qu'elle
donnait à la vie était réduite à néant.
Les taphores constituent un des meilleurs moyens de
communiquer la signification (Czechmeister, 1994). C'est une des
façons dont les gens peuvent réfléchir à leur monde et l'interpréter.
Les métaphores sont autant de fenêtres sur la réalité ou le vécu d'une
personne. Elles n'ajoutent aucun fait aux descriptions, mais en
approfondissent la signification. On fait souvent appel aux
métaphores pour communiquer la signification d'une situation et les
infirmières qui demandent à leurs patients de leur parler de la
taphore choisie, y recueilleront un aperçu important de la
signification de la maladie. L'importance des métaphores est mise en
évidente dans l'anecdote suivante:
Une petite fille était profondément perturbée d'être diagnostiquée
de leucémie et elle voulait désespérément fabriquer des grues en
papier. On a découvert que quelques jours avant l'annonce du
diagnostic, sa classe avait exploré l'histoire d'une jeune Japonaise
atteinte de leucémie qui allait mourir si elle ne parvenait pas à
fabriquer 1000 grues en papier en un certain temps.
On peut souvent faire appel au langage symbolique pour
communiquer la signification culturelle du cancer. Le langage
symbolique est particulièrement important lorsqu'on soigne de jeunes
patients puisque cela peut être leur seul moyen de communiquer des
sentiments difficiles à verbaliser et la signification qu'ils attribuent à
la maladie. Kubler-Ross (1983) rapporte l'histoire d'un enfant relié à
un respirateur artificiel et qui demandait comment il ferait pour sortir
de sa chambre en cas d'incendie. L'infirmière à qui il posait sa
question lui répondit que cela ne risquait pas de se produire, mais elle
rapporta ses propos à une autre infirmière, qui, elle, comprenait le
langage symbolique. Celle-ci se rendit dans la chambre du petit
malade, le pria de répéter sa question et au lieu de se lancer dans de
grandes explications, le prit dans ses bras et lui demanda si ce câlin
lui serait d'un grand secours. Alors l'enfant partagea avec elle ce qu'il
ressentait au sujet du mourir.
Il faut donc que nous, les infirmières, apprenions à reconnaître ce
besoin qu'ont les patients d'attribuer une signification à la maladie et
que nous apprenions aussi leur système symbolique et la façon
particulière qu'a chaque personne de communiquer son expérience. Il
faut également que nous apprenions la manière dont les patients
attribuent une signification aux événements de la vie, en explorant
avec eux de nouvelles manières de donner un sens aux différentes
expériences de la vie.
Apprendre à connaître la personne
"Connaître" est une des cinq dimensions des soins et on en donne
la définition suivante: s'efforcer de comprendre la signification que
peut avoir un événement donné dans la vie d'autrui (Swanson, 1991).
On y parvient en pénétrant dans le monde de cette personne, en
comprenant ce monde et en répondant aux besoins dégagés. Connaître
la souffrance d'autrui exige une compréhension exhaustive de ce qui
façonne les individus pour en faire ce qu'ils sont et une
compréhension du ressenti de la personne souffrante: savoir quand
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elle se sent entière, menacée ou en pleine désintégration (Cassel,
1982). D'après Gadow (1985), la connaissance des patients vient
réduire leur vulnérabilité et préserver leur intégrité et dignité".
Pour en arriver à connaître le patient, les infirmières ne peuvent pas
miser sur des formules théoriques; au lieu de cela, elles doivent être
prêtes, et suffisamment ouvertes, à laisser la personne être elle-même
et à entendre ce qu'elle exprime sur sa véritable nature. Le concept de
la personne entière (identité individuelle) comprend la personnalité et
le caractère, le passé et le vécu de la personne, l'identité familiale, le
bagage culturel, les rôles, les relations entretenues avec les autres, les
aspects politiques de l'être, le corps, la vie secrète, la perception de
l'avenir et une dimension transcendante ou spirituelle (Starck, 1992).
Lorsqu'elle connaît le patient, l'infirmière est à même de lui dispenser
des soins empreints de compassion qui traduisent son souci d'autrui.
La compassion, c'est être sensible à la douleur et à la mutilation de
l'autre, c'est une présence d'une qualité telle qu'on partage avec l'autre
et lui accorde une place dans notre propre vie (Roach, 1987).
Une présence véritable
Par présence véritable, on entend se donner véritablement à l'autre,
peut-être l'espace d'un instant fugace, peut-être par intermittence sur
une période prolongée (Liehr, 1995). Dans ces moments de rencontre
et de réciprocité authentiques, on donne à l'autre l'occasion d'être
présent, à titre d'être entier et unique, d'être la personne qu'il est
vraiment, une présence qui nous révèle la signification (Buber, 1965).
Le toucher et la présence d'un être humain restaurent d'une manière
ou d'une autre, directement ou indirectement, la dignité et
l'affirmation de l'être. La présence véritable ne peut survenir que dans
le contexte défini par chaque patient. Une compréhension réciproque
naît d'une relation profonde avec un autre être humain. Si on veut que
le monde intérieur (l'âme) de l'individu prospère, il est nécessaire qu'il
y ait pour lui, relations, communication et amour lorsqu'il fait face à
une maladie grave (Murphy, 1996). On a cerné dans la sollicitude
réciproque une des expériences humaines les plus enrichissantes qui
soient et une source de signification (Koestenbaum, 1976). Une
femme a décrit ainsi cette relation: "elle me regardait droit dans les
yeux, ce qui revient à regarder droit dans mon âme. Elle regardait
donc dans mon âme pour voir ce dont j'avais besoin (Watson, 1988).
La présence d'une autre personne est une activité thérapeutique en
elle-même; elle se caractérise par la sensibilité de la personne à la
situation du patient et par la compréhension qu'elle en a. Un jour, on
a demandé à Leo Buscaglia de juger un concours visant à sélectionner
l'enfant qui aurait manifesté la plus grande sollicitude. C'est un
garçonnet de quatre ans qui l'a remporté. Son voisin avait récemment
perdu sa femme et lorsqu'il l'a vu pleurer, le petit garçon est allé dans
la cour du vieux monsieur, est monté sur ses genoux et s'est contenté
de rester , sans plus. Lorsque la mère du garçon lui a demandé ce
qu'il avait dit au voisin, il lui a répondu: "Rien, je l'ai juste aidé à
pleurer!" (Canfield, Hansen, Hansen, 1996). Ce garçonnet a montré
que la présence et les relations ne se nourrissent pas d'actions; le
silence y a sa place, il s'agit plutôt d'être présent et d'être tout court.
Le rôle catalyseur de l'infirmière
en matière de signification
La signification appartient en propre à l'individu et c'est à lui qu'il
incombe de la découvrir, on ne peut pas la lui donner (Frankl, 1959).
Lors de chacune de leurs rencontres, l'infirmière et le patient ont
l'occasion de cheminer ensemble dans la quête d'une signification et
d'une compréhension qui soient appropriées au patient. L'infirmière est
à même de jouer un rôle catalyseur et d'appuyer la capacité du patient à
dériver une signification de son expérience de la maladie et du mourir
(Jones, 1993). Pour remplir ce rôle à bon escient, l'infirmière ne doit pas
simplement se contenter de comprendre la signification mais s'efforcer
d'illuminer la capacité d'autrui à transformer la signification et
l'expérience (Hartrick, 1997). Starck (1992) suggère un processus en
trois étapes pour faciliter la découverte de la signification et de la raison
d'être: évaluer la signification de la vie dans le contexte de l'expérience
de la souffrance; valider la force de l'esprit humain; et enfin, libérer
l'esprit humain. L'évaluation revient à faire exprimer au patient ce qu'il
tire de l'expérience de la souffrance et la signification qu'elle a pour lui.
Le fait d'aider le patient à se mettre en rapport avec l'esprit humain peut
mobiliser les forces de la guérison qui lui permettront d'adopter une
nouvelle attitude. Selon Frankl, "la dernière liberté des hommes et des
femmes est de pouvoir choisir l'attitude qu'ils veulent".
L'utilisation d'histoires, de fables ou métaphores et de paraboles aide
les gens à trouver une signification aux différents aspects de leur cu et
aide peut-être à libérer l'esprit (Starck, 1992). L'histoire qui suit illustre
comment l'infirmière peut faciliter ce processus. Bernadette était une de
mes patientes et elle vivait une souffrance interminable telle qu'elle ne se
connaissait aucune raison de continuer à vivre et parlait constamment de
son sir de mourir. La plus grande partie de la signification de sa
souffrance était cachée et j'ai décidé d'utiliser le poème tiré de l'ouvrage
"The Fall of Freddie the Leaf" pour essayer de l'atteindre au plus profond
de son être et peut-être même de la libérer dans sa lutte. J'ai choisi cette
parabole parce que Bernadette m'avait signaque l'automne était sa
saison préférée. Elle décrivait de façon frappante les sentiments qu'elle
éprouvait à la vue des couleurs changeantes des feuilles. Pour elle,
l'automne signifiait le commencement d'une nouvelle croissance.
Plusieurs jours avant de partager le poème avec elle, j'avais rempli à ras
bord un grand sac plastique de feuilles mortes et je l'avais vidé au-dessus
d'elle. C'était bien la première fois que je la voyais sourire depuis des
mois. La parabole porte sur une feuille qui ne veut pas lâcher la branche
à laquelle elle est accrochée parce que pour elle, tomber signifie mourir.
D'autres feuilles lui apportent leur soutien et lui décrivent comment elle
fera partie des nouvelles feuilles qui vont poindre et, à la fin de l'histoire,
la petite feuille décide de lâcher prise.
Avoir le courage d'être témoin
La maladie en arrive parfois à un stade où la quête de signification
n'a plus guère d'importance. À sa place, la soignante privilégie un
partage tranquille du vécu de la maladie et aide la personne à
supporter le fardeau de la souffrance (Donnely, 1995). À ce stade-là ,
le patient a besoin de la soignante afin qu'elle soit témoin de ses
craintes, de sa douleur, de son chagrin et de son mourir. Être témoin
a une qualité particulière en ce sens qu'on est séparé de l'action tout
en y étant engagé de tout son être. S'y mêlent la sympathie et
l'empathie, le ressentiment et la compassion... souvent c'est
indirectement que la douleur ou la détresse du patient est ressentie,
transformée, imaginée de façon frappante ou déformée lorsqu'on se
prend à penser que cela doit être bien pire que cela n'est vraiment. Les
témoins craignent pour le patient et pour eux-mêmes (Horowitz,
Lanes, 1992). L'extrait suivant d'un poème composé par une
étudiante-infirmière (Ferguson, 1989) illustre de manière poignante la
peur d'être témoin de l'expérience d'un mourant.
La transfiguration (traduction libre)
Au début, j'avais peur
De la regarder
Parce que trois jours avant
Quand je la regardais, elle n'était pas mourante
Trois jours avant, nous causions
Pendant qu'elle se lavait au lavabo
Sa chair affaissée et protubérante
S'efforçant d'effacer la souffrance de son esprit
Rien à faire
Car celle-ci s'était incrustée
Dans les pores de sa peau
Et dans le blanc de ses yeux
J'ai peur, rien que d'y repenser
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