Médecine & enfance L’ostéome ostéoïde de l’enfant : quand y penser ? comment traiter ? E. Bodart, service de pédiatrie, Université catholique de Louvain, CHU Dinant-Godinne, Yvoir, Belgique L’ostéome ostéoïde est la tumeur osseuse bénigne la plus fréquente en pédiatrie. Son diagnostic est facile à évoquer devant des douleurs importantes, souvent localisées au niveau des membres inférieurs et réveillant l’enfant ou l’adolescent par leur intensité. La prise en charge bien standardisée, médicamenteuse en première intention, puis éventuellement chirurgicale, est souvent différée à cause d’un diagnostic tardif. MODE DE PRÉSENTATION L’ostéome ostéoïde est la tumeur osseuse bénigne ostéogène la plus fréquente chez l’enfant et apparaît le plus souvent entre cinq et vingt ans. Il affecte plus le garçon que la fille avec un ratio de 3/1. Les patients se présentent très souvent avec des douleurs osseuses localisées, classiquement plus intenses la nuit et les réveillant très fréquemment. Les douleurs peuvent être très invalidantes, entraînant une boiterie modérée jusqu’à d’importantes difficultés à la marche si la tumeur atteint un membre inférieur. En cas d’atteinte de la colonne vertébrale, surtout thoracique, plus d’un patient sur deux développe une scoliose antalgique. La tumeur se développe principalement au niveau des os longs, avec une prédominance pour les membres inférieurs, même si 10 à 25 % des cas ont été décrits au niveau de la colonne vertébrale. Les membres supérieurs peuvent être atteints, mais beaucoup plus rarement. Les patients associent souvent le début de leurs douleurs à un traumatisme plus ou moins récent, ce qui retarde d’autant le diagnostic [4-5]. MÉTHODES DIAGNOSTIQUES Le diagnostic de certitude est fait par l’imagerie : différents examens complé- mentaires sont disponibles, chacun avec ses avantages et ses inconvénients. La radiographie conventionnelle (figure 1), ciblée sur la zone douloureuse, suffit la plupart du temps. On observe une zone de sclérose osseuse, réactionnelle, autour d’un nidus radio-transparent parfois très petit et pouvant de ce fait passer inaperçu. Dans plus de la moitié des cas, le nidus présente une calcification centrale ou est complètement ostéolytique ; il est plus rare que le nidus soit entièrement calcifié et radioopaque. Cette radiographie simple est toutefois moins sensible lorsque l’ostéome ostéoïde est localisé au niveau des os plats ou de la colonne vertébrale, ou s’il est proche d’une articulation, voire intra-articulaire. La sclérose réactionnelle peut alors être très faible et même absente. La scintigraphie osseuse (figure 2) a également sa place, montrant une zone d’hyperfixation au niveau du nidus. Il s’agit plutôt d’un examen de dépistage, car la localisation de la tumeur n’est pas suffisamment précise et nécessite un autre examen d’imagerie pour préciser ses rapports anatomiques. La tomodensitométrie (figure 3) reste l’examen de choix pour diagnostiquer et localiser avec précision un ostéome ostéoïde, en particulier si la lésion se trouve dans des régions peu accessibles comme la colonne vertébrale, les os plats ou les articulations. Cet examen doit être programmé en coupes suffimai 2014 page 134 samment fines pour ne pas ignorer de petits nidus, parfois de quelques millimètres d’épaisseur seulement. Une imagerie par résonance magnétique nucléaire pourrait aider au diagnostic en évitant l’irradiation de la tomodensitométrie, mais les clichés obtenus sont souvent aspécifiques et ne permettent pas toujours à eux seuls de confirmer le diagnostic. Le nidus donne un léger signal en pondération T1, plus marqué en pondération T2. La sclérose réactionnelle est toujours en hyposignal. Après injection de gadolinium, on peut observer un rehaussement du nidus. Enfin, l’efficacité antalgique de l’acide acétylsalicylique a une valeur diagnostique quasi pathognomonique de la tumeur [6-7]. TRAITEMENT Le traitement de première intention de l’ostéome ostéoïde est conservateur, médicamenteux, et repose sur la prise prolongée d’antalgiques. L’acide acétylsalicylique a montré un effet antalgique nettement supérieur aux autres médicaments. Cette efficacité est vraisemblablement liée à la présence en quantité très importante de prostaglandines au niveau de la tumeur, de l’ordre de cent à mille fois plus que la normale. Il est possible d’arrêter le traitement médicamenteux après quelques années (en moyenne cinq à six ans), l’évolution naturelle étant l’involution, surtout si Médecine & enfance Figure 1 Radiographie de hanche : ostéome visualisé au niveau de de la branche ischiopubienne gauche Figure 2 Scintigraphie osseuse : ostéome suspecté (hyperfixation) en regard du tibia droit Figure 3 Tomodensitométrie : ostéome au niveau du tibia droit des anti-inflammatoires non stéroïdiens sont associés à l’acide acétylsalicylique. Si les médicaments antalgiques ne permettent pas le contrôle des douleurs, la destruction du nidus doit être envisagée, par excision chirurgicale classique ou par voie percutanée. Le taux de succès de ces deux techniques est comparable [1-3]. La chirurgie d’exérèse est néanmoins délicate si le nidus mesure moins de un centimètre de diamètre, car il est alors difficile à localiser avec précision. En outre, pour être complète, l’exérèse doit être large et emporte du tissu sain, ce que permet d’éviter le traitement par électrocoagulation sous contrôle tomodensitométrique par voie percutanée. Ce dernier ne nécessite par ailleurs qu’une courte hospitalisation et pourrait même être réalisé en chirurgie ambulatoire dans une structure de jour. Il permet aussi un retour aux activités habituelles, en particulier sportives, plus rapide. Les douleurs disparaissent en une à deux semaines. L’inconvénient principal de cette technique est néanmoins la récidive des douleurs dans 5 à 10 % des cas, du fait de la résection incomplète du nidus ou de la présence de plusieurs nidus. Les douleurs réapparaissent classiquement quelques mois après l’intervention. Une deuxième séance d’électrocoagulation peut alors être programmée. On réserve aujourd’hui la chirurgie d’exérèse aux ostéomes ostéoïdes inaccessibles à l’électrocoagulation ou aux cas de rechutes répétées après électrocoagulation. D’autres méthodes de traitement percutané ont été décrites, jugées moins invasives que la chirurgie d’exérèse, comme la photocoagulation au laser ou l’alcoolisation du nidus. Cette dernière méthode n’est néanmoins pas sans risque, car elle peut entraîner une fragilité osseuse et des lésions de nécrose de voisinage par extravasation de l’éthanol. Afin d’éviter une exérèse incomplète ou trop large en cas de traitement chirurgical classique, une localisation isotopique peropératoire peut s’avérer utile. Un marqueur isotopique de la classe des diphosphonates, radiomarqué au techmai 2014 page 135 Résumé L’ostéome ostéoïde est une tu- meur osseuse bénigne, dont le diagnostic est souvent retardé malgré une symptomatologie typique : des douleurs localisées principalement au niveau des membres inférieurs se majorant au cours de la nuit et réveillant l’enfant. Le diagnostic une fois posé, le traitement par l’acide acétylsalicylique (aspirine) a bien fait la preuve de son efficacité antalgique, et la tumeur peut spontanément involuer. Si la douleur n’est pas suffisamment contrôlée par l’acide acétylsalicylique, éventuellement couplé à des anti-inflammatoires non stéroïdiens, l’enfant peut être traité de manière chirurgicale, avec ou sans repérage isotopique préalable, ou par électrocoagulation percutanée sous contrôle tomodensitométrique. Le taux de succès de ces deux techniques est comparable. Mots clés Ostéome ostéoïde, diagnostic, prise en charge. nétium 99, est injecté au patient avant l’intervention. Ce marqueur se fixe au niveau du nidus, qui peut être repéré facilement en peropératoire grâce à l’utilisation d’une sonde de détection. Un contrôle en fin d’intervention permet de s’assurer que la totalité du nidus a été emporté. Une grande prudence est néanmoins nécessaire dans son utilisation quand l’ostéome ostéoïde est situé à côté d’un cartilage de croissance ou en intra-articulaire, car le marqueur isotopique se fixe au niveau des cartilages de croissance [8-14]. CONCLUSION Le diagnostic d’ostéome ostéoïde doit être rapidement évoqué devant des douleurs des membres inférieurs réveillant l’enfant ou l’adolescent. Ce diagnostic peut être confirmé par une radiographie conventionnelle ciblée sur la zone douloureuse, même si d’autres examens (scintigraphie osseuse, tomodensitométrie) s’avèrent parfois nécessaires. L’acide acétylsalicylique est le traitement antalgique de première intention et sert aussi de test diagnostique. En cas de persistance des Médecine & enfance douleurs, le patient devrait être référé à une structure de radiologie interventionnelle pour bénéficier d’une électrocoagulation percutanée, alternative à la chirurgie d’exérèse, même en cas de récidive, en raison de son caractère moins agressif et de son faible taux de complications. Lorsqu’une chirurgie d’excision est nécessaire, une détection isotopique peropératoire prudente permet d’emporter la totalité du nidus sans toucher au tissu sain. 첸 ABONNEZ-VOUS A MEDECINE & E N FA N C E NOM Références [1] GILLIAUX O., DE WISPELAERE J.F., CHARLIER H, BODART E. : « L’ostéome ostéoïde de l’enfant : à propos de 5 cas traités par électrocoagulation », Arch. Pédiatr., 2012 ; 19 : 1177-81. [2] LEAL I., BLANQUET J., COMBALIA I. et al. : « CT-guided percutaneous resection of osteoid osteoma », Rev. Esp. Cir. Ortop. Traumatol., 2008 ; 52 : 196-8. 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