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CHRONIQUE JURISPRUDENTIELLE
Chronique de jurisprudence
européenne comparée
(2012)
Par Laurence BURGORGUE-LARSEN
Professeur &agrave; l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris I)
Institut de Recherche en Droit international et européen de la Sorbonne
(IREDIES)
SOMMAIRE
I. — LES INTERACTIONS ORGANIQUES HORIZONTALES
A. — La Cour de Luxembourg, interprète de la Convention européenne
1. L’évocation de la Charte ou la chronique d’une banalisation annoncée
2. Le champ d’application de la Charte ou la prévisibilité d’un &laquo; mélimélo &raquo;contentieux
B. — La Cour de Strasbourg, juge de la conventionnalité du système de l’Union
1. La Cour de Strasbourg, juge des manquements au droit de l’Union
2. La Cour de Strasbourg, interprète du droit de l’Union
II. — LES INTERACTIONS ORGANIQUES VERTICALES
A. — La Cour de Strasbourg, juge des Cours constitutionnelles
1. Le contr&ocirc;le des décisions constitutionnelles
a. La face positive du contr&ocirc;le
b. La face négative du contr&ocirc;le
2. Le contr&ocirc;le de l’argumentaire constitutionnel
B. — Les Cours constitutionnelles, juges de la constitutionnalité des systèmes
transnationaux
1. Les Cours constitutionnelles et la primauté du droit de l’Union
a. Les Cours constitutionnelles et l’articulation des systèmes
b. Les Cours constitutionnelles et le contr&ocirc;le indirect du droit dérivé
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1. Les Cours constitutionnelles et le renvoi pr&eacute;judiciel
a. Les saisines des Cours constitutionnelles
b. Les cons&eacute;quences des saisines des Cours constitutionnelles
Le dialogue des juges est encore et toujours révélateur des multiples soubresauts qui traversent les sociétés européennes en qu&ecirc;te d’équilibre démocratique.
Entre les questions sociétales (le mariage entre personnes de m&ecirc;me sexe),
les questions économiques et financières (le sauvetage de l’Union), le maintien
d’une certaine humanité pour ne pas dire humanisme (devant l’afflux des
migrants fuyant famine, ch&ocirc;mage, guerres et autres calamités), les défis liés
aux questions environnementales etc., il n’y a pas un seul sujet qui échappe
&agrave; ce &laquo; commerce des juges &raquo; pour reprendre la belle expression de Julie Allard
et d’Antoine Garapon (1). Cette chronique, &agrave; l’instar des précédentes, permettra
au lecteur d’entamer une pérégrination dialogique o&ugrave; les multiples contentieux
révèlent, in fine, la recherche du juste équilibre.
II. — LES INTERACTIONS ORGANIQUES HORIZONTALES
A. — La Cour de Luxembourg, interprète de la Convention européenne
Une fois n’est pas coutume : il a été décidé de s’emparer de l’analyse
nationale de l’invocation de la Charte. Si une analyse, m&ecirc;me superficielle,
permet de constater qu’elle tr&ocirc;ne toujours plus dans le contentieux devant la
Cour de Luxembourg (parfois seule, parfois combinée avec la Convention
européenne), il est tout aussi passionnant de réaliser &agrave; quel point elle a investi
les champs juridiques nationaux. Pour le dire différemment : l’invocation de
la Charte devant les juges nationaux s’est banalisée. Elle est mise au service
de revendications en tous genres allant du mariage des couples de m&ecirc;me sexe
(Espagne et Italie) en passant par les demandes d’asile (Autriche, Irlande,
Pays-Bas). Un pays de tradition dualiste est m&ecirc;me arrivé &agrave; la convertir en
paramètre du contr&ocirc;le de constitutionnalité (Autriche). Sa banalisation n’est
que la manifestation de son rayonnement (1). Dans ce contexte très riche et
hétéroclite, une constante appara&icirc;t. En effet, l’étude du contentieux (&agrave; l’échelle
nationale comme &agrave; l’échelle européenne) o&ugrave; la Charte est au centre des
argumentaires démontre l’existence d’un sujet d’intér&ecirc;t commun : il concerne
(et c’était prévisible) son champ d’application. La formulation de l’article 51 &sect; 1, dont on sait qu’il faut le lire de fa&ccedil;on combinée avec les &laquo; explications &raquo; qui y sont rattachées, relève de nombreuses ambigu&iuml;tés. Alors que
la jurisprudence de la Cour de justice a jusqu’&agrave; présent été passablement
(1) J. Allard, A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, Paris, Ed. du Seuil et
la République des Idées, 2005, passim.
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sinueuse — en dépit d’une volonté récente de clarifier certains points (arr&ecirc;ts
Fransson et Melloni) (2) — les juridictions nationales ont commencé &agrave;
délivrer leur propre interprétation de cette disposition. Or — et il fallait
sans douter — elles ne sont pas forcément toutes sur le m&ecirc;me diapason
interprétatif (2). Décidément, rien n’est fait pour simplifier le paysage juridique
européen ; la complexité y est inhérente.
1. L’évocation de la Charte ou la chronique d’une banalisation annoncée
Le simple fait que la Charte soit invoquée pour &ecirc;tre discutée — sans
forcément et automatiquement &ecirc;tre appliquée — suffit &agrave; lui donner une envergure de premier plan.
En Espagne, ce furent soixante-douze députés du Parti Popular (parti de
droite) qui contestèrent la constitutionnalité de la loi no 13/2005 relative au
mariage homosexuel adoptée &agrave; l’époque par la majorité socialiste menée par
le gouvernement de José Luis Zapatero (3). Un des arguments avancés par
les demandeurs conservateurs (4) mettait en scène l’article 9 de la Charte des
droits fondamentaux et ce &agrave; travers la mobilisation de l’article 10 &sect; 2 de la
Constitution espagnole, dont on sait qu’il s’agit d’une disposition qui permet
au Tribunal constitutionnel d’interpréter les droits fondamentaux &agrave; l’aune du
droit international des droits de l’homme (5). Partant, sur la base de cette
(2) Il s’agit de deux arr&ecirc;ts rendus en Grande chambre le 26 février 2013 — CJUE,
Gde Ch., 26 janvier 2013, Fransson, aff. C-617/10 ; CJUE, Gde Ch., 26 février 2013,
Melloni, aff. C-399/11. Ils seront étudiés de fa&ccedil;on approfondie dans la chronique de
l’année 2013. Il était toutefois important de les mentionner dès &agrave; présent.
(3) Ley no 13/2005, 1o de julio de 2005, por la que se modifica el Código Civil
en materia de derecho a contraer matrimonio (BOE no 157, 2 de julio de 2005). À noter
qu’une seconde loi (no 15/2005) a introduit également des modifications importantes au
Code civil ainsi qu’&agrave; la loi de procédure civile en matière de séparation et de divorce.
Ley de Enjuiciamiento Civil en materia de separación y divorcio (BOE no 163, 9 de
julio de 2005). Les effets du mariage sont identiques dans tous les domaines indépendamment du sexe des conjoints. Ainsi, les couples homosexuels jouissent des m&ecirc;mes
droits et obligations que les couples hétérosexuels et peuvent &ecirc;tre parties dans les
procédures d’adoption. De cette fa&ccedil;on, le mariage entre personnes de m&ecirc;me sexe est
assimilé &agrave; toutes fins au mariage hétérosexuel. À cet égard, la loi a changé la terminologie prévue dans plusieurs dispositions du Code civil contenant des références explicites
au sexe des contractants. Les indications relatives au mari et &agrave; la femme ont été ainsi
remplacées par la mention &laquo; aux conjoints &raquo; ou &laquo; aux époux &raquo;.
(4) Une autre argument (le premier en réalité) était que cette loi portait atteinte &agrave;
l’article 32 de la Constitution espagnole, qui consacre explicitement le droit au mariage
entre un homme et une femme.
(5) L’article de référence sur la question est celle du grand administrativiste
E. Garcia de Enterria, &laquo; Valeur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme en droit espagnol &raquo;, Protection des droits de l’homme : la dimension
européenne, Mélanges en l’honneur de Gérard Wiarda, Carl Heyman Verlag KG, 1990,
pp. 221-230, tandis que l’ouvrage incontournable est celui d’A.Saiz Arnaiz, La apertura
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disposition, ils arguèrent que l’article 32 de la Constitution (qui consacre le
mariage entre un homme et une femme) devait &ecirc;tre lu &agrave; la lumière de l’article 9
de la Charte qui, selon eux, ne permettrait pas le mariage homosexuel. Et
d’estimer que son libellé devait &ecirc;tre lu &agrave; la lumière de la Convention européenne et des traditions constitutionnelles communes qui sont autant de limites
posées &agrave; l’interprétation de la Charte... Inutile de dire que le Tribunal constitutionnel, dans sa décision du 6 novembre 2012 (6), balaya d’un revers de plume
une telle argumentation (7). À l’époque de la promulgation de cette loi, on
s’était interrogé dans le cadre de cette chronique sur la démarche &agrave; venir du
juge constitutionnel en émettant une piste de réflexion (8), dont on constate
aujourd’hui qu’elle s’est confirmée. Utilisant de fa&ccedil;on constructive (et non
régressive comme les requérants l’y incitaient) l’article 10 &sect; 2 de la Constitution, le juge constitutionnel s’inscrivit résolument dans une démarche dynamique, celle du &laquo; droit vivant &raquo;, interprétant le droit constitutionnel espagnol &agrave;
la lumière du droit international des droits de l’homme, se pr&ecirc;tant &agrave; un état
des lieux comparé &agrave; travers toutes les situations existant de par le monde en
matière de partenariats et de mariages homosexuels et prenant acte du passage
du temps depuis l’adoption de la loi qui vit la célébration de milliers de
mariages de couples de m&ecirc;me sexe. C’est dans ce contexte que le Tribunal
constitucional al derecho internacional y europeo de los derechos humanos : el artı́culo
10.2 de la Constitución española. Consejo General del Poder Judicial, Madrid, 1999,
302 p. ; du m&ecirc;me auteur, &laquo; La interpretación de los derechos fundamentales y los
tratados internacionales sobre derechos humanos &raquo;, en Casas Baamonde Marı́a Elena
y Rodrı́guez-Piñero Y Bravo-Ferrer, Miguel (Dirs.), Comentarios a la Constitución
española de 1978. XXX Aniversario, Madrid, Fundación Wolters Kluwer, 2008, pp. 193209. De m&ecirc;me, en fran&ccedil;ais, voir l’article de I. Gómez Fernández, &laquo; Droit de l’Union
européenne et droit international depuis la perspective du droit constitutionnel espagnol &raquo;, L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte, S. Touzé (dir.), Les
Interactions normatives. Droit de l’Union européenne et droit international, Paris,
Pedone, 2012, pp. 107-132.
(6) Tribunal constitutionnel espagnol, 6 novembre 2012, no 198/2012 (BOE, no 286
du 28 novembre 2012).
(7) Il fallut sept ans pour que l’option égalitaire du gouvernement socialiste soit
déclarée constitutionnelle par les &laquo; sages &raquo; de la rue Domenico Scarlatti.
(8) On écrivait ceci : Le Tribunal constitutionnel &laquo; optera-t-il pour une interprétation
exégétique de l’article 32 en valorisant l’orthodoxie matrimoniale ou décidera t-il de
s’emparer des potentialités offertes par l’article 10 &sect; 2 qui l’incite &agrave; interpréter les
droits fondamentaux &agrave; l’aune du droit international ? Si cette deuxième voie dispose
de ses faveurs, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pourrait tenir
une place de choix dans son argumentaire. On sait que le Tribunal constitutionnel fut
la première juridiction constitutionnelle &agrave; s’en emparer...Or, faut-il ici rappeler que
l’article 9 de la Charte — déj&agrave; utilisé avec audace par la Cour de Strasbourg dans
l’affaire Goodwin (avec des répercussions jusqu’&agrave; Luxembourg) reconna&icirc;t &laquo; le droit au
mariage pour ‘toute personne’? &raquo;, v. L. Burgorgue-Larsen, &laquo; Chronique de jurisprudence
européenne comparée &raquo;, RDP, 2006, p. 1132.
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affirma que la loi de 2005 n’entra&icirc;nait pas une limitation du droit au mariage,
mais seulement une modification de ses conditions d’exercice dans une logique
d’assimilation des statuts juridiques entre les homosexuels et hétérosexuels.
Et d’estimer, sur la base de l’article 10 &sect; 2, que le recours &agrave; de multiples
sources extérieures, permettait de discerner une ouverture de la notion de
mariage. C’est &agrave; ce stade que le Tribunal, se basa sur les &laquo; Explications &raquo;
relatives &agrave; l’article 9 de la Charte (9).
Autre pays, autres mœurs. Si en Espagne l’article 9 de la Charte déploya
ses potentialités constructives gr&acirc;ce aux ressorts de l’article 10 &sect; 2, en Italie
l’ordonnancement constitutionnel, tel qu’interprété par les juges, ne le permit
pas. Par un arr&ecirc;t du 15 mars 2012 (10), la Cour de cassation confirmait
l’impossibilité de transcrire dans le registre de l’état civil un mariage célébré
aux Pays-Bas entre des ressortissants italiens de m&ecirc;me sexe. Ce faisant, la
Cour de cassation ne faisait que prendre acte de la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle italienne selon laquelle la Constitution du pays de Rapha&euml;l
emp&ecirc;che de reconna&icirc;tre le droit au mariage homosexuel (11). La Haute juridiction judiciaire fonda son raisonnement sur l’article 12 de la Convention —
qui mentionne expressis verbis l’altérité sexuelle pour la contraction d’un
mariage — ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne. Et de rappeler
un des éléments clés de la jurisprudence Schalk et Kopf : la Convention
européenne, comme tel, n’impose pas aux États parties d’instaurer la figure
du mariage homosexuel, m&ecirc;me si un droit &agrave; une vie familiale est reconnu
aux personnes de m&ecirc;me sexe (12). L’article 9 surgit de fa&ccedil;on étonnante dans
cet argumentaire et fut immédiatement lié &agrave; l’article 51 relatif au champ
d’application de la Charte. En d’autres termes, il s’agissait de savoir si l’article 9 était applicable aux faits de l’espèce. En se basant sur le principe selon
lequel la Charte ne s’applique que dans l’hypothèse o&ugrave; la question soumise
au juge national est régie par le droit de l’Union, la Cour de cassation considère
que la transcription d’un acte de mariage célébré &agrave; l’étranger entre des ressortissants italiens n’entre pas dans les compétences de l’Union européenne et, qui
(9) Ces &laquo; Explications &raquo; indiquent que, bien que fondé sur l’article 12 de la CEDH,
cet article a été modernisé afin d’englober les cas dans lesquels les législations nationales
reconnaissent des voies différentes au mariage pour fonder une famille. L’article 9 de
la Charte n’interdit pas, mais n’impose pas non plus, que le statut de &laquo; mariage &raquo; soit
réservé aux unions de personnes de m&ecirc;me sexe. Ce droit est donc semblable &agrave; celui
prévu par la CEDH, mais sa portée peut, cependant, &ecirc;tre plus étendue lorsque la
législation nationale le prévoit.
(10) Cour de cassation italienne, Sez. I, 15 mars 2012, no 4184.
(11) Cour constitutionnelle italienne, no 138/2010.
(12) Cour EDH, 24 juin 2010, Schalk et Kopf c/ Autriche. Partant, la Cour de
cassation prend acte de la limite de la jurisprudence européenne (pas d’obligation de
créer le mariage homosexuel) comme de la reconnaissance du droit &agrave; une vie famille
pour les couples homosexuels.
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plus est, ne présente aucun lien de rattachement, m&ecirc;me indirect, avec le droit
de l’Union. L’article 9 était donc écarté, le mariage homosexuel &eacute;galement.
En Autriche, la place de la Charte dans le cadre du contr&ocirc;le de constitutionnalité est devenue majeure gr&acirc;ce un arr&ecirc;t de principe du 14 mars 2012 rendu
par le Verfassungsgerichtshof en matière de droit d’asile (13). Le juge constitutionnel autrichien décida en effet de mettre sur un pied d’égalité les droits
contenus dans la Charte avec ceux consacrés au sein de la Constitution et
de la Convention européenne qui (et c’est important &agrave; ce stade de le rappeler)
est d’applicabilité directe dans l’ordre constitutionnel autrichien (14). Partant,
les droits de la Charte doivent &ecirc;tre utilisés comme élément du contr&ocirc;le de
constitutionnalité (tout en ayant égard &agrave; leur champ d’application sur la base
de l’article 51). Afin de prendre la mesure d’une telle assertion, &agrave; de nombreux
égards exceptionnelle, il convient de présenter succinctement quelques données
élémentaires relatives au système constitutionnel autrichien. L’article 144 a)
de la Constitution autrichienne prévoit la possibilité de contester devant la
Cour constitutionnelle toute décision de la Cour du droit d’asile (15) en arguant,
notamment, de la violation d’un &laquo; droit fondamental protégé constitutionnellement &raquo;. Or, dans le cadre des deux affaires jointes, les demandeurs d’asile
se plaignaient qu’ils n’avaient pas bénéficié, devant la Cour du droit d’asile
d’une audience contradictoire permettant des plaidoiries (16) ; ce faisant, ils
invoquaient une violation du droit &agrave; un recours effectif et du droit d’accès
&agrave; un tribunal impartial garanti par l’article 47 de la Charte. Or, selon une
jurisprudence constante, la violation du droit de l’Union ne donne pas droit
&agrave; un recours constitutionnel ; en effet, la Cour constitutionnelle avait toujours
jusqu’&agrave; présent refusé d’examiner si des normes générales ou des décisions
administratives étaient conformes au droit de l’Union. C’est donc ici que se
situe la &laquo; petite révolution &raquo; induite par cet arr&ecirc;t : la Cour estime en effet,
(13) Cour constitutionnelle autrichienne, 14 mars 2012, no U 466/11-18 et U 1836.
(14) En effet, la Convention européenne est en Autriche directement applicable
comme loi nationale constitutionnelle. Partant, il existe une jurisprudence bien établie
d’un contr&ocirc;le de constitutionnalité des lois et des actes administratifs individuels &agrave;
l’aune des critères de la Convention.
(15) Pour une présentation exhaustive de l’ensemble des compétences de la Cour
constitutionnelle, voir la présentation de son Pr&eacute;sident Dr. Gerhart Holzinger, &laquo; La
Cour constitutionnelle autrichienne &raquo;, Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel,
no 36, 2012, pp. 183-193. On y apprend que c’est en 2008 que fut créée la Cour du
droit d’asile dont les décisions sont susceptibles d’&ecirc;tre directement contestées devant
la Cour constitutionnelle (sans passer devant la Cour administrative). Les recours contre
les décisions de cette nouvelle Cour totalisent chaque année environ 60 % des affaires
présentées devant la Cour constitutionnelle (p. 188).
(16) Les demandes des requérants avaient été rejetées par l’Office fédéral d’asile
comme par la Cour du droit d’asile. Cette dernière avait rejeté les appels en l’absence
de toute procédure contradictoire, bien qu’une audience de plaidoiries avait été sollicitée
par les requérants.
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en se basant sur le principe bien connu d’équivalence des protections — en
citant expressis verbis l’arr&ecirc;t Levez (17) — qu’il appartient aux États membres
de garantir une protection juridique &agrave; partir des droits tirés du droit de l’Union,
dont les modalités d’exercice ne doivent pas &ecirc;tre moins favorables que celles
concernant des recours similaires de nature interne. Cette assertion établie,
la Cour établissait un lien entre la Charte et la Convention européenne. Et
de rappeler que les droits tirés de la Charte co&iuml;ncidaient largement avec les
droits protégés par la Convention. Partant, la Cour décidait de les traiter comme
s’ils étaient des &laquo; droits fondamentaux protégés constitutionnellement &raquo;. Ainsi,
la Charte sera utilisée non seulement dans le cadre du contr&ocirc;le de constitutionnalité des lois nationales (de mise en œuvre du droit de l’Union), mais
également dans le cadre du contr&ocirc;le des actes administratifs individuels basés
sur une telle loi. Une telle opération pourra notamment s’effectuer le cas
échéant après un renvoi préjudiciel, uniquement toutefois si les &laquo; droits &raquo;
comparables &agrave; ceux de la Convention sont concernés — et non pas des
&laquo; principes &raquo; &agrave; l’instar des articles 22 ou 37 de la Charte. Un tel arr&ecirc;t démontre
&agrave; l’envi la prise au sérieux de la Charte par la Cour constitutionnelle au point
qu’elle n’hésita pas &agrave; bouleverser les fondamentaux de sa jurisprudence. Dans
le m&ecirc;me temps, on prend la mesure de l’influence et de la diffusion corrélatives
des &laquo; faiblesses &raquo; de la Charte : les &laquo; principes &raquo; qui y sont consacrés sont
très clairement mis &agrave; l’écart. À ce stade, on peut également se demander si
ses &laquo; plus-values &raquo; le seront. En effet, la Cour constitutionnelle mentionne
les droits &laquo; équivalents &raquo; &agrave; ceux de la Convention. Devons-nous en déduire
la mise &agrave; l’écart ipso facto des droits &laquo; nouveaux &raquo; qui ne se retrouvent pas
dans la nomenclature conventionnelle ? En dépit de cette interrogation, le pas
franchi est somme toute important m&ecirc;me si, in casu, la Cour constitutionnelle
ne trouva rien &agrave; redire &agrave; l’absence de contradictoire devant la Cour du droit
d’asile. M&ecirc;me s’il s’agit d’un &laquo; classique &raquo; en matière de revirement de
jurisprudence, on peut considérer qu’il ne s’est pas agi que d’un pur exercice
de style. En effet, la jurisprudence subséquente de la Cour constitutionnelle
démontre qu’elle a été amenée &agrave; intégrer systématiquement la Charte dans
son contr&ocirc;le &agrave; partir du moment o&ugrave; les faits de l’espèce &laquo; mettait en œuvre &raquo;
le droit de l’Union (article 51 &sect; 1) (18).
2. Le champ d’application de la Charte ou la prévisibilité d’un &laquo; méli-mélo &raquo;
contentieux
Avant que la Cour de justice ne se décide &agrave; délivrer d’importantes précisions
sur le champ d’application de la Charte dans les affaires Fransson et
(17) CJUE (ex-CJCE), 1er décembre 1988, Levez, C-326/96, Rec. 1998 p. I-7835.
(18) Cour constitutionnelle autrichienne, 20 septembre 2012, U1740/11 ; 9 octobre
2012, G64/10.
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Meloni (19), les juridictions nationales, livrées &agrave; elles-m&ecirc;mes, n’ont pas hésité
&agrave; s’emparer du vide interprétatif en utilisant les ambigu&iuml;tés de l’article 51 &sect; 1.
On l’a déj&agrave; vu en Italie quand il s’est agi de refuser de consacrer le mariage
homosexuel (v. supra), on va découvrir qu’une telle approche existe dans
d’autres domaines o&ugrave; il n’est plus uniquement question de sujets &laquo; sociétaux &raquo;... À cet égard, l’Irlande ne fut pas en reste ; on devrait plut&ocirc;t dire la
High Court dont la jurisprudence ne démontre guère d’empathie &agrave; l’égard
de l’applicabilité de la Charte. Tel n’est pas apparemment l’approche de la
Cour supr&ecirc;me qui, pour sa part ne tente pas de jouer sur le clair-obscur de
l’article 51 &sect; 1 pour éviter d’appliquer certains droits fondamentaux élémentaires aux requérants.
Commen&ccedil;ons par la décision du 3 avril 2012 qui démontre la manière dont
la High Court a utilisé contre persona le flou de l’article 51 &sect; 1 (20). Les
faits de la cause sont &laquo; classiques &raquo; m&ecirc;me s’ils n’en sont pas moins tragiques.
Tout commence par une demande d’octroi du statut de réfugié par un ressortissant nigérian (qui était entre-temps devenu le père d’un enfant né d’une
citoyenne irlandaise) ; cela se poursuit par une décision de rejet et un arr&ecirc;té
d’expulsion ; cela se termine par un appel du requérant (basé sur l’article 24 &sect; 3
de la Charte) (21) qui est in fine rejeté par la High Court. Aux arguments
du requérant — qui arguait que son enfant ne pourrait pas entretenir de fa&ccedil;on
régulière des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux
parents (conformément &agrave; l’article 24 &sect; 3) si d’aventure il était expulsé — la
High Court rétorqua en évoquant l’article 51 &sect; 1 de la Charte. Admettant
que la notion de &laquo; mise en œuvre du droit de l’Union &raquo; n’était pas encore
définitivement arr&ecirc;tée en jurisprudence, la juridiction irlandaise a néanmoins
considéré qu’il existait un ensemble d’hypothèses qui permettaient de considérer que les États conservaient une certaine marge de manœuvre. Tout d’abord
les circonstances qui permettent aux États membres exercer un pouvoir discrétionnaire qui leur est accordé par le droit de l’Union (et de citer l’arr&ecirc;t de
la CJUE du 21 décembre 2011, N. S., C-411/10 et C-493/10). Ensuite, les
cas de figure qui ne concernent que des situations purement internes, i.e.,
portant exclusivement sur le droit interne de l’État membre (22). Après ce
(19) Il s’agit de deux arr&ecirc;ts rendus en Grande chambre le 26 février 2013 qui seront
étudiés logiquement dans la prochaine chronique pour l’année 2013, CJUE, Gde Ch.,
26 janvier 2013, Fransson, aff. C-617/10 ; CJUE, Gde Ch., 26 février 2013, Melloni,
aff. C-399/11.
(20) High Court irlandaise, 3 avril 2012, AO v. Minister for Justice, Equality and
Law Reform, Ireland and the Attorney General (no 3), 2012 IEHC 104.
(21) Cette disposition vise le droit de l’enfant d’entretenir régulièrement des relations
personnes avec ses deux parents.
(22) Le juge irlandais en a profité pour présenter une analyse critique en estimant
que la différence entre la mise en œuvre du droit de l’Union et les situations purement
internes n’était pas toujours bien claire : ainsi du cas de l’État membre qui exerce ses
pouvoirs discrétionnaires conformément au mandat d’arr&ecirc;t européen.
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tour d’horizon des différents types de situations o&ugrave; une marge d’appréciation
était légitimement octroyée aux États, le juge trancha. Il releva que les droits de
l’enfant et de l’ancienne partenaire du requérant, tous deux citoyens irlandais,
relevaient uniquement de l’article 9 de la Constitution irlandaise (23). Et
d’expliquer en outre que le pouvoir de l’État irlandais d’expulser le requérant
— conformément &agrave; l’Immigration Act de 1999 — ne découlait pas du droit
de l’Union, mais du droit international. Il était tout simplement en effet
l’expression législative du droit intrinsèque de chaque État de réglementer et
de contr&ocirc;ler sa propre frontière au regard des règles classiques du droit
international. Partant, l’exercice par l’État irlandais d’un pouvoir discrétionnaire prévu par l’Immigration Act ne constitue pas la &laquo; mise en œuvre du
droit de l’Union &raquo;, envisagée par l’article 51 &sect; 1 de la Charte. La High Court
déclarait ce faisant inapplicable les dispositions de fond de la Charte plus
précisément l’article 24 &sect; 3 et rejetait le recours du requérant qui visait &agrave;
obtenir l’autorisation de présenter une demande de contr&ocirc;le juridictionnel.
L’analyse est assurément stricte et ne permet pas d’octroyer un droit de nature
procédural &agrave; un non-citoyen irlandais qui aurait eu des conséquences sur le
droit de son enfant &agrave; entretenir des relations régulières avec ses parents...
Une telle approche restrictive ne fut pas celle de la Cour supr&ecirc;me irlandaise
dans une affaire relative &agrave; une demande de naturalisation formulée par un
ressortissant syrien (qui avait par ailleurs obtenu le statut de réfugié en Irlande).
Est-ce normal qu’un refus de naturalisation puisse &ecirc;tre formulé sans motivation
aucune ? Le bon sens juridictionnel impose assez aisément une réponse négative. Tout d’abord, on sait que les décisions de justice (et ce quel que soit
le domaine) acquièrent leur validité et leur légitimité gr&acirc;ce &agrave; la qualité de
leur motivation. Ensuite, on sait que ce processus de validité/légitimité a
saisi l’univers de l’administration dans de nombreux systèmes juridiques. Le
requérant estimait que le refus non motivé de l’administration de lui accorder
la citoyenneté irlandaise entra&icirc;nait nécessairement le refus de lui reconna&icirc;tre
la citoyenneté de l’Union. Dans ce contexte, il invoquait la violation de
(23) Il se lit ainsi : &laquo; 1. 1o Lors de l’entrée en vigueur de la présente Constitution,
toute personne qui était un citoyen de l’État libre d’Irlande [Saorstat Eireann] immédiatement avant l’entrée en vigueur de cette Constitution devient citoyen d’Irlande. 2o A
l’avenir, l’acquisition et la perte de la nationalité ou de la citoyenneté irlandaise sont
déterminées conformément &agrave; la loi. 3o Nul ne peut &ecirc;tre exclu de la nationalité ou de
la citoyenneté irlandaise en raison de son sexe. 2. 1o Nonobstant toute autre disposition
de la présente Constitution, une personne née dans l’&icirc;le d’Irlande, y compris les &icirc;les
et les mers qui s’y rattachent, et qui n’a pas, au moment de sa naissance, au moins
un parent qui est citoyen irlandais ou naturalisé irlandais, n’a pas droit &agrave; la citoyenneté
ou la nationalité irlandaise, sauf dispositions de la loi. 2o La présente section ne
s’applique pas aux personnes nées avant la date de promulgation de la présente section.
[Disposition nouvelle, 27e amendement, 2004. Le 9.2 devient 9.3].
3. La fidélité &agrave; la nation et la loyauté envers l’État sont les devoirs politiques
fondamentaux de tous les citoyens. &raquo;
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l’article 41 &sect; 2 de la Charte qui mentionne expressis verbis l’exigence de
motivation &agrave; la charge de l’administration. Une fois encore, la High Court
mit en avant le défaut de &laquo; mise en œuvre du droit de l’Union &raquo; (article 51 &sect; 1)
pour écarter l’application de l’article 41 &sect; 2 considérant que l’octroi (et non
le retrait) (24) de la nationalité irlandaise était une question interne ; partant,
le refus (non motivé) fut validé par la High Court dans une décision de 2011.
C’était sans compter avec la décision du 6 décembre 2012 (25) de la Cour
supr&ecirc;me qui invalida l’approche du juge inférieur. Habilement, elle se basa
sur la Constitution irlandaise tout en se fondant sur une somme importante
de sources internes (jurisprudence irlandaise) et externes (articles 296 TFUE
et 41 de la Charte ; jurisprudence Bamba de la CJUE (26)) pour poser l’existence d’un &laquo; consensus émergeant &raquo; selon lequel l’administration doit motiver
ses décisions. La Constitution irlandaise était donc interprétée &agrave; l’aune de
référents extérieurs sans que la question du champ d’application de la Charte
ne vienne perturber le standard de protection. Et la Cour supr&ecirc;me irlandaise
de considérer que l’autorité compétente avait une obligation de motiver son
refus d’octroi d’un certificat de naturalisation ; elle décidait donc d’annuler
la décision.
B. — La Cour de Strasbourg, juge de la conventionnalité
du système de l’Union
1. La Cour de Strasbourg, juge des manquements au droit de l’Union
La question posée par l’affaire Michaud (27) revenait &agrave; savoir si une obligation issue du droit de l’Union européenne (une directive), transposée en droit
interne et consistant &agrave; imposer aux avocats une obligation de &laquo; déclaration
de soup&ccedil;ons d’infraction pénale &raquo;, constituait ou non une violation du secret
professionnel. Pour aller droit au but, la lutte contre le blanchiment d’argent
(au cœur du dispositif de la directive) justifie-t-elle une atteinte &agrave; un des
principes élémentaires de l’avocature qui repose sur la confiance entre les
avocats et leurs clients ? L’affaire était on ne peut plus sensible et dans ce
(24) La High Court s’évertua de déconnecter les faits de l’espèce de ceux de l’affaire
Rottmann (arr&ecirc;t du 2 mars 2010, C-135/08, Rec. 2010, p. I-1449) qui concernait le
retrait d’un titre de naturalisation, une question qui, elle, relève du droit de l’Union.
(25) Cour supr&ecirc;me irlandaise, 6 décembre 2012, Mallack v. Minister for Justice,
Equality and Law Reform, 2011 IEHC 306 (HC) et 2012 IESC 59 (SC).
(26) CJUE, 15 novembre 2012, Conseil c/ Bamba, C-417/11. La Cour a jugé que
l’obligation de motivation a pour but de fournir &agrave; l’intéressé une indication suffisante
afin de déterminer si l’acte est bien fondé, ou s’il est éventuellement entaché d’un
vice, et de lui permettre d’exercer son contr&ocirc;le sur la légalité de cet acte.
(27) Cour EDH, 6 décembre 2012, Michaud c/ France.
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contexte, le Conseil d’État se fit remarquer. En effet, en décidant souverainement de ne pas renvoyer &agrave; la Cour de justice une question préjudicielle de
validité d’une directive européenne, il a mis &agrave; mal non seulement la règle
de partage des compétences (voire des responsabilités) entre les juges nationaux
et la juridiction de l’Union — telle que posée en 1987 dans l’arr&ecirc;t FotoFrost — mais plus largement il malmena le système procédural de protection
des droits fondamentaux de l’Union. Du coup, la présomption d’équivalence
(posée par la jurisprudence Bosphorus) tomba (28), et la Cour européenne
fut contrainte de substituer son contr&ocirc;le (devant la défaillance du système
&laquo; unional &raquo;) &agrave; celui de la Cour de justice. L’arr&ecirc;t Michaud excelle en présentant
clairement et habilement cette donne. Clairement, car l’attitude du Conseil
d’État y est &laquo; mise &agrave; l’index &raquo; ; habilement, car la Cour de Strasbourg arrive
&agrave; préserver in fine son honneur juridictionnel.
La Cour européenne rappelle donc &agrave; l’ordre le Conseil d’État ; au-del&agrave; de
cette institution, ce sont toutes les juridictions supr&ecirc;mes des États membres
qui le sont. La Cour de Strasbourg leur fait clairement comprendre que
l’effectivité du contr&ocirc;le des droits fondamentaux au sein de l’Union repose,
en grande partie, sur leur collaboration avec la Cour de justice. La bonne
foi juridictionnelle doit &ecirc;tre au zénith. Le &sect; 115 de l’arr&ecirc;t est important et
mérite d’&ecirc;tre reproduit ici : &laquo; Ainsi, la Cour doit se doit de constater que,
du fait de la décision du Conseil d’État de ne pas procéder &agrave; un renvoi
préjudiciel alors que la Cour de justice n’avait pas déj&agrave; examiné la question
relative aux droits protégés par la Convention dont il était saisi, celui-ci a
statué sans que le mécanisme international pertinent de contr&ocirc;le du respect
des droits fondamentaux, en principe équivalent &agrave; celui de la Convention, ait
pu déployer l’intégralité de ses potentialités. Au regard de ce choix et de
l’importance des enjeux en cause, la présomption de la protection équivalente
ne trouve pas &agrave; s’appliquer &raquo;. Le test Bosphorus n’est donc pas qu’un habillage
cosmétique de type formel en attendant l’adhésion de l’Union &agrave; la Convention ;
il peut déployer toutes ses potentialités et l’arr&ecirc;t Michaud restera, pour ce
simple fait, un arr&ecirc;t important dans la saga judiciaire de la présomption
d’équivalence.
Cet élément posé, la Cour de Strasbourg arrive quand m&ecirc;me &agrave; sauver
l’honneur du Conseil d’État. Il suffit en effet de savoir que pour arriver au
constat unanime de non-violation de l’article 8, la Cour européenne renvoya
&agrave; deux reprises &agrave; l’argumentation de la Haute juridiction administrative... L’ère
de l’enchev&ecirc;trement des obligations juridiques est décidément paradoxale.
(28) Pour une analyse critique de ce concept, v. P.-X. Millet, &laquo; Réflexions sur la
notion de protection équivalente des droits fondamentaux &raquo;, RFDA, 2012, pp. 307
et s. ; C. Picheral, &laquo; Le mode d’ajustement de la Cour européenne des droits de l’homme
au droit communautaire. Mérites et limites de la théorie de l’équivalence &raquo;, Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne et Convention européenne des droits
de l’homme, C. Picheral, L. Coutron (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 69-92).
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Résumons la problématique. 1) La Cour fait sauter le verrou de la présomption
d’équivalence en assurant au fond le contr&ocirc;le de la protection des droits
fondamentaux au sein de l’Union &agrave; la place de la Cour de justice puisque
le Conseil d’État n’avait pas remplit son office de juge &laquo; communautaire &raquo;
de droit commun en ne déclenchant point le renvoi préjudiciel (article 267
TFUE). 2) Cependant, dans le m&ecirc;me temps, ladite Cour s’aligne en grande
partie sur l’argumentation du Conseil d’État pour arriver au constat qu’il avait
dressé et qui expliquait qu’il n’ait point activé le renvoi : la directive européenne et la loi nationale de transposition ne portent pas une atteinte démesurée
au secret professionnel des avocats...
2. La Cour de Strasbourg, interprète du droit de l’Union
La Charte des droits fondamentaux de l’Union continue d’imprégner le
contentieux strasbourgeois, toujours combinée en général avec de multiples
référents interprétatifs exogènes. Cela participe de sa &laquo; méthode cosmopolitique &raquo; d’interprétation de la Convention européenne (29). On la trouve mentionnée dans plusieurs affaires qui touchent des questions diverses allant du
refoulement des demandeurs d’asile (Hirsi Jamaa) (30), &agrave; l’extradition de
terroristes (Babar Ahmad e.a. et Harkins et Edwards) (31), en passant par la
question de la protection des enfants en détention (Popov) (32), des actes de
torture (viol) perpétrés &agrave; l’encontre d’un migrant (Zontul) (33), de l’obligation
(29) L. Burgorgue-Larsen, &laquo; Le destin judiciaire strasbourgeois de la Charte des
droits fondamentaux. Vices et vertus du cosmopolitisme normatif &raquo;, Chemins d’Europe.
Mélanges en l’honneur de J.-P. Jacqué, Paris, Dalloz, 2010, pp. 143-175.
(30) Cour EDH, Gde Ch., 23 février 2012, Hirsi Jamaa et al. c/ Italie, &sect; 28 (la
Charte est mentionnée dans la partie &laquo; en fait &raquo; au titre de l’article 19 relatif &agrave; la
&laquo; protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’éloignement) ; &sect; 135 (la Cour
rappelle dans la partie &laquo; en droit &raquo; que le principe de non-refoulement est consacré &agrave;
l’article 19 de la Charte). La Charte est ensuite mentionnée &agrave; deux endroits au sein
de l’opinion concordante du juge portugais qui resitue le principe d’interdiction de
refoulement des réfugiés (article 19 &sect; 2) dans le contexte normatif international et
européen comme l’interdiction de l’expulsion collective des étrangers (article 19 &sect; 1).
(31) Cour EDH, 10 avril 2012, Babar Ahmad e.a. c/ Royaume-Uni ; Cour EDH,
17 janvier 2012, Harkins et Edwards c/ Royaume-Uni.
(32) Cour EDH, 19 janvier 2012, Popov c/ France, &sect; 61 (l’article 24 de la Charte
est mentionné dans la partie &laquo; en fait &raquo; ; la Cour rappelle qu’elle a acquis une valeur
contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009).
(33) Cour EDH, 17 janvier 2012, Zontul c/ Grèce, &sect; 81 (l’article 21 de la Charte
est mentionnée par le tiers intervenant, le Center of Justice and Accountability, et est
retranscrit dans la partie &laquo; en fait &raquo; de l’arr&ecirc;t).
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de divulgation d’informations imposées aux avocats (Michaud) (34), ou encore
des monopoles en matière de radiodiffusion (Centro Europa 7 SRL) (35).
Parmi les bases juridiques les plus mentionnées, l’article 19 remporte la
palme contentieuse puisqu’il est au cœur de trois importantes et délicates
affaires (Hirsi Jamaa, Babar Ahmed et Harkins &amp; Edwards). Si la première
est majeure en ce qu’elle octroie pour la première fois une portée extraterritoriale &agrave; l’article 4 du Protocole no 4 de la Convention (36), les deux
dernières — concernant les mesures d’extradition vers les États-Unis — sont
intéressantes en ce que la Cour de Strasbourg clarifie sa jurisprudence relative
&agrave; l’article 3 relatif &agrave; la prohibition de la torture. En visant l’article 19 de la
Charte — concernant la protection d&ucirc; &agrave; tout individu en cas d’éloignement,
d’expulsion et d’extradition — elle affirme que la protection contre le risque
de traitements contraires &agrave; l’article 3 reste absolue et ce, m&ecirc;me en cas de
lutte contre le terrorisme. Toutefois, la Cour précise que &laquo; le caractère absolu
de l’article 3 de la CEDH ne signifie pas que toute forme de mauvais traitements puisse faire obstacle &agrave; une expulsion &raquo;, &sect; 129, Harkins &amp; Edwards).
II. — LES INTERACTIONS ORGANIQUES VERTICALES
Les gardiens des Constitutions restent et resteront des acteurs majeurs du
dialogue des juges. Quand bien m&ecirc;me la règle du jeu conventionnel implique
que leurs décisions puissent &ecirc;tre &laquo; désavouées &raquo; sur l’autel du standard européen, il n’en reste pas moins qu’elles sont également souvent confirmées et
louées par la Cour de Strasbourg (A). Surtout, elles restent &agrave; la commande
des destinées de l’intégration européenne en décidant, souverainement, de ne
pas la bloquer... (B).
A. — La Cour de Strasbourg, juge des Cours constitutionnelles
1. Le contr&ocirc;le des décisions constitutionnelles
Les affaires o&ugrave; la jurisprudence constitutionnelle est valorisée sont importantes. Il faut dire que &laquo; l’air du temps &raquo; s’y pr&ecirc;te particulièrement. Il faut
(34) Cour EDH, 6 décembre 2012, Michaud c/ France, &sect; 106 (la Charte est mentionnée dans son ensemble dans un passage o&ugrave; la Cour de Strasbourg resitue les apports
de l’arr&ecirc;t Bosphorus du 30 juin 2005).
(35) Cour EDH, Gde Ch., 7 juin 2012, Centro Europa 7 SRL c/ Italie, &sect; 76 (la
Charte est mentionnée de fa&ccedil;on indirecte dans la partie &laquo; en fait &raquo; de l’arr&ecirc;t puisque
c’est la retranscription d’une résolution du Parlement européen qui est effectuée et
qui la mentionne).
(36) Dans le cadre de cette dramatique affaire de migrants érythréens et somaliens
interceptés par la marine italienne en haute mer et renvoyés vers la Libye, la Cour
pour la première fois de son histoire contentieuse fut amenée &agrave; examiner l’applicabilité
de l’article 4 du protocole no 4 &agrave; un cas d’éloignement d’étrangers vers un État tiers
effectué en dehors du territoire national.
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ménager les pouvoirs judiciaires des États pour en faire plus que jamais des
alliés objectifs du système conventionnel dont on sait qu’il est attaqué par
certains Exécutifs, excédés des interprétations par trop audacieuses de la Cour
de Strasbourg. Au-del&agrave; de cette exigence d’ordre structurel, la variété du
contentieux démontre que les sujets les plus variés permettent de montrer
aux Cours constitutionnelles que leur jurisprudence est prise au sérieux &agrave;
Strasbourg : de l’adoption pour les couples de m&ecirc;me sexe (Gas et Dubois)
&agrave; la terrifiante politique d’&laquo; effacement &raquo; mis en œuvre par la jeune République
Slovène &agrave; l’encontre des ressortissants de l’ancienne Yougoslavie (Kuric et
autres) en passant par la question de l’interdiction de l’affiliation aux partis
politiques pour les fonctionnaires de police (Strzelecki) (a). Elle est également
bien évidemment mise &agrave; l’index quand elle est révélatrice d’une vision qui
ne cadre pas — on devrait dire qui ne cadre plus — avec les évolutions
sociétales contemporaines o&ugrave; le curseur est celui de l’égalité, notamment entre
les hommes et les femmes et la mise au ban des sociétés des conceptions
archa&iuml;ques de la vision de leur r&ocirc;le respectif (Konstantin Markin) (b).
a. La face positive du contr&ocirc;le
Dans la très médiatisée affaire Gas et Dubois (37) relative &agrave; la question
de l’adoption par un des partenaires d’un couple homosexuel — qui diffère
de l’adoption par un célibataire homosexuel (CEDH, Gde Ch., 22 janvier
2008, EB c/ France) — tout le raisonnement de la Cour a consisté &agrave; comparer
ce qui est comparable — en l’espèce les droits de personnes reliées par un
PACS, ce qui était le cas des deux requérantes. Les arguments présentés par
ces dernières ne se sont pas situés sur ce terrain. Les demanderesses se
plaignaient du rejet de l’adoption, sollicitée par la première requérante, de
l’enfant de sa compagne mis au monde par procréation médicalement assistée ;
elles estimaient que le motif pris des conséquences légales d’une telle adoption
— i.e., le retrait de l’autorité parentale de la mère — constituait un obstacle
définitif &agrave; l’adoption pour les couples de m&ecirc;me sexe (hypothèse dite de
l’adoption simple dans le système fran&ccedil;ais). Tout leur raisonnement consistait
&agrave; affirmer que, contrairement aux personnes de sexe différent (qui peuvent
se marier), elles ne pouvaient contracter mariage et donc bénéficier des dispositions de l’article 365 du code civil &agrave; l’instar des couples hétérosexuels. Et
d’invoquer une violation de l’article 8 combiné avec l’article 14. La réponse
de la Cour fut teintée de prudence ; elle ne s’aventura guère &agrave; remettre en
cause le libellé et la portée de l’article 365, &agrave; l’instar de ce qu’avait décidé
un an et demi auparavant le Conseil constitutionnel statuant dans la m&ecirc;me
affaire au moyen d’une QPC (Cons. const., 6 octobre 2010, QPC). M&ecirc;me si
Jean-Paul Costa dans son opinion concordante fit clairement comprendre qu’il
était sans doute temps que le législateur pense &agrave; réformer l’article de la
discorde, il adhéra &agrave; la démarche globale de la Cour marquée par une retenue
(37) Cour EDH, 15 mars 2012, Gas et Dubois c/ France.
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toute conciliante &agrave; l’égard des choix de société qui incombent aux représentants
du peuple (38). Tel n’était pourtant pas le sens de l’intervention de cinq types
d’associations — dont la FIDH et la Commission internationale des juristes
— représentées par le spécialiste internationalement reconnu sur les questions
d’orientation sexuelle — le professeur Robert Wintemute pour ne pas le
nommer. Rien n’y a fait. La Cour resta fidèle &agrave; sa démarche empreinte de
retenue judiciaire : braquer inutilement les États en leur imposant des choix
importants de société serait contre productif. Partant, s’arrimant au dispositif
législatif fran&ccedil;ais actuel, elle constata que l’interdiction de l’adoption simple
qui est opposée aux personnes reliées par un PACS sur la base de l’article 365
est identique, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles : il n’y a donc
pas de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des requérantes.
Il n’y a pas que les questions de société qui révèlent une déférence remarquée
aux systèmes juridiques internes et notamment &agrave; la jurisprudence des Cours
constitutionnelles. Deux affaires démontrent que l’histoire a sans cesse des
implications dans le présent, et ce de fa&ccedil;on plus ou moins dramatiques.
Les crimes du passé finissent toujours par ressurgir &agrave; l’instar de l’affaire
Kuric et autres (39). Or, quand ils re&ccedil;oivent le soutien des instances exécutives
et législatives d’un jeune pays encore en proie &agrave; certaines dérives (i.e. la
Slovenie), il arrive que la Cour constitutionnelle puisse jouer un r&ocirc;le de
contre-poids démocratique majeur. Dans un tel contexte, la Cour européenne
n’hésite pas &agrave; valoriser une attitude exemplaire de cet acabit. Il convient &agrave;
ce stade de rappeler qu’une fois indépendante, la Slovénie mit en place une
politique en matière de nationalité qui non seulement mit &agrave; mal tout le modus
vivendi existant sous l’empire de l’ex-RFSY (40), mais a également et surtout
(38) Opinion concordante de JP Costa in fine : &laquo; En réalité, et ce sera ma dernière
remarque, la jurisprudence admet qu’il y a des domaines dans lesquels le législateur
national est mieux placé que le juge européen pour changer des institutions qui concernent la famille, les rapports entre les adultes et les enfants, la notion de mariage. Je
prends un exemple. La question du mariage homosexuel est un sujet de débat démocratique, dans plusieurs pays d’Europe. C’est largement pour cette raison que la Cour,
dans un arr&ecirc;t récent, a préféré exercer un contr&ocirc;le restreint sur les choix nationaux
(Schalk et Kopf c/ Autriche, no 30141/04, CEDH 2010). Il me semble que la cohérence
de la politique jurisprudentielle commande une démarche aussi réservée dans la présente
affaire, m&ecirc;me si l’économie de l’article 365 du code civil ne me para&icirc;t guère convaincante ... Puisse donc le législateur fran&ccedil;ais ne pas se contenter de la non-violation &agrave;
laquelle nous avons conclu, et décider, si je puis dire, de revoir la question. &raquo; (c’est
nous qui soulignons).
(39) Cour EDH, Gde Ch., 26 juin 2012, Kuric et autres c/ Slovénie.
(40) Il faut ici faire un peu d’histoire pour bien comprendre les tenants et aboutissants
de la politique slovène après l’obtention de son indépendance (les points 16 &agrave; 20 de
l’arr&ecirc;ts sont très explicites &agrave; cet égard) : &laquo; La République socialiste fédérative de
Yougoslavie — la “RSFY” — était un État fédéral composé de six républiques : la
Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie, la Slovénie, le Monténégro et la Macédoine.
Ressortissants &agrave; la fois de la RSFY et de l’une des six républiques, les ressortissants
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participer &agrave; &laquo; effacer &raquo; l’existence de milliers de personnes (plus de 25 000)
qui, anciens ressortissants de l’ex-RFSY et résidents permanents en Slovénie,
n’ont plus eu d’existence légale du jour au lendemain. Lisons la Cour européenne pour comprendre ce phénomène : &laquo; L’effacement a eu pour eux [les
ressortissants de l’ex-RFSY ayant perdu leur statut de résident permanent]
un certain nombre de conséquences néfastes telle que la destruction de leurs
papiers d’identité, la perte de possibilités d’emploi, la perte de leur assurancemaladie, l’impossibilité de renouveler leurs papiers d’identité et leurs permis
de conduire, et des difficultés pour faire valoir leurs droits &agrave; pension &raquo; (&sect; 136).
Le jeune État souverain créa un nombre massif d’apatrides, alors que le droit
international coutumier impose d’éviter l’apatridie et d’améliorer la situation
de ceux qui le deviennent, en particulier en cas de succession d’États (éléments
rappelés par le tiers intervenant, Open Society Justice Initiative, &sect; 332). La
Cour européenne et le juge Zupanćić valorisèrent les différentes décisions de
la Cour constitutionnelle slovène qui utilisa l’arme du droit pour contester
une politique très dangereuse qualifiée de &laquo; nettoyage ethnique légaliste &raquo;
(expression du juge slovène Zupanćić, reprenant &agrave; son compte dans son opinion
concordante, la formule du juge Vućinić). La Cour le fit mais a minima en
démontrant l’impuissance de la Cour constitutionnelle : &laquo; La Cour estime que,
malgré les efforts déployés par elles après les décisions rendues par la Cour
constitutionnelle en 1999 et en 2003 et, récemment, avec l’adoption de la
loi modifiée sur le statut juridique, les autorités slovènes n’ont pas remédié
de la RSFY avaient une “double nationalité” &agrave; l’intérieur du pays. Jusqu’en 1974, la
nationalité fédérale primait la nationalité de la république : seul un ressortissant yougoslave pouvait détenir la nationalité d’une république. Les règles régissant la nationalité
étaient les m&ecirc;mes dans toutes les républiques de la RSFY, le principe de base étant
l’acquisition de la nationalité par le droit du sang (jus sanguinis). En principe, un
enfant avait la m&ecirc;me nationalité que ses parents ; si ceux-ci n’étaient pas ressortissants
de la m&ecirc;me république, ils décidaient ensemble de la nationalité de leur enfant. À la
date de l’acquisition de la nationalité d’une autre république, la personne en question
perdait la nationalité de la république dont elle était antérieurement ressortissante. À
partir de 1947, on tint des registres de ressortissants distincts au niveau des républiques,
mais non au niveau de l’État fédéral. À partir de 1974, les informations relatives &agrave;
la nationalité des nouveau-nés furent inscrites au registre des naissances et, &agrave; partir
de 1984, on cessa de consigner ces renseignements dans le registre des ressortissants,
toutes les informations relatives &agrave; la nationalité étant portées sur le registre des naissances. Les ressortissants de la RSFY jouissaient de la liberté de circulation dans l’État
fédéral et pouvaient faire enregistrer leur résidence permanente l&agrave; o&ugrave; ils décidaient de
s’installer sur le territoire de la RSFY. La pleine jouissance des divers droits civils,
économiques, sociaux, voire politiques, était liée &agrave; la résidence permanente. Les ressortissants de la RSFY qui vivaient dans ce qui était alors la République socialiste de
Slovénie, mais qui avaient la nationalité de l’une des autres républiques, comme les
requérants, faisaient enregistrer leur résidence permanente dans cette république de la
m&ecirc;me fa&ccedil;on que les citoyens slovènes. Les ressortissants étrangers pouvaient également,
suivant une procédure distincte, devenir résidents permanents en RSFY. &raquo;
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&agrave; tous égards et avec la célérité voulue au caractère généralisé de l’&laquo; effacement &raquo; et &agrave; ses graves conséquences pour les requérants. &raquo; (&sect; 360). Dans son
opinion concordante, le juge slovène fut plus emphatique : &laquo; Pour &ecirc;tre juste
envers le système juridique national, nous devons tenir compte de la position
honorable de la Cour constitutionnelle slovène face &agrave; la poursuite de cette
situation épouvantable. Cela montre une fois de plus que la défense nationale
des droits constitutionnels est la meilleure antichambre de notre propre protection des droits de l’homme. (.../...) Dans cette affaire colossale, la Cour
constitutionnelle a identifié l’injustice. &raquo;
Les faits de l’affaire Strzelecki (41) sont assurément moins graves, mais
tout aussi révélateurs de la difficulté de juger des systèmes o&ugrave; les stigmates
de régimes passés sont toujours présents. Interdire &agrave; différents corps de fonctionnaires (notamment des agents de garde communal) de s’affilier &agrave; des
partis politiques est-il contraire &agrave; l’article 11 de la Convention ? Voil&agrave; la
problématique de cette affaire polonaise o&ugrave; la Cour constitutionnelle avait
été amenée &agrave; justifier une telle interdiction. Dans les très longs passages
reproduisant son arr&ecirc;t du 10 avril 2002 (no K26/00) (&sect;&sect; 16-23), on y apprend
qu’un de ses arguments était basé sur l’histoire : &laquo; l’interdiction en cause était
en rapport avec le passé historique récent de la Pologne, pays dont le régime
politique avait été pendant longtemps fondé sur le principe du parti unique.
À cette époque-l&agrave; en particulier la police avait constitué pour les dirigeants
un outil de représailles &agrave; l’égard des opposants politiques. L’adoption, par
les autorités actuelles, &agrave; l’égard des policiers et d’autres agents de l’État
investis de compétences équivalentes, de mesures de dépolitisation susceptibles
de déboucher sur des restrictions &agrave; leur liberté de réunion et d’association
se justifiait par la nécessité de préserver la confiance légitime des citoyens
envers l’État et de protéger l’ordre public et les droits des particuliers. &raquo; Elle
n’a pas exclu toutefois qu’une législation future puisse modifier un tel état
de fait &laquo; sous réserve d’un fonctionnement des institutions et mécanismes
démocratiques suffisamment performant pour que le maintien des restrictions
concernées ne soit plus indiqué. &raquo; (&sect; 23). Cet argumentaire a convaincu la
Cour européenne qui n’hésita pas &agrave; l’intégrer dans sa motivation &agrave; plusieurs
reprises (&sect; 44, 45, 46, 53, 54) pour déclarer conforme &agrave; la Convention une
telle interdiction. On relèvera l’opinion concordante du juge islandais
Bj&ouml;rgvinsson qui pointe une contradiction tout en l’acceptant aussit&ocirc;t, au nom
de cette nouvelle tendance qui consiste &agrave; valoriser la force du national et
donc du subsidiaire : &laquo; Comme le souligne le &sect; 45 de l’arr&ecirc;t, la Cour constitutionnelle polonaise a jugé que les restrictions litigieuses pouvaient se justifier
par des considérations tenant au passé communiste du pays. (.../...) Il me
para&icirc;t quelque peu étonnant que la Cour constitutionnelle polonaise ait estimé
que la Pologne se trouvait encore, d’une certaine fa&ccedil;on, dans une période
transitoire plus de douze ans après l’effondrement du communisme. Cela
(41) Cour EDH, 10 avril 2012, Strzelecki c/ Pologne.
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étant, je ne suis pas en mesure de réfuter cette opinion. Après tout, la Cour
constitutionnelle est mieux placée qu’un juge international pour apprécier la
nécessité des restrictions en cause de la lumière de la situation actuelle.
Toutefois, je pense que les limitations apportées au droit du requérant d’adhérer
&agrave; un parti politique ne peuvent se justifier qu’au regard de ce contexte historique
et transitoire. &raquo;
b. La face négative du contr&ocirc;le
En déclarant discriminatoire dans l’affaire Konstantin Markin (42) la politique législative russe &agrave; l’encontre des hommes dans le cadre de l’armée en
matière d’octroi de congés parentaux (violation de l’article 14 combiné avec
l’article 8, &agrave; 16 voix contre 1), la Cour est audacieuse. Non seulement elle
opère un revirement de jurisprudence eu égard &agrave; son arr&ecirc;t Petrovic (CEDH,
27 mars 1998, Petrovic c/ Autriche) — qui plus est en l’appliquant aux faits
de l’espèce, autrement dit en décidant de ne pas jouer sur le &laquo; facteur temps &raquo;
pour adoucir la condamnation — mais encore elle le fait en s’attaquant bille
en t&ecirc;te &agrave; des stéréotypes tenaces au sein de nombreuses sociétés sur le r&ocirc;le
alloué aux hommes et, par ricochet, aux femmes en mettant clairement et
sans ménagement &agrave; l’index la jurisprudence de la Cour constitutionnelle russe.
Reproduite au &sect; 34 de l’arr&ecirc;t, voil&agrave; ce que l’on peut y lire : &laquo; Les exigences
inhérentes &agrave; la fonction militaire commandent que l’on exclue toute possibilité
d’autoriser, sur une grande échelle, des militaires &agrave; ne pas exercer leurs t&acirc;ches,
ce en raison des conséquences négatives qui pourraient en résulter pour les
intér&ecirc;ts publics protégés par la loi. On ne saurait donc voir dans le refus
d’octroyer un droit au congé parental aux militaires de sexe masculin une
atteinte &agrave; leurs droits et libertés constitutionnels, dont le droit de s’occuper
de leurs enfants et de les éduquer garanti par l’article 38 &sect; 2 de la Constitution
russe. Cette restriction se justifie par ailleurs par le caractère volontaire de
l’engagement dans l’armée. L’octroi &agrave; titre exceptionnel, par le législateur,
du droit au congé parental aux seuls militaires de sexe féminin tient compte,
d’une part, de la faible représentation des femmes au sein de l’armée et, de
l’autre, du r&ocirc;le social spécial dévolu aux femmes en liaison avec la maternité.
[Ces considérations] vont dans le sens de l’article 38 &sect; 1 de la Constitution
russe. Dès lors, la décision prise par le pouvoir législatif ne saurait passer
pour porter atteinte aux principes d’égalité des droits et des libertés de l’homme
et du citoyen et d’égalité de droits entre hommes et femmes, tels que les
garantit l’article 19 &sect;&sect; 2 et 3 de la Constitution de la Fédération de Russie &raquo;.
Inutile de dire que le gouvernement se fit fort de mettre en avant une telle
analyse (&sect; 113) en revenant sur l’argument de la &laquo; spécificité &raquo; des exigences
du service dans les forces armées. Autant d’arguments combattus par le tiers
intervenant (le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand) et in fine
par la Cour européenne. En effet, en s’attaquant &agrave; une double discrimination sur
(42) Cour EDH, Gde Ch., 22 mars 2012, Konstantin Markin c/ Russie.
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la base du sexe et de la profession (i.e., refus d’octroi aux militaires masculins
d’un congé parental), la Grande chambre a voulu en finir avec les visions
archa&iuml;ques — on ose dire machistes — qui gouvernent la distribution des
r&ocirc;les entre hommes et femmes. Le &sect; 143 mérite d’&ecirc;tre reproduit car il a
vocation in fine &agrave; s’appliquer &agrave; tout type d’a priori psycho-social : &laquo; La Cour
[...] conclut que la répartition traditionnelle des r&ocirc;les entre les sexes dans la
société ne peut servir &agrave; justifier l’exclusion des hommes, y compris ceux
travaillant dans l’armée, du droit au congé parental. La Grande Chambre
considère comme la chambre que les stéréotypes liés au sexe — telle l’idée
que ce sont plut&ocirc;t les femmes qui s’occupent des enfants et plut&ocirc;t les hommes
qui travaillent pour gagner de l’argent — ne peuvent en soi passer pour
constituer une justification suffisante de la différence de traitement en cause,
pas plus que ne le peuvent des stéréotypes du m&ecirc;me ordre fondés sur la
race, l’origine, la couleur ou l’orientation sexuelle &raquo; (c’est nous qui soulignons). Dictum fort — qui est en creux un désaveu cinglant &agrave; l’égard de la
jurisprudence constitutionnelle russe — dont on s’aventure &agrave; penser qu’il ne
manquera pas d’&ecirc;tre mobilisé par la Cour dans sa jurisprudence future surtout
si on &agrave; également égard &agrave; l’affirmation selon laquelle il est impossible de
renoncer au droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur le
sexe, car &laquo; pareille renonciation se heurterait &agrave; un intér&ecirc;t public important &raquo;
(&sect; 150)...
2. Le contr&ocirc;le de l’argumentaire constitutionnel
L’argumentaire constitutionnel concerne l’invocation par les parties &agrave; l’instance, les tiers intervenants et/ou par les juges de la Cour européenne euxm&ecirc;mes d’un argumentaire qui repose sur l’utilisation de la jurisprudence
constitutionnelle dans le but explicite de conforter leur point de vue. La Cour
a le dernier mot sur ce jeu &agrave; multiples facettes qui est révélateur des équilibres
&agrave; maintenir entre le contr&ocirc;le européen et les marges de manœuvres nationales.
L’affaire Von Hannover no 2 (43) est un modèle du genre o&ugrave; les demandeurs,
l’État défendeur comme les amici curiae ont mis au centre de leurs diverses
stratégies, l’interprétation qu’il fallait délivrer de la nouvelle jurisprudence
des juridictions allemandes, y compris celle du Tribunal de Karlsruhe — en
matière de liberté d’expression. De son c&ocirc;té, l’affaire Hulea (44) révèle la
manière dont le gouvernement défendeur tenta, sans succès, de mettre en
valeur une jurisprudence constitutionnelle progressiste mais qui, in casu, ne
put faire échapper la Roumanie &agrave; un constat de violation.
Quand la Cour affirme de fa&ccedil;on solennelle que l’affaire Von Hannover
no 2 n’a pas pour objet de &laquo; de savoir si l’Allemagne a satisfait &agrave; ses obligations
(43) Cour EDH, Gde Ch., 7 février 2012, Van Hannover (no 2) c/ Allemagne.
(44) Cour EDH, 2 octobre 2012, Hulea c/ Roumanie
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découlant de l’article 46 de la Convention en ce qui concerne l’exécution de
l’arr&ecirc;t Von Hannover &raquo; (&sect; 94) — qu’elle rendait en 2004 — le lecteur n’est
pas dupe. S’il est un fait indéniable que le contr&ocirc;le de l’exécution de ses
arr&ecirc;ts incombe au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, il n’en reste
pas moins que la prise de connaissance des arguments — des parties &agrave;
l’instance (&sect;&sect; 83-89 pour les requérants et &sect;&sect; 76-82 pour le gouvernement),
comme de celle des tiers intervenants (&sect;&sect; 90-93) — ainsi que des éléments
de la motivation de la Grande Chambre, démontrent le caractère passablement
relatif d’une telle assertion. Lisons plut&ocirc;t le &sect; 114 qui aborde ainsi la problématique : &laquo; La Cour relève les modifications apportées &agrave; la suite de l’arr&ecirc;t
Von Hannover par la Cour fédérale de justice &agrave; sa jurisprudence antérieure. &raquo;
On l’aura compris, le noeud gordien de cette nouvelle affaire de la &laquo; Princesse
Caroline de Monaco &raquo; concernait bien en réalité la délicate évaluation de la
manière dont les juridictions allemandes avaient pris en compte la nouvelle
orientation jurisprudentielle que la Cour européenne avait insufflé &agrave; la protection de la vie privée par le détour du droit &agrave; l’image (CEDH, 24 juin 2004,
Von Hannover c/ Allemagne). Exercice &ocirc; combien délicat quand on sait qu’elle
est contrainte de ménager les États et leurs juridictions supr&ecirc;mes et constitutionnelles si elle ne veut pas accro&icirc;tre le niveau et la fréquence des résistances
en tout genre qui se manifestent promptement ces dernières années. À l’unanimité, elle absolvait l’Allemagne d’une condamnation (sur la base de l’article 8)
qui n’aurait pas manqué de décha&icirc;ner passions et critiques en tout genre. Les
demandeurs (Caroline de Monaco et son époux) seront assurément désappointés eux qui avaient entièrement axé leur argumentaire sur le fait que l’Allemagne n’exécutait pas l’arr&ecirc;t de la Cour européenne (&sect;&sect; 83-89). Et de mettre
&agrave; l’index notamment le fait que : &laquo; dans son arr&ecirc;t G&ouml;rg&uuml;l&uuml;, la Cour constitutionnelle fédérale aurait souligné qu’il fallait éviter une exécution schématique
des arr&ecirc;ts de la Cour. La cour d’appel aurait quant &agrave; elle clairement observé
en l’espèce que l’arr&ecirc;t de la Cour constitutionnelle fédérale de 1999 primait.
Quant &agrave; la Cour fédérale de justice et la Cour constitutionnelle fédérale, elles
contourneraient l’arr&ecirc;t Von Hannover et continueraient &agrave; employer la notion
de personnalité (absolue) de l’histoire contemporaine, pourtant mise en cause
par la Cour, en utilisant les termes &laquo; personne de grande notoriété &raquo; ou
&laquo; personne connue du grand public &raquo;, et — de facto — l’élément de l’isolement
spatial en recourant désormais &agrave; l’expression &laquo; moments de détente et de
laisser-aller en dehors des obligations de la vie professionnelle ou quotidienne &raquo;
(&sect; 84). La critique est radicale et ne peut pas &ecirc;tre plus éloignée des arguments
du gouvernement défendeur comme de ceux des tiers intervenants, i.e. des
maisons d’édition allemandes et des associations de défense de la liberté de
la presse. De concert, ils mirent en avant le fait que l’arr&ecirc;t Von Hannover
avait eu des effets considérables sur le droit de la presse en Allemagne et
m&ecirc;me en Europe. La défense gouvernementale était explicite : &laquo; jusqu’&agrave; l’arr&ecirc;t
Von Hannover les juridictions allemandes ont employé la notion, caractérisée
par une absence de flexibilité, de &laquo; personnalité absolue de l’histoire contemporaine &raquo;, qui ne bénéficiait que d’une protection réduite en droit allemand. À
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la suite de l’arr&ecirc;t Von Hannover, la Cour fédérale de justice aurait abandonné
ce concept et développé celui de protection (graduée) en vertu duquel il
faudrait désormais démontrer pour chaque photo qu’il existe un intér&ecirc;t de la
publier. &raquo; (&sect; 78).
Devant des stratégies judiciaires si antagonistes, la Cour consacra de longs
développements &agrave; faire le point sur les &laquo; principes généraux &raquo; de sa jurisprudence. Elle rappela en trois temps son interprétation des contours de la vie
privée, de la liberté d’expression et last but not least, de la marge nationale
d’appréciation accordée aux États quand ces deux droits sont en opposition.
Et d’affirmer sur ce dernier point un élément capital : &laquo; Dans des affaires
comme la présente espèce, qui nécessitent une mise en balance du droit au
respect de la vie privée et du droit &agrave; la liberté d’expression, la Cour considère
que l’issue de la requ&ecirc;te ne saurait en principe varier selon qu’elle a été
portée devant elle, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne
faisant l’objet du reportage ou, sous l’angle de l’article 10, par l’éditeur qui
l’a publié. &raquo; (&sect; 106). Ayant posé l’équivalence de la marge nationale quand
ces deux droits sont en jeu, elle rappelle — en jouant &agrave; dessein la carte de
la pédagogie — les critères de la &laquo; mise en balance &raquo; : 1) la contribution de
la publication &agrave; un débat d’intér&ecirc;t général ; 2) la notoriété de la personne
visée et l’objet du reportage ; 3) le comportement antérieur de la personne
concernée ; 4) le contenu, la forme et les répercussions de la publication ;
et, enfin, 5) les circonstances de la prise des photos. Ces éléments lui permirent
de considérer qu’in casu, les juridictions allemandes avaient été irréprochables,
non seulement parce qu’elles censuraient deux photos sur trois de la princesse
Caroline de Monaco et de son mari, mais encore parce qu’elles l’avaient fait
en appliquant les critères de sa propre jurisprudence (&sect; 125). La photo qui
évita la condamnation des juridictions allemandes concernait le couple Van
Hannover en vacances d’hiver &agrave; Saint-Moritz. A ceux qui se posent légitimement la question de savoir en quoi une telle photo pouvait contribuer &agrave; un
débat d’intér&ecirc;t général, la réponse se trouve dans le commentaire qui lui est
associé. Il concernait en l’espèce la maladie du Prince Rainier, considérée
par les juridictions allemandes comme un &laquo; événement de l’histoire contemporaine &raquo;. Le reportage consistait &agrave; démontrer qu’alors que le Prince était malade,
Caroline de Monaco et son mari décidaient de passer des vacances au sport
d’hiver tandis que le prince Albert se trouvait &agrave; Salt Lake City, participant
aux Jeux Olympiques comme membre de l’équipe monégasque de bobsleigh ;
seule Stéphanie de Monaco ayant décidé de rester auprès de son père souffrant.
Cette technique qui consiste &agrave; apprécier la valeur informative d’une photo &agrave;
la lumière du commentaire l’accompagnant n’est pas jugée inconventionnelle
par la Cour (&sect; 118, v. également CEDH, 7 décembre 2006, Österreichischer
Rundfunk c/ Autriche). Or, les dangers d’un tel procédé — qui peut évidemment
&ecirc;tre un subterfuge pour arriver &agrave; publier des photos volées et dépourvues de
caractère d’intér&ecirc;t général — ne sont pas &agrave; ignorer. Ils furent d’ailleurs mis en
avant par les requérants qui dénoncèrent l’instrumentalisation par les éditeurs
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allemands de la jurisprudence de la Cour : ils leur suffisaient de présenter
un commentaire dans lequel une ou plusieurs références &agrave; un &laquo; événement
de l’histoire contemporaine &raquo; existaient, pour que des photos en elles-m&ecirc;mes
dépourvues d’intér&ecirc;t puissent &ecirc;tre publiées. A cet argument du contournement
de la jurisprudence de la Cour, celle-ci rétorqua, marge nationale d’appréciation
oblige, qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur d’éventuelles futures
publications de photos des demandeurs ; et de leur faire explicitement comprendre qu’&laquo; il leur sera loisible de saisir les juridictions nationales compétentes
&agrave; cet effet &raquo; (&sect; 119). Le contentieux monégasque devant les juridictions allemandes a encore de beaux jours devant lui.
L’affaire Hulea (45) est l’affaire jumelle de l’affaire Konstantin Markin
jugée en grande chambre quelques mois plus t&ocirc;t : le requérant, employé dans
l’armée, se plaignait du refus des autorités roumaines de lui octroyer un
congé parental en raison de son appartenance aux sexe masculin. La Cour
constitutionnelle fut irréprochable, on devrait m&ecirc;me dire avant-gardiste. À
travers la technique de la question prioritaire de constitutionnalité, elle estima
dans une décision du 10 février 2005 (no 90) que la loi roumaine litigieuse
(loi no 19/2001) était contraire au principe d’égalité devant la loi et de nondiscrimination selon le sexe (tous deux inscrits dans la Constitution roumaine).
C’était sans compter avec l’attitude des juges ordinaires : alors qu’ils devaient
prendre en compte la décision constitutionnelle, ils la vidèrent de sa substance
en indiquant &laquo; que la disposition légale critiquée par la Cour constitutionnelle
n’était de toute manière pas applicable car le requérant n’avait pas fourni de
justificatifs démontrant qu’il avait payé les cotisations nécessaires afin de
bénéficier du congé parental &raquo; (&sect; 16). Le gouvernement fit tout ce qu’il put,
au stade de la recevabilité de l’affaire, pour obtenir l’incompétence de la
Cour européenne en obtenant la radiation de l’affaire du r&ocirc;le. Et d’arguer
que le requérant n’avait plus la qualité de victime gr&acirc;ce &agrave; l’arr&ecirc;t du 10 février
2005 de la Cour constitutionnelle. De l’art d’instrumentaliser une jurisprudence
constructive pour échapper au couperet conventionnel... Cela ne fut évidemment pas suffisant puisque la Cour de Strasbourg rappela, fort &agrave; propos,
qu’&laquo; une décision ou une mesure favorable au requérant ne peut en principe
lui &ocirc;ter la qualité de &laquo; victime &raquo; que si les autorités nationales ont reconnu,
explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention &raquo;
(&sect; 29). Ainsi, en dépit de l’arr&ecirc;t de la Cour constitutionnelle, l’action en
dédommagement formée par le requérant en raison de la discrimination subie
a par la suite été rejetée par la Cour d’appel de Bačau ; la violation de
l’article 14 combiné avec l’article 8 fut, dans un tel contexte contentieux,
unanime.
(45) Cour EDH, 2 octobre 2012, Hulea c/ Roumanie
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B. — Les Cours constitutionnelles, juges de la constitutionnalité
des systèmes transnationaux
1. Les Cours constitutionnelles et la primauté du droit de l’Union
Après le sauvetage de la Grèce — qui mobilisa déj&agrave; l’année dernière
plusieurs tribunaux constitutionnels — c’est essentiellement la ratification du
traité du 2 mars 2012 — le Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (ci-après &laquo; TSCG &raquo;
ou encore &laquo; Pacte budgétaire &raquo;) et du Traité sur le mécanisme européen de
stabilité (ci après &laquo; TMES &raquo;) du 12 février 2012, qui furent au centre des
politiques jurisprudentielles de plusieurs juges constitutionnels européens
comme de la Cour de justice de l’Union européenne (arr&ecirc;t Pringle) (46) : ce
dernier arr&ecirc;t sauva, ni plus ni moins le TMES et, ce faisant, le cours des
destinées de la stabilisation financière en Europe. Cet exercice de haut vol
de la &laquo; conciliation des contraires &raquo; par la valorisation de principes participant
&agrave; une heureuse articulation des systèmes (a) fut accompagné, comme chaque
année, par des jurisprudence qui, clairement bien qu’indirectement, n’en ont
pas moins contr&ocirc;lé le droit dérivé de l’Union (b).
a. Les Cours constitutionnelles et l’articulation des systèmes
Le TSCG est un traité intergouvernemental, signé &agrave; 25 et non &agrave; 27 (le
Royaume-Uni et la République tchèque ayant décidé de faire &laquo; bande &agrave; part &raquo;),
tout en ayant vocation &agrave; &ecirc;tre intégré dans l’ordre juridique de l’Union dans
un délai maximum de cinq ans suivant son entrée en vigueur (article 16
TSCG). Il est &agrave; lui tout seul révélateur des astucieuses mais complexes
ingénieries juridiques que le droit de l’Union fournit &agrave; intervalles réguliers (47).
Quant au TMES, il fonde une organisation internationale qui a vocation &agrave;
remplacer tout &agrave; la fois la FESF — la société anonyme de droit luxembourgeois
qui avait été créée dans l’urgence le 9 mai 2010 pour faire face &agrave; la crise
grecque — et le MESF — le Mécanisme européen de stabilité financière,
(46) Le TMES met en place les outils permanents pour assurer la stabilité financière
au sein de l’Union. Pour y parvenir, le 25 mars 2011, le Conseil européen avait prévu,
dans sa décision 2011/199, l’ajout, &agrave; l’article 136 TFUE, d’un paragraphe permettant
aux États de la zone euro d’instituer un mécanisme de stabilité permanent : &laquo; les États
membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui
sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans
son ensemble. Ce faisant, le Conseil européen de Bruxelles du 25 mars 2011 a également
fixé les modalités de fonctionnement de ce futur MES, qui a été définitivement institué
par le traité conclu le 2 février 2012, entre les États de la zone euro, sous la forme
d’une organisation financière internationale. C’est ce montage que la Cour a &laquo; sauvé &raquo;
dans son arr&ecirc;t Pringle rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour supr&ecirc;me irlandaise.
(47) &laquo; Il s’agit d’un cadre juridique autonome venant se superposer au droit de
l’Union tout en empruntant différentes techniques propres au droit communautaire &raquo;,
N. De Sadeleer, &laquo; La gouvernance économique européenne : Léviathan ou colosse aux
pieds d’argile ? &raquo;, Europe, 2012, no 4, p. 4.
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établi par le règlement 407/2010 du Conseil en date du 11 mai 2010 sur le
fondement de l’article 122 &sect; 2 TFUE (48).
C’est la Hongrie qui intervint la première dans cette ronde des procédures
juridictionnelles préalables et nécessaires &agrave; la ratification de ces traités, suivie
par l’Estonie, la France et l’Allemagne — sans compter, last but not least,
par la Cour de justice dans le désormais fameux arr&ecirc;t Pringle (49). Entretemps, l’Estonie intervenait par le Traité sur le mécanisme européen de stabilité
(ci après &laquo; TMES &raquo;).
En Hongrie, c’est le gouvernement qui saisit la Cour constitutionnelle dans
le cadre du processus de ratification ; elle se pronon&ccedil;ait le 11 mai 2012 (50)
sur la question technique de savoir si une majorité simple ou qualifiée des
deux tiers était nécessaire pour l’autorisation législative de la ratification et
de la promulgation du TSCG. Elle était appelée &agrave; trancher la question de
savoir si un accord international ayant les caractéristiques du TSCG relevait
de la catégorie des traités visés par l’article E) : &sect; 2 de la Loi fondamentale
qui se lit ainsi : &laquo; la Hongrie, en tant que membre de l’Union européenne peut,
en application d’un trait&eacute;, exercer certaines compétences constitutionnelles en
commun avec d’autres États membres dans la mesure nécessaire &agrave; l’exercice
des droits et des obligations prévus par les traités fondateurs des Communautés
européennes et de l’Union européenne &raquo;. Le &sect; 4 de l’article E) pr&eacute;cise que :
&laquo; Le mandat n&eacute;cessaire &agrave; la ratification et la promulgation d’un trait&eacute; vis&eacute;
dans le &sect; 2 doit faire l’objet d’un vote de l’Assemblée nationale &agrave; la majorité
des deux tiers &raquo; (51). La Cour constitutionnelle rappela tout d’abord — comme
elle l’avait jugé dans son arr&ecirc;t du 14 juillet 2010 — que les dispositions
(48) Il habilite la Commission &laquo; &agrave; contracter, au nom de l’Union (...), des emprunts
sur les marchés de capitaux ou auprès d’institutions financières &raquo;.
(49) CJUE, 27 novembre 2012, Pringle, AFF C-370-12. Il ne sera pas analysé ici,
l’objet de ce passage de la chronique étant d’étudier la jurisprudence des Cours
constitutionnelles. Il fallait néanmoins le citer au regard de son importance dans le
processus de ratification du TMES et, au-del&agrave;, du &laquo; sauvetage &raquo; financier de l’Union
européenne. Il a fait immédiatement l’objet de nombreux commentaires au regard de
sa portée politique, v. notamment P. Craig, “Pringle: Legal Reasoning, Text, Purpose
and Teleology”, Maastricht Journal of European and Comparative Law, 2013, p. 3. ;
V. Borger, “The ESM and the European Court’s predicament in Pringle”, German
Law Journal, Vol. 14, no 1, p. 113 ; F. Picod, &laquo; Rien ne s’oppose au traité instituant
le mécanisme européen de stabilité &raquo;, JCP G, no 50, p. 260 ; S. Thomas, &laquo; Droit constitutionnel de l’Union-UEM, Arr&ecirc;t Pringle &raquo;, Revue du droit de l’Union européenne, 2013,
no 1, pp.198-206.
(50) Cour constitutionnelle hongroise, 11 mai 2012, no 22/2012, JO (Magyar
K&ouml;zl&ouml;ny) no 57/2012.
(51) Aux termes de la loi no L de 2005 relative &agrave; la procédure concernant les traités
internationaux, les accords internationaux qui concernent un domaine relevant de la
compétence de l’Assemblée nationale nécessitent, avant leur ratification, une autorisation
législative &agrave; la majorité simple. En revanche, la Loi fondamentale hongroise prévoit,
dans son article E), que le mandat nécessaire &agrave; la ratification et &agrave; la promulgation d’un
traité adopté dans le cadre de l’Union européenne n&eacute;cessite la majorit&eacute; des deux tiers.
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constitutionnelles qui ont servi de base juridique &agrave; l’exercice en commun
(avec les institutions de l’Union européenne) de certaines attributions qui
relèvent de la souveraineté hongroise, doivent &ecirc;tre interprétées en ce sens
que la notion de &laquo; traités &raquo; inclut — au-del&agrave; des traités fondateurs — d’autres
traités ultérieurs (52). Ceci posé, la Cour hongroise énuméra les différents
éléments d’appréciation qu’il convient de prendre en considération afin de
déterminer si un traité international relève de la catégorie des traités visés
par l’article E) &sect; 2 de la Loi fondamentale. Ils concernent 1) la participation
de la Hongrie (&agrave; l’instar des autres États parties) &agrave; l’élaboration du traité en
question (53) ; 2) l’existence ou non de nouveaux transferts de compétences
souveraines de la Hongrie vers l’Union européenne (54). Après avoir présenté
ces deux éléments d’appréciation, la Cour constitutionnelle nota qu’il appartenait au Gouvernement et &agrave; l’Assemblée nationale de les appliquer au cas
d’espèce. Le 23 novembre 2012, le vote au sein de l’Assemblée nationale
n’avait pas encore eu lieu...
En Estonie, c’est le Médiateur de la République qui saisit la Cour supr&ecirc;me
afin de contester la constitutionnalité de l’article 4 &sect; 4 du Traité instituant
le Mécanisme européen de stabilité (TMES) relatif &agrave; la procédure de vote
d’urgence (55). Dans son arr&ecirc;t du 12 juillet 2012 (56), l’assemblée plénière,
(52) Il s’agit des traités qui, au fur et &agrave; mesure du développement de l’Union
européenne, semblent nécessaires, aux fins de la participation de la Hongrie en tant
qu’État membre de l’Union européenne, &agrave; la jouissance des droits et &agrave; l’exécution des
obligations prévus dans les traités fondamentaux. Il en résulte que le transfert de
certains éléments de souveraineté de la Hongrie vers l’Union européenne est possible
en vertu de la Constitution si les conditions constitutionnelles sont remplies.
(53) En l’espèce, elle a souligné que les 25 États signataires du TSCG étaient
membres de l’Union européenne et qu’ils avaient négocié l’accord en cette qualité.
(54) En l’espèce, la Cour constitutionnelle nota que le TSCG imposait de nouvelles
obligations financières aux États signataires et conférait de nouvelles compétences aux
institutions de l’Union européenne. L’on notera en revanche que le fait que le traité
soit qualifié ou non de traité de l’Union européenne n’a pas été considéré comme décisif.
(55) L’article 4 du TEMS s’intitule &laquo; Structure et règle de vote &raquo;. Son paragraphe 4
est rédigé de la manière suivante : &laquo;. Par dérogation au paragraphe 3 [qui prévoit
l’unanimité], une procédure de vote d’urgence est utilisée lorsque la Commission et
la BCE considèrent toutes deux que le défaut d’adoption urgente d’une décision relative
&agrave; l’octroi ou &agrave; la mise en œuvre d’une assistance financière, telle que définie aux
articles 13 &agrave; 18, menacerait la soutenabilité économique et financière de la zone euro.
L’adoption d’une décision d’un commun accord par le conseil des gouverneurs visée
&agrave; l’article 5, paragraphe 6, points f) et g), et le conseil d’administration dans le cadre
de cette procédure d’urgence requiert une majorité qualifiée de 85 % des voix exprimées.
Lorsque la procédure d’urgence visée au premier alinéa est utilisée, un transfert du
fonds de réserve et/ou du capital libéré &agrave; un fonds de réserve d’urgence est effectué
afin de constituer un tampon destiné &agrave; couvrir les risques issus du support financier
octroyé en vertu de la procédure d’urgence. Le conseil des gouverneurs peut décider
d’annuler le fonds de réserve d’urgence et de reverser son contenu au fonds de réserve
et/ou au capital libéré. &raquo;
(56) Cour supr&ecirc;me estonienne, ass. pl., 12 juillet 2012, no 3-4-1-6-12.
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après avoir examiné la question de la recevabilité de la requ&ecirc;te présentée par
le Médiateur de la République, examina le fond de l’affaire (57). Afin d’évaluer
la constitutionnalité de l’article 4 &sect; 4, du TMES, la Cour supr&ecirc;me mit en
balance deux éléments ambivalents : d’une part, la diminution du pouvoir de
décision de l’Estonie dans l’utilisation des deniers publics du fait de la procédure de l’article 4 &sect; 4 ; d’autre part, les vertus de l’article 4 &sect; 4 qui a pour
objectif d’assurer que la procédure de décision du MES soit efficace en cas
d’instabilité financière de la zone euro. La Cour supr&ecirc;me releva que l’instabilité
financière et l’instabilité économique de la zone euro — deux notions étroitement liées — mettaient en danger la stabilité financière et économique de
l’Estonie. Or, celle-ci est nécessaire afin que l’Estonie puisse respecter ses
engagements résultant de la Constitution, y compris le fait de garantir les
droits fondamentaux. Dans ces conditions, la Cour estima qu’en adhérant au
MES, le parlement estonien devra prendre un engagement financier pour
l’Estonie, dont la limite supérieure est précisée dans le TMES (58). Ainsi, par
un environnement économique stable, la sauvegarde des droits fondamentaux et
des valeurs constitutionnelles sera assurée en vertu de l’article 4 &sect; 4 du Traité.
On le voit, la technique d’interprétation conforme a déployé ses effets constructifs afin de sauver le TMES d’un constat de d’inconstitutionnalité en rejetant
la requ&ecirc;te du Médiateur. Il faut dire que les enjeux étaient immenses...
En France, c’est au m&ecirc;me exercice d’équilibre savant auquel le Conseil
constitutionnel s’est livré pour arriver &agrave; déclarer in fine que le traité du 2 mars
2012 ne contenait aucune clause contraire &agrave; la Constitution (considérant 36).
Si la ratification du traité n’exige pas de révision préalable de la Constitution,
le Conseil constitutionnel a toutefois précisé que cela était conditionné par
différents éléments qu’il a d&ucirc;ment exposés aux considérants 21, 28 et 30 de
sa décision. Si cet équilibre savant est un &laquo; classique &raquo; en droit de l’Union
— il est en effet toujours question d’assurer un équilibre des contraires, une
conciliation de &laquo; données opposées &raquo; : la souveraineté d’un c&ocirc;té, l’intégration
politique et économique européenne de l’autre — sa manifestation est inédite.
La décision du 9 ao&ucirc;t 2012 est en effet particulière &agrave; de nombreux égards.
Tout d’abord, parce qu’elle s’insère dans un contexte politique fran&ccedil;ais très
(57) La Cour supr&ecirc;me en profita pour rappeler que le TMES n’est pas une partie
intégrante du droit primaire ou du droit dérivé de l’Union européenne, bien qu’il n’était
pas exclu que le TMES puisse intégrer &agrave; l’avenir le droit primaire ou le droit dérivé
de l’Union européenne. Le TSCG vise en effet explicitement &agrave; intégrer le contenu du
TMES dans l’arsenal juridique de l’Union européenne. En conséquence, la Cour supr&ecirc;me
releva bien qu’il existait une volonté pour que l’écheveau de relations juridiques,
constituées par l’établissement du Mécanisme européen de stabilité (ci-après le
&laquo; MES &raquo;), soient intégrées dans le droit de l’Union européenne.
(58) La Cour supr&ecirc;me prit en compte le fait que le procédé de vote d’urgence
fournira l’aide financière seulement dans des conditions strictes, telles que la codécision de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne.
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particulier qui rend la saisine du Conseil constitutionnel assez originale (59).
Ensuite, parce que pour la première dans l’histoire contentieuse du Conseil
constitutionnel, celui-ci présente au gouvernement une alternative qui conditionne entièrement la modification ou non de la Constitution. Partant, si
certains aspects de la décision sont très classiques et s’insèrent dans un acquis
jurisprudentiel bien établi (60), d’autres éléments le sont beaucoup moins ;
novateurs, ils révèlent la volonté du juge constitutionnel fran&ccedil;ais de concilier
de fa&ccedil;on originale souveraineté et intégration européenne (61).
En Allemagne, le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a approuvé, le
12 septembre 2012 (62), la ratification du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance dans la zone euro et du traité instaurant le Mécanisme
européen de stabilité. Pour examiner la constitutionnalité de ces deux traités,
la juridiction a, comme dans son arr&ecirc;t du 7 septembre 2011 concernant les
mesures relatives aux aides &agrave; la Grèce et au plan de sauvetage de l’euro (63),
raisonné &agrave; partir du droit de vote protégé par l’article 38 de la Loi fondamentale
et du principe de démocratie. Il faut dire que les allégations des requérants
l’encourageaient &agrave; argumenter en ce sens (64). Au regard de ce qu’ils considéraient comme une étape supplémentaire dans l’intégration pourtant atteinte &agrave;
(59) Négocié et adopté sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, le TSCG a été déféré
au Conseil constitutionnel, sur la base de l’article 54 de la Constitution, par son
successeur &agrave; la t&ecirc;te de l’État fran&ccedil;ais, Fran&ccedil;ois Hollande. Un tel cas de figure est une
première dans l’histoire de la Ve République.
(60) L’approche classique de la décision du 9 ao&ucirc;t 2012 se caractérise par deux
types de contr&ocirc;le qui ont permit de neutraliser tout élément d’inconstitutionnalité. Le
premier a consisté &agrave; avaliser des éléments du TSCG considérés comme le reflet
d’engagements antérieurs ; le second a consisté &agrave; déclarer conformes &agrave; la Constitution
des éléments nouveaux de celui-ci.
(61) La décision ayant fait l’objet de nombreux commentaires dans la littérature
juridique fran&ccedil;aise, on se permet d’y renvoyer : F. Chaltiel, &laquo; Le traité budgétaire
conforme &agrave; la Constitution... Oui mais... &raquo;, Petites affiches, 19 septembre 2012, no 183 ;
M. Lombard, &laquo; Le futur r&ocirc;le de régulateur financier du Conseil constitutionnel &raquo;, AJDA,
2012, p. 1717 et s. ; E. Oliva, &laquo; Le pacte de stabilité devant les Cours constitutionnelles.
Décision du Conseil constitutionnel, no 2012-653 DC, 9 ao&ucirc;t 2012, RFDA, 2013, p. 1043
et s. ; J. Roux, &laquo; Le Conseil constitutionnel et le traité sur la stabilité, la coordination
et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire : Busiris, rue de Montpensier. Commentaire de la décision no 2012-653 DC du 9 ao&ucirc;t 2012, RTDE, 48, octdéc. 2012, pp. 855-876.
(62) Tribunal constitutionnel allemand, 12 septembre 2012, 2 BvR 1390/12, 2 BvR
1421/12, 2 BvR 1438/12, 2 BvR 1439/12, 2 BvR 1440/12, 2 BvE 6/12.
(63) &laquo; Chronique de jurisprudence européenne comparée &raquo;, cette Revue, no 6-2012,
p. 1746.
(64) Il s’agissait des membres de l’association &laquo; Mehr Demokratie &raquo; (&laquo; Plus de
démocratie &raquo;), soit plus de 10 000 citoyens allemands, ainsi que plusieurs parlementaires. Les recours tendaient &agrave; constater l’inconstitutionnalité des lois validant le mécanisme
de stabilité européen votées par le Bundestag et le Bundesrat et, en attendant, &agrave; ce
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la souveraineté nationale, les requérants relevaient en substance que l’Allemagne était en passe de ratifier un engagement irréversible portant atteinte au
principe de démocratie sous l’angle de l’autonomie budgétaire. En effet, la
République fédérale risquerait de devoir s’engager au-del&agrave; du capital maximal
de cent quatre-vingt-dix milliards d’euros indiqué dans le traité du fait de
l’absence de clause limitative de la responsabilité des États membres dans
un dispositif tendant inévitablement &agrave; une &laquo; communautarisation &raquo; des dettes.
La décision du Tribunal se montre fondamentalement peu novatrice par
rapport &agrave; celle rendue en 2011 sur le plan de sauvetage de la Grèce ; cette
continuité est salutaire puisqu’elle semble indiquer une rupture avec la confrontation engagée avec l’Union au moment de la ratification du traité de Lisbonne.
En effet, la Cour se détourne des critiques du déficit démocratique pour
désormais valoriser l’intégration européenne et la stabilité économique qu’elle
assure. Toutefois, elle reste ferme sur le droit de vote qui ne doit pas &ecirc;tre
vidé de son contenu par une restriction des compétences du Bundestag de
telle sorte qu’il perde le contr&ocirc;le sur les décisions budgétaires. C’est la raison
pour laquelle le Bundestag devra &ecirc;tre impérativement consulté en cas de
dépassement des montants des pr&ecirc;ts et garanties actuellement prévus (environ
190 milliards d’euros). Autrement dit, il s’agit de s’assurer que le &laquo; lien de
légitimation entre le Parlement et le Mécanisme européen de stabilité ne soit
pas rompu &raquo; (point 270).
b. Les Cours constitutionnelles et le contr&ocirc;le indirect du droit dérivé
La directive 2006/24 sur la conversation des données est &agrave; nouveau &agrave;
l’honneur cette année dans le contentieux constitutionnel national (65). On
sait qu’il s’agit d’un texte qui vise &agrave; harmoniser les obligations imposées par
les États aux fournisseurs de services de communications électroniques en
matière de rétention de données &agrave; caractère personnel (66). Le 8 octobre 2009,
c’était la Cour constitutionnelle roumaine qui déclarait inconstitutionnelle la
loi nationale de transposition dudit texte (67) ; le 2 mars 2010 (68), c’était
que soit prononcée une mesure provisoire interdisant au Président de la République
de ratifier le mécanisme en cause.
(65) Directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006
sur la conservations des données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture
de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux de
communications, et modifiant la directive 2002/58/CE, JO L 105 du 13 avril 2006,
pp. 54-63.
(66) En plus d’&ecirc;tre au cœur de contentieux constitutionnels, cette directive fut au
cœur d’un contentieux de la base juridique, CJUE, 10 février 2009, Irlande c/ Conseil
et Parlement européen (C-301/06).
(67) Cette Revue, &laquo; Chronique de jurisprudence européenne comparée &raquo;, 2010-6,
pp. 1834-1836.
(68) Tribunal constitutionnel allemand, 2 mars 2010, 1 BvR 256/08, 1 BvR 263/08,
1 BvR 586/08 ; arr&ecirc;t dit &laquo; rétention des données &raquo;. Cette Revue, &laquo; Chronique de jurisprudence européenne comparée &raquo;, 2011-4, pp. 1048 et s.
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l’Allemagne qui mettait en évidence le fait que les juges constitutionnels,
avec les armes qui sont les leurs (le contr&ocirc;le de constitutionnalité des lois),
arrivent encore et toujours &agrave; contr&ocirc;ler indirectement le droit dérivé. En effet,
&agrave; l’époque, non seulement le Tribunal accepta d’examiner, &agrave; la lumière de
la seule Loi Fondamentale, les modalités établies par le droit national régissant
l’accès, l’exploitation et la sécurité des données (qui laissaient une marge de
manœuvre au législateur national), mais il examina également la constitutionnalité des dispositions régissant la rétention des données comme tel en décidant
de ne pas activer le mécanisme préjudiciel, alors qu’il s’agissait ici d’une
question o&ugrave; le législateur allemand n’avait en principe aucune marge de
manœuvre (69)... Le résultat d’une telle approche fut sans appel : le Tribunal
de Karlsruhe jugea certaines dispositions de la loi sur les télécommunications
et du code de procédure pénale (qui avaient transposé la directive 2006/24),
non conformes &agrave; la Loi fondamentale et furent par voie de conséquence
déclarées nulles. Qu’allait-il faire en 2012 alors qu’il devait se prononcer sur
d’autres dispositions de ladite loi, i.e., ses articles 111, 112 et 113 relatifs &agrave;
la question du stockage et de la mise &agrave; disposition de certaines données
générées dans le cadre de communications électroniques ? Dans son ordonnance du 24 février 2012 (70), le Tribunal de Karlsruhe récidiva en jugeant
que certains aspects de la réglementation de l’accès des autorités &agrave; des mots
de passe ou &agrave; des codes secrets n’étaient pas conformes &agrave; la Constitution.
Il faut toutefois entrer quelque peu dans les méandres argumentaires de la
décision pour prendre la mesure des nuances apportées &agrave; ce constat.
En ce qui concerne l’article 111 de la loi — qui prévoit l’obligation
des fournisseurs de services de communications électroniques de conserver
certaines données techniques de télécommunication et des données personnelles des utilisateurs — le Tribunal constitutionnel a observé que l’étendue de
cette obligation est pour l’essentiel déterminée par l’article 5 de la directive
2006/24. Dans ce contexte, il a rappelé qu’il ne contr&ocirc;lait pas, en principe,
les dispositions nationales transposant des normes contraignantes du droit de
l’Union par rapport aux droits fondamentaux allemands. La demande a toutefois été jugée recevable, dans la mesure o&ugrave; les requérants cherchaient &agrave; obtenir
un renvoi préjudiciel &agrave; la Cour de justice afin que celle-ci déclare nulle la
directive. En cas d’annulation de la directive, la disposition nationale ne serait
(69) Dominique Hanf expliqua un tel procédé par le fait que &laquo; très probablement
[...] la Cour ne souhaitait ni se refuser &agrave; demande des requérants, ni solliciter le
concours de la CJUE &raquo;. Il faut en effet rappeler que la jurisprudence allemande sur
l’examen de constitutionnalité des actes nationaux de transposition s’appliquait, dans
les faits, aux seuls juges ordinaires..., v. &laquo; Vers une précision de la Europarechtsfreunlichkeit de la Loi fondamentale. L’apport de l’arr&ecirc;t &laquo; rétention des données &raquo;
et de la décision &laquo; Honeywell &raquo; du BVerfG &raquo;, Research paper in Law, 2010/3, 2010,
p. 9.
(70) Tribunal constitutionnel, ord., 24 février 2012, 1 BvR 1299/05.
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plus déterminée par le droit de l’Union, mais continuerait &agrave; exister en tant
que droit national autonome. Dans ce cas de figure, le Tribunal constitutionnel
estima que le contr&ocirc;le de cette disposition n’était donc pas exclu d’emblée.
Ayant conclu &agrave; la compatibilité de l’article 111 avec la Constitution, il estima
qu’il n’avait pas &agrave; examiner davantage les aspects du droit de l’Union. S’agissant de l’emploi des données conservées, le Tribunal constitutionnel considéra
que les normes établissant l’obligation des fournisseurs de services de prévoir
des procédures de renseignement automatiques (article 112 du TKG) et
manuelles (article 113 du TKG) n’étaient pas soumises &agrave; des restrictions
(conformément au droit de l’Union). Sur le fond toutefois, plusieurs éléments
de la procédure manuelle de l’article 113 du TKG posaient problème.
Le juge constitutionnel déclara incompatible avec le droit fondamental au
libre choix en matière d’informations, l’obligation des fournisseurs de services
de transmettre les mots de passe et les codes secrets destinés &agrave; sécuriser
l’accès des utilisateurs aux appareils de télécommunication (article 113 &sect; 1,
phrase 2). Et de considérer que cette disposition violait le principe de proportionnalité dans la mesure o&ugrave; elle ne posait pas, comme condition préalable
&agrave; la transmission de ces données, le droit des autorités concernées de les
utiliser. En revanche, l’obligation générale du fournisseur de services de
transmettre des données en vertu de l’article 113 &sect; 1 phrase 1 de la loi, a
passé le cap du contr&ocirc;le de constitutionnalité gr&acirc;ce aux vertus de l’interprétation conforme &laquo; conditionnée &raquo;. En effet, la mise en œuvre de cette obligation
n’est considérée comme possible uniquement si la demande de transmission
des données repose sur une base légale spécifique. En outre, pour le Tribunal
constitutionnel, l’article 113 ne doit pas servir &agrave; identifier les utilisateurs des
&laquo; adresses IP dynamiques &raquo;, habituellement utilisées par des particuliers pour
naviguer sur Internet. En effet, afin de pouvoir le faire, les fournisseurs de
services seraient contraints d’exploiter des données relatives aux communications des utilisateurs, ce qui constituerait assurément une ingérence dans le
droit fondamental protégeant le secret des correspondances (article 10 de la
Loi fondamentale).
2. Les Cours constitutionnelles et le renvoi préjudiciel (article 267 TFUE)
Le phénomène préjudiciel nécessite de prendre en compte les trois temps
du dialogue juridictionnel entre les juges nationaux et la Cour de justice : le
temps de la &laquo; question &raquo;, celui de la &laquo; réponse &raquo; et enfin celui de la &laquo; prise
en compte &raquo;. Cette approche tridimensionnelle est la seule qui vaille : elle
permet d’appréhender sous toutes ses facettes (i.e. intégralement) le phénomène
dialogique dans le champ du renvoi préjudiciel afin de prendre la mesure de
la réalité de l’enchev&ecirc;trement des systèmes et de l’existence ou non d’une
entente entre les différents niveaux du pouvoir judiciaire en Europe. Une fois
encore, la Belgique est &agrave; l’honneur : le dialogue préjudiciel est rentré dans
ses mœurs juridictionnelles sans difficulté aucune. Le tableau des rapports
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entre les Cours constitutionnelles nationales et la CJUE prend l’allure, cette
année, d’un tableau bilatéral Bruxelles (siège de la Cour constitutionnelle)
— Luxembourg (siège de la Cour de justice).
a. Les saisines des Cours constitutionnelles
Quatre ! En 2012, la Cour constitutionnelle belge a saisi &agrave; quatre reprises
la Cour de justice de l’Union européenne dans des affaires o&ugrave; elle était ellem&ecirc;me saisie par le juge a quo dans le cadre de procédures préjudicielles
internes. On assiste donc &agrave; une sorte de &laquo; cha&icirc;ne préjudicielle &raquo; entre le juge
a quo, la Cour constitutionnelle et la Cour de justice, donnant au système
juridique entre la Belgique et Luxembourg l’allure d’un système procédural
marqué par l’unicité.
La première question préjudicielle posée en 2012 par la Cour constitutionnelle belge, dans sa décision du 25 janvier 2012 (71), concernait l’interprétation
de l’article 2 &sect; 2, de la directive dite &laquo; service &raquo; (directive 2006/123/CE (72)).
Cette norme prévoit le champ d’application matériel de la directive services,
en excluant, entre autres, les services de soins de santé en général et certains
services sociaux assurés selon diverses modalités. La question de la Cour
constitutionnelle visait &agrave; déterminer si les &laquo; centres d’accueil de jour &raquo; et
&laquo; les centres d’accueil de nuit &raquo; pour personnes &acirc;gées, tels qu’ils sont actuellement régis par la réglementation de la Commission communautaire commune
de la Région de Bruxelles-Capitale (COCOM), constituait des services de
soins de santé ou sociaux, avec les conséquences prévues &agrave; l’article 2 &sect; 2, de
la directive services. Elle justifiait son renvoi en rappelant les fondamentaux
de la jurisprudence de la Cour de justice (73) (B.15.3 et B16).
(71) Cour constitutionnelle belge, 25 janvier 2012, no 10/212 (Etablissements personnes &acirc;gées (Fédération des maisons de repos privées de Belgique (Femarbel) ASBL /
Commission communautaire commune).
(72) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative
aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36, la &laquo; directive services &raquo;).
(73) Ainsi se lit les points B.15.3 et 16 : &laquo; La Cour de justice de l’Union européenne
est compétente pour statuer, &agrave; titre préjudiciel, sur l’interprétation des directives adoptées
par les institutions de l’Union européenne (article 267, 1er al.b) lu en combinaison
avec l’article 288, premier al., du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction
nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de
droit interne, cette juridiction est tenue de saisie la Cour de justice (article 267, 3) alinéa u traité), &agrave; moins qu’elle ne constate “que la mention soulevée n’est pas pertinente
ou que la disposition communautaire en cause a déj&agrave; fait l’objet d’une interprétation
de la part de la Cour [de justice] ou que l’application correcte du droit communautaire
s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place &agrave; aucun doute raisonnable”
CJCE, 6 octobre 1982, 283/81, Cilfit), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il convient
dès lors, avant de poursuivre l’examen des deux premières questions préjudicielles
soumises &agrave; la Cour en l’espèce, et relative &agrave; la compatibilité de l’ordonnance du
24 avril 2008 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec
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Le 19 avril 2012 (74), elle saisissait la Cour de justice de deux questions
préjudicielles qui concernaient, pour la première fois, la directive 2004/8/CE
du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, concernant la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le
marché intérieur de l’énergie (75). Dans cette affaire, ce fut le Conseil d’État
belge qui au préalable avait saisi la Cour constitutionnelle de différentes
questions relatives &agrave; un décret de mise en œuvre de ladite directive. C’était
l’article 7 de la directive 2004/8/CE qui était au cœur des interrogations de
la Haute juridiction administrative. La Cour constitutionnelle &agrave; son tour,
accepta d’activer le mécanisme préjudiciel o&ugrave; le principe d’égalité, l’article 6
TUE et les articles 20 et 21 de la Charte étaient en discussion. L’argumentation
de la Cour constitutionnelle mérite d’&ecirc;tre reproduite tant elle est marquée par
une connaissance et une acceptation inébranlables des &laquo; règles de répartition &raquo;
des compétences entre les juges nationaux et la CJUE : &laquo; M&ecirc;me si la question
préjudicielle ne porte que sur les articles 10 et 11 de la Constitution et non
sur ces articles combinés avec des dispositions de droit de l’Union européenne,
il y a lieu de constater que des divergences quant &agrave; l’interprétation par les
juridictions d’actes de l’Union et &agrave; la validité de la législation qui en constitue
la mise en ouvre en droit interne compromettraient l’unité de l’ordre juridique
de l’Union et porteraient atteinte au principe générale de sécurité juridique.
[...] Or, lorsque la Cour constitutionnelle est saisie d’une question préjudicielle
l’interrogeant sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution
d’une disposition législative transposant les dispositions impératives d’une
directive dont la compatibilité avec le principe général d’égalité est mis en
cause, il appartient &agrave; la Cour de justice de se prononcer préalablement sur
la conformité de cette directive au principe général d’égalité reconnu par le
droit de l’Union (CJUE, Gde Ch., 22 juin 2000, Melki et Abdeli, point 56). &raquo;.
Les décisions de renvoi devraient, &agrave; de nombreux égards, &ecirc;tre aussi connues,
diffusées et analysées que les réponses de la Cour de justice car elles en
disent long sur l’empathie juridictionnelle européenne des juges nationaux.
Les deux dernières saisines de la Cour de justice démontrent &agrave; merveille
le &laquo; relais préjudiciel &raquo; entre les juges a quo, la Cour constitutionnelle et la
Cour de justice, procédure qui ne perturbe pas outre mesure les juristes belges.
L’arr&ecirc;t du 10 octobre 2012 (76) concerne l’équilibre &agrave; maintenir entre la
protection des données &agrave; caractère personnel et la &laquo; vie administrative, économique et sociale &raquo; (point B3). Au centre des débats se trouvent plusieurs
la directive 2006/123/CE du Parlement européen du Conseil du 12 décembre 2006, de
poser &agrave; la Cour de justice de l’Union la question préjudicielle libellée au dispositif. &raquo;
(74) Cour constitutionnelle belge, 19 avril 2012, no 54/2012, &laquo; Certificats verts
(I.B.V. &amp; Cie SA (Industrie du bois de Vielsalm &amp; Cie SA) / Région wallonne) &raquo;.
(75) Elle modifiait la directive 92/42/CEE, JO L 283, p. 33.
(76) Cour constitutionnelle belge, 10 octobre 2012, no 116/2012, affaire dite &laquo; Détectives privés (Institut professionnel des agents immobiliers (IPI)/Geoffrey Englebert,
Immo 9 SPRL, Grégory Francotte) &raquo;.
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dispositions de la célèbre directive du 24 octobre 1995 (no 95/46 CE) sur le
traitement des données des personnes physiques &agrave; caractère personnel. Une
fois encore, c’est le juge a quo (tribunal de commerce de Charleroi) qui saisit
la Cour constitutionnelle de plusieurs questions préjudicielles ; elle se tourna
ensuite vers la Cour de justice afin de l’interroger plus particulièrement sur
la portée du statut des détectives privés dans ce maillage juridique complexe.
Par un arr&ecirc;t du 18 octobre 2012 (77), c’est l’imposition d’un jour de fermeture
obligatoire pour les commerces de détails qui était discuté. Dans ce contexte,
le juge constitutionnel a adressé &agrave; la Cour de justice plusieurs questions
préjudicielles au cœur desquelles tr&ocirc;nait l’article 6 &sect; 1 TUE et plusieurs dispositions de la Charte des droits fondamentaux (articles 15, 16, 20, 21). Il est
intéressant de noter ici encore que la Cour belge avait été elle-m&ecirc;me déj&agrave;
saisie par la voie préjudicielle interne par le juge a quo (in casu le tribunal
de commerce d’Anvers)... lequel, de son c&ocirc;té, avait utilisé également le
mécanisme de l’article 267 TFUE... La concurrence des saisines préjudicielles
fait florès en Belgique ce qui n’a l’air de désar&ccedil;onner aucun des multiples
acteurs des procès.
b. Les conséquences des saisines des Cours constitutionnelles
On recense deux décisions de &laquo; prise en compte &raquo; par la Cour constitutionnelles des réponses données par la Cour de justice &agrave; des renvois. Le domaine
de ces arr&ecirc;ts du 19 juillet 2012 et du 22 novembre 2012 est le m&ecirc;me, l’environnement. Seule la première décision sera présentée dans les lignes qui suivent
en la repla&ccedil;ant dans le contexte global de l’affaire (78).
(77) Cour constitutionnelle belge, 18 octobre 2012, no 119/2012, affaire dite &laquo; Jour
de fermeture commerce de détail &raquo; (Pelckmans Turnhout NV / Walter Van Gastel
Balen NV, Walter Van Gastel NV, Walter Van Gastel Lifestyle NV, Walter Van Gastel
Schoten NV).
(78) Il s’agit ici en effet de rester dans les limites (en termes de signes) de la
chronique. Quoi qu’il en soit, on se permet de signaler qu’elle était d’une complexité
procédurale inou&iuml;e au regard de l’activation d’une somme importante de voies de droit.
La décision de la Cour constitutionnelle dans les affaires jointes Marie No&euml;lle Solvay
et autres du 22 novembre 2012 — prenant considération de la réponse de la Cour de
justice du 16 février 2002 (CJUE, 16 février 2012, Marie-No&euml;lle Solvay e.a., C-182/10.)
met un point final &agrave; de multiples procédures, internes et européennes. Ceux qui doutaient
encore de l’enchev&ecirc;trement des systèmes, de l’existence d’un pouvoir judiciaire formé
de multiples niveaux de décision devront assurément revoir leur point de vue. Tout
commen&ccedil;a par la saisine de la Cour constitutionnelle de plusieurs recours tendant &agrave;
l’annulation du décret du Parlement wallon du 17 juillet 2008 qui avait validé, au nom
de &laquo; motifs impérieux d’intér&ecirc;t général &raquo;, des permis de construire portant sur divers
travaux liés &agrave; l’aéroport de Liège-Bierset, &agrave; celui de Charleroi-Bruxelles Sud et &agrave; la
ligne de chemin de fer Bruxelles-Charleroi. Parallèlement, la Cour constitutionnelle
belge fut également saisie par le Conseil d’État de questions préjudicielles relatives
&agrave; la légalité dudit décret. Ce dernier s’était d’ailleurs auparavant lui-m&ecirc;me interrogé
sur la compatibilité de ce m&ecirc;me décret avec le droit de l’Union et avec la convention
d’Aarhus ; il avait du coup saisi la Cour de justice de plusieurs demandes qui avait
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Le 25 novembre 2010, la Cour constitutionnelle avait saisi la Cour de
justice, par un arr&ecirc;t interlocutoire, d’une question concernant le domaine de
l’aménagement du territoire. Elle avait en effet préféré activé le renvoi devant
le caractère délicat de l’interprétation &agrave; donner d’une directive communautaire.
La Cour constitutionnelle avait été saisie par différentes associations sans but
lucratif (très actives dans le domaine de l’environnement) d’un recours en
annulation contre deux dispositions d’une ordonnance de la région de Bruxelles-Capitale modifiant le Code bruxellois de l’aménagement du territoire.
À l’appui de leur recours, les associations requérantes invoquaient une violation
des articles 10 et 11 de la Constitution belge (principe de non-discrimination),
lus de fa&ccedil;on combinée avec les articles 3 &agrave; 6 de la directive 2001/42 relative
&agrave; l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (79). La Cour de justice répondait trois ans plus tard dans son arr&ecirc;t du
22 mars 2012 (80) en spécifiant que la procédure d’abrogation d’un plan
(comme celui prévu dans la législation nationale en cause) entrait dans le
champ d’application de la directive et, ce faisant, était soumise aux règles
relatives &agrave; l’évaluation des incidences sur l’environnement prévu par elle.
La Cour constitutionnelle ne perdit pas de temps &agrave; prendre en compte la
réponse de la Cour de justice. Quatre mois plus tard, dans sa décision du
19 juillet 2012 (81), elle intégrait sans sourciller l’interprétation délivrée par
le juge de l’Union dans son raisonnement. Elle rappelait d’ailleurs en passant
l’objectif essentiel de la réglementation &laquo; unionale &raquo; au cœur du dialogue :
soumettre les plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables
sur l’environnement &agrave; une évaluation environnementale lors de leur élaboration
et préalablement &agrave; leur adoption. Elle commen&ccedil;a par marquer son indépendance
en spécifiant que le seul fait que la procédure d’abrogation d’un plan ne
prévoie pas l’élaboration d’un rapport sur les incidences environnementales
ne suffisait pas &agrave; conclure que les dispositions attaquées du Code de l’aménagement du territoire étaient incompatibles avec la directive. Elle souligna en
effet qu’une abrogation de plan pourrait ne pas &ecirc;tre susceptible d’avoir des
incidences notables sur l’environnement. Toutefois, elle releva que seules les
règles relatives &agrave; l’élaboration et &agrave; la modification des plans et programmes
permettent aux autorités compétentes de vérifier si ce genre de réglementation
fait l’objet d’un l’arr&ecirc;t dans l’affaire Boxus e.a, CJUE, 18 octobre 2011, Boxus e.a.
(C-128/09 &agrave; C-131/09, C-134/09 et C-135/09). Ainsi, dans chacune des affaires au
principal, il était notamment demandé &agrave; la juridiction de renvoi de se prononcer sur
le point de savoir si le décret attaqué pouvait soustraire au contr&ocirc;le du Conseil d’État
les autorisations en cause pour les soumettre au contr&ocirc;le de la Cour constitutionnelle,
alors que celle-ci n’offrirait pas de possibilités de recours aussi étendues que celles
qui sont ouvertes devant le Conseil d’État.
(79) Directive du 27 juin 2001, JO L 197, p. 30.
(80) CJUE, 22 mars 2012, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C-567/10).
(81) Cour constitutionnelle belge, 19 juillet 2012, no 95/2012.
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est susceptible d’avoir des incidences sur l’environnement, alors qu’un tel
contr&ocirc;le n’est pas prévu pour l’abrogation d’un plan. Partant, la Cour constitutionnelle a jugé que les dispositions de l’ordonnance bruxelloise en cause
&eacute;taient incompatibles avec les articles 3 &agrave; 6 de la directive 2001/42 en ce
qu’elles exemptaient toute abrogation d’un plan particulier d’affectation du
sol d’une évaluation environnementale au sens de l’article 2, sous b), de la
directive. Du coup, elle annulait les dispositions litigieuses conformément aux
souhaits des associations requérantes.
Entre la Cour constitutionnelle belge et la Cour de justice, les relations
continuent toujours d’&ecirc;tre au beau fixe. Et si cela donnait des ailes &agrave; d’autres
Gardiens de Constitutions ?
Laurence BURGORGUE-LARSEN
Professeur &agrave; l’École de droit de la Sorbonne (Paris I)
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