HigHligHts Radio-oncologie: l’irradiation partielle du sein (IPS) n’est-elle qu’au stade expérimental? Ou: à partir de quand une patiente est-elle âgée? Kristina Lössl, Daniel M. Aebersold Klinik und Poliklinik für Radio-Onkologie Inselspital/Universität Bern Kristina Lössl Au cours des 15 dernières années, le traitement conservateur du cancer du sein est devenu le standard thérapeutique incontesté dans le cas d’une délimitation locorégionale de la tumeur. Ce concept comprend l’irradiation adjuvante du sein opéré (et éventuellement des vaisseaux lymphatiques). Alors que les études des années 1990 cherchaient encore la possibilité de renoncer à l’irradiation, nous savons aujourd’hui qu’il est indispensable de procéder à l’irradiation totale du sein (ITS) chez la plupart des patientes, et que de plus il faut compléter cette mesure par la surimpression (boost) du lit tumoral. En Suisse, lorsque le cancer du sein est diagnostiqué pour la première fois, plus de 70% des patientes reçoivent un traitement chirurgical conservateur du sein. Périodiquement se repose la question de savoir si l’on ne pourrait pas renoncer à six semaines d’irradiation quotidienne, du moins chez les femmes d’un certain âge. Mais à partir de quand une patiente est-elle considérée comme «d’un certain âge» ou «d’un âge certain»? L’espérance de vie d’une femme se situait à moins de 45 ans en 1881 et elle s’élève à presque 84 ans aujourd’hui. Selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse comptait 7 701856 habitants en 2008, dont 909 754 étaient âgés de plus de 70 ans et 59082 de plus de 90 ans. Comme d’autres tumeurs solides, le cancer du sein est une maladie de la vieillesse dont l’incidence croît avec l’âge dans la plupart des pays. En Suisse elle atteint son maximum entre 60 et 65 ans et décroît très légèrement par la suite. Dans les cancers du sein nouvellement diagnostiqués, 32% concernent des femmes de plus de 70 ans (Association suisse des registres des tumeurs). Dès lors se pose la question: faut-il compter une femme de 69 ans (Tina Turner lors de son concert public à Dublin, en mars 2009) ou une autre de 73 ans (Sophia Loren lors de la cérémonie des Oscars à Los Angeles, en février 2009) parmi les femmes «d’un certain âge» ou parmi celles «d’un âge certain»? Une chose est certaine: personne n’aurait l’idée de proposer une mastectomie à ces personnalités publiques pour faire l’économie d’une irradiation adjuvante. Il ne fait aucun doute qu’une femme septuagénaire peut encore avoir une espérance de vie restante de 15 ans ou plus, même si son état général est diminué. Même une femme de 80 ans a de bonnes chances d’atteindre 90 ans et, par là même, de courir un risque de récidive locale en cas de suppression de l’irradiation adjuvante. Certes, la réduction absolue du risque de récidive locale varie avec l’âge et l’irradiation adjuvante est plus efficace chez une patiente de moins de 50 ans (elle réduit le risque de récidive locale de 22%, en valeur absolue, par rapport au traitement chirurgical conservateur du sein) que chez une femme ayant dépassé cet âge. Cependant, cette réduction absolue du risque ne diminue que lentement lorsque l’âge avance (elle se situe à 16% entre 50 et 59 ans, à 12% entre 60 et 69 ans et à 11% au-delà de 70 ans; ces valeurs sont significatives pour toutes les tranches d’âge) [1]. Quant à la surimpression du lit tumoral, elle présente elle aussi un maximum d’efficacité chez les patientes de moins de 40 ans, mais on observe un nouvel accroissement de sa valeur thérapeutique au-delà de 70 ans. En l’état des connaissances, on ne peut donc pas renoncer à la radiothérapie avec bonne conscience, que les femmes soient âgées de plus de 70 ans ou non. Et n’oublions pas qu’après un traitement chirurgical conservateur du sein, il faut assurer un suivi postopératoire à intervalles serrés pour pouvoir effectuer une opération à temps en cas de récidive locale. Est-ce que l’on veut vraiment infliger tout ce processus de contrôles prolongés à une patiente «d’un âge certain» et, de plus, lui imposer la perspective d’une nouvelle intervention chirurgicale? Il est clair qu’un traitement de 6 semaines représente souvent une charge épuisante pour les patientes d’un certain âge. Au Canada, par exemple, certaines femmes optent pour la mastectomie afin d’éviter les longs trajets quotidiens pendant la radiothérapie. Chez nous aussi, les femmes préfèrent parfois la solution ablative à un long traitement adjuvant. La situation sur le plan de la politique sanitaire a conduit le Canada et la Grande-Bretagne à «réactiver» les schémas courts testés dans les années 1970–80. Les études START ont confronté certains schémas de fractionnement comme 13 x 3,2 Gy au bras standard avec 25 x 2 Gy au bras standard [2, 3]. Elles ont montré que la chance de survie sans récidive locale était plus élevée lors d’une dose individuelle plus forte. La biologie du cancer du sein laisse donc supposer Figure 1 Curiethérapie interstitielle sous forme d’IPS. Forum Med Suisse 2010;10(1–2):29 29 HigHligHts qu’une dose journalière plus élevée a un impact positif sur le contrôle local. D’autre part, ces études ont confirmé clairement un résultat déjà connu dans les années 1980 et quelque peu «redouté» dans les années 1990: sur le long terme, les doses journalières plus élevées exercent une action toxique dans une région plus étendue, qui pro- voque à son tour un phénomène d’induration du sein ou des effets secondaires au niveau du cœur ou du poumon. L’irradiation partielle et hypofractionnée du sein est la forme extrême de l’irradiation en schéma court. A cet égard, c’est la curiethérapie interstitielle qui a accumulé le plus d’expérience (fig. 1 x); l’exposition au rayonne- Figure 2 Cliché représentant la distribution des isodoses pour la planification de l’IPS par curiethérapie interstitielle avec des cathéters multiples. Figure 3 Cliché représentant les isodoses en «colour-wash» et illustrant la possibilité de traitement par IPS percutanée par la technologie RapidArc® (Varian). Forum Med Suisse 2010;10(1–2):30 30 HigHligHts ment ionisant d’une source d’iridium s’y fait «directement sur place». Les études de la phase II portaient sur un suivi de 7 ans, et elles ont observé des taux de récidive locale similaires à ceux de l’irradiation totale du sein (de 3 à 5%) – dans la mesure où les patientes traitées présentaient un carcinome à risque faible. Cet effort a motivé, sur le plan international, à effectuer sept études de phase III intégrant les techniques les plus diverses: schéma de fractionnement appliqué une seule fois directement pendant l’opération, curiethérapie avec un ou plusieurs cathéters, irradiation percutanée. Même si les premières de ces études ont terminé leur recrutement et présentent des données préliminaires très prometteuses, il faudra encore une bonne dizaine d’années pour obtenir des résultats définitifs sur le plan du cancer du sein. Pouvons-nous attendre aussi longtemps pour obtenir ces résultats? Selon des sources publiées aux EtatsUnis, plus de 30000 patientes du monde entier ont subi une irradiation partielle du sein en 2008 en suivant une curiethérapie par cathéter MammoSite®. La pression exercée par les patientes désirant suivre un traitement adapté à leurs besoins est énorme, et la situation peut être comparée à celle des années 1990, lorsque le traitement conservateur du sein avait remplacé la mastectomie (tout en notant bien qu’on ne disposait pas encore d’observations sur le long terme au début de cette période). Il ne faut pas lui céder trop facilement, car cela risquerait de porter préjudice aux excellents résultats obtenus dans les petits carcinomes du sein. Pour finir, revenons sur le sujet initial des patientes «d’un âge certain». Nous voulons offrir aux femmes de plus de 70 ans un traitement par chirurgie conservatrice du sein qui assure l’absence de tumeurs à long terme et qui évite de devoir traverser un processus épuisant d’irradiation adjuvante. Dès lors, pourquoi ne satisferions-nous pas tous ces cas en recourant plus fréquemment à l’irradiation partielle et accélérée du sein (fig. 2, 3 x)? Correspondance: Dr Kristina Lössl Stv. Chefärztin Klinik und Poliklinik für Radio-Onkologie Inselspital/Universität Bern CH-3010 Bern [email protected] Références 1 EBCTCG. Effects of radiotherapy and of differences in the extent of surgery for early breast cancer on local recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet. 2005;366(9503): 2087–106. 2 START Trialists’ Group, Bentzen SM, et al. The UK Standardisation of Breast Radiotherapy (START) Trial A of radiotherapy hypofractionation for treatment of early breast cancer: a randomized trial. Lancet Oncol. 2008;9(4):331–41. 3 START Trialists’ Group, Bentzen SM, et al. The UK Standardisation of Breast Radiotherapy (START) Trial B of radiotherapy hypofractionation for treatment of early breast cancer: a randomized trial. Lancet. 2008; 371(9618):1098–107. Forum Med Suisse 2010;10(1–2):31 31