M Complications valvulaires tardives postradiques du cancer du sein CAS CLINIQUE

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CAS CLINIQUE
Mots-clés
Cancer du sein – Toxicité cardiaque – Valvulopathie postradique.
Keywords
Breast cancer – Cardiac toxicity – Radiation-associated valvular disease.
Complications valvulaires tardives
postradiques du cancer du sein
Late radiation-associated valvular disease in breast cancer
C. Daniel*, Y. Kirova**, N. Fournier-Bidoz**, P. Beuzeboc*
M
me R., âgée de 39 ans et sans antécédent médico-chirurgical particulier, présente en mars 1979 un carcinome
canalaire infiltrant (CCI) de 6 × 8 cm au niveau du
quadrant supéro-externe du sein gauche, associé à des signes
inflammatoires cutanés et à un ganglion axillaire gauche centimétrique. La biopsie est en faveur d’un CCI de grade SBR II, RO+,
index mitotique modéré. Le bilan d’extension (radiographie du
thorax et scintigraphie osseuse) est normal. La tumeur est classée
T4d N1M0. Conformément aux protocoles de l’époque à l’Institut
Curie et en raison de la composante inflammatoire, un traitement
du sein par radiothérapie exclusive au cobalt 60 est instauré, avec
un complément au niveau de la tumeur (80,9 Gy en 41 séances),
des aires ganglionnaires axillaires gauches (65 Gy en 34 séances),
sus-claviculaires gauches (46,75 Gy en 21 séances) et de la chaîne
mammaire interne (CMI) supérieure (51 Gy en 24 séances) et
inférieure (45,3 Gy en 34 séances). Ce traitement est associé à une
castration radique. La dose reçue au niveau de la CMI est de 20 Gy
par un faisceau direct avec apport des 2 faisceaux tangentiels
utilisés pour le traitement de la glande mammaire. Une rémission
complète est obtenue à l’issue de la radiothérapie.
Dès septembre 1980, la patiente présente une plexite radique
gauche. En 1988, elle subit une hystérectomie avec annexectomie
bilatérale pour un cystadénocarcinome mucineux papillaire ovarien
droit de stade IA. L’examen cardiaque et l’ECG sont normaux lors
de la consultation d’anesthésie (11 ans après la radiothérapie), et
la patiente ne prend aucun traitement. Le sein gauche est scléreux,
sans signe de récidive. En raison d’une fissuration peropératoire de
la tumeur ovarienne, la chirurgie est suivie d’une chimiothérapie
adjuvante de 6 mois de type CMF-altrétamine.
En décembre 1995, la patiente présente une lymphangite pulmonaire carcinomateuse métastatique. Elle est alors traitée dans un
* Département d’oncologie médicale, Institut Curie, Paris.
** Département de radiothérapie, Institut Curie, Paris.
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premier temps par 3 cycles d’ifosfamide, 5-fluoro-uracile (5-FU)
et cisplatine puis, devant l’absence de réponse et la preuve d’une
évolution métastatique pulmonaire du cancer du sein, par une
combinaison d’adriamycine, de cyclophosphamide et de 5-FU en
perfusion continue, suivie d’une hormonothérapie par tamoxifène.
La dose totale d’adriamycine reçue par la patiente est de 400 mg.
Une réponse tumorale complète est observée sur la radiographie
du thorax en juin 1996. En mars 1999, le tamoxifène est remplacé
par le létrozole, en raison de la survenue d’une neuropathie optique
bilatérale.
En avril 2007, la patiente bénéficie d’une mastectomie gauche
avec lambeau pédiculé du muscle grand dorsal pour une lésion
inflammatoire scléreuse et ulcérée du sein secondaire rapportée
à une radionécrose sans signes suspects de reprise évolutive. De
nouveau, lors de la consultation d’anesthésie, l’examen cardiaque
et l’ECG sont considérés comme normaux.
En mai 2008, un scanner thoraco-abdomino-pelvien met en
évidence une pleurésie bilatérale de petite abondance. Une ponction pleurale exploratrice droite révèle la présence de nombreuses
cellules carcinomateuses. Un traitement par capécitabine débute
alors.
La patiente est hospitalisée en octobre 2009 pour une dyspnée
rapportée à une décompensation cardiaque sur valvulopathie. Une
échographie cardiaque met en évidence un rétrécissement aortique
non serré, une insuffisance aortique modérée et de grosses calcifications au niveau de l’anneau mitral (figure) avec insuffisance
mitrale modérée. L’amélioration de l’état respiratoire de la patiente
est rapide sous traitement cardiaque associant un inhibiteur de
l’enzyme de conversion (IEC) [ramipril] et du furosémide.
Deux mois plus tard, lorsque la patiente est revue en consultation,
une diminution spectaculaire de la dyspnée est notée, avec une
régression des épanchements pleuraux et une disparition des
images interstitielles.
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Dans une revue de la littérature (2) reprenant les données relatives à 35 patients présentant 41 valvulopathies secondaires à
une irradiation médiastinale, la valvulopathie, quand elle était
asymptomatique, était diagnostiquée 11,5 ans après l’irradiation alors qu’elle l’était 16,5 ans plus tard dans le cas de patients
symptomatiques. Quatre-vingt-treize pour cent des atteintes
valvulaires étaient situées au niveau du cœur gauche. Les valves
aortiques et mitrales étaient concernées de manière égale, chacune
représentant 46 % des valvuloplasties. Ces données soulignent
l’intérêt d’un suivi à long terme des patients ayant reçu une irradiation médiastinale.
Figure. Calcifications au niveau du cœur chez une patiente traitée 30 ans plus
tôt par radiothérapie pour un cancer du sein gauche. La pleurésie bilatérale
est d’origine carcinomateuse (prouvée cytologiquement).
D i s c u s s i o n À des stades tardifs de maladie métastatique, il est assez habituel
que soient mêlés des signes à la fois liés à l’évolution de la maladie
et aux complications dues à des traitements antérieurs.
Cette patiente, longue survivante à deux cancers dont un métastatique, présente une cardiopathie symptomatique 30 ans après
une irradiation du sein gauche et de la CMI et 15 ans après une
chimiothérapie par anthracyclines.
Alors qu’elle avait des antécédents de lymphangite pulmonaire
et de pleurésie métastatique, il fallait penser, devant son tableau
d’insuffisance cardiaque, à la possibilité d’une toxicité cardiaque
de la chimiothérapie, mais aussi de la radiothérapie qu’elle avait
reçue 30 ans plus tôt, vu les lésions de radionécrose du sein gauche.
Les atteintes cardiaques consécutives à une radiothérapie peuvent
intéresser toutes les tuniques du cœur en fonction des champs
d’irradiation. Elles comprennent des péricardites aiguës et chroniques, des myocardites, des atteintes valvulaires, coronariennes
et des troubles de conduction. Ces complications cardiaques liées
à l’irradiation surviennent souvent à distance de cette dernière.
Tous les mécanismes physiopathologiques relèvent très vraisemblablement des mêmes phénomènes successifs, débutant par une
atteinte de la microvascularisation, responsable d’une ischémie
secondaire tissulaire, celle-ci conduisant à son tour à une fibrose
cicatricielle tardive (1). Les valvulopathies secondaires à une
radiothérapie médiastinale paraissent évoluer suivant des étapes
successives, allant d’un épaississement de l’endocarde vers une
fibrose valvulaire progressive initialement asymptomatique, sans
anomalie physiologique, puis vers un dysfonctionnement valvulaire
symptomatique pouvant nécessiter un traitement chirurgical (2).
La relation entre valvulopathie et radiation ionisante peut être
parfois difficile à prouver. En effet, le plus souvent, l’état cardiaque
préexistant n’est pas connu. L’élément important à retenir est la
longueur du délai de latence entre l’irradiation et l’éventuelle apparition des symptômes. La fréquence de l’atteinte valvulaire va donc
dépendre des méthodes diagnostiques plus ou moins sophistiquées
employées pour la rechercher. Une étude rétrospective reprenant
les données de 16 270 patientes traitées par radiothérapie adjuvante
pour un cancer du sein entre 1986 et 1993, avec un suivi médian de
9,5 ans, a montré que 2,9 % des patientes traitées pour un cancer
du sein gauche et 2,8 % de celles traitées pour un cancer du sein
droit ont été hospitalisées pour une valvulopathie. Sept mille trois
cent trois patientes de cette cohorte ont été suivies sur une période
comprise entre 10 et 15 ans : 1,2 % des patientes traitées pour un
cancer du sein gauche et 1,4 % des patientes traitées pour un cancer
du sein droit ont été hospitalisées pour une valvulopathie (3).
L’utilisation de molécules ayant une cardiotoxicité reconnue
– comme les anthracyclines, le cyclophosphamide – ou des propriétés
radiosensibilisantes – comme le 5-FU –, tout comme la présence
d’antécédents familiaux, le tabagisme ou les facteurs de risque métaboliques (diabète, dyslipidémies) peuvent majorer cette toxicité.
Chez notre patiente, l’insuffisance cardiaque ne peut être uniquement expliquée par la radiothérapie. Les doses ont été respectées.
Néanmoins, le traitement à l’époque a fait appel à des moyens
techniques suboptimaux (avant l’apparition des électrons dans
la pratique de routine). Les doses d’adriamycine reçues (400 mg
au total) étaient bien inférieures au seuil habituel de risque de
cardiotoxicité (550 mg/m2) et il n’y avait pas de facteur de risque
particulier en dehors de ceux consécutifs aux traitements reçus.
Il n’y a pas de traitement spécifique des complications cardiaques
des radiations ionisantes et de la chimiothérapie par anthracyclines. Le meilleur traitement reste la prévention. Ces complications pouvant survenir très longtemps après l’irradiation, une
surveillance prolongée est nécessaire.
La radiothérapie des cancers du sein rencontre un certain nombre
de difficultés techniques, dont certaines peuvent être résolues par
les moyens modernes d’imagerie et de dosimétrie. Ces difficultés
sont liées à la nécessité de traiter des volumes cibles parfois considérables, à la proximité d’organes critiques, avec des variations
anatomiques importantes d’une patiente à l’autre. La dose de
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référence, sur l’axe des faisceaux à mi-épaisseur du sein, est de
50 Gy en 25 fractions de 2 Gy, étalée sur 33 à 35 jours, ou de
50,4 Gy en 28 fractions de 1,8 Gy sur 38 jours, 5 jours par semaine.
Ce fractionnement est un compromis établi de façon empirique
entre la dose efficace, la tolérance et le risque de séquelles. Le
traitement suit des recommandations définissant la dose et la
tolérance de la variation de dose dans le sein compatibles avec
un faible risque de séquelles (4, 5). Dans certaines situations où le
volume cardiaque ou pulmonaire irradié est trop important avec
une technique standard, des techniques utilisant des positions
différentes peuvent être mises en œuvre (6, 7). À l’Institut Curie,
l’alternative à l’irradiation du sein en décubitus est l’utilisation
d’une irradiation en décubitus latéral isocentrique (DLI) [5]. Elle est
fondée sur le principe de détacher la glande de la paroi thoracique
afin de réduire ou d’éliminer l’irradiation du poumon et du cœur.
L’irradiation des relais ganglionnaires diminue le risque de récidive
ganglionnaire. L’intérêt de l’irradiation de la CMI est attesté par
les résultats de grandes études randomisées (8, 9). La proximité
des structures médiastinales et du cœur expose ces derniers à un
risque d’irradiation. Dans la plupart des cas, l’irradiation de la CMI
est associée à une irradiation du sein ou de la paroi thoracique.
Mais, dans tous les cas, ce traitement doit être réalisé “sur mesure”
pour chaque patiente.
Ces dernières années ont connu une vraie révolution dans le développement de techniques d’irradiation mammaire et ganglionnaire,
avec une définition très précise des volumes et des techniques très
avancées (10-15). Parallèlement, les complications des anciennes
techniques d’irradiation sont devenues mieux connues et documentées (16, 17).
■
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