<span style="font-family:"Arial Narrow";color:windowtext;text-decoration:none;text-underline:none">"Chronique de jurisprudence européenne comparée (2012)"

CHRONIQUE JURISPRUDENTIELLE
Chronique de jurisprudence
europe
´enne compare
´e
(2012)
Par Laurence BURGORGUE-LARSEN
Professeur à l’E
´cole de droit de la Sorbonne (Universite
´Paris I)
Institut de Recherche en Droit international et europe
´en de la Sorbonne
(IREDIES)
SOMMAIRE
I.—L
ES INTERACTIONS ORGANIQUES HORIZONTALES
A.—La Cour de Luxembourg, interpre
`te de la Convention europe
´enne
1. L’e
´vocation de la Charte ou la chronique d’une banalisation annonce
´e
2. Le champ d’application de la Charte ou la pre
´visibilite
´d’un « me
´li-
me
´lo »contentieux
B.—La Cour de Strasbourg, juge de la conventionnalite
´du syste
`me de l’Union
1. La Cour de Strasbourg, juge des manquements au droit de l’Union
2. La Cour de Strasbourg, interpre
`te du droit de l’Union
II.—L
ES INTERACTIONS ORGANIQUES VERTICALES
A.—La Cour de Strasbourg, juge des Cours constitutionnelles
1. Le contrôle des de
´cisions constitutionnelles
a. La face positive du contrôle
b. La face ne
´gative du contrôle
2. Le contrôle de l’argumentaire constitutionnel
B.—Les Cours constitutionnelles, juges de la constitutionnalite
´des syste
`mes
transnationaux
1. Les Cours constitutionnelles et la primaute
´du droit de l’Union
a. Les Cours constitutionnelles et l’articulation des syste
`mes
b. Les Cours constitutionnelles et le contrôle indirect du droit de
´rive
´
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´RO HORS-SE
´RIE « LES FACULTE
´S DE DROIT, DEMAIN ? »
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998 LAURENCE BURGORGUE-LARSEN
1. Les Cours constitutionnelles et le renvoi préjudiciel
a. Les saisines des Cours constitutionnelles
b. Les conséquences des saisines des Cours constitutionnelles
Le dialogue des juges est encore et toujours re
´ve
´lateur des multiples soubre-
sauts qui traversent les socie
´te
´s europe
´ennes en quête d’e
´quilibre de
´mocratique.
Entre les questions socie
´tales (le mariage entre personnes de même sexe),
les questions e
´conomiques et financie
`res (le sauvetage de l’Union), le maintien
d’une certaine humanite
´pour ne pas dire humanisme (devant l’afflux des
migrants fuyant famine, chômage, guerres et autres calamite
´s), les de
´fis lie
´s
aux questions environnementales etc., il n’y a pas un seul sujet qui e
´chappe
à ce « commerce des juges » pour reprendre la belle expression de Julie Allard
et d’Antoine Garapon (1). Cette chronique, à l’instar des pre
´ce
´dentes, permettra
au lecteur d’entamer une pe
´re
´grination dialogique où les multiples contentieux
re
´ve
`lent, in fine, la recherche du juste e
´quilibre.
II.—L
ES INTERACTIONS ORGANIQUES HORIZONTALES
A.—La Cour de Luxembourg, interpre
`te de la Convention europe
´enne
Une fois n’est pas coutume : il a e
´te
´de
´cide
´de s’emparer de l’analyse
nationale de l’invocation de la Charte. Si une analyse, même superficielle,
permet de constater qu’elle trône toujours plus dans le contentieux devant la
Cour de Luxembourg (parfois seule, parfois combine
´e avec la Convention
europe
´enne), il est tout aussi passionnant de re
´aliser à quel point elle a investi
les champs juridiques nationaux. Pour le dire diffe
´remment : l’invocation de
la Charte devant les juges nationaux s’est banalise
´e. Elle est mise au service
de revendications en tous genres allant du mariage des couples de même sexe
(Espagne et Italie) en passant par les demandes d’asile (Autriche, Irlande,
Pays-Bas). Un pays de tradition dualiste est même arrive
´à la convertir en
parame
`tre du contrôle de constitutionnalite
´(Autriche). Sa banalisation n’est
que la manifestation de son rayonnement (1). Dans ce contexte tre
`s riche et
he
´te
´roclite, une constante apparaît. En effet, l’e
´tude du contentieux (à l’e
´chelle
nationale comme à l’e
´chelle europe
´enne) où la Charte est au centre des
argumentaires de
´montre l’existence d’un sujet d’inte
´rêt commun : il concerne
(et c’e
´tait pre
´visible) son champ d’application. La formulation de l’arti-
cle 51 § 1, dont on sait qu’il faut le lire de façon combine
´e avec les « explica-
tions » qui y sont rattache
´es, rele
`ve de nombreuses ambiguïte
´s. Alors que
la jurisprudence de la Cour de justice a jusqu’à pre
´sent e
´te
´passablement
(1) J. Allard, A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, Paris, Ed. du Seuil et
la Re
´publique des Ide
´es, 2005, passim.
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´ENNE COMPARE
´E (2012)
sinueuse — en de
´pit d’une volonte
´re
´cente de clarifier certains points (arrêts
Fransson et Melloni) (2) — les juridictions nationales ont commence
´à
de
´livrer leur propre interpre
´tation de cette disposition. Or — et il fallait
sans douter — elles ne sont pas force
´ment toutes sur le même diapason
interpre
´tatif (2).De
´cide
´ment, rien n’est fait pour simplifier le paysage juridique
europe
´en ; la complexite
´y est inhe
´rente.
1. L’e
´vocation de la Charte ou la chronique d’une banalisation annonce
´e
Le simple fait que la Charte soit invoque
´e pour être discute
´e — sans
force
´ment et automatiquement être applique
´e — suffit à lui donner une enver-
gure de premier plan.
En Espagne, ce furent soixante-douze de
´pute
´sduParti Popular (parti de
droite) qui conteste
`rent la constitutionnalite
´de la loi n
o
13/2005 relative au
mariage homosexuel adopte
´e à l’e
´poque par la majorite
´socialiste mene
´e par
le gouvernement de Jose
´Luis Zapatero (3). Un des arguments avance
´s par
les demandeurs conservateurs (4) mettait en sce
`ne l’article 9 de la Charte des
droits fondamentaux et ce à travers la mobilisation de l’article 10 § 2 de la
Constitution espagnole, dont on sait qu’il s’agit d’une disposition qui permet
au Tribunal constitutionnel d’interpre
´ter les droits fondamentaux à l’aune du
droit international des droits de l’homme (5). Partant, sur la base de cette
(2) Il s’agit de deux arrêts rendus en Grande chambre le 26 fe
´vrier 2013 — CJUE,
Gde Ch., 26 janvier 2013, Fransson, aff. C-617/10 ; CJUE, Gde Ch., 26 fe
´vrier 2013,
Melloni, aff. C-399/11. Ils seront e
´tudie
´s de façon approfondie dans la chronique de
l’anne
´e 2013. Il e
´tait toutefois important de les mentionner de
`s à pre
´sent.
(3) Ley no13/2005, 1ode julio de 2005, por la que se modifica el Co
´digo Civil
en materia de derecho a contraer matrimonio (BOE no157, 2 de julio de 2005). A
`noter
qu’une seconde loi (no15/2005) a introduit e
´galement des modifications importantes au
Code civil ainsi qu’à la loi de proce
´dure civile en matie
`re de se
´paration et de divorce.
Ley de Enjuiciamiento Civil en materia de separacio
´n y divorcio (BOE no163, 9 de
julio de 2005). Les effets du mariage sont identiques dans tous les domaines inde
´pen-
damment du sexe des conjoints. Ainsi, les couples homosexuels jouissent des mêmes
droits et obligations que les couples he
´te
´rosexuels et peuvent être parties dans les
proce
´dures d’adoption. De cette façon, le mariage entre personnes de même sexe est
assimile
´à toutes fins au mariage he
´te
´rosexuel. A
`cet e
´gard, la loi a change
´la terminolo-
gie pre
´vue dans plusieurs dispositions du Code civil contenant des re
´fe
´rences explicites
au sexe des contractants. Les indications relatives au mari et à la femme ont e
´te
´ainsi
remplace
´es par la mention « aux conjoints » ou « aux e
´poux ».
(4) Une autre argument (le premier en re
´alite
´)e
´tait que cette loi portait atteinte à
l’article 32 de la Constitution espagnole, qui consacre explicitement le droit au mariage
entre un homme et une femme.
(5) L’article de re
´fe
´rence sur la question est celle du grand administrativiste
E. Garcia de Enterria, « Valeur de la jurisprudence de la Cour europe
´enne des droits
de l’homme en droit espagnol », Protection des droits de l’homme : la dimension
europe
´enne, Me
´langes en l’honneur de Ge
´rard Wiarda, Carl Heyman Verlag KG, 1990,
pp. 221-230, tandis que l’ouvrage incontournable est celui d’A.Saiz Arnaiz, La apertura
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disposition, ils argue
`rent que l’article 32 de la Constitution (qui consacre le
mariage entre un homme et une femme) devait être lu à la lumie
`re de l’article 9
de la Charte qui, selon eux, ne permettrait pas le mariage homosexuel. Et
d’estimer que son libelle
´devait être lu à la lumie
`re de la Convention euro-
pe
´enne et des traditions constitutionnelles communes qui sont autant de limites
pose
´es à l’interpre
´tation de la Charte... Inutile de dire que le Tribunal constitu-
tionnel, dans sa de
´cision du 6 novembre 2012 (6),balaya d’un revers de plume
une telle argumentation (7). A
`l’e
´poque de la promulgation de cette loi, on
s’e
´tait interroge
´dans le cadre de cette chronique sur la de
´marche à venir du
juge constitutionnel en e
´mettant une piste de re
´flexion (8), dont on constate
aujourd’hui qu’elle s’est confirme
´e. Utilisant de façon constructive (et non
re
´gressive comme les reque
´rants l’y incitaient) l’article 10 § 2 de la Constitu-
tion, le juge constitutionnel s’inscrivit re
´solument dans une de
´marche dynami-
que, celle du « droit vivant », interpre
´tant le droit constitutionnel espagnol à
la lumie
`re du droit international des droits de l’homme, se prêtant à un e
´tat
des lieux compare
´à travers toutes les situations existant de par le monde en
matie
`re de partenariats et de mariages homosexuels et prenant acte du passage
du temps depuis l’adoption de la loi qui vit la ce
´le
´bration de milliers de
mariages de couples de même sexe. C’est dans ce contexte que le Tribunal
constitucional al derecho internacional y europeo de los derechos humanos : el artı
´culo
10.2 de la Constitucio
´n espan
˜ola. Consejo General del Poder Judicial, Madrid, 1999,
302 p. ; du même auteur, « La interpretacio
´n de los derechos fundamentales y los
tratados internacionales sobre derechos humanos », en Casas Baamonde Marı
´a Elena
y Rodrı
´guez-Pin
˜ero Y Bravo-Ferrer, Miguel (Dirs.), Comentarios a la Constitucio
´n
espan
˜ola de 1978. XXX Aniversario, Madrid, Fundacio
´n Wolters Kluwer, 2008, pp. 193-
209. De même, en français, voir l’article de I. Go
´mez Ferna
´ndez, « Droit de l’Union
europe
´enne et droit international depuis la perspective du droit constitutionnel espa-
gnol », L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte, S. Touze
´(dir.), Les
Interactions normatives. Droit de l’Union europe
´enne et droit international, Paris,
Pedone, 2012, pp. 107-132.
(6) Tribunal constitutionnel espagnol, 6 novembre 2012, no198/2012 (BOE, no286
du 28 novembre 2012).
(7) Il fallut sept ans pour que l’option e
´galitaire du gouvernement socialiste soit
de
´clare
´e constitutionnelle par les « sages » de la rue Domenico Scarlatti.
(8) On e
´crivait ceci : Le Tribunal constitutionnel « optera-t-il pour une interpre
´tation
exe
´ge
´tique de l’article 32 en valorisant l’orthodoxie matrimoniale ou de
´cidera t-il de
s’emparer des potentialite
´s offertes par l’article 10 § 2 qui l’incite à interpre
´ter les
droits fondamentaux à l’aune du droit international ? Si cette deuxie
`me voie dispose
de ses faveurs, la Charte des droits fondamentaux de l’Union europe
´enne pourrait tenir
une place de choix dans son argumentaire. On sait que le Tribunal constitutionnel fut
la premie
`re juridiction constitutionnelle à s’en emparer...Or, faut-il ici rappeler que
l’article 9 de la Charte — de
´jà utilise
´avec audace par la Cour de Strasbourg dans
l’affaire Goodwin (avec des re
´percussions jusqu’à Luxembourg) reconnaît « le droit au
mariage pour ‘toute personne’? », v. L. Burgorgue-Larsen, « Chronique de jurisprudence
europe
´enne compare
´e », RDP, 2006, p. 1132.
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1001CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE EUROPE
´ENNE COMPARE
´E (2012)
affirma que la loi de 2005 n’entraînait pas une limitation du droit au mariage,
mais seulement une modification de ses conditions d’exercice dans une logique
d’assimilation des statuts juridiques entre les homosexuels et he
´te
´rosexuels.
Et d’estimer, sur la base de l’article 10 § 2, que le recours à de multiples
sources exte
´rieures, permettait de discerner une ouverture de la notion de
mariage. C’est à ce stade que le Tribunal, se basa sur les « Explications »
relatives à l’article 9 de la Charte (9).
Autre pays, autres mœurs. Si en Espagne l’article 9 de la Charte de
´ploya
ses potentialite
´s constructives grâce aux ressorts de l’article 10 § 2, en Italie
l’ordonnancement constitutionnel, tel qu’interpre
´te
´par les juges, ne le permit
pas. Par un arrêt du 15 mars 2012 (10), la Cour de cassation confirmait
l’impossibilite
´de transcrire dans le registre de l’e
´tat civil un mariage ce
´le
´bre
´
aux Pays-Bas entre des ressortissants italiens de même sexe. Ce faisant, la
Cour de cassation ne faisait que prendre acte de la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle italienne selon laquelle la Constitution du pays de Raphaël
empêche de reconnaître le droit au mariage homosexuel (11). La Haute juridic-
tion judiciaire fonda son raisonnement sur l’article 12 de la Convention —
qui mentionne expressis verbis l’alte
´rite
´sexuelle pour la contraction d’un
mariage — ainsi que la jurisprudence de la Cour europe
´enne. Et de rappeler
un des e
´le
´ments cle
´s de la jurisprudence Schalk et Kopf : la Convention
europe
´enne, comme tel, n’impose pas aux E
´tats parties d’instaurer la figure
du mariage homosexuel, même si un droit à une vie familiale est reconnu
aux personnes de même sexe (12). L’article 9 surgit de façon e
´tonnante dans
cet argumentaire et fut imme
´diatement lie
´à l’article 51 relatif au champ
d’application de la Charte. En d’autres termes, il s’agissait de savoir si l’arti-
cle 9 e
´tait applicable aux faits de l’espe
`ce. En se basant sur le principe selon
lequel la Charte ne s’applique que dans l’hypothe
`se où la question soumise
au juge national est re
´gie par le droit de l’Union, la Cour de cassation conside
`re
que la transcription d’un acte de mariage ce
´le
´bre
´à l’e
´tranger entre des ressortis-
sants italiens n’entre pas dans les compe
´tences de l’Union europe
´enne et, qui
(9) Ces « Explications » indiquent que, bien que fonde
´sur l’article 12 de la CEDH,
cet article a e
´te
´modernise
´afin d’englober les cas dans lesquels les le
´gislations nationales
reconnaissent des voies diffe
´rentes au mariage pour fonder une famille. L’article 9 de
la Charte n’interdit pas, mais n’impose pas non plus, que le statut de « mariage » soit
re
´serve
´aux unions de personnes de même sexe. Ce droit est donc semblable à celui
pre
´vu par la CEDH, mais sa porte
´e peut, cependant, être plus e
´tendue lorsque la
le
´gislation nationale le pre
´voit.
(10) Cour de cassation italienne, Sez. I, 15 mars 2012, no4184.
(11) Cour constitutionnelle italienne, no138/2010.
(12) Cour EDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf c/ Autriche. Partant, la Cour de
cassation prend acte de la limite de la jurisprudence europe
´enne (pas d’obligation de
cre
´er le mariage homosexuel) comme de la reconnaissance du droit à une vie famille
pour les couples homosexuels.
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