étud es Les pouvoirs publics peuvent-ils encore, dans un monde globalisé, peser sur l’activité et le financement de l’économie ? C’est à cette question cruciale que cet ouvrage tente de répondre. n Y ves Jégourel est maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux, membre du Laboratoire d’analyse et de recherche en économie et finance internationales (Larefi) et Non-Resident Fellow à l’OCP Policy Center (Rabat). Max Maurin est docteur en sciences économiques et agrégé de sciences économiques et sociales. L es « Études de La Documentation française » Une collection de référence sur le monde contemporain et ses évolutions : institutions, vie politique, questions sociales, secteurs économiques, relations internationales. Des ouvrages pour tout lecteur en quête d’analyses approfondies et objectives. Diffusion Direction de l’information légale et administrative 3:DANNNB=^ZYUYU: N o 5404 Directeur de la publication : Bertrand Munch DF 08119-5404 ISSN 1763-6191 Prix : 14,80 € Le financement de l’économie française n Y. Jégourel et M. Maurin Par la politique budgétaire, qui s’inscrit aujourd’hui dans le cadre fixé par l’Union européenne, l’État entend favoriser l’activité, tout en sollicitant de nombreux relais, tant au niveau européen et national que régional. De son côté, la Banque centrale européenne s’est résolue à faire évoluer sa stratégie en stimulant une croissance économique largement déprimée. Les puissances publiques ont également su cibler leurs actions vers certaines priorités comme l’innovation, qui joue un rôle clé dans le soutien à la croissance. Enfin, le financement de l’économie ne serait rien sans les ressources provenant du « reste du monde » : l’accueil des « fonds souverains » constitue, en cela, un sujet essentiel. La documentation Française Tél. : 01 40 15 70 10 www.ladocumentationfrancaise.fr Imprimé en France études les Le financement de l’économie française les dF Le financement de l’économie française Quel rôle pour les acteurs publics ? Yves Jégourel Max Maurin Le financement de l’économie française Quel rôle pour les acteurs publics ? CHEZ LE MÊME ÉDITEUR/DIFFUSEUR « Comprendre le déficit de financement des PME » Michel Dietsch et Xavier Mahieux, Problèmes économiques, n° 3101, décembre 2014 « Bilan de l’économie française 2014 » Problèmes économiques, n° 3096, octobre 2014 La situation et les perspectives des finances publiques Cour des comptes, 2014 « France, changer de modèle ? » Problèmes économiques, n° 3091, juin 2014 Parlons banque en 30 questions Jézabel Couppey-Soubeyran et Christophe Nijdam, coll. « Doc’en poche-Entrez dans l’actu », 2014 Les conséquences de Solvabilité II sur le financement des entreprises Conseil économique, social et environnemental, 2014 Le financement de l’économie dans le nouveau contexte réglementaire Jézabel Couppey-Soubeyran, Olivier Garnier et Jean-Paul Pollin, Conseil d’analyse économique (CAE), 2013 À quoi sert la Banque centrale européenne ? Edwin Le Héron, coll. « Réflexe Europe-Débats », 2013 « La finance mise au pas ? » Cahiers français, n° 375, juillet-août 2013 Réformer le système monétaire international Agnès Bénassy-Quéré, Emmanuel Farhi et alii, Conseil d’analyse économique (CAE), 2013 Le financement public de la recherche, un enjeu national Cour des comptes, rapport public thématique, juin 2013 L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française Pierre-François Gouiffès, coll. « Les Études », 2013 « Comprendre les politiques économiques » Problèmes économiques, hors-série n° 4, septembre 2013 Le financement des PME et des entrepreneurs 2012. Tableau de bord de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2013 L’État et le financement de l’économie Cour des comptes, rapport public thématique, juillet 2012 Les Assises nationales du financement du long terme Caisse des dépôts et consignations (CDC), 2012 DES MÊMES AUTEURS « Acteurs publics et capital-investissement. Une analyse critique » Yves Jégourel, Revue française de gestion, vol. 40, n° 241, 2014 « La responsabilité sociale et environnementale en finance : réalité, performance et stratégie des fonds d’investissement éthiques » Yves Jégourel avec Jean-François Verdié, La Revue du financier, n° 193, janvier 2012 Les produits financiers dérivés Yves Jégourel, La Découverte, 2010 « La crise des subprimes : une approche en termes de capacité et besoin de financement » Max Maurin, Économie appliquée, n° 2, 2011 « J. M. Keynes, le libre-échange et le protectionnisme » Max Maurin, L’Actualité économique. Revue d’analyse économique, vol. 86, n° 1, 2010 Le financement de l’économie française Quel rôle pour les acteurs publics ? Yves Jégourel Maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux, membre du Laboratoire d’analyse et de recherche en économie et finance internationales (Larefi), Non-resident Fellow, OCP Policy Center (Rabat) Max Maurin Docteur en sciences économiques, agrégé de sciences économiques et sociales La Documentation française Département de l’édition dirigé par Julien Winock Collection dirigée par Pierre-Alain Greciano Conception graphique : Service de création graphique du département de l’édition Illustration de couverture : © guru3d – Fotolia © Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2015 ISSN 1763-6191 ISBN 978-2-11-009995-2 Les opinions exprimées dans cette étude n’engagent que leurs auteurs. « Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. » ❮ 5 S ommaire INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1. Les caractéristiques du financement de l’économie française . . . . . . . . . . . 15 Financement et croissance : les termes du débat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une économie marquée par l’omniprésence des banques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les marchés financiers, éléments clés du financement des acteurs privés et publics . . . . . . . . . . Le rôle des marchés financiers : entre transfert des risques et financement . . . . . . . . . . . . . . La spéculation : une question complexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Marchés financiers et croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Crise financière et réglementation : de nouvelles bases pour le financement bancaire . . . . . . . . . Les prémisses d’une réglementation bancaire internationale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . De Bâle II à Bâle III. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réglementations prudentielles et financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quel rôle pour l’acteur public ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 20 24 25 29 30 31 31 33 34 37 2. Politique budgétaire et dispositifs institutionnels : les instruments du soutien public au financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 La politique budgétaire dans le contexte de l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les fondements théoriques de la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le contrôle des politiques budgétaires par l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mesures de soutien de l’État au financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mesures de soutien direct . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mesures de soutien indirect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les relais publics de l’État pour assurer le financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’action de la Banque européenne d’investissement et de la Banque publique d’investissement en direction du financement de l’économie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le rôle des Régions dans la dynamisation des territoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 42 44 47 49 56 60 61 65 3. L’influence de la politique monétaire de la BCE sur l’économie française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Stabilité des prix, stabilité financière et croissance économique, nouveaux objectifs de la politique monétaire européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’objectif prioritaire de stabilité des prix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les nouveaux enjeux de soutien à la croissance et de stabilité financière. . . . . . . . . . . . . . . . Les outils monétaires traditionnels du refinancement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les politiques monétaires non conventionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 70 73 85 88 6 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 4. Le financement de l’innovation, pivot des politiques de soutien à la croissance économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 L’innovation en France : un état des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le poids de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’innovation aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les politiques publiques en faveur de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les politiques d’incitation fiscale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les partenariats public-privé et les pôles de compétitivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le renforcement des capacités financières des entreprises innovantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le drainage de l’épargne collective vers les entreprises innovantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 100 106 110 112 116 120 124 5. Économie française, pays émergents et fonds souverains : les enjeux d’une nouvelle donne financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Fonds souverains et financement des pays d’accueil : une ambiguïté à nuancer . . . . . . . . . . . . . . Une stratégie de diversification financière ou des velléités politiques ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . Une source de financement clé pour les économies d’accueil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Comment accueillir les capitaux étrangers ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les principes de Santiago . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les secteurs stratégiques et le principe de réciprocité en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Finance islamique et économie française : contraintes et opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vers l’affirmation d’un capitalisme d’État ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 131 133 136 137 139 141 143 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Bibliographie sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Liste des principaux sigles utilisés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Liste des tableaux, figures et encadrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 INTRODUCTION ❮ 7 I ntroduction La France de l’Ancien Régime se caractérise par un développement limité de son système financier au regard de ses grands voisins européens. Les expériences malheureuses du système de Law en 1720 et la crise des Assignats sous la Révolution française1 entretiennent un fort sentiment de méfiance à l’égard de la monnaie fiduciaire et des banques. Il existe néanmoins une organisation bancaire qui repose sur le modèle de la Haute banque et qui assure le financement du commerce (notamment des grands produits bruts et fabriqués comme le blé, le tabac ou les cotonnades) et l’activité de prêt aux États. Lors de la première Révolution industrielle, au début du XIXe siècle, malgré l’accroissement des besoins de financement des entreprises, ces dernières continuent de s’autofinancer largement et le recours au financement externe reste limité. C’est sous le Second Empire que se réalise une véritable révolution bancaire avec l’émergence de grandes banques d’affaires, comme la Banque des Pays-Bas, créée en 1864, ou la Banque de Paris, fondée en 1869, et de grandes banques de dépôts, comme le Crédit lyonnais (1863) ou la Société générale (1864). Ce développement du système bancaire permet d’accompagner le besoin de financement devenu colossal de certaines entreprises engagées dans des activités d’ampleur considérable, au premier rang desquelles figure celle des chemins de fer. La naissance du capitalisme industriel rend ainsi inadaptées les pratiques d’autofinancement des entreprises, conduisant alors au développement des sociétés de capitaux et à une rapide extension des marchés de capitaux. Dans ce contexte, en 1914, la capitalisation des titres côtés à la bourse de Paris en fait la deuxième place financière dans le monde après Londres. Durant l’entre-deux-guerres, la crise de 1929 affecte le système financier français, compliquant ainsi le financement de l’économie. L’État français prend alors conscience de la nécessité de maîtriser la sphère financière, rendue pour partie responsable de l’ampleur de la crise. C’est alors que, pendant les Trente glorieuses, le contrôle de l’État sur le système financier s’affirme. Les nationalisations bancaires de 1945 permettent à la puissance publique d’encadrer l’activité de crédit pour la mettre au service des objectifs fixés par la planification. Le financement des entreprises, 1. Jérôme Buridant, Arcangelo Figliuzzi et alii, Histoire des faits économiques, coll. « Introduction à l’économie », Bréal, Rosny-sous-Bois, 2007. 8 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE très largement bancaire, laisse une place étroite aux marchés de capitaux. À la fin des années 1960, la France entreprend la réforme de son système bancaire et financier afin d’introduire davantage de régulation marchande et de concurrence dans son fonctionnement, avant que les années 1980 ne marquent l’avènement d’un vaste mouvement de libéralisation des systèmes bancaires et financiers dans le cadre de la globalisation financière. Après plusieurs décennies de libéralisation économique et financière qui ont vu un retrait progressif de l’action étatique au sein de la sphère économique, la crise financière de 2007 a eu le mérite de démontrer toute l’importance des leviers publics pour maintenir un monde bancaire en détresse2 et, ce faisant, pour « soutenir la demande » dans un contexte économique largement déprimé. La crise de la dette européenne a, en revanche, mis en lumière le fait que la mise en œuvre de telles actions pouvait se révéler complexe, tant au regard de la politique budgétaire que de la politique monétaire, et mener certaines nations au bord du précipice financier. Favoriser le retour de la croissance économique n’est de toute évidence pas chose aisée et impose que les différentes composantes du produit intérieur brut que sont la consommation, l’investissement, les dépenses publiques et le solde extérieur soient financées et ce, de façon équilibrée. Tout système économique se doit ainsi d’assurer la confrontation entre les agents en besoin de financement et ceux en capacité de financement. En effet, si un agent économique n’a pas la capacité d’autofinancement suffisante pour assurer son besoin de consommation ou d’investissement, il devra faire appel à d’autres agents, nationaux ou internationaux, ayant une épargne nette positive. En France, ce sont les ménages et les sociétés financières qui assurent en partie le financement des sociétés non financières et des administrations publiques, mais leur épargne nette respective demeure insuffisante pour satisfaire la totalité de leur besoin : le financement extérieur, par des investisseurs étrangers, est donc nécessaire. Le cas français n’est pas isolé et l’on observe, à l’échelle internationale, un clivage entre nombre d’économies des pays industrialisés qui dégagent, à l’instar des États-Unis ou du Royaume-Uni, un besoin de financement et celles des pays émergents, tels que la Chine, dont l’épargne nette permet d’assurer l’équilibre financier mondial. Une approche dynamique met de plus en exergue des divergences de trajectoire entre nations sur ces dernières années : la dette extérieure nette de la France est ainsi passée, selon les données d’Eurostat, de 22 % du PIB en 2008 à plus de 2. « Au niveau mondial, […], les pertes de valeur liées aux estimations de dépréciations des actifs pourraient atteindre près de 4 000 milliards de dollars, dont les deux tiers concerneraient des banques » (Mathieu Plane et Georges Pujals, « Les banques dans la crise », Revue de l’OFCE, n° 110, juillet 2009, p. 179-220 [p. 182], citant un rapport du FMI). Pour le cas français, voir Cour des comptes, « Le plan de soutien aux banques : un bilan financier encore provisoire, un encadrement des rémunérations à compléter », in Rapport public annuel 2013, février 2013, p. 155-190. INTRODUCTION ❮ 9 32 % en 2013, tandis que l’Allemagne, dont la dette était de 0,9 % du PIB en 2008, est devenue créditrice nette à hauteur de 12 %. La question du financement d’une économie n’est jamais simple et ne peut se réduire à une analyse comparative du niveau d’épargne nette des agents économiques qui la composent. La problématique du mode et de la structure de financement est, en effet, essentielle. En réalité, deux modes de financement coexistent. Le premier consiste à ouvrir le capital social d’une entreprise à des investisseurs extérieurs en émettant des titres de propriété représentatifs de ce capital, le plus souvent des actions. Il pourra alors s’agir d’une privatisation d’une entreprise préalablement publique, ou d’une entreprise privée cherchant à s’introduire en bourse ou, étant déjà cotée sur un marché, à augmenter son capital, et donc son financement. Le recours aux marchés boursiers est un moyen privilégié pour ce type de financement, mais ceci n’est pas automatique : le capital-investissement ou private equity, représentant l’ensemble des financements par actions non cotées en bourse, connaît, depuis le milieu des années 1970 dans les pays anglo-saxons, un essor considérable. Il fait notamment l’objet de toutes les attentions de la part des pouvoirs publics, car il est un facteur clé du financement des entreprises innovantes. Le second mode de financement impose le recours à l’endettement, qu’il s’agisse d’émissions de titres de créances sur les marchés financiers ou de financement bancaire. À la différence des actions, il nécessite un remboursement à l’échéance de l’emprunt ainsi contracté. Si la globalisation financière a incontestablement favorisé le phénomène de désintermédiation bancaire, au profit d’un financement direct sur les marchés financiers, le rôle des banques dans le financement de l’économie demeure essentiel, notamment en France. Les échéances des prêts bancaires ou financiers ainsi contractés peuvent, au sein d’une même économie, varier considérablement, traduisant l’objectif du financement demandé : du court terme (inférieur à un an) pour les titres de créances négociables ou les crédits dits de trésorerie, au long terme (jusqu’à cent ans) pour le financement des investissements. La dette négociable française était, à titre d’exemple, composée à 87,5 % de titres de moyen et long termes, contre 12,5 % pour les titres à court terme au 31 août 2014. L’histoire récente des crises financières démontre, en outre, que la nature des créanciers, privés ou publics, nationaux ou internationaux, d’une nation n’est pas sans incidence. Au deuxième trimestre 2014, 64,2 % de la dette négociable française était financée par des non-résidents, tandis que la dette publique japonaise était détenue à plus de 90 % par des résidents. La question du coût du financement, en partie représentatif du risque de l’emprunteur, mais également de l’aver- 10 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE sion au risque3 des prêteurs et de la disponibilité des capitaux, est enfin essentielle. Plus un agent économique est endetté, plus le taux d’intérêt qu’il devra payer sera, en théorie, élevé, mais ceci ne se vérifie pas toujours en pratique : alors que l’endettement de la France est particulièrement élevé, le taux d’intérêt que portent les obligations assimilables au Trésor (OAT), principal instrument de refinancement de l’État français à long terme, s’avère faible en raison, notamment, des politiques d’assouplissement monétaire menées par la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Federal Reserve System ou Fed). À l’image des ménages ou des entreprises, les administrations publiques « consomment », mais leurs ressources propres, issues très majoritairement de la politique fiscale de l’État, ne sont pas aujourd’hui suffisantes pour couvrir leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui explique le recours à un financement extérieur, essentiellement lié à l’émission de titres de créances négociables et d’obligations. L’ampleur du besoin de financement de l’État n’est pas sans incidence sur les conditions de financement des autres agents économiques, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises : le taux d’intérêt des obligations souveraines françaises influence notamment très largement le taux d’emprunt immobilier proposé par le secteur bancaire aux ménages. Il convient cependant de ne pas considérer les administrations publiques comme des agents économiques comme les autres, car l’État, la banque centrale, mais aussi certaines institutions supranationales telles que la Banque européenne d’investissement, disposent de tout un arsenal d’outils leur permettant de peser sur les conditions et les modes de financement de l’économie et donc, de la croissance. Ces outils sont majoritairement fiscaux, financiers ou institutionnels. Par sa politique fiscale, l’État influence en effet tant le volume d’épargne des ménages que sa répartition. Au cœur de la problématique du financement de l’économie, la question du soutien aux PME a ainsi trouvé une partie de sa réponse avec la création en France du régime juridique du fonds commun de placement à risque (FCPR) en 1983, de la société de capital-risque (SCR) en 1985, ainsi que celles des régimes fiscaux des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) en 1997, puis des fonds d’investissement de proximité (FIP) en 2003. Les puissances publiques peuvent également développer des outils financiers et intervenir directement dans le financement des entreprises, grâce à des structures dédiées telles que CDCEntreprises ou le Fonds stratégique d’investissement (FSI), désormais intégrés à BpiFrance, tandis que l’Agence des participations de l’État incarne l’État actionnaire. 3. « Caractéristique de celui qui ne souhaite pas courir un risque et qui sera prêt à le transférer à un tiers moyennant une rémunération, ou qui refusera tout actif ou toute action lui faisant courir un risque qu’il perçoit comme excessif compte tenu de sa capacité à le supporter » (www.lesechos.fr, rubrique « Lexique financier »). INTRODUCTION ❮ 11 Il serait erroné de ne concevoir l’action publique en faveur de la croissance économique qu’à l’échelle nationale ou supranationale, car, depuis les lois de décentralisation, il revient également aux régions d’agir pour assurer la stimulation économique du territoire qu’elles représentent. À l’image de l’Aquitaine, des fonds dits de co-investissement, associant investisseurs privés et publics, œuvrent ainsi en région en faveur du financement des PME et complètent l’action de l’État dans ce domaine. D’un point de vue institutionnel, enfin, les dispositifs publics favorisant l’introduction en bourse des entreprises dites technologiques soutiennent également l’essor du capital-investissement et donc le financement des entreprises de croissance. Les investisseurs dans le capital d’entreprises non cotées demeurent en effet particulièrement sensibles à l’existence de solutions de financement en aval permettant de valoriser leur sortie en capital. Ainsi, au-delà des mécanismes de défiscalisation, c’est bien l’existence de l’Alternative investment market (marché des investissements alternatifs)4 qui explique le dynamisme de l’industrie du capital-investissement au Royaume-Uni. Les politiques de soutien au financement de l’économie ne sont pas l’apanage du seul État ou des collectivités territoriales. Grâce à ce qu’il est convenu d’appeler les canaux de transmission de la politique monétaire, la banque centrale, qui a pour objectif principal d’assurer la stabilité des prix d’une nation ou d’un groupe de pays tel que la zone euro, peut elle-même s’engager dans une politique de soutien de la croissance par une politique de taux d’intérêt bas, qui non seulement tend à pénaliser le comportement d’épargne au profit de la consommation, mais également favorise le recours à l’endettement et facilite de ce fait la mise en œuvre de stratégies d’investissement. La BCE a ainsi abaissé en mai 2013 son principal taux directeur à 0,5 % avant de l’abaisser progressivement à 0,05 % (soit un niveau historiquement bas) le 4 septembre 2014, tandis que celui de la Fed se maintient à 0,25 % depuis le 16 décembre 2008. À la suite de la crise financière de 2007, la plupart des banques centrales des pays industrialisés se sont en outre engagées dans des politiques dites « non conventionnelles » de rachats d’actifs financiers auprès des établissements de crédit, afin de renforcer la solidité financière de ceux-ci et ainsi accroître leur capacité à prêter aux autres agents économiques. Une analyse pertinente des liens existant entre puissances publiques et financement de l’économie ne saurait enfin être complète sans un regard sur l’évolution des ressources financières provenant du reste du monde. À ce titre, la montée en puissance des fonds souverains des pays asiatiques et du Golfe est symptomatique de la mutation des équilibres financiers 4. Créé en 1995 par le London Stock Exchange (LSE), il est dédié aux petites et moyennes capitalisations. 12 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE mondiaux, positionnant certains pays émergents, tels que la Chine où le Qatar, comme les nouveaux argentiers des économies occidentales. Manne financière pour certains, risque géopolitique pour d’autres, l’émergence d’un nouveau capitalisme d’État n’est pas sans soulever un certain nombre d’interrogations tant économiques que politiques, en particulier sur le financement des secteurs économiques reconnus comme stratégiques5. Sur une base non partisane, cet ouvrage tente d’offrir aux lecteurs une analyse complète des différents éléments susmentionnés, lui permettant ainsi d’appréhender dans sa globalité la question du lien entre financement de l’économie et puissances publiques. De façon plus précise, après avoir rappelé dans un premier chapitre les caractéristiques du financement de l’économie française, nous traitons dans un deuxième chapitre des outils fiscaux, réglementaires et institutionnels à la disposition des administrations publiques pour accroître les ressources financières à disposition des agents économiques. Le troisième chapitre est consacré au rôle de la banque centrale, où sont présentés successivement les outils traditionnels de refinancement de l’économie et les politiques monétaires non conventionnelles. Leur incidence considérable sur les marchés financiers sera en outre analysée. Le quatrième chapitre se penchera sur un élément essentiel de la croissance économique, au cœur des préoccupations économiques actuelles : le financement de l’innovation et, plus globalement, des PME. Le rôle des pôles de compétitivité et des politiques économiques régionales sera traité. Le dernier chapitre tendra à analyser en quoi la mutation des équilibres financiers mondiaux a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs, les fonds souverains, et en quoi ceci modifie les conditions de financement des économies occidentales. 5. V. à cet égard Claude Serfati, L’industrie française de défense, coll. « Les Études », La Documentation française, Paris, 2014, section « Les fonds souverains dans la défense », p. 72-73. INTRODUCTION ❮ 13 ■ Objectifs et modalités du financement de l’économie « Le financement de l’économie répond à des besoins distincts, se situant à divers horizons temporels : – le financement à court terme vise à couvrir le décalage dans le temps entre le paiement des dépenses et la perception des revenus ou des recettes, tant pour les entreprises que pour les administrations ou les ménages ; – le financement à moyen terme concerne l’acquisition d’actifs matériels ou immatériels amortissables : véhicules pour les ménages, investissements de recherche et développement ou achats d’équipement courant pour les entreprises ; – le financement à long terme peut avoir pour objectif la réalisation d’investissements industriels ou la construction d’infrastructures : réseaux de transport, de communication ou d’énergie, logements ou équipements collectifs (hôpitaux, infrastructures de recherche). Généralement, les modalités de financement sont regroupées en deux ensembles dont le poids respectif varie d’un pays à l’autre et qui se distinguent par leurs modalités de répartition du risque : – le financement par fonds propres (épargne, autofinancement ou émission d’actions ou de parts sociales), où l’intégralité du risque est portée par l’investisseur ; – le financement par endettement (émission de titres de dettes et recours au crédit externe), où le risque peut être réparti entre l’investisseur et un intermédiaire en contrepartie d’une rémunération permettant à ce dernier de mutualiser ou de couvrir ses risques. » Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, juillet 2012, p. 16. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 15 ❯ Chapitre 1 Les caractéristiques du financement de l’économie française La connaissance des outils mobilisés par les acteurs publics pour stimuler la croissance impose, au préalable, de comprendre comment s’organise le financement d’une économie. Celle-ci se compose d’agents à capacité de financement et à besoin de financement : le transfert de l’épargne est, dès lors, essentiel. Entretenant des relations économiques et financières avec ce qu’il est convenu d’appeler, en comptabilité nationale, « le reste de monde », ce transfert d’épargne revêt également une dimension internationale, devenue incontournable depuis la fin des années 1970. Dans le cas de la France, le financement bancaire occupe une place prépondérante dans le système de confrontation des agents à capacité et à besoin de financement. Les marchés financiers, second mode de financement d’une économie, ont vu, sous l’effet conjoint de la financiarisation et de la globalisation financière, leur rôle croître depuis le début des années 1980. Ils demeurent toutefois encore peu accessibles aux PME, alors que celles-ci, moteur de l’innovation et de la croissance, font souvent face à des contraintes importantes pour financer leur développement. Dans ce contexte, le rôle de l’acteur public est essentiel afin de stimuler l’épargne nationale, de drainer les capitaux internationaux et de les orienter de manière optimale vers les agents – et notamment les entreprises – en situation de besoin de financement. Financement et croissance : les termes du débat La notion de « croissance du PIB » est au cœur des préoccupations macroéconomiques. Dans l’étude d’une telle grandeur globale, la comptabilité nationale offre des outils de définition et de quantification d’une aide précieuse pour le débat économique. Notamment, elle propose une décomposition de l’économie nationale en cinq grands secteurs institutionnels résidents que sont : les sociétés non financières (SNF), les sociétés financières (SF), les administrations publiques (APU), les ménages et les institutions 16 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE sans but lucratif au service des ménages (ISBLM)6. Ces secteurs peuvent entretenir des relations avec des unités non résidentes que la comptabilité nationale regroupe sous l’intitulé « reste du monde ». Fournissant « une représentation quantifiée de l’économie dans un cadre comptable équilibré »7, la comptabilité nationale permet d’appréhender la croissance et la question de son financement à travers l’équilibre comptable des ressources et des emplois en biens et services. Partant de la décomposition sectorielle présentée, on peut retenir l’expression suivante de cet équilibre : PIB = CF des ménages + CF des APU + CF des ISBLM + FBCF + VS + (X – M)8. Dans ce cadre, en économie fermée, « le financement de l’économie désigne à la fois celui des entreprises (SNF et SF) qui cherchent à financer leur investissement productif, celui des APU (État, hôpitaux, universités, collectivités locales, etc.) qui ont en règle générale à financer chaque année leur déficit et enfin celui des ménages qui ont à financer leurs achats de logement »9. En économie ouverte, il convient de prendre en considération le fait que l’économie peut se trouver en situation de recherche de financement auprès du reste du monde, ou, au contraire, en situation d’offrir un financement à celui-ci. Le financement de l’activité des différents secteurs institutionnels passe d’abord par leur capacité à dégager de l’épargne, laquelle, quand elle existe, peut permettre le financement de la croissance. Traditionnellement, ce sont les ménages qui dégagent le plus d’épargne brute, le montant de celle-ci ayant atteint 200 milliards d’euros en 2013, d’après les chiffres de l’Insee. Sur cette même année, les sociétés non financières possédaient une épargne brute de 182 milliards d’euros et les administrations publiques, de 16 milliards d’euros. Au total, en 2013, l’économie française dans son ensemble a dégagé une épargne brute de 423 milliards d’euros. Le financement de l’investissement par l’épargne brute est qualifié d’autofinancement. À partir des données fournies par la comptabilité nationale, il est possible de calculer les taux d’autofinancement des différents secteurs institutionnels en rapportant l’épargne brute du secteur à sa formation 6. « Les institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLM) regroupent l’ensemble des unités privées dotées de la personnalité juridique qui produisent des biens et services non marchands au profit des ménages. Leurs ressources principales proviennent de contributions volontaires en espèces ou en nature effectuées par les ménages en leur qualité de consommateurs, de versements provenant des administrations publiques, ainsi que de revenus de la propriété » (Insee). 7. Jean-Paul Piriou et Jacques Bournay, La comptabilité nationale, coll. « Grands repères. Manuels », La Découverte, Paris, 16e éd., 2012, p. 171. 8. CF : dépenses de consommation finale ; FBCF : formation brute de capital fixe ; VS : variations de stocks ; X : exportations de biens et services ; M : importations de biens et services. 9. Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, coll. « Licence. Économie », Puf, Paris, 2e éd., 2012, p. 203-204. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 17 brute de capital fixe10. Pour les sociétés non financières françaises, ce taux était de 75,5 % en 2013, d’après l’Insee. Ce taux a très fortement augmenté entre les années 1980 (il était de 37,1 % en 1981) et les années 2000, avec un maximum de 100,6 % en 1998. Cependant, le montant d’épargne dégagé par un secteur institutionnel ne lui permet pas toujours de financer la totalité de ses dépenses d’investissement. Autrement dit, même à niveau d’épargne positif, un secteur peut se retrouver en besoin de financement. Inversement, un secteur peut afficher une capacité de financement si le solde de son épargne brute, augmentée des transferts nets en capital et diminuée des dépenses faites à des fins d’accumulation, est positif (encadré). ■ Le calcul de la capacité et du besoin de financement par la comptabilité nationale En comptabilité nationale, la capacité de financement est le solde du compte de capital, lequel enregistre les acquisitions nettes de cessions d’actifs non financiers des unités économiques résidentes et mesure les variations de patrimoine dues à l’épargne et aux transferts en capital. Ce solde est égal à l’épargne brute augmentée des transferts nets (reçus moins versés) en capital et diminuée des dépenses faites à des fins d’accumulation : formation brute de capital fixe, variation des stocks, acquisitions moins cessions d’objets de valeur et d’actifs non produits (terrains…). Lorsque ce solde est positif, on parle de capacité de financement et, lorsqu’il est négatif, il traduit un besoin de financement. Source : Insee. Les ménages, qui accumulent traditionnellement une épargne brute positive, dégagent également une capacité de financement (tableau 1) : en 2013, celle-ci s’établissait ainsi à 76,8 milliards d’euros, d’après l’Insee. En revanche, les sociétés non financières, malgré une épargne brute positive, dégagent régulièrement un besoin de financement qui provient de l’ampleur des dépenses d’investissement qu’elles réalisent. Au titre de cellesci, la formation brute de capital fixe des sociétés non financières françaises s’élevait à 241 milliards d’euros en 2013. Cette même année, leur besoin 10. « La formation brute de capital fixe (FBCF) est constituée par les acquisitions moins cessions d’actifs fixes réalisées par les producteurs résidents. Les actifs fixes sont les actifs corporels ou incorporels issus de processus de production et utilisés de façon répétée ou continue dans d’autres processus de production pendant au moins un an » (Insee). 18 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE de financement a atteint alors 35,7 milliards d’euros. En ce qui concerne les administrations publiques, la désépargne qu’elles réalisent, cumulée à leurs dépenses d’investissement, conduit à un besoin de financement de 89,5 milliards d’euros en 2013. Tableau 1. Évolution de la capacité de financement des secteurs institutionnels en France (2009-2013) (en milliards d’euros) Secteurs institutionnels Sociétés non financières Sociétés financières Administrations publiques Ménages (dont entrepreneurs individuels) Institutions sans but lucratif au service des ménages Nation 2009 2010 2011 2012 2013 - 12,5 - 11,3 - 45,4 - 44,7 - 35,7 31,5 28,3 23,9 16,6 6,9 - 138,9 - 135,8 - 105,0 - 101,6 - 89,5 88,6 83,5 80,3 73,9 76,8 0,5 0,4 - 0,1 0,0 - 0,3 - 30,8 - 34,8 - 46,1 - 55,9 - 41,8 Source : Insee. Il apparaît ainsi que l’épargne accumulée par un secteur institutionnel ne lui suffit pas nécessairement pour financer ses dépenses d’investissement. Dans une telle situation, le financement de l’investissement doit se réaliser par le recours à des tiers, qu’ils soient du même secteur institutionnel ou d’un autre secteur, qu’ils soient résidents ou non résidents, par la sollicitation d’un crédit ou l’émission de titres pour certains secteurs. La capacité ou le besoin de financement peut être étudié à l’échelle de l’économie nationale tout entière. À ce niveau d’analyse, en 2013, la France enregistrait un besoin de financement de 41,8 milliards d’euros. Cette année marque une rupture par rapport à la tendance des années précédentes. En effet, depuis 2005, année durant laquelle la capacité de financement de la France qui existait depuis 1993 s’est transformée en besoin de financement, le pays n’avait cessé de voir son besoin de financement se creuser, jusqu’à atteindre 55,9 milliards d’euros en 2012. Comme le rappelle la Cour des comptes11, cette trajectoire est « concomitante à une dégradation continue » qu’a connue la balance des paiements française sur la même période. 11. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, 2012, p. 23. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 19 Il est donc essentiel pour la croissance de l’économie que l’ensemble de ses composantes trouvent un financement. Le système financier joue par conséquent un rôle déterminant en réallouant les ressources de manière à se faire rencontrer les besoins et les capacités de financement : il permet aux agents à épargne insuffisante de financer leurs dépenses d’investissement. In fine, le système financier a pour vocation une meilleure allocation des ressources au sein de l’économie afin d’assurer la réalisation des dépenses de consommation et d’investissement nécessaire à la croissance. Du point de vue des agents économiques, le recours au financement externe se fait selon deux modalités : le financement direct et le financement indirect (figure 1). Figure 1. Les modalités du financement de l’économie Financement Autofinancement Financement externe Financement direct Financement indirect Crédit bancaire Source : Yves Jégourel et Max Maurin. Titres achetés par les institutions financières 20 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Une économie marquée par l’omniprésence des banques Le financement indirect, également qualifié de financement intermédié, signifie que l’emprunteur obtient un financement en s’adressant à des intermédiaires financiers (notamment des établissements de crédit) qui lui octroient des prêts. Parallèlement, les agents à capacité de financement prêtent leur argent, mais ce prêt transite par l’intermédiaire financier qui collecte leurs dépôts. Malgré la montée en puissance des marchés de capitaux en Europe à partir des années 1980, et le sentiment d’assister, par conséquent, à une désintermédiation du financement de l’économie, le secteur bancaire occupe encore une place considérable dans l’économie française. Ainsi, parmi les principales conclusions du rapport Paris Europlace12 figure celle que « les assurances et banques commerciales jouent un rôle majeur dans l’intermédiation et la transformation de l’épargne des ménages et des entreprises à destination de ces dernières ainsi que des collectivités locales. Le financement des entreprises reste dominé par le financement bancaire. Le financement par les marchés reste en retrait, à ce jour, sauf pour les grandes entreprises ». En témoigne, par exemple, le poids du total des actifs géré par le secteur bancaire, qui représente environ quatre fois la taille du PIB national13. Le suivi de l’encours brut de crédit aux sociétés non financières françaises mené par la Banque de France révèle que, en septembre 2014, celui-ci s’élevait à 824,2 milliards d’euros, dont 572,4 milliards concernent des encours liés à l’investissement et 171,9 milliards à des besoins de trésorerie. Parallèlement, la BCE14 a montré l’importance du financement bancaire relativement au financement non intermédié dans le cadre de la zone euro. Ainsi, en 2007 (la BCE ne recalcule pas ces données chaque année), le stock des prêts bancaires accordés y représentait 145 % du PIB, tandis que les stocks d’actions cotées et d’obligations s’élevaient respectivement à 85 % et 81 %15. En ce sens, la Banque de France calcule des taux d’intermédiation financière pour mesurer la part que représentent les financements accordés par des institutions financières dans le total du financement qu’obtiennent les agents non financiers (encadré). Plus précisément, elle 12. Paris Europlace, Financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers une croissance durable, février 2013, p. 6. 13. Erkki Liikanen et alii, High-Level Expert Group on Reforming the Structure of the EU Banking Sector, Commission européenne, Bruxelles, octobre 2012. 14. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2009. 15. Frederic S. Mishkin (Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson, Montreuil, 10 e éd., 2013) apporte des éléments non pris en compte dans le calcul de la BCE (Bulletin mensuel, avril 2009) et qui pourraient venir modifier, dans une mesure limitée, les résultats obtenus. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 21 procède au calcul d’un taux d’intermédiation au sens strict, qui mesure la part des seuls crédits attribués par les institutions financières dans le total des financements, mais également au calcul d’un taux au sens large, qui comptabilise, en plus de ces crédits, les titres émis par les agents non financiers et détenus par les institutions financières. Ce second taux devient de plus en plus pertinent à mesure que s’opère une mutation de la forme de l’intermédiation qui, de la simple collecte de dépôts et du simple octroi de crédit, tend à développer la mise en commun de l’épargne et la gestion active et diversifiée de portefeuille. Le taux d’intermédiation financière au sens large s’établissait ainsi à 54,5 % en 2011, mais son évolution révèle une diminution quasi constante depuis 1996, où il était légèrement supérieur à 75 %. La Cour des comptes16 explique principalement cette évolution par « une diminution de la part des crédits consentis par les établissements français, corollaire de l’augmentation de la part des crédits distribués par les institutions financières non résidentes dans le financement des agents non financiers ». Néanmoins, la place occupée par le secteur bancaire dans le financement de l’économie peut être analysée plus finement en distinguant les comportements des différents secteurs institutionnels. Ainsi, il apparaît que ce sont les administrations publiques, du fait de la montée de leurs déficits, qui se sont le plus orientées vers des financements de marché en développant leurs émissions de titres au détriment de leur demande de crédit. Cependant, la désintermédiation n’est pas aussi massive qu’il peut paraître, étant donné le nombre important de banques et d’intermédiaires financiers qui souscrivent à ces titres. À la différence des administrations publiques, les crédits conservent une part importante dans le financement des sociétés non financières et les titres qu’elles émettent sont aussi largement achetés par les institutions financières. ■ Les différentes mesures de l’intermédiation « Le taux d’intermédiation vise à mesurer la part prise par les institutions financières résidentes (banques mais aussi parfois OPCVM [organismes de placement collectif en valeurs mobilières], titrisations, assureurs, etc.) dans le financement des agents non financiers résidents. Plusieurs distinctions sont possibles pour le calcul du taux d’intermédiation, amenant à des concepts différents : – l’étendue du champ des intermédiaires financiers (numérateur) : soit l’on prend un indicateur large, incluant le crédit et les titres détenus par les intermédiaires financiers (obligations, actions et TCN [titres de créances négociables]), soit l’on considère 16. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 29. 22 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE un taux plus restrictif, incluant seulement le crédit bancaire. Ces deux taux correspondent à ceux publiés par la Banque de France. […] ; – l’étendue des sources de financement des agents non financiers (dénominateur) : on peut calculer l’importance du crédit bancaire soit par rapport à toutes les autres sources de financement (y compris [les] actions cotées et non cotées), soit uniquement par rapport au financement par de l’endettement (obligations et crédit). Le deuxième concept a l’avantage de ne pas être altéré par la structure de financement entre actions et dettes (et de ne pas être non plus affecté par les problèmes de valorisation du capital non coté dans les comptes nationaux) ; – l’étendue des agents non financiers (dénominateur) : on peut considérer tous les agents non financiers (y compris les administrations publiques) ou seulement les agents non financiers privés (voire seulement [les] entreprises non financières). La part du crédit bancaire dans la dette est bien sûr plus faible quand on inclut aussi les administrations publiques puisque celles-ci se financent essentiellement sur les marchés (et ont une dette totale relativement importante). » Source : Paris Europlace, Financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers une croissance durable, février 2013, p. 22-23. Au total, pour Jézabel Couppey-Soubeyran17, le système financier français pourrait être qualifié d’« économie de marchés de capitaux intermédiées », ajoutant que, « si les économies d’endettement qui prévalaient encore au début des années 1980 ont pu fonctionner sans les marchés de capitaux, il est clair que l’essor [de ceux-ci] n’aurait pu se faire sans un développement concomitant de l’intermédiation financière. L’intermédiation financière n’a donc pas décliné avec l’essor des marchés de capitaux. Au sein de l’intermédiation, l’industrie bancaire s’est adaptée à cet essor et en a tiré profit ». Le recours à la théorie économique permet d’éclairer l’importance de la place occupée par les banques dans le système financier français18. Depuis les travaux de John Gurley et Edward Shaw19, l’intermédiation financière est reconnue pour la fonction de transformation des échéances qu’elle assure. En effet, le financement de l’économie nécessite la rencontre d’une offre et d’une demande d’épargne dont les caractéristiques présentent des divergences que l’intermédiation financière permet de résoudre. Du côté de l’offre d’épargne, les agents admettent une préférence pour la liquidité et la sécurité, qui se traduit par une orientation de leur épargne vers des placements à court terme et peu risqués. En revanche, du côté de la demande 17. Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, op. cit., p. 213. 18. Pour une approche détaillée du rôle des intermédiaires financiers et des banques, on pourra se reporter à Laurence Scialom, Économie bancaire, coll. « Repères. Économie », La Découverte, Paris, 4e éd., 2013. 19. John G. Gurley, Edward S. Shaw, Money in a Theory of Finance, Brookings Institution, Washington, 1960. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 23 d’épargne, les besoins de financement, par exemple des sociétés non financières, se caractérisent davantage par une recherche de financement à long terme, pour la réalisation d’investissements parfois risqués. Dans cette configuration de marché, l’intermédiation financière prend tout son sens : elle réalise une opération dite de transformation pour rendre compatibles les divergences d’exigences en termes de maturité et de risque des offreurs et des demandeurs. Cette opération de transformation permet de saisir toute l’utilité de l’activité d’intermédiation financière, mais également sa nature intrinsèquement risquée. En effet, la transformation fonctionne correctement tant que les épargnants n’ont pas d’inquiétude sur la capacité de l’établissement bancaire à leur restituer leurs dépôts. En revanche, s’ils perdent confiance en lui, celui-ci devra faire face à la panique de ses déposants, comme l’ont théorisé Douglas Diamond et Philip Dybvig20. Une telle panique conduira à des phénomènes de ruée bancaire et plongera l’établissement en situation d’illiquidité. Cette situation signifie que, bien que l’actif de la banque demeure supérieur à son passif, l’établissement de crédit ne sera pas en mesure de rembourser les ressources des épargnants (étant donné qu’elles ont été prêtées à long terme) et pourra être conduit à déposer son bilan. En outre, l’intermédiation financière que proposent les établissements bancaires joue un rôle important dans la réduction des problèmes d’asymétrie d’information. Comme l’a montré George Akerlof21, une situation dans laquelle l’un des participants à l’échange dispose d’une information privée rend l’accès à l’information asymétrique et l’efficacité du fonctionnement du marché est remise en cause. Cette analyse a été transposée au cadre du prêt bancaire par Joseph Stiglitz et Andrew Weiss22. En effet, quand un emprunteur demande un financement, il possède davantage d’informations sur sa propre situation (la qualité de son projet d’investissement, ses chances de succès) que le prêteur. Ce dernier devra rechercher de l’information sur l’emprunteur et cette recherche impliquera un coût. Autrement dit, le prêteur n’acceptera de proposer le financement que si le coût de la recherche d’informations n’excède pas la rentabilité du projet. Ainsi, la banque devient un agent spécialisé dans la collecte d’informations et cette spécialisation permet de réduire les coûts de transaction. À cet égard, les établissements bancaires réalisent de fortes économies d’échelle dans la collecte et l’emploi des ressources financières, faisant ainsi diminuer le coût unitaire de production des services fournis avec l’augmentation de leur quantité. Au-delà des économies d’échelle, comme le rappelle Laurence 20. Douglas Diamond, Philip Dybvig, « Bank Runs, Deposit Insurance, and Liquidity », Journal of Political Economy, vol. 91, n° 3, juin 1983, p. 401-419. 21. George A. Akerlof, « The Market for ‘Lemons’: Quality Uncertainty and the Market Mechanism », The Quarterly Journal of Economics, vol. 84, n° 3, août 1970, p. 488-500. 22. Joseph E. Stiglitz, Andrew M. Weiss, « Credit Rationing in Markets with Imperfect Information », American Economic Review, vol. 71, n° 3, juin 1981, p. 393-410. 24 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Scialom23, les banques permettent de réduire de nombreux coûts liés aux transactions comme les coûts de recherche de la contrepartie de la transaction financière, les coûts de négociation des conditions financières, les coûts de contrôle de la bonne exécution des échanges, etc. Par ailleurs, l’asymétrie d’information demeure une fois le financement accordé, car rien ne garantit que l’usage des fonds octroyés soit conforme à l’engagement initial. À ce niveau encore, l’intermédiation financière permet d’éviter la croissance démesurée des coûts de contrôle grâce aux économies d’échelle qu’engendre son activité24. Enfin, au sein de l’activité d’intermédiation financière, les banques occupent une place particulière dans la mesure où elles détiennent un pouvoir de création monétaire. Les crédits qu’elles accordent ne se font pas sur la base de ressources financières préexistantes : le crédit bancaire se réalise par l’attribution d’un dépôt – par simple écriture – au bénéfice de l’emprunteur. Les marchés financiers, éléments clés du financement des acteurs privés et publics La crise financière qui ébranla, en 2007, l’économie mondiale et qui contribua assez largement à la crise de la dette souveraine que connurent un certain nombre de pays européens, au premier rang desquels la Grèce, a largement favorisé le discrédit des marchés financiers auprès du public. La crise de 2007 ne fut qu’un des nombreux dysfonctionnements que connut la finance au cours des décennies, voire des siècles passés, de la crise de la dette survenue en Amérique latine en 1983 à celle du système monétaire européen en 1992 ou encore celle qui fit vaciller le Sud-Est asiatique en 1997, du jeudi noir de la crise de 1929 à l’effondrement, jusqu’à celle des Tulipes en 1637 – considérée comme la première bulle spéculative de l’Histoire – ou de la Compagnie des Mers du Sud, en 1720, qui mena Isaac Newton à la ruine. Il n’en reste pas moins que les marchés financiers remplissent deux fonctions économiques essentielles : – la première d’entre elles vise à favoriser la rencontre entre les agents à besoin de financement, essentiellement les entreprises et l’État, et les agents à capacité de financement, qui sont les ménages et le reste du monde, opé- 23. Laurence Scialom, Économie bancaire, op. cit. 24. Une banque peut limiter les coûts de contrôle en ayant recours à un contrôleur délégué, comme le montrent Douglas Diamond et Philip Dybvig (« Bank Runs, Deposit Insurance, and Liquidity », op. cit.). Mais cette solution n’est pas sans limites. Notamment, ne faudraitil pas contrôler le contrôleur (Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, coll. « Licence. Économie », Puf, Paris, 2e éd., 2012) ? LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 25 rant souvent par l’intermédiaire des investisseurs institutionnels (compagnie d’assurances, organisme de placement collectif, fonds de pension) ; – la seconde vise à organiser le transfert des risques soit entre agents soumis à des risques de nature opposée, soit entre agents cherchant à se protéger d’un risque et ceux acceptant de le prendre contre rémunération. Le rôle des marchés financiers : entre transfert des risques et financement En parallèle du secteur bancaire, le système financier a une première fonction : il permet de lever des fonds grâce à trois marchés distincts, le marché des titres de créances négociables (TCN), le marché obligataire et le marché des actions. Les TCN sont des titres de dettes à court et moyen terme pouvant être émis par des institutions privées ou publiques. Ceci signifie que l’émetteur de ces titres doit, dans l’absolu, rembourser à l’échéance les sommes empruntées à l’investisseur qui aura choisi de les acheter et payer, à l’instar d’un prêt traditionnel, un intérêt. Plusieurs TCN coexistent. À court terme, le secteur privé peut émettre des certificats de dépôts s’il est un établissement de crédit (ou une institution financière spécialisée) ou un billet de trésorerie s’il est une entreprise. Leurs valeurs nominales sont de 150 000 euros et leur rémunération est libre (taux fixe, variable, structuré). L’Agence France Trésor, représentant l’État, émet quant à elle des bons du trésor à taux fixe et intérêts précomptés (BTF), d’une valeur nominale de 1 euro, d’échéances de trois mois, six mois et un an. À moyen terme, le secteur privé émet des bons à moyen terme négociables (BMTN), tandis que l’État utilise les bons du trésor à intérêt annuel (BTAN) pour se refinancer sur des échéances comprises entre 2 et 5 ans, d’une valeur nominale de 1 euro. À long terme coexistent deux marchés tout à fait essentiels pour le fonctionnement de l’économie mondiale : le marché obligataire et le marché des actions. Une obligation est, à l’instar d’un TCN, un titre de créance, mais dont le remboursement s’effectue à une échéance plus longue, pouvant aller jusqu’à cent ans. L’intérêt perçu, appelé « coupon de l’obligation », dépend de la solidité financière de l’émetteur, évaluée par des agences de notation dont les plus connues sont Moody’s, Fitch et Standard & Poors. Une obligation « plus risquée » n’est donc pas nécessairement moins intéressante qu’une obligation bénéficiant du fameux « AAA », note réservée aux émetteurs les plus sûrs du monde puisqu’elle offre, en compensation, des rendements plus élevés. S’il conserve son obligation jusqu’à son terme, l’investisseur, à savoir l’acquéreur d’une obligation, ne supporte en théorie qu’un type de risque, appelé risque de crédit, lié à la dégradation de la situation économique de l’émetteur, dont la forme extrême est la faillite. Marchés financiers La structuration des marchés financiers Figure 2. Organiser le transfert des risques Faciliter le financement de l’économie Contrats à terme Swaps Options À court et moyen terme À long terme Source : Yves Jégourel et Max Maurin. Titres de créances négociables Obligations Actions 26 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 27 En cas de revente anticipée, l’investisseur peut en revanche subir une baisse du prix de l’obligation. Si, en effet, de nouvelles obligations sont émises par un même émetteur mais offrant un coupon plus élevé, le vendeur n’a d’autre choix que d’accepter de réduire le prix de cession de l’obligation qu’il détient. Une action est, à l’inverse des TCN ou des obligations, un titre de propriété représentatif du capital social d’une entreprise. Puisqu’il est en partie propriétaire de l’entreprise, l’actionnaire dispose, en général, d’un droit de vote lors des assemblées générales, peut, selon l’ampleur du capital détenu, solliciter une place au conseil d’administration et bénéficie d’un droit sur les bénéfices. Il n’existe, à l’inverse, aucune garantie en capital pour l’investisseur puisqu’une action est un titre perpétuel, ne demandant pas de remboursement. La rémunération associée à ce mode de financement tient donc à l’espérance de plus-value lors de la revente des titres, et de la politique de dividende de l’entreprise en question, c’est-à-dire du mode de répartition de ses bénéfices. Il importe ici de rappeler que la notion de marché ne fait pas nécessairement référence à une place physique telle qu’on l’imagine lorsqu’on évoque la bourse. En outre, elle n’implique pas obligatoirement une centralisation, à un endroit donné, des ordres d’achat et de vente de titres. Un marché n’est ni plus ni moins qu’une confrontation effective ou abstraite entre une offre et une demande, pour laquelle deux organisations sont possibles : de gré à gré ou organisé. Le premier de ce type de marchés, également qualifié d’« over the counter » (OTC), n’a précisément pas de réalité physique. Le marché des changes est l’exemple type de cette organisation : l’essentiel des opérations est en effet réalisé par les banques qui échangent directement des devises entre elles, pour leurs comptes propres ou ceux de leurs clients. Proche de ce que l’on appelle la « bourse », un marché organisé impose, à l’inverse, que les échanges entre acheteurs et vendeurs passent par un intermédiaire, la chambre de compensation, qui a notamment pour mission de garantir la bonne exécution des ordres. Le risque de contrepartie, synonyme du fait que l’une ou l’autre des contreparties à l’échange ne respecte pas ses engagements, est donc nul. La bourse française (la « place de Paris »), dont l’indice phare est le fameux Cac40, est animée par le groupe « Nyse-Euronext ». Celui-ci, racheté en 2012 par le groupe américain Ice (Intercontinental Exchange), est issu de la fusion du New York Stock Exchange (Nyse) et d’Euronext en 2007, elle-même née de la fusion, en 2000, des bourses de Paris, Amsterdam, Lisbonne, Bruxelles et d’une des bourses londoniennes, le London international Financial Futures and Options Exchange (Liffe). Un marché organisé peut avoir une réalité physique, à l’image des marchés dits de criée tels que le London Metal Exchange (LME), marché financier de référence pour les métaux, ou non – le marché des valeurs technologiques américain du Nasdaq en est une illustration. De ce point de vue, 28 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE il serait erroné de ne voir, dans les marchés actions, que la bourse. Les actions peuvent en effet être cotées ou non : on parle alors du segment du capital-investissement ou private equity, qui regroupe toutes les activités de financement en fonds propres des PME non cotées en bourse. Comme nous le verrons dans le chapitre 4 de cet ouvrage, le capital-risque, partie intégrante du capital-investissement dédiée au financement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « start-up », est un levier essentiel du financement de l’innovation, en France comme dans le reste du monde. Forts de ces différents outils, les acteurs privés, le plus souvent les entreprises et à l’exception des ménages, peuvent trouver des modes de financement alternatifs au financement bancaire. Ils répondent cependant à des logiques différentes et ne se substituent guère l’un à l’autre. Pour les administrations publiques françaises, et notamment l’État, les marchés financiers sont un levier essentiel de financement de la dette, via l’émission de bons du trésor et d’OAT. Au 30 septembre 2014, la dette négociable des administrations publiques, c’est-à-dire celle financée par l’émission de titres sur les marchés financiers, s’élevait à 1 528 milliards d’euros. Si l’accès aux marchés financiers est aisé pour les grandes entreprises françaises, tel n’est pas le cas pour les PME. Comme le mentionne le rapport de la Cour des comptes précité25, « l’accès des PME et entreprises de taille intermédiaire aux financements de marché apparaît plus restreint en France que dans d’autres pays européens. Le LSE-AIM de Londres et le Deutsche BörseEntry Standard représentent [en 2010] respectivement 82 % et 11,5 % de la capitalisation des marchés européens des PME cotées contre 3,8 % pour Alternext ». Ce constat pourrait cependant bien être amené à évoluer : un comité « Place de Paris 2020 », a ainsi été lancé le 16 juin 2014, par le ministre des Finances et des Comptes publics, Michel Sapin, et dont l’ambition est de s’assurer que des réponses financières soient apportées aux entreprises désireuses de se financer sur les marchés financiers26. Bien que ce rôle soit souvent méconnu du grand public, les marchés financiers ont pour seconde fonction d’organiser le transfert des risques, qu’ils soient économiques, financiers ou autres, grâce aux marchés des produits dérivés, regroupant en leur sein trois instruments : les swaps (littéralement, contrats d’échange), les contrats à terme ou futures et les options. Bien que la description détaillée des mécanismes qui sous-tendent ces instruments dépasse le cadre de cet ouvrage, il importe de comprendre que les acteurs de l’économie sont en permanence confrontés à des risques que les mécanismes assurantiels traditionnels ne permettent pas de gérer. Un exportateur pourra ainsi être exposé au risque d’une dépréciation de la monnaie 25. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 31. 26. Voir notamment, sur cette question, Christine Lejoux, « Financement des entreprises : Bercy décrète la mobilisation générale », La Tribune, 17 juin 2014. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 29 étrangère dans laquelle il facture, une compagnie aérienne à une augmentation du prix du pétrole, un emprunteur à celle des taux d’intérêt… En permettant de fixer à l’instant t0, selon différents mécanismes, un prix qui prévaudra dans le futur, l’utilisateur d’un produit dérivé peut s’immuniser contre ces différents risques. L’accès à ces outils financiers est souvent un gage de compétitivité et de solidité financière pour les entreprises. Le paradoxe veut pourtant que les produits financiers soient également un vecteur de fragilisation de l’économie, lorsqu’ils servent non plus la sphère réelle mais une spéculation débridée. La spéculation : une question complexe La spéculation est un phénomène complexe intrinsèquement lié à l’existence des marchés financiers, bien qu’elle ne s’y cantonne pas. Dans une acception simple, elle se définit comme le fait d’acheter un actif avec pour objectif de le revendre à une date ultérieure afin de tirer profit d’une modification de son prix. La finalité est donc la plus-value et non l’utilisation de l’actif. La frontière est donc, en théorie, ténue entre spéculation et investissement : celui qui réalise une plus-value en revendant ses actions mais qui aura également utilisé son droit de vote et touché des bénéfices est, en effet, dans cette acception, un investisseur et non un spéculateur. Il convient également de reconnaître qu’il existe plusieurs formes de spéculation, certaines étant bien plus agressives que d’autres. Il est, à titre d’exemple, possible de vendre un actif que l’on ne détient pas en espérant que le prix de celui-ci baisse : on parle alors de « vente à découvert ». Ceci repose sur le principe de l’achat ou de la vente à terme évoqué dans la section précédente. En fixant en t0 à 100 euros le prix de l’action qu’il vendra effectivement dans un mois, le spéculateur, qui ne détient pas l’action à cet instant, espère en effet que, dans un mois, son prix aura baissé, supposons à 80 euros, valeur à laquelle il achètera le titre. Cela lui permettra, lorsqu’il honorera sa vente à terme, de réaliser un gain de 20 euros. Le trading à haute fréquence (THF) est également une pratique spéculative largement décriée. Défini comme « les stratégies d’investissement exécutées par des algorithmes combinant l’extraction et l’analyse de l’information de marché et l’actualisation des positions d’achat et de vente à une fréquence toujours croissante, aujourd’hui inférieure à la milliseconde »27, le THF peut en effet contribuer à exacerber la volatilité des marchés financiers et à renforcer les opportunités de manipulation des cours. 27. Luc Goupil, « Trading à haute fréquence : empreinte de marché et enjeux de régulation », Revue d’économie financière, vol. 110, n° 2, 2013, p. 277-294. 30 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Il est important enfin de distinguer, à l’aune du séisme de 2007, ingénierie financière et spéculation dans le déclenchement des crises. Il faut, pour cela, comprendre que la finance a vocation, comme de nombreuses « industries », à innover en permanence, soit pour répondre aux besoins existants de ses clients, soit pour en créer de nouveaux, et ainsi générer du profit. La titrisation, qui fut à l’origine de la crise des « subprimes », est une bonne illustration de cette dynamique28. Technique intéressante de financement, elle fut également largement dévoyée, afin notamment de contourner la réglementation bancaire en vigueur, et fut une des causes majeures de la crise de 2007. Marchés financiers et croissance Si la question de l’existence d’un lien entre développement financier et croissance ne se pose pas, celle de son sens a longuement été débattue. L’idée que le développement d’un système financier efficace était un prérequis nécessaire à la croissance économique a ainsi été défendue par de nombreux économistes, parmi lesquels Joseph Schumpeter, Ronald Mc Kinnon, Edward Shaw ou Ross Levine, ou par des institutions telles que la Banque mondiale29. Pour ces auteurs, le développement du système financier est indispensable à la collecte de l’épargne, à l’identification des projets à haut rendement, à la diversification du risque et il facilite les transactions, autant d’éléments qui favorisent la croissance économique. D’autres auteurs ont défendu la relation inverse, autrement dit, l’idée que c’est la croissance économique qui entraîne dans son sillon le développement du système financier. Ainsi, Joan Robinson30 affirmait que, « quand les entreprises fonctionnent, la finance suit » et s’inscrivait dans la tradition qui reconnaît le développement du système financier comme étant une réponse à la demande engendrée par la croissance de l’économie réelle. De manière plus nuancée, l’existence d’un lien réciproque est mise en évidence par Hugh Patrick31, qui met en exergue deux effets permettant d’expli- 28. Voir infra, « Réglementations prudentielles et financement de l’économie », p. 34. 29. Joseph A. Schumpeter, The Theory of Economic Development : an Inquiry into Profits, Capital, Credit, Interest, and the Business Cycle, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1934 ; Ronald I. Mc Kinnon, Money and Capital in Economic Development, Brookings Institution, Washington, 1973 ; Edward S. Shaw, Financial Deepening in Economic Development, Oxford University Press, New York-Londres, 1973 ; Ross Levine, « Finance and Growth : Theory and Evidence », in Philippe Aghion, Steven N. Durlauf (eds.), Handbook of Economic Growth, vol. 1A, North-Holland Elsevier, Amsterdam, 2005, p. 865-934 ; Banque mondiale, World Development Report, Oxford University Press, New York, 1989. 30. « Where Enterprise Leads, Finance Follows » (Joan Robinson, The Rate of Interest, and Other Essays, Macmillan, Londres, 1952, p. 86). 31. Hugh T. Patrick, « Financial Development and Economic Growth in Underdeveloped Countries », Economic Development and Cultural Change, vol. 14, n° 2, janvier 1966, p. 174-189. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 31 quer simultanément l’influence du système financier sur la croissance et de la seconde sur le premier dans le cadre d’un processus en deux temps : – d’abord, lors des premières phases du développement économique, l’expansion du système financier permet de mobiliser toutes les ressources disponibles dans le secteur traditionnel pour les transférer vers le secteur moderne et ainsi assurer le financement de projets porteurs de croissance ; – ensuite, dès lors que le processus de développement économique arrive à maturité, il entraîne avec lui la progression du système financier pour assurer son financement. Crise financière et réglementation : de nouvelles bases pour le financement bancaire L’histoire économique pourrait laisser à penser qu’une dynamique autoentretenue existe, dans la sphère financière, entre réglementation, innovation et crise. Initialement prévue pour améliorer les techniques de financement et d’investissement, l’innovation financière peut en effet également être utilisée pour contourner une réglementation existante et ainsi porter les germes d’une prochaine crise. Une nouvelle réglementation se met alors progressivement en place, ouvrant la voie à de nouvelles innovations. Au commencement de certaines crises récentes se trouve ainsi une exigence dont la pertinence économique ne peut être remise en cause : la nécessité de contrôler l’activité de prêt des banques et de respecter un certain niveau de fonds propres. Les prémisses d’une réglementation bancaire internationale Il faut savoir, pour comprendre les exigences de fonds propres, qu’une banque commerciale peut accorder un volume de prêts supérieur aux dépôts qu’elle détient. Comme le rappelle la Cour des comptes32, « les besoins de long terme excédant généralement les capacités de même horizon, le financement de l’économie est exposé à un déficit structurel de ressources de long terme. Les établissements financiers peuvent combler cet écart par la “transformation” des ressources de court terme qu’ils collectent, se trouvant de ce fait consommateurs de ressources de court terme et producteurs de ressources de long terme ». Le rôle de la banque est ainsi de « transformer les échéances », ce qui signifie schématiquement qu’elle « emprunte » à court terme auprès de ses clients « déposants » et prête à long terme à ses 32. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 29. 32 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE clients emprunteurs. Elle doit néanmoins disposer, grâce à ses fonds propres, d’une solidité financière suffisante pour faire face au risque qu’un certain nombre de ses clients-emprunteurs ne puissent honorer le remboursement de leur dette et, consécutivement, garantir à ses clients-épargnants la capacité à rémunérer les sommes qu’ils lui ont confiées. C’est la raison pour laquelle les banques sont réglementairement contraintes de détenir un certain niveau de fonds propres en pourcentage des sommes prêtées. Ceci se fait sous l’égide du Comité dit « de Bâle »33, sous l’impulsion du G1034, dans le but de renforcer la stabilité bancaire internationale. Ce comité propose ainsi en 1988 d’adopter un premier « ratio prudentiel », appelé ratio Cooke, du nom du premier président du Comité, imposant que le rapport entre les fonds propres de la banque et la totalité des sommes prêtées ne soit pas inférieur à 8 %. En d’autres termes, pour cent euros de prêts qu’elle accorde, la banque en finance huit, le reste du financement provenant du dépôt des épargnants ainsi que des emprunts interbancaires ou ceux réalisés sur les marchés financiers. L’exigence de fonds propres est cependant dépendante de l’ampleur du risque de nonremboursement (à savoir le risque de crédit ou, dans sa forme la plus grave, le risque de défaut), auquel la banque est confrontée lorsqu’elle accorde un prêt. Dans ce cadre, les créances accordées aux États ou aux banques des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sont moins « consommatrices » en fonds propres que celles accordées à des emprunteurs privés. Devenu progressivement inadapté face à l’évolution des risques bancaires, ce ratio sera réformé à plusieurs reprises sous l’effet de la réglementation Bâle II en 2004, puis, en 2010, avec l’accord de Bâle III. Entrée en application en 2006, la réglementation Bâle II institue notamment le ratio McDonough, qui améliore le ratio précédent en liant davantage l’ampleur du capital nécessaire au risque de crédit idiosyncratique de l’emprunteur, à savoir celui qui découle de sa propre situation financière, tout en élargissant le périmètre des risques pris en compte : le risque de marché et le risque opérationnel sont désormais intégrés à la formule de calcul du ratio. Au-delà de cette exigence constituant le premier pilier de cette réglementation, l’accord de Bâle II, traduit par la directive européenne « Capital Requirements directive » (CRD) 2006/49 du 14 juin 2006, introduit deux autres piliers en matière de supervision bancaire : une surveillance prudentielle individualisée donnant le pouvoir aux autorités de contrôle bancaire de majorer l’ampleur des fonds propres 33. Le comité de Bâle, créé en 1974 et hébergé au sein de la Banque des règlements internationaux (BRI), rassemble des représentants des banques centrales et autorités prudentielles de 27 pays, fixe des normes prudentielles minimales, édicte des règles de surveillance de l’activité bancaire et promeut l’échange de bonnes pratiques. 34. Le G10 est un groupement informel constitué non pas de dix (contrairement à ce qu’indique son appellation) mais de onze pays : Allemagne, Belgique, Canada, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse et États-Unis. LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 33 nécessaires si le profil de risque d’un établissement le justifie (pilier II), ainsi qu’un devoir accru de communication financière de la part des banques (pilier III). Non appliqué par les États-Unis, l’accord de Bâle II conserve un périmètre européen. De Bâle II à Bâle III Pour pertinente qu’elle fût, l’amélioration de la réglementation prudentielle de Bâle I à Bâle II n’a pas permis de prévenir la crise financière de 2007 en raison, notamment, du recours croissant par les banques à la technique de titrisation mentionnée précédemment, permettant de transférer des activités hors de leur bilan. Cette technique vise à transformer des créances, le plus souvent bancaires, en titres financiers. Elle est, encore aujourd’hui, un mode de financement intéressant, mais elle constitua également, avant la crise de 2007, un moyen de contourner les contraintes réglementaires de Bâle II. Comme le montre la figure 3, une banque cède, dans une opération de titrisation, les créances qu’elle détient sur ses clients à une structure juridique dédiée, appelée special purpose vehicle (SPV). Celui-ci, créé par la banque ou, plus globalement, par l’institution désireuse de céder ses créances et dont la seule vocation est de réaliser la transformation des créances en titres, ne dispose pas de capital initial et va donc financer l’acquisition de ces créances par l’émission de titres de type obligataire sur les marchés financiers. En achetant ces titres, les investisseurs touchent des intérêts directement liés à ceux payés initialement par les débiteurs (et non à la solidité financière de l’émetteur, à la différence d’une obligation traditionnelle). Ils sont, en contrepartie, exposés au risque que les débiteurs ne puissent honorer leur dette. Figure 3. Le fonctionnement simplifié d’une opération de titrisation Paiement des titres financiers Achat des créances Special purpose vehicle (SPV) Banque Paiement des intérêts Cession des créances Débiteurs Source : Yves Jégourel et Max Maurin. Investisseurs Émission de titres financiers 34 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE La banque abandonne quant à elle la perception des intérêts sur les créances qu’elle détenait mais reçoit en retour le produit de la vente des titres. Elle échange en cela un flux de revenus futurs contre un paiement immédiat. La titrisation est donc un mode de financement à part entière. Les abus dans l’utilisation de cette technique furent à l’origine d’une des plus grandes crises de la finance moderne. Les créances titrisées furent de plus en plus opaques (on parle alors de collaterized debt obligation ou CDO) et les investisseurs eurent, au travers des agences de notation dont le rôle fut largement décrié, l’illusion que les titres qu’ils achetaient étaient sans risque. Lorsque les premiers ménages américains ne purent honorer le paiement de leurs mensualités (notamment immobilières) à la suite de l’augmentation des taux d’intérêt, ce qui n’aurait pu être qu’une crise bancaire nationale se répandit comme une traînée de poudre dans la sphère financière. La crise de 2007 posait alors les jalons d’un cataclysme économique comparable à celui de 1929. Confronté à une crise systémique considérable dans laquelle la faillite d’une institution bancaire ou financière peut entraîner, à l’image d’un jeu de domino, celle d’une autre, le monde économique s’est engagé dans un vaste programme de réformes bancaires et financières visant notamment à limiter les activités spéculatives des banques, lutter contre l’évasion fiscale et accroître la coopération internationale dans ce domaine, mieux encadrer l’utilisation des produits dérivés, mais également à renforcer, une fois encore, la réglementation prudentielle des banques35. Les accords de Bâle III, publiés le 16 décembre 2010, poursuivent ainsi les efforts visant à garantir la stabilité bancaire internationale, en augmentant le niveau et la qualité du capital réglementaire des établissements de crédit, mais également en introduisant deux nouveaux ratios prudentiels dont le but est d’accroître la capacité de ces acteurs à faire face à des crises de liquidité. Par ailleurs, l’ampleur des actifs que la banque peut détenir est définie en fonction des fonds propres qu’elle possède : le rapport entre le total des actifs détenus par une banque et ses fonds propres, appelé « ratio de levier », doit ainsi être supérieur à 3 %. Réglementations prudentielles et financement de l’économie En encadrant l’activité de prêt des établissements de crédit, la réglementation prudentielle influence très largement le mode de financement d’une économie, notamment pour celles qui, comme la France, dépendent assez 35. Le lecteur pourra se référer à Yves Jégourel, « États-Unis, Europe : un tour d’horizon des réformes bancaires et financières », Cahiers français, n° 375, juillet-août 2013, p. 31-35 pour un bilan des réformes bancaires et financières entreprises dans le monde et, plus globalement, à l’ensemble du dossier de cette revue intitulé « La finance mise au pas ? ». LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 35 largement du secteur bancaire. La littérature académique s’est donc logiquement intéressée aux effets des accords de Bâle II sur le financement des entreprises. Maud Aubier36 s’est en particulier interrogée sur les effets de ces réglementations sur le financement des PME. L’auteur souligne notamment que, pour un niveau de risque équivalent, les créances accordées à celles-ci bénéficient d’une réduction de capital réglementaire comprise entre 15 et 30 % (selon l’ampleur de la créance) par rapport à celles des grandes entreprises. La réglementation Bâle III a, quant à elle, soulevé de nombreuses interrogations ou inquiétudes. Certains estimaient en effet que les concours bancaires aux entreprises, et notamment aux petites et moyennes entreprises, allaient se concentrer sur les entreprises les plus rentables et que le coût du crédit allait augmenter, excluant de facto certaines PME. La Cour des comptes37 estimait ainsi en 2012 que l’impact sur le coût du crédit pourrait être de l’ordre de 3 % pour la zone euro à l’horizon 2015. En ce qui concerne son influence sur la vitalité de l’économie, l’OCDE considérait, en 2011, que la mise en place de cette réforme coûterait à l’économie mondiale entre 0,05 et 0,15 % de croissance économique par an38. Qu’en est-il réellement en 2014 ? Toute conclusion apparaît, sur ce point, encore prématurée dans la mesure où les établissements de crédit ont jusqu’en 2019 pour mettre en œuvre cette réglementation dans ses différents volets. Nombre d’entre eux ont cependant anticipé son application et des premiers éléments de réponse peuvent être apportés. Jean-François Pons et Benjamin Quatre39 soulignent notamment que l’idée communément admise selon laquelle le financement des entreprises allait être pénalisé tant au regard du volume des prêts accordés que des taux d’intérêt pratiqués, n’est a priori pas fondée. Si les crédits bancaires qui leur sont dédiés se sont bien contractés dans la zone euro entre décembre 2010 et février 2014, passant, selon la BCE, de 4 700 à 4 348 milliards d’euros40, c’est avant tout la situation des pays comme l’Espagne et l’Italie qui l’explique. En France, l’encours de crédits aux entreprises, qui était de 781,6 milliards d’euros en décembre 2008, atteint 824,2 milliards en septembre 2014, selon la Banque de France. L’encours de crédits mobilisés par les PME est de 372,9 milliards d’euros à la même date, en hausse de 3,7 % par rapport à septembre 2012. Le coût du crédit a, quant à lui, fortement diminué 36. Maud Aubier, « Impact de Bâle II sur l’offre de crédit aux PME », Économie & prévision, nos 178-179, 2007, p. 141-148. 37. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 103. 38. Voir Patrick Slovik, Boris Cournède, « Macroeconomic Impact of Basel III », OECD Economics Department Working Papers, n° 844, 14 février 2011. 39. Jean-François Pons et Benjamin Quatre, « L’impact de Bâle III sur les prêts aux PME : l’heure de vérité approche », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 233-240. 40. Ils s’établissaient à 4 274 milliards d’euros à la fin octobre 2014 (source : www.ecb.europa. eu/press/pdf/md/md1410.pdf, 27 novembre 2014). 36 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE sous l’effet de la politique monétaire expansionniste menée par la BCE (voir chapitre 3), mais l’écart de tarification entre les grandes entreprises et les PME/TPE semble s’être accru. En ce qui concerne le financement en fonds propres des entreprises, l’impact de Bâle III apparaît en revanche plus négatif, en particulier pour les entreprises non cotées. Selon l’Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), le déficit de financement dont souffrent ces entreprises trouve une de ces causes dans le retrait des secteurs de la banque et de l’assurance, « dont les allocations au capital-investissement se sont effondrées, respectivement de - 79 % et - 75 % entre 2008 et 2012. Dans un État où les fonds de pension sont très limités, le détournement de ces deux catégories d’investisseurs institutionnels du capital-investissement marque un coup d’arrêt à la dynamique d’orientation de l’épargne des ménages vers les capitaux propres des PME et ETI nationales »41. La directive « Solvabilité II » 2009/138/CE du 25 novembre 2009, pendant de Bâle III pour le secteur des assurances qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016, pourrait renforcer ce déficit de financement. Elle imposerait en effet un taux de charge de 49 % sur les investissements en fonds propres des entreprises non cotées : pour cent euros investis, la compagnie d’assurances devrait provisionner quarante-neuf euros de capital, contre trente-neuf pour les actions cotées. L’effort de réglementation du secteur bancaire s’est poursuivi avec la mise en œuvre, à compter de novembre 2014, du Mécanisme de surveillance unique (MSU) et du Mécanisme de résolution unique (MRU), jalons essentiels vers la constitution d’une union bancaire. Le MSU a pour vocation, comme son nom l’indique, d’instituer plus de cohérence en matière de contrôle bancaire au sein des 19 pays composant la zone euro en faisant de la Banque centrale européenne le superviseur prudentiel central des établissements de crédit de la zone euro (environ 6 000 banques), mais également des autres pays situés en dehors de la zone ayant choisi de participer à ce dispositif. Le MRU s’appliquera aux banques couvertes par le MSU. Dans les cas où une banque devrait faillir en dépit de sa surveillance renforcée, le mécanisme permettra une gestion plus efficace de sa résolution, via un Conseil de résolution unique et un Fonds de résolution unique financé par le secteur bancaire. Le MRU permet quant à lui une gestion plus efficiente des situations de crises, au travers notamment d’un Conseil de résolution unique. 41. « Réponse de l’Afic à la consultation sur le financement à long terme de la Commission européenne », 2013, p. 1 (http://ec.europa.eu/internal_market/consultations/2013/long-term-financing/docs/contributions/registered-organisations/ association-francaise-des-investisseurs-pour-la-croissance_fr.pdf ). LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 37 Quel rôle pour l’acteur public ? L’État et, plus globalement, l’acteur public disposent d’un certain nombre d’outils leur permettant de stimuler le financement de l’économie et leur rôle est, de toute évidence, considérable. La politique budgétaire porte en son sein une large partie d’entre d’eux, dès lors qu’elle met en œuvre des subventions et des mécanismes d’incitations fiscales visant à encourager la consommation des ménages ou l’investissement des entreprises, par le bais d’allégement de charges ou de crédits d’impôt par exemple. L’État et les collectivités locales sont également au cœur du financement de l’économie dès lors qu’ils s’engagent en tant qu’actionnaires dans le capital d’entreprises cotées en bourse ou non. Ils peuvent, de ce point de vue, intervenir seuls ou dans une logique de co-financement, directement, lors d’une prise de participation dans le capital de l’entreprise, ou indirectement, par le truchement de fonds d’investissement. La prise de participation de l’État joue ainsi comme un effet de levier permettant de « crédibiliser » l’entreprise soutenue et d’encourager les investisseurs privés à s’engager. Cette politique incitative peut également prendre la forme de garanties visant notamment à prendre à sa charge le risque de défaut lorsque l’entreprise emprunte : l’accès aux crédits bancaires est alors facilité. L’intervention de l’État porte également sur le drainage et l’orientation de l’épargne vers les agents à besoin de financement. La fiscalité des produits d’épargne joue, de ce point de vue, un rôle essentiel. Comme le chapitre 4 l’explicitera, les contraintes budgétaires auxquelles les acteurs publics sont désormais confrontés imposent un ciblage fin des entreprises et des secteurs d’activité soutenus, le plus souvent en faveur de l’innovation et du maintien de l’emploi. Dans un contexte de globalisation financière, la capacité d’une nation à attirer les capitaux étrangers est également fondamentale. Si le couple rendement-risque des investissements ainsi proposé est une variable clé sur laquelle l’acteur public n’a pas ou peu d’influence (à l’exception des actifs dont il est lui-même l’émetteur tels que les obligations d’État), il semble clair que la qualité de l’environnement réglementaire et le degré de stabilité fiscale ne peuvent être sous-estimés. Dans cet effort pour capter l’épargne internationale, souvent portée par des investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, l’État est engagé dans un jeu complexe. Il faut effectivement reconnaître qu’une nation ne peut s’affranchir de la sphère financière et que, dans ce contexte, la dépense et la dette publique, ainsi que l’ampleur de la dette externe, font l’objet de toutes les attentions sur les marchés financiers. Un dérapage des finances publiques pourra ainsi être sanctionné par des investisseurs institutionnels désireux d’obtenir un rendement accru pour compenser la perception 38 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE d’un risque accru. Néanmoins, comme l’explique Leslie Lipschitz42, « avec la mondialisation des marchés de capitaux, il devient donc plus difficile pour les pays d’évaluer et de choisir une politique macroéconomique. Dire que les marchés sanctionnent rapidement et brutalement un écart de conduite est banal, mais pas tout à fait exact. En réalité, leur réaction aux évolutions internes est souvent imprévisible : tantôt, ils semblent tolérer longtemps un comportement imprudent, tantôt ils agissent de façon préventive ; en général, ils sont sensibles à toute une gamme de facteurs internes et externes ». 42. Leslie Lipschitz, « Le rôle central de la finance », Finances & développement, vol. 44, n° 1, mars 2007, p. 24-27. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 39 ❯ Chapitre 2 Politique budgétaire et dispositifs institutionnels : les instruments du soutien public au financement de l’économie Par la mise en œuvre de sa politique budgétaire, l’État participe au financement de l’économie. En réalisant des dépenses publiques, il joue un rôle important dans le soutien à l’activité, que ce soit dans le cadre de politiques volontaristes ou par le simple jeu des stabilisateurs automatiques (encadré). Néanmoins, cette participation de la puissance publique au financement de l’économie est largement contrainte par les règles édictées par l’Union européenne qui, par l’encadrement des politiques budgétaires nationales, entend assurer l’efficacité de sa politique monétaire. ■ Stabilisateurs budgétaires automatiques et politiques budgétaires volontaristes ■ Les stabilisateurs budgétaires automatiques « Les recettes et les dépenses publiques exercent spontanément une action contracyclique sur l’activité économique, c’est-à-dire d’atténuation des aléas de la conjoncture économique. En effet, si une grande partie des dépenses publiques sont indépendantes des variations à court terme de l’activité économique (ex. les dépenses de rémunération et de retraite des fonctionnaires), certaines d’entre elles sont, en revanche, mécaniquement liées à la conjoncture. C’est notamment le cas des dépenses d’indemnisation du chômage ou des prestations sociales versées sous condition de ressources, qui augmentent quand l’activité économique se dégrade. On considère ainsi que l’élasticité des dépenses publiques à la conjoncture est comprise entre 0,1 et 0,3, autrement dit, les dépenses publiques ont tendance à augmenter spontanément de 0,1 à 0,3 point lorsque la croissance ralentit d’un point. Lorsque l’activité économique ralentit, les dépenses publiques ont tendance à s’accélérer, tandis que les entrées de recettes ralentissent mécaniquement, ce qui provoque une détérioration du solde budgétaire. La détérioration de l’activité économique provoque alors un transfert de revenus des administrations publiques vers les 40 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ménages et les entreprises, ce qui atténue mécaniquement l’effet du ralentissement économique sur les revenus de ces derniers. À l’inverse, en période de forte expansion économique, les prélèvements fiscaux et sociaux augmentent mécaniquement, tandis que les dépenses diminuent, ce qui a tendance à freiner la croissance de la demande intérieure. Par conséquent, les recettes et les dépenses publiques fonctionnent comme des “stabilisateurs automatiques” puisqu’elles contribuent à amortir les variations conjoncturelles de l’activité économique. Cependant, ce mécanisme de stabilisation automatique ne fonctionne pleinement que si les ménages et les entreprises ne modifient pas leur comportement de consommation et si les taux d’intérêt ne sont pas affectés par la croissance de la dépense publique en période de récession. ■ Les politiques budgétaires volontaristes En cas de forte dégradation de la conjoncture économique, les gouvernements peuvent être tentés de mener une politique budgétaire volontariste. Une telle politique consiste à soutenir l’activité économique à court terme, en faisant jouer le “multiplicateur keynésien” [1]. On appelle “multiplicateur keynésien” le mécanisme macroéconomique mis en évidence par John Maynard Keynes, qui permet de compenser la faiblesse des dépenses privées par un accroissement des dépenses publiques. En effet, une augmentation des dépenses publiques engendre des revenus supplémentaires qui sont pour partie consommés, pour partie épargnés et pour partie récupérés par les administrations publiques sous la forme d’impôts et de cotisations sociales. Or, la partie de ces revenus supplémentaires qui est consommée vient nourrir la demande intérieure adressée aux entreprises. Ces dernières peuvent dès lors augmenter leurs investissements, leurs emplois, et distribuer des revenus supplémentaires. Le surcroît de dépenses publiques provoque par conséquent un effet cumulatif (un effet multiplicateur) qui stimule d’autant plus l’activité économique que les revenus sont peu épargnés, peu imposés et que la demande de consommation s’adresse principalement aux entreprises nationales. Les gouvernements peuvent également soutenir l’activité en réduisant les charges fiscales et donc en augmentant le revenu des personnes privées. Cette politique stimule l’activité économique, mais dans une moindre proportion que la dépense publique, car une partie de ce revenu supplémentaire est immédiatement épargnée par les ménages et les entreprises. » (1) Voir plus loin, section « Les fondements théoriques de la politique budgétaire » (NDE). Source : www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/approfondissements/ politique-budgetaire.html. Force est de constater que la crise économique de 2007, en creusant les déficits publics nécessaires à la relance des économies, a renforcé la préoccupation du contrôle des comptes publics. C’est dans ce contexte contraint que doit aujourd’hui opérer l’État pour participer au financement de l’économie par sa politique budgétaire, que cette participation soit directe, par exemple par le versement d’aides à l’investissement, ou indirecte, comme POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 41 dans le cadre d’opérations de garantie. Face à la contrainte budgétaire, l’action de l’État s’oriente de plus en plus vers la recherche de relais publics, comme peuvent l’être la Banque européenne d’investissement, la Banque publique d’investissement ou encore les Régions françaises, pour assurer la pérennité du financement de l’économie par la puissance publique. La politique budgétaire dans le contexte de l’Union européenne Au cours du XXe siècle, qui a vu naître et se développer l’État providence, la part des dépenses publiques dans le PIB a fortement augmenté, faisant de l’État, après la Seconde Guerre mondiale, un contributeur essentiel de l’activité économique. Alors que, en 1912, les dépenses publiques en France s’élevaient à 12,6 % du PIB1, elles en atteignaient 57,1 % en 2013 selon l’Insee. Plus précisément, l’État se livre à des dépenses, qu’elles soient de fonctionnement, d’investissement ou de transferts sociaux, et peut les financer de plusieurs manières. D’abord, par le biais du développement des prélèvements obligatoires, qui peuvent prendre la forme d’impôts ou de cotisations sociales. Par ailleurs, il a également la possibilité de recourir à l’emprunt en émettant des titres de dette publique. Enfin, l’État peut se tourner vers la banque centrale pour qu’elle procède à une création monétaire. Dans le cadre de la zone euro, l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit à la BCE ou aux banques centrales des États membres d’acheter des titres de dettes publiques sur le marché primaire. La politique monétaire étant dévolue à la BCE, l’influence macroéconomique de l’État transite aujourd’hui largement par l’exercice de sa politique budgétaire, dont les fondements théoriques remontent aux travaux de Keynes. Aujourd’hui, les enseignements qui en découlent doivent trouver leur place dans le cadre de l’Union européenne qui impose à ses pays membres une discipline budgétaire. 1. Christine André et Robert Delorme (dir.), « Le budget de l’État », Cahiers français, n° 261, mai-juin 1993. 42 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Les fondements théoriques de la politique budgétaire Les fondements théoriques de la politique budgétaire doivent beaucoup aux analyses développées par Keynes dans la première moitié du XXe siècle, notamment dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936)2. Dans l’interprétation de la pensée keynésienne proposée par John Hicks, puis popularisée par Alvin Hansen3, et connue sous le non de modèle IS-LM (Investment Saving-Liquidity Preference Money Supply)4, les dépenses gouvernementales sont une composante de la demande globale, qui comprend également la consommation des ménages, l’investissement des entreprises et la demande émanant du reste du monde, à savoir les exportations. En supposant une situation de court terme, dans laquelle les prix sont rigides et dans laquelle, par conséquent, l’offre doit s’ajuster aux variations de la demande pour assurer l’équilibre, il est possible de mettre en évidence l’existence d’un effet multiplicateur de la dépense gouvernementale sur le revenu. Cet effet multiplicateur de la dépense publique sur le revenu peut s’expliquer en se décomposant. Dans un premier temps, si la dépense publique augmente, la demande globale augmente d’autant. La production et le revenu sont alors contraints de s’ajuster du même montant. Dans un deuxième temps, une part du revenu supplémentaire versé pour permettre l’accroissement de la production va être dépensée par les ménages, dont une partie va se porter sur des produits étrangers. Le supplément de consommation adressé aux entreprises nationales va entraîner une nouvelle hausse de la demande globale à laquelle va devoir s’ajuster la production. Le revenu va par conséquent à nouveau augmenter, de même qu’ensuite la consommation pour les produits nationaux et étrangers. Cette succession de vagues de production, de distribution de revenu et de consommation supplémentaires permet de comprendre l’effet plus que proportionnel d’une augmentation des dépenses publiques sur le niveau de l’activité par le déclenchement d’un mécanisme multiplicateur. 2. John Maynard Keynes, The General Theory of Employment, Interest, and Money, Macmillan, Londres, 1936 (traduction française : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, coll. « Bibliothèque économique », Payot, Paris, 1942). 3. John R. Hicks, « Mr Keynes and the “Classics”. A Suggested Interpretation », Econometrica, vol. 5, n° 2, avril 1937, p. 147-159 ; Alvin H. Hansen, A Guide to Keynes, McGraw-Hill, New York, 1953. 4. Au sein duquel la courbe IS représente l’ensemble des combinaisons de taux d’intérêt et de revenus assurant l’équilibre sur le marché des biens et des services, et la courbe LM, l’ensemble des combinaisons de taux d’intérêt et de revenu assurant l’équilibre sur le marché monétaire. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 43 Günter Coenen et alii 5 ont comparé les estimations empiriques de multiplicateurs fournies par sept modèles d’équilibre général6. Ils mettent notamment en avant le fait que l’efficacité de la politique budgétaire est renforcée si elle est menée de concert avec la politique monétaire, si elle ne conduit pas à des déficits permanents et si elle mobilise certains instruments plutôt que d’autres. Ainsi, ils relèvent que, à court terme, le multiplicateur d’investissement public s’élève à 1,48 en Europe, quand une baisse de l’impôt sur les sociétés n’aurait un effet multiplicateur que de 0,157. Même en l’absence d’une politique budgétaire volontariste, les recettes et les dépenses publiques exercent, de manière automatique, une action régulatrice sur le cycle de l’activité économique. On parle à cet égard de stabilisateurs budgétaires automatiques pour désigner l’effet contra-cyclique d’atténuation des fluctuations de la croissance qui se développe en dehors de toute intervention discrétionnaire de la puissance publique. Cet effet existe car une partie des dépenses publiques dépend mécaniquement de la conjoncture. Par exemple, les dépenses d’indemnisation du chômage vont augmenter quand la conjoncture se dégrade et, inversement, diminuer quand elle s’améliore. De ce fait, un ralentissement économique générant du chômage va mécaniquement entraîner un déficit et donc une expansion budgétaire qui viendra favoriser la reprise. De nombreux travaux tentent d’estimer l’ampleur des stabilisateurs automatiques8, mais force est de constater, comme le font Jan In ‘T Veld et 5. Günter Coenen, Christopher J. Erceg, Charles Freedman, Davide Furceri et alii, « Effects of Fiscal Stimulus in Structural Models », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 4, n° 1, janvier 2012, p. 22-68. 6. Les multiplicateurs peuvent être estimés par d’autres méthodes qu’en utilisant des modèles d’équilibre général. Jérôme Creel, Éric Heyer et Mathieu Plane (« Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011, p. 61-88) relèvent deux autres méthodes permettant de les estimer : l’une, narrative, utilisée notamment par Christina et David Romer (« The Macroeconomic Effects of Tax Changes : Estimates Based on a new Measure of Fiscal Shocks », American Economic Review, vol. 100, n° 3, juin 2010, p. 763-801) et reposant sur l’identification des changements de législation fiscale apparaissant dans les lois de finances successives ; l’autre s’appuyant sur l’estimation d’un modèle vectoriel autorégressif structurel et proposée par Olivier Blanchard et Roberto Perotti (« An Empirical Characterization of the Dynamic Effects of Changes in Government Spending and Taxes on Output », The Quarterly Journal of Economics, vol. 117, n° 4, novembre 2002, p. 1329-1368). 7. En d’autres termes, cela signifie qu’une augmentation de 1 euro des dépenses d’investissement public entraîne une hausse de 1,48 euro du PIB, alors qu’une baisse de 1 euro de l’impôt sur les sociétés ne l’accroît que de 0,15 euro. 8. Paul Van den Noord, « The Size and Role of Automatic Fiscal Stabilizers in the 1990s and Beyond », OCDE, OECD Economics Department Working Paper, n° 230, janvier 2000 ; Commission européenne, « Fiscal Policy and Cyclical Stabilisation in EMU », in Public Finances in EMU 2001, p. 57-77 ; Anne Brunila, Marco Buti, Jan In ‘T Veld, « Fiscal Policy in Europe : How Effective Are Automatic Stabilisers ? », Empirica, vol. 30, n° 1, mars 2003, p. 1-24 ; Ray Barrell, Alvaro M. Pina, « How Important Are Automatic Stabilisers in Europe ? A Stochastic Simulation Assessment », Economic Modelling, vol. 21, n° 1, janvier 2004, p. 1-35 ; Mathias Dolls, Clemens Fuest, Andreas Peichl, « Automatic Stabilisers and Economic Crisis : US vs. Europe », Journal of Public Economics, vol. 96, nos 3-4, avril 2012, p. 279-294. 44 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE alii 9, que ces estimations varient significativement, selon les méthodes ou les définitions retenues. Par exemple, Ray Barrell et Alvaro Pina trouvent un effet de lissage du revenu de 11 % dans la zone euro, quand Mathias Dolls et alii proposent une fourchette comprise entre 4 % et 22 %10. D’après Anne Brunila et alii 11, la France, bénéficiant d’une charge fiscale élevée, se classerait parmi les pays européens à plus forte capacité de stabilisation. Ainsi, en période d’expansion économique, la hausse des recettes fiscales vient freiner l’expansion et, inversement, en période de récession, la baisse du revenu fiscal permet de ralentir la contraction de l’économie. Une des limites de la politique budgétaire est que l’accumulation de déficits vient accroître l’encours de dette publique et augmente la charge de la dette, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses liées au paiement des intérêts12. Or, à mesure que se creuse l’endettement public et, par conséquent, s’accroît la charge de cette dette, les taux d’intérêt sur les nouveaux emprunts de l’État augmentent. Cette dynamique peut rendre insoutenable le poids de la dette de l’État si ses recettes ne se développent pas suffisamment. Le contrôle des politiques budgétaires par l’Union européenne La question que pose le financement des dépenses publiques est aujourd’hui omniprésente dans les débats. Cette question prend une résonance particulière dans le contexte de l’Union européenne qui, depuis le traité de Maastricht, impose aux pays membres le respect d’une discipline budgétaire13. Au début des années 1990, puis avec ce traité, signé en 1992, ont émergé deux critères qui devaient imposer aux pays membres une discipline budgétaire afin d’éviter de mettre en péril la stabilité monétaire de 9. Jan In ‘T Veld Jan, Martin Larch, Marieke Vandeweyer, « Automatic Fiscal Stabilisers : What they Are and What they Do », European Economy Economic Papers, n° 452, avril 2012. 10. Ray Barrell, Alvaro M. Pina, « How Important Are Automatic Stabilisers in Europe ? A Stochastic Simulation Assessment », op. cit. ; Mathias Dolls, Clemens Fuest, Andreas Peichl, « Automatic Stabilisers and Economic Crisis : US vs. Europe », op. cit. 11. Anne Brunila, Marco Buti, Jan In ‘T Veld, « Fiscal Policy in Europe : How Effective Are Automatic Stabilisers ? », op. cit. 12. Pour une présentation plus exhaustive des critiques apportées aux fondements théoriques des politiques budgétaires, on pourra se référer au manuel d’Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 3e éd., 2012. 13. Les problèmes de financement de la dette publique n’ont cependant rien de nouveau, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (This Time is Different. Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press, Princeton, 2009) recensant de nombreux exemples historiques de banqueroutes d’États. Pour plus de détails concernant la discipline budgétaire dans l’Union européenne du traité de Maastricht jusqu’en 2013, on pourra se reporter à Carine Bouthevillain, Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Laurent Paul, Les politiques budgétaires dans la crise. Comprendre les enjeux actuels et les défis futurs, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 2013. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 45 l’Union dans son ensemble : les seuils de 3 % du PIB pour le déficit des administrations publiques et de 60 % du PIB pour la dette publique furent décidés à cette occasion14. En 1997 fut mis en place le Pacte de stabilité et de croissance afin de fixer un véritable cadre législatif contraignant aux États. Ce Pacte, constitué d’une résolution du Conseil européen d’Amsterdam (17 juin 1997) et de deux règlements (n° 1466/97 et n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997), impose, à moyen terme, un objectif d’équilibre ou d’excédent budgétaire, tout en conservant les critères de Maastricht. Le premier règlement est traditionnellement qualifié de volet préventif en ce qu’il contraint les États de la zone euro à définir et à présenter leurs objectifs budgétaires dans un programme de stabilité pluriannuel. Celui-ci est ensuite transmis pour évaluation à la Commission et doit recevoir l’approbation du Conseil des ministres des Finances. Le second règlement constitue le volet répressif qui permet à l’Union européenne d’enclencher la procédure de déficit excessif dès lors qu’un État ne respecte plus le critère de déficit public15. La procédure comprend la mise en œuvre d’un calendrier de correction et peut aboutir à des sanctions financières. Suite à de nombreuses critiques, concernant notamment sa dimension excessivement rigide, et suite à l’arrêt, en 2003, des procédures de déficit excessif lancées contre la France et l’Allemagne, une réforme du Pacte de stabilité et de croissance a été entreprise en 2005. Les deux volets de celui-ci ont été modifiés : – le volet préventif définit désormais un objectif individuel pour chaque pays, acceptant ainsi de reconnaître la spécificité des économies caractérisée notamment par des ratios d’endettement ou des niveaux de croissance potentielle différents ; – quant au volet répressif, il se voit également assoupli en élargissant la définition des circonstances exceptionnelles permettant de déroger à la règle des 3 % et en allongeant les délais de correction des déficits excessifs. Globalement, le Pacte a également davantage pris en compte l’objectif de croissance en prenant en considération les bénéfices à long terme que peuvent générer des réformes structurelles pouvant porter atteinte, à court terme, à la soutenabilité budgétaire. 14. Ces seuils sont définis en référence à une croissance nominale de 5 % par an, c’est-à-dire une croissance réelle de 3 % (qui correspondait à la croissance potentielle du début des années 1990) et une inflation de 2 %. Avec une telle croissance nominale, 3 % de déficit permettait d’assurer la stabilité de la dette publique à 60 % du PIB. 15. Le dépassement du critère de dette publique n’entraîne pas la mise en œuvre d’une procédure. 46 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE À partir de 2008, dès lors que la gestion de la crise bancaire et financière est venue creuser les déficits publics, le Pacte de stabilité et de croissance est passé au second plan, la Commission européenne autorisant les États membres à dépasser le seuil de déficit, sans risquer une procédure pour déficit excessif. Ainsi, comme l’atteste le tableau 2, la France a vu son déficit public croître de 2,5 % en 2007 à 7,2 % en 2009. Tableau 2. Évolution de la dette publique et du déficit français au sens de Maastricht (2006-2013) (en % du PIB) 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Déficit - 2,3 - 2,5 - 3,2 - 7,2 - 6,8 - 5,1 - 4,9 - 4,1 Dette notifiée (1) des APU 63,2 63,2 67,0 78,0 80,8 84,4 88,7 91,8 (1) « La dette publique notifiée est évaluée à partir du tableau des opérations financières de la comptabilité nationale mais ne correspond pas directement à cette présentation. Elle exclut certains types de dettes (essentiellement les crédits commerciaux et les décalages comptables). Elle est évaluée en valeur brute : on ne déduit pas de la dette les créances des administrations publiques sur des organismes ne faisant pas partie des administrations publiques, dont, par exemple les liquidités du Trésor sous forme de dépôts à la Banque de France ou de pensions, les placements de la Cades [Caisse d’amortissement de la dette sociale] […]. Elle est consolidée : on déduit les dettes détenues par certaines administrations publiques envers d’autres administrations publiques, notamment les dépôts des collectivités locales au Trésor public. Enfin, elle est évaluée en valeur nominale, c’est-à-dire à la valeur faciale de la dette et non à la valeur de marché comme cela est fait dans les comptes nationaux » (Insee). Source : Insee. Par la suite, la crise des dettes souveraines en Europe a conduit à dessiner un nouveau cadre de gouvernance pour l’exercice des politiques budgétaires (tableau 3). Par l’application du Six-pack en 2011, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (signé le 2 mars 2012) et du Two-pack en 2013, l’Union européenne cherche à adopter de nouvelles règles venant renforcer le Pacte de stabilité et de croissance par une codification de la coordination et de la surveillance des politiques budgétaires. Le contexte de contrôle accru des déficits publics par l’Union européenne incite ainsi l’État français à adapter les mesures de soutien au financement de l’économie qu’il peut proposer. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 47 Tableau 3. Les objectifs et principaux textes de la nouvelle gouvernance européenne Actes Pacte de stabilité et de croissance renforcé Dont le « Six-pack » Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou Pacte budgétaire européen Two-pack Date d’entrée en vigueur Contenu Regroupe un ensemble de plusieurs textes qui renforcent pas à pas la gouvernance économique (renforcement du contrôle de la discipline budgétaire et des déséquilibres 13 décembre 2011 macroéconomiques, amélioration de la coordination des politiques économiques, mise en place d’instruments de gestion de crise et assainissement du secteur bancaire). Renforce et étend le contrôle des déséquilibres économiques entre les États membres. Révision des règlements du Pacte de stabilité et de croissance (règles budgétaires et sanctions en cas de violation de ces 13 décembre 2011 règles). Instaure, pour la plupart des décisions, le vote à la majorité qualifiée inversée [1]. Extension du contrôle des déséquilibres entre États à d’autres indicateurs macroéconomiques que les finances publiques ; contrôle ce qui pourrait nuire à la compétitivité. Conclu par 25 États membres de l’UE, avec des dispositions particulières ne visant que les États participant à l’euro. Durcissement des critères de Maastricht, inscription dans les droits nationaux d’une règle d’équilibre budgétaire et d’un mécanisme de 1er janvier 2013 correction automatique en cas de dérapage. Déficit structurel maximum de 0,5 % du PIB. Correction automatique des dérapages pour revenir à l’objectif de moyen terme. Sanctions : quasi automatiques pour les déficits excessifs [2]. 30 mai 2013 Renforce encore le Pacte de stabilité et de croissance en créant un contrôle spécifique des États ayant des difficultés en matière de stabilité financière et en poursuivant la procédure de suivi du processus budgétaire au cours du second semestre de l’année. (1) Dans le cas où l’État membre concerné a fait l’objet d’une mise en demeure au titre de l’article 126, § 9, la sanction financière sera adoptée par un vote à la majorité qualifiée comme le prévoit le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (NDE). (2) En cas de déficit budgétaire trop important, le Conseil européen pourra infliger à l’État membre concerné une sanction financière allant de 0,2 à 0,5 % du PIB. Toutefois, la Commission européenne adressera auparavant des avertissements aux pays en question (NDE). Source : d’après Carine Bouthevillain, Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Laurent Paul, Les politiques budgétaires dans la crise. Comprendre les enjeux actuels et les défis futurs, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 2013, p. 215. Les mesures de soutien de l’État au financement de l’économie L’État peut apporter un soutien direct au financement de l’économie à travers le versement de subventions aux entreprises, via l’allocation d’aides à l’investissement pour les entreprises et les ménages ou encore par des 48 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE prises de participation dans les entreprises. Par ailleurs, l’action de l’État peut aussi se réaliser de manière indirecte, par le recours à des partenariats avec le secteur privé, à des opérations de garantie et à des dispositifs fiscaux appropriés. Tableau 4. Principaux instruments publics mobilisés pour le financement de l’économie française : montants et effets de levier (flux annuels 2010, en milliards d’euros) Nature du financement Dotations budgétaires Dépenses fiscales Investissements d’avenir regroupant des subventions, prêts, dotations non consommables, investissement en capital Investissement en capital Instruments mobilisés Montants Intensité de en 2010 (en Md€) l’effet de levier Aides à l’investissement 13,9 Faible Dotations en capital aux entreprises publiques 1,0 Faible Total, dont : 19,6 Moyenne (environ 2) 5,1 Faible 4,9 Moyenne 9,6 Moyenne Total, dont : 1,4 (à fin août 2011) Moyenne (environ 2) Industrie et PME 0,3 Moyenne Enseignement supérieur, recherche et formation 0,8 Faible Numérique 0,1 Moyenne Développement durable 0,2 Faible Contrats de partenariat 2,0 Moyenne (environ 3) Dépenses fiscales pour l’investissement immobilier des ménages Dépenses fiscales pour l’épargne financière des ménages Dépenses fiscales pour la capacité d’autofinancement des entreprises Prêts du Fonds d’épargne, dont : 17,4 Élevée Prêts Prêts au logement social 16,1 Moyenne Autres emplois 1,3 Élevée Prêts Cofinancements et avances sur trésorerie d’Oséo 10,0 Élevée Garantie Concours garantis par Oséo 11,7 Élevée Investissements de CDC Entreprises 1,1 Très élevée Investissements du FSI 1,7 Très élevée Investissement en capital Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, 2012, p. 273274. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 49 Les mesures de soutien direct Directement, l’État participe au financement de l’activité économique par les subventions qu’il verse aux entreprises et par les aides à l’investissement qu’il accorde aux entreprises et aux ménages. L’Insee16 définit les subventions et les aides à l’investissement comme des « transferts sans contrepartie attribués par les administrations publiques ou les institutions de l’Union européenne pour participer au financement d’activités productives et en influencer certaines caractéristiques (notamment prix, coûts, investissements) ». Ces mesures de soutien s’inscrivent à des niveaux différents du processus productif : les subventions interviennent pour financer l’exploitation, tandis que les aides à l’investissement constituent des transferts d’épargne qui financent l’accumulation de capital. Figure 4. Le circuit des aides à l’investissement en France (chiffres 2010, en millions d’euros) 1 672 M€ Entreprises ressources propres 25 87 M€ Collectivités territoriales État 1 481 M€ 27 39 601 M€ Autres 3 064 M€ M€ Organismes divers d’administration centrale 1 323 M€ ressources propres Ménages 117 M€ Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, juillet 2012, p. 133. D’après les données d’Eurostat, en 2012, les subventions versées par les APU s’élevaient à 30,5 milliards d’euros en France. En hausse de 2005 à 2010, elles ont connu une baisse en 2011 à 29,5 milliards d’euros, avant d’augmenter à nouveau en 2012. Leur montant en Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Espagne pour l’année 2012 est respectivement de 24,6, 15,7, 12,1 et 10,4 milliards d’euros. Plus précisément, les subventions se divisent en deux catégories. D’une part, il existe des subventions sur les produits qui rendent différents le prix unitaire pour le producteur et le prix d’acquisition pour l’acheteur. D’autre 16. Philippe Monteil et François Bouton, « Les subventions et les aides à l’investissement. Base 2000 », Insee, Note méthodologique, n° 5, avril 2007, p. 6. 50 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE part, les subventions d’exploitation viennent réduire les coûts de production et accroître l’excédent d’exploitation. En France, en 2012, les subventions sur les produits représentaient 47 % des subventions (soit 14,5 milliards d’euros) et les subventions d’exploitation, 53 % (soit 16 milliards d’euros). Cette proportion est variable selon les pays : ainsi, en Allemagne, les subventions sur les produits ne représentent que 24 % des subventions totales. Les aides à l’investissement se caractérisent par l’emploi spécifique qui leur est assigné puisqu’elles servent soit à une formation brute de capital fixe (FBCF), soit à une acquisition d’actifs non produits, comme des terrains ou des brevets par exemple. Par le versement de ces aides, les APU participent au financement de l’économie en atténuant les besoins de financement des entreprises ou ménages bénéficiaires. En France, d’après les données fournies par Eurostat, les aides à l’investissement versées par les APU s’élèvent à 10,5 milliards d’euros pour l’année 2012. En forte croissance de 2000 à 2008, elles connaissent une évolution plus mesurée depuis, du fait des efforts de contrôle budgétaire réalisés par l’État. À titre de comparaison, en 2012, elles s’élevaient à 20,7 milliards en Allemagne, à 17,6 milliards en Italie, à 15,7 milliards au Royaume-Uni et à 5,2 milliards en Espagne. Néanmoins, la catégorie « APU » retenue par Eurostat pour calculer les aides à l’investissement n’est pas suffisamment fine pour mener une analyse détaillée. En effet, les APU regroupent l’État, les collectivités territoriales et les organismes divers d’administration centrale (Odac)17. Ainsi, il convient d’étudier plus précisément le circuit des aides à l’investissement afin de mieux mesurer la place occupée par l’État dans le financement de l’économie. Dans un premier temps, l’État peut verser directement des aides à l’investissement aux ménages ou aux entreprises. Il peut également affecter ces aides aux collectivités territoriales ou à des Odac. Dans un second temps, ces deux catégories d’acteurs publics, qui peuvent par ailleurs disposer de ressources propres en dehors des financements apportés par l’État (principalement des impôts et taxes affectés), versent elles aussi des aides à l’investissement à destination des ménages et des entreprises. In fine, ceux-ci peuvent percevoir des aides à l’investissement en provenance directement de l’État, de ce dernier via les collectivités territoriales ou les Odac ou encore ces deux dernières catégories d’acteurs publics grâce à leurs ressources propres. 17. « Dans les comptes nationaux, les organismes divers d’administration centrale (Odac) regroupent des organismes auxquels l’État a donné une compétence fonctionnelle spécialisée au niveau national. Contrôlés et financés majoritairement par l’État, ces organismes ont une activité principalement non marchande. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Météo France ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont des Odac. Le plus souvent, les Odac sont des opérateurs de l’État » (site internet de l’Insee). POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 51 La description de ce circuit permet de comprendre que, malgré la tendance haussière des aides à l’investissement versées par les APU depuis 2000, la participation de l’État se caractérise par un processus de désengagement dicté par les difficultés budgétaires auxquelles il doit faire face. S’est alors produite une transformation des canaux de distribution des aides à l’investissement avec une montée en puissance des contributions des collectivités territoriales et des Odac. Ainsi, la Cour des comptes18 relève que le total des aides versées par l’État représentait 0,91 point de PIB en 2000, 0,93 en 2005 et plus que 0,72 en 2010. Dans les destinataires des aides à l’investissement versées par l’État, les aides allouées aux collectivités territoriales et aux Odac se sont accrues tandis que celles reçues par les ménages et les entreprises ont chuté. Par exemple, en ce qui concerne la part des investissements des entreprises financée directement par l’État, la Cour des comptes montre qu’elle est en diminution depuis 2006, passant de 2 % en 2006 à 0,9 % en 2010. La hausse des aides à l’investissement versées par les APU est ainsi entretenue par le développement des aides allouées par les collectivités territoriales et les Odac, à partir notamment de leurs ressources propres, parmi lesquelles les impôts et taxes affectés dont le montant annuel est en progression. Les chiffres de la Cour des comptes révèlent que, entre 2000 et 2010 et en ce qui concerne les aides à l’investissement à destination des ménages, la part des aides versées par les Odac dans l’ensemble « État et Odac » est passée de 23 % à 91,8 %. Pour les aides reçues par les entreprises, cette même part était de 47 % en 2010, alors qu’elle n’était que de 5,3 % en 2000. Les collectivités territoriales ont, elles aussi, vu leur rôle s’accroître, leur part dans les versements d’aides à l’investissement étant passée de 11,8 % à 42,5 % de 2000 à 2010. Il en ressort le fait que, malgré la croissance des aides à l’investissement reçues par les ménages et les entreprises, l’influence de l’État est devenue plus indirecte. Cette influence déclinante n’est pas sans conséquence. Par exemple, rien ne peut lui assurer que les aides qu’il apporte aux collectivités territoriales ou aux Odac se traduisent par des aides équivalentes de ceux-ci vers les entreprises et les ménages. Le financement direct de l’économie par l’État peut également passer par la prise de participation dans les entreprises. Depuis sa création en 2004, l’Agence des participations de l’État (APE) incarne l’État actionnaire et participe ainsi, d’après les lignes directrices qu’elle s’est fixées (encadrés infra), au financement d’entreprises considérées comme stratégiques. Au 18. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 134. 52 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 30 avril 2014, 74 entreprises relevaient du périmètre de l’APE, dont la valorisation boursière du portefeuille s’élevait à 84,7 milliards d’euros19 (v. aussi le tableau 5). Comme l’indique l’APE dans son rapport annuel 2014, depuis septembre 2013, deux entrées au capital ont été réalisées pour un montant total de 800 millions d’euros (PSA Peugeot Citroën et Aéroport de Marseille-Provence). Le 23 mai 2014, l’État entre officiellement (via Sogepa, société par actions simplifiée dépendant de l’APE) dans le capital du groupe PSA Peugeot Citroën avec une participation atteignant 14,1 % du capital. Ce faisant, l’État aide au financement du développement de l’entreprise d’un secteur qu’elle juge déterminant pour la croissance économique. De même, le 10 juin 2014, l’État devient le premier actionnaire de l’Aéroport Marseille-Provence avec 60 % du capital. Tableau 5. La participation de l’État dans les entreprises cotées au 14 novembre 2014 Valeur de la participation de l’État (en millions d’euros) % de participation directe (1) de l’État (chiffres arrondis) EDF 35 860 84,5 % GDF Suez 14 971 33,6 % ADP 4 770 50,6 % Safran 4 768 22,0 % Orange 4 541 13,5 % Airbus Group 4 159 11,0 % Renault 2 632 15,0 % Thales 2 241 26,4 % Areva 1 004 21,7 % PSA Peugeot Citroën 999 14,1 % Air France-KLM 342 15,9 % CNP 111 1,1 % 3 5,7 % Dexia (1) Indirectement, l’État peut détenir une part bien supérieure. Ainsi, au 11 décembre 2014, il détenait directement 28,8 % de capital et droits de vote au sein d’Areva mais aussi 54,4 % via le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) et 3,3 % via BpiFrance. Source : site internet de l’Agence des participations de l’État. 19. Source : Agence des participations de l’État, L’État actionnaire. Rapport annuel 2014, 2014, p. 21. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 53 ■ Les lignes directrices de la stratégie de l’État actionnaire « Premièrement, l’État doit disposer d’un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics à caractère structurellement stratégique, comme le secteur du nucléaire et les activités liées à la défense nationale. Deuxièmement, l’État peut s’assurer de l’existence d’opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays via une éventuelle intervention en fonds propres. Il peut s’agir d’infrastructures publiques, de grands opérateurs de service public “historique” ou encore de nouveaux réseaux ou services à déployer. Troisièmement, l’État peut choisir d’accompagner le développement et la consolidation d’entreprises nationales, en particulier dans des secteurs et des filières déterminants pour la croissance économique nationale. Quatrièmement, l’État se réserve la possibilité d’intervenir en “sauvetage” dans le cadre défini par le droit européen lorsque la disparition d’une entreprise présenterait un risque systémique avéré pour l’économie nationale ou européenne. » Source : compte rendu du Conseil des ministres du 15 janvier 2014 (site internet de la Présidence de la République). Par ailleurs, le 26 septembre 2013, l’État a renforcé sa participation de 357 millions d’euros dans Areva en acquérant 7,35 % du capital de l’entreprise (portant sa participation totale à 21,7 %, puis à 28,8 % le 11 décembre 2014) auprès du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cet apport a été réalisé pour permettre de financer une partie du démantèlement des installations nucléaires du CEA. En outre, le 22 juin 2014, l’État a conclu un accord avec Bouygues lui donnant l’option d’acquérir jusqu’à 20 % du capital d’Alstom ; ce qu’a confirmé le ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique le 5 novembre suivant, lors de l’annonce de l’officialisation du rachat de l’essentiel des activités énergies d’Alstom par l’américain General Electric. 54 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Tableau 6. Les principales cessions, augmentations de capital, prises de participation et fusions de l’État depuis 2005 Cessions par l’État 2005 2006 2007 2008 • Solde de la participation dans Bull (mars). • 6 % de France Telecom (juin). • Ouverture du capital de Gaz de France (juillet). • Ouverture du capital d’EDF (novembre). • Cession de l’intégralité de la participation dans Sanef, APRR et ASF (février et mars). • Cession de la participation dans Alstom (avril). • Ouverture du capital d’Aéroports de Paris (juin). • Cession de la majorité du capital de la SNCM (juin). • Cession de la participation dans Sofréavia (décembre). • Entrée de Thales au capital de DCN (25 %) dans le cadre d’un partenariat industriel et du regroupement des activités navales françaises des deux groupes. • 5 % de France Telecom (juin). • 33,34 % du capital de la Semmaris (gestionnaire du marché de Rungis) pour 17 M€ (novembre). • 2,5 % d’EDF (décembre). • Intégralité de la participation dans Dagris (64,7 %) : 51 % à Geocoton (février) et 13,7 % à l’AFD (mai). • 8 % d’Aéroports de Paris pour sceller l’alliance de ce dernier avec Schiphol Group, gestionnaire de l’aéroport d’Amsterdam (décembre). 2009 • Apport de l’État au FSI, pour une valeur de 6,86 Md€, de : • 13,5 % de France Telecom ; • 8 % d’ADP ; • 33,34 % de STX France (ex-Chantiers de l’Atlantique). 2010 - Principales augmentations de capital et prises de participation Fusions • Sanef (mars). • Gaz de France (juillet). • EDF (novembre). • France Telecom – refinancement de l’acquisition d’Amena (septembre). • Fusion Snecma-Sagem (mai) pour former Safran, après le succès de l’OPE-OPA de Sagem sur Snecma (janvier-février). • Aéroports de Paris (juin). - • Renforcement de la participation d’Alcatel Lucent dans Thales par apport d’actifs (transport, sécurité), dans le cadre d’un nouveau partenariat industriel (janvier). - • France Télévisions (août). • Société de prise de participation • Fusion GDFde l’État (SPPE) (octobre). Suez (juillet). • Dexia via la SPPE (octobre). • STX France (novembre). • Augmentation de capital de RFI pour 16,90 M€ (février). • FSI : augmentation de capital de 1 Md€, dont 490 M€ pour l’État (février). • Souscription d’« Oceane » émises par Air France-KLM (juin). • Renault/Daimler : achat d’actions d’autocontrôle dans le cadre d’une alliance stratégique pour 60 M€ (avril). • Augmentation de capital d’Areva pour 900 M€, dont 300 M€ pour l’État et 600 M€ pour KIA (décembre). POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… Cessions par l’État 2011 2012 2013 2014 (au 30 avril) Principales augmentations de capital et prises de participation • Libération de la première tranche de l’augmentation de capital de La Poste, réalisée conjointement avec la CDC pour 1,05 Md€, dont 466 M€ pour l’État (avril). • Libération de la deuxième tranche de l’augmentation de capital de La Poste pour 1,05 Md€, • Intégralité de la participation dans dont 466 M€ pour l’État (avril). Semapa, soit 5 %, pour 0,30 M€ • 4,2 % d’Areva auprès du CEA (mars). pour 214 M€ (décembre). • Augmentation de capital de Dexia dont 2,6 Md€ pour l’État (décembre). • Prise de participation de l’État dans la SFIL à hauteur de 75 % • 7,82 % de Safran pour 1 351 M€ pour 0,75 € (janvier). (mars puis novembre). • Achat d’1 action Astrium • 3,7 % d’EADS, via Sogepa, pour Holding France pour 1 € (mars). 1 193 M€ dont 874 M€ sur le CAS • Souscription d’« Oceane » pour (avril). 87 M€ émises par Air France-KLM • 0,06 % d’EADS pour 21 M€ à (mars). Sogepa (mai). • Achat d’une action Dassault • 100 % des titres Saphir détenus par Aviation pour 897 € (avril). l’AFD pour le compte de l’État pour • Libération de la dernière 90 k€ (mai). tranche de l’augmentation de • 9,5 % d’Aéroports de Paris, dont capital de La Poste pour 600 M€, 3,9 % en provenance de l’État et dont 267 M€ pour l’État (avril). 5,6 % du FSI pour 738 M€ dont • Augmentation de capital de Bpi 303 M€ pour l’État (juin). Groupe SA de 3,066 Md€ à parité • apport à BpiFrance de 49 % du FSI par l’État et la CDC, et libérée et de 100 % de la Sofired (juillet). pour le quart, soit 767 M€ dont • 100 % des titres Gardel détenus par 383 M€ pour l’État (juillet). l’AFD pour le compte de l’État pour • Achat de 18 actions Sogepa 2,50 M€ (novembre). portant la participation de l’État • Intégralité de la participation à 99,99 % pour 1 071 € (juillet et de SNPE à Giat Nexter pour 3 M€ septembre). (décembre). • 7,4 % d’Areva auprès du CEA pour 357 M€ (septembre). • Achat d’une action SNCM pour 23,20 € (janvier). • Achat de 2 actions Sogepa pour 6 € portant la participation de l’État à 100 % (mars). • 1 % d’Airbus, via Sogepa, pour • 14,1 % de PSA Peugeot Citroën, 451 M€ (janvier). via Sogepa, pour 800 M€ (mai). • Prise de participation dans « CDG Express Études » à hauteur de 33 % pour 3 k€ (mai). • 60 % de l’aéroport Marseille Provence pour 89 k€ (juin). • 66 % d’Adit pour 13 M€ (février). • Intégralité de la participation dans TNAB, soit 100 %, pour 3 M€ (mars). • 13,59 % de DCNS (décembre). ❮ 55 Fusions - - - - NB : le projet annuel de performance (PAP) du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » (CAS PFE) constitue le document de référence détaillant l’utilisation du « support budgétaire » de l’État actionnaire. L’ensemble des documents budgétaires sont consultables sur le site www.performance-publique.budget.gouv.fr Le PAP détaille les actions de chacun des programmes. Ils sont également accessibles via le site internet de l’APE à l’adresse suivante : www.economie.gouv.fr/agence-participations-État/lÉtat-actionnaire-et-lolf. Source : Agence des participations de l’État, L’État actionnaire. Rapport annuel 2014, 2014, p. 186. 56 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Toutefois, après avoir atteint des valeurs records en 2010 avec 6,2 milliards d’euros (contre 1,8 milliard en 2005 et 0,5 milliard en 2007), les augmentations de capital et les dotations en fonds propres de l’APE se sont fortement réduites, passant de 3,5 milliards d’euros en 2012 à 2,4 milliards en 2013 et à 0,3 milliard pour 2014, à la date du 10 juin. Ces réductions s’inscrivent dans le contexte d’une recherche de désendettement public en contradiction avec ses objectifs de financement d’entreprises. Face à la dégradation de ses moyens budgétaires, l’État est contraint de réduire l’ampleur de ses aides à l’investissement à destination des ménages et des entreprises ainsi que ses prises de participation dans l’économie. Néanmoins, pour continuer de participer au financement de l’économie, l’État a recours à d’autres formes moins directes d’intervention. Les mesures de soutien indirect L’État dispose de moyens qui lui permettent de soutenir indirectement le financement de l’économie sans peser excessivement sur son budget. D’une part, il participe à des programmes d’investissement pour le financement desquels il s’associe, selon des formes juridiques prédéfinies (encadré), au secteur privé. Le rapport d’activité 2012 de la Mission d’appui aux partenariats public-privé indique que, entre 2005 et 2012, ont été signés 167 contrats de partenariat, environ 300 baux emphytéotiques administratifs (BEA), 35 baux emphytéotiques hospitaliers (BEH) et 12 autorisations d’occupation temporaire du domaine public (AOT) et locations avec option d’achat (LOA). Sur les 167 contrats de partenariat, 38 relèvent de l’État (les autres étant signés par des entités publiques locales), pour une valeur moyenne de 250 millions d’euros par contrat. D’autre part, au lieu de financer, même pour partie seulement, des projets d’investissement, l’État peut se contenter d’apporter sa garantie. En d’autres termes, il s’engage à régler les sommes dues par un débiteur si ce dernier n’est pas en mesure de faire face à ses engagements. Une telle garantie permet de réduire le risque financier pour le créditeur et contribue à abaisser le coût du financement en palliant les risques de crédit, les risques assurantiels, les risques de faillite et les risques financiers. Ainsi, d’après le Compte général de l’État20, la dette garantie par l’État atteignait 203 milliards d’euros en 2013, contre 56 milliards en 2006. 20. Document regroupant l’ensemble des états financiers prévus par la loi organique n° 2001692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf ) : bilan, compte de résultat, tableau des flux de trésorerie et annexe. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 57 ■ Les formes juridiques des partenariats public-privé « La délégation de service public, définie par la loi du 11 décembre 2001 (1), est un contrat par lequel la personne publique confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. En outre, le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. Le contrat de partenariat, défini par l’ordonnance du 17 juin 2004, permet aux personnes morales de droit public de transférer à des personnes privées le financement, la construction, la gestion et la rénovation d’ouvrages ou d’équipements nécessaires à la réalisation de services publics. Trois formes de contrats globaux préexistaient aux contrats de partenariat et subsistent : les baux emphytéotiques [administratifs – BEA – et hospitaliers – BEH], les autorisations d’occupation temporaire du domaine public [AOT] et les locations avec option d’achat [LOA]. Avec les contrats de partenariat, ils forment les “contrats de partenariat assimilables” » (CPA). (1) Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi Murcef ». Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, juillet 2012, p. 155. Enfin, par la fiscalité qu’il met en place, l’État peut influencer le niveau d’épargne de l’économie qui servira ensuite à son financement. Néanmoins, le taux d’épargne des ménages français se caractérise par une relative stabilité (tableau 7). D’après les données de l’Insee, il était de 15,7 % en 1995 et de 15,1 % en 2013. Sur cette période, il a atteint la valeur maximale de 16,3 % en 2002 et la valeur minimale de 14,5 % en 2005. La crise économique de 2007 a conduit à son augmentation du fait de la constitution d’une épargne de précaution par les ménages. L’épargne de ces derniers, qui se définit en comptabilité nationale comme l’excès du revenu disponible par rapport aux dépenses de consommation finale, peut se voir employée à différents usages. Il convient alors de distinguer l’épargne allouée à des fins réelles (principalement aux dépenses d’investissement immobilier), de l’épargne financière destinée à l’acquisition d’actifs financiers. Le suivi de la part de l’épargne financière est intéressant en ce que les actifs financiers qui la supportent participent au financement de l’économie. Des profils différents peuvent alors se dégager de l’étude des économies. Par exemple, alors que la France se caractérise par un taux d’épargne de ses ménages élevé, seuls 18,9 % d’entre eux détenaient des valeurs mobilières en 2010, d’après l’enquête 58 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Patrimoine 2009-2010 de l’Insee21. À l’inverse, les ménages américains, qui ont un taux d’épargne de moins de 5 %, étaient plus de 50 % à détenir des actions en 2009. C’est ainsi plus sur la composition de l’épargne que sur son niveau que la fiscalité mise en place par l’État cherche à agir pour faciliter le financement de l’économie. Si le taux d’épargne financière des ménages suit globalement les mêmes tendances que leur taux d’épargne, force est de constater que l’ampleur de ses variations est plus importante. Ainsi, le taux d’épargne financière des ménages français est passé de 7 % en 1995 à 5,8 % en 2013, atteignant les valeurs extrêmes de 7,1 % en 1997 et en 2009 et de 4 % en 2006 (tableau 7). Tableau 7. Taux d’épargne des ménages (1995-2013) (en %) Taux d’épargne (1) Taux d’épargne financière (2) 1995 15,7 7,0 2000 14,8 6,0 2005 14,5 4,1 2006 14,6 4,0 2007 15,1 4,4 2008 15,0 4,2 2009 16,2 7,1 2010 15,8 6,5 2011 15,6 6,1 2012 15,2 5,6 2013 15,1 5,8 (1) Rapport entre l’épargne des ménages et le revenu disponible brut. (2) Rapport entre la capacité de financement des ménages et le revenu disponible brut. Source : Insee, comptes nationaux - base 2010. Au sein des placements financiers, ce sont les assurances-vie en supports euros qui ont obtenu la préférence des ménages français puisqu’elles ont recueilli 35 milliards d’euros en 2013 (tableau 8). Parmi les placements financiers non risqués, après les assurances-vie, les ménages placent principalement leur épargne dans les dépôts à vue (16,6 milliards d’euros en 2013), sur les livrets d’épargne et CEL (10,8 milliards d’euros en 2013) et en épargne contractuelle (PEL, PEP, pour 8,4 milliards d’euros en 2013). À l’inverse, au cours de cette même année, les ménages ont retiré 7,4 mil- 21. Source : Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages. Édition 2013, coll. « Insee Références », 2013, p. 131. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 59 liards d’euros des comptes à terme et 5,5 milliards d’euros des titres d’OPC monétaires. En ce qui concerne les placements financiers risqués, ils en ont acheté pour 5,3 milliards d’euros en 2013 mais, au sein de ces placements, ils se sont détournés des titres de créances (- 6,4 milliards d’euros), des actions cotées (- 4,8 milliards d’euros) et des titres d’OPC non monétaires (- 4 milliards d’euros) alors qu’ils ont acheté des actions non cotées et autres participations pour 24 milliards d’euros. Les choix de fiscalité réalisés par l’État sur ces placements financiers influencent leurs évolutions. Par exemple, le PEL est devenu moins attractif après 2006, dès lors que le paiement de ses intérêts a été soumis à taxation pour les contrats ouverts depuis plus de douze ans. De même, la mise en place d’un système d’exemptions fiscales particulièrement avantageux sur les assurances-vie a conduit à leur fort développement. La fiscalité sur les placements financiers est un facteur de leur rendement relatif, qui est devenu le principal déterminant des choix de répartition de l’épargne financière des ménages français depuis le début des années 200022. Jusque dans les années 1990, l’émergence de nouveaux actifs financiers et leur phase de diffusion qui s’en suivait permettaient principalement de comprendre la composition de l’épargne financière des ménages. L’effet de la fiscalité sur l’affectation de l’épargne est donc réel mais il reste limité23. Notamment, les incitations de l’État manquent parfois de cohérence, se portant simultanément sur l’épargne liquide et à terme ou soutenant à la fois des supports garantis et non garantis. Par ailleurs, l’incertitude législative fiscale vient souvent complexifier la lisibilité des dispositifs pour les ménages. À titre d’exemple, le taux de taxation des plus-values de cessions de valeurs mobilières a été modifié onze fois entre 1989 et 2011. De même, le bouclier fiscal24, dispositif mis en place en 2006 pour plafonner l’imposition globale du contribuable, a été élargi en 2007, puis réduit en 2009 et 2010 avant d’être supprimé en 2011. 22. Sanvi Avouyi-Dovi, Vladimir Borgy, Christian Pfister, Franck Sédillot, « An Empirical Analysis of Household’s Portfolio Choice in France », communication au 60e Congrès de l’Association française de science économique, 9 septembre 2011. 23. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, op. cit. 24. La loi « Tepa » n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat limite à 50 % de ses revenus les impôts directs payés par un contribuable (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, taxes foncières, taxe d’habitation, CSG, CRDS). Un dispositif plus limité à 60 % avait été mis en place par le gouvernement Villepin en 2006. Le « bouclier fiscal » sera abrogé par le gouvernement Fillon avec la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011. 60 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Tableau 8. Principaux placements financiers des ménages français (2012-2013) (montants annuels – flux en milliards d’euros) 2012 2013 Actifs liquides et non risqués 38,8 26,7 Numéraire Dépôts à vue Livrets d’épargne et CEL Titres d’OPC monétaires 5,6 - 4,9 46,4 - 8,3 4,8 16,6 10,8 - 5,5 Autres actifs non risqués 35,0 36,0 Comptes à terme Épargne contractuelle (PEL, PEP) Assurance-vie en supports euros 8,7 1,2 25,1 - 7,4 8,4 35,0 Actifs liquides et risqués 3,4 - 15,2 Titres de créances Actions cotées Titres d’OPC non monétaires 4,5 - 6,3 5,2 - 6,4 - 4,8 - 4,0 Autres actifs risqués 20,0 27,3 24,2 24,0 - 4,2 3,3 97,2 74,8 Actions non cotées et autres participations Assurance-vie en supports UC Total principaux placements financiers CEL : compte épargne logement ; OPC : organisme de placement collectif ; PEL : plan d’épargne logement ; PEP : plan d’épargne populaire ; UC : unités de compte. Source : Banque de France, « Épargne des ménages. 2e et 3e trimestres 2014 », 30 octobre 2014. Dans ces différents moyens d’action, qu’ils soient directs ou indirects, l’État se trouve aujourd’hui confronté à la contrainte budgétaire. Dans le but de poursuivre néanmoins son action en faveur du développement du financement de l’économie, il trouve un relais auprès d’autres acteurs de la puissance publique, comme la Banque publique d’investissement ou la Banque européenne d’investissement. Les relais publics de l’État pour assurer le financement de l’économie Aux échelons européen et national, les banques d’investissement viennent accompagner l’action de l’État en faveur du financement de l’économie. De plus en plus, la Banque européenne d’investissement et la Banque publique d’investissement s’appuient sur les Régions comme pivot de leur action, celles-ci étant devenues déterminantes dans la dynamisation des territoires. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 61 L’action de la Banque européenne d’investissement et de la Banque publique d’investissement en direction du financement de l’économie En parallèle de l’action menée par l’État à destination du financement de l’économie, la Banque publique d’investissement œuvre également en ce sens. Dans le cadre de la campagne présidentielle de 2012, au premier rang de ses 60 engagements pour la France, François Hollande annonçait : « Je créerai une Banque publique d’investissement. À travers ses fonds régionaux, je favoriserai le développement des PME […] [et] je permettrai aux Régions, pivots de l’animation économique, de prendre des participations dans les entreprises stratégiques pour le développement local et la compétitivité de la France. » Instituée par une loi (n° 2012-1559) du 31 décembre 2012, la Banque publique d’investissement prend la forme d’un groupe public dont la mission est de participer au financement et au développement des entreprises, notamment des petites et moyennes ainsi que de celles de taille intermédiaire (ETI)25. Figure 5. L’organisation de Bpi Groupe État Epic Bpi Groupe CDC* Bpi Groupe Pôle financement BpiFrance Financement (ex-Oséo SA) Pôle investissement BpiFrance Investissement (ex-CDCE) BpiFrance Participations (ex-FSI) * CDC : Caisse des dépôts et consignations. Source : Compte général de l’État 2013, p. 11. 25. « Une entreprise de taille intermédiaire est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés, et soit un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Une entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 43 millions d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI » (Insee). 62 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE La Banque publique d’investissement est composée de deux grands pôles qui regroupent tous les acteurs publics du financement des entreprises : – d’une part, le pôle financement (ex-Oséo) comprend les activités de financement de l’innovation, du cofinancement et de la garantie des prêts ; – d’autre part, le pôle investissement (rassemblant ex-CDC Entreprises, ex-FSI et ex-FSI régions) concerne les activités d’investissement et de participation. L’action de la Banque publique d’investissement apparaît comme le prolongement de celle de l’État. En 2013, dans son activité de garantie, elle a accru son action de 5,4 % par rapport à 2012 avec un montant des concours garantis atteignant 8,9 milliards d’euros (tableau 9). En ce qui concerne les opérations de financement, la Banque publique d’investissement a accordé 5,1 milliards d’euros d’engagements nouveaux, ce qui constitue une hausse de 7,9 % par rapport à l’année 2012 (tableau 10). Tableau 9. Les activités de garantie de la Banque publique d’investissement (2012-2013) (en millions d’euros et en %) Montant des concours garantis, dont : Création Transmission Développement Innovation International Renforcement des capitaux permanents Nombre de concours garantis Montant net des risques couverts 2012 2013 Évolution en % 8 465 8 925 5,4 % 2 580 1 557 2 920 510 588 2 482 1 539 2 928 403 472 - 3,8 % - 1,1 % 0,3 % - 21,0 % - 19,8 % 310 1 102 255,1 % 83 805 86 049 2,7 % 4 157 4 394 5,7 % Source : Bpi Groupe, rapport annuel 2013, p. 22. Tableau 10. Activité de financement de la Banque publique d’investissement (2012-2013) (en millions d’euros et en %) Nouveaux financements Encours au 31 décembre Cofinancement moyen et long terme Court terme (mobilisation de créances) Source : Bpi Groupe, rapport annuel 2013, p. 24. 2012 4 701 15 358 3 486 2013 5 073 17 842 3 697 Évolution en % 7,9 % 16,2 % 6,0 % 2 944 3 244 10,2 % POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 63 En matière de participation, l’action de la Banque publique d’investissement est complémentaire de celle de l’APE : elle favorise les prises de participations minoritaires dans des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire avec un objectif de court terme pour enclencher et soutenir une dynamique de développement, tandis que l’APE peut posséder des participations majoritaires et inscrit son action dans un horizon temporel plus étendu. Au niveau européen, le Groupe BEI, constitué de la Banque européenne d’investissement et de sa filiale, le Fonds européen d’investissement, participe au financement de l’activité économique dans de nombreux pays. La BEI date de l’entrée en vigueur du traité de Rome signé en 1957 et son siège est installé depuis 1968 à Luxembourg. Institué en 1994, le Fonds européen d’investissement, dont la Banque européenne d’investissement est l’actionnaire majoritaire (63,7 % de son capital à la mi-octobre 2014)26, vient compléter son action en se spécialisant dans l’octroi de garanties en faveur des PME et dans les investissements de capital-risque. La Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement ont renforcé leur activité à la suite de la crise économique de 2007, notamment en doublant, en 2009, le volume de refinancement accordé aux PME touchées par la restriction du crédit bancaire et en mettant en œuvre de nouveaux dispositifs comme la microfinance, l’aide à l’autoentrepreneuriat, les fonds régionaux de capital-risque « Jeremie »27 (v. plus loin, l’encadré « L’initiative Jeremie Auvergne ») et l’appui aux réseaux de business angels28. En 2013, d’après les chiffres fournis dans son rapport d’activité, le Groupe BEI a accru de 37 % son activité de financement par rapport à 2012 en apportant 75,1 milliards d’euros, dont 67,1 milliards ont été destinés à l’Europe, représentant une hausse de 42 % par rapport à l’année précédente. À l’échelle des PME européennes, le financement a doublé en un an, atteignant 21,9 milliards d’euros en 2013 au bénéfice de 230 000 PME et ETI, « avec à la clé, le maintien de 2,8 millions d’emplois en Europe »29. Le Groupe BEI a également participé au financement de la recherche et développement et d’infrastructures stratégiques en Europe à hauteur respectivement de 17,2 et 15,9 milliards d’euros en 2013. 26. Les autres actionnaires étant la Commission européenne (24,3 %) et des institutions financières des États membres de l’UE et de Turquie (12 %). 27. Joint European Resources for Micro to medium Enterprises (Ressources européennes conjointes pour les PME et les micro-entreprises). Initiative de la Commission européenne développée en collaboration avec le Fonds européen d’investissement et qui encourage le recours aux instruments d’ingénierie financière en vue d’améliorer l’accès au financement pour les PME. 28. « Souvent anciens dirigeants et actionnaires d’entreprises, les business angels investissent quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros, apportent leurs conseils et aident par leurs relations des entreprises en phase de démarrage » (www.lesechos.fr., rubrique « Lexique financier »). 29. Banque européenne d’investissement, rapport d’activité 2013, p. 4. 64 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE En France, les activités du Groupe BEI ont progressé de 80 % en 2013 suite à l’application du Pacte européen pour la croissance décidé par le Conseil européen de juin 201230. Alors qu’elles atteignaient un montant de 4,6 milliards d’euros en 2012, elles s’établissaient en 2013 à 8,3 milliards d’euros. Dans le cadre de ses opérations avec les PME françaises, le Groupe BEI a intermédié 1,8 milliard d’euros en 2013. Ces opérations ont été menées par la Banque européenne d’investissement sous la forme de prêts à moyen ou long termes et par le Fonds européen d’investissement sous la forme de prises de participations ou de garanties. Le Groupe BEI a ainsi financé partiellement 150 000 investissements d’une valeur totale de 5,6 milliards d’euros. Dans leur action, la BEI, notamment à travers le dispositif « Jeremie », et la Banque publique d’investissement s’appuient largement sur l’échelon régional, lequel s’impose en effet aujourd’hui comme l’échelon pertinent dans la recherche de la dynamique des territoires. ■ La BEI et le Fonds européen pour les investissements stratégiques Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté le 26 novembre 2014 au Parlement européen un programme d’investissement en faveur de l’économie européenne. Celui-ci comporte trois volets : mobiliser des financements pour l’investissement sans générer de nouvelle dette publique ; soutenir les projets et les investissements dans des domaines clés tels que les infrastructures, l’éducation, la recherche et l’innovation ; supprimer les obstacles spécifiques à certains secteurs et d’autres obstacles financiers et non financiers à l’investissement. Il se concrétise par la création d’un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS ; en anglais : European Fund for Strategic Investments ou EFSI), garanti par de l’argent public à hauteur de 16 milliards d’euros (dont 5 milliards engagés par la Banque européenne d’investissement, qui en assurera la gestion), afin de mobiliser au moins 315 milliards d’investissements supplémentaires au cours des années 2015 à 2017. Les États membres, les banques de développement nationales, les autorités régionales et les investisseurs privés seront encouragés à y contribuer. Source : site internet de la Commission européenne. 30. Philippe de Fontaine Vive, « Le groupe BEI et le financement des PME en Europe après la crise », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 267-276. POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 65 Le rôle des Régions dans la dynamisation des territoires La loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi Defferre et considérée comme la première loi de décentralisation en France, a fait des régions des collectivités territoriales de plein exercice. Les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 viennent définir la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Ces lois donnent aux Régions la compétence de promouvoir le développement économique. Elles deviennent par conséquent un acteur important dans le champ du financement de l’activité économique. Le 28 mars 2003, une loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République est promulguée. Elle réaffirme l’organisation décentralisée de l’État et l’autonomie financière des collectivités territoriales. Dans ce nouveau cadre, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales est venue fixer une nouvelle répartition des compétences entre l’État et les Régions. Ainsi, dans le domaine du développement économique, la Région devient l’échelon de coordination des actions économiques engagées par les collectivités territoriales et leurs groupements. Le Conseil régional devient aussi le lieu de définition du régime des aides économiques aux entreprises et de décision de leur octroi. Ainsi, les Régions françaises ont pu développer des fonds dits de co-investissement, associant investisseurs privés et publics et œuvrant en faveur du financement des entreprises, à l’image des initiatives mises en place en Aquitaine (encadré). L’étude de la structure des aides à l’investissement versées par les APU révèle l’affaiblissement de la participation de l’État au profit de la montée en puissance des collectivités territoriales et des Odac. La part des collectivités territoriales dans les versements d’aides à l’investissement aux entreprises et aux ménages est ainsi passée de 11,8 % à 42,5 % entre 2000 et 2010. Cette évolution traduit bien le rôle accru des Régions dans le financement de l’activité économique. ■ Les fonds d’investissement en Aquitaine En 2009, la Région Aquitaine a mis en œuvre le fonds de co-investissement Aqui-Invest, en bénéficiant d’un financement du Fonds européen de développement régional (Feder). Ce fonds, détenu à 100 % par la Région, vise à faire entrer le monde du capital-investissement dans les entreprises aquitaines qui innovent. Par ailleurs, la Région participe à la gestion de plusieurs fonds d’investissement spécialisés : – Aquitaine création investissement (ACI), qui finance en fonds propres des entreprises aquitaines à fort potentiel de croissance ; – Sud-Ouest capital risque innovation (Socri), qui soutient de jeunes projets innovants à forte création de valeur ; 66 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE – Socri 2, qui investit dans les PME-PMI dont le périmètre d’action relève des pôles de compétitivité ; – ICSO 2, qui participe à des opérations de développement et de transmission ; – l’Institut régional de développement industriel (Irdi), qui vise à structurer le contrôle local de l’actionnariat d’entreprises régionales qui pourraient être dirigées par des fonds étrangers ; – Herrikoa, société de capital-risque, qui apporte des capitaux aux entreprises du pays Basque ; – Aerofund, qui investit dans les PME européennes du secteur aéronautique et spatial pour consolider la filière. Par ailleurs, la Banque publique d’investissement repose sur un partenariat étroit avec les Régions. D’abord, celles-ci bénéficient d’une représentation dans ses instances de gouvernance. Au conseil d’administration, deux administrateurs représentent les Régions et trois représentants régionaux siègent au comité national d’orientation, dont l’un d’entre eux en assure la présidence. De même, les comités régionaux d’orientation sont présidés par le président du conseil régional. Ensuite, l’organisation de BpiFrance repose sur l’échelon régional : ainsi, elle possède 25 directions régionales, 42 implantations régionales et 90 % des décisions sont prises à cet échelon. Une telle organisation permet de développer une offre de financement adaptée aux spécificités territoriales. Enfin, le partenariat entre la Banque publique d’investissement et les Régions s’affirme par la mise en commun de moyens financiers. À cet égard, ces deux types d’acteurs peuvent souscrire conjointement à des fonds d’investissement dont la gestion peut être confiée à BpiFrance. Les fonds régionaux d’innovation, en mobilisant de tels cofinancements, s’inscrivent dans cette logique. De même, la mise en place de fonds régionaux de garantie permet de faciliter l’accès des entreprises au crédit pour les projets risqués. Enfin, au niveau européen, la Banque européenne d’investissement s’inscrit elle aussi dans cette logique de promotion de l’échelon régional dans son action de financement des économies, comme en témoigne l’initiative Jeremie précitée. Cette initiative, développée par le Fonds européen d’investissement en collaboration avec la Commission européenne, permet aux régions de bénéficier d’une partie des ressources allouées par les Fonds structurels de l’UE pour financer des PME par le biais de prises de participation, de prêts ou de garanties. Ce financement permet ainsi d’investir dans des fonds de capitalisation, de prêts ou de garantie qui viennent soutenir la création ou le développement d’entreprises, l’accès aux capitaux d’investissement (notamment pour les PME), les activités de recherche et développement, la modernisation technologique des structures de production ou les investissements productifs permettant la création ou le maintien d’emplois durables. Une fois les investissements réalisés, leur POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS… ❮ 67 rendement31 est à nouveau réinjecté dans les entreprises afin de réutiliser les fonds publics à plusieurs reprises et d’accroître par là même la durabilité des financements versés aux PME. En France, les régions LanguedocRoussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne (encadré) ont ainsi bénéficié de l’initiative Jeremie. ■ L’initiative Jeremie Auvergne L’initiative Jeremie Auvergne, née en 2009, a été financée à hauteur de 18 millions d’euros par le Fonds européen de développement régional (Feder) et de 7,2 millions d’euros par le Conseil régional Auvergne. Elle s’est orientée autour du soutien à l’innovation (capital amorçage et aide au démarrage des entreprises innovantes), du soutien aux PME (renforcement en fonds propres et quasi-fonds propres) et du soutien à la petite entreprise (financement de la création et de la transmission d’entreprises par l’octroi de prêts d’honneur). Au 30 juin 2014, l’initiative comptait 373 entrepreneurs ou entreprises bénéficiaires (188 créations, 174 reprises et 11 développements) pour un volume de financement total de 15,9 millions d’euros et « plus de 2 018 emplois créés ou sauvegardés » *. Source : www.jeremie-auvergne.eu (État et conseil régional d’Auvergne/structures gestionnaires : Sofimac partners et CCI Auvergne). * Voir aussi Maxime Levesque, « L’Auvergne aussi innovante que la province », Insee Analyses Auvergne, n° 3, octobre 2014. 31. Si l’investissement a consisté en une prise de participation, le rendement prend la forme de dividendes reçus par exemple. S’il a consisté en l’octroi d’un prêt, le rendement prend la forme des intérêts reçus. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 69 ❯ Chapitre 3 L’influence de la politique monétaire de la BCE sur l’économie française Lors de sa réunion du 5 juin 2014, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a pris la décision d’abaisser le taux d’intérêt des opérations principales de refinancement de l’Eurosystème à 0,15 %, soit une baisse de 10 points de base. À cette même réunion, il a également décidé de réduire le taux d’intérêt de la facilité de dépôt de manière à le rendre négatif à -0,10 %. Ces mesures de politique monétaire, entrées en vigueur le 11 juin 2014, marquent notamment la préoccupation des autorités monétaires quant aux difficultés de financement de l’économie qui entravent son redémarrage. Force est, dès à présent, de remarquer que le défi de la politique monétaire de la BCE se heurte immédiatement à un problème non négligeable : l’hétérogénéité des pays qu’elle impacte. Patrick Artus1 souligne ainsi l’asymétrie de la politique monétaire de la zone euro, en ce sens qu’elle réagit à la situation globale de celle-ci, qui peut masquer de profondes divergences en matière de conditions macroéconomiques des pays, et que cette réaction peut avoir des effets différents sur les économies concernées. Par exemple, les conséquences d’un mouvement des taux directeurs de la BCE risquent de ne pas être identiques dans un pays comme la France, dans lequel les crédits à taux variables représentaient 11 % du total des crédits en 2011, et dans un pays comme l’Espagne, dans lequel ils en représentaient 80,8 %. Par ailleurs, rien n’indique que ce mouvement des taux directeurs se répercutera de la même manière sur les taux débiteurs des banques commerciales selon leur nationalité. Ainsi, Christian Bordes2 observe que les baisses de taux entreprises par la BCE suite à la crise de la dette souveraine, qui a frappé plusieurs pays (Grèce, Italie, Irlande, Portugal et Espagne) en 2010-2011, ont été davantage reprises par les banques allemandes ou françaises que par celles italiennes ou espagnoles. En amont de son efficacité, c’est également la question du choix d’une politique monétaire qui doit être discutée au regard de l’hétérogénéité de la zone euro. En ce sens, 1. Patrick Artus, « Politique monétaire de la zone euro : l’asymétrie de fonctionnement selon que le nord ou le sud de la zone euro est en difficulté », Natixis, Flash économie, n° 712, 22 octobre 2012. 2. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », La Revue du financier, vol. 34, n° 197, septembre-octobre 2012, p. 47-64. 70 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Ch. Bordes note que, lors de la crise de la dette souveraine, il est devenu évident que la divergence des conditions macroéconomiques au sein des États membres aurait nécessité des politiques de taux différentes avec des taux plus élevés dans certains pays, comme l’Allemagne par exemple, et des taux plus faibles dans d’autres comme la Grèce. La politique monétaire, entendue par la Banque de France comme « l’ensemble des moyens mis en œuvre par un État ou une autorité monétaire pour agir sur l’activité économique par la régulation de sa monnaie », comprend un vaste périmètre que la crise financière de 2007 est venue questionner de nouveau. Les évolutions de politique monétaire constatées depuis cette crise ont concerné tant ses missions, qui, de la stabilité des prix, s’étendent progressivement à la croissance économique et à la stabilité financière, que ses modalités de mise en œuvre, avec l’adoption de politiques non conventionnelles en complément des politiques traditionnelles. Stabilité des prix, stabilité financière et croissance économique, nouveaux objectifs de la politique monétaire européenne Historiquement, la politique monétaire de la BCE s’est construite et développée autour de l’objectif prioritaire de stabilité des prix. Toutefois, au moins statutairement (v. ci-dessous), cet objectif n’est pas nécessairement unique et la crise financière de 2007 ainsi que ses conséquences ont donné toute leur pertinence aux réflexions sur l’extension des objectifs de la politique monétaire aux préoccupations de croissance économique et de stabilité financière. L’objectif prioritaire de stabilité des prix Dès le 1er juin 1998, date de son instauration, la BCE a fait de la maîtrise de l’inflation son objectif prioritaire de politique monétaire. Ainsi, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans son article 127, dispose que « l’objectif principal du Système européen de banques centrales [SEBC] […] est de maintenir la stabilité des prix ». Il ajoute, dans la phrase suivante, que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union ». Depuis les années 1980, au « banquier central keynésien », préoccupé par l’arbitrage inflation/plein-emploi souvent réalisé en faveur du second, s’est substitué le « banquier central conservateur », soucieux de lutter contre L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 71 l’inflation et de préserver la stabilité monétaire, d’après les expressions proposées par Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon3 dans un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) sur les crises financières. Dans les années 1990, les débats sur la politique monétaire étaient moins axés sur les objectifs que sur la stratégie à adopter pour permettre de lutter efficacement contre l’inflation. Ainsi, dans la lignée des travaux fondateurs de Robert Barro et David Gordon4, l’accent a été mis sur la crédibilité des annonces faites par le banquier central afin d’orienter les anticipations des agents. Ces deux auteurs montrent que l’utilisation de la politique monétaire pour réduire le chômage est inefficace car les agents anticipent rationnellement l’inflation qui découlera d’une telle politique et demanderont ainsi un rattrapage des salaires. Au final, le niveau de chômage restera stable, mais la politique monétaire contient un biais inflationniste, car la hausse de la masse monétaire conduira à une augmentation du niveau général des prix. Ce résultat a servi d’argument pour défendre la nécessité d’indépendance de la banque centrale. En effet, si elle est indépendante, celle-ci peut s’engager sur un objectif en matière de hausse des prix et, de ce fait, faire disparaître le biais inflationniste en maîtrisant les anticipations d’inflation. Pour que cela fonctionne, il est nécessaire que la banque centrale apparaisse comme liée par son mandat ; elle doit ainsi être crédible, c’est-à-dire être considérée comme capable de respecter ses propres annonces de politique monétaire. Cette crédibilité, atteinte grâce au respect d’une règle monétaire qui conduit à se « lier les mains », permet de dépasser le problème d’incohérence temporelle soulevé par Finn Kydland et Edward Prescott5. Ce problème met en exergue le fait qu’une annonce faite par les autorités monétaires peut être optimale à une date donnée, mais ne plus l’être à une date ultérieure, les incitant alors à agir autrement. Ainsi, une banque centrale qui annonce un objectif de faible hausse des prix afin de limiter l’inflation anticipée peut ensuite revenir sur cet engagement en mettant en œuvre une politique monétaire expansionniste pour lutter contre le chômage. À la suite de la crise de la dette souveraine, pendant laquelle la BCE s’est trouvée à collaborer avec la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) pour apporter un soutien à la Grèce, il 3. Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les crises financières, coll. « Les rapports du Conseil d’analyse économique », La Documentation française, Paris, 2004, p. 400. 4. Robert J. Barro, David B. Gordon, « A Positive Theory of Monetary Policy in a Natural Rate Model », Journal of Political Economy, vol. 91, n° 4, août 1983, p. 589-610. 5. Finn E. Kydland, Edward C. Prescott, « Rules Rather than Discretion : The Inconsistency of Optimal Plans », Journal of Political Economy, vol. 85, n° 3, juin 1977, p. 473-492. 72 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE semble que la question d’une nouvelle délimitation de la notion d’indépendance de la Banque centrale européenne se pose6. Le « banquier central conservateur » est ainsi focalisé sur l’objectif principal que lui assigne le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : maintenir la stabilité des prix. Si, dès 2004, R. Boyer, M. Dehove et D. Plihon pointent la nécessité de voir émerger une nouvelle génération de banquiers centraux soucieuse, en parallèle de la stabilité monétaire, de la stabilité financière, la crise financière de 2007 a renforcé ce point de vue. Cette crise a mis en lumière la nécessité d’une redéfinition des objectifs de la banque centrale, avec la prise en considération de nouvelles dimensions comme la stabilité financière et le soutien à la croissance économique. En ce sens, la préoccupation de l’efficacité du financement de l’économie par la politique monétaire se trouve explicitement affirmée. Le mécanisme de transmission de la crise financière de 2007 à la sphère réelle a renforcé le souci de la pérennité du financement de l’économie par le système bancaire, dans la mesure où le comportement de celui-ci a conduit à l’émergence d’un credit crunch (figure 6). Celui-ci, qui s’est manifesté simultanément par un arrêt des financements nouveaux et par un non-renouvellement des crédits arrivant à maturité, résulte d’un double mécanisme. D’une part, il se comprend en faisant référence à l’insuffisance de fonds propres à laquelle ont dû faire face les banques pendant la crise. Celles-ci étant soumises à la réglementation prudentielle qui leur impose le respect d’un ratio fonds propres sur risques, il apparaît que, en période de crise, ce ratio s’affaiblit si les pertes réduisent les fonds propres et/ou si les risques s’accroissent. L’insuffisance de fonds propres peut alors par exemple être renforcée par le comportement des agences de notation qui, en période de crise, réévaluent les risques à la hausse et abaissent leurs notations. Et l’insuffisance de fonds propres sera d’autant plus forte que les règles comptables imposent, dans le cadre de certains actifs, une valorisation en prix de marché7. D’autre part, le resserrement du crédit peut se comprendre par la situation d’insuffisance de liquidité dans laquelle se retrouvent les banques. En effet, si celles-ci ne parviennent plus à se refinancer dans des conditions acceptables, il en résultera une diminution des crédits octroyés. 6. Laurent Clerc et Robert Raymond, « Les banques centrales et la stabilité financière : nouveau rôle, nouveau mandat, nouveaux défis ? », Revue d’économie financière, vol. 113, n° 2, 2014, p. 193-214. 7. C’est-à-dire que l’on donne à l’actif la valeur à laquelle il s’échange communément sur le marché (il existe d’autres méthodes de valorisation, comme la valorisation au coût historique qui revient à donner à l’actif sa valeur à la date d’achat). L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 73 Figure 6. Évolution des crédits accordés aux sociétés non financières en France (2008-2014) (taux de croissance annuel, en %) 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 -2 oct.-08 janv.-09 avr.-09 juil.-09 oct.-09 janv.-10 avr.-10 juil.-10 oct.-10 janv.-11 avr.-11 juil.-11 oct.-11 janv.-12 avr.-12 juil.-12 oct.-12 janv.-13 avr.-13 juil.-13 oct.-13 janv.-14 avr.-14 juil.-14 oct.-14 0 -1 -3 Source : données Banque de France. La crise financière de 2007 et sa transmission à l’économie réelle ont ainsi permis de rappeler le rôle crucial du système bancaire dans le financement de l’économie et, par conséquent, l’importance de la politique monétaire en tant que garante de l’efficacité de ce financement pour accompagner et développer la croissance économique. Du simple objectif de stabilité des prix, la politique monétaire de la BCE s’oriente désormais également vers la prise en compte de la stabilité financière et du soutien à l’activité économique. Les nouveaux enjeux de soutien à la croissance et de stabilité financière On doit reconnaître que la considération d’objectifs plus larges que la simple stabilité des prix n’entre pas en contradiction avec le mandat de la BCE, comme cela est précisé dans l’extrait de l’article 127 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précité. Il apparaît aujourd’hui que la prépondérance accordée au pilier monétaire dans la stratégie de la BCE pendant la période des « banquiers centraux conservateurs » a été remise en question. Longtemps influencée par la doctrine monétariste pour la réalisation de son objectif de stabilité des prix, la Banque centrale européenne se trouve désormais contrainte de prendre en compte d’autres éléments qui caractérisent les mutations de l’économie mondiale. Ainsi reconnaît-elle, dans son bulletin mensuel de 74 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE novembre 20118, que le renchérissement de l’énergie et des autres matières premières constitue le principal facteur explicatif de la hausse des prix sur l’année considérée. Plus largement, Michel Aglietta, Laurent Berrebi et Audrey Cohen9 considèrent que, dans le contexte de l’ouverture croissante des économies nationales, l’inflation a changé de nature, son origine n’étant plus monétaire mais réelle. Pour ces auteurs, depuis 1999, l’économie mondiale est entrée dans un contexte d’inflation structurellement faible dans lequel les facteurs déterminants de la formation des prix sont désormais des variables réelles. Le faible niveau et la stabilité de l’inflation s’expliquent ainsi, en partie, aujourd’hui par l’intensification de la concurrence internationale qui contraint les entreprises à maintenir des prix attractifs et exerce une pression à la baisse des salaires dans les secteurs produisant des biens exportables. En ce sens, la Banque des règlements internationaux estime que la part de la variation de l’inflation dans les pays développés expliquée par le prix des exportations chinoises a doublé entre les périodes 1986-1998 et 1999-2013, s’élevant pour cette seconde période à 30 %10. Pour les pays émergents, d’après le Fonds monétaire international11, en moyenne, un pays dont le taux d’échanges (échanges commerciaux en pourcentage du PIB) est supérieur de 25 points à celui d’un autre pays voit sa probabilité de conserver un taux d’inflation inférieur à 10 % augmenter de 10 points. Les mutations du contexte international permettent ainsi de saisir le déplacement des facteurs inflationnistes. La compréhension de ce mouvement est décisive en matière de politique monétaire à mener. En effet, à mesure que l’inflation devient de plus en plus déterminée par des facteurs réels et non monétaires, la pertinence d’une politique monétaire restrictive se voit remise en cause. En outre, les enseignements de la théorie quantitative de la monnaie se trouvent remis en question dans le contexte des politiques monétaires non conventionnelles qui mettent au jour une déconnexion entre la croissance de la base monétaire et l’évolution du niveau général des prix. Frederic Mishkin12 note ainsi qu’un accroissement de la base monétaire de 144,6 % entre juillet 2007 et la fin de l’année 2009 n’a conduit qu’à un accroisse- 8. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, novembre 2011. 9. Michel Aglietta, Laurent Berrebi et Audrey Cohen, « Banques centrales et globalisation », Groupama Asset Management, Expertises, n° 7, 2009. 10. Banque des règlements internationaux, rapport annuel 2013-2014. 11. Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale. Mondialisation et inflation, avril 2006. 12. Frederic S. Mishkin, « Monetary Policy Strategy : Lessons from the Crisis », NBER Working Paper Series, n° 16755, février 2011. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 75 ment de 16 % de M213, les banques acceptant d’accumuler des réserves excessives. Une absence de lien entre agrégat monétaire et inflation dans le contexte actuel est également soulignée par Adam Posen14. Membre du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, il soutient que la politique monétaire d’accroissement de liquidité menée par celle-ci depuis la crise financière ne conduira pas, quel que soit l’horizon temporel retenu, à un niveau élevé d’inflation15. De l’évolution du contexte international et de l’expérience des politiques monétaires non conventionnelles, il ressort ainsi que l’objectif de contrôle de la hausse des prix de la BCE ne focalise plus autant l’attention que par le passé. C’est même davantage le risque de la déflation16 qui retient aujourd’hui l’attention de la Banque centrale européenne. Cette préoccupation s’inscrit dans le nouvel intérêt que porte la BCE au soutien de l’activité, la déflation étant une menace durable pour la croissance économique. En effet, celle-ci met en péril la croissance en ce qu’elle renferme un effet néfaste, à la fois concernant la dette et concernant les anticipations. En situation de déflation, les ménages sont incités à reporter leurs achats et les entreprises, leurs investissements. Il en résulte un affaiblissement de la demande agrégée17 et des profits qui conduira à une hausse du chômage et à une baisse des prix, entretenant la contraction de la demande agrégée et la chute des prix dans une boucle devenant auto-entretenue. Par ailleurs, la déflation a pour effet d’augmenter la valeur réelle de l’endettement des agents et conduit à aggraver la dépression, en vertu du mécanisme de déflation par la dette décrit par Irving Fisher18. La menace pour la croissance que constitue la déflation est d’autant plus importante qu’elle est durable, la déflation installant les conditions de sa pérennité. D’une part, l’entrée en déflation participe à la mise en place 13. M1 = pièces et billets en circulation et dépôts à vue ; M2 = M1 + dépôts avec un préavis inférieur ou égal à trois mois + dépôts à terme d’une durée initiale inférieure ou égale à deux ans ; M3 = M2 + pensions + titres d’OPCVM monétaires + titres de créances de durée initiale inférieure ou égale à deux ans émis par des institutions financières monétaires (source : Banque de France). 14. Adam S. Posen, « Getting Credit Flowing : A Non-Monetarist Approach to Quantitative Easing », discours à la Cass Business School, Londres, 26 octobre 2009. 15. Ricardo Reis (« Interpreting the Unconventional US Monetary Policy of 2007-09 », Brookings Papers on Economic Activity, automne 2009, p. 119-165) aboutit à la même conclusion dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles menées aux États-Unis depuis 2007. 16. « La déflation est le gain du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une diminution générale et durable des prix ; c’est une inflation négative » (Insee). Voir Xavier Timbeau (dir.), « Banques centrales, dernier rempart contre la déflation. Perspectives 2014-2015 pour l’économie mondiale », Revue de l’OFCE. Analyse et prévisions, n° 135, avril 2014, p. 11-51. 17. « La fonction de demande agrégée (ou collective) d’un bien est la relation qui exprime la quantité demandée de ce bien en fonction du prix de ce bien, du prix des autres biens et du revenu de chaque demandeur » (Nicolas Bouzou, Les mécanismes du marché. Éléments de microéconomie, coll. « Thèmes & débats », Bréal, Rosny-sous-Bois, 2006, p. 64). 18. Irving Fisher, Booms and Depressions : Some First Principles, Adelphi Company, New York, 1932. 76 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE d’une boucle déflationniste auto-entretenue et, d’autre part, la déflation affaiblit l’efficacité de l’intervention de l’État pour en sortir. La politique monétaire, en situation déflationniste, voit le champ de ses conditions de réussite restreint car même en présence de taux nominaux proches de zéro, les taux réels demeurent positifs. De plus, la baisse du taux nominal peut conduire à une situation de trappe à liquidité19 dans laquelle la politique monétaire devient inefficace. Enfin, par l’accroissement du poids de la dette, la déflation réduit les marges de manœuvre des États dans la mise en œuvre de politiques budgétaires expansionnistes qui nécessitent le recours à l’endettement public. La relance de la croissance devient ainsi un objectif affirmé de la politique monétaire menée par la BCE. La baisse des taux décidée en juin 2014 par celle-ci s’inscrit dans ce souci de ne pas connaître la déflation et de « booster » la relance des économies. Le soutien à la croissance doit notamment transiter par un meilleur financement de l’économie, la faiblesse historique des taux d’intérêt devant se répercuter sur les coûts du crédit bancaire, qui restent en moyenne relativement élevés. La volonté de la BCE de s’engager, par sa politique monétaire, sur la voie du soutien à la croissance économique, s’affirme ainsi notamment par son souci d’assurer un financement efficace de l’économie. Si l’efficacité du financement peut s’exprimer par les conditions de son accès et par son coût, elle peut également se mesurer par sa capacité à rester stable dans le temps. Il s’agit alors de la question de la stabilité financière, que la crise a remise sur le devant de la scène. Dans leur manuel sur la politique économique, Agnès Bénassy-Quéré et alii 20 définissent la stabilité financière comme une « situation dans laquelle les agents économiques peuvent sans crainte compter sur le bon fonctionnement du système financier dans son ensemble ». Pour assurer le maintien de cette stabilité financière, il est nécessaire que se développent des infrastructures (bourses, systèmes de paiement, chambres de compensation, dépositaires) ainsi qu’un cadre réglementaire (encadrer les comportements des acteurs pour les inciter à évaluer correctement les actifs, à apprécier les risques et à s’en prémunir) appropriés. Si ces infrastructures et ce cadre réglementaire ne sont pas suffisants pour assurer la stabilité financière, il convient également de réfléchir aux actions propices au retour à celle-ci quand elle n’est plus assurée. En ce sens, le maintien de la stabilité finan- 19. « Une situation dite de “trappe à liquidité” est une situation économique où la politique monétaire de la banque centrale est rendue inefficace. La variation du taux d’intérêt, l’outil majeur de la banque centrale, n’a dans ce cas plus l’effet escompté » (« En situation de trappe à liquidité, l’action de la BCE a-t-elle vraiment les moyens de relancer l’inflation ? », La Tribune, 29 septembre 2014). 20. Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, op. cit., p. 313. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 77 cière passe également, en cas de besoin, par l’action directe de la banque centrale pour la fourniture de liquidité ou du gouvernement pour la fourniture de capital21. La stabilité financière est un bien public à externalités22. En effet, elle constitue d’abord un bien public, en ce qu’elle profite à l’ensemble des agents économiques. Par ailleurs, la notion d’« externalité » désigne l’effet d’une activité qui procure à d’autres agents économiques une satisfaction ou un dommage, sans que celui-ci ne donne lieu à une contrepartie ou une compensation monétaire23. Il s’agit donc d’un effet qui ne conduit pas à la formation d’un prix sur un marché et qui empêche ainsi les agents économiques d’internaliser correctement les bénéfices et les coûts de leurs actions. Concernant la stabilité financière, les agents économiques intègrent, par exemple, correctement les coûts qu’engendrerait pour eux la défaillance de leur propre établissement bancaire mais appréhendent plus difficilement le risque de défaillance systémique qui pourrait provenir des difficultés rencontrées par un autre établissement et se propager à l’ensemble du système financier. Une telle situation justifie l’intervention de la puissance publique. Se pose alors la question de l’acteur en mesure d’assurer cette mission de stabilité financière. Si un tel objectif est assigné à la BCE, de nouvelles questions apparaissent, comme celle de la possibilité pour la politique monétaire de celle-ci de poursuivre plusieurs objectifs, ou celle de la compatibilité des objectifs de stabilisation des prix et de stabilité financière. Stabilité financière et banque centrale sont historiquement liées. Les travaux anciens de Henry Thornton et de Walter Bagehot24 sur le rôle de prêteur en dernier ressort de la banque centrale en offrent une illustration. Tommaso Padoa-Schioppa25 décrit la mission de stabilité financière comme implicitement à l’origine de l’émergence des banques centrales, parlant ainsi d’une « partie de leur code génétique ». La Banque centrale 21. Emmanuel Farhi et Jean Tirole (« Collective Moral Hazard, Maturity Mismatch, and Systemic Bailouts », American Economic Review, vol. 102, n° 1, février 2012, p. 60-93) offrent des éléments pour comparer l’efficacité de l’action de la banque centrale et du gouvernement. En situation d’asymétrie d’information, ils mettent en garde contre l’intervention du gouvernement, qui peut ne pas reconnaître les établissements bancaires réellement en difficulté. Les établissements bancaires sains peuvent alors adopter des stratégies de recherche de rentes en se présentant comme étant en difficulté. L’action de la banque centrale, qui transite via des mécanismes de marché, permet d’échapper à ce travers. 22. Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les crises financières, op. cit. 23. Par exemple, les riverains qui verraient s’implanter une entreprise polluante à côté de chez eux deviendraient victimes d’une externalité négative car ils ne seraient pas directement indemnisés par l’entreprise pour la pollution causée. 24. Henry Thornton, An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, J. Hatchard, Londres, 1802 ; Walter Bagehot, Lombard Street : A Description of the Money Market, Scribner, Armstrong & Co, New York, 1873. 25. Tommaso Padoa-Schioppa, « Central Banks and Financial Stability : Exploring a Land in Between », in Vítor Gaspar, Philipp Hartmann, Olaf Sleijpen (eds.), The Transformation of the European Financial System, seconde conférence des banques centrales de la Banque centrale européenne, Francfort, octobre 2002, p. 270-310. 78 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE américaine (Fed) est à cet égard un bon exemple puisqu’elle a été mise en place en 1913, après la crise financière de 1907. Plus généralement, cette mission de stabilité financière se retrouve dans le monopole de la création de monnaie centrale accordé à la banque centrale, dans son rôle de banque des banques ainsi que dans le mécanisme de création monétaire par les banques commerciales. Bien que ce rôle de supervision ne fût pas inscrit explicitement dans le mandat des banques centrales, il fut rempli dans la pratique. Cependant, à partir des années 1970, le vaste mouvement mondial de libéralisation et de dérégulation s’est traduit par un abandon progressif par les banques centrales de l’intérêt porté à la stabilité financière. Ce moindre intérêt a persisté dans la période des « banquiers centraux conservateurs » caractérisée par la priorité accordée à la stabilité des prix, par l’indépendance des banques centrales et par la volonté de ne pas confier la supervision du système bancaire à la banque centrale. La question de l’intégration explicite à la mission des banques centrales d’un objectif de stabilité financière, en parallèle de l’objectif de stabilisation des prix, a fait l’objet d’un débat avant même que n’éclate la crise financière. Ce débat tournait autour des réponses que pouvaient apporter les banques centrales au problème des bulles pouvant se former sur le prix des actifs et opposait les tenants du « lean » à ceux du « clean ». Pour les premiers, parmi lesquels figurent Stephen Cecchetti et alii, Claudio Borio et Philip Lowe, Claudio Borio, William English et Andrew Filardo ou William White26, la politique monétaire a un rôle à jouer pour aller à contre-courant (« lean against the wind ») des tendances du marché quand celles-ci participent à l’émergence de bulles spéculatives. Il s’agit alors d’envisager une politique monétaire active contre la formation des bulles, car l’histoire révèle que l’éclatement de celles-ci s’accompagne d’un déclin rapide de l’activité économique, comme le décrivent les travaux de Charles Kindleberger27. La formation d’une bulle doit ainsi donner lieu à une hausse du taux d’intérêt pour la faire disparaître ou, au moins, pour limiter son développement. Cependant, cette position du « lean » s’est vu opposer plusieurs arguments. D’abord, agir contre la formation d’une bulle suppose au préalable que celle-ci soit identifiée, c’est-à-dire qu’il soit possible, pour tous les actifs, de définir un prix d’équilibre et une bande de fluctuation acceptable 26. Stephen G. Cecchetti, Hans Genberg, John Lipsky, Sushil Wadhwani, « Asset Prices and Central Bank Policy », The Geneva Report on the World Economy, n° 2, 30 mai 2000 ; Claudio Borio, Philip Lowe, « Asset Prices, Financial and Monetary Stability : Exploring the Nexus », Banque des règlements internationaux, BIS Working Papers, n° 114, juillet 2002 ; Claudio Borio, William English, Andrew Filardo, « A Tale of Two Perspectives : Old or New Challenges for Monetary Policy ? », Banque des règlements internationaux, BIS Working Papers, n° 127, février 2003 ; William R. White, « Making Macroprudential Concerns Operational », discours à la Conférence sur la stabilité financière organisée par la Banque des Pays-Bas, Amsterdam, 25-26 octobre 2004. 27. Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes : A History of Financial Crises, Basic Books, New York, 1 978. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 79 au-delà de laquelle on puisse définir l’existence de la bulle. En admettant que la banque centrale soit capable de définir le moment à partir duquel l’écart au prix d’équilibre se transforme en bulle, il faut encore admettre que cette information qu’elle détient ne soit pas connue des investisseurs privés, car dans le cas contraire, il y a peu de chance que la bulle se développe davantage. Ensuite, la hausse du taux d’intérêt peut ne pas décourager la formation de la bulle car les agents s’attendent justement à de tels taux de rendement élevés sur les actifs sur lesquels se forme la bulle. Cette hausse du taux d’intérêt peut même, d’après Alan Greenspan28, provoquer une explosion plus violente de la bulle. Par ailleurs, la hausse du taux d’intérêt affectera l’ensemble des prix des actifs, et non pas seulement le prix de l’actif qui engendre la bulle. Ces critiques à l’encontre de la gestion des bulles spéculatives par la politique monétaire ont ainsi donné lieu au développement de la position « clean », telle que défendue par A. Greenspan, qui considère que la politique monétaire doit plutôt servir à « nettoyer » après l’explosion de la bulle. Les tenants du « clean » jugent moins coûteuse la gestion des conséquences de l’explosion de la bulle que de vouloir contrôler son développement. À la lumière de ce débat, la BCE a adopté une prise en compte limitée des actifs dans le cadre de sa stratégie à deux piliers29. Cette prise en compte s’est réduite à envisager les conséquences possibles sur l’activité économique et sur le niveau général des prix à un horizon de court-moyen terme. Il en va de même pour la Banque d’Angleterre qui, avant la crise financière de 2007, ne s’intéressait aux prix des actifs dans le cadre de sa politique monétaire que dans la mesure où ils étaient liés au suivi de l’inflation30. La préoccupation autour de la stabilité financière et de son articulation avec la politique monétaire a ressurgi à la suite de la crise financière de 2007. Après le débat sur la gestion des bulles spéculatives, la crise financière est venue à nouveau questionner la dichotomie affichée par les banques centrales entre politique monétaire, pour assurer la stabilité des prix, et politique en faveur de la stabilité financière. Selon Christian Bordes et 28. Alan Greenspan, « Opening Remarks : Rethinking Stabilization Policy », Conférence de politique économique Jackson Hole, Réserve fédérale de Kansas City, 2002, p. 1-10. 29. À savoir l’analyse économique et l’analyse monétaire : « – l’analyse économique vise à évaluer les facteurs déterminant l’évolution des prix à court et moyen terme, en mettant l’accent sur l’activité réelle et les conditions financières dans l’économie. Elle prend en compte le fait que, sur ces horizons, l’interaction entre l’offre et la demande sur les marchés des biens, des services et des facteurs influe largement sur l’évolution des prix ; – l’analyse monétaire est axée sur un horizon à plus long terme, s’appuyant sur le lien à long terme qui existe entre la monnaie et les prix. Elle a essentiellement pour objet de recouper, dans une perspective de moyen et long terme, les indications à court et moyen terme fournies par l’analyse économique » (source : http://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/facts/ monpol/html/mp_004.fr.html). 30. John Vickers, « Monetary Policy and Asset Prices », The Manchester School, vol. 68, suppl. n° 1, 2000, p. 1-22. 80 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Laurent Clerc31, la focalisation sur l’objectif de stabilité des prix conduit à un principe de séparation entre l’objectif de politique monétaire et celui de stabilité financière. Ce principe de séparation découle de la règle de Tinbergen32 qui énonce que, dans le cadre d’une politique économique, le nombre d’instruments mobilisés doit être égal au nombre d’objectifs visés. Il s’ensuit alors que l’objectif de stabilité des prix doit être atteint par l’instrument de la politique monétaire et l’objectif de stabilité financière, par l’instrument des opérations de marché. Néanmoins, la crise financière et la mise en œuvre de politiques monétaires non conventionnelles pour y remédier ont conduit la BCE à abandonner, dès octobre 2008, le principe de séparation sur lequel elle s’appuyait jusqu’alors. Un rapport du CAE de 2011 sur les banques centrales et la stabilité financière33 propose des pistes de réflexion pour adapter la conduite de la politique monétaire au nouvel impératif de supervision macro-prudentiel. Si le choix est fait de conserver la règle de Taylor (v. encadré), les auteurs du rapport insistent sur la nécessité d’annoncer un retour à cette règle après la fin des mesures non conventionnelles. Pour faciliter ce retour, ils envisagent l’affichage et le respect d’une règle claire pour sortir des mesures non conventionnelles. Par ailleurs, il serait souhaitable d’enrichir cette règle de Taylor pour assurer la stabilité financière. Deux évolutions peuvent être suggérées. Lawrence Christiano et alii 34 proposent de prendre en compte la croissance du crédit (au-delà de son rôle dans l’élaboration des prévisions d’inflation) pour réduire la volatilité de la production et du prix des actifs. Par ailleurs, Fiorella De Fiore et Oreste Tristani35 introduisent les variations des écarts de taux dans la règle de Taylor. Dès lors que le taux directeur de la banque centrale ne traduit plus le coût du financement pour l’ensemble de l’économie, il convient d’être attentif à cet écart. Dans la réalité, cet écart existe bien souvent du 31. Christian Bordes et Laurent Clerc, « L’art du central banking de la BCE et le principe de séparation », Revue d’économie politique, vol. 120, n° 2, mars-avril 2010, p. 269-302. 32. Règle énoncée par Jan Tinbergen dans On the Theory of Economic Policy (1952) et selon laquelle « une condition nécessaire (mais non suffisante) pour qu’une politique économique soit efficace, est qu’il existe autant d’instruments indépendants que d’objectifs à atteindre » (Jacques Généreux, Économie politique, 3. Macroéconomie, coll. « Les fondamentaux. Économiegestion », Hachette supérieur, Paris, 5e éd., 2008, p. 155). 33. Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon, Banques centrales et stabilité financière, coll. « Les rapports du Conseil d’analyse économique », La Documentation française, Paris, 2011. 34. Lawrence Christiano, Cosmin Ilut, Roberto Motto, Massimo Rostagno, « Monetary Policy and Stock Market Booms », NBER Working Paper Series, n° 16402, septembre 2010. 35. Fiorella De Fiore, Oreste Tristani, « The Role of Financial Conditions for Monetary Policy », in Lucas D. Papademos, Jürgen Stark (eds.), Enhancing Monetary Analysis, Banque centrale européenne, Francfort, 2010, p. 297-306. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 81 fait de l’existence de primes de risque variables. Ainsi, dans ce cadre, un accroissement de la prime de risque pourrait se traduire par une baisse du taux d’intérêt directeur de la part de la BCE. En Europe, la préoccupation autour de la stabilité financière a donné naissance, en 2010, au Comité européen du risque systémique, dont le secrétariat est assuré par la BCE. Ce comité découle des recommandations contenues dans le rapport36 demandé par la Commission européenne au groupe de travail présidé par Jacques de Larosière et remis en 2009. L’article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil (règlement UE n° 1092/2010) définissant les missions de ce comité affirme qu’il est « responsable de la surveillance macroprudentielle du système financier dans l’Union, dans le but de contribuer à la prévention ou à l’atténuation des risques systémiques pour la stabilité financière de l’Union, qui résultent des évolutions macroéconomiques, de façon à éviter des périodes de difficultés financières généralisées. Il contribue au fonctionnement harmonieux du marché intérieur et assure ainsi une contribution durable du secteur financier à la croissance économique ». ■ La règle de Taylor John Taylor* a proposé une règle indiquant la valeur appropriée du taux d’intérêt en fonction de la situation macroéconomique de l’économie américaine : Taux d’intérêt = taux d’inflation + taux d’intérêt réel d’équilibre + 0,5 écart d’inflation + 0,5 écart de production. Le fait de tenir compte simultanément de l’écart d’inflation** et de l’écart de production indique que la banque centrale se préoccupe de la stabilité des prix, mais également de la stabilisation conjoncturelle. Cette règle constitue un outil permettant de suivre l’orientation de la politique monétaire. Elle rend possible l’analyse ex post de la réaction de la politique monétaire pendant la période étudiée. * John B. Taylor, « Discretion Versus Policy Rules in Practice », Carnegie-Rochester Series on Public Policy, n° 39, 1993, p. 195-214. ** L’écart d’inflation se mesure par l’écart entre le taux d’inflation observé et celui ciblé par la banque centrale. L’écart de production se mesure par l’écart entre le niveau du PIB observé et le niveau du PIB potentiel. 36. The High-Level Group on Financial Supervision in the EU, Report, Bruxelles, 25 février 2009. 82 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE La question de la stabilité financière a souvent été abordée sous l’angle de sa relation avec la stabilité des prix. Avant la crise financière de 2007, à l’image de Ben Bernanke et Mark Gertler37, de nombreux auteurs considéraient que la seconde devait conduire à la première. L’argument repose sur la capacité de la stabilité des prix à ancrer les anticipations d’inflation. Cet ancrage doit permettre d’écarter les risques d’hyperinflation ou de déflation et ainsi éliminer l’incertitude qui pourrait naître d’une déformation du système des prix relatifs38. L’objectif de stabilité des prix est alors envisagé comme permettant l’allocation optimale des ressources, et l’instabilité financière est écartée. En outre, la stabilité des prix permet de supprimer les effets redistributifs non prévus39 entre créditeur et débiteur qui peuvent, dans certains cas, conduire à des défaillances, et elle participe ainsi à la stabilité financière. La stabilité monétaire est ainsi considérée comme nécessaire à la réalisation de la stabilité financière. Le déclenchement de la crise financière de 2007 dans un contexte d’inflation maîtrisée a conduit à mettre en avant la possibilité d’une relation d’incompatibilité entre stabilité des prix et stabilité financière. Une telle situation peut ainsi exister quand la stabilité des prix implique le maintien des taux d’intérêt à un niveau faible, alors que la stabilité financière nécessiterait leur relèvement si la croissance des crédits s’accélère et le prix des actifs s’envole. Avant 2007, la période dite de « Grande modération »40, caractérisée par la faiblesse de la volatilité des taux de croissance et d’inflation et par un niveau peu élevé des taux d’intérêt, a constitué un terrain propice à l’instabilité financière en favorisant le développement de comportements risqués. Claudio Borio et Haibin Zhu41 ont parlé de canal de la prise de risque (« risk-taking channel ») pour désigner l’impact des changements de politique de taux sur la perception du risque ou sur l’aversion au risque et donc sur le niveau de risque des portefeuilles, sur la formation du prix des 37. Ben S. Bernanke, Mark Gertler, « Should Central Banks Respond to Movements in Asset Prices ? », American Economic Review, vol. 91, n° 2, mai 2001, p. 253-257. 38. Le prix relatif désigne le prix d’un bien exprimé en quantité d’un autre (rapport des prix de deux biens). Si le prix d’un de ces deux biens varie fortement tandis que l’autre reste stable, le prix relatif est modifié. Le système des prix relatifs est alors déformé, et ces variations de prix créent de l’incertitude chez les agents économiques. 39. L’inflation entraîne une redistribution de la richesse des créditeurs vers les débiteurs en réduisant la valeur réelle des actifs et des passifs libellés en termes nominaux. Donc la stabilité des prix permet de supprimer cet effet. 40. Ben S. Bernanke, « The Great Moderation », Discours à la conférence de l’Eastern Economic Association, Washington, 20 février 2004. On peut trouver l’expression « Great Moderation » déjà utilisée par James Stock et Mark Watson (« Has the Business Cycle Changed and Why ? », NBER Macroeconomics Annual, vol. 17, 2002, p. 159-230). 41. Claudio Borio, Haibin Zhu, « Capital Regulation, Risk-taking and Monetary Policy : A Missing Link in the Transmission Mechanism ? », Journal of Financial Stability, vol. 8, n° 4, décembre 2012, p. 236-251. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 83 actifs et sur les conditions de financement. Ils identifient au moins trois moyens par lesquels ce canal opère : – d’abord, ils notent que de plus faibles taux d’intérêt peuvent accroître la valeur des collatéraux42 mobilisables pour obtenir des prêts ; – ensuite, le deuxième mécanisme par lequel opère le canal de la prise de risque repose sur l’hypothèse que les investisseurs disposent d’une valeur de référence pour le rendement nominal de leur capital, indépendamment du niveau des taux d’intérêt. De ce fait, la prise de risque s’élève dès lors que les taux sont bas ; – enfin, C. Borio et H. Zhu considèrent que la communication et la fonction de réaction de la banque centrale ont un effet sur la prise de risque des agents. Tableau 11. Les mandats des banques centrales américaine, européenne, anglaise et japonaise Institution Réserve fédérale américaine Banque centrale européenne Banque d’Angleterre Banque du Japon Texte officiel Stabilité des prix Stabilité de la production Stabilité financière Full Employment and Balanced Growth Act, 1 978 (« HumphreyHawkins Act ») Oui Oui, au même titre que la stabilité des prix. Oui, rôle renforcé en 2011 par la loi Dodd-Franck. Oui, si l’objectif de stabilité des prix est atteint. Oui, si l’objectif de stabilité des prix est atteint. Rôle renforcé avec la création du Comité européen du risque systémique et le projet d’Union bancaire. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne Oui Bank of England Act, 1998 Oui Oui, si l’objectif de stabilité des prix est atteint. Oui, rôle renforcé en 2013 par le transfert du contrôle bancaire depuis la FSA [Financial Services Authority]. Bank of Japan Law, 1997 Oui Non, seulement comme sousproduit de la stabilité des prix. Oui. Source : Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 3e éd., 2012, p. 326. 42. Un collatéral est un actif servant à garantir le risque de crédit porté par la contrepartie à laquelle un prêt est octroyé. Il vise donc à protéger le créancier contre le défaut d’un emprunteur. 84 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Ainsi, une politique transparente de la banque centrale (ou la perception d’une fonction de réaction effective43) conduit à une réduction de l’incertitude sur le futur et, comprimant ainsi la prime de risque, incite les agents à prendre davantage de risque. Il apparaît ainsi que la réalisation de l’objectif de stabilité des prix par les banques centrales a pu contribuer à accroître l’instabilité financière. Une telle situation rappelle l’hypothèse d’instabilité financière développée par Hyman Minsky44 qui prêtait à la finance une nature intrinsèquement instable liée au développement des comportements risqués pendant les périodes de croissance économique. Par ailleurs, Patrick Artus45 souligne le problème du risque de conflit d’intérêts qui apparaît quand la BCE mène sa politique monétaire en même temps qu’elle assure la supervision macroprudentielle. En effet, soucieuse de la stabilité financière, la Banque centrale européenne pourrait être tentée de mener une politique monétaire anormalement expansionniste pour soutenir les banques. La crise financière de 2007 a ainsi marqué un véritable tournant en matière de politique monétaire menée par la BCE. Les objectifs de celle-ci se sont trouvés redessinés à la lumière de nouvelles préoccupations, parmi lesquelles celle d’assurer un financement efficace de l’économie en période de faible croissance. Si la crise a conduit à porter l’intérêt sur de nouveaux objectifs comme la croissance économique et la stabilité financière, force est de constater qu’elle a également modifié la mise en œuvre de la politique monétaire. En effet, aux politiques monétaires conventionnelles traditionnellement menées par les banques centrales avant la crise, sont venues s’ajouter des politiques non conventionnelles pour faire face à une situation inhabituelle. 43. La fonction de réaction de la banque centrale désigne la stratégie qu’elle suit en fonction de ses instruments et de ses objectifs de politique monétaire. Donc si elle mène une politique transparente, cela signifie que les agents économiques connaissent et perçoivent la fonction de réaction qu’elle suit effectivement. 44. Hyman P. Minsky, Stabilizing an Unstable Economy, Yale University Press, New Haven, 1986. 45. Patrick Artus, « Les défis pour les banques centrales après la crise », Revue d’économie financière, vol. 113, n° 1, 2014, p. 217-226. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 85 Les outils monétaires traditionnels du refinancement de l’économie Pour contrôler le financement de l’économie, la BCE mobilise traditionnellement trois types d’instruments : les opérations d’open market, les facilités permanentes et les réserves obligatoires46. En temps normal, les opérations d’open market, qui présentent la caractéristique d’être des opérations de marché, constituent l’instrument principalement utilisé par les banques centrales. Par ces opérations, la BCE accorde des prêts aux établissements bancaires contre remise de garanties, lesquelles se matérialisent par des prises en pension de titres pendant la durée du prêt. Les opérations principales de refinancement ont une périodicité hebdomadaire et une durée de deux semaines (opérations dites Main refinancing operations ou MRO). Des opérations de refinancement à plus long terme sont possibles, leur périodicité étant alors mensuelle et leur durée de trois mois (opérations dites Long term refinancing operations ou LTRO). Le refinancement est attribué selon une procédure d’appels d’offres. Si le taux, dit taux Refi, est fixé par la Banque centrale européenne, les établissements de crédit annoncent la liquidité qu’ils souhaitent obtenir à ce taux. La BCE peut alors, soit satisfaire l’ensemble des demandes, soit, si elle souhaite limiter la liquidité allouée, ne les satisfaire que partiellement. Cependant, elle peut également choisir de ne fixer qu’un taux minimum. Dans ce cas, chaque établissement de crédit réalise une double annonce : la quantité de liquidité souhaitée et le taux auquel il désire l’obtenir. Elle alloue alors la liquidité en satisfaisant les offres par ordre décroissant de taux annoncé, autrement dit, par un mécanisme d’enchère. Exceptionnellement, quand les opérations hebdomadaires se révèlent insuffisantes, la Banque centrale européenne peut se livrer à des opérations de réglage fin qui se traduisent par des achats ou des ventes fermes de titres. En parallèle des opérations de refinancement, la BCE met à disposition des banques commerciales des facilités permanentes. La facilité marginale de prêt permet aux établissements de crédit d’obtenir, contre prises de pension, de la liquidité à un jour à un taux prédéterminé, supérieur au taux de refinancement des opérations d’open market. La facilité de dépôt permet à ces mêmes établissements d’effectuer des dépôts à un jour auprès de la Banque centrale européenne. Le taux de ces dépôts est également prédéterminé et est fixé en dessous du taux sur les opérations principales de refinancement. Ces taux des facilités permanentes déterminent ainsi un corridor au sein duquel oscillent le taux Refi et les taux du marché interbancaire. Au sein 46. Une présentation détaillée de ces instruments peut être trouvée dans Frederic S. Mishkin, Monnaie, banque et marchés financiers, op. cit. 86 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE du corridor, le positionnement de l’Eonia (Euro overnight index average), qui est le taux au jour le jour pratiqué sur le marché interbancaire, est révélateur de l’abondance de liquidité. Il est ainsi presque confondu avec le taux Refi avant la crise financière, puis s’en éloigne et se rapproche du taux de facilité de dépôt par la suite. Enfin, la BCE peut agir sur le montant des réserves obligatoires pour contrôler le financement de l’économie. En 2014, elle imposait aux établissements de crédit de conserver 1 % des dépôts reçus du public sur un compte ouvert auprès d’elle. Ces réserves obligatoires, au-delà de la fonction prudentielle qu’elles remplissent, permettent de faciliter la régulation du marché monétaire. En effet, elles contribuent d’abord à la stabilisation des taux d’intérêt du marché monétaire, car elles peuvent être constituées en moyenne sur une période. Ensuite, elles participent à l’élargissement de la demande de monnaie centrale en créant ou accentuant un déficit structurel de liquidité. La crise financière de 2007 a conduit à une réaction de la BCE dont les principales étapes sont décrites par Christian Bordes47. Cette réaction a d’abord été entreprise dans le cadre de ses instruments traditionnels. Les toutes premières mesures prises par la Banque centrale européenne relèvent d’opérations de réglage fin. Ainsi, le 9 août 2007, pour soulager les fortes tensions sur le taux interbancaire au jour le jour, elle réalise l’injection de liquidité à un jour la plus élevée depuis sa création (95 milliards d’euros). Puis, dès le 15 août 2007, la BCE ajuste ses opérations principales de refinancement pour gérer la crise de liquidité. Après la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, la Banque centrale européenne a réagi en baissant son principal taux directeur de 4,25 % à 2,5 % à la fin de l’année 2008. De janvier à mai 2009, quatre étapes de baisse du taux se succèdent jusqu’à ce qu’il atteigne 1 %. Ce taux de 1 % a été considéré comme le taux plancher par le Conseil des gouverneurs qui estimait qu’il existait un risque de déflation peu élevé et un risque de paralysie du marché monétaire. En 2011, le taux d’inflation se rapprochant des 3 %, la BCE a procédé à une hausse de son principal taux directeur. En avril 2011, il passe ainsi de 1 % à 1,25 %, puis à 1,5 % en juillet de la même année. Ces hausses ont été de courte durée puisque la Banque centrale européenne est rapidement revenue sur ses décisions. Le taux a ainsi été ramené à 1,25 % en novembre 2011, puis à 1 % en décembre. Le déclenchement de la crise des dettes souveraines en 2010 avec la Grèce, puis son approfondissement en 2011 avec notamment l’Espagne et l’Italie, ont conduit la BCE à poursuivre ses baisses de taux, notamment pour faire 47. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », op. cit. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 87 face à l’incidence sur les conditions du crédit de l’intensification des tensions sur les marchés financiers. Le taux Refi est passé à 0,75 % en juillet 2012 (tandis que le taux de facilité de dépôt a été abaissé à 0,00 %), à 0,5 % en mai 2013, à 0,25 % en novembre 2013, à 0,15 % en juin 2014 et enfin à 0,05 % en septembre 2014. Pourtant, ces mesures traditionnelles de baisse des taux se sont révélées insuffisantes face à l’ampleur de la crise. Par exemple, si l’on considère le taux Refi mesuré en termes réels, étant donné le ralentissement de l’inflation de juillet 2008 à mai 2009, il est resté à peu près nul sur cette période et est même redevenu positif jusqu’à l’automne 2009. Autrement dit, malgré la baisse des taux nominaux pratiquée par la BCE, il est possible d’observer des périodes de durcissement de la politique monétaire. Mais surtout, la période marquée par la crise financière s’est traduite par un endommagement du fonctionnement des canaux de transmission habituels de l’action de la Banque centrale européenne (encadré). Par exemple, la défiance, qui s’installe entre les banques n’acceptant plus de se prêter entre elles de la liquidité, conduit à déconnecter les taux interbancaires du taux Refi. De plus, une baisse des taux directeurs, même quand elle ne s’accompagne pas d’une hausse des taux réels, peut ne pas être en mesure de faciliter les conditions de financement en période de crise. Il en est ainsi si la crise conduit à une hausse des primes de risque sur les marchés de taux, ou encore à une montée de la préférence pour la liquidité pouvant entraîner l’économie dans une trappe à liquidités. La BCE a alors été contrainte d’adopter des mesures de politique monétaire non conventionnelles pour rétablir le mécanisme de transmission et restaurer ainsi les conditions de financement habituelles de l’économie. ■ Les principaux canaux de transmission de la politique monétaire « (1) Le canal du taux d’intérêt. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, trois phénomènes peuvent se produire : (a) Un effet de substitution : il devient plus avantageux de consommer demain qu’aujourd’hui, ce qui conduit les ménages à accroître leur épargne. Les entreprises, parallèlement, placent leurs liquidités sur le marché financier plutôt que dans l’appareil productif. (b) Un effet de revenu : les agents endettés ou qui désirent s’endetter, voyant leurs charges d’intérêt s’alourdir, réduisent leurs dépenses et, à l’inverse, les épargnants, voyant leurs revenus d’intérêt augmenter, les relèvent. (c) Un effet de richesse : la hausse du taux d’intérêt fait chuter les prix de certains actifs financiers dont les rémunérations, fixées avant la hausse des taux de marché, n’attirent soudain plus les épargnants. Les ménages qui détiennent ces actifs, voyant 88 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE leur richesse se réduire, consomment moins. Les entreprises, de leur côté, tentent de rééquilibrer leur bilan en réduisant leur endettement. (2) Le canal du crédit. Un taux d’intérêt plus élevé amène les banques non seulement à augmenter les taux d’intérêt des prêts mais même, dans certains cas, à refuser de prêter. Ce mécanisme de rationnement du crédit est lié à l’asymétrie d’information entre le prêteur et l’emprunteur. Seul ce dernier connaît précisément sa capacité à rembourser. (3) Le canal du taux de change. Une hausse des taux d’intérêt de la zone euro, qui rend plus attrayants les placements en euro, entraîne en principe une appréciation de l’euro vis-à-vis des autres monnaies qui encourage à consommer des biens étrangers, freinant la demande adressée aux entreprises de la zone. (4) Le canal du prix des actifs et le canal de la prise de risque. Charles Kindleberger* avait noté que les crises financières éclataient souvent après des périodes prolongées de bas taux d’intérêt, ce qui laisse penser que ces derniers sont propices non seulement à l’expansion du crédit, à travers les canaux précédemment évoqués, mais aussi à la prise de risque. Des taux d’intérêt bas permettent en effet aux acteurs financiers d’emprunter à bon compte pour financer des investissements risqués**. Ils élèvent en outre le prix des actifs financiers et immobiliers, car les épargnants se pressent pour acquérir les actifs déjà présents sur le marché, rémunérés à un taux plus élevé que celui des actifs nouveaux. Les ménages et les entreprises vont partiellement consommer ou investir le supplément de richesse issu de la revalorisation de leur patrimoine, et peuvent emprunter plus quand ils utilisent ces actifs comme gages. » * Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes : A History of Financial Crises, Basic Books, New York, 1 978. ** Claudio Borio, Haibin Zhu, « Capital Regulation, Risk-taking and Monetary Policy : A Missing Link in the Transmission Mechanism ?, Journal of Financial Stability, vol. 8, n° 4, décembre 2012, p. 236-251. Source : Agnès Bénassy-Quéré et Benoît Cœuré, Économie de l’euro, coll. « Repères. Économie », © La Découverte, Paris, 3e éd., 2014, p. 39-40. Les politiques monétaires non conventionnelles En assouplissant son cadre opérationnel par la mise en place de politiques monétaires non conventionnelles, la BCE a su apporter une réponse plus efficace à la crise pour tenter d’assurer la pérennité du financement de l’économie. D’abord, les modalités des opérations d’open market ont été modifiées à partir d’octobre 2008. En effet, de 2000 à cette date, les appels d’offres étaient réalisés à taux variable. Ils deviennent alors à taux fixe et la BCE accorde toute la liquidité demandée par les banques afin de les sécuriser dans leurs approvisionnements (procédure dite de full allotment). Par L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 89 ailleurs, le calendrier de la période de fourniture de liquidité avait déjà été avancé de manière à ce que cette période survienne pendant celle de constitution des réserves afin d’éviter toute crainte de la part des établissements de crédit quant à leur capacité à les constituer. En outre, dès la fin de l’année 2008, la BCE élargit la liste des actifs acceptés en garantie des prêts accordés et la durée des opérations de refinancement est allongée. En 2009, les opérations de LTRO passent de 3 mois à 1 an. Cette même année, la Banque centrale européenne annonce également la mise en place d’un programme d’achats fermes d’obligations sécurisées (Covered bond purchase programme ou CBPP). Ce programme a conduit à l’achat de 60 milliards de titres sur les marchés primaire et secondaire. À partir de 2010, la crise de la dette souveraine qui se développe en Europe conduit à l’adoption de nouvelles mesures non conventionnelles. En effet, la BCE se préoccupe du marché des titres d’État puisqu’ils servent notamment de collatéraux dans de nombreuses opérations réalisées par les établissements de crédit. De ce fait, les pertes en capital sur ces titres peuvent avoir des conséquences négatives sur l’octroi de crédit dans l’économie. Ainsi, l’aggravation de la crise au cours de l’été 2011 donne lieu à une réaction de la Banque centrale européenne à la fin de l’année. Comme le note Benoît Cœuré48, au quatrième trimestre 2011, le renforcement de la crise de la dette souveraine empêchait les établissements de crédit de soutenir l’économie réelle. Les crédits bancaires au secteur privé, notamment les prêts aux ménages et aux sociétés non financières, ont connu des taux de croissance en diminution sur ce trimestre. Dans un communiqué du 8 décembre 2011, la BCE a dès lors mis en place des mesures de soutien au crédit bancaire et à l’activité du marché monétaire. Parmi ces mesures, elle effectue deux opérations de refinancement d’une durée de trois ans assorties d’une option de remboursement anticipé après un an. Ces opérations de long terme, dites Very long term refinancing operations (VLTRO), dont la première est mise en œuvre fin décembre 2011 et la seconde fin février 2012, ont été conduites sous la forme d’appels d’offres à taux fixe sans limitation de montant. Les prêts octroyés à ces deux occasions ont été respectivement de 489 milliards d’euros à 523 banques et de 530 milliards d’euros à 800 banques49. Dans son rapport annuel de 2012, la Banque de France estime que, à horizon d’un an, les deux VLTRO ont permis une hausse du volume des crédits accordés au secteur privé entre 0,2 % et 1 %. Elles ont ainsi contribué à éviter une contraction soudaine des crédits accordés au secteur privé. 48. Benoît Cœuré, « Financer l’économie de la zone euro : le rôle de la BCE », intervention à la Banque centrale européenne, 11 avril 2012. 49. Ces montants correspondent à des apports bruts. Si l’on tient compte des autres opérations arrivant à échéance et réglées au cours de cette période, les apports nets de liquidités s’élèvent respectivement à 210 et 311 milliards d’euros. 90 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Pour faciliter le déroulement de ces opérations de refinancement, la BCE a décidé d’élargir la liste des collatéraux éligibles, permettant ainsi de soutenir le prix de certains actifs dont des titres de dette souveraine. Ainsi, le seuil de notation pour certains titres adossés à des actifs (Asset-backed securities, ABS) a été abaissé, ceux dont la notation était d’au moins « simple A » et dont les actifs sous-jacents comprennent des prêts hypothécaires et des prêts aux petites et moyennes entreprises devenant désormais éligibles. Également, les banques centrales nationales deviennent autorisées à accepter, à titre temporaire, des créances privées performantes supplémentaires50 (c’est-à-dire des prêts bancaires). Par ailleurs, dans ce même communiqué du 8 décembre 2011, le Conseil des gouverneurs décidait également d’abaisser le taux des réserves obligatoires, qui était de 2 % depuis la création de la BCE, à 1 %. En outre, le 6 octobre 2011, la BCE a lancé un deuxième programme d’achats d’obligations bancaires sécurisées (CBPP2) pour un montant de 40 milliards d’euros. Ce programme s’est achevé en octobre 2012. Il devait, d’une part, contribuer à faciliter les conditions de financement des établissements bancaires et des entreprises et, d’autre part, encourager les premiers à maintenir et étendre leurs prêts au secteur privé. Au terme de ce programme, la BCE a acheté pour 16 milliards d’euros de titres sur les marchés primaires et secondaires entre novembre 2011 et octobre 2012. Ce programme fait suite au Securities market programm (SMP) lancé en 2010 et qui consistait en un achat d’obligations, principalement de titres de dettes publiques, pour un montant de 220 milliards d’euros dont la moitié concerna des titres de la dette de l’État italien. Le 25 mars 2014, Jens Weidmann, président de la Bundesbank, a reconnu que la mise en œuvre d’un programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pouvait être envisagée dans le cadre européen pour faire face au risque présent de déflation. La question qui se pose alors est celle du type d’actifs qui feraient l’objet d’un rachat par la BCE. Celle-ci peut choisir de s’engager dans l’achat d’actifs risqués afin de faire baisser les primes de risque et ainsi de faciliter le financement des économies. Mais il n’est pas évident qu’elle accepterait une telle dégradation de son bilan qui pourrait remettre en cause la qualité de l’euro et ainsi se répercuter sur la situation macroéconomique des pays de la zone. L’autre possibilité pour la Banque centrale européenne est de procéder à une augmentation de la liquidité en achetant des actifs sans risques, comme des titres de dettes publiques des pays du cœur de la zone euro. Dans ce cas, il est néanmoins possible que la liquidité injectée par la BCE soit utilisée pour acheter des actifs risqués, comme ce fut le cas pour les programmes mis en œuvre après 50. Il s’agit des termes utilisés par la BCE pour annoncer l’élargissement (« supplémentaires ») des titres que pouvaient accepter en garantie les banques centrales nationales. Ces titres étaient des créances privées à niveau de risque mesuré (« performantes ») comme les prêts bancaires. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 91 la crise des subprimes aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon51. In fine, comme dans le cas de rachat d’actifs risqués, le résultat est d’aboutir à une baisse des primes de risque sur les actifs risqués. Cependant, quelle que soit l’option retenue par la Banque centrale européenne, la réalisation d’un programme de quantitative easing n’est pas sans risques. Ainsi, Patrick Artus52 relève que, quel que soit le choix réalisé par la BCE (achats de titres risqués ou non risqués), la contraction des primes de risques sur les actifs risqués pourrait pousser les investisseurs à rechercher des rendements plus élevés sur des actifs encore plus risqués. Et si la Banque centrale européenne retenait l’option de l’achat de titres de dettes publiques sans risques, la baisse des rendements sur ces titres pourrait éloigner les investisseurs. Enfin, Laurent Clerc et Robert Raymond53 insistent sur la stratégie de communication menée par la BCE autour de la conduite de sa politique monétaire. Ainsi, depuis juillet 2013, elle livre publiquement des informations sur la trajectoire future de ses taux directeurs, pratiquant ainsi de la forward guidance54. En effet, après sa réunion du 4 juillet 2013, elle a annoncé qu’elle « prévoyait que les taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale européenne resteraient à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas sur une période prolongée. Cette modification [était] fondée sur le maintien à moyen terme de perspectives d’inflation globalement modérées, compte tenu de la faiblesse généralisée de l’économie et de l’atonie de la dynamique monétaire ». Cette forward guidance doit permettre d’ancrer les anticipations de taux d’intérêt nominaux à des niveaux faibles et ainsi conduire à une détente des conditions monétaires réelles dans l’économie. En réduisant l’incertitude pesant sur l’évolution future du taux d’intérêt, la planification de décisions économiques par les agents du secteur privé est améliorée. L. Clerc et R. Raymond estiment que la forward guidance a un effet positif sur les marchés financiers et qu’elle améliore les conditions de financement dans la zone euro. Le 6 février 2014, Mario Draghi55, président de la BCE, a affirmé vouloir « fermement réitérer » cette stratégie, 51. Patrick Artus, « Les défis pour les banques centrales après la crise », op. cit. 52. Ibid. 53. Laurent Clerc et Robert Raymond, « Les banques centrales et la stabilité financière : nouveau rôle, nouveau mandat, nouveaux défis ? », op. cit. 54. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2014. « Cet outil consiste à guider les anticipations des investisseurs sur l’évolution des prix à moyen et long termes, à l’aide d’une communication active sans pour autant passer nécessairement à l’acte. Une politique de forward guidance sert à améliorer la transparence de la politique monétaire afin d’encourager l’investissement et la consommation. » (« BCE : l’émergence du forward guidance à l’européenne ? », La Tribune, 5 juillet 2013). Pour les fondements théoriques d’une telle stratégie, on pourra se reporter à Gauti B. Eggertsson, Michael Woodford, « Optimal Monetary Policy in a Liquidity Trap », NBER Working Paper Series, n° 9968, septembre 2003. 55. Mario Draghi, « Introductory Statement to the Press Conference », Banque centrale européenne, Francfort, 6 février 2014. 92 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ajoutant que les taux d’intérêt resteraient « à leur niveau actuel ou à un niveau plus faible pour une période de temps prolongée ». Au total, concernant l’ensemble des mesures de politique monétaire conventionnelles et non conventionnelles mises en place par la BCE au cours des années 2011 et 2012, la Banque de France56 considère qu’elles « ont permis d’apporter un matelas de liquidité très conséquent et stable aux établissements de crédit, de limiter les risques de credit crunch, de remédier aux graves distorsions affectant les marchés des obligations d’État et de contribuer à rétablir une transmission plus efficace de la politique monétaire ». ■ Les caractéristiques de la forward guidance de la BCE « On peut distinguer quatre catégories de forward guidance : (1) Les indications purement qualitatives n’ont ni dates de fin, ni seuils explicites fournissant des informations relatives à l’évolution probable des taux d’intérêt directeurs dans le futur, ni références explicites à une configuration de conditions sousjacentes, y compris en termes d’objectifs de la politique monétaire, qui justifieraient cette évolution. […] (2) Les indications qualitatives conditionnées par une description sont des déclarations qualitatives concernant l’évolution probable des taux d’intérêt complétées par la description d’une combinaison de conditions macroéconomiques dans lesquelles l’orientation de la politique monétaire devrait s’exercer. […] (3) Les indications s’appuyant sur un calendrier comportent un engagement conditionnel reposant sur une date explicite après laquelle une modification de l’orientation de la politique monétaire est attendue. […] (4) Les indications fondées sur des résultats assorties de conditions chiffrées ou de seuils explicites qui relient les actions de la banque centrale à un ensemble de variables économiques observées ou projetées. […] L’approche de la BCE peut être analysée comme une forme d’orientation qualitative s’appuyant sur une description, puisqu’elle communique l’orientation probable de la politique par le biais d’une déclaration qualitative dénuée de relation explicite à une date de fin ou à des seuils chiffrés. […] Elle repose sur plusieurs caractéristiques : (1) L’anticipation du Conseil des gouverneurs relative aux taux directeurs se fonde sur le maintien à moyen terme de perspectives d’inflation modérées, conformément à l’objectif premier de la BCE de […] maintenir l’inflation à un niveau inférieur à, mais proche de 2 % à moyen terme. (2) La référence de la BCE à “une période prolongée” dans sa formulation de la forward guidance constitue un horizon souple, qui ne fixe pas de date de fin prédéterminée et n’est pas relié à des seuils quantitatifs explicites. […] 56. Banque de France, Politique monétaire, stabilité financière et soutien à l’économie, rapport annuel 2012, p. 25. L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ❮ 93 (3) La forward guidance de la BCE est complétée par la description des conditions sous-jacentes sur lesquelles se fondent les anticipations du Conseil des gouverneurs relatives aux taux d’intérêt directeurs de la BCE. Ces conditions reflètent l’approche stratégique de la BCE quant à l’évaluation des risques pesant sur la stabilité des prix. La stratégie de politique monétaire de la BCE ne distingue pas d’indicateurs spécifiques, mais repose sur un cadre analytique diversifié, exhaustif et robuste, l’évaluation du Conseil des gouverneurs concernant les perspectives de stabilité des prix tenant compte de nombreuses variables économiques et monétaires. […] (4) La forward guidance est formulée par rapport à un ensemble de taux d’intérêt plutôt que par rapport à un taux d’intérêt unique. Cette caractéristique découle des spécificités du cadre opérationnel de la BCE, qui offre deux facilités permanentes à ses contreparties : la facilité de prêt marginal et la facilité de dépôt. Au sein de ce cadre opérationnel, des indications concernant l’ensemble des taux directeurs sont nécessaires afin de mieux aligner les anticipations du marché relatives à l’orientation future de la politique monétaire sur l’orientation souhaitée. […] (5) La BCE a commencé de formuler la forward guidance avant d’avoir épuisé la marge de manœuvre pour de nouvelles baisses des taux. Cette approche contraste avec la pratique consistant à l’utiliser à la borne inférieure des taux d’intérêt : en effet, il est plus efficace d’y avoir recours avant d’atteindre ce taux plancher. » Source : Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2014, p. 72-75. Dans un communiqué de presse daté du 5 juin 2014, afin de renforcer une nouvelle fois le soutien à l’activité de prêt en faveur de l’activité réelle, la BCE a annoncé de nouvelles mesures de politique monétaire. Elle a ainsi décidé de mettre en place une série d’opérations ciblées de refinancement à plus long terme, sur une période de deux ans, afin de renforcer l’octroi de crédits bancaires au secteur privé non financier (à l’exclusion des prêts au logement). Deux de ces opérations, qualifiées de Targeted longer-term refinancing operations (TLTRO), sont prévues en septembre et décembre 2014. Puis, de mars 2015 à juin 2016, des montants supplémentaires pourront être empruntés à travers une série de TLTRO effectuées trimestriellement. Ces opérations devront arriver à échéance en septembre 2018, sauf pour celles qui ne participeront pas suffisamment à l’activité de prêt au secteur privé, c’est-à-dire celles dont les prêts au secteur privé non financier de la zone euro (à l’exclusion des prêts au logement) seront inférieurs à la valeur de référence comprise entre le 1er mai 2014 et le 30 avril 2016, qui devront être remboursées en septembre 2016. Par cette disposition, la préoccupation du financement de la sphère réelle apparaît comme primordiale. En s’appuyant sur l’indice des conditions financières construit par Bloomberg, Christian Bordes57 étudie et met en relation les évolutions des poli- 57. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », op. cit. 94 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE tiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles menées par la Banque centrale européenne et les conditions financières dans la zone euro. Ses observations l’amènent à conclure que les mesures de politique monétaire ont agi favorablement sur les conditions de financement en les ramenant vers la normale chaque fois qu’elles se détérioraient, comme ce fut le cas après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, qui amena l’indice à son plus bas niveau historique, ou lors de la crise de la dette souveraine. * ** Pour conclure, force est de constater que la préoccupation du financement de l’économie par la politique monétaire s’est affirmée depuis la crise financière de 2007 et constitue aujourd’hui un enjeu majeur. À l’objectif prioritaire de stabilité des prix, la BCE est venue ajouter des objectifs en termes de soutien à l’activité économique et de stabilité financière qui se sont notamment traduits en pratique par la mise en œuvre de politiques monétaires non conventionnelles pour venir remédier aux défaillances des politiques traditionnelles. Si cette modification de la conduite de la politique monétaire a indéniablement eu des effets positifs dans un contexte de crise économique marquée, permettant de favoriser la consommation au détriment de l’épargne, son impact sur la croissance demeure encore aujourd’hui limité. La très forte baisse des prix du pétrole observée depuis l’été 2014 pourrait en outre complexifier sa mise en œuvre et en limiter les effets les plus favorables en faisant planer le spectre de la déflation, synonyme de baisse durable des prix. Nullement positive, celle-ci conduit en effet les agents économiques à reporter l’acte de consommation, dans l’attente de prix toujours plus bas, ce qui génère un effet dépressif sur l’activité économique et condamne la mise en œuvre d’une politique monétaire expansionniste. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 95 ❯ Chapitre 4 Le financement de l’innovation, pivot des politiques de soutien à la croissance économique Parmi les variables-clés reconnues pour avoir une incidence forte sur la croissance économique et l’emploi, l’innovation occupe une place essentielle. Derrière cette affirmation repose l’idée que l’activité de recherche contribue à l’apparition d’innovations qui vont stimuler la compétitivité d’une économie et, consécutivement, favoriser la croissance. Joseph Schumpeter1 avait ainsi montré comment l’innovation redessinait les cartes du jeu capitaliste sous l’influence du processus de « destruction créatrice » : en phase de récession économique, certains entrepreneurs sont incités à innover pour faire face à une concurrence accrue et à la réduction de leurs profits. En cas de succès, ils bénéficient alors d’un monopole temporaire, puis sont imités dans la phase de croissance économique. À terme, la saturation du marché et l’obsolescence des produits conduisent, dans une logique cyclique, à la disparition des entreprises qui n’ont pas su se renouveler, au profit de nouvelles, porteuses d’innovations et de progrès technique. L’idée qu’une innovation remplace nécessairement une autre et que le pouvoir de marché des entreprises en place est contesté par de nouvelles entreprises innovantes a depuis été remise en cause, mais la résonance de l’approche schumpétérienne demeure2. Comme le souligne le rapport Beylat-Tambourin3, l’innovation, concept plus large que le seul progrès technique, demeure complexe à définir. Joseph Schumpeter distingue ainsi 5 formes d’innovation : de produits, de procédés, de modes de production, de débouchés et de matières premières. 1. Joseph Alois Schumpeter, Théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture, Dalloz, Paris, 1935 ; Capitalisme, socialisme et démocratie. La doctrine marxiste. Le capitalisme peut-il survivre ? Le socialisme peut-il fonctionner ? Socialisme et démocratie, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1942. 2. Pour une présentation détaillée du traitement de l’innovation dans les théories de croissance endogène, le lecteur pourra se référer utilement à Patricia Crifo-Tillet, « L’analyse de l’innovation dans les modèles de croissance endogène », Revue française d’économie, vol. 14, n° 2, 1999, p. 189-221. 3. Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin, L’innovation : un enjeu majeur pour la France. Dynamiser la croissance des entreprises innovantes, Ministère du Redressement productif-Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avril 2013. 96 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Si l’on se réfère, en revanche, au manuel d’Oslo de l’OCDE, « principale source internationale de principes directeurs en matière de collecte et d’utilisation d’informations sur les activités d’innovation » selon l’Insee, quatre formes distinctes d’innovation sont plus récemment reconnues : de produit ou de prestation lorsqu’elle concerne la création d’un produit ou d’un service nouveau, de procédé lorsqu’elle implique l’apparition de nouvelles techniques de production ou de service, d’organisation et de marketing. Bien que le concept d’innovation fasse souvent référence à celle ayant une visée technologique, d’autres formes doivent ainsi être prises en compte, qu’elles soient, par exemple, organisationnelles ou sociales. Il est également commun de distinguer l’innovation de rupture de celle incrémentale, qui vise à améliorer un produit ou un procédé existant. D’un point de vue opérationnel, ces différentes segmentations peuvent cependant se révéler difficiles à établir. Comme le rappellent Laurent Martel et Alexis Masse4, « la frontière entre développement expérimental et ingénierie peut être délicate à apprécier, en particulier lorsque l’aléa technologique porte sur l’assemblage de modules qui, pris séparément, utilisent des technologies déjà connues ». Quelle qu’en soit la nature, l’incidence forte de l’innovation sur la croissance économique la place logiquement au cœur de l’action publique. Comme le rappelle en effet l’OCDE5, « le rôle essentiel de l’innovation dans la croissance économique et l’augmentation du bien-être est aujourd’hui largement reconnu. Des entreprises et des institutions publiques fournissent des produits nouveaux qui accroissent le niveau de vie des consommateurs et permettent des créations d’emploi. En vue de soutenir ce processus, les autorités publiques visent à maintenir un cadre général propice à l’innovation et investissent dans des institutions spécifiques qui peuvent faciliter celle-ci ». Consciente de la nécessité de relancer sa croissance économique après la crise financière de 2007, la France s’est donc logiquement engagée, à l’instar de nombreux pays, dans une politique de soutien fort à l’innovation. Initialement appelée le « grand emprunt », puis programme d’« investissements d’avenir » (PIA, voir l’encadré ci-après) par la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, elle repose sur sept axes stratégiques identifiés par la Commission Juppé-Rocard6 : 4. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, n° 2010M-035-02, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi-Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État, septembre 2010, p. 30. 5. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE des politiques d’innovation : France, version préliminaire, 2014, p. 17. 6. Michel Rocard et Alain Juppé, Investir pour l’avenir. Priorités stratégiques d’investissement et emprunt national, Présidence de la République, novembre 2009. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 97 – l’émergence de pôles universitaires d’excellence pouvant se positionner sur l’échiquier mondial de la formation et de la recherche ; – le soutien à la recherche fondamentale et aux transferts de technologie ; – le développement des PME et des ETI innovantes ; – le soutien au développement durable, faisant de la transition énergétique un nouveau modèle de croissance, plus durable ; – l’émergence d’un cadre urbain axé sur le développement durable et l’économie d’énergie ; – le développement de l’économie numérique ; – le renforcement du positionnement de la France sur le secteur de la santé et des biotechnologies. La coordination des différents acteurs étatiques engagés dans le PIA est assurée par le Commissariat général à l’investissement (CGI), institué par le décret n° 2010-80 du 22 janvier 2010. ■ État d’avancement général du Programme d’investissements d’avenir (PIA) à fin juillet 2014 « Depuis 2010, on comptabilise 125 appels à projets lancés, 4 851 projets déposés et 4 guichets ouverts chez Bpi, l’Anah et l’ASP [1]. 1 479 projets ont été sélectionnés et plus de 2 300 entreprises sont soutenues par des outils développés et financés par le PIA. – 1 695 projets ont été déposés dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la formation. La plupart des appels à projets sont clos et contractualisés. Il reste la formation professionnelle en alternance et la culture scientifique et technique, qui consommeront leur enveloppe en 2014 ; – dans le domaine du numérique, on compte 1 056 projets déposés et 260 projets sélectionnés pour 32 appels à projets clos. Les projets numériques sélectionnés dans le cadre de la vague 3 (Big Data et Logiciel embarqué) terminent leur contractualisation. Les sélections des appels à projets “Cœur de filière R & D” et “Territoires de soins numériques” ont débuté courant 2014, ainsi que le guichet “Prêts numériques” ; – le développement durable représente 347 projets reçus et 139 projets sélectionnés ; – quant aux projets concernant la priorité Industrie & PME, 1 753 ont été déposés et 407 sélectionnés, comprenant notamment les nouvelles actions “Prêts à l’industrialisation des pôles de compétitivité” et le “Concours mondial de l’innovation” ». « Les montants contractualisés s’élevaient à […] 25,8 milliards d’euros à fin juillet 2014. » [1] Bpi : Banque publique d’investissement ; Anah : Agence nationale de l’habitat ; ASP : Agence de services et de paiement (NDE). Source : Rapport relatif à la mise en œuvre et au suivi des investissements d’avenir, Annexe au projet de loi de finances pour 2015, pp. 9 et 11. 98 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE En avril 2013 est également instituée la Commission innovation 2030 sous la présidence d’Anne Lauvergeon, ex-PDG du groupe nucléaire français Areva, dont la vocation est d’extraire du contexte économique et démographique mondial, des stratégies de croissance pour l’économie française. Sept ambitions sont ainsi définies : le stockage de l’énergie ; le recyclage des métaux ; la valorisation des richesses marines ; les protéines végétales et la chimie du végétal ; la médecine individualisée ; l’innovation au service des personnes seniors ; la valorisation des données massives (Big data). S’inspirant des initiatives américaines, britanniques, allemandes ou japonaises, la France a enfin défini, en mai 2013, un agenda stratégique pour la recherche, le transfert et l’innovation, nommé « France Europe 2020 », dont « l’enjeu est de permettre à la recherche française, dans toute sa diversité, de mieux répondre aux grands défis scientifiques, technologiques, économiques et sociétaux des décennies à venir »7. Dans un contexte de contraintes budgétaires affirmées, la question du financement de l’innovation est essentielle. Il s’agit en cela d’identifier les acteurs publics et privés qui sont directement ou indirectement vecteurs de progrès technique et de soutenir leur activité de recherche et leur effort de recherche et développement (R & D). Comme le souligne James March8, « l’innovation technologique radicale résulte de l’articulation entre, d’une part, des activités d’exploration qui permettent de combiner des connaissances existantes afin d’en créer de nouvelles dans lesquelles va s’ancrer l’innovation radicale et, d’autre part, des activités d’exploitation qui permettent l’industrialisation et la commercialisation de cette innovation ». Du centre de recherche d’une université à l’entreprise, un continuum d’acteurs est ainsi impliqué (tableau 12). Dans la mise en œuvre de l’innovation, le rôle de l’entrepreneur est ici central, car c’est lui qui, dans une perspective schumpétérienne, assume le risque de l’innovation en contrepartie d’éventuels surprofits. La théorie économique s’est, dès lors, interrogée sur les conditions nécessaires pour que cet effort d’innovation subsiste et alimente la croissance. Alors que Schumpeter considérait que seule la structure de marché monopolistique était de nature à encourager les efforts en matière de recherche et développement, certaines théories plus récentes, dites de « croissance endogène », réconcilient concurrence et paradigme schumpetérien9. 7. Présentation de l’agenda stratégique pour la recherche, le transfert et l’innovation, discours de Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le 31 mai 2013. 8. James G. March, « Exploration and Exploitation in Organizational Learning », Organization Science, vol. 2, n° 1, février 1991, p. 71-87, cité in Michel Ferrary, « Les capital-risqueurs comme “transiteurs” de l’innovation dans la Silicon Valley », Revue française de gestion, vol. 35, n° 190, 2009, p. 179-196 (p. 180). 9. Philippe Aghion, Peter Howitt, « Market Structure and the Growth Process », Review of Economic Dynamics, vol. 1, n° 1, janvier 1998, p. 276-305. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 99 Tableau 12. Le modèle linéaire classique de l’innovation Idées Prototype Produit Acteur Chercheur Inventeur Entrepreneur Activité Recherche Développement Production État Capital-amorçage Capital-risque Financement Source : Patrice Noailles, « De l’innovation à l’innovateur. Pour une approche structuraliste de l’innovation », La Revue des sciences de gestion, nos 247-248, janvier-avril 2011, p. 13-28 (www.cairn.info/revue-des-sciences-degestion-2011-1-page-13.htm). Le rôle de l’acteur public y est consacré car certaines des mesures que celui-ci peut mettre en œuvre sont de nature à préserver les incitations à l’effort de R & D privé, qu’il s’agisse d’un système de brevets ou de la subvention/taxation des activités de recherche. La dynamisation de cet effort est, par ailleurs, intimement liée à la question du financement des PME, qui sont traditionnellement reconnues pour être vectrices d’innovations : on notera à cet égard que, « entre 2003 et 2010, le montant des aides publiques servant à financer la recherche et développement […] des entreprises a augmenté de plus de 150 %, et même de 300 % pour les petites et moyennes »10. Comme le rappellent Paul Cahu et alii 11, « en l’absence d’intervention publique, les mécanismes de marché ne permettent pas d’atteindre le niveau socialement optimal d’investissement en R & D12. L’État a donc vocation à intervenir pour compenser la part de la valeur ajoutée que l’entreprise ne peut s’approprier (et qui pourrait conduire à ne pas engager certains projets) ». La capacité des pouvoirs publics à drainer l’épargne des ménages vers ces entreprises et, plus globalement, à soutenir le secteur dit du capital-investissement ou private equity, est alors essentielle. 10. Vincent Dortet-Bernadet et Michaël Sicsic, « Aides à la R & D pour les petites entreprises », Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, coll. « Insee Références », 2014, p. 27-41 (p. 27). 11. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme 2008 du crédit d’impôt recherche », Revue économique, vol. 61, 2010/2, p. 313-339. 12. Paul M. Romer, « Endogenous Technological Change », Journal of Political Economy, vol. 98, n° 5, 2e partie, octobre 1990, p. S71-S102. 100 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE L’innovation en France : un état des lieux La diversité des formes d’innovation et la complexité de leurs mesures amènent, en fonction de l’indicateur retenu, à des résultats contrastés sur le positionnement de la France dans la course mondiale à l’innovation. Ainsi, selon le Global Innovation Index établi par l’Insead (Institut européen d’administration des affaires), Cornell University et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), la France se situait au 22e rang des pays les plus innovants en 2014, tandis que huit entreprises françaises figuraient cette année-là dans le classement Forbes des entreprises les plus innovantes au monde (The World’s Most Innovative Companies), faisant de l’Hexagone le deuxième pays le plus représenté, derrière les États-Unis. Si l’on se réfère au Top 100 Global Innovators proposé par l’agence d’information Thomson Reuters, la France se hissait, en 2014, au troisième rang mondial derrière les États-Unis et le Japon. Les données de l’enquête communautaire sur l’innovation13 offrent, à l’inverse, un constat beaucoup plus mitigé : elles révèlent en effet que le chiffre d’affaires lié à l’innovation des entreprises françaises14 était, en 2010, supérieur à celui de la moyenne des pays européens, mais restait inférieur à celui de pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Le poids de l’histoire Il faut, pour comprendre comment l’innovation est structurée en France, s’intéresser aux spécificités du système français de recherche et d’innovation (SFRI). Celui-ci consacre en effet un rôle essentiel aux acteurs publics, pour des raisons avant tout historiques et stratégiques. L’examen réalisé par l’OCDE sur les politiques d’innovation en France est sur ce point explicite15 : « Le SFRI a été structuré dans les années 1950-1970 comme un système largement administré et centré sur l’État : les grandes entreprises publiques, en général en position de monopole (transports publics, électricité, télécoms, etc.), constituaient les débouchés ; les organismes publics de recherche géraient les aspects technologiques ; d’autres grandes entreprises publiques opéraient l’innovation et la production. Les choix stratégiques et l’allocation des ressources se décidaient au niveau de l’État, qui privilégiait les secteurs jugés les plus importants pour le déve13. Commission européenne, Tableau de bord de l’Union de l’innovation 2014, 2014. 14. Défini comme le ratio en pourcentage entre, d’une part, le chiffre d’affaires provenant de produits nouveaux pour l’entreprise et pour les marchés et, d’autre part, le chiffre d’affaires total. Il est fondé sur les résultats de l’enquête communautaire sur l’innovation et couvre au minimum toutes les entreprises de 10 salariés et plus. 15. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE des politiques d’innovation : France, op. cit., p. 29. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 101 loppement du pays, mais aussi pour sa sécurité/défense. » Dans ce système, différentes institutions doivent être distinguées selon la nature des missions qui leur sont confiées : l’orientation de la politique de recherche et d’innovation, la programmation, notamment budgétaire, l’évaluation et la recherche proprement dite. Cette dernière mission est assumée en France par des structures opérationnelles pouvant avoir quatre statuts distincts : – des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; – des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), au premier rang desquels les universités, les grands établissements tels que le Collège de France ou le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), les écoles normales supérieures (ENS), les écoles centrales ; – des établissements publics à caractère administratif (EPA), tels que les écoles nationales supérieures d’ingénieurs (Ensi) ou les instituts d’études politiques ; – certains établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic), comme le Centre national d’études spatiales (Cnes), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ou le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Ces institutions peuvent agir seules ou de concert, grâce à la formation d’alliances, à l’image de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (Ancre), créée le 17 juillet 2009 et ayant pour membres fondateurs le CEA, le CNRS et l’Institut français du pétrole (IFP). Alors que ce système apparaissait bien adapté aux années 1950-1970 et permit à la France de rattraper son retard technologique en se positionnant sur des programmes industriels innovants d’envergure (Airbus, programme Ariane, nucléaire), il perdit progressivement de sa pertinence lorsque le contexte macroéconomique et l’environnement concurrentiel international évoluèrent. La structuration de l’effort de R & D s’ajusta en conséquence afin de soutenir les initiatives privées et la recherche partenariale, à l’image des pôles de compétitivité, créés en 2005, dont une des vocations est de favoriser les synergies en matière de recherche entre les secteurs public et privé. Politique de recherche Politique d’éducation EPST, EPSCP, Epic, EPA Sciences et technologie Le schéma français de recherche et d’innovation Figure 7. État/Régions Politique de transfert Transferts de technologie Ressources humaines Croissance économique Politique d’innovation Innovation Politique d’entrepreneuriat Source : d’après Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE des politiques d’innovation : France, version préliminaire, 2014. Entreprises 102 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 103 Si l’on se réfère aux données du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), la dépense nationale de recherche et développement (DNRD), représentant l’activité de R & D réalisée par les administrations et entreprises françaises, en France et à l’étranger, a non seulement fortement augmenté, passant de 26 milliards d’euros en 1992 à plus de 48 milliards en 2012 (figure 8), mais a également changé de nature : en 1981, plus de 57 % de la DNRD était assurée par les administrations publiques, contre « seulement » 41,2 % en 2011 (voir tableau 14 ci-après). Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses intérieures de recherche et développement (DIRD), représentant cette fois l’effort de recherche et développement réalisé sur le territoire national, une dynamique similaire s’observe, avec un accroissement de la contribution du secteur privé, qui atteint 64 % en 2011. Comme en témoigne le tableau 14, et contrairement à la DNRD, la part des administrations est, en revanche, toujours demeurée, de 1981 à 2011, inférieure à celle du privé. Figure 8. Évolution de la dépense nationale de recherche et développement (DNRD) (2000-2012) (en millions d’euros) 2012 2011 (7) 2010 (6) 2009 (5) 2008 2007 2006 (4) 2005 (3) 2004 (2) 2003 2002 2001 2000 19 600 19 111 19 172 18 850 19 324 17 990 17 545 16 921 16 239 15 891 15 677 14 673 14 272 0 28 800 27 311 25 668 24 561 22 866 22 116 21 193 19 733 19 088 18 505 19 082 18 897 17 166 48 400 46 422 44 841 43 411 42 190 40 106 38 738 36 654 35 327 34 395 34 759 33 570 31 438 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 40 000 45 000 50 000 DNRD par les administrations (1) DNRD par les entreprises (1) Administrations publiques et privées (État, enseignement supérieur et institutions sans but lucratif). (2) Résultats 2004 révisés, révision juin 2008. (3) Résultats des entreprises révisés en juillet 2008. (4) À partir de 2006, les entreprises employant moins de 1 chercheur en équivalent temps plein sont incluses dans les résultats. (5) Données révisées selon la méthodologie utilisée en 2010. (6) Changements méthodologiques pour l’estimation des administrations, données définitives. Les moyens consacrés à la R & D des ministères et de certains organismes publics ont fait l’objet d’une nouvelle méthode d’évaluation qui a conduit à mieux distinguer leur activité de financeur. (7) Données semi-définitives. Sources : Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. 47 indicateurs, avril 2014, annexe A2 et, pour l’année 2012, Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, coll. « Insee Références », 2014, p. 135. 104 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Figure 9. Évolution de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) (2000-2013) 2013 (p) 1,44 0,79 2,23 2012 1,44 0,79 2,23 2011 1,4 2010 2009 (r) 0,79 2,19 1,37 0,8 2,18 1,36 0,79 2,15 2008 1,29 2007 1,27 2006 (r) 1,29 0,76 2,05 2005 1,27 0,77 2,04 2,06 0,77 2,02 0,75 2004 1,32 0,77 2,09 2003 1,32 0,79 2,11 2002 1,37 0,8 2,17 2001 1,35 0,78 2,13 2000 1,3 0 0,25 0,5 0,75 2,08 0,78 1 1,25 DIRD des entreprises 1,5 1,75 2 2,25 DIRD des administrations (p) Prévision. (r) Ruptures de série : à partir de 2006, les entreprises employant moins de 1 chercheur en ETP sont incluses dans les résultats. À compter de 2009, les dépenses de R & D des ministères et de certains organismes publics financeurs de R & D font l’objet d’une nouvelle méthode d’estimation. En raison des arrondis, le total peut différer de la somme des éléments qui le composent. En raison du changement méthodologique intervenu sur le calcul du PIB, les dépenses intérieures de R & D exprimées en % du PIB ont été révisées sur l’ensemble de la période. Source : Christophe Dixte et Anna Testas, « Dépenses de recherche et développement en France en 2012. Premières estimations pour 2013 », Note d’information-Enseignement supérieur & Recherche, n° 14.07, août 2014, p. 1. Tableau 13. Évolution de la DIRD (1981-2012) (en %) et part de la DIRD dans le PIB (en %) 1981 1985 1990 1995 2000 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Évolution de la DIRD en volume 9,7 4,4 6,5 0,8 3,2 -0,4 2,4 1,1 1,9 3,6 3,1 2,3 0,6 Ratio DIRD/PIB 1,9 2,2 2,3 2,3 2,2 2,1 2,1 2,1 2,1 2,3 2,2 2,2 2,3 Source : Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. 47 indicateurs, avril 2014, p. 61. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 105 En pourcentage du PIB, la DIRD française atteint 2,3 % en 2012 (tableau 13), en progression depuis 2007. Avant cette date, deux tendances peuvent être distinguées : de 1981 à 1993, où l’effort de R & D croît en moyenne de 0,04 point de PIB par an, et de 1993 à 2008, où la DIRD passe de 2,36 % à 2,14 % du PIB16. Le taux de croissance de la DIRD, bien que souvent positif, montre ainsi une forte variabilité depuis 1981. On remarque nettement, dans la répartition de la DIRD publique, le rôle stratégique joué par l’enseignement supérieur et le CNRS, qui représentaient à eux seuls 58 % des dépenses en 2012, en hausse de 31,7 % depuis 2006, contre à peine 1 % pour les autres établissements publics et services ministériels. Si l’on s’intéresse à la DIRD privée, l’essor de l’activité de recherche réalisée par les entreprises se confirme, quel que soit l’indicateur statistique retenu. En effet, le nombre de chercheurs est resté relativement stable dans le secteur public, soit plus de 140 000 personnes en 2011, contre 197 000 personnes dans le secteur privé, représentant plus de 58 % du total des effectifs. Tableau 14. Évolution de la répartition de l’effort de recherche et développement (1981-2011) (en % du montant total de DIRD ou de DNRD) Type de R & D 1981 1991 2001 2011 DIRD des entreprises 58,92 61,48 63,19 63,88 DIRD des administrations 41,08 38,52 36,81 36,12 DNRD des administrations 57,67 53,35 43,71 41,17 DNRD des entreprises 42,33 46,65 56,29 58,83 Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous-direction des Systèmes d’information et Études statistiques (SIES), Pôle Recherche. En conclusion, force est de constater que, depuis le milieu des années 2000, le SFRI a entamé une importante mutation, donnant au secteur privé un rôle stratégique, en constante progression. Consacrant, en 2011, 2,5 % de son PIB à l’innovation, la France occupe désormais une place intermédiaire dans le classement des pays les plus innovants en Europe et dans le monde. Ceci est néanmoins inférieur à l’objectif fixé lors du Conseil européen de Barcelone de mars 2002, qui devait voir la DIRD atteindre le seuil de 3 % du PIB à l’horizon 2010. 16. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme 2008 du crédit d’impôt recherche », op. cit. 106 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Tableau 15. Évolution de la répartition de la DIRD publique (2006-2012) (en millions d’euros) Secteurs institutionnels Établissements publics et services ministériels (hors CNRS) 2006 2007 2008 2009* 2010 2011 2012* 6 254 6 427 6 564 5 909 6 093 6 249 6 310 Enseignement supérieur (y c. CNRS) 7 279 7 663 8 228 8 911 9 380 9 450 9 583 Institutions sans but lucratif 461 461 513 512 541 563 572 13 994 14 550 15 305 15 332 16 014 16 262 16 465 Total * Données provisoires. Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous-direction des Systèmes d’information et Études statistiques (SIES), Pôle Recherche. L’innovation aujourd’hui La France, située au onzième rang des pays de l’Union européenne (UE27) en 2014, ne se place pas, en effet, dans le peloton de tête des pays innovants (tableau 16) : le tableau de bord de l’Union de l’innovation pour la recherche et l’innovation établi par la Commission européenne montre en effet que la France appartient à la catégorie des pays « innovateurs suiveurs », à l’instar du Royaume-Uni ou des Pays-Bas, alors que l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et la Suède affirment leur leadership dans ce domaine. Tableau 16. Positionnement stratégique des pays de l’Union européenne en matière d’innovation Innovateurs modestes Innovateurs modérés Innovateurs suiveurs Leaders de l’innovation Bulgarie, Lettonie et Roumanie Croatie, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lituanie, Malte, Pologne, Portugal, République tchèque et Slovaquie Autriche, Belgique, Chypre, Estonie, France, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Slovénie Allemagne, Danemark, Finlande et Suède Source : Commission européenne, Innovation Union Scoreboard 2014, p. 5. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 107 Reposant sur une diversité d’indicateurs permettant d’évaluer la performance non seulement des outils (ressources humaines, systèmes de recherche ouverts, financements), des activités (investissements, collaborations, proportion de PME ayant une activité d’innovation au sein des petites et moyennes entreprises nationales, dépôts de brevet), mais également des résultats de l’innovation (proportion de petites et moyennes entreprises ayant mis sur le marché un produit ou expérimenté un process nouveau en pourcentage du nombre total de PME, emploi dans les secteurs technologiques…), l’analyse de la Commission européenne met en évidence les forces et les faiblesses relatives de la France dans ce domaine. Alors que le système de recherche apparaît bon (niveau des co-publications internationales élevé, tout comme le nombre d’étudiants non européens réalisant une thèse sur le sol hexagonal), le dynamisme entrepreneurial semble en léger retrait par rapport à la moyenne européenne. La faiblesse des exportations de services à haute valeur ajoutée et celle des dépenses d’innovation non R & D pèsent également sur la performance française. L’insuffisance des marques ou modèles français d’envergure communautaire compte également parmi les points faibles de l’Hexagone. L’OCDE confirme cette analyse et montre que celui-ci est proche de la moyenne des pays membres (figure 10). Si la multiplicité des aides publiques à l’innovation des entreprises, l’existence d’un statut spécifique aux jeunes entreprises innovantes (encadré), la qualité des formations d’ingénieurs, l’excellence de certains organismes de recherche, sont reconnus par l’Organisation comme un élément moteur de l’innovation en France, plusieurs points apparaissent comme autant de contraintes pour le rayonnement de l’innovation : la fiscalité sur les entreprises, la complexité des systèmes d’aide et leur insuffisante sélectivité, la relative inefficacité des transferts de connaissance public-privé ou la rigidité du marché de travail comptent parmi celles-là. Les classements internationaux doivent cependant vraisemblablement être relativisés, en raison notamment des différences de compositions sectorielles entre pays. Comme le souligne un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF)17, « si la France possédait la même structure industrielle que les États-Unis, sa DIRDE [dépense intérieure de recherche et développement des entreprises] dépasserait la DIRDE américaine en proportion du PIB ». Au-delà des comparaisons internationales, l’étude de la physionomie des entreprises innovantes en France menée par l’Insee met sans surprise en évidence le fait que les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont le secteur économique où l’on innove le plus : 71 % des entreprises évoluant dans ce secteur ont en effet innové sur la 17. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit., p. 6. 108 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE période 2008-2010, contre seulement 40 % dans ceux de la construction ou des activités de services administratifs (tableau 17)18. L’entreprise de luxe Hermès était pourtant, selon le classement Forbes évoqué précédemment, la société française jugée la plus innovante. Figure 10. La France et la concurrence mondiale en matière de R & D en 2011 (ratio DIRD/PIB) Israël Corée du Sud Finlande Japon Suède Taïwan Allemagne États-Unis** Total OCDE France Chine UE28 Royaume-Uni Canada Pays-Bas* Espagne Italie Féd. de Russie 0 0,5 1 1,5 DIRD des entreprises/PIB 2 2,5 3 3,5 4 4,5 DIRD des administrations/PIB * Données 2010. ** Dépenses en capital exclues (toutes ou en partie). Source : OCDE, Principaux indicateurs de la science et de la technologie, 2013-1. La taille des entreprises n’est également pas neutre sur l’effort de R & D puisque 80 % de celles de 250 salariés et plus sont innovantes contre 45 % pour celles ayant de 10 à 49 salariés. Si l’on se concentre sur les innovations de produits, ces chiffres chutent : seulement 9 % des entreprises de 10 à 49 salariés ont lancé un produit nouveau sur le marché contre 39 % pour les entreprises de 250 salariés et plus (tableau 17). 18. Cette domination des TIC se confirme s’agissant des innovations technologiques (v. Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, op. cit., p. 137). LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 109 Tableau 17. Les sociétés innovantes en France entre 2008 et 2010 (en %) Caractéristiques des entreprises Tous types d’innovation Innovation en produits nouveaux pour le marché De 10 à 49 salariés 45 9 De 50 à 249 salariés 63 21 39 250 salariés ou plus 80 Construction 40 4 Activités de services administratifs et de soutien 40 4 Transports et entreposage 41 4 Activités immobilières 47 5 Commerce de gros 48 10 Activités financières et d’assurance 50 11 Activités spécialisées, scientifiques et techniques 53 13 Industrie manufacturière, industries extractives et autres 56 18 Information et communication 71 34 Ensemble 49 12 Source : Insee, enquête Innovation CIS 2010, in Anthony Bouvier, « Innover pour résister à la crise ou se développer à l’export », Insee Première, n° 1420, octobre 2012, p. 1. Comme en témoigne la figure 11, l’automobile et la construction aéronautique et spatiale sont les deux secteurs d’activité qui, au sein de l’industrie, emploient le plus de chercheurs. Ils concentrent à eux seuls plus du quart des effectifs. Au sein du secteur des services, qui représente 36 % de l’emploi total des chercheurs en entreprise, les TIC ont la part belle avec plus du tiers des postes. Ce serait une erreur de voir dans la progression du secteur privé une dynamique autonome, marquant une forme de déclin de l’action publique en matière d’innovation. C’est bien au contraire en partie grâce à des politiques publiques volontaristes, le plus souvent fiscales, mais également institutionnelles, que l’engagement privé a pu se réaliser19. Comme le rappelle l’OCDE20, « accroître et dynamiser l’entrepreneuriat innovant est devenu progressivement un objectif central de la politique d’innovation de la France. L’intervention publique est extrêmement dense à tous les niveaux de la chaîne (création d’entreprise, fiscalité, financement, etc.) et semble avoir un réel impact (par exemple, les aides Oséo) ». 19. Dominique Guellec, Bruno van Pottelsberghe de la Potterie, « Does Government Support Stimulate Private R & D ? », OECD Economic Studies, n° 29, 1997/II, p. 96-122. 20. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE des politiques d’innovation : France, op. cit., p. 24-25. 110 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Figure 11. Répartition des chercheurs en entreprise industrielle par branche de recherche en 2010 (en % du nombre total de chercheurs travaillant dans l’industrie) Industrie automobile 16 Construction aéronautique et spatiale 10,9 Composants, cartes électroniques, ordinateurs, équipements périphériques 9,2 Fabrication d'instruments et appareils de mesure, essai et navigation, horlogerie 8,9 Industrie pharmaceutique 8,8 Fabrication d'équipements de communication 6,9 Fabrication de machines et équipements non compris ailleurs 5,7 Industrie chimique 4,8 Autres branches industrielles 28,9 0 5 10 15 20 25 Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, enquêtes sur la R & D auprès des entreprises. Les politiques publiques en faveur de l’innovation Il est unanimement reconnu que le financement de l’innovation en entreprise est complexe. L’effort de R & D est, en effet, une activité particulièrement risquée dans la mesure où elle est non seulement coûteuse, mais également très aléatoire : elle n’est, en cela, pas systématiquement rentable. Le financement traditionnel, reposant largement sur le crédit bancaire en France, n’est donc pas nécessairement adapté puisqu’il implique, outre un niveau de risque limité, de pouvoir payer des flux d’intérêt réguliers, associés à l’emprunt contracté. Ceci se vérifie d’autant plus que, dans le cadre d’une innovation radicale, la transformation d’une idée en prototype, puis en produit ou service commercialisé passe souvent par la création d’une entreprise. Or, ne disposant pas d’état comptable préalable et fondée sur un LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 111 produit devant créer son propre marché, l’entreprise nouvelle est souvent dans l’incapacité de répondre aux exigences qu’impose le secteur bancaire en matière de prêt. L’autofinancement et l’investissement en capital sont donc des modes de financement mieux adaptés à l’innovation. Largement mobilisé en amont du processus de création d’entreprise, l’autofinancement s’avère cependant rapidement limité lorsque l’investissement nécessaire pour transformer le prototype en produit est important, conférant alors à l’investissement en capital un rôle stratégique. Consistant avant tout à acquérir des parts dans la société nouvellement créée, ce mode de financement est un des principaux leviers du financement de l’innovation, mais il se heurte également à un certain nombre de limites, justifiant dès lors l’intervention étatique. Celle-ci peut prendre différentes formes, allant d’une politique d’incitation fiscale à la mise en œuvre de garanties publiques jusqu’à une prise de participation dans la société en question. De cette diversité, trois schémas principaux émergent : l’incitation fiscale à l’effort de R & D, l’encouragement aux partenariats publicprivé en matière de recherche et le soutien financier, direct ou indirect, aux entreprises innovantes. Tableau 18. Correctifs aux défaillances de marché en matière de R & D Imperfection de marché Instrument de politique publique Subventions/aide fiscale Externalités positives Protection des droits de propriété intellectuelle Effet recherché Rapprocher rendement social et rendement privé Avances remboursables Suppléer l’absence ou la cherté des prêts accordés aux conditions du marché Garantie d’emprunt Faire assumer par l’État tout ou partie du risque de défaillance pour en libérer le prêteur privé Soutien au capital-investissement Renforcer les fonds propres des entreprises Subvention/aide fiscale Cofinancement des projets par la puissance publique pour partager le risque Risque/asymétrie d’information Source : Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, n° 2010-M-035-02, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi-Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État, septembre 2010, p. 4. 112 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Les politiques d’incitation fiscale Afin de favoriser l’innovation et les dépenses de R & D au sein des entreprises, les autorités publiques ont, dès 1983, mis en œuvre une mesure phare : le crédit d’impôt recherche (CIR). Représentant entre 5,5 et 6,2 milliards d’euros de financement en 201421, celui-ci a vu son rôle se renforcer considérablement au cours des ans. Le rapport Gallois sur la compétitivité française22 suggère ainsi de laisser inchangé ce dispositif afin, notamment, de conforter le rééquilibrage de l’effort de R & D en faveur du secteur privé. Les bénéfices d’une telle mesure ne sont en effet que très rarement contestés : permettant de soutenir aussi bien la recherche fondamentale qu’appliquée ou que l’innovation, au travers du financement de la réalisation de prototypes, le CIR a un impact positif sur les dépenses de R & D et, consécutivement, sur la DIRD. La mesure de cet impact devient, dès lors, essentielle. ■ Le crédit d’impôt recherche (CIR) Créé en 1983 et devant être à l’origine une mesure provisoire, le crédit d’impôt recherche (CIR) accorde une réduction d’impôts aux entreprises, initialement calculée sur la base de l’accroissement des dépenses de R & D. Il est alors égal à 50 % de cet accroissement par rapport à la moyenne des dépenses des deux années précédentes et plafonné à l’équivalent de 6,1 millions d’euros par entreprise. Le crédit d’impôt obtenu est imputé sur l’impôt sur les sociétés de l’année ou, au cas où il excède l’impôt dû, est reporté sur les trois exercices suivants. Peu incitatif, il sera progressivement réformé dans les années 2000. La pérennité du CIR sera assurée en 2004, où son montant n’est plus uniquement calculé sur l’accroissement des dépenses, mais également sur leur volume (5 %). Ce rééquilibrage est réaffirmé en 2006, où le crédit d’impôt devient égal à 10 % des dépenses et à 40 % de leur accroissement. C’est cependant en 2008 que le CIR connaît sa plus grande impulsion : le calcul fondé sur l’accroissement des dépenses est abandonné, tandis que son taux est désormais de 30 % des dépenses engagées en régime normal, et de 40 % à 50 % les deux premières années suivant l’entrée dans le dispositif de l’entreprise, et ce, jusqu’à 100 millions d’euros (contre 10 millions en 2006). Un taux de 5 % est appliqué au-delà de ce seuil. Lorsque les dépenses engagées ne sont pas des dépenses de R & D au sens strict, mais d’innovation, le taux du crédit d’impôt recherche est égal à 20 % et le plafond des dépenses à 400 millions d’euros : on parle alors de crédit impôt innovation. Seules les PME, au sens communautaire (1), peuvent en bénéficier, à la différence du CIR de R & D, 21. Source : Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche, communication à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, juillet 2013, p. 9. 22. Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 113 disponible pour toutes les entreprises industrielles, commerciales ou agricoles, ainsi que les associations régies par la loi de 1901 (sous certaines conditions). La loi de finances pour 2013 modifie un certain nombre de conditions d’application du dispositif, en élargissant notamment la nature des dépenses d’innovation éligibles pour les PME, et supprime le principe des taux majorés accordés aux entreprises pour les deux premières années de recours au CIR. (1) Une PME communautaire, telle que définie par le règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008, est une entreprise qui : – occupe moins de 250 personnes ; – réalise un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou un total du bilan annuel inférieur à 43 millions d’euros. Bien que les résultats obtenus soient assez largement dépendants de son mode de fonctionnement, de la nature des dépenses éligibles et du contexte national, il apparaît, au regard des différents travaux empiriques sur cette question, que le CIR aurait, à long terme, un effet d’entraînement significatif sur la dépense privée de R & D. Si l’on s’intéresse au cas français, l’étude de Benoît Mulkay et Jacques Mairesse23 portant sur la période 1970-1997 montre que l’élasticité de la R & D au crédit d’impôt peut être comprise, à long terme, entre 2 et 3,6. En d’autres termes, toute augmentation de 1 euro du crédit d’impôt recherche conduit les entreprises à augmenter leurs dépenses de recherche et développement de 2 à 3,60 euros. On parle, dans ce cas, d’un effet de levier, par opposition à l’effet d’addition, pour lequel une augmentation de 1 euro du CIR entraîne une hausse de la dépense de R & D de même ampleur. Quelques années plus tard, ces mêmes auteurs24 ont évalué l’incidence de la réforme de 2008, prenant désormais en compte le niveau des dépenses et non leur accroissement (voir encadré). Bien que prudents sur l’interprétation des résultats, ils en montrent tous les bénéfices : « En 2008, le CIR a réduit en moyenne le coût de la recherche et développement de plus de 47 %. La baisse du coût de [celle-ci] due au CIR est ainsi de 30 % plus élevée qu’avant la réforme de 2008. L’utilisation d’une unité de R & D qui coûte en moyenne, après subventions, 21 centimes d’euro, passe à un coût moyen de 11 centimes d’euro grâce au CIR. La réduction du coût de la recherche et développement est légèrement plus importante pour les PME (- 48 %) que pour les entreprises plus grandes (- 45 %). » Ces auteurs ont renouvelé cette même étude en 2013, confirmant les béné- 23. Benoît Mulkay et Jacques Mairesse, « Une évaluation du crédit d’impôt recherche en France (1970-1997) », Revue d’économie politique, vol. 114, n° 6, novembre-décembre 2004, p. 747-778. 24. Benoît Mulkay et Jacques Mairesse, Évaluation de l’impact du crédit d’impôt recherche, Rapport pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, novembre 2011, p. 2. 114 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE fices du dispositif25. Ils suggèrent notamment que les investissements en R & D sont, sur le long terme, supérieurs de 12 % à ce qu’ils auraient été en l’absence de modification du dispositif. Le multiplicateur budgétaire d’une telle mesure est estimé à 0,7 à long terme, signifiant qu’un euro de crédit d’impôt entraîne une augmentation de la R & D de 0,70 euro. Il pourrait être cependant supérieur si les externalités positives de l’accroissement du stock de connaissances qui en découlent étaient prises en compte. Paul Cahu et alii 26 se sont également intéressés à l’impact macroéconomique de la réforme de 2008. Ils montrent que la modification du crédit d’impôt recherche permettrait d’anticiper une augmentation de la DIRD jusqu’à 0,33 point de PIB d’ici à 2018 si l’on retient l’hypothèse d’une élasticité de la R & D au CIR de 2. En raison des effets induits de l’innovation sur la croissance économique, cette réforme pourrait en outre être de nature à engendrer un surcroît de 0,6 point de PIB à l’horizon 2022. Elle pourrait également accroître le besoin de chercheurs au sein des entreprises de 40 % par rapport à la situation prévalant avant 2008. Cette approche par le multiplicateur est importante car elle pose, audelà des évaluations des effets du crédit d’impôt recherche, la question du rapport coûts/bénéfices d’une telle mesure. En d’autres termes, si la question des bénéfices microéconomiques et macroéconomiques du CIR n’est guère débattue, celle de son coût fiscal, c’est-à-dire de la valeur des créances acquises et dont le remboursement est demandé par les entreprises bénéficiant de ce dispositif27, semble plus controversée. Le rapport réalisé en 2010 par l’Inspection générale des finances28 met ainsi en exergue le risque d’un dérapage des dépenses au titre du crédit d’impôt recherche pouvant aller jusqu’à 8 milliards d’euros en 2013. Deux années plus tard, un rapport d’information du Sénat souligne également que la modification du régime du CIR, cinquième dépense fiscale la plus coûteuse, pourrait voir son coût augmenter sensiblement, celui-ci passant de 5,1 milliards d’euros en 2011 à une fourchette comprise entre 5,7 et 6,4 milliards à 25. Benoît Mulkay, Jacques Mairesse, « The R & D Tax Credit in France : Assessment and ex ante Evaluation of the 2008 Reform », Oxford Economic Papers, vol. 65, n° 3, juillet 2013, p. 746-766. 26. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme 2008 du crédit d’impôt recherche », op. cit. 27. Il convient, en réalité, de distinguer les créances acquises par les entreprises au titre du crédit d’impôt de la dépense fiscale correspondante. Comme le rappellent Laurent Martel et Alexis Masse (Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit., p. 41), « la créance correspond au crédit d’impôt acquis au cours de l’année par les entreprises déclarant des dépenses éligibles de R & D. […] La dépense fiscale d’une année n correspond à la somme des créances de CIR, acquise lors des années antérieures, imputées sur l’impôt sur les sociétés de l’année n, ou dont le remboursement est demandé par les entreprises qui en ont le droit en année n ». 28. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit., p. 41. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 115 l’horizon 201729. Un rapport de la Cour des comptes, réalisé en 201330, confirme cette analyse et nuance les vertus de la réforme de 2008, jugée mal préparée et reposant sur une sous-estimation du coût qu’elle induisait. Bien qu’il constitue un des leviers essentiels de la politique fiscale en faveur de l’innovation, le CIR n’est pas la seule mesure d’incitation proposée par les pouvoirs publics. Le statut fiscal de la jeune entreprise innovante (JEI, voir l’encadré ci-après), créé en 2004 pour favoriser la création de petites et moyennes entreprises effectuant des travaux de recherche, autorise ainsi, sous certaines conditions, une exonération de cotisations sociales patronales pour les personnels affectés à une activité de recherche, ainsi que des exonérations, au titre de l’impôt sur les sociétés, de la cotisation économique territoriale ou de la taxe foncière. ■ Le dispositif de la jeune entreprise innovante (JEI) « Les entreprises réalisant des projets de R & D, placées sous le régime de la JEI, peuvent bénéficier d’une réduction de leur fiscalité et des charges sociales relatives à des emplois hautement qualifiés tels que les ingénieurs et les chercheurs. Le statut de la jeune entreprise innovante (JEI) a été créé en 2004 pour favoriser la création de petites et moyennes entreprises effectuant des travaux de recherche. Le dispositif a été prorogé jusqu’en 2016. 3 000 entreprises bénéficient du dispositif en 2013 pour un montant d’exonérations sociales de 108 millions d’euros […]. Leurs dépenses de R & D s’élèvent à 700 millions d’euros et se concentrent essentiellement dans des branches de services. Pour en bénéficier, les entreprises doivent remplir cinq conditions : ■ Être une PME Ce sont des entreprises qui, au titre de l’exercice ou de la période d’imposition pour laquelle elles veulent bénéficier du statut spécifique, doivent, d’une part, employer moins de 250 personnes et, d’autre part, réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ou disposer d’un total de bilan inférieur à 43 millions d’euros. ■ Avoir moins de huit ans Une entreprise peut solliciter le statut de JEI jusqu’à son huitième anniversaire et perd définitivement ce statut au cours de l’année de son huitième anniversaire. 29. Rapport d’information fait au nom de la Commission des finances sur le crédit d’impôt recherche (CIR), par M. Michel Berson, Sénateur, Sénat, n° 677, 18 juillet 2012, p. 58. 30. Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche, op. cit. 116 ■ ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Avoir un volume minimal de dépenses de recherche L’entreprise doit avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre de ce même exercice. Ces dépenses de recherche sont calculées sur la base de celles retenues pour le crédit d’impôt recherche. ■ Être indépendante Pour pouvoir bénéficier du statut de JEI, l’entreprise doit être indépendante au sens de l’article 44 sexies du Code général des impôts. La condition de détention du capital doit être respectée tout au long de l’exercice au titre duquel l’entreprise concernée souhaite bénéficier du statut spécial. ■ Être réellement nouvelle Elle ne doit pas avoir été créée dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension d’activité préexistante ou d’une reprise d’une telle activité ». Entre 2004 et 2013, le nombre d’entreprises concernées est passé de 1 427 à 3 270 et les cotisations exonérées, de 67,7 à 108,3 millions d’euros (1). (1) Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, Annexe au projet de loi de finances pour 2015, p. 51. Source : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid5738/le-statut-de-la-jeune-entreprise-innovante-jei.html. Les partenariats public-privé et les pôles de compétitivité L’accroissement des synergies entre la recherche publique et le monde de l’entreprise constitue un second axe essentiel des politiques publiques en faveur de l’innovation. Créés en 2005, les pôles de compétitivité, au nombre de 71 fin 2014, sont au cœur de cette ambition. Un pôle vise, sur un territoire donné, à rassembler, sous forme de « cluster » impliquant une gouvernance commune, PME, grandes entreprises, universités et organismes de recherche, autour d’une thématique partagée afin de favoriser « l’émergence de très nombreux projets collaboratifs porteurs d’innovations […] [et] de transformer les travaux collaboratifs de R & D en davantage de produits, procédés et services innovants mis sur le marché »31. Trois catégories de pôles coexistent : les pôles de compétitivité au sens strict, les pôles à vocation mondiale et les pôles mondiaux. 31. Source : www.competitivite.gouv.fr. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 117 Une analyse de Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet32 montre que l’appartenance d’une entreprise à un pôle de compétitivité accroît, en moyenne, le montant des subventions et du CIR obtenu. Une entreprise entrée dans un pôle de compétitivité de 2006, 2007 ou 2008 aurait effectué 76 000 euros de R & D de plus qu’une entreprise restée au dehors, provenant d’aides directes à hauteur de 30 000 euros, de CIR pour 32 000 euros et d’aides européennes pour 2 400 euros. En revanche, si le montant des dépenses de R & D augmente, confirmant l’effet d’addition évoqué dans la section précédente, l’analyse ne permet pas de distinguer l’effet imputable au CIR de celui lié à l’appartenance à un pôle de compétitivité. Par ailleurs, celle-ci ne semble pas se traduire par une augmentation des résultats financiers de l’entreprise. Selon les auteurs, « l’effet de la participation aux pôles sur la période 2006-2009 semble donc limité à des dépenses supplémentaires de R & D qui n’ont pas eu pour l’instant d’incidence significative en termes commerciaux (vente de produits innovants) ou d’amélioration des processus de production ». Un rapport d’audit réalisé en 2012 par les cabinets Erdyn, Technopolis et BearingPoint33 est également explicite et dresse un bilan nuancé de l’efficacité des pôles. Sur la période 2008-2011, ceux-ci ont permis la réalisation de plus de 2 500 innovations, dont 1 037 en produits, dans les secteurs de l’industrie agroalimentaire, des TIC ou des matériaux et de la mécanique (figure 12). L’appartenance à un pôle semble aussi très largement favoriser l’activité de R & D des entreprises34 : l’enquête réalisée dans le cadre de ce rapport auprès de 1 174 entreprises indique en effet que 55 % d’entre elles déclarent une augmentation, voire une forte augmentation (34 %), de leurs investissements en recherche et développement à la suite de leur adhésion. Le montage et le financement des projets de R & D collaboratifs et applicatifs, associant les différents partenaires des pôles, publics et privés, ont en outre largement progressé : 54 % des organismes d’enseignement supérieur, de recherche et de formation ayant répondu à l’étude font état d’une augmentation du nombre de leurs projets en partenariat avec des entreprises. 32. Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet, « La participation aux pôles de compétitivité : quelle incidence sur les dépenses de R & D et l’activité des PME et ETI ? », Insee, Document de travail, n° G 2013/06, 15 avril 2013. 33. Erdyn, Technopolis et BearingPoint, Étude portant sur l’évaluation des pôles de compétitivité. Rapport global, 15 juin 2012. 34. Il existerait « une corrélation positive entre la quantité de R & D réalisée sur un territoire et le taux de participation aux pôles » (Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet, « L’impact de la participation aux pôles de compétitivité sur les PME et les ETI », Économie et statistique, n° 471, octobre 2014, p. 65-83 [p. 77]). 118 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Figure 12. Bilan des pôles de compétitivité (2008-2011) Innovations marketing 143 Innovations organisationnelles 154 Innovations de services 379 Innovations de procédés 795 Innovations de produits 1 037 0 200 400 600 800 1 000 Source : Erdyn, Technopolis et BearingPoint, Étude portant sur l’évaluation des pôles de compétitivité. Rapport global, 15 juin 2012, p. 119. La publication de 6 349 articles scientifiques par les bénéficiaires des financements alloués aux projets labellisés par les pôles de compétitivité est également à mettre à leur crédit, bien qu’il ne s’agisse pas d’un des objectifs affichés. Par ailleurs, l’adhésion à un pôle favoriserait l’emploi : l’enquête montre en effet que 84 % d’entre elles considèrent qu’elle leur a permis de maintenir des emplois, tandis que 66 % indiquent en avoir créés. Enfin, les politiques de développement mises en œuvre au sein des pôles ne sont pas sans incidence sur l’organisation des filières économiques régionales. Leur structuration semble ainsi s’être améliorée avec une plus grande intégration, de l’amont vers l’aval, mais également entre clients et fournisseurs, et entre grands groupes et PME, faisant des pôles un espace de dialogue. La visibilité et le dynamisme se sont également accrus. Il apparaît en revanche, au regard des résultats économiques des pôles, que seuls 977 brevets ont été déposés, conduisant les auteurs du rapport à affirmer qu’« il n’y a pas d’éléments qui permettraient de dire que les pôles de compétitivité aient contribué jusqu’ici à modifier le “déficit structurel” de la position brevets de la France, qui reflète sans doute une moindre sensibilisation des entreprises françaises aux enjeux de la propriété industrielle ». Par ailleurs, seules 93 start-up ont été créées durant cette période, dont pour près d’un tiers dans le secteur des TIC, confirmant la difficulté du système français à transposer dans le domaine commercial LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 119 les innovations qu’il produit. La complexité du système de gouvernance des pôles est également soulignée. Enfin, une forte hétérogénéité dans le suivi de la performance de l’activité des pôles au regard de leurs objectifs semble exister. Afin, notamment, d’en améliorer la gouvernance et de favoriser leur capacité à atteindre les objectifs que le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi (encadré) leur a assignés pour la période 2013-2018, un nouveau mode de gouvernance, liant étroitement État et conseils régionaux, a été défini fin 2013. Celui-ci associe désormais un comité d’orientation au niveau national, un comité de pilotage en charge de la gestion opérationnelle des pôles et un comité de coordination à l’échelle locale. ■ Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi Annoncé par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 6 novembre 2012, ce pacte se décline en huit leviers de compétitivité et trente-cinq décisions concrètes. Ces leviers sont (seuls ceux relatifs à l’innovation proprement dite feront l’objet de quelques développements) : 1) mettre en place un « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » (CICE) ; 2) garantir aux TPE, aux PME et aux ETI des financements performants et de proximité (dont : création de la Bpi ; facilitation de l’accès des PME et des ETI aux marchés des capitaux) ; 3) accompagner la montée en gamme en stimulant l’innovation (dont : réforme du système de transfert de la recherche publique et de l’innovation ; diffusion des technologies et usages du numérique par la mise en place de nouvelles actions du Programme des investissements d’avenir destinées à financer le développement de technologies numériques stratégiques ; réorienter les pôles de compétitivité vers les produits et services à industrialiser et distinguer les pôles stratégiques à rayonnement international des pôles de développement régionaux) ; 4) produire ensemble ; 5) renforcer les conquêtes de nos entreprises à l’étranger et l’attractivité de notre pays ; 6) offrir aux jeunes et aux salariés des formations tournées vers l’emploi et l’avenir ; 7) faciliter la vie des entreprises en simplifiant et stabilisant leur environnement réglementaire et fiscal (dont : stabiliser, sur la durée du quinquennat, 5 dispositifs fiscaux importants pour l’investissement et la vie des entreprises, notamment le crédit d’impôt recherche et le dispositif des jeunes entreprises innovantes) ; 8) assurer une action publique exemplaire et des réformes structurelles au service de la compétitivité (dont : accompagner le développement des PME de croissance innovantes en mobilisant l’achat public). Source : vite.pdf. http://competitivite.gouv.fr/documents/commun/transversal/Dossier-presse-competiti- 120 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Le renforcement des capacités financières des entreprises innovantes Le soutien financier aux entreprises constitue le dernier grand type d’action publique en faveur de l’innovation. Cette notion de soutien financier se doit cependant d’être précisée car elle recouvre une diversité de réalités : elle concerne à la fois l’octroi de financements publics, sous forme de subventions ou de prises de participation, la mise en œuvre de garanties publiques lorsqu’un prêt bancaire est contracté et les mesures fiscales visant à favoriser le drainage de l’épargne collective vers les entreprises innovantes. BpiFrance ou Banque publique d’investissement est, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2 de cet ouvrage, le bras financier de l’État en matière de soutien aux entreprises35. Si l’on se concentre sur la politique de soutien aux entreprises innovantes, plusieurs outils se distinguent : – BpiFrance propose en premier lieu une subvention, plafonnée à 30 000 euros, à la création d’une entreprise innovante afin de financer la conception du projet et les études de faisabilité commerciale, technique, juridique ou financière ; – un deuxième type de subventions, allant de 45 000 à 450 000 euros, selon la nature de l’entreprise candidate, est également proposé dans le cadre des concours de création d’entreprises de technologies innovantes du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; – la « bourse French Tech » (maximum de 30 000 euros) constitue un troisième type de subvention permettant de financer une activité innovante, non technologique dans le cadre de cette mesure ; – grâce à l’aide au partenariat technologique (APT), BpiFrance subventionne également à hauteur de 50 000 euros les projets innovants collaboratifs ; – des systèmes d’avances remboursables ou de prêts à taux zéro, au travers notamment de l’aide pour le développement de l’innovation36, sont également offerts aux PME innovantes pour des montants plus élevés pouvant atteindre 3 millions d’euros37. De toute évidence, les subventions ou prêts à taux zéro ne peuvent, à eux seuls, couvrir le besoin de financement des entreprises innovantes. Cependant, comme nous l’évoquions dans l’introduction de cette partie, le financement bancaire est difficile à obtenir pour une entreprise en phase 35. Voir Laure Reinhart, « De l’Anvar à BpiFrance, en passant par Oséo : les grandes étapes du financement public de l’innovation », Annales des Mines-Réalités industrielles, n° 2014/1, février 2014, p. 46-50. 36. L’aide au développement technologique s’adresse aux PME-PMI désirant faire appel à un laboratoire ou à un centre de compétences technologiques afin d’obtenir une assistance technique, des expertises… 37. Le lecteur se référera utilement au site de BpiFrance (www.bpifrance.fr) pour une présentation complète et détaillée des différents systèmes d’aide et de financement. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 121 de création ou dans les premiers stades de développement, en raison, principalement, de l’incapacité à fournir des garanties financières suffisantes mobilisables en cas de faillite ou de l’inaboutissement du projet innovant financé. Il existe, dès lors, une rationalité à l’intervention publique qui offre des prêts aux conditions de marché ou substitue à une garantie privée inexistante ou insuffisante, une garantie étatique ; ce rôle, joué par le groupe public Oséo, devenu partie intégrante de BpiFrance (voir la figure 5), n’implique pas nécessairement une éviction du secteur bancaire, dans la mesure où tant le prêt proposé que la garantie exercent ce qu’il est convenu d’appeler un effet de levier : en s’engageant sur une partie du plan de financement de l’entreprise, BpiFrance « crédibilise » le projet et favorise l’octroi d’un prêt complémentaire par la banque. Ainsi, un prêt pour l’innovation (PPI) allant de 50 000 euros à 3 millions d’euros dans la limite du double des fonds propres et quasi-fonds propres de l’entreprise peut être sollicité, afin de financer les dépenses immatérielles liées au lancement industriel et commercial d’une innovation. Rappelons ici que les offres de prêt de BpiFrance ne sont pas limitées aux entreprises innovantes. L’investissement en fonds propres ou en quasi-fonds propres38 dans l’entreprise innovante constitue le dernier type d’intervention de BpiFrance, lorsque le financement par emprunt n’est pas adapté. L’organisme public dispose en effet d’un fonds d’investissement dédié à la prise de participation dans le capital de petites et moyennes entreprises innovantes. Cet investissement, d’un montant compris entre un et cinquante millions d’euros, cible en premier lieu les PME à fort potentiel de développement, évoluant dans les secteurs du numérique, des biotechnologies et de l’écotechnologie ou de la santé. Pour comprendre les raisons d’un tel engagement étatique, le rapport Gallois est explicite39 : « Les entreprises industrielles souffrent, en France, plus que les autres entreprises de certaines difficultés d’accès au crédit. La raréfaction du crédit – même si les taux restent bas – touche actuellement plus directement le financement de la trésorerie alors même que le crédit interentreprises reste défavorable aux fournisseurs. Les nouvelles règles prudentielles (Bâle III) pèseront inévitablement sur l’offre de crédit des banques. Mais la principale préoccupation pour l’avenir concerne l’évolution du financement en fonds propres. Signe préoccupant, la collecte de capital-investissement régresse : elle reste de moitié inférieure à ce qu’elle était avant la crise (6,4 milliards d’euros levés en 2011, contre 12,7 milliards d’euros en 2008), freinant la croissance des PME, notamment chez les acteurs innovants. » Outre l’investissement direct dans les 38. D’un point de vue schématique, les fonds propres constituent l’argent des actionnaires investi dans la société et non redistribué sous forme de dividendes, tandis que les quasi-fonds propres concernent les comptes courants associés, les obligations convertibles, ainsi que les prêts participatifs. Le lecteur pourra se référer aux nombreux ouvrages disponibles sur la finance d’entreprise ou aux sites internet proposant un glossaire financier. 39. Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, op. cit., p. 12. 122 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE sociétés des secteurs susmentionnés, BpiFrance investit également dans des organismes de capital-risque (OCR) qui, eux-mêmes, financent des PME à fort potentiel de croissance. Certains de ces OCR, qui peuvent être des sociétés de capital-risque ou des fonds d’investissement, ont un périmètre régional, témoignant ainsi de la complémentarité de l’État et des collectivités territoriales, notamment les conseils régionaux40, dans la dynamisation économique des territoires. Si la question du soutien financier aux entreprises innovantes ne fait guère débat, celle du bien-fondé de l’acteur public, en tant que capital investisseur, semble beaucoup plus controversée. Plusieurs thèses s’opposent ainsi sur l’incidence de cette participation de l’État et des collectivités territoriales. Comme le rappelle Ulrich Hege41, la forte incertitude liée à l’activité de financement des entreprises innovantes augmente la probabilité d’occurrence de conflits entre actionnaires : l’importance, au sein des start-up, des actifs immatériels qui limitent les prises de garanties, le haut niveau d’expertise technique nécessaire pour comprendre tant le projet d’investissement envisagé que sa probabilité de succès, la propension de l’entrepreneur à multiplier les prises de risque afin d’être le premier à innover, ainsi que l’importante mobilité du capital humain souvent observée dans les entreprises innovantes, sont autant de facteurs de risques que l’investisseur peinera à maîtriser totalement42. La littérature s’est donc attachée à mesurer l’incidence des programmes publics sur le développement du capital-innovation. L’investisseur public n’est pas un investisseur comme les autres. Sa présence peut en effet conduire, pour certains économistes, au financement d’entreprises qui en auraient été autrement privées, en raison de critères d’investissement liés à des considérations bien plus politiques que strictement économiques ou financières43. Deux conséquences, l’une négative, l’autre positive, pourraient en découler : d’une part, l’accroissement du financement à destination d’entreprises non rentables à terme, mais également, d’autre part, d’entreprises soit ayant un fort potentiel de création d’emplois, auquel les autorités publiques peuvent être, à la différence d’un capital investisseur privé, fortement sensibles, soit dont le niveau de risque n’est pas supportable par le seul secteur privé. Aux premiers stades de son financement (early-stage), le capital-innovation peut en effet souffrir d’un 40. Voir Gwénaël Dore, « Les capacités des régions françaises en matière de développement économique et d’innovation », Innovations, n° 44, 2014/2, p. 127-150. 41. Ulrich Hege, « L’évaluation et le financement des start-up Internet », Revue économique, vol. 52, n° hors-série, octobre 2001, p. 291-312. 42. Paul Gompers, Anna Kovner, Josh Lerner, David Scharfstein, « Venture Capital Investment Cycles : the Impact of Public Markets », Journal of Financial Economics, vol. 87, n° 1, janvier 2008, p. 1-23. 43. Josh Lerner, « The Future of Public Efforts to Boost Entrepreneurship and Venture Capital », Small Business Economics, vol. 35, n° 3, octobre 2010, p. 255-264. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 123 déficit de financement, appelé equity gap, que les financements publics, lorsqu’ils sont correctement drainés, permettent de réduire44. L’étude menée par Franck Lasch et alii 45 semble confirmer ce point. Les auteurs démontrent en particulier que toute entreprise démarrant dans ce secteur avec un capital inférieur à 15 000 euros court un risque élevé de faillite. En augmentant de facto la quantité des fonds investis, et en favorisant, par un effet de levier, la collecte d’investissements supplémentaires, la présence de capitaux publics, dans les phases d’amorçage de l’entreprise innovante, peut s’avérer fondamentale puisqu’elle influence sa probabilité de réussite. L’étude d’Itxaso del-Palacio et alii 46 portant sur le cas espagnol conduit à des conclusions similaires : l’intervention croissante de l’acteur public, à partir de 2001, a favorisé le développement des investissements précoces, notamment dans les secteurs technologiques. Certains considèrent à l’inverse que l’action de l’investisseur public, moins contraint en termes d’exigence de rentabilité, conduit à une éviction du secteur privé dommageable à l’ensemble de l’industrie du capital-investissement47. ■ Les axes de la politique de recherche en Allemagne « Plusieurs initiatives ont été lancées depuis 2005 : l’initiative d’excellence pour créer des pôles universitaires d’excellence (1,9 milliard d’euros sur 2007-2012, 2,7 milliards d’euros prévus sur 2012-2017) ; la Stratégie High Tech 2020 pour la période 2010-2020, qui s’inscrit dans la continuité de la précédente (2006-2009) et qui se traduit par des programmes-cadres, notamment sur la santé (5,5 milliards d’euros entre 2011 et 2015), la bio-économie (2,4 milliards d’euros entre 2011 et 2016) et l’énergie (3,5 milliards d’euros entre 2011 et 2014) ; le “Pacte 2020 pour l’enseignement supérieur”, qui prévoit 3,2 milliards d’euros d’investissements d’ici 2018. 44. Colin M. Mason, Richard T. Harrison, « Barriers to Investment in the Informal Venture Capital Sector », Entrepreneurship & Regional Development, vol. 14, n° 3, 2002, p. 271-287 ; Luigi Buzzacchi, Giuseppe Scellato, Elisa Ughetto, « The Investment Strategies of Publicly Sponsored Venture Capital Funds », Journal of Banking & Finance, vol. 37, n° 3, mars 2013, p. 707-716. 45. Franck Lasch, Frédéric Le Roy et Saïd Yami, « Les déterminants de la survie et de la croissance des start-up TIC », Revue française de gestion, n° 155, mars-avril 2005, p. 37-56. 46. Itxaso del-Palacio, Xiaotian Tina Zhang, Francesc Sole, « The Capital Gap for Small Technology Companies : Public Venture Capital to the Rescue ? », Small Business Economics, vol. 38, n° 3, avril 2012, p. 283-301. 47. John Armour, Douglas Cumming, « The Legislative Road to Silicon Valley », Oxford Economic Papers, vol. 58, n° 4, octobre 2006, p. 596-635 ; Valérie Revest, Alessandro Sapio, « Financing Technology-Based Small Firms in Europe : What do we Know ? », Small Business Economics, vol. 39, n° 1, juillet 2012, p. 179-205. 124 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE La part du financement sur projets en Allemagne est très importante : 44 % du financement provenant de l’État fédéral pour la R & D en 2010 ont été investis dans des projets sélectionnés sur appels d’offres, à travers les Projektträger ou “gestionnaires de projets” et l’agence de moyens pour la recherche universitaire, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). » Source : Cour des comptes, Le financement public de la recherche, un enjeu national, rapport public thématique, juin 2013, p. 68. Le drainage de l’épargne collective vers les entreprises innovantes En parallèle de l’investissement dans le capital des entreprises innovantes ou dans des OCR, les pouvoirs publics visent à favoriser le drainage de l’épargne des ménages vers les entreprises innovantes au travers d’une politique fiscale incitative. Au-delà de l’espérance de rendement qu’offrent de tels placements, le traitement fiscal de ces opérations en capital, et les éventuelles exonérations dont elles peuvent bénéficier, constituent en effet un des leviers essentiels de l’État, permettant d’orienter les capitaux vers les organismes de placements collectifs finançant ce type d’entreprises. En 1983, le régime juridique du fonds commun de placement à risque (FCPR) est ainsi créé pour alimenter le besoin de financement des PME n’étant pas cotées en bourse. Ce n’est cependant qu’en 1997, avec le régime fiscal des fonds commun de placement dans l’innovation (FCPI), qu’une véritable politique fiscale de l’épargne en faveur des entreprises innovantes est mise en place48. Ces fonds jouissent en effet de mesures de réduction d’impôt non seulement sur le revenu mais également sur la fortune, en échange d’un blocage des fonds pour une durée de cinq ans et demi. Ainsi, en 2014, un souscripteur peut bénéficier d’une réduction de son impôt sur le revenu de 18 % des sommes investies dans la limite de 12 000 euros (le double pour un couple marié), soit 2 160 euros (4 320 euros pour un couple). Par ailleurs, les plus-values réalisées sont exonérées d’impôt lors de la revente des parts, mais demeurent soumises aux prélèvements sociaux. Enfin, certains FCPI, dits FCPI-ISF, autorisent à déduire 50 % des montants investis de l’impôt sur la fortune (ISF), ramenés à la fraction du fonds qui est investie dans des sociétés éligibles. 48. Yves Jégourel, « Acteurs publics et capital-investissement : une analyse critique », Revue française de gestion, vol. 40, n° 241, 2014, p. 31-44. LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION… ❮ 125 Selon les données de l’Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), 29 FCPI ont pu être créés en 2013, permettant de lever 308 millions d’euros auprès d’environ quatre-vingt-dix mille souscripteurs. Ce chiffre, en hausse de 8 % par rapport à 2012, reste très largement en retrait si on le compare avec les données « avant-crise financière » de 2007, où 567 millions d’euros avaient été collectés. Une des explications à cette forte baisse tient à la réticence des investisseurs à s’engager dans des stratégies risquées dans un contexte de forte incertitude économique. Investir dans un FCPI n’est en effet pas sans risque, en raison de la probabilité de faillite des entreprises ciblées : 71 % des sommes collectées en 2012 ont ainsi été placées sur le segment du capital-innovation, contre 27 % dans le capital-développement dédié aux PME plus matures et donc a priori moins risquées. Il faut, en effet, reconnaître que, en dépit des avantages fiscaux dont ils bénéficient, les FCPI ne rémunèrent guère cette prise de risque élevée, en raison de piètres performances financières. En Europe, l’exemple du Portugal est cependant révélateur de l’impulsion que les pouvoirs publics peuvent donner à l’industrie du capital-investissement : un statut juridique permettant d’investir l’épargne collective sur ce segment et bénéficiant d’une fiscalité attractive fut en effet adopté dans ce pays dès 198649. La taille de l’industrie portugaise du capital-investissement fut consécutivement multipliée par 38 entre 1986 et 1987 et a crû au rythme annuel d’environ 54 % entre 1986 et 1995, contre 12 % pour la France et 5 % pour le Royaume-Uni sur la même période. 49. Leslie A. Jeng, Philippe C. Wells, « The Determinants of Venture Capital Funding : Evidence Across Countries », Journal of Corporate Finance, vol. 6, n° 3, septembre 2000, p. 241-289. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 127 ❯ Chapitre 5 Économie française, pays émergents et fonds souverains : les enjeux d’une nouvelle donne financière Les années 2000 ont vu la montée en puissance d’un nouvel acteur majeur de la sphère financière internationale : les fonds souverains. Fonds d’investissement public, ceux-ci visent à rémunérer une manne financière le plus souvent alimentée par des recettes pétrolières ou gazières, des réserves de change excédentaires, à l’image de la Chine, ou, plus rarement, des excédents budgétaires. Leur existence n’est cependant pas récente puisque le premier d’entre eux, le Kuwait Investment Office, devenu le Kuwait Investment Authority (KIA), a vu le jour en 1953. Historiquement situés dans les pays du Golfe persique puis en Asie, les fonds souverains se déploient rapidement dans les pays africains, tandis que la volonté de développer de tels véhicules d’investissement s’affirme au Nord. Derrière la volonté de rémunérer les sommes ainsi collectées, plusieurs ambitions se dessinent. La première d’entre elles vise à protéger l’économie nationale de l’instabilité budgétaire qui découlerait d’une mauvaise gestion de la recette générée par les matières premières. La plupart de celles-ci (pétrole, gaz, denrées alimentaires, métaux, etc.) sont en effet échangées sur des marchés financiers qui rendent leurs prix volatils. Il importe dès lors de lisser l’effet de cette instabilité sur le budget d’État en thésaurisant « l’excès » de recettes lorsque les prix sont hauts. On parle alors de fonds de stabilisation. Le deuxième type de fonds souverain vise à diversifier l’économie du pays qui le détient. Les ressources minérales étant limitées, il est indispensable, pour les économies qui en dépendent, d’investir grâce à un fonds souverain dans des secteurs d’activité qui seront les moteurs de la croissance économique de demain. Cette approche a trouvé, en août-septembre 2014, une résonance particulière dans le débat sur l’indépendance de l’Écosse. Disposant d’une fraction non négligeable du pétrole de la mer du Nord, ce pays est confronté, à plus ou moins long terme, à l’épuisement de ses ressources. La création d’un fonds souverain est alors vue, dans le camp des indépendantistes, comme un moyen de s’affranchir de la dépendance économique vis-à-vis du Royaume-Uni. Les fonds dits « intergénération- 128 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE nels », tels que celui dont la Norvège s’est doté en 1990, reposent quant à eux sur l’idée que les ressources financières issues de l’exploitation des sols et des sous-sols doivent profiter autant aux générations actuelles que futures. La capitalisation d’une partie de cette manne est donc nécessaire. Une dernière catégorie de fonds, dits d’optimisation ou de placement des réserves, vise plus simplement à optimiser le rendement financier que l’on peut attendre des capitaux détenus. Les réserves de change dont dispose la banque centrale et à partir desquelles la plupart des fonds souverains drainent leurs ressources, sont faiblement rémunérées : elles doivent en effet être détenues sous forme liquide afin de pouvoir être mobilisées rapidement pour défendre la monnaie nationale. Lorsque ces réserves sont en abondance, il devient possible de les placer sur des classes d’actifs plus risquées (actions, obligations) afin d’espérer une rentabilité plus grande. Une étude menée en 2008 par Shams Butt et alii 1 démontre que la palette des actifs sur lesquels les fonds souverains peuvent investir est large : obligations d’État, actions de grandes entreprises, immobilier, capital-risque ou matières premières. Cette classification n’est pas unique et certains lui préfèrent, à l’instar de Jean-Paul Betbèze2, une distinction entre les fonds « rentes », qui trouvent leurs ressources dans l’exploitation minière ou pétrolière, et les fonds « salaires » ou « taux de change » (notamment chinois), qui, via l’excédent de la balance courante des pays qui les détiennent, puisent leur richesse dans l’écart entre le coût salarial national et celui des pays développés vers lesquels ils exportent. Une seconde approche, privilégiée par Ivan Odonnat notamment3, tend à distinguer les fonds d’investissement souverains au sens strict des fonds de réserve pour les retraites (sovereign pension funds). D’autres, tels que le Sovereign Wealth Fund Institute, think tank dédié à l’analyse des fonds souverains4, se contentent d’opposer les fonds pétroliers à ceux alimentés par d’autres ressources. Quelle que soit la classification retenue, force est de reconnaître qu’il n’existe aujourd’hui pas de définition précise et unanimement reconnue de ce qu’est un fonds souverain. Si certains fonds d’investissement ne laissent aucun doute sur leur nature « souveraine », d’autres soulèvent quelques interrogations : une institution pourra être qualifiée ou non de fonds souverains, selon la nature plus ou moins extensive de la définition retenue. 1. Shams Butt, Anil Shivdasani, Carsten Stendevad, Ann Wyman, « Sovereign Wealth Funds : A Growing Global Force in Corporate Finance », Journal of Applied Corporate Finance, vol. 20, n° 1, hiver 2008, p. 73-83. 2. Jean-Paul Betbèze, « Fonds souverains : les termes du dossier », in Jean-Paul Betbèze (dir.), Fonds souverains. À nouvelle crise, nouvelle solution ?, coll. « Les Cahiers du Cercle des économistes », Puf-Descartes & Cie, Paris, 2008, p. 11-23. 3. Ivan Odonnat, « Les conditions d’une contribution positive des fonds souverains à l’économie mondiale », Trésor-Éco, n° 28, janvier 2008. 4. Site internet : www.swfinstitute.org. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 129 Si l’on s’en tient à la définition très générale d’Edwin Truman5, un fonds souverain peut se définir comme un fonds public investissant sur des actifs majoritairement internationaux gérés de façon autonome afin de réaliser une diversité d’objectifs économiques et financiers. Pour certains, cette approche demande à être précisée : Alain Demarolle6 considère notamment que l’horizon de long terme retenu sur lequel se fonde la stratégie d’investissement est un des éléments permettant de caractériser un fonds souverain. Clay Lowery7 privilégie quant à lui une définition plus précise encore : outre une importante exposition aux actifs étrangers et un horizon de placement à long terme, un fonds souverain doit avoir une haute tolérance au risque et, inversement, ne pas avoir d’engagement contractuel de passif, à la différence notamment des fonds d’investissement privés. Ces différentes approches montrent que le périmètre des fonds souverains variera en fonction de la nature plus ou moins restrictive de la définition retenue. Pour certains, la France serait ainsi dotée de fonds souverains. Selon Pascal Junghans8 notamment, « le premier de ces fonds souverains a été créé en 1816… en France. C’est la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sa puissance est alimentée par les dépôts des notaires et les réserves des caisses d’épargne ». Le Fonds stratégique d’investissement, intégré à BpiFrance en juillet 2013 (voir chapitre précédent), a de la même façon souvent été présenté comme « un fonds souverain à la française ». Il en va de même pour le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Il faut, de ce point de vue, qu’il existe, comme l’affirme Benoît Cœuré9, « une continuité entre les différentes formes d’investissement public. Fonds souverains, fonds de réserve pour les retraites financés par des ressources budgétaires (comme le FRR français) ou par des cotisations à des caisses de retraite (comme la Caisse des dépôts du Québec), grandes entreprises publiques (comme le russe Gazprom, les bourses du Moyen-Orient ou les grandes banques chinoises) et banques centrales : les gouvernements peuvent à tout instant réallouer des ressources entre ces différents types de fonds. […] Mieux vaut donc abandonner la notion trop étroite de fonds souverains pour celle, plus pertinente, de fonds publics ». 5. Edwin M. Truman, « The Rise of Sovereign Wealth Funds : Impacts on US Foreign Policy and Economic Interests », témoignage devant le Committee on Foreign Affairs, US House of Representatives, Washington, 21 mai 2008. 6. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, mai 2008. 7. Clay Lowery, « Sovereign Wealth Funds and the International Financial System », discours à la Federal Reserve Bank of San Francisco’s Conference on the Asian Financial Crisis, 21 juin 2007. 8. Pascal Junghans, « Les fonds souverains, agents d’une vision patrimoniale de la mondialisation », Géoéconomie, n° 47, 2008/4, p. 51-68 (p. 52). 9. Benoît Cœuré, « Vivre avec les fonds souverains », in Jean-Paul Betbèze (dir.), Fonds souverains. À nouvelle crise, nouvelle solution ?, op. cit., p. 26. 130 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE De quelque nature qu’ils soient, ces fonds disposent d’une capacité d’investissement sans précédent. Le Government Pension Fund Global norvégien, plus grand fonds souverain au monde, créé en 1990, gérait ainsi, au 30 septembre 2013, 785 milliards de dollars alimentés par les exploitations du gaz et du pétrole10, soit environ 1,3 % de la capitalisation boursière11 mondiale. Le second plus grand fonds au monde, l’Abu Dhabi Investment Authority (Adia), créé en 1976 et localisé aux Émirats arabes unis (Abu Dhabi), gérerait quant à lui près de 773 milliards de dollars, selon le SWF Institute. La Chine n’est naturellement pas absente de cette dynamique : les deux fonds dont elle dispose, China Investment Corporation (CIC) et State Administration of Foreign Exchange, étaient alimentés par ses excédents commerciaux et dotés respectivement de 652,7 et 567,9 milliards de dollars en 2014. Au total, l’ensemble des fonds souverains au monde, soit une soixantaine, géreraient, en 2014, plus de 6 500 milliards de dollars, soit plus de deux fois le PIB de la France. Ce chiffre est en forte croissance depuis 2006, où les actifs sous gestion avoisinaient 2 500 milliards. À titre de comparaison, l’ensemble des fonds d’investissement détenaient en 2011, selon l’OCDE, environ 29 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion et les compagnies d’assurances, 24 000 milliards. Les fonds souverains sont donc aujourd’hui des acteurs incontournables des marchés financiers et¸ in fine, du financement de l’économie. Fonds souverains et financement des pays d’accueil : une ambiguïté à nuancer Menace ou opportunité ? Cette interrogation est récurrente dès lors qu’elle porte sur les fonds souverains. Toutefois, la réponse qu’il convient de lui apporter n’est pas univoque tant ces investisseurs diffèrent au regard non seulement de leur stratégie d’investissement, mais également de leur mode de gouvernance. Bien qu’ils représentent une source de financement accrue, bénéfique tant pour les entreprises que pour les États, les fonds souverains sont en outre la face visible d’un déséquilibre macroéconomique international important qui pourrait largement peser sur la stabilité financière et la croissance économique des pays récipiendaires. 10. La Norvège était le onzième plus grand exportateur mondial de pétrole en 2012 et se situait à la troisième place mondiale des exportateurs nets de gaz naturel en 2013, selon l’Agence internationale de l’énergie. 11. La capitalisation boursière représente le nombre d’actions d’une entreprise ou, plus globalement d’une bourse, multiplié par la valeur de marché de ces actions. Elle est donc un indicateur de « taille » financière d’une entreprise ou d’une bourse. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 131 Une stratégie de diversification financière ou des velléités politiques ? Le mois d’octobre de l’année 2005 marque, sans aucun doute possible, un changement radical dans la perception que les pays d’accueil se font des investissements réalisés par les fonds souverains sur leurs territoires. À cette époque, en effet, la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, plus connue en France sous le nom de P & O, est à vendre. Dubai Ports World, filiale de Dubai World, un des fonds souverains de l’émirat de Dubaï, se montre intéressée. Alors que le principe de l’opération est approuvé par le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States ou CFIUS) et soutenu par le président Bush, début 2006, une fraction du Congrès marque son émoi. P & O gère en effet plusieurs ports américains, dont celui de New York, et l’idée qu’ils puissent passer sous le contrôle d’une puissance étrangère souveraine est perçue comme une menace pour la sécurité nationale. Pour Jean Matouk12, « la souveraineté visée par l’adjectif “souverain” tient au fait que ces fonds sont la propriété d’États souverains et que les décisions de placement vont pouvoir apparaître, même sans aucun fondement, comme des décisions en partie “politiques” ». Les stratégies menées par les fonds souverains ne seraient alors pas fondées, à l’instar des investisseurs traditionnels, sur de simples critères financiers mais pourraient soit poursuivre des visées géopolitiques, soit servir l’acquisition de technologies ou d’informations sensibles. Le manque de transparence dont font preuve certains fonds en matière de critères et stratégies d’investissement, mais également de gouvernance vient assez naturellement renforcer cette perception. En dépit d’une dénomination commune, force est de constater à cet égard que les fonds souverains ne peuvent, au regard de ce critère, être considérés comme une classe d’investisseurs homogènes. À la différence de ses homologues souverains russes ou chinois, le fonds norvégien est ainsi souvent montré comme un exemple de transparence. L’instrumentalisation politique qui peut être faite d’un fonds ne signifie pas par ailleurs nécessairement que l’économie des pays « d’accueil » en soit affectée. Ainsi, le fonds souverain iranien Iran Oil Stabilization Fund, répondant en théorie aux critères des fonds de stabilisation, est suspecté d’être utilisé pour alléger le coût économique de l’embargo que le pays doit supporter sans que cela vienne directement menacer les intérêts stratégiques d’autres nations. Rappelons, à titre d’illustration, que, en août 2014, le groupe russe pétrolier Rosneft a également demandé le soutien d’un des deux fonds souverains russes afin de faire face aux sanctions économiques occidentales dans le cadre du dossier ukrainien. 12. Jean Matouk, « De la souveraineté financière », Revue d’économie financière, vol. 9, n° horssérie, 2009, p. 61-72 (p. 68). 132 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Alors qu’un sentiment de méfiance à leur égard semble s’accroître, la crise financière vient, en 2007, rebattre les cartes du jeu politique, et faire des fonds souverains des investisseurs providentiels et patients, capables de supporter les faibles valorisations boursières que le monde bancaire et financier connaît alors. À l’image d’une banque centrale à même d’être le prêteur en dernier ressort afin d’assurer la stabilité financière d’un pays ou d’un groupe de pays, les fonds souverains joueraient ainsi le même rôle au profit d’un secteur bancaire et financier en détresse. Pour Simon Johnson13 notamment, les fonds souverains « visent probablement de longues échéances et, comme les autres investisseurs à long terme, ils sont disposés à intervenir lorsque les prix des actifs chutent, exerçant ainsi une influence stabilisatrice sur le système financier mondial ». C’est ainsi que le fonds chinois CIC acquiert, par exemple, en décembre 2007, 9,9 % du capital de la banque Morgan Stanley en échange de quelque 5 milliards de dollars, tandis que le fonds Adia porte sa participation dans le capital de Citigroup, une autre banque américaine, à 4,9 %, pour un montant de 7,5 milliards de dollars. Au total, entre l’été 2007 et la fin de l’année 2008, les prises de participation dans les institutions financières occidentales s’élèvent à environ 83 milliards de dollars alors qu’elles étaient de « seulement » 1,7 milliard de dollars en 2006. De ce point de vue, il semble clair que le risque de contagion systémique auquel le secteur bancaire est alors confronté aurait été bien plus important en l’absence de fonds souverains14. Il n’est cependant pas certain que toutes les interventions aient été motivées par le désir altruiste de contribuer à la stabilité financière internationale. Comme le suggèrent Bertrand Blancheton et Yves Jégourel15, les fonds souverains ont également agi en investisseurs opportunistes désireux d’acquérir à bon prix des valeurs bancaires et financières largement dépréciées par le contexte macroéconomique qui prévaut alors. À l’instar de l’ensemble des intervenants sur les marchés financiers, ils sont pris eux aussi dans la tourmente de la crise et perdent alors des sommes conséquentes. On estime ainsi que près de 150 milliards de dollars ont été perdus par ces investisseurs pour le seul troisième trimestre 200816. Les ressources des fonds souverains s’en sont trouvées naturellement affectées. Les investissements réalisés par les fonds souverains durant cette période de grande instabilité financière ne furent d’ailleurs pas tous tournés vers 13. Simon Johnson, « La montée en puissance des fonds souverains. Nous ne savons pas grand chose de ces gigantesques fonds publics », Finances & développement, vol. 44, n° 3, septembre 2007, p. 56-57 (p. 57). 14. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, op. cit. 15. Bertrand Blancheton et Yves Jégourel, « Les fonds souverains : un nouveau mode de régulation du capitalisme financier ? », Revue de la régulation, n° 5, 1er semestre 2009. 16. Renaud Bouchard, « Fonds souverains et finance islamique », Revue d’économie financière, vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 251-257. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 133 les grandes banques internationales. Certains avaient pour unique ambition de soutenir une économie nationale et un secteur boursier largement déprimés par l’environnement économique et financier mondial. À l’image de la Russie ou de la Chine, nombre de pays ont, en effet, au lendemain de la crise, recentré la stratégie des fonds souverains qu’ils détiennent en faveur de leur propre économie. Le président russe, Vladimir Poutine, avait ainsi choisi, en 2012, de limiter les investissements internationaux du National Welfare Fund pour les orienter vers des obligations d’État nationales et ainsi faciliter le financement d’infrastructures indispensables pour le développement de l’économie russe17. De ce point de vue, on ne peut que constater que les répercussions de la crise financière sur la sphère réelle n’épargnèrent pas plus les fonds souverains que l’ensemble des acteurs économiques. Ceci est d’autant plus vrai que la morosité économique des pays de l’OCDE pèse sur leur demande intérieure, ce qui a eu pour effet d’infléchir le cours des matières premières, et donc, comparativement, de limiter les ressources financières dont ces fonds disposent. Une source de financement clé pour les économies d’accueil Bien que le risque de « dérive géopolitique » ne puisse, pour certains fonds, être écarté, on doit reconnaître que les fonds souverains sont devenus des partenaires économiques incontournables, tant des entreprises que des États. Une étude d’April Knill et alii 18 met de ce point de vue en évidence le fait que, contrairement aux enseignements des théories politiques traditionnelles, les fonds souverains tendent à investir comparativement plus dans des pays avec lesquels ils entretiennent des relations politiques distantes, avec pour conséquence une amélioration des relations diplomatiques, une fois l’investissement réalisé. Soutiens essentiels du secteur bancaire durant la crise des subprimes, actionnaires courtisés des grands groupes industriels, investisseurs grandissants du capital-investissement ou partenaires privilégiés de certaines opérations immobilières de grande ampleur, les fonds souverains sont désormais indispensables au financement des économies européennes et américaine. Les entreprises sont en quête permanente de financement afin de soutenir leur développement. Le chapitre précédent fut l’occasion de montrer la relative inadéquation du financement bancaire lorsque celles-ci sont innovantes et, consécutivement, de souligner l’importance stratégique des apports en fonds propres. Il n’est dès lors pas surprenant que nombre 17. Voir notamment sur ce sujet Ellen Barry, « Russia’s History Should Guide Its Future, Putin Says », The New York Times, 12 décembre 2012. 18. April Knill, Bong-Soo Lee, Nathan Mauck, « Bilateral Political Relations and Sovereign Wealth Fund Investment », Journal of Corporate Finance, vol. 18, n° 1, février 2012, p. 108-123. 134 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE d’entreprises des pays occidentaux, et notamment la France, voient d’un œil très favorable la présence d’un fonds souverain en tant qu’actionnaire. Ceci est d’autant plus vrai que le fonds souverain est réputé être un investisseur de long terme, capable de rester dans le capital de l’entreprise lorsque sa valorisation boursière, lorsqu’elle est cotée, ou son résultat net se détériore à court terme19. Historiquement attirés par les titres d’État, les fonds souverains, confrontés à la baisse du rendement des marchés obligataires observée depuis 2012, se tournent ainsi progressivement vers des actifs plus risqués mais également plus rentables, à l’image des actions. Le fonds chinois CIC consacrait ainsi 40,4 % de son portefeuille à investir sur des actions cotées en décembre 2013, alors que cette proportion n’était que de 3,2 % à la fin de l’année 2008. Une étude réalisée par Jason Kotter et Ugur Lel20 confirme cet argument et démontre que les fonds souverains investissent en moyenne dans des grandes entreprises ayant le plus souvent des problèmes de financement, et que ces prises de participation sont traditionnellement appréciées des marchés financiers, contribuant ainsi à une meilleure valorisation boursière à court terme. La France n’est pas exclue de cette dynamique, et nombre d’entreprises hexagonales comptent les fonds souverains parmi leurs actionnaires : Total, GDFSuez, Vinci, Veolia, Areva, Lagardère, Airbus Group (ex-EADS) et Sanofi en sont autant d’exemples. L’investissement dans les fonds propres d’une entreprise occidentale n’est pas le seul mode d’intervention de ces géants financiers. Des logiques partenariales sont ainsi développées au travers de co-entreprises (joint-ventures), associant, souvent à parts égales, fonds souverains et entreprises, ou d’accords de partenariats industriels, à l’instar de celui signé pour la création, à El Ain aux Émirats arabes unis, d’une usine de composants aéronautiques entre le fonds d’Abu Dhabi Mubadala et EADS en 2009. Quelle que soit la forme du partenariat financier qui est adoptée, la présence d’un fonds souverain est également souvent perçue, pour l’entreprise d’accueil, comme un levier pour accéder aux marchés étrangers. Pour Alain Demarolle21, le constat est clair : « L’économie française a donc besoin des investissements des fonds souverains pour assurer de façon efficace le financement de ses entreprises. Il est dans son intérêt de faire passer un message d’ouverture à l’égard de tous les investisseurs étrangers et plus particulièrement des fonds souverains. » Ce qui vaut pour les entreprises ne vaut pas nécessairement pour les États. Certes, de toute évidence, la forte appétence historique des fonds souve- 19. Thibaut Sartre, « Les grandes entreprises françaises face aux fonds souverains », Revue d’économie financière, n° 103, 2011/3, p. 277-296. 20. Jason Kotter, Ugur Lel, « Friends or Foes ? Target Selection Decisions of Sovereign Wealth Funds and Their Consequences », Journal of Financial Economics, vol. 101, n° 2, août 2011, p. 360-381. 21. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, op. cit., p. 21. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 135 rains pour les titres obligataires et, plus globalement, l’existence d’agents à forte capacité de financement constituent, dans un contexte de creusement des déficits publics, des éléments favorables. Cependant, la crise de 2007 contribue à limiter in fine le rôle des fonds souverains, de deux façons : – les politiques monétaires non conventionnelles (voir chapitre 3) de la Banque fédérale américaine, dans le cadre du « quantitative easing » (v. supra, p. 90), et de la BCE, favorisent le rachat des titres de dettes souveraines et bancaires, ce qui limite potentiellement le recours à d’autres investisseurs ; – la crise favorise, en second lieu, le retour de l’épargne des investisseurs institutionnels « traditionnels » (organismes de placements collectifs, fonds de pension, compagnie d’assurances) vers des titres d’État des pays de l’OCDE, jugés moins risqués que des investissements dans les pays émergents. L’abondance de capitaux qui en résulte tire les taux d’intérêt vers le bas : le coût plus faible de la dette redonne des degrés de liberté aux gouvernements occidentaux pour soutenir, par un engagement financier, les économies nationales. Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue macroéconomique, l’existence de telles institutions et leur très grande montée en puissance sont représentatives de la forte mutation des équilibres économiques mondiaux, qui ont vu, depuis le début des années 1980, les déficits courants de la balance des paiements s’accroître dans les pays industrialisés et les excédents commerciaux s’accumuler dans les pays dits « du Sud » ou émergents. En d’autres termes, le Sud finance le Nord. Pour John Gieve22, « l’attention portée aux questions de transparence et de stratégie d’investissement des fonds souverains ne saurait masquer un constat politique bien plus important : la récente et rapide progression des fonds souverains est le reflet de déséquilibres mondiaux persistants de grande ampleur, qui représentent une constante menace pour la stabilité du système financier et de l’économie mondiale ». La question de la déflation, définie comme une baisse prolongée du niveau général des prix, est alors posée. Il n’est en effet pas impossible que les investissements massifs réalisés par ces acteurs et l’effet d’entraînement qu’ils pourraient alimenter favorisent l’émergence de bulles spéculatives sur des actifs pas suffisamment liquides, tels que l’immobilier ou les actions non cotées. Lors de l’éclatement de ces bulles, selon le mécanisme bien connu de la déflation par la dette décrit par Irving Fisher23, la vente des actifs favorise logiquement la baisse des prix et renforce l’incapacité des agents en besoin de financement à honorer leur dette. La spirale dette/déflation entre alors en jeu (figure 13). 22. John Gieve, « Fonds souverains et déséquilibres financiers mondiaux », Revue d’économie financière, vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 171-187 (p. 181). 23. Irving Fisher, Booms and Depressions : Some First Principles, op. cit. 136 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Figure 13. La spirale déflationniste liée au surendettement Ventes de détresse (produits, actifs) Surendettement et contrainte de remboursement Baisse des prix Difficultés de remboursement Source : Robert Boyer, « Japon : de la décennie perdue à un improbable New Deal », Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), Document de travail, n° 2004-04, avril 2004, p. 19, d’après Keiichiro Kobayashi. Dans le cas des États, le rééquilibrage budgétaire qu’impose tôt ou tard une dette excessive, peut, de la même façon, conduire à une contraction de l’activité, lorsque la valeur du multiplicateur budgétaire est sous-estimée (voir chapitre 2). Dans la mesure où les salaires nominaux sont rigides à court terme, l’austérité budgétaire pèse sur le revenu national et induit une réduction des profits des entreprises. Celles-ci privilégient alors une politique de licenciement. L’effet dépressif que cette dynamique produit sur la demande interne alimente une baisse des prix. Si les ménages prévoient, compte tenu du contexte macro-économique dégradé, que cette baisse est amenée à durer, ils tendent à reporter leur consommation et créent, de ce fait, un phénomène déflationniste. Comment accueillir les capitaux étrangers ? Bien que l’existence de ressources abondantes et, a priori, investies à long terme, soit un élément positif, le déséquilibre financier dont elles découlent n’est donc pas sans soulever quelques interrogations. La première d’entre elles porte sur la stratégie d’accompagnement que les pays d’accueil doivent mettre en œuvre face aux développements des fonds souverains. La seconde vise à déterminer s’il doit exister une égalité de traitement, en matière d’in- ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 137 vestissement, entre pays. La dernière dépasse le cadre des fonds souverains et porte sur l’adaptation des sphères financières occidentales aux spécificités de la finance islamique, vectrice de capitaux essentiels aux financements des économies occidentales. Les principes de Santiago Avéré ou non, le risque politique que certains associent aux stratégies d’investissement des fonds souverains a conduit les institutions financières internationales à agir de concert avec ces géants financiers, afin de prévenir l’adoption d’éventuelles mesures protectionnistes par les pays d’accueil. La crainte était en effet que l’adoption unilatérale de mesures visant à protéger les secteurs d’activité nationaux de l’investissement étranger, qu’il provienne d’un fonds souverain ou de tout autre investisseur public, n’entraîne une escalade de mesures protectionnistes et, indubitablement, une aggravation des litiges financiers entre nations dont les conséquences politiques seraient palpables. C’est ainsi qu’un groupe de travail, associant le Fonds monétaire international et vingt-six pays membres de cette institution, s’est constitué afin de définir des principes et pratiques généralement acceptés (PPGA), dits « principes de Santiago ». Au nombre de vingt-quatre, ces principes, définis en octobre 2008, ont pour objectif de promouvoir un code de bonne conduite en faveur d’une plus grande transparence des fonds et ainsi rassurer les pays d’accueil. En échange de ces efforts, les fonds souverains ont légitimement encouragé « les pays destinataires à continuer de rendre plus transparents et non discriminatoires leurs régimes d’investissement, à éviter le protectionnisme sous toutes ses formes et à promouvoir un environnement d’investissement constructif et mutuellement profitable »24. Les cinq premiers PPGA se concentrent sur le cadre légal dans lequel doivent évoluer les fonds souverains et énoncent les principes permettant d’en accroître la transparence. Le deuxième principe souligne notamment que « la finalité de la politique du Fonds souverain doit être clairement définie et rendue publique », afin d’éviter toute crainte de dérive politique de la part des pays d’accueil. Les principes 6 à 17 traitent du mode de gouvernance de ces véhicules d’investissement, précisant que « les opérations et activités du Fonds souverain dans un pays d’accueil doivent s’effectuer conformément à la réglementation en vigueur et aux obligations de communication de l’information financière de ce pays » et que « le cadre de gouvernance et les objectifs, ainsi que le degré d’autonomie opérationnelle de la direction du fonds souverain par rapport au propriétaire doivent être 24. Communiqué lors du Forum international des fonds d’investissement souverains (International Forum of Sovereign Wealth Funds ou IFSWF) tenu à Bakou (Azerbaïdjan), le 9 octobre 2009. 138 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE rendus publics ». Les principes 18 à 23 portent, quant à eux, sur la stratégie d’investissement du fonds qui, conformément à n’importe quel fonds d’investissement privé, doit avoir pour ambition de maximiser le couple « rendement-risque » des capitaux sous gestion. Il s’agit, en d’autres termes, de réaffirmer l’idée qu’un fonds souverain n’a pas d’ambition politique et vise à mieux rémunérer une manne financière préalablement détenue sous forme de réserves de change. Le dernier principe suggère enfin l’adoption par le fonds d’une procédure de contrôle visant à s’assurer périodiquement que les vingt-trois autres principes sont respectés. Pour Justin O’Brien25, « la publication des principes de Santiago a beaucoup contribué à réduire le manque de responsabilisation dans le secteur des fonds souverains. Les principes sont exhaustifs et, bien que fondés sur le volontariat, ils fournissent un cadre cohérent pour évaluer les risques concernant les institutions, le crédit, la régulation et la réputation ». On doit cependant remarquer que l’édiction des principes de Santiago revêt avant tout un caractère politique visant à assurer un cadre pour les investissements publics transnationaux, sans grande force réglementaire. La liberté d’investissement, règle fondatrice du système monétaire international actuel, impose un traitement équitable de tous les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés. Le sous-principe 18-3 dispose pourtant que la description de la politique d’investissement du fonds doit être rendue publique, alors que cela n’est pas le cas pour les fonds d’investissement tels que les fonds spéculatifs ou « hedge funds », dont on sait qu’ils peuvent parfois contribuer à renforcer l’instabilité financière internationale. Force est enfin de reconnaître que le débat s’est déplacé. Les fonds souverains, qui ont largement suscité l’intérêt médiatique et nourri les débats dans les sphères politiques nationales, ne sont qu’un des outils de financement à disposition des pays à capacité de financement. Les pays récipiendaires ont ainsi certes perçu tous les bénéfices qu’ils pouvaient retirer de ces investisseurs dotés d’une telle puissance financière, et les craintes d’un usage des fonds souverains à des fins politiques ou géopolitiques semblent s’être largement atténuées. Dans le même temps, toutefois, l’idée que les secteurs stratégiques d’une économie doivent être protégés de certains investissements étrangers s’est renforcée. 25. Justin O’Brien, « La crise mondiale de la titrisation et la dynamique des fonds souverains », Revue d’économie financière, vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 291-303 (p. 301). ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 139 Les secteurs stratégiques et le principe de réciprocité en question Le phénomène de globalisation financière pourrait laisser penser que l’investissement transfrontalier est libre et que toute entrave à cette règle est de nature à contrevenir aux principes du droit financier international, ou européen dans le cas de la France. Ainsi, l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ». L’UE reconnaît cependant que ces investissements ne peuvent en aucun cas menacer la sécurité publique ou nationale des États membres et autorise, en vertu de l’article 65 du même traité, la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures de protection. C’est ainsi que la plupart des pays ont défini une liste de secteurs ou d’activités économiques jugés stratégiques et pour lesquels tout investissement étranger doit être préalablement autorisé par les autorités politiques du pays d’accueil. Il revient néanmoins à la Commission européenne de s’assurer que l’invocation de la protection de l’ordre public et de la sécurité de l’État est légitime et n’est pas une forme de protectionnisme financier déguisé. En France, un décret (n° 2014-479) sur les entreprises stratégiques, dit « décret Montebourg », a été promulgué le 14 mai 2014. Il renforce celui (n° 2005-1739) du 30 décembre 200526, appelé « décret anti-OPA », qui définit onze secteurs stratégiques pour lesquels tout investissement supérieur à 33,33 % doit recevoir l’autorisation du ministère de l’Économie : les jeux d’argent ; les activités de sécurité privée ; celles ayant trait à la recherche, au développement ou à la production relatives aux moyens destinés à faire face à l’utilisation illicite d’agents pathogènes ou toxiques lors d’attaques terroristes ; celles portant sur les matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations ; les services d’évaluation et de certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information ; les activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d’information ; les technologies duales ; les activités et services de cryptologie ; les activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale ; la recherche, la production et le commerce d’armes, de munitions et d’explosifs ; ainsi que les activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipements au profit du ministère de la Défense. Avec l’adjonction, par le décret du 14 mai 2014 précité, de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique, de l’exploitation des réseaux et des services de transport, de l’approvisionnement en eau, du secteur des 26. Actualisé par un nouveau décret (n° 2012-691) du 7 mai 2012. 140 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE communications électroniques et de celui lié à la protection de la santé publique, ce sont seize secteurs stratégiques qui prévalent en France. De tels dispositifs existent dans le reste des pays industrialisés. Ainsi, aux États-Unis, l’amendement Exon-Florio27 donne le pouvoir au Président, au travers du CFIUS, évoqué précédemment, d’exercer un droit de veto lors d’une prise de contrôle étrangère sur une entreprise américaine s’il juge que la sécurité nationale est menacée. En Allemagne, le ministère de l’Économie peut également bloquer, depuis 2009, tout investissement étranger et, ce, dans n’importe quel secteur d’activité, dès lors que celuici est supérieur à 25 % du capital de l’entreprise cible et constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité nationale. Si aucune mesure explicite de contrôle des investissements directs de l’étranger n’existe au Royaume-Uni, d’autres réglementations, issues notamment de l’Enterprise Act de 2002, permettent au gouvernement de bloquer des prises de participations étrangères. On remarque qu’il y a, dans ce domaine, autant de réglementations que de pays, sans harmonisation à l’échelle de l’Union européenne notamment. La question des fonds souverains a, de ce point de vue, mis en lumière l’asymétrie de traitement des investissements directs étrangers entre les pays ayant un besoin de financement et ceux à capacité de financement. Selon l’indice de restriction aux investissements directs de l’OCDE, la Chine et le Myanmar (Birmanie) étaient ainsi, en 2013, les pays les plus fermés aux capitaux étrangers. Disposant de deux fonds souverains, la Russie n’est pas non plus un modèle d’ouverture : adoptant une vision extensive de la notion de sécurité nationale, ce pays limite ou interdit les investissements étrangers dans 42 secteurs d’activité. Si les IDE (investissements directs étrangers) en Chine ont très largement progressé depuis les années 1980, sous l’effet de la création des zones économiques spéciales notamment, l’accès aux entreprises nationales demeure difficile en raison de procédures de contrôle peu transparentes. Comme le rappellent les députés Jérôme Lambert et Philippe Armand Martin28, « la Chine possède plus de deux cents lois réglementant les investissements étrangers, et la complexité du système ne peut être compensée que par des conseils locaux, familiers d’une réglementation des plus éclatées ». La recherche de financements extérieurs a cependant conduit la plupart des pays de l’OCDE à ne pas revendiquer le principe de réciprocité qui consisterait à imposer aux pays ayant une forte capacité de financement et disposant de fonds souverains 27. Exon-Florio National Security Test for Foreign Investment du 11 juillet 2007, qui amende le Defense Production Act de 1950. 28. Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur les investissements de provenance extra-communautaires et le contrôle des intérêts stratégiques européens et présenté par MM. Jérôme Lambert et Philippe Armand Martin, Députés, Assemblée nationale, n° 1602, 4 décembre 2013, p. 22. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 141 d’offrir aux pays tiers une liberté d’investissement similaire à celle dans lesquels ils investissent. La France présente ainsi un degré d’ouverture bien supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Finance islamique et économie française : contraintes et opportunités Passé relativement inaperçu en France, un fait inédit, indépendant de la question des fonds souverains, a marqué l’histoire des finances publiques du Royaume-Uni : le 25 juin 2014, le Trésor britannique s’est refinancé sur les marchés en émettant, pour quelque 250 millions d’euros, un « sukuk », terme consacré pour évoquer les obligations conformes aux principes de la loi islamique, et devient ainsi le premier pays « non musulman » à réaliser une telle opération de financement par émission de ce titre de dette. L’islam prohibe en effet la notion d’intérêt. En conséquence, toute opération financière reposant sur le schéma traditionnel d’un prêt pourra, d’un point de vue schématique, être contraire à la Fiqh al-Muamalat, ensemble des règles de la Charia définissant notamment les transactions financières. Des produits, issus de ce qu’il convient d’appeler la « finance islamique » et visant à contourner cette contrainte, ont dès lors vu le jour afin de capter une partie de la manne financière de certains pays musulmans favorables à l’interdiction de la « ribâ » (l’intérêt ou l’usure dans l’islam), du « gharar » (la vente hasardeuse), du « maysir » (spéculation) et prohibant les investissements illicites (« haram »). Deux institutions sont aujourd’hui compétentes pour garantir que les produits financiers ainsi émis sont bien conformes aux principes de la finance islamique : l’Islamic Financial Services Board (IFSB) et l’Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions (AAOIFI). Représentant encore, avec près de 1 800 milliards de dollars d’actifs bancaires et financiers à la fin 201329, une faible fraction de la finance internationale, la finance islamique connaît toutefois une très forte progression depuis plusieurs années avec un taux de croissance annuel de plus de 16 % entre 2009 et 2013. Elle doit donc être pleinement considérée dans le panel des stratégies financières qu’une nation peut poursuivre afin d’assurer son financement et donc sa croissance. Ceci est d’autant plus vrai qu’elle dispose d’un certain nombre de caractéristiques intéressantes. Ainsi, pour Elyès Jouini et Olivier Pastré30, « les institutions financières islamiques sont des investisseurs “patients” (même si la pratique peut parfois démentir ce constat). Les principes fondamentaux de la Finance 29. Selon Kuwait Finance House Research. 30. Elyès Jouini et Olivier Pastré, Enjeux et opportunités du développement de la finance islamique pour la place de Paris, Rapport, Paris Europlace, décembre 2008, p. 74. 142 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE islamique […] prédisposent naturellement ces opérateurs à prendre des risques, à encourager l’entreprenariat et à s’engager plus facilement sur le long terme. À l’inverse, ils découragent certains excès dont souffre la finance moderne, comme la spéculation ou la déconnection complète entre la sphère financière et l’économie réelle ». Le potentiel de financement que la banque et la finance islamiques représentent, conjugué à la capacité « d’absorption » limitée de ces excédents par les places financières des pays du Golfe, ont naturellement conduit les gestionnaires de ces fonds à rechercher de nouveaux « débouchés » financiers. De leur côté, les pays en besoin de financement se sont interrogés sur leur capacité à offrir un cadre juridique, réglementaire et fiscal suffisamment attractif pour que de tels capitaux leur parviennent. L’attrait qu’exerce la finance islamique ne vaut pas uniquement pour les pays « du Nord », et force est de constater que son développement est inégal de par le monde. Fortement implantée en Malaisie ou dans les pays du Golfe, elle n’est que peu développée dans les pays du Maghreb, tels que le Maroc. En Europe, c’est entre Paris et Londres que la compétition se joue pour devenir la place boursière européenne de référence pour la finance islamique. Ainsi que le rappelle Ghassen Bouslama31, le cadre juridique de la gestion d’actifs est, en France, parfaitement compatible avec le développement de produits d’investissement islamiques, mais la relative opacité du traitement fiscal auquel il pouvait être assujetti était, avant 2008, un frein à leur développement. Comme l’évoque Georges Affaki32, la question était alors de savoir s’il fallait « réformer le droit français pour le rendre plus compatible avec les règles de la finance islamique ou à l’inverse, accueillir la finance islamique comme des instruments juridiques étrangers ». C’est une des raisons pour laquelle des aménagements fiscaux ont été réalisés, en décembre 2008, par le ministère de l’Économie. L’objectif était notamment de lisser les disparités dans les niveaux de taxation entre la finance islamique et la finance « conventionnelle ». Si l’on prend l’exemple de la « murabaha » (intermédiation), il faut en effet comprendre que, pour contourner la question du prêt, la finance islamique fait intervenir un véhicule juridique qui s’intercale entre le « prêteur » et l’emprunteur. Ce véhicule, pouvant être créé à cette occasion, achète le bien auprès du vendeur pour le louer puis le revendre à l’investisseur avec un paiement différé du prix. Deux opérations d’achat et de vente se substituent ainsi à l’opération d’emprunt, mais celle-ci implique, si elle n’est pas identifiée comme telle, deux droits d’enregistrement, ainsi que la taxation de ce qui pourrait être compris 31. Ghassen Bouslama, « La finance islamique : une récente histoire avec la France, une longue histoire avec ses banques », Revue d’économie financière, vol. 9, n° 2, 2009, p. 325-350. 32. Georges Affaki, « La finance islamique en France : entre accueil et réforme », Revue Banque, n° 725, juin 2010, p. 55-58 (p. 55). ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 143 comme une plus-value. En donnant une reconnaissance juridique aux différents produits de la finance islamique, ces aménagements ont permis d’harmoniser le traitement fiscal des différentes opérations financières, qu’elles soient ou non « charia-compatibles ». La bourse s’est également engagée dans une opération de « conquête » des acteurs de la finance éthique. Nyse Euronext, en charge d’animer entre autres la place boursière de Paris, a ainsi ouvert ses marchés à la cotation des sukuks le 2 juillet 2009. Quelques avancées ont depuis été réalisées, mais il n’est pas certain que la finance islamique rencontre en France le succès qui lui était promis. L’exemple précité de l’émission de sukuks par le Trésor britannique démontre notamment que le pragmatisme des autorités budgétaires de ce pays se conjugue avec le dynamisme et la capacité d’innovation de la place boursière londonienne. Dans la compétition qui se joue entre ces deux places, Londres semble de ce point de vue avoir une longueur d’avance. Vers l’affirmation d’un capitalisme d’État ? La montée en puissance des fonds souverains ne peut être vue comme un phénomène à part entière, car elle n’est qu’une des manifestations de l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme dans laquelle les acteurs publics jouent un rôle non négligeable. La globalisation économique et financière qu’ont connue les pays industrialisés et émergents a, sans aucun doute possible, favorisé le développement des mécanismes de marché, qu’ils soient commerciaux ou financiers. L’ouverture des frontières commerciales et la liberté d’investissement sont des principes qui ont été maintes fois réaffirmés, notamment par les organisations multilatérales telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou le FMI. On pourrait, de ce point de vue, conclure à une diminution du rôle des acteurs publics, et notamment de l’État, dans l’organisation des systèmes économiques et financiers, nationaux comme internationaux. L’image d’Épinal voudrait alors que les privatisations massives aient conduit à une réduction du rôle de l’État sur les marchés commerciaux et que la financiarisation des économies ait progressivement limité la capacité d’intervention des États sur les marchés financiers et les ait condamnés à n’être « que » des régulateurs et, pour de nombreux pays, qu’ils soient émergents ou industrialisés, des emprunteurs sur les marchés financiers s’exposant à la sanction des spéculateurs en cas de politique économique erronée. Il n’en est naturellement rien, tant que l’action de l’État peut influencer la dynamique capitaliste de l’économie dont il a la charge. 144 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE Les chapitres du présent ouvrage consacrés à la politique budgétaire et aux politiques d’innovation ont été l’occasion de démontrer toute l’importance des prises de participation de l’État français dans des entreprises jugées stratégiques, au travers de l’Agence des participations de l’État ou de la Banque publique d’investissement. Ce chapitre démontre quant à lui que la montée en puissance des fonds souverains dans le monde a réveillé les velléités des pays récipiendaires de ne pas autoriser des investissements directs à l’étranger qui seraient de nature à menacer la sécurité nationale. De ce point de vue, on doit constater que le capitalisme a, depuis une décennie, changé de nature : les mécanismes concurrentiels y sont réaffirmés, tandis que l’État et les institutions publiques utilisent de façon accrue tous les outils que leur offrent les marchés, notamment financiers. Au-delà des aspects institutionnels, la frontière qui séparait les acteurs publics et privés au regard de leurs actions économiques s’estompe. D’un point de vue relatif, il est certain que le poids du secteur public est, en tant qu’investisseur, plus limité que celui du secteur privé. De la même façon, les moyens d’action de l’État, dans un contexte de rareté des ressources, sont limités mais les ambitions stratégiques qu’ils servent sont renforcées. La promotion du patriotisme économique, notamment en France, en est une des manifestations. Ceci n’implique pas nécessairement une « dérive politique » lorsqu’un État, qu’il soit étranger ou non, investit dans une entreprise ou un secteur d’activité. À cet égard, l’ambigüité du terme « stratégique », qui contribua certainement à cristalliser les opinions sur le risque politique associé au développement des fonds souverains, doit être levée. Les acteurs publics, qu’ils soient des fonds souverains ou non, réalisent des investissements stratégiques sans que cela ne puisse poser problème, bien au contraire. C’est à l’État, qui dispose d’une large vision, qu’il revient d’impulser et d’orienter les financements de secteurs jugés essentiels pour le développement de l’économie à long terme, qu’il s’agisse des infrastructures, de secteurs industriels comme ceux de l’automobile ou de l’aéronautique, ainsi que les matières premières. C’est dans cette logique que la France a affirmé, le 21 février 201433, sa volonté de mettre en œuvre une Compagnie nationale des mines de France (CMF), dotée de 200 à 400 millions d’euros de capacité d’investissement sur cinq à sept ans et s’appuyant sur l’APE et l’expertise du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Dans ce domaine, la France suit ainsi l’exemple de la Japan Oil, Gas and Metals National Corporation (JOGMEC), fondée en 2004 et dont la vocation est de sécuriser les approvisionnements en matières premières du pays, largement dépendants du reste du monde. Ces entreprises, comme la plupart de celles servant les 33. Voir « Arnaud Montebourg : “La renaissance d’une compagnie nationale des mines” », interview dans Le Parisien du 21 février 2014. ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS… ❮ 145 intérêts stratégiques d’une nation, n’investissent que rarement de façon agressive à l’étranger. D’importants partenariats ont été mis en place via, notamment, des fonds de co-investissement ou des joint-ventures entre les entreprises d’économies occidentales détenant un savoir-faire technique et certaines entreprises publiques ou fonds souverains. Le transfert de compétences et de technologies n’est alors pas un risque, mais un élément clé de la logique partenariale ainsi développée. CONCLUSION ❮ 147 C onclusion La mise en œuvre d’une politique publique est, sans aucun doute possible, particulièrement complexe tant les variables qui devraient assurer son succès sont nombreuses et changeantes. Il n’y a, en cela, aucun schéma mécanique permettant d’établir des relations de causes à effets stables permettant d’affirmer qu’il existe, pour chaque symptôme économique, un remède infaillible. Cela est vrai pour la croissance comme pour le financement de l’économie. Ainsi que nous l’avons vu dans la partie introductive de cet ouvrage, réamorcer la pompe de la croissance économique impose que les différentes composantes du produit intérieur brut que sont la consommation, l’investissement, les dépenses publiques et le solde extérieur soient financées et nécessite, dans le cas français, le recours aux financements extérieurs, via les marchés financiers notamment. La crise financière de 2007 a cependant montré toutes les limites et tous les dangers d’un financement par les marchés sans une supervision publique forte, et les nouvelles règles réglementaires et prudentielles mises en œuvre depuis redessinent les cartes du financement de l’économie. Qu’il s’engage dans des politiques volontaristes ou par le simple jeu des stabilisateurs automatiques, l’État est naturellement un des acteurs incontournables du financement de l’économie. Contrainte par les règles du Pacte de stabilité et de croissance et ébranlée par la crise économique, sa capacité d’action est cependant émoussée. Comme nous l’avons vu dans le cadre du chapitre 1, la recherche de relais auprès d’organismes supranationaux tels que la BEI ou, à l’inverse, locaux tels que les conseils régionaux, est essentielle. La mise en œuvre de partenariats public-privé et, plus globalement, la recherche d’un effet d’entraînement, visant à impulser par l’investissement public le financement privé, sont également une priorité. Deuxième pilier de l’action publique, la politique monétaire au sein de la zone euro a su pleinement se réformer. Privilégiant traditionnellement l’objectif de stabilité des prix, la BCE a en effet, dans un contexte de crise économique marquée, suivi l’exemple de la Banque fédérale américaine et significativement baissé ses taux directeurs afin de soutenir la croissance économique. Conséquence de cette politique, l’État français a pu, à la fin novembre 2014, emprunter à long terme sur les marchés financiers à moins de 1 %, taux historiquement bas. L’objectif de stabilité financière a également été recherché par la banque centrale, faisant des « politiques non conventionnelles » une nouvelle modalité de mise en œuvre de la politique monétaire. Commune à l’ensemble des pays de la zone euro, la 148 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE politique monétaire ne peut cependant répondre à elle seule aux besoins de financement de l’économie française. La baisse considérable des prix pétroliers observée sur le second semestre de l’année 2014 renforce en outre le risque de déflation en zone euro et celui d’une inefficacité à terme de la politique monétaire. Les pouvoirs publics ont également mis en œuvre des actions plus ciblées, en faveur de ce qui est reconnu pour être un catalyseur de la croissance économique. Le chapitre 4 fut ainsi l’occasion de rappeler l’importance des politiques de soutien à l’innovation, dont le dispositif du crédit d’impôt recherche constitue un élément aujourd’hui incontournable. Trois types de politique sont ainsi privilégiés : l’incitation fiscale à l’effort de recherche et développement, l’encouragement aux partenariats public-privé en matière de recherche et le soutien financier, direct ou indirect, aux entreprises innovantes. Parmi l’ensemble des dispositifs, le crédit d’impôt recherche, dont les effets positifs sont peu contestés, permettrait d’encourager à long terme l’effort de recherche et développement privé. La question du financement des entreprises innovantes, via notamment les mécanismes de marché, est également essentielle. S’interroger sur le rôle des puissances publiques dans le financement de l’économie impose de considérer les politiques qui favorisent l’entrée de capitaux étrangers et finançant l’investissement productif. Ce fut l’objectif du dernier chapitre de cet ouvrage, au travers de la question des fonds souverains et de la finance islamique. Dans un contexte de globalisation financière et de contraintes budgétaires dans la plupart des pays industrialisés, la capacité à attirer des ressources stables, placées à long terme, apparaît comme une des conditions sine qua non du financement de la croissance. Face à l’affirmation d’un capitalisme d’État, il semble nécessaire de réaffirmer un cadre fiscal, légal et réglementaire favorable à l’accueil de telles ressources, dans le respect du principe de réciprocité. On ne saurait cependant faire reposer la réussite macroéconomique d’un pays sur les seules politiques publiques, tant les variables influençant la croissance sont nombreuses et intimement liées au contexte économique mondial. ANNEXES ❮ 149 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE Les caractéristiques du financement de l’économie française Allen (Franklin), Beck (Thorsten) et Carletti (Elena), « Banques en Europe : conséquences des récentes réformes réglementaires », Revue d’économie financière, n° 112, 2013/4, p. 21-36. Couppey-Soubeyran (Jézabel) et Nijdam (Christophe), Parlons banque en 30 questions, coll. « Doc’en poche-Entrez dans l’actu », La Documentation française, Paris, 2014. Couppey-Soubeyran (Jézabel), Garnier (Olivier) et Pollin (Jean-Paul), Le financement de l’économie dans le nouveau contexte réglementaire, coll. « Les rapports du Conseil d’analyse économique », La Documentation française, Paris, 2013. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, juillet 2012. Dietsch (Michel) et Mahieux (Xavier), « Comprendre le déficit de financement des PME pour stimuler leur croissance », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 17-30. 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ANNEXES LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS APE : Agence des participations de l’État APU : administrations publiques BCE : Banque centrale européenne BEI : Banque européenne d’investissement Bpi : Banque publique d’investissement CAE : Conseil d’analyse économique CIR : crédit d’impôt recherche DIRD : dépense intérieure de recherche et développement DIRDE : dépense intérieure de recherche et développement des entreprises DNRD : dépense nationale de recherche et développement ETI : entreprises de taille intermédiaire FCPI : fonds communs de placement dans l’innovation Fed : Federal Reserve System JEI : jeune entreprise innovante OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques Odac : organismes divers d’administration centrale OPCVM : organismes de placement collectif en valeurs mobilières PIB : produit intérieur brut PME : petites et moyennes entreprises R & D : recherche et développement TCN : titres de créances négociables TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TIC : technologies de l’information et de la communication UE : Union européenne ❮ 153 ANNEXES ❮ 155 LISTE DES TABLEAUX, FIGURES ET ENCADRÉS Tableaux 1. Évolution de la capacité de financement des secteurs institutionnels en France (2009-2013) (en milliards d’euros), p. 18 2. Évolution de la dette publique et du déficit français au sens de Maastricht (2006-2013) (en % du PIB), p. 46 3. Les objectifs et principaux textes de la nouvelle gouvernance européenne, p. 47 4. Principaux instruments publics mobilisés pour le financement de l’économie française : montants et effets de levier (flux annuels 2010, en milliards d’euros), p. 48 5. La participation de l’État dans les entreprises cotées au 14 novembre 2014, p. 52 6. Les principales cessions, augmentations de capital, prises de participation et fusions de l’État depuis 2005, p. 54 7. Taux d’épargne des ménages (1995-2013) (en %), p. 58 8. Principaux placements financiers des ménages français (2012-2013) (montants annuels – flux en milliards d’euros), p. 60 9. Les activités de garantie de la Banque publique d’investissement (2012-2013) (en millions d’euros et en %), p. 62 10. Activité de financement de la Banque publique d’investissement (2012-2013) (en millions d’euros et en %), p. 62 11. Les mandats des banques centrales américaine, européenne, anglaise et japonaise, p. 83 12. Le modèle linéaire classique de l’innovation, p. 99 13. Évolution de la DIRD (1981-2012) (en %) et part de la DIRD dans le PIB (en %), p. 104 14. Évolution de la répartition de l’effort de recherche et développement (1981-2011) (en % du montant total de DIRD ou de DNRD), p. 105 15. Évolution de la répartition de la DIRD publique (2006-2012) (en millions d’euros), p. 106 16. Positionnement stratégique des pays de l’Union européenne en matière d’innovation, p. 106 17. Les sociétés innovantes en France entre 2008 et 2010 (en %), p. 109 18. Correctifs aux défaillances de marché en matière de R & D, p. 111 Figures 1. Les modalités du financement de l’économie, p. 19 2. La structuration des marchés financiers, p. 26 3. Le fonctionnement simplifié d’une opération de titrisation, p. 33 4. Le circuit des aides à l’investissement en France (chiffres 2010, en millions d’euros), p. 49 5. L’organisation de Bpi Groupe, p. 61 156 ❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 6. Évolution des crédits accordés aux sociétés non financières en France (2008-2014) (taux de croissance annuel, en %), p. 73 7. Le schéma français de recherche et d’innovation, p. 102 8. Évolution de la dépense nationale de recherche et développement (DNRD) (2000-2012) (en millions d’euros), p. 103 9. Évolution de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) (2000-2013), p. 104 10. La France et la concurrence mondiale en matière de R & D en 2011 (ratio DIRD/PIB), p. 108 11. Répartition des chercheurs en entreprise industrielle par branche de recherche en 2010 (en % du nombre total de chercheurs travaillant dans l’industrie), p. 110 12. Bilan des pôles de compétitivité (2008-2011), p. 118 13. La spirale déflationniste liée au surendettement, p. 136 Encadrés Objectifs et modalités du financement de l’économie, p. 13 Le calcul de la capacité et du besoin de financement par la comptabilité nationale, p. 17 Les différentes mesures de l’intermédiation, p. 21 Stabilisateurs budgétaires automatiques et politiques budgétaires volontaristes, p. 39 Les lignes directrices de la stratégie de l’État actionnaire, p. 53 Les formes juridiques des partenariats public-privé, p. 57 La BEI et le Fonds européen pour les investissements stratégiques, p. 64 Les fonds d’investissement en Aquitaine, p. 65 L’initiative Jeremie Auvergne, p. 67 La règle de Taylor, p. 81 Les principaux canaux de transmission de la politique monétaire, p. 87 Les caractéristiques de la forward guidance de la BCE, p. 92 État d’avancement général du Programme d’investissements d’avenir (PIA) à fin juillet 2014, p. 97 Le crédit d’impôt recherche (CIR), p. 112 Le dispositif de la jeune entreprise innovante (JEI), p. 115 Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, p. 119 Les axes de la politique de recherche en Allemagne, p. 123 études Les Parutions récentes La délinquance des jeunes Laurent Mucchielli (dir.), 2014, 160 p. Le Conseil constitutionnel. 2e édition Michel Verpeaux, 2014, 224 p. L’industrie française de défense Claude Serfati, 2014, 232 p. La fonction publique en débat Luc Rouban, 2014, 176 p. L’industrie pharmaceutique. Règles, acteurs et pouvoir Marie-Claude Bélis-Bergouignan, Matthieu Montalban et alii, 2014, 256 p. Les immigrés en France Jean-Yves Blum Le Coat et Mireille Eberhard (dir.), 2014, 208 p. Le marché de l’art. 2e édition Jean-Marie Schmitt et Antonia Dubrulle, 2014, 424 p. La presse française. Au défi du numérique. 8e édition Pierre Albert et Nathalie Sonnac, 2014, 208 p. Droits syndicaux dans l’entreprise et liberté syndicale Franck Petit, 2014, 304 p. Les agences de presse. 2e édition Henri Pigeat et Pierre Lesourd, 2014, 192 p. Les finances locales. 2e édition Fabrice Robert, 2013, 240 p. L’aide et l’action sociales Michel Borgetto et Robert Lafore, 2013, 224 p. L’opposition parlementaire Olivier Rozenberg et Éric Thiers (dir.), 2013, 224 p. L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française Pierre-François Gouiffès, 2013, 240 p. Les institutions de la France en questions Charles Waline, Marc Thoumelou et Samir Hammal, 2013, 256 p. Le livre. Une filière en danger ? 4e édition François Rouet, 2013, 240 p. Les élections présidentielles sous la Ve République. 3e édition Pierre Bréchon (dir.), 2013, 216 p. DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE ET ADMINISTRATIVE Commandes Direction de l’information légale et administrative Administration des ventes 26, rue Desaix 75727 Paris cedex 15 Télécopie : 01 40 15 68 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Notre librairie 29, quai Voltaire 75007 Paris Téléphone : 01 40 15 71 10 Tarifs au 1er février 2015 : un an (12 nos) – France métropolitaine : 95 € (TTC) – France de l’outre-mer : 103,50 € (HT) – Union européenne : 105 € (TTC) – autres pays : 115 € (HT)