Descente galoisienne sur le groupe de Brauer
Jean-Louis Colliot-Th´el`ene et Alexei N. Skorobogatov
21 juillet 2011/26 septembre 2011
R´esum´e
Soit Xune vari´et´e projective et lisse sur un corps kde caract´eristique z´ero.
Le groupe de Brauer de Xs’envoie dans les invariants, sous le groupe de
Galois absolu de k, du groupe de Brauer de la mˆeme vari´et´e consid´er´ee sur
une clˆoture alg´ebrique de k. Nous montrons que le quotient est fini. Sous des
hypoth`eses suppl´ementaires, par exemple sur un corps de nombres, nous don-
nons des estimations sur l’ordre de ce quotient. L’accouplement d’intersection
entre les groupes de diviseurs et de 1-cycles modulo ´equivalence num´erique
joue ici un rˆole important.
Abstract
For a smooth and projective variety Xover a field kof characteristic zero we
prove the finiteness of the cokernel of the natural map from the Brauer group
of Xto the Galois-invariant subgroup of the Brauer group of the same variety
over an algebraic closure of k. Under further conditions on k, e.g. over number
fields, we give estimates for the order of this cokernel. We emphasise the rˆole
played by the exponent of the discriminant groups of the intersection pairing
between the groups of divisors and curves modulo numerical equivalence.
MSC-class : 14F22 ; 14G99, 14C25, 16K50
Introduction
Soit Xune vari´et´e projective, lisse et g´eom´etriquement int`egre sur un
corps kde caract´eristique z´ero. Soit kune clˆoture alg´ebrique de k. Soient
Γ = Gal(k/k) et X=X×kk. On a l’application naturelle de groupes de
Brauer :
Br(X)Br(X).
1
Le noyau de cette application, not´e Br1(X), est appel´e groupe de Brauer
alg´ebrique de X. L’image de cette application est appel´e groupe de Brauer
transcendant de X. C’est un sous-groupe du groupe des invariants Br(X)Γ.
On a donc l’inclusion
Br(X)/Br1(X)Br(X)Γ.
On voudrait calculer ces groupes, en particulier en vue de l’´etude de l’obs-
truction de Brauer–Manin. La double question suivante a ´et´e soulev´ee dans
[20] et [2].
Si kest un corps de type fini sur Q, chacun des groupes Br(X)/Br1(X)
et Br(X)Γest-il un groupe fini ?
Dans cet article nous montrons que cette double question se r´eduit `a une
seule question.
Pour Xune vari´et´e projective, lisse, et g´eom´etriquement int`egre sur un
corps kde caract´eristique z´ero, nous montrons que le conoyau de l’application
naturelle
α: Br(X)Br(X)Γ
est un groupe fini. Sous des hypoth`eses suppl´ementaires sur le corps de base k,
par exemple sur un corps de nombres, nous donnons des estimations pour
l’exposant et l’ordre de ce groupe fini.
Notre principal outil est un complexe naturel (voir le paragraphe 1.3)
Br(X)α
Br(X)Γβ
H2(k, Pic(X))
qui pour Xavec un point rationnel ou pour kun corps de nombres est une
suite exacte. Nous ´etudions l’image (finie) de βpar deux m´ethodes diff´erentes,
qui m`enent `a des estimations similaires mais non identiques.
La premi`ere m´ethode fait l’objet du paragraphe 2. L’id´ee principale est
d’utiliser la fonctorialit´e du complexe ci-dessus par rapport aux morphismes
de k-vari´et´es et d’utiliser la trivialit´e du groupe de Brauer des courbes sur un
corps alg´ebriquement clos (th´eor`eme de Tsen). Cela montre que la restriction
de l’image de β`a toute courbe ferm´ee dans Xest nulle. Ceci m`ene aux
th´eor`emes 2.1 et 2.2.
La deuxi`eme m´ethode utilise une remarque g´en´erale sur les diff´erentielles
dans la suite spectrale des foncteurs compos´es. Soit Br0(X) le sous-groupe
2
divisible maximal de Br(X), et soit NS(X) le groupe de N´eron–Severi. Nous
montrons que l’application compos´ee
Br0(X)ΓBr(X)Γβ
H2(k, Pic(X))H2(k, NS(X)/tors)
peut se lire comme l’homomorphisme de connexion associ´e `a une certaine
2-extension naturelle de Γ-modules obtenue `a partir de la suite de Kummer
(voir le corollaire 3.5). D’apr`es un th´eor`eme de Lieberman rappel´e au pa-
ragraphe 1.1, ´equivalence num´erique et ´equivalence homologique co¨ıncident
sur les cycles alg´ebriques de dimension 1. (Pour les surfaces, le th´eor`eme de
Lieberman est un r´esultat classique de Matsusaka.) Nous utilisons ce fait
pour montrer `a la proposition 4.1 que l’image de l’application compos´ee ci-
dessus est annul´ee par l’exposant de chacun des deux groupes discriminants
d´efinis par l’accouplement d’intersection entre les groupes de diviseurs et les
groupes de 1-cycles sur X, modulo ´equivalence num´erique. Les bornes pour
le conoyau de αobtenues par cette m´ethode sont donn´ees aux th´eor`emes 4.2
et 4.3.
Au paragraphe 5 nous donnons des applications aux surfaces K3 et aux
produits de deux courbes. Pour toute telle surface avec un k-point, l’´enonc´e
est particuli`erement simple : le conoyau de αest annul´e par l’exposant du
groupe discriminant d´efini par la forme d’intersection sur NS(X), voir les
propositions 5.1 et 5.2.
T. Szamuely a demand´e si le r´esultat de finitude du th´eor`eme 2.1 vaut
encore pour les vari´et´es lisses quasi-projectives. Au paragraphe 6 nous don-
nons une r´eponse affirmative lorsque le corps de base kest un corps de type
fini sur Q.
Ce travail a ´et´e commenc´e lors de la conf´erence “Arithmetic of surfaces”
qui s’est tenue au Centre Lorentz `a Leiden en Octobre 2010. Nous en remer-
cions les organisateurs. Nous remercions L. Illusie, B. Kahn, J. Riou pour
leur aide concernant le paragraphe 1.1, et T. Szamuely pour sa question.
1 Pr´eliminaires
Soient kun corps de caract´eristique z´ero, kune clˆoture alg´ebrique de k
et Γ = Gal(k/k) le groupe de Galois absolu de k.
Soit Xune vari´et´e projective, lisse et g´eom´etriquement int`egre sur k, de
dimension d. Soit X=X×kk.
3
Pour un groupe ab´elien Aet n > 0 un entier, on note A[n]Ale
sous-groupe des ´el´ements annul´es par n. Pour un nombre premier on note
A{} ⊂ Ale sous-groupe de torsion -primaire.
1.1 Cycles alg´ebriques
Pour tout entier iavec 0 id, soit CHi(X) le groupe de Chow
des cycles de codimension isur X, c’est-`a-dire le groupe des combinai-
sons lin´eaires `a coefficients entiers de sous-vari´et´es ferm´ees irr´eductibles de
codimension imodulo l’´equivalence rationnelle. Comme Xest lisse, on a
Pic(X) = CH1(X). Soit NS(X) le groupe de N´eron–Severi de X. C’est le
quotient de Pic(X) par son sous-groupe divisible maximal Pic0(X), groupe
des k-points de la vari´et´e de Picard de X.
Puisque Xest projective, l’intersection d´efinit une forme bilin´eaire Γ-
´equivariante
CHi(X)×CHdi(X)Z.(1)
Soit Ni= Numi(X) le groupe des cycles de codimension isur Xmodulo
´equivalence num´erique. C’est le quotient de CHi(X) par le noyau (`a gauche)
de l’accouplement (1). ´
Ecrivons Ni=Ndi. Nous obtenons une forme bi-
lin´eaire Γ-´equivariante
Ni×NiZ(2)
dont les noyaux `a gauche et `a droite sont triviaux. Pour tout i0 le groupe
ab´elien Niest libre de type fini. Ceci r´esulte de l’existence d’une cohomo-
logie de Weil, `a coefficients dans un corps de caract´eristique z´ero et munie
d’applications classe de cycle pour lesquelles le cup-produit en cohomologie
est compatible avec l’intersection des cycles [9, Thm. 3.5, p. 379].
Pour i= 1, l’accouplement (2) donne naissance `a la suite exact de Γ-
modules
0N1Hom(N1,Z)D0,(3)
qui d´efinit le Γ-module fini D. Ce groupe est l’un des deux groupes discrimi-
nants associ´es `a l’accouplement N1×N1Z.
Pour tout i0 on dispose des applications classe de cycle
CHi(X)H2i
´et(X, Z`(i)),
voir [12, Section VI.9] et [19, Cycle]. Ces applications transforment cup-
produit en cohomologie -adique en intersection des cycles alg´ebriques, voir
4
[12, Prop. VI.9.5]. Introduisons les Γ-modules
Ni
`=NiZ`, Ni,` =NiZ`, H2i
`= H2i
´et(X, Z`(i))/tors.
Pour toute th´eorie cohomologique `a coefficients dans un corps de caract´eris-
tique z´ero, avec applications classe de cycle compatibles avec le cup-produit
en cohomologie, l’´equivalence homologique implique l’´equivalence num´erique.
Selon les “conjectures standards”, pour toute bonne th´eorie cohomologique,
´equivalence homologique et ´equivalence num´erique devraient co¨ıncider. Dans
le contexte de la cohomologie -adique, l’application classe de cycle devrait
se factoriser de la fa¸con suivante :
CHi(X)Z`Ni
`H2i
`.(4)
C’est le cas pour i= 1 par un th´eor`eme classique de T. Matsusaka [11], qui
montra N1= NS(X)/tors.
Pour la cohomologie de Betti, avec applications classe de cycle
CHi(X)H2i
Betti(X(C),Q(i)),
o`u Z(i) = Z(2π1)i, ceci fut ´etabli pour i=d1 par D. Lieberman
[10, Cor. 1]. Une version plus alg´ebrique de la d´emonstration fut donn´ee
par Kleiman [9, Remark 3.10]. Ces deux articles ´etablissent des r´esultats
pour d’autres valeurs de i, et pour cela font appel au th´eor`eme de l’indice
de Hodge. Le cas case i=d1 est plus simple, comme nous expliquons
maintenant.
Proposition 1.1 Soit Xune vari´et´e connexe, projective et lisse sur C. D´efi-
nissons l’´equivalence homologique sur les cycles au moyen de la cohomologie
de Betti `a coefficients rationnels. L’homomorphisme naturel
CH1(X)/hom CH1(X)/num
est un isomorphisme.
D´emonstration. On peut supposer d= dim(X)3. Soit LCH1(X) la
classe d’une section hyperplane. Pour Aun groupe ab´elien, on note AQ:=
AZQ. La multiplication par Ld2CHd2(X) d´efinit un diagramme
commutatif d’espaces vectoriels sur Q:
CHd1(X)Q/num CHd1(X)Q/hom Hdgd2(X, Q)H2d2(X, Q(d1))
↑ ↑
CH1(X)Q/num CH1(X)Q/hom Hdg2(X, Q)H2(X, Q(1)).
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