DOSSIER Polypose adénomateuse familiale Génétique et expression phénotypique des polyposes liées à APC et MUTYH Familial adenomatous polyposis and MUTYH-associated polyposis: genetics and phenotype J.H. Lefèvre* D * Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Saint-Antoine (AP-HP), université Pierre-et-MarieCurie, Paris. ès 1721, la présence de très nombreux polypes au niveau du côlon était identifiée comme pathologique. La polypose adénomateuse familiale (PAF) est caractérisée par l’apparition de centaines, voire de milliers de polypes pendant ou après l’adolescence, et représente un risque de cancer colorectal majeur avant 50 ans. Cette polypose colique peut être associée à d’autres lésions, notamment des polypes du tube digestif haut (à risque dégénératif), des tumeurs desmoïdes et d’autres atteintes extra-intestinales à potentiel malin ou non. En 2002, une autre forme génétique partageant des similitudes cliniques, la MAP (MUTYH-Associated Polyposis), a été décrite. APC Apparition des symptômes de la maladie 2e événement APC Mutation héritée présente dans toutes les cellules de l’organisme APC Mutation germinale Mutation somatique Figure 1. Génétique de la polypose adénomateuse familiale. L’ensemble des atteintes définit le champ d’expression phénotypique de la polypose. Cette expression est soumise à de nombreuses variations en termes de sites atteints, de sévérité et de cancer associé. Elle dépend partiellement de la génétique. Génétique Génétique de la PAF La PAF est liée à une mutation constitutionnelle du gène APC (1). Le gène APC, situé sur le chromosome 5, est un gène suppresseur de tumeur de la catégorie gatekeeper, c’est-à-dire régulant et bloquant le cycle cellulaire. Constitué de 15 exons avec une séquence de 8 532 paires de bases codant pour une protéine de 2 843 acides aminés qui contribue, entre autres fonctions, à la régulation de la prolifération cellulaire et au maintien de l’apoptose à travers son interaction avec la β-caténine. La PAF est de transmission autosomique dominante avec une pénétrance complète (la présence de la mutation entraîne systématiquement l’apparition du phénotype). Cette maladie explique environ 1 % des cancers colorectaux. Le risque de transmission à la descendance est de 50 %. Dans 10 à 30 % des cas, on observe une néomutation. Des cas de néomutation en mosaïque ont également été décrits et ne sont pas rares (20 % des néomutations) [2]. Leur mise en évidence repose sur l’analyse génétique du tissu colique sain. La perte de fonction de la protéine nécessite une inactivation somatique (mutation ponctuelle, délétion, etc.) du deuxième allèle (figure 1). 206 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 206 22/10/13 11:45 Points forts »» La polypose adénomateuse familiale (PAF) est liée au gène APC et de transmission autosomique dominante. »» Le syndrome MAP (MUTYH-Associated Polyposis) est lié au gène MUTYH et de transmission autosomique récessive. »» Le risque de cancer colorectal est de 100 % pour la PAF et très élevé pour le syndrome MAP. »» Chez les patients colectomisés, les tumeurs duodénales et les tumeurs desmoïdes dont devenues les principales causes de mortalité. Génétique de la MAP En 2002, N. Al-Tassan et son équipe rapportent le cas d’une famille anglaise où 3 enfants sur 7 présentaient des polypes nombreux et des cancers colorectaux tous découverts avant 50 ans (3). Les parents ne présentaient aucun antécédent de cancer. Tout le gène APC fut séquencé sans qu’aucune mutation congénitale soit retrouvée, mais il existait 18 mutations acquises, dont 15 (83 %) étaient des transversions (remplacement d’un doublet G:C par un doublet T:A). Dans ces tumeurs, les mutations bialléliques retrouvées inactivaient la protéine APC. Cette découverte conduisit l’équipe à étudier les 3 gènes du système BER impliqués dans la réparation des lésions induites par la 7,8-dihydro-8-oxoguanine (8-oxoG) et conduisant à des transversions G:C→T:A. Seul le gène MUTYH (GeneID : 4595) présentait des mutations congénitales : Tyr165Cys et Gly382Asp. Chaque enfant malade était hétérozygote composite. Tous les autres membres sains de la famille présentaient une absence de mutation ou étaient hétérozygotes pour une des mutations. La protéine MUTYH, codée par le gène MUTYH, est une ADN glycosylase du système de réparation par excision de bases (Base Excision Repair [BER]) qui joue un rôle majeur dans la réparation des lésions oxydatives de l’ADN. La 8-oxoG est une lésion oxydative fréquente de l’ADN qui peut être causée au cours du métabolisme cellulaire normal ou à la suite d’un stress oxydant environnemental. Le syndrome MAP est de transmission autosomique récessive avec mutation biallélique des allèles de MUTYH à la naissance (figure 2). L’absence d’activité de MUTYH entraîne l’accumulation de transversion G:C→T:A sur le gène APC, notamment au niveau des séquences GAA, ce qui conduit à un codon stop. Ce sont ces transversions qui vont finir par inactiver somatiquement APC, entraînant l’apparition de polypes puis d’un cancer colique. Les mutations les plus fréquemment observées dans la littérature sont Y165C et G382D (nouvellement dénommées Y179C et G396D). Ces mutations ont une fréquence d’environ 1 % dans les populations caucasiennes et représentent environ 70 % des patients ayant un syndrome MAP. Récemment, sous l’égide de l’Institut national du cancer (INCa), une expertise très complète a été publiée (4). La fréquence des mutations varie en fonction des origines géographiques des patients : E480X est fréquente chez les patients indiens, la mutation c.1227_1228dup (p.Glu396-GlyfsX43) est très souvent retrouvée chez les patients provenant d’Afrique du Nord (5). Dans la population générale, 2 % des personnes seraient porteuses d’une mutation monoallélique du gène MUTYH, et 0,01 à 0,02 %, d’une mutation biallélique. Conseil génétique Le diagnostic de la polypose adénomateuse est clinique et endoscopique. La recherche de mutations constitutionnelles sur le gène APC ou MUTYH sera obligatoirement faite au cours d’une consultation d’oncogénétique dédiée et sera utile pour confirmer l’implication d’un gène dans la pathologie du patient, surtout en cas de forme atypique (atténuée, sans antécédents familiaux ni signes extradigestifs). Dans les formes typiques de PAF, le taux de détection de mutation sur APC est de l’ordre de 90 %. La fréquence des mutations bialléliques du gène MUTYH est évaluée entre 14 et 25 % chez les patients atteints d’une polypose adénomateuse non liée à APC, mais variable en fonction de la sévérité de la polypose. Mots-clés Polypose adénomateuse familiale APC MUTYH Cancer colorectal Highlights »» Familial adenomatous polyposis (FAP) is caused by the APC gene and is inherited as an autosomal dominant disease. »» The MUTYH-Associated Polyposis (MAP) syndrome is caused by the MUTYH gene and is inherited as an autosomal recessive disease. »» The colorectal cancer risk is 100% for FAP and very high for MAP syndrome. »» In patients undergoing colectomy, duodenal and desmoid tumors are the main cause of mortality. Keywords Familial adenomatous polyposis (FAP) APC MUTYH Colorectal cancer Système BER déficient MUTYH Mutation biallélique héritée présente dans toutes les cellules de l’organisme Mutation germinale Mutation somatique Accumulation d’erreurs sur d’autres gènes dans certaines cellules et principalement APC et K-ras... Polypes coliques nombreux Cancer Figure 2. Génétique du syndrome MAP (MUTYH-Associated Polyposis). La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 | 207 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 207 22/10/13 11:45 DOSSIER Polypose adénomateuse familiale Génétique et expression phénotypique des polyposes liées à APC et MUTYH Selon le mode de transmission, le conseil génétique est très différent : ➤➤ PAF : le risque est de 50 % pour la fratrie et pour les enfants. Le test génétique est proposé à tous les apparentés du premier degré à partir de l’âge de 11 à 12 ans, car, pour les sujets porteurs, la surveillance est recommandée à partir de cet âge. ➤➤ MAP : le risque est de 25 % pour la fratrie ; il est très faible pour la descendance (sauf en cas de consanguinité). Le test génétique est proposé en premier lieu à la fratrie du sujet atteint et, plus généralement, à tous les apparentés du premier degré dès lors qu’ils sont majeurs (car il n’y a pas de risque de développer une polypose dans l’enfance). Les seuls apparentés exclus de la surveillance de type “risque élevé” sont ceux pour lesquels on sait avec certitude, à l’issue du test génétique, qu’ils ne sont pas porteurs bialléliques des mutations délétères identifiées dans leur famille. Le risque de cancer colorectal pour les enfants d’un patient porteur d’une mutation biallélique est équivalent à celui d’un individu ayant un antécédent de cancer dans sa famille au premier degré. Pour la PAF, on peut également orienter les patients désireux d’avoir des enfants indemnes vers les techniques de diagnostic prénatal ou préimplantatoire. Expression phénotypique de la PAF l’autre. Cette expression phénotypique est un critère déterminant dans la décision chirurgicale. Le nombre de polypes a été identifié comme un facteur prédictif de survenue de cancer ; on considère actuellement que le risque de cancer augmente nettement lorsque le seuil de 1 000 polypes est atteint (6). De même, le nombre de polypes rectaux s’avère être un facteur de risque de cancer rectal. Le risque de cancer colorectal lorsqu'il y a plus de 30 polypes rectaux est 4,6 fois plus grand que lorsqu'il y en a moins de 10. Mais l’inverse est aussi vrai : un nombre de polypes rectaux inférieur à 5 est associé à une maladie modérée et, donc, à un faible risque de cancer rectal. La taille des polypes doit aussi être prise en compte dans l’appréciation de la sévérité de la maladie. Une taille inférieure à 5 mm n’est associée qu’à un faible risque de dégénérescence. Sur le plan histologique, les polypes à risque sont, comme dans la population générale, les polypes à composante villeuse et en dysplasie de haut grade. Cancer colorectal Les registres européens montrent que le risque de développer un cancer colorectal est très faible (1,3 %) avant 20 ans et nul avant 10 ans (tableau) [7]. Ces chiffres sont confirmés par une autre étude rétrospective nord-américaine portant sur 26 registres mondiaux, qui a retrouvé 14 cas de patients âgés de moins de 20 ans, dont 1 de moins de 10 ans, soit 1 cas pour 471 patients. Polypose ◆◆ Épidémiologie et histoire naturelle Polypes coliques Sur le plan endoscopique, la PAF classique se traduit par l’apparition de centaines voire de milliers de polypes adénomateux dans le côlon et le rectum pendant ou après l’adolescence. Son expression est très variable d’une mutation à l’autre, mais également d’un individu portant la même mutation à Lésion du tractus digestif supérieur Les manifestations digestives extracoliques sont dominées par l’atteinte du tube digestif haut, princi­ palement le duodénum et l’ampoule de Vater. Il constitue le site extracolique avec le plus fort risque de cancer ; le risque de développer un adénocarcinome du duodénum ou de l’ampoule de Vater est, Tableau. Proportion de patients atteints de PAF présentant un cancer colorectal avant l’âge de 20 ans. Registre Nombre Nombre de cancers colorectaux 0-10 ans 11-15 ans 16-20 ans Pays-Bas 106 0 1 1 Danemark 190 0 0 3 Allemagne 524 0 1 7 St. Mark’s Hospital 96 0 0 3 Finlande Total 157 0 0 1 1 073 0 2 (0,2 %) 15 (1,3 %) 208 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 208 22/10/13 11:45 DOSSIER selon les estimations, 130 à 300 fois plus élevé chez les personnes atteintes de PAF que dans la population générale (8). ◆◆ Polypose duodénale et périampullaire La polypose duodénale touche plus de 90 % des patients porteurs de PAF (8). L’âge moyen de découverte d’un cancer du duodénum est de 52 ans. Les polypes se développent préférentiellement, par ordre croissant, au niveau de l’ampoule de Vater, du duodénum proximal et distal et du jéjunum proximal. Sur le plan endoscopique, les polypes duodénaux apparaissent petits, plans ou sessiles ; la majorité des lésions se situe dans les segments D2 et D3, et épargne le bulbe duodénal avec une atteinte préférentielle de la zone périampullaire. Une endoscopie avec vision latérale associée à une coloration par indigo-carmin est l’examen de référence pour le dépistage de ces polypes. La gravité de l’atteinte duodénale est évaluée par le score endoscopique et anatomopathologique de Spigelman. Ce score prend en compte le nombre des polypes, leurs tailles, leurs types histologiques et leurs degrés de dysplasie (9). Il comprend 5 stades allant de 0 à 4, les stades 0 à 2 définissant une polypose modérée et les stades 3 et 4, une polypose duodénale sévère. Plusieurs études ont montré qu’il y avait une aggravation de la polypose duodénale avec le temps. Cette progression est loin d’être systématique, et de nombreux cas de stabilité prolongée, voire d’amélioration spontanée des lésions duodénales, ont été rapportés. Enfin, la classification de Spigelman semble être un outil peu sensible, ne permettant pas de dépister l’ensemble des carcinomes duodénaux. F. Caillié et al. rapportent une série de 19 duodénopancréatectomies céphaliques avec préservation pylorique pour polypose duodénale sévère. L’examen histologique définitif retrouvait 7 carcinomes invasifs dont un seul avait été diagnostiqué avant l’opération, c’est-à-dire que 32 % des malades opérés sans néoplasie diagnostiquée avant l’opération présentaient a posteriori un cancer (10). Cela doit être pris en compte dans la surveillance et le choix thérapeutique. Le risque cumulé de transformations carcinomateuses reste cependant limité, de l’ordre de 4 à 10 % à 75 ans. ◆◆ Dystrophie glandulokystique et adénomes de l’estomac L’estomac est fréquemment le siège d’une polypose glandulokystique, qui atteint près de 50 % des patients atteints de polypose. Elle prédomine dans le fundus et se présente sous la forme de polypes de 1 à 5 mm de diamètre, semi-sessiles, de la même couleur que la muqueuse gastrique. Histologiquement, ils correspondent à une dilatation kystique de la glande fundique sans dysplasie (11). Bien que quelques cas de dysplasie et cancer aient été décrits, on ne considère pas que la polypose glandulo­kystique présente un risque de dégénérescence. L’estomac peut aussi être le siège d’adénomes. Ceux-ci prédominent dans l’antre et touchent 7 à 14 % des cas (11). L’histoire naturelle de ces adénomes n’est pas bien connue, mais le risque d’adénocarcinome de l’antre dans les populations occidentales ne semble pas plus élevé : seuls quelques cas ont été rapportés (11). ◆◆ Atteinte de l’intestin grêle Des polypes jéjunaux et iléaux sont présents dans 30 à 60 % des cas. Ces polypes sont généralement infracentimétriques, et prédominent dans le jéjunum. L’anatomopathologie de ces polypes n’est pas connue et peut correspondre à des hyperplasies lymphoïdes folliculaires plus qu’à des adénomes. Les adénocarcinomes du jéjunum restent rarissimes. En revanche, des polypes iléaux sont observés après chirurgie colique prophylactique. Après coloproctectomie et anastomose iléoanale Après anastomose iléoanale (AIA), le risque de développer des polypes du réservoir iléal est de 75 % des cas à 15 ans. Dans une série prospective de 33 patients colectomisés pour PAF, ThompsonFawcett et al. ont montré que 33 % des patients sans polypes macroscopiques présentaient des microadénomes sur des biopsies réalisées de façon systématique (12). Le risque de développer un adénocarcinome dans le réservoir reste cependant très faible : très peu de cas sont rapportés dans la littérature. De plus, dans la majorité d'entre eux, il est difficile de distinguer les adénocarcinomes développés sur les adénomes récurrents du réservoir, ceux de la zone transitionnelle au niveau de l’anastomose et ceux qui se développent sur la muqueuse rectale restante. Il n’existe pas de recommandation concernant la place de la surveillance de l’intestin grêle chez les patients porteurs de PAF avant et après une colectomie totale. Après colectomie totale et anastomose iléorectale L’incidence des adénomes iléaux dans l’anse afférente a peu été étudiée. C.J. Groves et al. (13) ont retrouvé 2 % d’adénomes iléaux en amont d’une anastomose iléorectale et 5 % de microadénomes La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 | 209 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 209 22/10/13 11:45 DOSSIER Polypose adénomateuse familiale Génétique et expression phénotypique des polyposes liées à APC et MUTYH sur des biopsies iléales aléatoires. Il est probable qu’une partie de ces polypes appartiennent en fait au rectum. Tumeurs desmoïdes Les tumeurs desmoïdes touchent 10 à 25 % des patients atteints de PAF (14). Dans une étude menée par la Cleveland Clinic, sur 132 patients atteint de PAF et décédés, elles représentaient la deuxième cause de mortalité tous patients confondus (11 %) et la première cause de mortalité chez ceux ayant subi une coloproctectomie totale et une AIA. L’origine exacte de ces tumeurs – néoplasie ou processus réactionnel – a longtemps été controversée. En effet, il s’agit d’une tumeur ne métastasant jamais, dont la croissance est très variable d’un cas à l’autre. Certaines sont stables, d’autres régressent, et certaines progressent rapidement. En revanche, elles ne présentent pas de vraie capsule, envahissent et compriment les organes voisins et récidivent dans près de 50 % des cas. Sur le plan histologique, elles correspondent à une prolifération de fibroblastes matures, ou myofibroblastes, avec peu de mitoses et aucune atypie cellulaire. Enfin, il a été démontré que ces tumeurs n’exprimaient pas la télomérase, ce qui constitue un argument de plus en faveur d’un processus non néoplasique (la télomérase étant exprimée par les cellules cancéreuses et les cellules souches). Il était donc difficile de classer ces tumeurs. Mais 2 études récentes ont démontré que les tumeurs desmoïdes ont une origine monoclonale et sont donc, par définition, de vrais néoplasmes (14). Enfin, des précurseurs de ces lésions ont été mis en évidence, qui passent par plusieurs stades avant de devenir une tumeur mature mimant la physiopathologie du cancer du côlon. Sur le plan clinique, les tumeurs desmoïdes touchent préférentiellement la paroi antérieure abdominale et la cavité péritonéale. Elles surviennent tôt dans l’histoire du malade : l’âge médian au diagnostic est de 31 ans (14). Une étude rétrospective européenne s’est intéressée aux facteurs de risque de tumeur desmoïde ; elle a inclus les registres de 5 pays et portait sur 387 patients présentant une tumeur desmoïde. En analyse multivariée, 3 facteurs indépendants de risque de développer une tumeur desmoïde ressortaient : une histoire familiale de tumeur desmoïde, la chirurgie et le site de la mutation (au-delà du codon 1444=extrémité 3′) [14]. L’évolution de ces lésions est très variable : 10 % régressent spontanément, 50 % restent stables, 30 % ont des cycles de croissance et décroissance et 10 % progressent rapidement. Autres affections de la PAF ◆◆ Thyroïde Le troisième cancer le plus fréquent chez les patients ayant une PAF est le cancer de la thyroïde. Le risque d’atteinte thyroïdienne est évalué à 2 à 3 % durant la vie (7). Il touche davantage les femmes (ratio femmes-hommes : 17:1) et apparaît plus généralement durant la deuxième ou troisième décennie (entre 20 et 30 ans). Le type histologique est le carcinome papillaire, et le pronostic est identique à celui de la population générale. Certains auteurs recommandent de dépister les cancers de la thyroïde chez les femmes atteintes de PAF par un examen clinique annuel associé ou non à une échographie. ◆◆ Foie Les hépatoblastomes ont une prévalence atteignant 1 % des patients ayant une PAF, touchant préférentiellement les garçons et survenant dans la majorité des cas entre 6 mois et 3 ans. Ils se présentent généralement sous la forme d’une masse abdominale et d’une altération de l’état général. Le diagnostic est confirmé par le taux élevé d’α-fœtoprotéine. Le pronostic très sombre est principalement corrélé au caractère complet de l’exérèse initiale. L’association d’une chimiothérapie néo-adjuvante (le plus souvent par cisplatine et doxorubicine) a permis d’améliorer la prise en charge des hépatoblastomes en rendant résécables des lésions qui ne l’étaient pas initialement. Malgré cela, 25 % des enfants touchés décèdent. Certains auteurs préconisent un dépistage pour les enfants de familles atteintes de PAF, avec imagerie et dosage de l’α-fœtoprotéine tous les 3 mois durant les 4 premières années de vie. ◆◆ Système nerveux central L’atteinte du système nerveux central (SNC) dans la polypose est historiquement connue sous le nom de syndrome de Turcot. Il faut préciser que l’atteinte du SNC s’observe aussi dans le syndrome de Lynch (HNPCC) et diffère des lésions observées dans la PAF. L’atteinte du SNC est principalement représentée par les médulloblastomes, qui correspondent à 80 % des tumeurs cérébrales rencontrées dans la PAF. Des astrocytomes et des épendymomes ont aussi été décrits. 210 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 210 22/10/13 11:45 DOSSIER Les médulloblastomes sont des tumeurs malignes qui touchent les enfants, 70 % apparaissant avant 16 ans. Le risque d’apparition est d’environ 1 à 2 % dans la polypose. Cliniquement, les patients présentent des maux de tête, des vomissements en rapport avec une hydrocéphalie, des signes visuels (diplopie) et une ataxie. Le traitement peut être la résection chirurgicale, la radiothérapie et/ou la chimiothérapie en fonction des stades ; la survie est de 50 à 70 % à 5 ans. Aucune mesure de dépistage n’a été établie. ◆◆ Autres affections bénignes de la PAF Lésions cutanées et sous-cutanées La présence de kystes épidermoïdes du cuir chevelu, de la face ou des extrémités chez un enfant dont un parent atteint de PAF est évocatrice du diagnostic. Si, initialement, lorsqu’il n’était pas encore possible d’identifier la mutation responsable, ce signe était utilisé pour orienter le diagnostic, il est tombé en désuétude. Enfin, ces kystes n’ont pas d’évolution maligne mais peuvent faire l’objet d’une résection pour des raisons cosmétiques. Ostéomes et dentition Les ostéomes de la mâchoire ou du crâne peuvent précéder l’apparition des adénomes coliques. Des anomalies dentaires sont aussi fréquentes et comprennent des dents incluses, des dents surnuméraires, des chutes précoces de dents ou du panneau entier de la dentition. Toutefois, la réalisation de radiographies du crâne ou de panoramiques dentaires ne peut être préconisée pour établir le diagnostic de PAF, en raison de la bénignité de ces lésions, de l’apport actuel de la génétique et des autres symptômes de la PAF. L’hypertrophie de l’épithélium pigmentaire de la rétine La présence d’une hypertrophie de l’épithélium pigmentaire de la rétine est notée chez 65 % des familles ayant une PAF (15). De façon caractéristique, il s’agit de multiples taches ovalaires pigmentées entourées d’un halo pâle aux 2 yeux. Ces lésions ne doivent pas être confondues avec les petites taches pigmentaires qui peuvent être observées dans la population générale. Une corrélation avec le site de la mutation a été observée. En effet, il semble que ce type de lésions parfaitement bénignes, sans possibilité de dégénérescence ni conséquence sur la vision, s’observe presque exclusivement chez les patients ayant une mutation du gène APC située sur ou après l’exon 9. Actuellement, l’intérêt de cette manifesta- tion est limité dans les cas où il n’est pas identifié de mutation du gène APC ni du gène MUTYH. Toutefois, il faut bien noter que peu d’ophtalmologistes sont capables d’identifier correctement ces lésions et accepteront de poser ou d’exclure un diagnostic de PAF sur leur simple examen. Spécificités phénotypiques de la MAP La similitude des symptômes (polypes coliques et duodénaux) de la PAF et du syndrome MAP vient de l’atteinte commune d’APC, de manière germinale et somatique pour la PAF et purement acquise pour le syndrome MAP. Certaines spécificités permettent cependant de distinguer le syndrome MAP. Polypose colique : la polypose est le plus souvent de type "atténué", constituée de 15 à 100 polypes. Les formes plus sévères, voire très profuses, sont possibles mais plus rares. Il ne semble pas y avoir de localisation préférentielle des polypes sur le cadre colique (côlon proximal versus côlon distal) ou au niveau du rectum. L’âge moyen au diagnostic de la polypose est de 45 ans. Cancers colorectaux : du fait de l’absence d’antécédent familial (liée au mode de transmission récessif), la présence d’un cancer est extrêmement fréquente au moment du diagnostic. L’âge moyen au diagnostic du cancer est donc de 48 ans, très proche de l’âge de diagnostic de la polypose. Atteinte duodénale : sa prévalence est pour le moment difficile à estimer, mais elle est fréquente et également associée à un surrisque de cancer. Tumeur desmoïde : aucune tumeur desmoïde n’a pour le moment été décrite en cas de MAP. Lésions cutanées : Les mutations constitutionnelles bialléliques de MUTYH peuvent être associées à des lésions développées aux dépens des glandes sébacées qui se présentent sous la forme de papules jaunâtres généralement localisées au niveau du visage. Sur le plan histologique, il peut s’agir d’adénomes ou de carcinomes sébacés. Ces lésions expliquent la nécessité d’un examen dermatologique complet en cas de syndrome MAP. Les dernières publications sur le syndrome MAP semblent démontrer que les mutations bilalléliques de MUTYH pourraient être impliquées dans La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 5 - septembre-octobre 2013 | 211 HGE 5(XVI) SEPT OCT 2013.indd 211 22/10/13 11:45 DOSSIER Polypose adénomateuse familiale L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Génétique et expression phénotypique des polyposes liées à APC et MUTYH de nombreux cancers colorectaux sous plusieurs formes cliniques. Certains auteurs proposent même de renommer le syndrome MAP et MUTYH-Associated Neoplasia (MAN) [16]. En effet, en fonction des gènes, des voies de la cancérogenèse touchées par les transversions et des variations de l’expression, un patient porteur de mutations bialléliques sur MUTYH peut présenter : ➤➤ une polypose adénomateuse familiale classique (plus de 100 polypes, âge de diagnostic jeune, affection extracolique), avec même une pseudo-dominance en cas de consanguinité ; ➤➤ une polypose adénomateuse atténuée (cas le plus fréquent) [16] ; ➤➤ une polypose mixte associant aux adénomes des polypes festonnés et hyperplasiques. Certains patients présentent tous les critères diagnostiques d’une polypose hyperplasique. On voit ici le rôle des transversions sur KRAS conduisant aux polypes festonnés et de celles sur APC conduisant aux adénomes ; ➤➤ un syndrome de Lynch ; ➤➤ une forme familiale de cancer colorectal de type X (famille avec validation des critères d’Amsterdam sans mutation identifiée sur un gène du système de réparation des mésappariements [MMR] et phénotype à microsatellites stables [MSS]) [17] ; ➤➤ un cancer colorectal sporadique sans polypose. Ces observations confirment la nécessité de poursuivre l'étude des cancers colorectaux liés à MUTYH et, probablement, d’élargir les indications de dépistage des mutations sur ce gène. ■ Références bibliographiques 1. Fearnhead NS, Britton MP, Bodmer WF. The ABC of APC. Hum Mol Genet 2001;10(7):721-33. 2. Aretz S, Stienen D, Friedrichs N et al. Somatic APC mosaicism: a frequent cause of familial adenomatous polyposis (FAP). Hum Mutat 2007;28(10):985-92. 3. Al-Tassan N, Chmiel NH, Maynard J et al. 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