Comprendre et soigner la depression
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Dépression et pathologies
somatiques
C. Debacq
La présence de troubles somatiques augmente le risque de troubles psychia-
triques, essentiellement des troubles anxieux et dépressifs mais aussi des
troubles psycho-organiques incluant les atteintes cognitives et les symp-
tômes psychotiques.
La comorbidité dépression–pathologies–somatiques serait sous la dépen-
dance de multiples facteurs. Sa fréquence augmente avec l’âge du sujet. Elle
concerne principalement les patients hospitalisés dans un hôpital général
(25%) par rapport à ceux suivis en consultation ambulatoire et à la popu-
lation générale. En outre, cette comorbidité est relativement fréquente chez
les sujets hospitalisés en psychiatrie (environ 40 %) et touche 55 % des
patients hospitalisés pour dépression. Enfi n, elle dépend du type de mala-
dies somatiques intriquées.
Après un rappel de quelques généralités, nous présenterons des données
diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques en considérant les princi-
pales pathologies organiques associées à la dépression.
Défi nitions
La dépression primaire peut être comorbide d’une pathologie somatique. La
dépression secondaire survient dans un contexte de pathologies somatiques
préexistantes, essentiellement endocrinologiques ou neurologiques, chez
un sujet présentant un trouble de la personnalité, un trouble psychiatrique
ou dans un contexte de iatrogénie.
Le diagnostic de dépression doit être différencié de celui de trouble de
l’adaptation, qui peut évoluer vers un trouble dépressif. Une réaction
émotionnelle importante accompagnant une maladie organique peut faire
porter le diagnostic d’épisode dépressif majeur par excès. À l’inverse, il en
va de même pour le repérage d’une pathologie organique chez un sujet
présentant une dépression. Un symptôme somatique dans un contexte de
dépression nécessite la recherche d’une étiologie organique.
Généralités
Le dépistage et le diagnostic du trouble dépressif sont essentiels devant un
trouble somatique. Pour certains, la durée du syndrome dépressif est une
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notion importante à considérer. Le risque est en effet de surestimer le diag-
nostic de dépression. Plus l’identifi cation de la dépression est précoce, plus
le traitement peut être débuté tôt, en dehors du contexte où le traitement
de la pathologie organique permet l’atténuation des troubles thymiques.
C’est surtout le cas des endocrinopathies ou des maladies métaboliques.
Le retentissement thymique d’une pathologie organique peut être éva-
lué par le somaticien. Il peut être intéressant de rechercher l’association de
telles pathologies devant l’existence de facteurs de risque ou prédisposants.
Un symptôme dépressif peut être d’origine psychique et somatique. Toute
la diffi culté du diagnostic réside dans le fait que des symptômes physiques
ou neurovégétatifs font partie du diagnostic d’épisode dépressif majeur.
Inversement, ils peuvent être retrouvés dans une maladie organique conco-
mitante, telle qu’une connectivite. Dans ce dernier cas, l’absence d’antécé-
dents dépressifs et de facteurs biopsychosociaux déclenchants connus aide
au diagnostic. La surveillance à long terme s’impose chez ces patients.
Des études ont cherché à montrer un lien avec le développement de
pathologies organiques chez les sujets dépressifs. Ce risque existerait après
élimination d’associations d’autres facteurs prédisposants tels que le sexe,
l’âge, le poids, les hospitalisations, les addictions, les traitements anti-
dépresseurs. Seraient concernées des pathologies telles que le diabète non
insulino-dépendant, les pathologies cardiovasculaires, l’hypertension arté-
rielle, les affections douloureuses chroniques et, dans le cadre d’une dépres-
sion chronique, les pathologies tumorales. Les troubles de la personnalité
pourraient participer à cette potentialité prédictive.
À l’inverse, les patients atteints de maladies organiques chroniques pré-
sentent des épisodes dépressifs majeurs avec une plus grande fréquence que
les sujets sains. Une dépression ne doit pas être minimisée dans un contexte
de pathologies organiques, afi n de permettre l’adaptation d’une prise en
charge précoce, l’évaluation régulière et ainsi la prévention du risque suici-
daire. Ce dernier sera particulièrement recherché chez les personnes âgées
et chez les sujets atteints d’une maladie somatique chronique grave.
Particularités selon les pathologies organiques
Pathologies neurologiques
Des sujets migraineux, environ un quart, particulièrement les femmes, pré-
senteraient un épisode dépressif majeur durant leur vie.
Lors d’accidents vasculaires cérébraux ou de pathologies vasculaires, la
dépression est fréquente, sa prévalence varie selon les études entre 18 et 60 %.
La symptomatologie dépressive est rarement pure et souvent associée à une
amnésie, une apathie, une confusion, une agitation avec hallucination, des
défi cits intellectuels, des troubles de la marche, des défi cits focaux selon la
localisation des lésions vasculaires cérébrales. La dépression complique la
récupération des troubles cognitifs. Le risque d’accident vasculaire cérébral
serait plus élevé dans un contexte de dépression.
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Dans 45 % des cas, les traumatisés crâniens présenteraient des épisodes
dépressifs majeurs, et dont la moitié correspondrait à des premiers épisodes.
Chez le parkinsonien idiopathique, la dépression a une forte prévalence
variant entre 4 et 75 % selon les études. Chez les parkinsoniens, la fré-
quence de la dépression est corrélée avec l’atteinte détériorative. Elle est
indépendante de la gravité du handicap physique. Elle peut précéder de
quelques années l’apparition du trouble moteur, ou être de survenue tar-
dive dans l’évolution de la maladie de Parkinson. Elle altère la qualité de vie
de ces sujets. Au niveau neurobiologique, les hypothèses dopaminergique
et sérotoninergique ont été envisagées.
Dans la sclérose en plaques, le risque de dépression au cours de la vie
est fréquent et d’au moins 50 %. La survenue de celle-ci peut être tardive,
secondaire au retentissement fonctionnel de la maladie, son intensité
n’étant pas forcément corrélée à la gravité du handicap dû à la sclérose en
plaques. Elle peut être liée à une poussée infl ammatoire. Aussi la dépression
serait plus fréquente selon les localisations cérébrales des atteintes et parti-
culièrement au niveau du lobe temporal. La participation iatrogène par les
corticoïdes doit être discutée dans les facteurs étiologiques de la dépression.
La prévalence d’une dépression au cours d’une maladie d’Alzheimer est
très variable selon les études. Devant toute dépression résistante chez un
adulte de plus de 50 ans, une détérioration mentale doit être recherchée ;
elle peut inaugurer cette dernière. Par ailleurs, une personne âgée, pré-
sentant un état dépressif, peut avoir des troubles cognitifs faisant partie
du trouble thymique et régressant lors du traitement antidépresseur, d’où
l’intérêt de la thérapeutique médicamenteuse d’épreuve.
Lors de tumeurs cérébrales, primitives ou métastatiques, la présentation
thymique dépressive peut être trompeuse et faire négliger le diagnostic
neurologique. Ceci est plus fréquent lors des évolutions tumorales lentes
telles que des méningiomes. La dépression est souvent atypique, sans dou-
leur morale, avec une certaine indifférence, un apragmatisme plus qu’un
ralentissement moteur. Le fond d’œil et le bilan des fonctions supérieures
complètent l’examen neurologique. Toutefois le scanner cérébral peut révé-
ler le diagnostic. La tomodensitométrie s’impose devant toute perturbation
de l’examen neurologique ou toute dépression atypique.
Dans l’épilepsie récidivante, la prévalence de la dépression varie de 20 à
55 % et dans le trouble contrôlé, de 3 à 9 %. Une dépression est le plus sou-
vent retrouvée lors des comitialités à point de départ temporal. Les dépres-
sions survenant en dehors des crises chez les épileptiques ont un risque
suicidaire plus élevé que lors des dépressions de même intensité dans la
population générale.
D’autres pathologies neurologiques peuvent avoir un retentissement thy-
mique ou s’accompagner de troubles dépressifs. Il peut s’agir de la maladie
de Wilson ou « dégénérescence hépatolenticulaire », maladie génétique
autosomique récessive à prévalence faible, où l’association aux troubles
neurologiques aide au diagnostic. Celui-ci repose sur la diminution de la
céruléoplasmine et de la cuprémie, l’augmentation de la cuprurie, et sur
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la visualisation de l’anneau vert péricornéen de Kaiser-Fleisher lors de
l’examen ophtalmologique à la lampe à fente. Aussi l’hématome sous-dural
et l’hydrocéphalie à pression normale sont des contextes diagnostiques à
envisager devant un épisode dépressif majeur.
Étiologies endocriniennes et métaboliques
Les étiologies endocriniennes et dysmétaboliques sont à rechercher en pre-
mière intention devant un état dépressif, car elles peuvent nécessiter un
traitement médical parfois urgent.
Des troubles de l’humeur, particulièrement dépressifs, peuvent être
retrouvés lors de troubles du métabolisme glucidique. Il peut s’agir d’un
contexte d’hypoglycémie par tumeur insulinique, insulinome, ou iatrogène
lors du traitement du diabète, ou d’hyperglycémie par diabète. La préva-
lence d’une dépression lors d’un diabète est environ de 9 %. Toutefois, le
rôle du trouble endocrinien dans la survenue de la dépression n’est pas
toujours facile à établir.
Lors de carences vitaminiques (PP, B
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, foliques), en acides aminés (trypto-
phane, tyrosine…), une hypothymie peut être retrouvée. Nous citerons égale-
ment le cadre des malabsorptions, telles que la maladie cœliaque (anémie,
hypoalbulminémie, hypocalcémie), comme contexte possible de survenue
d’un trouble de l’humeur.
Les formes trompeuses de dépression lors d’hyper- ou d’hypothyroïdie
sont fréquentes et à envisager systématiquement ; ainsi le dosage de TSH
fait partie du bilan étiologique d’un épisode dépressif majeur. Néanmoins,
les dysthyroïdies biologiques sont à interpréter conjointement avec la cli-
nique. Une TSH basse peut être liée à une prise médicamenteuse, à une
maladie associée voire être retrouvée chez des sujets normaux.
Lors de pathologies surrénaliennes, l’hypocorticisme peut être révélé par
une dépression. Dans le cas d’une maladie d’Addison, par atteinte périphé-
rique le diagnostic est facilité par la mélanodermie. Toutefois le diagnostic
peut être retardé lors d’une insuffi sance corticotrope par atteinte centrale,
telle qu’une tumeur hypophysaire, une maladie de Sheehan. Les dosages
compléteront la mise en évidence du diagnostic, avec le cycle cortisolique.
Quant à l’hypercorticisme, son rapport avec la dépression est diffi cile.
Parallèlement, il peut être à l’origine d’une dépression sévère et, d’ailleurs,
il est compliqué de faire la part entre une dépression primaire et une dépres-
sion, plutôt atypique, rentrant dans la symptomatologie d’une maladie de
Cushing d’origine centrale, ou d’une dépression symptomatique d’un syn-
drome de Cushing d’origine périphérique, ou enfi n lors d’une corticothé-
rapie (dont la dose est supérieure à 80 mg). Ce trouble thymique régresse
alors avec le traitement de l’endocrinopathie. Les anomalies cliniques telles
que la faiblesse musculaire, les troubles cutanés et l’érythrose faciale aident
au diagnostic de maladie de Cushing, tout comme le test au CRF, sans
réponse en ACTH dans la dysthymie. Inversement, un épisode dépressif
majeur peut s’accompagner d’un hypercorticisme, avec augmentation du
cortisol libre urinaire et absence de freination au test à la dexaméthasone.
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Enfi n l’hypercorticisme lui-même peut être à l’origine d’un état dépressif
authentique.
Dans le cadre d’une insuffi sance hypophysaire, un état dépressif majeur
peut être retrouvé et s’installe le plus souvent progressivement. Les symp-
tômes associés, tels qu’une anémie, une aménorrhée, une impuissance
sexuelle chez l’homme par défi cit en testostérone, peuvent aider au diagnostic.
La dépression peut s’expliquer par une hypothyroïdie, un hypocorticisme
ou une insuffi sance somatotrope. Par ailleurs, l’étiologie de l’insuffi sance
hypophysaire doit être recherchée ; il peut s’agir d’une maladie de Shee-
han, d’une tumeur hypophysaire, d’un traitement chirurgical ou radiothé-
rapique.
Enfi n, l’hyperparathyroïdie peut être un facteur prédisposant à la sur-
venue d’une dépression par hypercalcémie. La normalisation de la calcémie
permet dans la plupart des cas le retour à l’euthymie.
Pathologies cardiaques ou pneumologiques
Dans un contexte de trouble cardiaque ou pneumologique, une symptoma-
tologie dépressive peut survenir.
Lors d’une maladie cardiaque, la prévalence d’une dépression varie entre
17 et 27 % et augmenterait la morbidité chez ces sujets. Chez les sujets
insuffi sants cardiaques, la prévalence de la dépression est élevée. Elle varie,
selon les études, de 35 à 70 % chez les patients hospitalisés et de 11 à 25%
chez les patients suivis en ambulatoire. La dépression serait un facteur pré-
disposant aux pathologies coronaires.
Concernant les pathologies pneumologiques, il peut s’agir d’une hypoxie,
du syndrome d’apnée du sommeil.
Maladies infectieuses
Un contexte infectieux peut aussi précipiter la survenue d’un épisode
dépressif majeur. Nous citerons la tuberculose, la syphilis, la maladie de
Lyme. Néanmoins, les troubles neurologiques presque systématiquement
présents permettent d’éviter le diagnostic différentiel de dépression.
Le début d’une infection par le VIH, avec son cortège de signes cliniques
appartenant aussi à la lignée thymique, peut faire penser à un trouble
dépressif. Par ailleurs, ce dernier diagnostic différentiel sera peu fait lors
de l’évolution de la maladie ; néanmoins il pourra être associé dans ce
contexte. Chez les sujets VIH, la prévalence de la dépression varie entre 5
et 20 % selon les études. La dépression serait plutôt chronique, et les états
retrouvés seraient essentiellement dysthymiques. La dépression, associée
aux altérations sociales, aurait un retentissement négatif sur la pathologie
infectieuse.
Chez les sujets co-infectés VIH–VHC, les troubles psychiques les plus fré-
quents sont l’anxiété et la dépression. Il peut s’agir aussi d’autres troubles de
l’humeur, de troubles du comportement à type d’impulsivité, d’irritabilité,
d’insomnie, de troubles délirants et de conduites addictives (alcoolisme en
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