Le financement é t u d e s

publicité
étud es
Les pouvoirs publics peuvent-ils encore, dans un monde
globalisé, peser sur l’activité et le financement de l’économie ? C’est à
cette question cruciale que cet ouvrage tente de répondre.
n Y ves Jégourel est maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux,
membre du Laboratoire d’analyse et de recherche en économie et finance internationales
(Larefi) et Non-Resident Fellow à l’OCP Policy Center (Rabat).
Max Maurin est docteur en sciences économiques et agrégé de sciences économiques
et sociales.
L es « Études de La Documentation française »
Une collection de référence sur le monde contemporain et ses évolutions : institutions, vie politique,
questions sociales, secteurs économiques, relations internationales. Des ouvrages pour tout lecteur
en quête d’analyses approfondies et objectives.
Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
3:DANNNB=^ZYUYU:
N o 5404
Directeur de la publication :
Bertrand Munch
DF 08119-5404
ISSN 1763-6191
Prix : 14,80 €
Le financement de l’économie française
n Y. Jégourel et M. Maurin
Par la politique budgétaire, qui s’inscrit aujourd’hui dans le cadre fixé
par l’Union européenne, l’État entend favoriser l’activité, tout en sollicitant
de nombreux relais, tant au niveau européen et national que régional.
De son côté, la Banque centrale européenne s’est résolue à faire évoluer
sa stratégie en stimulant une croissance économique largement déprimée.
Les puissances publiques ont également su cibler leurs actions vers certaines priorités comme l’innovation, qui joue un rôle clé dans le soutien
à la croissance. Enfin, le financement de l’économie ne serait rien sans
les ressources provenant du « reste du monde » : l’accueil des « fonds
souverains » constitue, en cela, un sujet essentiel.
La documentation Française
Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr
Imprimé en France
études
les
Le financement
de l’économie française
les
dF
Le financement
de l’économie
française
Quel rôle pour
les acteurs publics ?
Yves Jégourel
Max Maurin
Le financement
de l’économie française
Quel rôle pour les acteurs publics ?
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR/DIFFUSEUR
« Comprendre le déficit de financement des PME »
Michel Dietsch et Xavier Mahieux, Problèmes économiques, n° 3101, décembre 2014
« Bilan de l’économie française 2014 »
Problèmes économiques, n° 3096, octobre 2014
La situation et les perspectives des finances publiques
Cour des comptes, 2014
« France, changer de modèle ? »
Problèmes économiques, n° 3091, juin 2014
Parlons banque en 30 questions
Jézabel Couppey-Soubeyran et Christophe Nijdam, coll. « Doc’en poche-Entrez dans l’actu », 2014
Les conséquences de Solvabilité II sur le financement des entreprises
Conseil économique, social et environnemental, 2014
Le financement de l’économie dans le nouveau contexte réglementaire
Jézabel Couppey-Soubeyran, Olivier Garnier et Jean-Paul Pollin, Conseil d’analyse économique (CAE), 2013
À quoi sert la Banque centrale européenne ?
Edwin Le Héron, coll. « Réflexe Europe-Débats », 2013
« La finance mise au pas ? »
Cahiers français, n° 375, juillet-août 2013
Réformer le système monétaire international
Agnès Bénassy-Quéré, Emmanuel Farhi et alii, Conseil d’analyse économique (CAE), 2013
Le financement public de la recherche, un enjeu national
Cour des comptes, rapport public thématique, juin 2013
L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française
Pierre-François Gouiffès, coll. « Les Études », 2013
« Comprendre les politiques économiques »
Problèmes économiques, hors-série n° 4, septembre 2013
Le financement des PME et des entrepreneurs 2012. Tableau de bord de l’OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2013
L’État et le financement de l’économie
Cour des comptes, rapport public thématique, juillet 2012
Les Assises nationales du financement du long terme
Caisse des dépôts et consignations (CDC), 2012
DES MÊMES AUTEURS
« Acteurs publics et capital-investissement. Une analyse critique »
Yves Jégourel, Revue française de gestion, vol. 40, n° 241, 2014
« La responsabilité sociale et environnementale en finance :
réalité, performance et stratégie des fonds d’investissement éthiques »
Yves Jégourel avec Jean-François Verdié, La Revue du financier, n° 193, janvier 2012
Les produits financiers dérivés
Yves Jégourel, La Découverte, 2010
« La crise des subprimes : une approche en termes de capacité et besoin de financement »
Max Maurin, Économie appliquée, n° 2, 2011
« J. M. Keynes, le libre-échange et le protectionnisme »
Max Maurin, L’Actualité économique. Revue d’analyse économique, vol. 86, n° 1, 2010
Le financement
de l’économie
française
Quel rôle pour les acteurs
publics ?
Yves Jégourel
Maître de conférences en économie à l’Université
de Bordeaux, membre du Laboratoire d’analyse et de
recherche en économie et finance internationales
(Larefi), Non-resident Fellow, OCP Policy Center (Rabat)
Max Maurin
Docteur en sciences économiques, agrégé de sciences
économiques et sociales
La Documentation française
Département de l’édition dirigé par Julien Winock
Collection dirigée par Pierre-Alain Greciano
Conception graphique : Service de création graphique du département de l’édition
Illustration de couverture : © guru3d – Fotolia
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2015
ISSN 1763-6191
ISBN 978-2-11-009995-2
Les opinions exprimées dans cette étude n’engagent que leurs auteurs.
« Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle,
de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation,
numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique
des circuits du livre. »
❮
5
S
ommaire
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
1. Les caractéristiques du financement de l’économie française . . . . . . . . . . .
15
Financement et croissance : les termes du débat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une économie marquée par l’omniprésence des banques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les marchés financiers, éléments clés du financement des acteurs privés et publics . . . . . . . . . .
Le rôle des marchés financiers : entre transfert des risques et financement . . . . . . . . . . . . . .
La spéculation : une question complexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Marchés financiers et croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Crise financière et réglementation : de nouvelles bases pour le financement bancaire . . . . . . . . .
Les prémisses d’une réglementation bancaire internationale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De Bâle II à Bâle III. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Réglementations prudentielles et financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quel rôle pour l’acteur public ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
20
24
25
29
30
31
31
33
34
37
2. Politique budgétaire et dispositifs institutionnels : les instruments
du soutien public au financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
La politique budgétaire dans le contexte de l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les fondements théoriques de la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le contrôle des politiques budgétaires par l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les mesures de soutien de l’État au financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les mesures de soutien direct . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les mesures de soutien indirect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les relais publics de l’État pour assurer le financement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’action de la Banque européenne d’investissement et de la Banque publique
d’investissement en direction du financement de l’économie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le rôle des Régions dans la dynamisation des territoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
42
44
47
49
56
60
61
65
3. L’influence de la politique monétaire de la BCE
sur l’économie française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
69
Stabilité des prix, stabilité financière et croissance économique,
nouveaux objectifs de la politique monétaire européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’objectif prioritaire de stabilité des prix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les nouveaux enjeux de soutien à la croissance et de stabilité financière. . . . . . . . . . . . . . . .
Les outils monétaires traditionnels du refinancement de l’économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les politiques monétaires non conventionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
70
70
73
85
88
6
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
4. Le financement de l’innovation, pivot des politiques de soutien
à la croissance économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
95
L’innovation en France : un état des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le poids de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’innovation aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les politiques publiques en faveur de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les politiques d’incitation fiscale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les partenariats public-privé et les pôles de compétitivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le renforcement des capacités financières des entreprises innovantes . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le drainage de l’épargne collective vers les entreprises innovantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
100
100
106
110
112
116
120
124
5. Économie française, pays émergents et fonds souverains :
les enjeux d’une nouvelle donne financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
127
Fonds souverains et financement des pays d’accueil : une ambiguïté à nuancer . . . . . . . . . . . . . .
Une stratégie de diversification financière ou des velléités politiques ?. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une source de financement clé pour les économies d’accueil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Comment accueillir les capitaux étrangers ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les principes de Santiago . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les secteurs stratégiques et le principe de réciprocité en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Finance islamique et économie française : contraintes et opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Vers l’affirmation d’un capitalisme d’État ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
130
131
133
136
137
139
141
143
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
147
Bibliographie sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Liste des principaux sigles utilisés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Liste des tableaux, figures et encadrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
INTRODUCTION
❮
7
I
ntroduction
La France de l’Ancien Régime se caractérise par un développement limité
de son système financier au regard de ses grands voisins européens. Les
expériences malheureuses du système de Law en 1720 et la crise des Assignats sous la Révolution française1 entretiennent un fort sentiment de
méfiance à l’égard de la monnaie fiduciaire et des banques. Il existe néanmoins une organisation bancaire qui repose sur le modèle de la Haute
banque et qui assure le financement du commerce (notamment des grands
produits bruts et fabriqués comme le blé, le tabac ou les cotonnades) et
l’activité de prêt aux États. Lors de la première Révolution industrielle, au
début du XIXe siècle, malgré l’accroissement des besoins de financement
des entreprises, ces dernières continuent de s’autofinancer largement et le
recours au financement externe reste limité.
C’est sous le Second Empire que se réalise une véritable révolution bancaire avec l’émergence de grandes banques d’affaires, comme la Banque
des Pays-Bas, créée en 1864, ou la Banque de Paris, fondée en 1869, et
de grandes banques de dépôts, comme le Crédit lyonnais (1863) ou la
Société générale (1864). Ce développement du système bancaire permet
d’accompagner le besoin de financement devenu colossal de certaines
entreprises engagées dans des activités d’ampleur considérable, au premier
rang desquelles figure celle des chemins de fer. La naissance du capitalisme
industriel rend ainsi inadaptées les pratiques d’autofinancement des entreprises, conduisant alors au développement des sociétés de capitaux et à une
rapide extension des marchés de capitaux. Dans ce contexte, en 1914, la
capitalisation des titres côtés à la bourse de Paris en fait la deuxième place
financière dans le monde après Londres. Durant l’entre-deux-guerres, la
crise de 1929 affecte le système financier français, compliquant ainsi le
financement de l’économie. L’État français prend alors conscience de la
nécessité de maîtriser la sphère financière, rendue pour partie responsable
de l’ampleur de la crise.
C’est alors que, pendant les Trente glorieuses, le contrôle de l’État sur le système financier s’affirme. Les nationalisations bancaires de 1945 permettent
à la puissance publique d’encadrer l’activité de crédit pour la mettre au service des objectifs fixés par la planification. Le financement des entreprises,
1. Jérôme Buridant, Arcangelo Figliuzzi et alii, Histoire des faits économiques, coll. « Introduction
à l’économie », Bréal, Rosny-sous-Bois, 2007.
8
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
très largement bancaire, laisse une place étroite aux marchés de capitaux.
À la fin des années 1960, la France entreprend la réforme de son système
bancaire et financier afin d’introduire davantage de régulation marchande
et de concurrence dans son fonctionnement, avant que les années 1980
ne marquent l’avènement d’un vaste mouvement de libéralisation des systèmes bancaires et financiers dans le cadre de la globalisation financière.
Après plusieurs décennies de libéralisation économique et financière qui
ont vu un retrait progressif de l’action étatique au sein de la sphère économique, la crise financière de 2007 a eu le mérite de démontrer toute
l’importance des leviers publics pour maintenir un monde bancaire en
détresse2 et, ce faisant, pour « soutenir la demande » dans un contexte
économique largement déprimé.
La crise de la dette européenne a, en revanche, mis en lumière le fait que la
mise en œuvre de telles actions pouvait se révéler complexe, tant au regard
de la politique budgétaire que de la politique monétaire, et mener certaines
nations au bord du précipice financier. Favoriser le retour de la croissance
économique n’est de toute évidence pas chose aisée et impose que les différentes composantes du produit intérieur brut que sont la consommation,
l’investissement, les dépenses publiques et le solde extérieur soient financées
et ce, de façon équilibrée. Tout système économique se doit ainsi d’assurer
la confrontation entre les agents en besoin de financement et ceux en capacité de financement. En effet, si un agent économique n’a pas la capacité
d’autofinancement suffisante pour assurer son besoin de consommation
ou d’investissement, il devra faire appel à d’autres agents, nationaux ou
internationaux, ayant une épargne nette positive. En France, ce sont les
ménages et les sociétés financières qui assurent en partie le financement
des sociétés non financières et des administrations publiques, mais leur
épargne nette respective demeure insuffisante pour satisfaire la totalité de
leur besoin : le financement extérieur, par des investisseurs étrangers, est
donc nécessaire. Le cas français n’est pas isolé et l’on observe, à l’échelle
internationale, un clivage entre nombre d’économies des pays industrialisés
qui dégagent, à l’instar des États-Unis ou du Royaume-Uni, un besoin de
financement et celles des pays émergents, tels que la Chine, dont l’épargne
nette permet d’assurer l’équilibre financier mondial. Une approche dynamique met de plus en exergue des divergences de trajectoire entre nations
sur ces dernières années : la dette extérieure nette de la France est ainsi
passée, selon les données d’Eurostat, de 22 % du PIB en 2008 à plus de
2. « Au niveau mondial, […], les pertes de valeur liées aux estimations de dépréciations des
actifs pourraient atteindre près de 4 000 milliards de dollars, dont les deux tiers concerneraient des banques » (Mathieu Plane et Georges Pujals, « Les banques dans la crise », Revue
de l’OFCE, n° 110, juillet 2009, p. 179-220 [p. 182], citant un rapport du FMI). Pour le cas
français, voir Cour des comptes, « Le plan de soutien aux banques : un bilan financier encore
provisoire, un encadrement des rémunérations à compléter », in Rapport public annuel 2013,
février 2013, p. 155-190.
INTRODUCTION
❮
9
32 % en 2013, tandis que l’Allemagne, dont la dette était de 0,9 % du
PIB en 2008, est devenue créditrice nette à hauteur de 12 %.
La question du financement d’une économie n’est jamais simple et ne
peut se réduire à une analyse comparative du niveau d’épargne nette des
agents économiques qui la composent. La problématique du mode et de
la structure de financement est, en effet, essentielle. En réalité, deux modes
de financement coexistent.
Le premier consiste à ouvrir le capital social d’une entreprise à des investisseurs extérieurs en émettant des titres de propriété représentatifs de ce
capital, le plus souvent des actions. Il pourra alors s’agir d’une privatisation d’une entreprise préalablement publique, ou d’une entreprise privée
cherchant à s’introduire en bourse ou, étant déjà cotée sur un marché, à
augmenter son capital, et donc son financement. Le recours aux marchés
boursiers est un moyen privilégié pour ce type de financement, mais ceci
n’est pas automatique : le capital-investissement ou private equity, représentant l’ensemble des financements par actions non cotées en bourse,
connaît, depuis le milieu des années 1970 dans les pays anglo-saxons, un
essor considérable. Il fait notamment l’objet de toutes les attentions de
la part des pouvoirs publics, car il est un facteur clé du financement des
entreprises innovantes.
Le second mode de financement impose le recours à l’endettement, qu’il
s’agisse d’émissions de titres de créances sur les marchés financiers ou de
financement bancaire. À la différence des actions, il nécessite un remboursement à l’échéance de l’emprunt ainsi contracté. Si la globalisation financière
a incontestablement favorisé le phénomène de désintermédiation bancaire,
au profit d’un financement direct sur les marchés financiers, le rôle des
banques dans le financement de l’économie demeure essentiel, notamment
en France. Les échéances des prêts bancaires ou financiers ainsi contractés
peuvent, au sein d’une même économie, varier considérablement, traduisant l’objectif du financement demandé : du court terme (inférieur à un
an) pour les titres de créances négociables ou les crédits dits de trésorerie,
au long terme (jusqu’à cent ans) pour le financement des investissements.
La dette négociable française était, à titre d’exemple, composée à 87,5 %
de titres de moyen et long termes, contre 12,5 % pour les titres à court
terme au 31 août 2014. L’histoire récente des crises financières démontre,
en outre, que la nature des créanciers, privés ou publics, nationaux ou
internationaux, d’une nation n’est pas sans incidence. Au deuxième trimestre 2014, 64,2 % de la dette négociable française était financée par
des non-résidents, tandis que la dette publique japonaise était détenue à
plus de 90 % par des résidents. La question du coût du financement, en
partie représentatif du risque de l’emprunteur, mais également de l’aver-
10
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
sion au risque3 des prêteurs et de la disponibilité des capitaux, est enfin
essentielle. Plus un agent économique est endetté, plus le taux d’intérêt
qu’il devra payer sera, en théorie, élevé, mais ceci ne se vérifie pas toujours
en pratique : alors que l’endettement de la France est particulièrement
élevé, le taux d’intérêt que portent les obligations assimilables au Trésor
(OAT), principal instrument de refinancement de l’État français à long
terme, s’avère faible en raison, notamment, des politiques d’assouplissement monétaire menées par la Banque centrale européenne (BCE) et la
Réserve fédérale américaine (Federal Reserve System ou Fed).
À l’image des ménages ou des entreprises, les administrations publiques
« consomment », mais leurs ressources propres, issues très majoritairement de la politique fiscale de l’État, ne sont pas aujourd’hui suffisantes
pour couvrir leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce
qui explique le recours à un financement extérieur, essentiellement lié à
l’émission de titres de créances négociables et d’obligations. L’ampleur du
besoin de financement de l’État n’est pas sans incidence sur les conditions
de financement des autres agents économiques, qu’il s’agisse des ménages
ou des entreprises : le taux d’intérêt des obligations souveraines françaises
influence notamment très largement le taux d’emprunt immobilier proposé par le secteur bancaire aux ménages. Il convient cependant de ne pas
considérer les administrations publiques comme des agents économiques
comme les autres, car l’État, la banque centrale, mais aussi certaines institutions supranationales telles que la Banque européenne d’investissement, disposent de tout un arsenal d’outils leur permettant de peser sur
les conditions et les modes de financement de l’économie et donc, de la
croissance. Ces outils sont majoritairement fiscaux, financiers ou institutionnels. Par sa politique fiscale, l’État influence en effet tant le volume
d’épargne des ménages que sa répartition. Au cœur de la problématique du
financement de l’économie, la question du soutien aux PME a ainsi trouvé
une partie de sa réponse avec la création en France du régime juridique du
fonds commun de placement à risque (FCPR) en 1983, de la société de
capital-risque (SCR) en 1985, ainsi que celles des régimes fiscaux des fonds
communs de placement dans l’innovation (FCPI) en 1997, puis des fonds
d’investissement de proximité (FIP) en 2003. Les puissances publiques
peuvent également développer des outils financiers et intervenir directement dans le financement des entreprises, grâce à des structures dédiées
telles que CDCEntreprises ou le Fonds stratégique d’investissement (FSI),
désormais intégrés à BpiFrance, tandis que l’Agence des participations de
l’État incarne l’État actionnaire.
3. « Caractéristique de celui qui ne souhaite pas courir un risque et qui sera prêt à le transférer
à un tiers moyennant une rémunération, ou qui refusera tout actif ou toute action lui faisant
courir un risque qu’il perçoit comme excessif compte tenu de sa capacité à le supporter »
(www.lesechos.fr, rubrique « Lexique financier »).
INTRODUCTION
❮
11
Il serait erroné de ne concevoir l’action publique en faveur de la croissance
économique qu’à l’échelle nationale ou supranationale, car, depuis les lois
de décentralisation, il revient également aux régions d’agir pour assurer
la stimulation économique du territoire qu’elles représentent. À l’image
de l’Aquitaine, des fonds dits de co-investissement, associant investisseurs
privés et publics, œuvrent ainsi en région en faveur du financement des
PME et complètent l’action de l’État dans ce domaine.
D’un point de vue institutionnel, enfin, les dispositifs publics favorisant
l’introduction en bourse des entreprises dites technologiques soutiennent
également l’essor du capital-investissement et donc le financement des
entreprises de croissance. Les investisseurs dans le capital d’entreprises
non cotées demeurent en effet particulièrement sensibles à l’existence
de solutions de financement en aval permettant de valoriser leur sortie
en capital. Ainsi, au-delà des mécanismes de défiscalisation, c’est bien
l’existence de l’Alternative investment market (marché des investissements
alternatifs)4 qui explique le dynamisme de l’industrie du capital-investissement au Royaume-Uni.
Les politiques de soutien au financement de l’économie ne sont pas l’apanage du seul État ou des collectivités territoriales. Grâce à ce qu’il est
convenu d’appeler les canaux de transmission de la politique monétaire, la
banque centrale, qui a pour objectif principal d’assurer la stabilité des prix
d’une nation ou d’un groupe de pays tel que la zone euro, peut elle-même
s’engager dans une politique de soutien de la croissance par une politique
de taux d’intérêt bas, qui non seulement tend à pénaliser le comportement d’épargne au profit de la consommation, mais également favorise le
recours à l’endettement et facilite de ce fait la mise en œuvre de stratégies
d’investissement. La BCE a ainsi abaissé en mai 2013 son principal taux
directeur à 0,5 % avant de l’abaisser progressivement à 0,05 % (soit un
niveau historiquement bas) le 4 septembre 2014, tandis que celui de la Fed
se maintient à 0,25 % depuis le 16 décembre 2008. À la suite de la crise
financière de 2007, la plupart des banques centrales des pays industrialisés
se sont en outre engagées dans des politiques dites « non conventionnelles »
de rachats d’actifs financiers auprès des établissements de crédit, afin de
renforcer la solidité financière de ceux-ci et ainsi accroître leur capacité à
prêter aux autres agents économiques.
Une analyse pertinente des liens existant entre puissances publiques et
financement de l’économie ne saurait enfin être complète sans un regard
sur l’évolution des ressources financières provenant du reste du monde. À
ce titre, la montée en puissance des fonds souverains des pays asiatiques
et du Golfe est symptomatique de la mutation des équilibres financiers
4. Créé en 1995 par le London Stock Exchange (LSE), il est dédié aux petites et moyennes
capitalisations.
12
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
mondiaux, positionnant certains pays émergents, tels que la Chine où le
Qatar, comme les nouveaux argentiers des économies occidentales. Manne
financière pour certains, risque géopolitique pour d’autres, l’émergence
d’un nouveau capitalisme d’État n’est pas sans soulever un certain nombre
d’interrogations tant économiques que politiques, en particulier sur le
financement des secteurs économiques reconnus comme stratégiques5.
Sur une base non partisane, cet ouvrage tente d’offrir aux lecteurs une
analyse complète des différents éléments susmentionnés, lui permettant
ainsi d’appréhender dans sa globalité la question du lien entre financement
de l’économie et puissances publiques. De façon plus précise, après avoir
rappelé dans un premier chapitre les caractéristiques du financement de
l’économie française, nous traitons dans un deuxième chapitre des outils
fiscaux, réglementaires et institutionnels à la disposition des administrations publiques pour accroître les ressources financières à disposition des
agents économiques. Le troisième chapitre est consacré au rôle de la
banque centrale, où sont présentés successivement les outils traditionnels
de refinancement de l’économie et les politiques monétaires non conventionnelles. Leur incidence considérable sur les marchés financiers sera en
outre analysée. Le quatrième chapitre se penchera sur un élément essentiel
de la croissance économique, au cœur des préoccupations économiques
actuelles : le financement de l’innovation et, plus globalement, des PME.
Le rôle des pôles de compétitivité et des politiques économiques régionales
sera traité. Le dernier chapitre tendra à analyser en quoi la mutation des
équilibres financiers mondiaux a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs,
les fonds souverains, et en quoi ceci modifie les conditions de financement
des économies occidentales.
5. V. à cet égard Claude Serfati, L’industrie française de défense, coll. « Les Études », La
Documentation française, Paris, 2014, section « Les fonds souverains dans la défense »,
p. 72-73.
INTRODUCTION
❮
13
■ Objectifs et modalités du financement de l’économie
« Le financement de l’économie répond à des besoins distincts, se situant à divers
horizons temporels :
– le financement à court terme vise à couvrir le décalage dans le temps entre le
paiement des dépenses et la perception des revenus ou des recettes, tant pour les
entreprises que pour les administrations ou les ménages ;
– le financement à moyen terme concerne l’acquisition d’actifs matériels ou immatériels amortissables : véhicules pour les ménages, investissements de recherche et
développement ou achats d’équipement courant pour les entreprises ;
– le financement à long terme peut avoir pour objectif la réalisation d’investissements
industriels ou la construction d’infrastructures : réseaux de transport, de communication ou d’énergie, logements ou équipements collectifs (hôpitaux, infrastructures
de recherche).
Généralement, les modalités de financement sont regroupées en deux ensembles
dont le poids respectif varie d’un pays à l’autre et qui se distinguent par leurs modalités de répartition du risque :
– le financement par fonds propres (épargne, autofinancement ou émission d’actions
ou de parts sociales), où l’intégralité du risque est portée par l’investisseur ;
– le financement par endettement (émission de titres de dettes et recours au crédit
externe), où le risque peut être réparti entre l’investisseur et un intermédiaire en
contrepartie d’une rémunération permettant à ce dernier de mutualiser ou de couvrir
ses risques. »
Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique,
juillet 2012, p. 16.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
15
❯ Chapitre 1
Les caractéristiques du financement
de l’économie française
La connaissance des outils mobilisés par les acteurs publics pour stimuler
la croissance impose, au préalable, de comprendre comment s’organise
le financement d’une économie. Celle-ci se compose d’agents à capacité de financement et à besoin de financement : le transfert de l’épargne
est, dès lors, essentiel. Entretenant des relations économiques et financières avec ce qu’il est convenu d’appeler, en comptabilité nationale, « le
reste de monde », ce transfert d’épargne revêt également une dimension
internationale, devenue incontournable depuis la fin des années 1970.
Dans le cas de la France, le financement bancaire occupe une place prépondérante dans le système de confrontation des agents à capacité et à
besoin de financement. Les marchés financiers, second mode de financement d’une économie, ont vu, sous l’effet conjoint de la financiarisation et de la globalisation financière, leur rôle croître depuis le début des
années 1980. Ils demeurent toutefois encore peu accessibles aux PME,
alors que celles-ci, moteur de l’innovation et de la croissance, font souvent face à des contraintes importantes pour financer leur développement.
Dans ce contexte, le rôle de l’acteur public est essentiel afin de stimuler
l’épargne nationale, de drainer les capitaux internationaux et de les orienter
de manière optimale vers les agents – et notamment les entreprises – en
situation de besoin de financement.
Financement et croissance : les termes du débat
La notion de « croissance du PIB » est au cœur des préoccupations macroéconomiques. Dans l’étude d’une telle grandeur globale, la comptabilité
nationale offre des outils de définition et de quantification d’une aide précieuse pour le débat économique. Notamment, elle propose une décomposition de l’économie nationale en cinq grands secteurs institutionnels
résidents que sont : les sociétés non financières (SNF), les sociétés financières
(SF), les administrations publiques (APU), les ménages et les institutions
16
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
sans but lucratif au service des ménages (ISBLM)6. Ces secteurs peuvent
entretenir des relations avec des unités non résidentes que la comptabilité
nationale regroupe sous l’intitulé « reste du monde ». Fournissant « une
représentation quantifiée de l’économie dans un cadre comptable équilibré »7, la comptabilité nationale permet d’appréhender la croissance et la
question de son financement à travers l’équilibre comptable des ressources
et des emplois en biens et services. Partant de la décomposition sectorielle
présentée, on peut retenir l’expression suivante de cet équilibre :
PIB = CF des ménages + CF des APU + CF des ISBLM + FBCF + VS + (X – M)8.
Dans ce cadre, en économie fermée, « le financement de l’économie désigne
à la fois celui des entreprises (SNF et SF) qui cherchent à financer leur
investissement productif, celui des APU (État, hôpitaux, universités, collectivités locales, etc.) qui ont en règle générale à financer chaque année
leur déficit et enfin celui des ménages qui ont à financer leurs achats de
logement »9. En économie ouverte, il convient de prendre en considération
le fait que l’économie peut se trouver en situation de recherche de financement auprès du reste du monde, ou, au contraire, en situation d’offrir
un financement à celui-ci.
Le financement de l’activité des différents secteurs institutionnels passe
d’abord par leur capacité à dégager de l’épargne, laquelle, quand elle existe,
peut permettre le financement de la croissance. Traditionnellement, ce
sont les ménages qui dégagent le plus d’épargne brute, le montant de
celle-ci ayant atteint 200 milliards d’euros en 2013, d’après les chiffres de
l’Insee. Sur cette même année, les sociétés non financières possédaient une
épargne brute de 182 milliards d’euros et les administrations publiques,
de 16 milliards d’euros. Au total, en 2013, l’économie française dans son
ensemble a dégagé une épargne brute de 423 milliards d’euros.
Le financement de l’investissement par l’épargne brute est qualifié d’autofinancement. À partir des données fournies par la comptabilité nationale,
il est possible de calculer les taux d’autofinancement des différents secteurs
institutionnels en rapportant l’épargne brute du secteur à sa formation
6. « Les institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLM) regroupent l’ensemble
des unités privées dotées de la personnalité juridique qui produisent des biens et services non
marchands au profit des ménages. Leurs ressources principales proviennent de contributions
volontaires en espèces ou en nature effectuées par les ménages en leur qualité de consommateurs, de versements provenant des administrations publiques, ainsi que de revenus de la
propriété » (Insee).
7. Jean-Paul Piriou et Jacques Bournay, La comptabilité nationale, coll. « Grands repères. Manuels »,
La Découverte, Paris, 16e éd., 2012, p. 171.
8. CF : dépenses de consommation finale ; FBCF : formation brute de capital fixe ; VS : variations de stocks ; X : exportations de biens et services ; M : importations de biens et services.
9. Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, coll. « Licence. Économie », Puf,
Paris, 2e éd., 2012, p. 203-204.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
17
brute de capital fixe10. Pour les sociétés non financières françaises, ce taux
était de 75,5 % en 2013, d’après l’Insee. Ce taux a très fortement augmenté
entre les années 1980 (il était de 37,1 % en 1981) et les années 2000, avec
un maximum de 100,6 % en 1998.
Cependant, le montant d’épargne dégagé par un secteur institutionnel ne
lui permet pas toujours de financer la totalité de ses dépenses d’investissement. Autrement dit, même à niveau d’épargne positif, un secteur peut se
retrouver en besoin de financement. Inversement, un secteur peut afficher
une capacité de financement si le solde de son épargne brute, augmentée
des transferts nets en capital et diminuée des dépenses faites à des fins
d’accumulation, est positif (encadré).
■ Le calcul de la capacité et du besoin de financement
par la comptabilité nationale
En comptabilité nationale, la capacité de financement est le solde du compte de
capital, lequel enregistre les acquisitions nettes de cessions d’actifs non financiers
des unités économiques résidentes et mesure les variations de patrimoine dues à
l’épargne et aux transferts en capital.
Ce solde est égal à l’épargne brute augmentée des transferts nets (reçus moins versés) en capital et diminuée des dépenses faites à des fins d’accumulation : formation
brute de capital fixe, variation des stocks, acquisitions moins cessions d’objets de
valeur et d’actifs non produits (terrains…).
Lorsque ce solde est positif, on parle de capacité de financement et, lorsqu’il est
négatif, il traduit un besoin de financement.
Source : Insee.
Les ménages, qui accumulent traditionnellement une épargne brute
positive, dégagent également une capacité de financement (tableau 1) :
en 2013, celle-ci s’établissait ainsi à 76,8 milliards d’euros, d’après l’Insee.
En revanche, les sociétés non financières, malgré une épargne brute positive, dégagent régulièrement un besoin de financement qui provient de
l’ampleur des dépenses d’investissement qu’elles réalisent. Au titre de cellesci, la formation brute de capital fixe des sociétés non financières françaises
s’élevait à 241 milliards d’euros en 2013. Cette même année, leur besoin
10. « La formation brute de capital fixe (FBCF) est constituée par les acquisitions moins cessions
d’actifs fixes réalisées par les producteurs résidents. Les actifs fixes sont les actifs corporels ou
incorporels issus de processus de production et utilisés de façon répétée ou continue dans
d’autres processus de production pendant au moins un an » (Insee).
18
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
de financement a atteint alors 35,7 milliards d’euros. En ce qui concerne
les administrations publiques, la désépargne qu’elles réalisent, cumulée à
leurs dépenses d’investissement, conduit à un besoin de financement de
89,5 milliards d’euros en 2013.
Tableau 1.
Évolution de la capacité de financement des secteurs institutionnels en France (2009-2013)
(en milliards d’euros)
Secteurs institutionnels
Sociétés non financières
Sociétés financières
Administrations publiques
Ménages (dont entrepreneurs
individuels)
Institutions sans but lucratif au service
des ménages
Nation
2009
2010
2011
2012
2013
- 12,5
- 11,3
- 45,4
- 44,7
- 35,7
31,5
28,3
23,9
16,6
6,9
- 138,9
- 135,8
- 105,0
- 101,6
- 89,5
88,6
83,5
80,3
73,9
76,8
0,5
0,4
- 0,1
0,0
- 0,3
- 30,8
- 34,8
- 46,1
- 55,9
- 41,8
Source : Insee.
Il apparaît ainsi que l’épargne accumulée par un secteur institutionnel ne
lui suffit pas nécessairement pour financer ses dépenses d’investissement.
Dans une telle situation, le financement de l’investissement doit se réaliser
par le recours à des tiers, qu’ils soient du même secteur institutionnel ou
d’un autre secteur, qu’ils soient résidents ou non résidents, par la sollicitation d’un crédit ou l’émission de titres pour certains secteurs.
La capacité ou le besoin de financement peut être étudié à l’échelle de l’économie nationale tout entière. À ce niveau d’analyse, en 2013, la France
enregistrait un besoin de financement de 41,8 milliards d’euros. Cette
année marque une rupture par rapport à la tendance des années précédentes. En effet, depuis 2005, année durant laquelle la capacité de financement de la France qui existait depuis 1993 s’est transformée en besoin
de financement, le pays n’avait cessé de voir son besoin de financement
se creuser, jusqu’à atteindre 55,9 milliards d’euros en 2012. Comme le
rappelle la Cour des comptes11, cette trajectoire est « concomitante à une
dégradation continue » qu’a connue la balance des paiements française
sur la même période.
11. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, 2012,
p. 23.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
19
Il est donc essentiel pour la croissance de l’économie que l’ensemble de
ses composantes trouvent un financement. Le système financier joue par
conséquent un rôle déterminant en réallouant les ressources de manière à
se faire rencontrer les besoins et les capacités de financement : il permet aux
agents à épargne insuffisante de financer leurs dépenses d’investissement.
In fine, le système financier a pour vocation une meilleure allocation des
ressources au sein de l’économie afin d’assurer la réalisation des dépenses
de consommation et d’investissement nécessaire à la croissance.
Du point de vue des agents économiques, le recours au financement externe
se fait selon deux modalités : le financement direct et le financement indirect (figure 1).
Figure 1.
Les modalités du financement de l’économie
Financement
Autofinancement
Financement externe
Financement direct
Financement indirect
Crédit bancaire
Source : Yves Jégourel et Max Maurin.
Titres achetés
par les institutions financières
20
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Une économie marquée par l’omniprésence
des banques
Le financement indirect, également qualifié de financement intermédié,
signifie que l’emprunteur obtient un financement en s’adressant à des
intermédiaires financiers (notamment des établissements de crédit) qui
lui octroient des prêts. Parallèlement, les agents à capacité de financement
prêtent leur argent, mais ce prêt transite par l’intermédiaire financier qui
collecte leurs dépôts.
Malgré la montée en puissance des marchés de capitaux en Europe à partir
des années 1980, et le sentiment d’assister, par conséquent, à une désintermédiation du financement de l’économie, le secteur bancaire occupe
encore une place considérable dans l’économie française. Ainsi, parmi les
principales conclusions du rapport Paris Europlace12 figure celle que « les
assurances et banques commerciales jouent un rôle majeur dans l’intermédiation et la transformation de l’épargne des ménages et des entreprises à
destination de ces dernières ainsi que des collectivités locales. Le financement des entreprises reste dominé par le financement bancaire. Le financement par les marchés reste en retrait, à ce jour, sauf pour les grandes
entreprises ». En témoigne, par exemple, le poids du total des actifs géré
par le secteur bancaire, qui représente environ quatre fois la taille du PIB
national13. Le suivi de l’encours brut de crédit aux sociétés non financières
françaises mené par la Banque de France révèle que, en septembre 2014,
celui-ci s’élevait à 824,2 milliards d’euros, dont 572,4 milliards concernent
des encours liés à l’investissement et 171,9 milliards à des besoins de trésorerie.
Parallèlement, la BCE14 a montré l’importance du financement bancaire
relativement au financement non intermédié dans le cadre de la zone euro.
Ainsi, en 2007 (la BCE ne recalcule pas ces données chaque année), le stock
des prêts bancaires accordés y représentait 145 % du PIB, tandis que les
stocks d’actions cotées et d’obligations s’élevaient respectivement à 85 %
et 81 %15. En ce sens, la Banque de France calcule des taux d’intermédiation financière pour mesurer la part que représentent les financements
accordés par des institutions financières dans le total du financement
qu’obtiennent les agents non financiers (encadré). Plus précisément, elle
12. Paris Europlace, Financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers une
croissance durable, février 2013, p. 6.
13. Erkki Liikanen et alii, High-Level Expert Group on Reforming the Structure of the EU Banking
Sector, Commission européenne, Bruxelles, octobre 2012.
14. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2009.
15. Frederic S. Mishkin (Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson, Montreuil, 10 e éd.,
2013) apporte des éléments non pris en compte dans le calcul de la BCE (Bulletin mensuel,
avril 2009) et qui pourraient venir modifier, dans une mesure limitée, les résultats obtenus.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
21
procède au calcul d’un taux d’intermédiation au sens strict, qui mesure la
part des seuls crédits attribués par les institutions financières dans le total
des financements, mais également au calcul d’un taux au sens large, qui
comptabilise, en plus de ces crédits, les titres émis par les agents non financiers et détenus par les institutions financières. Ce second taux devient de
plus en plus pertinent à mesure que s’opère une mutation de la forme de
l’intermédiation qui, de la simple collecte de dépôts et du simple octroi
de crédit, tend à développer la mise en commun de l’épargne et la gestion
active et diversifiée de portefeuille. Le taux d’intermédiation financière au
sens large s’établissait ainsi à 54,5 % en 2011, mais son évolution révèle une
diminution quasi constante depuis 1996, où il était légèrement supérieur
à 75 %. La Cour des comptes16 explique principalement cette évolution
par « une diminution de la part des crédits consentis par les établissements
français, corollaire de l’augmentation de la part des crédits distribués par
les institutions financières non résidentes dans le financement des agents
non financiers ».
Néanmoins, la place occupée par le secteur bancaire dans le financement
de l’économie peut être analysée plus finement en distinguant les comportements des différents secteurs institutionnels. Ainsi, il apparaît que ce sont
les administrations publiques, du fait de la montée de leurs déficits, qui
se sont le plus orientées vers des financements de marché en développant
leurs émissions de titres au détriment de leur demande de crédit. Cependant, la désintermédiation n’est pas aussi massive qu’il peut paraître, étant
donné le nombre important de banques et d’intermédiaires financiers qui
souscrivent à ces titres. À la différence des administrations publiques, les
crédits conservent une part importante dans le financement des sociétés
non financières et les titres qu’elles émettent sont aussi largement achetés
par les institutions financières.
■ Les différentes mesures de l’intermédiation
« Le taux d’intermédiation vise à mesurer la part prise par les institutions financières
résidentes (banques mais aussi parfois OPCVM [organismes de placement collectif
en valeurs mobilières], titrisations, assureurs, etc.) dans le financement des agents
non financiers résidents.
Plusieurs distinctions sont possibles pour le calcul du taux d’intermédiation, amenant
à des concepts différents :
– l’étendue du champ des intermédiaires financiers (numérateur) : soit l’on prend un
indicateur large, incluant le crédit et les titres détenus par les intermédiaires financiers (obligations, actions et TCN [titres de créances négociables]), soit l’on considère
16. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 29.
22
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
un taux plus restrictif, incluant seulement le crédit bancaire. Ces deux taux correspondent à ceux publiés par la Banque de France. […] ;
– l’étendue des sources de financement des agents non financiers (dénominateur) :
on peut calculer l’importance du crédit bancaire soit par rapport à toutes les autres
sources de financement (y compris [les] actions cotées et non cotées), soit uniquement par rapport au financement par de l’endettement (obligations et crédit). Le
deuxième concept a l’avantage de ne pas être altéré par la structure de financement
entre actions et dettes (et de ne pas être non plus affecté par les problèmes de valorisation du capital non coté dans les comptes nationaux) ;
– l’étendue des agents non financiers (dénominateur) : on peut considérer tous les
agents non financiers (y compris les administrations publiques) ou seulement les
agents non financiers privés (voire seulement [les] entreprises non financières). La
part du crédit bancaire dans la dette est bien sûr plus faible quand on inclut aussi
les administrations publiques puisque celles-ci se financent essentiellement sur les
marchés (et ont une dette totale relativement importante). »
Source : Paris Europlace, Financement des entreprises et de l’économie française : pour un
retour vers une croissance durable, février 2013, p. 22-23.
Au total, pour Jézabel Couppey-Soubeyran17, le système financier français
pourrait être qualifié d’« économie de marchés de capitaux intermédiées »,
ajoutant que, « si les économies d’endettement qui prévalaient encore au
début des années 1980 ont pu fonctionner sans les marchés de capitaux, il
est clair que l’essor [de ceux-ci] n’aurait pu se faire sans un développement
concomitant de l’intermédiation financière. L’intermédiation financière n’a
donc pas décliné avec l’essor des marchés de capitaux. Au sein de l’intermédiation, l’industrie bancaire s’est adaptée à cet essor et en a tiré profit ».
Le recours à la théorie économique permet d’éclairer l’importance de la
place occupée par les banques dans le système financier français18. Depuis
les travaux de John Gurley et Edward Shaw19, l’intermédiation financière
est reconnue pour la fonction de transformation des échéances qu’elle
assure. En effet, le financement de l’économie nécessite la rencontre d’une
offre et d’une demande d’épargne dont les caractéristiques présentent des
divergences que l’intermédiation financière permet de résoudre. Du côté
de l’offre d’épargne, les agents admettent une préférence pour la liquidité et
la sécurité, qui se traduit par une orientation de leur épargne vers des placements à court terme et peu risqués. En revanche, du côté de la demande
17. Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, op. cit., p. 213.
18. Pour une approche détaillée du rôle des intermédiaires financiers et des banques, on pourra se
reporter à Laurence Scialom, Économie bancaire, coll. « Repères. Économie », La Découverte,
Paris, 4e éd., 2013.
19. John G. Gurley, Edward S. Shaw, Money in a Theory of Finance, Brookings Institution,
Washington, 1960.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
23
d’épargne, les besoins de financement, par exemple des sociétés non financières, se caractérisent davantage par une recherche de financement à long
terme, pour la réalisation d’investissements parfois risqués. Dans cette
configuration de marché, l’intermédiation financière prend tout son sens :
elle réalise une opération dite de transformation pour rendre compatibles
les divergences d’exigences en termes de maturité et de risque des offreurs
et des demandeurs. Cette opération de transformation permet de saisir
toute l’utilité de l’activité d’intermédiation financière, mais également sa
nature intrinsèquement risquée. En effet, la transformation fonctionne
correctement tant que les épargnants n’ont pas d’inquiétude sur la capacité de l’établissement bancaire à leur restituer leurs dépôts. En revanche,
s’ils perdent confiance en lui, celui-ci devra faire face à la panique de ses
déposants, comme l’ont théorisé Douglas Diamond et Philip Dybvig20.
Une telle panique conduira à des phénomènes de ruée bancaire et plongera
l’établissement en situation d’illiquidité. Cette situation signifie que, bien
que l’actif de la banque demeure supérieur à son passif, l’établissement de
crédit ne sera pas en mesure de rembourser les ressources des épargnants
(étant donné qu’elles ont été prêtées à long terme) et pourra être conduit
à déposer son bilan.
En outre, l’intermédiation financière que proposent les établissements bancaires joue un rôle important dans la réduction des problèmes d’asymétrie
d’information. Comme l’a montré George Akerlof21, une situation dans
laquelle l’un des participants à l’échange dispose d’une information privée
rend l’accès à l’information asymétrique et l’efficacité du fonctionnement
du marché est remise en cause. Cette analyse a été transposée au cadre du
prêt bancaire par Joseph Stiglitz et Andrew Weiss22. En effet, quand un
emprunteur demande un financement, il possède davantage d’informations sur sa propre situation (la qualité de son projet d’investissement, ses
chances de succès) que le prêteur. Ce dernier devra rechercher de l’information sur l’emprunteur et cette recherche impliquera un coût. Autrement
dit, le prêteur n’acceptera de proposer le financement que si le coût de la
recherche d’informations n’excède pas la rentabilité du projet. Ainsi, la
banque devient un agent spécialisé dans la collecte d’informations et cette
spécialisation permet de réduire les coûts de transaction. À cet égard, les
établissements bancaires réalisent de fortes économies d’échelle dans la collecte et l’emploi des ressources financières, faisant ainsi diminuer le coût
unitaire de production des services fournis avec l’augmentation de leur
quantité. Au-delà des économies d’échelle, comme le rappelle Laurence
20. Douglas Diamond, Philip Dybvig, « Bank Runs, Deposit Insurance, and Liquidity », Journal
of Political Economy, vol. 91, n° 3, juin 1983, p. 401-419.
21. George A. Akerlof, « The Market for ‘Lemons’: Quality Uncertainty and the Market
Mechanism », The Quarterly Journal of Economics, vol. 84, n° 3, août 1970, p. 488-500.
22. Joseph E. Stiglitz, Andrew M. Weiss, « Credit Rationing in Markets with Imperfect
Information », American Economic Review, vol. 71, n° 3, juin 1981, p. 393-410.
24
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Scialom23, les banques permettent de réduire de nombreux coûts liés aux
transactions comme les coûts de recherche de la contrepartie de la transaction financière, les coûts de négociation des conditions financières, les
coûts de contrôle de la bonne exécution des échanges, etc. Par ailleurs,
l’asymétrie d’information demeure une fois le financement accordé, car rien
ne garantit que l’usage des fonds octroyés soit conforme à l’engagement
initial. À ce niveau encore, l’intermédiation financière permet d’éviter la
croissance démesurée des coûts de contrôle grâce aux économies d’échelle
qu’engendre son activité24.
Enfin, au sein de l’activité d’intermédiation financière, les banques occupent
une place particulière dans la mesure où elles détiennent un pouvoir de
création monétaire. Les crédits qu’elles accordent ne se font pas sur la base
de ressources financières préexistantes : le crédit bancaire se réalise par l’attribution d’un dépôt – par simple écriture – au bénéfice de l’emprunteur.
Les marchés financiers, éléments clés du financement
des acteurs privés et publics
La crise financière qui ébranla, en 2007, l’économie mondiale et qui
contribua assez largement à la crise de la dette souveraine que connurent
un certain nombre de pays européens, au premier rang desquels la Grèce, a
largement favorisé le discrédit des marchés financiers auprès du public. La
crise de 2007 ne fut qu’un des nombreux dysfonctionnements que connut
la finance au cours des décennies, voire des siècles passés, de la crise de
la dette survenue en Amérique latine en 1983 à celle du système monétaire européen en 1992 ou encore celle qui fit vaciller le Sud-Est asiatique
en 1997, du jeudi noir de la crise de 1929 à l’effondrement, jusqu’à celle
des Tulipes en 1637 – considérée comme la première bulle spéculative de
l’Histoire – ou de la Compagnie des Mers du Sud, en 1720, qui mena
Isaac Newton à la ruine. Il n’en reste pas moins que les marchés financiers
remplissent deux fonctions économiques essentielles :
– la première d’entre elles vise à favoriser la rencontre entre les agents à
besoin de financement, essentiellement les entreprises et l’État, et les agents
à capacité de financement, qui sont les ménages et le reste du monde, opé-
23. Laurence Scialom, Économie bancaire, op. cit.
24. Une banque peut limiter les coûts de contrôle en ayant recours à un contrôleur délégué,
comme le montrent Douglas Diamond et Philip Dybvig (« Bank Runs, Deposit Insurance,
and Liquidity », op. cit.). Mais cette solution n’est pas sans limites. Notamment, ne faudraitil pas contrôler le contrôleur (Jézabel Couppey-Soubeyran, Monnaie, banques, finance, coll.
« Licence. Économie », Puf, Paris, 2e éd., 2012) ?
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
25
rant souvent par l’intermédiaire des investisseurs institutionnels (compagnie d’assurances, organisme de placement collectif, fonds de pension) ;
– la seconde vise à organiser le transfert des risques soit entre agents soumis
à des risques de nature opposée, soit entre agents cherchant à se protéger
d’un risque et ceux acceptant de le prendre contre rémunération.
Le rôle des marchés financiers : entre transfert des risques
et financement
En parallèle du secteur bancaire, le système financier a une première fonction : il permet de lever des fonds grâce à trois marchés distincts, le marché
des titres de créances négociables (TCN), le marché obligataire et le marché
des actions. Les TCN sont des titres de dettes à court et moyen terme
pouvant être émis par des institutions privées ou publiques. Ceci signifie
que l’émetteur de ces titres doit, dans l’absolu, rembourser à l’échéance les
sommes empruntées à l’investisseur qui aura choisi de les acheter et payer,
à l’instar d’un prêt traditionnel, un intérêt. Plusieurs TCN coexistent. À
court terme, le secteur privé peut émettre des certificats de dépôts s’il est
un établissement de crédit (ou une institution financière spécialisée) ou un
billet de trésorerie s’il est une entreprise. Leurs valeurs nominales sont de
150 000 euros et leur rémunération est libre (taux fixe, variable, structuré).
L’Agence France Trésor, représentant l’État, émet quant à elle des bons du
trésor à taux fixe et intérêts précomptés (BTF), d’une valeur nominale de
1 euro, d’échéances de trois mois, six mois et un an.
À moyen terme, le secteur privé émet des bons à moyen terme négociables
(BMTN), tandis que l’État utilise les bons du trésor à intérêt annuel
(BTAN) pour se refinancer sur des échéances comprises entre 2 et 5 ans,
d’une valeur nominale de 1 euro. À long terme coexistent deux marchés
tout à fait essentiels pour le fonctionnement de l’économie mondiale : le
marché obligataire et le marché des actions. Une obligation est, à l’instar
d’un TCN, un titre de créance, mais dont le remboursement s’effectue à une
échéance plus longue, pouvant aller jusqu’à cent ans. L’intérêt perçu, appelé
« coupon de l’obligation », dépend de la solidité financière de l’émetteur,
évaluée par des agences de notation dont les plus connues sont Moody’s,
Fitch et Standard & Poors. Une obligation « plus risquée » n’est donc pas
nécessairement moins intéressante qu’une obligation bénéficiant du fameux
« AAA », note réservée aux émetteurs les plus sûrs du monde puisqu’elle
offre, en compensation, des rendements plus élevés. S’il conserve son
obligation jusqu’à son terme, l’investisseur, à savoir l’acquéreur d’une
obligation, ne supporte en théorie qu’un type de risque, appelé risque de
crédit, lié à la dégradation de la situation économique de l’émetteur, dont
la forme extrême est la faillite.
Marchés financiers
La structuration des marchés financiers
Figure 2.
Organiser le transfert
des risques
Faciliter le financement
de l’économie
Contrats à terme
Swaps
Options
À court et moyen terme
À long terme
Source : Yves Jégourel et Max Maurin.
Titres de créances négociables
Obligations
Actions
26
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
27
En cas de revente anticipée, l’investisseur peut en revanche subir une baisse
du prix de l’obligation. Si, en effet, de nouvelles obligations sont émises
par un même émetteur mais offrant un coupon plus élevé, le vendeur n’a
d’autre choix que d’accepter de réduire le prix de cession de l’obligation
qu’il détient.
Une action est, à l’inverse des TCN ou des obligations, un titre de propriété représentatif du capital social d’une entreprise. Puisqu’il est en partie
propriétaire de l’entreprise, l’actionnaire dispose, en général, d’un droit de
vote lors des assemblées générales, peut, selon l’ampleur du capital détenu,
solliciter une place au conseil d’administration et bénéficie d’un droit
sur les bénéfices. Il n’existe, à l’inverse, aucune garantie en capital pour
l’investisseur puisqu’une action est un titre perpétuel, ne demandant pas
de remboursement. La rémunération associée à ce mode de financement
tient donc à l’espérance de plus-value lors de la revente des titres, et de la
politique de dividende de l’entreprise en question, c’est-à-dire du mode
de répartition de ses bénéfices.
Il importe ici de rappeler que la notion de marché ne fait pas nécessairement
référence à une place physique telle qu’on l’imagine lorsqu’on évoque la
bourse. En outre, elle n’implique pas obligatoirement une centralisation,
à un endroit donné, des ordres d’achat et de vente de titres. Un marché
n’est ni plus ni moins qu’une confrontation effective ou abstraite entre une
offre et une demande, pour laquelle deux organisations sont possibles :
de gré à gré ou organisé. Le premier de ce type de marchés, également
qualifié d’« over the counter » (OTC), n’a précisément pas de réalité physique. Le marché des changes est l’exemple type de cette organisation :
l’essentiel des opérations est en effet réalisé par les banques qui échangent
directement des devises entre elles, pour leurs comptes propres ou ceux
de leurs clients. Proche de ce que l’on appelle la « bourse », un marché
organisé impose, à l’inverse, que les échanges entre acheteurs et vendeurs
passent par un intermédiaire, la chambre de compensation, qui a notamment pour mission de garantir la bonne exécution des ordres. Le risque
de contrepartie, synonyme du fait que l’une ou l’autre des contreparties à
l’échange ne respecte pas ses engagements, est donc nul. La bourse française
(la « place de Paris »), dont l’indice phare est le fameux Cac40, est animée
par le groupe « Nyse-Euronext ». Celui-ci, racheté en 2012 par le groupe
américain Ice (Intercontinental Exchange), est issu de la fusion du New
York Stock Exchange (Nyse) et d’Euronext en 2007, elle-même née de la
fusion, en 2000, des bourses de Paris, Amsterdam, Lisbonne, Bruxelles et
d’une des bourses londoniennes, le London international Financial Futures
and Options Exchange (Liffe).
Un marché organisé peut avoir une réalité physique, à l’image des marchés
dits de criée tels que le London Metal Exchange (LME), marché financier
de référence pour les métaux, ou non – le marché des valeurs technologiques américain du Nasdaq en est une illustration. De ce point de vue,
28
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
il serait erroné de ne voir, dans les marchés actions, que la bourse. Les
actions peuvent en effet être cotées ou non : on parle alors du segment du
capital-investissement ou private equity, qui regroupe toutes les activités
de financement en fonds propres des PME non cotées en bourse. Comme
nous le verrons dans le chapitre 4 de cet ouvrage, le capital-risque, partie
intégrante du capital-investissement dédiée au financement de ce qu’il
est désormais convenu d’appeler les « start-up », est un levier essentiel du
financement de l’innovation, en France comme dans le reste du monde.
Forts de ces différents outils, les acteurs privés, le plus souvent les entreprises et à l’exception des ménages, peuvent trouver des modes de financement alternatifs au financement bancaire. Ils répondent cependant à des
logiques différentes et ne se substituent guère l’un à l’autre. Pour les administrations publiques françaises, et notamment l’État, les marchés financiers sont un levier essentiel de financement de la dette, via l’émission de
bons du trésor et d’OAT. Au 30 septembre 2014, la dette négociable des
administrations publiques, c’est-à-dire celle financée par l’émission de titres
sur les marchés financiers, s’élevait à 1 528 milliards d’euros. Si l’accès aux
marchés financiers est aisé pour les grandes entreprises françaises, tel n’est
pas le cas pour les PME. Comme le mentionne le rapport de la Cour des
comptes précité25, « l’accès des PME et entreprises de taille intermédiaire
aux financements de marché apparaît plus restreint en France que dans
d’autres pays européens. Le LSE-AIM de Londres et le Deutsche BörseEntry Standard représentent [en 2010] respectivement 82 % et 11,5 %
de la capitalisation des marchés européens des PME cotées contre 3,8 %
pour Alternext ». Ce constat pourrait cependant bien être amené à évoluer : un comité « Place de Paris 2020 », a ainsi été lancé le 16 juin 2014,
par le ministre des Finances et des Comptes publics, Michel Sapin, et dont
l’ambition est de s’assurer que des réponses financières soient apportées aux
entreprises désireuses de se financer sur les marchés financiers26.
Bien que ce rôle soit souvent méconnu du grand public, les marchés financiers ont pour seconde fonction d’organiser le transfert des risques, qu’ils
soient économiques, financiers ou autres, grâce aux marchés des produits
dérivés, regroupant en leur sein trois instruments : les swaps (littéralement,
contrats d’échange), les contrats à terme ou futures et les options. Bien que
la description détaillée des mécanismes qui sous-tendent ces instruments
dépasse le cadre de cet ouvrage, il importe de comprendre que les acteurs
de l’économie sont en permanence confrontés à des risques que les mécanismes assurantiels traditionnels ne permettent pas de gérer. Un exportateur pourra ainsi être exposé au risque d’une dépréciation de la monnaie
25. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 31.
26. Voir notamment, sur cette question, Christine Lejoux, « Financement des entreprises : Bercy
décrète la mobilisation générale », La Tribune, 17 juin 2014.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
29
étrangère dans laquelle il facture, une compagnie aérienne à une augmentation du prix du pétrole, un emprunteur à celle des taux d’intérêt… En
permettant de fixer à l’instant t0, selon différents mécanismes, un prix qui
prévaudra dans le futur, l’utilisateur d’un produit dérivé peut s’immuniser
contre ces différents risques. L’accès à ces outils financiers est souvent un
gage de compétitivité et de solidité financière pour les entreprises. Le paradoxe veut pourtant que les produits financiers soient également un vecteur
de fragilisation de l’économie, lorsqu’ils servent non plus la sphère réelle
mais une spéculation débridée.
La spéculation : une question complexe
La spéculation est un phénomène complexe intrinsèquement lié à l’existence des marchés financiers, bien qu’elle ne s’y cantonne pas. Dans une
acception simple, elle se définit comme le fait d’acheter un actif avec
pour objectif de le revendre à une date ultérieure afin de tirer profit d’une
modification de son prix. La finalité est donc la plus-value et non l’utilisation de l’actif. La frontière est donc, en théorie, ténue entre spéculation
et investissement : celui qui réalise une plus-value en revendant ses actions
mais qui aura également utilisé son droit de vote et touché des bénéfices
est, en effet, dans cette acception, un investisseur et non un spéculateur.
Il convient également de reconnaître qu’il existe plusieurs formes de spéculation, certaines étant bien plus agressives que d’autres. Il est, à titre
d’exemple, possible de vendre un actif que l’on ne détient pas en espérant
que le prix de celui-ci baisse : on parle alors de « vente à découvert ». Ceci
repose sur le principe de l’achat ou de la vente à terme évoqué dans la section précédente. En fixant en t0 à 100 euros le prix de l’action qu’il vendra
effectivement dans un mois, le spéculateur, qui ne détient pas l’action à
cet instant, espère en effet que, dans un mois, son prix aura baissé, supposons à 80 euros, valeur à laquelle il achètera le titre. Cela lui permettra,
lorsqu’il honorera sa vente à terme, de réaliser un gain de 20 euros. Le
trading à haute fréquence (THF) est également une pratique spéculative
largement décriée. Défini comme « les stratégies d’investissement exécutées
par des algorithmes combinant l’extraction et l’analyse de l’information de
marché et l’actualisation des positions d’achat et de vente à une fréquence
toujours croissante, aujourd’hui inférieure à la milliseconde »27, le THF
peut en effet contribuer à exacerber la volatilité des marchés financiers et
à renforcer les opportunités de manipulation des cours.
27. Luc Goupil, « Trading à haute fréquence : empreinte de marché et enjeux de régulation »,
Revue d’économie financière, vol. 110, n° 2, 2013, p. 277-294.
30
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Il est important enfin de distinguer, à l’aune du séisme de 2007, ingénierie financière et spéculation dans le déclenchement des crises. Il faut,
pour cela, comprendre que la finance a vocation, comme de nombreuses
« industries », à innover en permanence, soit pour répondre aux besoins
existants de ses clients, soit pour en créer de nouveaux, et ainsi générer
du profit. La titrisation, qui fut à l’origine de la crise des « subprimes », est
une bonne illustration de cette dynamique28. Technique intéressante de
financement, elle fut également largement dévoyée, afin notamment de
contourner la réglementation bancaire en vigueur, et fut une des causes
majeures de la crise de 2007.
Marchés financiers et croissance
Si la question de l’existence d’un lien entre développement financier et
croissance ne se pose pas, celle de son sens a longuement été débattue.
L’idée que le développement d’un système financier efficace était un prérequis nécessaire à la croissance économique a ainsi été défendue par de
nombreux économistes, parmi lesquels Joseph Schumpeter, Ronald Mc
Kinnon, Edward Shaw ou Ross Levine, ou par des institutions telles que
la Banque mondiale29. Pour ces auteurs, le développement du système
financier est indispensable à la collecte de l’épargne, à l’identification des
projets à haut rendement, à la diversification du risque et il facilite les
transactions, autant d’éléments qui favorisent la croissance économique.
D’autres auteurs ont défendu la relation inverse, autrement dit, l’idée que
c’est la croissance économique qui entraîne dans son sillon le développement du système financier. Ainsi, Joan Robinson30 affirmait que, « quand
les entreprises fonctionnent, la finance suit » et s’inscrivait dans la tradition
qui reconnaît le développement du système financier comme étant une
réponse à la demande engendrée par la croissance de l’économie réelle. De
manière plus nuancée, l’existence d’un lien réciproque est mise en évidence
par Hugh Patrick31, qui met en exergue deux effets permettant d’expli-
28. Voir infra, « Réglementations prudentielles et financement de l’économie », p. 34.
29. Joseph A. Schumpeter, The Theory of Economic Development : an Inquiry into Profits, Capital,
Credit, Interest, and the Business Cycle, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1934 ;
Ronald I. Mc Kinnon, Money and Capital in Economic Development, Brookings Institution,
Washington, 1973 ; Edward S. Shaw, Financial Deepening in Economic Development, Oxford
University Press, New York-Londres, 1973 ; Ross Levine, « Finance and Growth : Theory and
Evidence », in Philippe Aghion, Steven N. Durlauf (eds.), Handbook of Economic Growth,
vol. 1A, North-Holland Elsevier, Amsterdam, 2005, p. 865-934 ; Banque mondiale, World
Development Report, Oxford University Press, New York, 1989.
30. « Where Enterprise Leads, Finance Follows » (Joan Robinson, The Rate of Interest, and Other
Essays, Macmillan, Londres, 1952, p. 86).
31. Hugh T. Patrick, « Financial Development and Economic Growth in Underdeveloped
Countries », Economic Development and Cultural Change, vol. 14, n° 2, janvier 1966,
p. 174-189.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
31
quer simultanément l’influence du système financier sur la croissance et
de la seconde sur le premier dans le cadre d’un processus en deux temps :
– d’abord, lors des premières phases du développement économique,
l’expansion du système financier permet de mobiliser toutes les ressources
disponibles dans le secteur traditionnel pour les transférer vers le secteur
moderne et ainsi assurer le financement de projets porteurs de croissance ;
– ensuite, dès lors que le processus de développement économique arrive
à maturité, il entraîne avec lui la progression du système financier pour
assurer son financement.
Crise financière et réglementation : de nouvelles bases
pour le financement bancaire
L’histoire économique pourrait laisser à penser qu’une dynamique autoentretenue existe, dans la sphère financière, entre réglementation, innovation et crise. Initialement prévue pour améliorer les techniques de financement et d’investissement, l’innovation financière peut en effet également
être utilisée pour contourner une réglementation existante et ainsi porter
les germes d’une prochaine crise. Une nouvelle réglementation se met alors
progressivement en place, ouvrant la voie à de nouvelles innovations. Au
commencement de certaines crises récentes se trouve ainsi une exigence
dont la pertinence économique ne peut être remise en cause : la nécessité de contrôler l’activité de prêt des banques et de respecter un certain
niveau de fonds propres.
Les prémisses d’une réglementation bancaire internationale
Il faut savoir, pour comprendre les exigences de fonds propres, qu’une
banque commerciale peut accorder un volume de prêts supérieur aux dépôts
qu’elle détient. Comme le rappelle la Cour des comptes32, « les besoins de
long terme excédant généralement les capacités de même horizon, le financement de l’économie est exposé à un déficit structurel de ressources de
long terme. Les établissements financiers peuvent combler cet écart par la
“transformation” des ressources de court terme qu’ils collectent, se trouvant
de ce fait consommateurs de ressources de court terme et producteurs de
ressources de long terme ». Le rôle de la banque est ainsi de « transformer
les échéances », ce qui signifie schématiquement qu’elle « emprunte » à
court terme auprès de ses clients « déposants » et prête à long terme à ses
32. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 29.
32
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
clients emprunteurs. Elle doit néanmoins disposer, grâce à ses fonds propres,
d’une solidité financière suffisante pour faire face au risque qu’un certain
nombre de ses clients-emprunteurs ne puissent honorer le remboursement de leur dette et, consécutivement, garantir à ses clients-épargnants
la capacité à rémunérer les sommes qu’ils lui ont confiées. C’est la raison
pour laquelle les banques sont réglementairement contraintes de détenir
un certain niveau de fonds propres en pourcentage des sommes prêtées.
Ceci se fait sous l’égide du Comité dit « de Bâle »33, sous l’impulsion du
G1034, dans le but de renforcer la stabilité bancaire internationale.
Ce comité propose ainsi en 1988 d’adopter un premier « ratio prudentiel », appelé ratio Cooke, du nom du premier président du Comité, imposant que le rapport entre les fonds propres de la banque et la totalité des
sommes prêtées ne soit pas inférieur à 8 %. En d’autres termes, pour
cent euros de prêts qu’elle accorde, la banque en finance huit, le reste du
financement provenant du dépôt des épargnants ainsi que des emprunts
interbancaires ou ceux réalisés sur les marchés financiers. L’exigence de
fonds propres est cependant dépendante de l’ampleur du risque de nonremboursement (à savoir le risque de crédit ou, dans sa forme la plus grave,
le risque de défaut), auquel la banque est confrontée lorsqu’elle accorde
un prêt. Dans ce cadre, les créances accordées aux États ou aux banques
des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement
économiques) sont moins « consommatrices » en fonds propres que celles
accordées à des emprunteurs privés. Devenu progressivement inadapté
face à l’évolution des risques bancaires, ce ratio sera réformé à plusieurs
reprises sous l’effet de la réglementation Bâle II en 2004, puis, en 2010,
avec l’accord de Bâle III. Entrée en application en 2006, la réglementation
Bâle II institue notamment le ratio McDonough, qui améliore le ratio
précédent en liant davantage l’ampleur du capital nécessaire au risque de
crédit idiosyncratique de l’emprunteur, à savoir celui qui découle de sa
propre situation financière, tout en élargissant le périmètre des risques pris
en compte : le risque de marché et le risque opérationnel sont désormais
intégrés à la formule de calcul du ratio. Au-delà de cette exigence constituant
le premier pilier de cette réglementation, l’accord de Bâle II, traduit par la
directive européenne « Capital Requirements directive » (CRD) 2006/49
du 14 juin 2006, introduit deux autres piliers en matière de supervision
bancaire : une surveillance prudentielle individualisée donnant le pouvoir
aux autorités de contrôle bancaire de majorer l’ampleur des fonds propres
33. Le comité de Bâle, créé en 1974 et hébergé au sein de la Banque des règlements internationaux (BRI), rassemble des représentants des banques centrales et autorités prudentielles de
27 pays, fixe des normes prudentielles minimales, édicte des règles de surveillance de l’activité bancaire et promeut l’échange de bonnes pratiques.
34. Le G10 est un groupement informel constitué non pas de dix (contrairement à ce qu’indique
son appellation) mais de onze pays : Allemagne, Belgique, Canada, France, Italie, Japon,
Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse et États-Unis.
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
33
nécessaires si le profil de risque d’un établissement le justifie (pilier II), ainsi
qu’un devoir accru de communication financière de la part des banques
(pilier III). Non appliqué par les États-Unis, l’accord de Bâle II conserve
un périmètre européen.
De Bâle II à Bâle III
Pour pertinente qu’elle fût, l’amélioration de la réglementation prudentielle
de Bâle I à Bâle II n’a pas permis de prévenir la crise financière de 2007 en
raison, notamment, du recours croissant par les banques à la technique de
titrisation mentionnée précédemment, permettant de transférer des activités hors de leur bilan. Cette technique vise à transformer des créances,
le plus souvent bancaires, en titres financiers. Elle est, encore aujourd’hui,
un mode de financement intéressant, mais elle constitua également, avant
la crise de 2007, un moyen de contourner les contraintes réglementaires
de Bâle II.
Comme le montre la figure 3, une banque cède, dans une opération de
titrisation, les créances qu’elle détient sur ses clients à une structure juridique
dédiée, appelée special purpose vehicle (SPV). Celui-ci, créé par la banque
ou, plus globalement, par l’institution désireuse de céder ses créances et
dont la seule vocation est de réaliser la transformation des créances en titres,
ne dispose pas de capital initial et va donc financer l’acquisition de ces
créances par l’émission de titres de type obligataire sur les marchés financiers. En achetant ces titres, les investisseurs touchent des intérêts directement liés à ceux payés initialement par les débiteurs (et non à la solidité
financière de l’émetteur, à la différence d’une obligation traditionnelle).
Ils sont, en contrepartie, exposés au risque que les débiteurs ne puissent
honorer leur dette.
Figure 3.
Le fonctionnement simplifié d’une opération de titrisation
Paiement
des titres financiers
Achat
des créances
Special purpose vehicle
(SPV)
Banque
Paiement des intérêts
Cession
des créances
Débiteurs
Source : Yves Jégourel et Max Maurin.
Investisseurs
Émission
de titres financiers
34
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
La banque abandonne quant à elle la perception des intérêts sur les créances
qu’elle détenait mais reçoit en retour le produit de la vente des titres. Elle
échange en cela un flux de revenus futurs contre un paiement immédiat.
La titrisation est donc un mode de financement à part entière.
Les abus dans l’utilisation de cette technique furent à l’origine d’une des
plus grandes crises de la finance moderne. Les créances titrisées furent
de plus en plus opaques (on parle alors de collaterized debt obligation
ou CDO) et les investisseurs eurent, au travers des agences de notation
dont le rôle fut largement décrié, l’illusion que les titres qu’ils achetaient
étaient sans risque. Lorsque les premiers ménages américains ne purent
honorer le paiement de leurs mensualités (notamment immobilières) à la
suite de l’augmentation des taux d’intérêt, ce qui n’aurait pu être qu’une
crise bancaire nationale se répandit comme une traînée de poudre dans la
sphère financière. La crise de 2007 posait alors les jalons d’un cataclysme
économique comparable à celui de 1929.
Confronté à une crise systémique considérable dans laquelle la faillite
d’une institution bancaire ou financière peut entraîner, à l’image d’un jeu
de domino, celle d’une autre, le monde économique s’est engagé dans un
vaste programme de réformes bancaires et financières visant notamment
à limiter les activités spéculatives des banques, lutter contre l’évasion fiscale et accroître la coopération internationale dans ce domaine, mieux
encadrer l’utilisation des produits dérivés, mais également à renforcer, une
fois encore, la réglementation prudentielle des banques35. Les accords de
Bâle III, publiés le 16 décembre 2010, poursuivent ainsi les efforts visant
à garantir la stabilité bancaire internationale, en augmentant le niveau et
la qualité du capital réglementaire des établissements de crédit, mais également en introduisant deux nouveaux ratios prudentiels dont le but est
d’accroître la capacité de ces acteurs à faire face à des crises de liquidité.
Par ailleurs, l’ampleur des actifs que la banque peut détenir est définie
en fonction des fonds propres qu’elle possède : le rapport entre le total
des actifs détenus par une banque et ses fonds propres, appelé « ratio de
levier », doit ainsi être supérieur à 3 %.
Réglementations prudentielles et financement de l’économie
En encadrant l’activité de prêt des établissements de crédit, la réglementation prudentielle influence très largement le mode de financement d’une
économie, notamment pour celles qui, comme la France, dépendent assez
35. Le lecteur pourra se référer à Yves Jégourel, « États-Unis, Europe : un tour d’horizon des
réformes bancaires et financières », Cahiers français, n° 375, juillet-août 2013, p. 31-35 pour
un bilan des réformes bancaires et financières entreprises dans le monde et, plus globalement,
à l’ensemble du dossier de cette revue intitulé « La finance mise au pas ? ».
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
35
largement du secteur bancaire. La littérature académique s’est donc logiquement intéressée aux effets des accords de Bâle II sur le financement
des entreprises. Maud Aubier36 s’est en particulier interrogée sur les effets
de ces réglementations sur le financement des PME. L’auteur souligne
notamment que, pour un niveau de risque équivalent, les créances accordées à celles-ci bénéficient d’une réduction de capital réglementaire comprise entre 15 et 30 % (selon l’ampleur de la créance) par rapport à celles
des grandes entreprises.
La réglementation Bâle III a, quant à elle, soulevé de nombreuses interrogations ou inquiétudes. Certains estimaient en effet que les concours
bancaires aux entreprises, et notamment aux petites et moyennes entreprises, allaient se concentrer sur les entreprises les plus rentables et que le
coût du crédit allait augmenter, excluant de facto certaines PME. La Cour
des comptes37 estimait ainsi en 2012 que l’impact sur le coût du crédit
pourrait être de l’ordre de 3 % pour la zone euro à l’horizon 2015. En ce
qui concerne son influence sur la vitalité de l’économie, l’OCDE considérait, en 2011, que la mise en place de cette réforme coûterait à l’économie mondiale entre 0,05 et 0,15 % de croissance économique par an38.
Qu’en est-il réellement en 2014 ? Toute conclusion apparaît, sur ce point,
encore prématurée dans la mesure où les établissements de crédit ont
jusqu’en 2019 pour mettre en œuvre cette réglementation dans ses différents
volets. Nombre d’entre eux ont cependant anticipé son application et des
premiers éléments de réponse peuvent être apportés. Jean-François Pons
et Benjamin Quatre39 soulignent notamment que l’idée communément
admise selon laquelle le financement des entreprises allait être pénalisé tant
au regard du volume des prêts accordés que des taux d’intérêt pratiqués,
n’est a priori pas fondée. Si les crédits bancaires qui leur sont dédiés se sont
bien contractés dans la zone euro entre décembre 2010 et février 2014,
passant, selon la BCE, de 4 700 à 4 348 milliards d’euros40, c’est avant
tout la situation des pays comme l’Espagne et l’Italie qui l’explique. En
France, l’encours de crédits aux entreprises, qui était de 781,6 milliards
d’euros en décembre 2008, atteint 824,2 milliards en septembre 2014,
selon la Banque de France. L’encours de crédits mobilisés par les PME est
de 372,9 milliards d’euros à la même date, en hausse de 3,7 % par rapport
à septembre 2012. Le coût du crédit a, quant à lui, fortement diminué
36. Maud Aubier, « Impact de Bâle II sur l’offre de crédit aux PME », Économie & prévision,
nos 178-179, 2007, p. 141-148.
37. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 103.
38. Voir Patrick Slovik, Boris Cournède, « Macroeconomic Impact of Basel III », OECD Economics
Department Working Papers, n° 844, 14 février 2011.
39. Jean-François Pons et Benjamin Quatre, « L’impact de Bâle III sur les prêts aux PME : l’heure
de vérité approche », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 233-240.
40. Ils s’établissaient à 4 274 milliards d’euros à la fin octobre 2014 (source : www.ecb.europa.
eu/press/pdf/md/md1410.pdf, 27 novembre 2014).
36
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
sous l’effet de la politique monétaire expansionniste menée par la BCE
(voir chapitre 3), mais l’écart de tarification entre les grandes entreprises
et les PME/TPE semble s’être accru.
En ce qui concerne le financement en fonds propres des entreprises, l’impact de Bâle III apparaît en revanche plus négatif, en particulier pour les
entreprises non cotées. Selon l’Association française des investisseurs pour
la croissance (Afic), le déficit de financement dont souffrent ces entreprises
trouve une de ces causes dans le retrait des secteurs de la banque et de l’assurance, « dont les allocations au capital-investissement se sont effondrées,
respectivement de - 79 % et - 75 % entre 2008 et 2012. Dans un État où
les fonds de pension sont très limités, le détournement de ces deux catégories d’investisseurs institutionnels du capital-investissement marque un
coup d’arrêt à la dynamique d’orientation de l’épargne des ménages vers
les capitaux propres des PME et ETI nationales »41. La directive « Solvabilité II » 2009/138/CE du 25 novembre 2009, pendant de Bâle III pour le
secteur des assurances qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016, pourrait
renforcer ce déficit de financement. Elle imposerait en effet un taux de
charge de 49 % sur les investissements en fonds propres des entreprises
non cotées : pour cent euros investis, la compagnie d’assurances devrait
provisionner quarante-neuf euros de capital, contre trente-neuf pour les
actions cotées.
L’effort de réglementation du secteur bancaire s’est poursuivi avec la mise
en œuvre, à compter de novembre 2014, du Mécanisme de surveillance
unique (MSU) et du Mécanisme de résolution unique (MRU), jalons
essentiels vers la constitution d’une union bancaire. Le MSU a pour vocation, comme son nom l’indique, d’instituer plus de cohérence en matière
de contrôle bancaire au sein des 19 pays composant la zone euro en faisant de la Banque centrale européenne le superviseur prudentiel central
des établissements de crédit de la zone euro (environ 6 000 banques),
mais également des autres pays situés en dehors de la zone ayant choisi
de participer à ce dispositif. Le MRU s’appliquera aux banques couvertes
par le MSU. Dans les cas où une banque devrait faillir en dépit de sa surveillance renforcée, le mécanisme permettra une gestion plus efficace de
sa résolution, via un Conseil de résolution unique et un Fonds de résolution unique financé par le secteur bancaire. Le MRU permet quant à lui
une gestion plus efficiente des situations de crises, au travers notamment
d’un Conseil de résolution unique.
41. « Réponse de l’Afic à la consultation sur le financement à long terme de la
Commission européenne », 2013, p. 1 (http://ec.europa.eu/internal_market/consultations/2013/long-term-financing/docs/contributions/registered-organisations/
association-francaise-des-investisseurs-pour-la-croissance_fr.pdf ).
LES CARACTÉRISTIQUES DU FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
37
Quel rôle pour l’acteur public ?
L’État et, plus globalement, l’acteur public disposent d’un certain nombre
d’outils leur permettant de stimuler le financement de l’économie et leur
rôle est, de toute évidence, considérable. La politique budgétaire porte en
son sein une large partie d’entre d’eux, dès lors qu’elle met en œuvre des
subventions et des mécanismes d’incitations fiscales visant à encourager la
consommation des ménages ou l’investissement des entreprises, par le bais
d’allégement de charges ou de crédits d’impôt par exemple. L’État et les
collectivités locales sont également au cœur du financement de l’économie
dès lors qu’ils s’engagent en tant qu’actionnaires dans le capital d’entreprises cotées en bourse ou non. Ils peuvent, de ce point de vue, intervenir
seuls ou dans une logique de co-financement, directement, lors d’une prise
de participation dans le capital de l’entreprise, ou indirectement, par le
truchement de fonds d’investissement. La prise de participation de l’État
joue ainsi comme un effet de levier permettant de « crédibiliser » l’entreprise soutenue et d’encourager les investisseurs privés à s’engager. Cette
politique incitative peut également prendre la forme de garanties visant
notamment à prendre à sa charge le risque de défaut lorsque l’entreprise
emprunte : l’accès aux crédits bancaires est alors facilité.
L’intervention de l’État porte également sur le drainage et l’orientation de
l’épargne vers les agents à besoin de financement. La fiscalité des produits
d’épargne joue, de ce point de vue, un rôle essentiel. Comme le chapitre 4
l’explicitera, les contraintes budgétaires auxquelles les acteurs publics sont
désormais confrontés imposent un ciblage fin des entreprises et des secteurs
d’activité soutenus, le plus souvent en faveur de l’innovation et du maintien de l’emploi. Dans un contexte de globalisation financière, la capacité
d’une nation à attirer les capitaux étrangers est également fondamentale.
Si le couple rendement-risque des investissements ainsi proposé est une
variable clé sur laquelle l’acteur public n’a pas ou peu d’influence (à l’exception des actifs dont il est lui-même l’émetteur tels que les obligations
d’État), il semble clair que la qualité de l’environnement réglementaire et
le degré de stabilité fiscale ne peuvent être sous-estimés.
Dans cet effort pour capter l’épargne internationale, souvent portée par des
investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, l’État est engagé
dans un jeu complexe. Il faut effectivement reconnaître qu’une nation ne
peut s’affranchir de la sphère financière et que, dans ce contexte, la dépense
et la dette publique, ainsi que l’ampleur de la dette externe, font l’objet de
toutes les attentions sur les marchés financiers. Un dérapage des finances
publiques pourra ainsi être sanctionné par des investisseurs institutionnels désireux d’obtenir un rendement accru pour compenser la perception
38
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
d’un risque accru. Néanmoins, comme l’explique Leslie Lipschitz42, « avec
la mondialisation des marchés de capitaux, il devient donc plus difficile
pour les pays d’évaluer et de choisir une politique macroéconomique.
Dire que les marchés sanctionnent rapidement et brutalement un écart de
conduite est banal, mais pas tout à fait exact. En réalité, leur réaction aux
évolutions internes est souvent imprévisible : tantôt, ils semblent tolérer
longtemps un comportement imprudent, tantôt ils agissent de façon
préventive ; en général, ils sont sensibles à toute une gamme de facteurs
internes et externes ».
42. Leslie Lipschitz, « Le rôle central de la finance », Finances & développement, vol. 44, n° 1,
mars 2007, p. 24-27.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
39
❯ Chapitre 2
Politique budgétaire et dispositifs
institutionnels : les instruments du soutien public
au financement de l’économie
Par la mise en œuvre de sa politique budgétaire, l’État participe au financement de l’économie. En réalisant des dépenses publiques, il joue un rôle
important dans le soutien à l’activité, que ce soit dans le cadre de politiques
volontaristes ou par le simple jeu des stabilisateurs automatiques (encadré).
Néanmoins, cette participation de la puissance publique au financement
de l’économie est largement contrainte par les règles édictées par l’Union
européenne qui, par l’encadrement des politiques budgétaires nationales,
entend assurer l’efficacité de sa politique monétaire.
■ Stabilisateurs budgétaires automatiques et politiques
budgétaires volontaristes
■
Les stabilisateurs budgétaires automatiques
« Les recettes et les dépenses publiques exercent spontanément une action contracyclique sur l’activité économique, c’est-à-dire d’atténuation des aléas de la conjoncture économique.
En effet, si une grande partie des dépenses publiques sont indépendantes des variations à court terme de l’activité économique (ex. les dépenses de rémunération et
de retraite des fonctionnaires), certaines d’entre elles sont, en revanche, mécaniquement liées à la conjoncture. C’est notamment le cas des dépenses d’indemnisation
du chômage ou des prestations sociales versées sous condition de ressources, qui
augmentent quand l’activité économique se dégrade. On considère ainsi que l’élasticité des dépenses publiques à la conjoncture est comprise entre 0,1 et 0,3, autrement dit, les dépenses publiques ont tendance à augmenter spontanément de 0,1 à
0,3 point lorsque la croissance ralentit d’un point.
Lorsque l’activité économique ralentit, les dépenses publiques ont tendance à
s’accélérer, tandis que les entrées de recettes ralentissent mécaniquement, ce qui
provoque une détérioration du solde budgétaire. La détérioration de l’activité économique provoque alors un transfert de revenus des administrations publiques vers les
40
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
ménages et les entreprises, ce qui atténue mécaniquement l’effet du ralentissement
économique sur les revenus de ces derniers.
À l’inverse, en période de forte expansion économique, les prélèvements fiscaux et
sociaux augmentent mécaniquement, tandis que les dépenses diminuent, ce qui a
tendance à freiner la croissance de la demande intérieure.
Par conséquent, les recettes et les dépenses publiques fonctionnent comme des
“stabilisateurs automatiques” puisqu’elles contribuent à amortir les variations
conjoncturelles de l’activité économique. Cependant, ce mécanisme de stabilisation
automatique ne fonctionne pleinement que si les ménages et les entreprises ne
modifient pas leur comportement de consommation et si les taux d’intérêt ne sont
pas affectés par la croissance de la dépense publique en période de récession.
■
Les politiques budgétaires volontaristes
En cas de forte dégradation de la conjoncture économique, les gouvernements
peuvent être tentés de mener une politique budgétaire volontariste. Une telle politique consiste à soutenir l’activité économique à court terme, en faisant jouer le
“multiplicateur keynésien” [1].
On appelle “multiplicateur keynésien” le mécanisme macroéconomique mis en
évidence par John Maynard Keynes, qui permet de compenser la faiblesse des
dépenses privées par un accroissement des dépenses publiques. En effet, une
augmentation des dépenses publiques engendre des revenus supplémentaires qui
sont pour partie consommés, pour partie épargnés et pour partie récupérés par les
administrations publiques sous la forme d’impôts et de cotisations sociales. Or, la
partie de ces revenus supplémentaires qui est consommée vient nourrir la demande
intérieure adressée aux entreprises. Ces dernières peuvent dès lors augmenter leurs
investissements, leurs emplois, et distribuer des revenus supplémentaires. Le surcroît de dépenses publiques provoque par conséquent un effet cumulatif (un effet
multiplicateur) qui stimule d’autant plus l’activité économique que les revenus sont
peu épargnés, peu imposés et que la demande de consommation s’adresse principalement aux entreprises nationales.
Les gouvernements peuvent également soutenir l’activité en réduisant les charges
fiscales et donc en augmentant le revenu des personnes privées. Cette politique
stimule l’activité économique, mais dans une moindre proportion que la dépense
publique, car une partie de ce revenu supplémentaire est immédiatement épargnée
par les ménages et les entreprises. »
(1) Voir plus loin, section « Les fondements théoriques de la politique budgétaire » (NDE).
Source : www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/approfondissements/
politique-budgetaire.html.
Force est de constater que la crise économique de 2007, en creusant les
déficits publics nécessaires à la relance des économies, a renforcé la préoccupation du contrôle des comptes publics. C’est dans ce contexte contraint
que doit aujourd’hui opérer l’État pour participer au financement de l’économie par sa politique budgétaire, que cette participation soit directe, par
exemple par le versement d’aides à l’investissement, ou indirecte, comme
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
41
dans le cadre d’opérations de garantie. Face à la contrainte budgétaire,
l’action de l’État s’oriente de plus en plus vers la recherche de relais publics,
comme peuvent l’être la Banque européenne d’investissement, la Banque
publique d’investissement ou encore les Régions françaises, pour assurer
la pérennité du financement de l’économie par la puissance publique.
La politique budgétaire dans le contexte de l’Union
européenne
Au cours du XXe siècle, qui a vu naître et se développer l’État providence,
la part des dépenses publiques dans le PIB a fortement augmenté, faisant
de l’État, après la Seconde Guerre mondiale, un contributeur essentiel
de l’activité économique. Alors que, en 1912, les dépenses publiques en
France s’élevaient à 12,6 % du PIB1, elles en atteignaient 57,1 % en 2013
selon l’Insee.
Plus précisément, l’État se livre à des dépenses, qu’elles soient de fonctionnement, d’investissement ou de transferts sociaux, et peut les financer de
plusieurs manières. D’abord, par le biais du développement des prélèvements obligatoires, qui peuvent prendre la forme d’impôts ou de cotisations
sociales. Par ailleurs, il a également la possibilité de recourir à l’emprunt
en émettant des titres de dette publique. Enfin, l’État peut se tourner vers
la banque centrale pour qu’elle procède à une création monétaire. Dans
le cadre de la zone euro, l’article 123 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE) interdit à la BCE ou aux banques centrales
des États membres d’acheter des titres de dettes publiques sur le marché
primaire.
La politique monétaire étant dévolue à la BCE, l’influence macroéconomique de l’État transite aujourd’hui largement par l’exercice de sa politique budgétaire, dont les fondements théoriques remontent aux travaux
de Keynes. Aujourd’hui, les enseignements qui en découlent doivent
trouver leur place dans le cadre de l’Union européenne qui impose à ses
pays membres une discipline budgétaire.
1. Christine André et Robert Delorme (dir.), « Le budget de l’État », Cahiers français, n° 261,
mai-juin 1993.
42
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Les fondements théoriques de la politique budgétaire
Les fondements théoriques de la politique budgétaire doivent beaucoup
aux analyses développées par Keynes dans la première moitié du XXe siècle,
notamment dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936)2. Dans l’interprétation de la pensée keynésienne proposée par
John Hicks, puis popularisée par Alvin Hansen3, et connue sous le non de
modèle IS-LM (Investment Saving-Liquidity Preference Money Supply)4, les
dépenses gouvernementales sont une composante de la demande globale,
qui comprend également la consommation des ménages, l’investissement
des entreprises et la demande émanant du reste du monde, à savoir les
exportations.
En supposant une situation de court terme, dans laquelle les prix sont
rigides et dans laquelle, par conséquent, l’offre doit s’ajuster aux variations de la demande pour assurer l’équilibre, il est possible de mettre en
évidence l’existence d’un effet multiplicateur de la dépense gouvernementale sur le revenu.
Cet effet multiplicateur de la dépense publique sur le revenu peut s’expliquer en se décomposant. Dans un premier temps, si la dépense publique
augmente, la demande globale augmente d’autant. La production et le
revenu sont alors contraints de s’ajuster du même montant. Dans un
deuxième temps, une part du revenu supplémentaire versé pour permettre l’accroissement de la production va être dépensée par les ménages,
dont une partie va se porter sur des produits étrangers. Le supplément de
consommation adressé aux entreprises nationales va entraîner une nouvelle
hausse de la demande globale à laquelle va devoir s’ajuster la production.
Le revenu va par conséquent à nouveau augmenter, de même qu’ensuite la
consommation pour les produits nationaux et étrangers. Cette succession
de vagues de production, de distribution de revenu et de consommation
supplémentaires permet de comprendre l’effet plus que proportionnel
d’une augmentation des dépenses publiques sur le niveau de l’activité par
le déclenchement d’un mécanisme multiplicateur.
2. John Maynard Keynes, The General Theory of Employment, Interest, and Money, Macmillan,
Londres, 1936 (traduction française : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie,
coll. « Bibliothèque économique », Payot, Paris, 1942).
3. John R. Hicks, « Mr Keynes and the “Classics”. A Suggested Interpretation », Econometrica,
vol. 5, n° 2, avril 1937, p. 147-159 ; Alvin H. Hansen, A Guide to Keynes, McGraw-Hill, New
York, 1953.
4. Au sein duquel la courbe IS représente l’ensemble des combinaisons de taux d’intérêt et de
revenus assurant l’équilibre sur le marché des biens et des services, et la courbe LM, l’ensemble
des combinaisons de taux d’intérêt et de revenu assurant l’équilibre sur le marché monétaire.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
43
Günter Coenen et alii 5 ont comparé les estimations empiriques de multiplicateurs fournies par sept modèles d’équilibre général6. Ils mettent
notamment en avant le fait que l’efficacité de la politique budgétaire est
renforcée si elle est menée de concert avec la politique monétaire, si elle ne
conduit pas à des déficits permanents et si elle mobilise certains instruments
plutôt que d’autres. Ainsi, ils relèvent que, à court terme, le multiplicateur d’investissement public s’élève à 1,48 en Europe, quand une baisse
de l’impôt sur les sociétés n’aurait un effet multiplicateur que de 0,157.
Même en l’absence d’une politique budgétaire volontariste, les recettes
et les dépenses publiques exercent, de manière automatique, une action
régulatrice sur le cycle de l’activité économique. On parle à cet égard de
stabilisateurs budgétaires automatiques pour désigner l’effet contra-cyclique
d’atténuation des fluctuations de la croissance qui se développe en dehors
de toute intervention discrétionnaire de la puissance publique. Cet effet
existe car une partie des dépenses publiques dépend mécaniquement de
la conjoncture. Par exemple, les dépenses d’indemnisation du chômage
vont augmenter quand la conjoncture se dégrade et, inversement, diminuer quand elle s’améliore. De ce fait, un ralentissement économique
générant du chômage va mécaniquement entraîner un déficit et donc une
expansion budgétaire qui viendra favoriser la reprise.
De nombreux travaux tentent d’estimer l’ampleur des stabilisateurs automatiques8, mais force est de constater, comme le font Jan In ‘T Veld et
5. Günter Coenen, Christopher J. Erceg, Charles Freedman, Davide Furceri et alii, « Effects of
Fiscal Stimulus in Structural Models », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 4,
n° 1, janvier 2012, p. 22-68.
6. Les multiplicateurs peuvent être estimés par d’autres méthodes qu’en utilisant des modèles
d’équilibre général. Jérôme Creel, Éric Heyer et Mathieu Plane (« Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE,
n° 116, janvier 2011, p. 61-88) relèvent deux autres méthodes permettant de les estimer : l’une,
narrative, utilisée notamment par Christina et David Romer (« The Macroeconomic Effects
of Tax Changes : Estimates Based on a new Measure of Fiscal Shocks », American Economic
Review, vol. 100, n° 3, juin 2010, p. 763-801) et reposant sur l’identification des changements
de législation fiscale apparaissant dans les lois de finances successives ; l’autre s’appuyant sur
l’estimation d’un modèle vectoriel autorégressif structurel et proposée par Olivier Blanchard
et Roberto Perotti (« An Empirical Characterization of the Dynamic Effects of Changes in
Government Spending and Taxes on Output », The Quarterly Journal of Economics, vol. 117,
n° 4, novembre 2002, p. 1329-1368).
7. En d’autres termes, cela signifie qu’une augmentation de 1 euro des dépenses d’investissement
public entraîne une hausse de 1,48 euro du PIB, alors qu’une baisse de 1 euro de l’impôt sur
les sociétés ne l’accroît que de 0,15 euro.
8. Paul Van den Noord, « The Size and Role of Automatic Fiscal Stabilizers in the 1990s and
Beyond », OCDE, OECD Economics Department Working Paper, n° 230, janvier 2000 ;
Commission européenne, « Fiscal Policy and Cyclical Stabilisation in EMU », in Public Finances
in EMU 2001, p. 57-77 ; Anne Brunila, Marco Buti, Jan In ‘T Veld, « Fiscal Policy in Europe :
How Effective Are Automatic Stabilisers ? », Empirica, vol. 30, n° 1, mars 2003, p. 1-24 ; Ray
Barrell, Alvaro M. Pina, « How Important Are Automatic Stabilisers in Europe ? A Stochastic
Simulation Assessment », Economic Modelling, vol. 21, n° 1, janvier 2004, p. 1-35 ; Mathias
Dolls, Clemens Fuest, Andreas Peichl, « Automatic Stabilisers and Economic Crisis : US vs.
Europe », Journal of Public Economics, vol. 96, nos 3-4, avril 2012, p. 279-294.
44
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
alii 9, que ces estimations varient significativement, selon les méthodes ou
les définitions retenues. Par exemple, Ray Barrell et Alvaro Pina trouvent
un effet de lissage du revenu de 11 % dans la zone euro, quand Mathias
Dolls et alii proposent une fourchette comprise entre 4 % et 22 %10.
D’après Anne Brunila et alii 11, la France, bénéficiant d’une charge fiscale
élevée, se classerait parmi les pays européens à plus forte capacité de stabilisation. Ainsi, en période d’expansion économique, la hausse des recettes
fiscales vient freiner l’expansion et, inversement, en période de récession,
la baisse du revenu fiscal permet de ralentir la contraction de l’économie.
Une des limites de la politique budgétaire est que l’accumulation de déficits vient accroître l’encours de dette publique et augmente la charge de la
dette, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses liées au paiement des intérêts12.
Or, à mesure que se creuse l’endettement public et, par conséquent, s’accroît la charge de cette dette, les taux d’intérêt sur les nouveaux emprunts
de l’État augmentent. Cette dynamique peut rendre insoutenable le poids
de la dette de l’État si ses recettes ne se développent pas suffisamment.
Le contrôle des politiques budgétaires
par l’Union européenne
La question que pose le financement des dépenses publiques est aujourd’hui
omniprésente dans les débats. Cette question prend une résonance particulière dans le contexte de l’Union européenne qui, depuis le traité de
Maastricht, impose aux pays membres le respect d’une discipline budgétaire13. Au début des années 1990, puis avec ce traité, signé en 1992, ont
émergé deux critères qui devaient imposer aux pays membres une discipline budgétaire afin d’éviter de mettre en péril la stabilité monétaire de
9. Jan In ‘T Veld Jan, Martin Larch, Marieke Vandeweyer, « Automatic Fiscal Stabilisers : What
they Are and What they Do », European Economy Economic Papers, n° 452, avril 2012.
10. Ray Barrell, Alvaro M. Pina, « How Important Are Automatic Stabilisers in Europe ? A
Stochastic Simulation Assessment », op. cit. ; Mathias Dolls, Clemens Fuest, Andreas Peichl,
« Automatic Stabilisers and Economic Crisis : US vs. Europe », op. cit.
11. Anne Brunila, Marco Buti, Jan In ‘T Veld, « Fiscal Policy in Europe : How Effective Are
Automatic Stabilisers ? », op. cit.
12. Pour une présentation plus exhaustive des critiques apportées aux fondements théoriques
des politiques budgétaires, on pourra se référer au manuel d’Agnès Bénassy-Quéré, Benoît
Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 3e éd., 2012.
13. Les problèmes de financement de la dette publique n’ont cependant rien de nouveau, Carmen
Reinhart et Kenneth Rogoff (This Time is Different. Eight Centuries of Financial Folly, Princeton
University Press, Princeton, 2009) recensant de nombreux exemples historiques de banqueroutes d’États. Pour plus de détails concernant la discipline budgétaire dans l’Union européenne du traité de Maastricht jusqu’en 2013, on pourra se reporter à Carine Bouthevillain,
Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Laurent Paul, Les politiques budgétaires dans la crise.
Comprendre les enjeux actuels et les défis futurs, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck,
Bruxelles, 2013.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
45
l’Union dans son ensemble : les seuils de 3 % du PIB pour le déficit des
administrations publiques et de 60 % du PIB pour la dette publique furent
décidés à cette occasion14.
En 1997 fut mis en place le Pacte de stabilité et de croissance afin de fixer
un véritable cadre législatif contraignant aux États. Ce Pacte, constitué
d’une résolution du Conseil européen d’Amsterdam (17 juin 1997) et de
deux règlements (n° 1466/97 et n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997),
impose, à moyen terme, un objectif d’équilibre ou d’excédent budgétaire,
tout en conservant les critères de Maastricht. Le premier règlement est
traditionnellement qualifié de volet préventif en ce qu’il contraint les États
de la zone euro à définir et à présenter leurs objectifs budgétaires dans un
programme de stabilité pluriannuel. Celui-ci est ensuite transmis pour
évaluation à la Commission et doit recevoir l’approbation du Conseil des
ministres des Finances. Le second règlement constitue le volet répressif
qui permet à l’Union européenne d’enclencher la procédure de déficit
excessif dès lors qu’un État ne respecte plus le critère de déficit public15.
La procédure comprend la mise en œuvre d’un calendrier de correction et
peut aboutir à des sanctions financières. Suite à de nombreuses critiques,
concernant notamment sa dimension excessivement rigide, et suite à l’arrêt,
en 2003, des procédures de déficit excessif lancées contre la France et l’Allemagne, une réforme du Pacte de stabilité et de croissance a été entreprise
en 2005. Les deux volets de celui-ci ont été modifiés :
– le volet préventif définit désormais un objectif individuel pour chaque
pays, acceptant ainsi de reconnaître la spécificité des économies caractérisée notamment par des ratios d’endettement ou des niveaux de croissance
potentielle différents ;
– quant au volet répressif, il se voit également assoupli en élargissant la
définition des circonstances exceptionnelles permettant de déroger à la
règle des 3 % et en allongeant les délais de correction des déficits excessifs.
Globalement, le Pacte a également davantage pris en compte l’objectif
de croissance en prenant en considération les bénéfices à long terme que
peuvent générer des réformes structurelles pouvant porter atteinte, à court
terme, à la soutenabilité budgétaire.
14. Ces seuils sont définis en référence à une croissance nominale de 5 % par an, c’est-à-dire
une croissance réelle de 3 % (qui correspondait à la croissance potentielle du début des
années 1990) et une inflation de 2 %. Avec une telle croissance nominale, 3 % de déficit
permettait d’assurer la stabilité de la dette publique à 60 % du PIB.
15. Le dépassement du critère de dette publique n’entraîne pas la mise en œuvre d’une procédure.
46
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
À partir de 2008, dès lors que la gestion de la crise bancaire et financière
est venue creuser les déficits publics, le Pacte de stabilité et de croissance
est passé au second plan, la Commission européenne autorisant les États
membres à dépasser le seuil de déficit, sans risquer une procédure pour
déficit excessif. Ainsi, comme l’atteste le tableau 2, la France a vu son déficit
public croître de 2,5 % en 2007 à 7,2 % en 2009.
Tableau 2.
Évolution de la dette publique et du déficit français au sens de Maastricht (2006-2013)
(en % du PIB)
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Déficit
- 2,3
- 2,5
- 3,2
- 7,2
- 6,8
- 5,1
- 4,9
- 4,1
Dette notifiée (1)
des APU
63,2
63,2
67,0
78,0
80,8
84,4
88,7
91,8
(1) « La dette publique notifiée est évaluée à partir du tableau des opérations financières de la comptabilité
nationale mais ne correspond pas directement à cette présentation. Elle exclut certains types de dettes
(essentiellement les crédits commerciaux et les décalages comptables). Elle est évaluée en valeur brute : on ne
déduit pas de la dette les créances des administrations publiques sur des organismes ne faisant pas partie des
administrations publiques, dont, par exemple les liquidités du Trésor sous forme de dépôts à la Banque de France
ou de pensions, les placements de la Cades [Caisse d’amortissement de la dette sociale] […]. Elle est consolidée :
on déduit les dettes détenues par certaines administrations publiques envers d’autres administrations publiques,
notamment les dépôts des collectivités locales au Trésor public. Enfin, elle est évaluée en valeur nominale,
c’est-à-dire à la valeur faciale de la dette et non à la valeur de marché comme cela est fait dans les comptes
nationaux » (Insee).
Source : Insee.
Par la suite, la crise des dettes souveraines en Europe a conduit à dessiner
un nouveau cadre de gouvernance pour l’exercice des politiques budgétaires (tableau 3). Par l’application du Six-pack en 2011, du traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance (signé le 2 mars 2012) et du
Two-pack en 2013, l’Union européenne cherche à adopter de nouvelles
règles venant renforcer le Pacte de stabilité et de croissance par une codification de la coordination et de la surveillance des politiques budgétaires.
Le contexte de contrôle accru des déficits publics par l’Union européenne
incite ainsi l’État français à adapter les mesures de soutien au financement
de l’économie qu’il peut proposer.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
47
Tableau 3.
Les objectifs et principaux textes de la nouvelle gouvernance européenne
Actes
Pacte de stabilité
et de croissance
renforcé
Dont le « Six-pack »
Traité sur la
stabilité, la
coordination et la
gouvernance, ou
Pacte budgétaire
européen
Two-pack
Date d’entrée
en vigueur
Contenu
Regroupe un ensemble de plusieurs textes qui renforcent
pas à pas la gouvernance économique (renforcement du
contrôle de la discipline budgétaire et des déséquilibres
13 décembre 2011
macroéconomiques, amélioration de la coordination des
politiques économiques, mise en place d’instruments de
gestion de crise et assainissement du secteur bancaire).
Renforce et étend le contrôle des déséquilibres
économiques entre les États membres. Révision des
règlements du Pacte de stabilité et de croissance (règles
budgétaires et sanctions en cas de violation de ces
13 décembre 2011 règles). Instaure, pour la plupart des décisions, le vote à
la majorité qualifiée inversée [1]. Extension du contrôle
des déséquilibres entre États à d’autres indicateurs
macroéconomiques que les finances publiques ; contrôle
ce qui pourrait nuire à la compétitivité.
Conclu par 25 États membres de l’UE, avec des
dispositions particulières ne visant que les États
participant à l’euro. Durcissement des critères de
Maastricht, inscription dans les droits nationaux d’une
règle d’équilibre budgétaire et d’un mécanisme de
1er janvier 2013
correction automatique en cas de dérapage. Déficit
structurel maximum de 0,5 % du PIB. Correction
automatique des dérapages pour revenir à l’objectif de
moyen terme. Sanctions : quasi automatiques pour les
déficits excessifs [2].
30 mai 2013
Renforce encore le Pacte de stabilité et de croissance
en créant un contrôle spécifique des États ayant des
difficultés en matière de stabilité financière et en
poursuivant la procédure de suivi du processus budgétaire
au cours du second semestre de l’année.
(1) Dans le cas où l’État membre concerné a fait l’objet d’une mise en demeure au titre de l’article 126,
§ 9, la sanction financière sera adoptée par un vote à la majorité qualifiée comme le prévoit le traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (NDE).
(2) En cas de déficit budgétaire trop important, le Conseil européen pourra infliger à l’État membre concerné une
sanction financière allant de 0,2 à 0,5 % du PIB. Toutefois, la Commission européenne adressera auparavant des
avertissements aux pays en question (NDE).
Source : d’après Carine Bouthevillain, Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Laurent Paul, Les politiques budgétaires
dans la crise. Comprendre les enjeux actuels et les défis futurs, coll. « Ouvertures économiques », De Boeck,
Bruxelles, 2013, p. 215.
Les mesures de soutien de l’État au financement
de l’économie
L’État peut apporter un soutien direct au financement de l’économie à
travers le versement de subventions aux entreprises, via l’allocation d’aides
à l’investissement pour les entreprises et les ménages ou encore par des
48
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
prises de participation dans les entreprises. Par ailleurs, l’action de l’État
peut aussi se réaliser de manière indirecte, par le recours à des partenariats avec le secteur privé, à des opérations de garantie et à des dispositifs
fiscaux appropriés.
Tableau 4.
Principaux instruments publics mobilisés pour le financement de l’économie française :
montants et effets de levier (flux annuels 2010, en milliards d’euros)
Nature du financement
Dotations budgétaires
Dépenses fiscales
Investissements
d’avenir regroupant des
subventions, prêts, dotations
non consommables,
investissement en capital
Investissement en capital
Instruments mobilisés
Montants
Intensité de
en 2010 (en Md€) l’effet de levier
Aides à l’investissement
13,9
Faible
Dotations en capital aux
entreprises publiques
1,0
Faible
Total, dont :
19,6
Moyenne
(environ 2)
5,1
Faible
4,9
Moyenne
9,6
Moyenne
Total, dont :
1,4
(à fin août 2011)
Moyenne
(environ 2)
Industrie et PME
0,3
Moyenne
Enseignement supérieur,
recherche et formation
0,8
Faible
Numérique
0,1
Moyenne
Développement durable
0,2
Faible
Contrats de partenariat
2,0
Moyenne
(environ 3)
Dépenses fiscales
pour l’investissement
immobilier des ménages
Dépenses fiscales
pour l’épargne financière
des ménages
Dépenses fiscales
pour la capacité
d’autofinancement
des entreprises
Prêts du Fonds d’épargne, dont :
17,4
Élevée
Prêts
Prêts au logement social
16,1
Moyenne
Autres emplois
1,3
Élevée
Prêts
Cofinancements et avances
sur trésorerie d’Oséo
10,0
Élevée
Garantie
Concours garantis par Oséo
11,7
Élevée
Investissements de CDC
Entreprises
1,1
Très élevée
Investissements du FSI
1,7
Très élevée
Investissement en capital
Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, 2012, p. 273274.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
49
Les mesures de soutien direct
Directement, l’État participe au financement de l’activité économique par
les subventions qu’il verse aux entreprises et par les aides à l’investissement
qu’il accorde aux entreprises et aux ménages. L’Insee16 définit les subventions et les aides à l’investissement comme des « transferts sans contrepartie
attribués par les administrations publiques ou les institutions de l’Union
européenne pour participer au financement d’activités productives et en
influencer certaines caractéristiques (notamment prix, coûts, investissements) ». Ces mesures de soutien s’inscrivent à des niveaux différents du
processus productif : les subventions interviennent pour financer l’exploitation, tandis que les aides à l’investissement constituent des transferts
d’épargne qui financent l’accumulation de capital.
Figure 4.
Le circuit des aides à l’investissement en France (chiffres 2010, en millions d’euros)
1 672 M€
Entreprises
ressources propres
25
87
M€
Collectivités territoriales
État
1 481 M€
27
39
601 M€
Autres
3 064 M€
M€
Organismes divers
d’administration centrale
1 323 M€
ressources propres
Ménages
117 M€
Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, juillet 2012, p. 133.
D’après les données d’Eurostat, en 2012, les subventions versées par les
APU s’élevaient à 30,5 milliards d’euros en France. En hausse de 2005
à 2010, elles ont connu une baisse en 2011 à 29,5 milliards d’euros, avant
d’augmenter à nouveau en 2012. Leur montant en Allemagne, Italie,
Royaume-Uni et Espagne pour l’année 2012 est respectivement de 24,6,
15,7, 12,1 et 10,4 milliards d’euros.
Plus précisément, les subventions se divisent en deux catégories. D’une
part, il existe des subventions sur les produits qui rendent différents le prix
unitaire pour le producteur et le prix d’acquisition pour l’acheteur. D’autre
16. Philippe Monteil et François Bouton, « Les subventions et les aides à l’investissement. Base
2000 », Insee, Note méthodologique, n° 5, avril 2007, p. 6.
50
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
part, les subventions d’exploitation viennent réduire les coûts de production
et accroître l’excédent d’exploitation. En France, en 2012, les subventions
sur les produits représentaient 47 % des subventions (soit 14,5 milliards
d’euros) et les subventions d’exploitation, 53 % (soit 16 milliards d’euros).
Cette proportion est variable selon les pays : ainsi, en Allemagne, les subventions sur les produits ne représentent que 24 % des subventions totales.
Les aides à l’investissement se caractérisent par l’emploi spécifique qui leur
est assigné puisqu’elles servent soit à une formation brute de capital fixe
(FBCF), soit à une acquisition d’actifs non produits, comme des terrains ou
des brevets par exemple. Par le versement de ces aides, les APU participent
au financement de l’économie en atténuant les besoins de financement des
entreprises ou ménages bénéficiaires. En France, d’après les données fournies par Eurostat, les aides à l’investissement versées par les APU s’élèvent
à 10,5 milliards d’euros pour l’année 2012. En forte croissance de 2000
à 2008, elles connaissent une évolution plus mesurée depuis, du fait des
efforts de contrôle budgétaire réalisés par l’État. À titre de comparaison,
en 2012, elles s’élevaient à 20,7 milliards en Allemagne, à 17,6 milliards
en Italie, à 15,7 milliards au Royaume-Uni et à 5,2 milliards en Espagne.
Néanmoins, la catégorie « APU » retenue par Eurostat pour calculer les
aides à l’investissement n’est pas suffisamment fine pour mener une analyse détaillée. En effet, les APU regroupent l’État, les collectivités territoriales et les organismes divers d’administration centrale (Odac)17. Ainsi, il
convient d’étudier plus précisément le circuit des aides à l’investissement
afin de mieux mesurer la place occupée par l’État dans le financement de
l’économie. Dans un premier temps, l’État peut verser directement des
aides à l’investissement aux ménages ou aux entreprises. Il peut également
affecter ces aides aux collectivités territoriales ou à des Odac. Dans un
second temps, ces deux catégories d’acteurs publics, qui peuvent par ailleurs disposer de ressources propres en dehors des financements apportés
par l’État (principalement des impôts et taxes affectés), versent elles aussi
des aides à l’investissement à destination des ménages et des entreprises. In
fine, ceux-ci peuvent percevoir des aides à l’investissement en provenance
directement de l’État, de ce dernier via les collectivités territoriales ou les
Odac ou encore ces deux dernières catégories d’acteurs publics grâce à
leurs ressources propres.
17. « Dans les comptes nationaux, les organismes divers d’administration centrale (Odac)
regroupent des organismes auxquels l’État a donné une compétence fonctionnelle spécialisée au niveau national. Contrôlés et financés majoritairement par l’État, ces organismes ont
une activité principalement non marchande. Le Centre national de la recherche scientifique
(CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Météo
France ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont des Odac.
Le plus souvent, les Odac sont des opérateurs de l’État » (site internet de l’Insee).
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
51
La description de ce circuit permet de comprendre que, malgré la tendance
haussière des aides à l’investissement versées par les APU depuis 2000, la
participation de l’État se caractérise par un processus de désengagement
dicté par les difficultés budgétaires auxquelles il doit faire face. S’est alors
produite une transformation des canaux de distribution des aides à l’investissement avec une montée en puissance des contributions des collectivités territoriales et des Odac. Ainsi, la Cour des comptes18 relève que le
total des aides versées par l’État représentait 0,91 point de PIB en 2000,
0,93 en 2005 et plus que 0,72 en 2010. Dans les destinataires des aides à
l’investissement versées par l’État, les aides allouées aux collectivités territoriales et aux Odac se sont accrues tandis que celles reçues par les ménages
et les entreprises ont chuté. Par exemple, en ce qui concerne la part des
investissements des entreprises financée directement par l’État, la Cour
des comptes montre qu’elle est en diminution depuis 2006, passant de
2 % en 2006 à 0,9 % en 2010.
La hausse des aides à l’investissement versées par les APU est ainsi entretenue par le développement des aides allouées par les collectivités territoriales et les Odac, à partir notamment de leurs ressources propres, parmi
lesquelles les impôts et taxes affectés dont le montant annuel est en progression. Les chiffres de la Cour des comptes révèlent que, entre 2000 et
2010 et en ce qui concerne les aides à l’investissement à destination des
ménages, la part des aides versées par les Odac dans l’ensemble « État et
Odac » est passée de 23 % à 91,8 %. Pour les aides reçues par les entreprises, cette même part était de 47 % en 2010, alors qu’elle n’était que de
5,3 % en 2000. Les collectivités territoriales ont, elles aussi, vu leur rôle
s’accroître, leur part dans les versements d’aides à l’investissement étant
passée de 11,8 % à 42,5 % de 2000 à 2010.
Il en ressort le fait que, malgré la croissance des aides à l’investissement
reçues par les ménages et les entreprises, l’influence de l’État est devenue
plus indirecte. Cette influence déclinante n’est pas sans conséquence. Par
exemple, rien ne peut lui assurer que les aides qu’il apporte aux collectivités territoriales ou aux Odac se traduisent par des aides équivalentes de
ceux-ci vers les entreprises et les ménages.
Le financement direct de l’économie par l’État peut également passer par
la prise de participation dans les entreprises. Depuis sa création en 2004,
l’Agence des participations de l’État (APE) incarne l’État actionnaire et
participe ainsi, d’après les lignes directrices qu’elle s’est fixées (encadrés
infra), au financement d’entreprises considérées comme stratégiques. Au
18. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, op. cit., p. 134.
52
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
30 avril 2014, 74 entreprises relevaient du périmètre de l’APE, dont la
valorisation boursière du portefeuille s’élevait à 84,7 milliards d’euros19
(v. aussi le tableau 5).
Comme l’indique l’APE dans son rapport annuel 2014, depuis septembre 2013, deux entrées au capital ont été réalisées pour un montant
total de 800 millions d’euros (PSA Peugeot Citroën et Aéroport de Marseille-Provence). Le 23 mai 2014, l’État entre officiellement (via Sogepa,
société par actions simplifiée dépendant de l’APE) dans le capital du groupe
PSA Peugeot Citroën avec une participation atteignant 14,1 % du capital.
Ce faisant, l’État aide au financement du développement de l’entreprise
d’un secteur qu’elle juge déterminant pour la croissance économique. De
même, le 10 juin 2014, l’État devient le premier actionnaire de l’Aéroport
Marseille-Provence avec 60 % du capital.
Tableau 5.
La participation de l’État dans les entreprises cotées au 14 novembre 2014
Valeur de la participation de l’État
(en millions d’euros)
% de participation directe (1)
de l’État
(chiffres arrondis)
EDF
35 860
84,5 %
GDF Suez
14 971
33,6 %
ADP
4 770
50,6 %
Safran
4 768
22,0 %
Orange
4 541
13,5 %
Airbus Group
4 159
11,0 %
Renault
2 632
15,0 %
Thales
2 241
26,4 %
Areva
1 004
21,7 %
PSA Peugeot Citroën
999
14,1 %
Air France-KLM
342
15,9 %
CNP
111
1,1 %
3
5,7 %
Dexia
(1) Indirectement, l’État peut détenir une part bien supérieure. Ainsi, au 11 décembre 2014, il détenait directement
28,8 % de capital et droits de vote au sein d’Areva mais aussi 54,4 % via le CEA (Commissariat à l’énergie atomique
et aux énergies alternatives) et 3,3 % via BpiFrance.
Source : site internet de l’Agence des participations de l’État.
19. Source : Agence des participations de l’État, L’État actionnaire. Rapport annuel 2014, 2014,
p. 21.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
53
■ Les lignes directrices de la stratégie de l’État
actionnaire
« Premièrement, l’État doit disposer d’un niveau de contrôle suffisant dans des
entreprises à capitaux publics à caractère structurellement stratégique, comme le
secteur du nucléaire et les activités liées à la défense nationale.
Deuxièmement, l’État peut s’assurer de l’existence d’opérateurs résilients pour
pourvoir aux besoins fondamentaux du pays via une éventuelle intervention en fonds
propres. Il peut s’agir d’infrastructures publiques, de grands opérateurs de service
public “historique” ou encore de nouveaux réseaux ou services à déployer.
Troisièmement, l’État peut choisir d’accompagner le développement et la consolidation d’entreprises nationales, en particulier dans des secteurs et des filières déterminants pour la croissance économique nationale.
Quatrièmement, l’État se réserve la possibilité d’intervenir en “sauvetage” dans le
cadre défini par le droit européen lorsque la disparition d’une entreprise présenterait
un risque systémique avéré pour l’économie nationale ou européenne. »
Source : compte rendu du Conseil des ministres du 15 janvier 2014 (site internet de la Présidence
de la République).
Par ailleurs, le 26 septembre 2013, l’État a renforcé sa participation de
357 millions d’euros dans Areva en acquérant 7,35 % du capital de l’entreprise (portant sa participation totale à 21,7 %, puis à 28,8 % le 11 décembre
2014) auprès du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cet apport a été réalisé pour permettre de financer une
partie du démantèlement des installations nucléaires du CEA. En outre,
le 22 juin 2014, l’État a conclu un accord avec Bouygues lui donnant
l’option d’acquérir jusqu’à 20 % du capital d’Alstom ; ce qu’a confirmé le
ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique le 5 novembre
suivant, lors de l’annonce de l’officialisation du rachat de l’essentiel des
activités énergies d’Alstom par l’américain General Electric.
54
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Tableau 6.
Les principales cessions, augmentations de capital, prises de participation et fusions de l’État
depuis 2005
Cessions par l’État
2005
2006
2007
2008
• Solde de la participation dans Bull
(mars).
• 6 % de France Telecom (juin).
• Ouverture du capital de Gaz de
France (juillet).
• Ouverture du capital d’EDF
(novembre).
• Cession de l’intégralité de la
participation dans Sanef, APRR et ASF
(février et mars).
• Cession de la participation dans
Alstom (avril).
• Ouverture du capital d’Aéroports de
Paris (juin).
• Cession de la majorité du capital de
la SNCM (juin).
• Cession de la participation dans
Sofréavia (décembre).
• Entrée de Thales au capital de DCN
(25 %) dans le cadre d’un partenariat
industriel et du regroupement des
activités navales françaises des deux
groupes.
• 5 % de France Telecom (juin).
• 33,34 % du capital de la Semmaris
(gestionnaire du marché de Rungis)
pour 17 M€ (novembre).
• 2,5 % d’EDF (décembre).
• Intégralité de la participation dans
Dagris (64,7 %) : 51 % à Geocoton
(février) et 13,7 % à l’AFD (mai).
• 8 % d’Aéroports de Paris pour
sceller l’alliance de ce dernier avec
Schiphol Group, gestionnaire de
l’aéroport d’Amsterdam (décembre).
2009
• Apport de l’État au FSI, pour une
valeur de 6,86 Md€, de :
• 13,5 % de France Telecom ;
• 8 % d’ADP ;
• 33,34 % de STX France
(ex-Chantiers de l’Atlantique).
2010
-
Principales augmentations
de capital
et prises de participation
Fusions
• Sanef (mars).
• Gaz de France (juillet).
• EDF (novembre).
• France Telecom – refinancement
de l’acquisition d’Amena
(septembre).
• Fusion
Snecma-Sagem
(mai) pour
former Safran,
après le succès
de l’OPE-OPA
de Sagem
sur Snecma
(janvier-février).
• Aéroports de Paris (juin).
-
• Renforcement de la
participation d’Alcatel Lucent
dans Thales par apport d’actifs
(transport, sécurité), dans le
cadre d’un nouveau partenariat
industriel (janvier).
-
• France Télévisions (août).
• Société de prise de participation
• Fusion GDFde l’État (SPPE) (octobre).
Suez (juillet).
• Dexia via la SPPE (octobre).
• STX France (novembre).
• Augmentation de capital de RFI
pour 16,90 M€ (février).
• FSI : augmentation de capital
de 1 Md€, dont 490 M€ pour l’État (février).
• Souscription d’« Oceane »
émises par Air France-KLM (juin).
• Renault/Daimler : achat
d’actions d’autocontrôle dans le
cadre d’une alliance stratégique
pour 60 M€ (avril).
• Augmentation de capital
d’Areva pour 900 M€, dont
300 M€ pour l’État et 600 M€ pour
KIA (décembre).
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
Cessions par l’État
2011
2012
2013
2014
(au 30
avril)
Principales augmentations
de capital
et prises de participation
• Libération de la première
tranche de l’augmentation de
capital de La Poste, réalisée
conjointement avec la CDC pour
1,05 Md€, dont 466 M€ pour l’État
(avril).
• Libération de la deuxième
tranche de l’augmentation de
capital de La Poste pour 1,05 Md€,
• Intégralité de la participation dans dont 466 M€ pour l’État (avril).
Semapa, soit 5 %, pour 0,30 M€
• 4,2 % d’Areva auprès du CEA
(mars).
pour 214 M€ (décembre).
• Augmentation de capital de
Dexia dont 2,6 Md€ pour l’État
(décembre).
• Prise de participation de l’État
dans la SFIL à hauteur de 75 %
• 7,82 % de Safran pour 1 351 M€
pour 0,75 € (janvier).
(mars puis novembre).
• Achat d’1 action Astrium
• 3,7 % d’EADS, via Sogepa, pour
Holding France pour 1 € (mars).
1 193 M€ dont 874 M€ sur le CAS
• Souscription d’« Oceane » pour
(avril).
87 M€ émises par Air France-KLM
• 0,06 % d’EADS pour 21 M€ à
(mars).
Sogepa (mai).
• Achat d’une action Dassault
• 100 % des titres Saphir détenus par
Aviation pour 897 € (avril).
l’AFD pour le compte de l’État pour
• Libération de la dernière
90 k€ (mai).
tranche de l’augmentation de
• 9,5 % d’Aéroports de Paris, dont
capital de La Poste pour 600 M€,
3,9 % en provenance de l’État et
dont 267 M€ pour l’État (avril).
5,6 % du FSI pour 738 M€ dont
• Augmentation de capital de Bpi
303 M€ pour l’État (juin).
Groupe SA de 3,066 Md€ à parité
• apport à BpiFrance de 49 % du FSI
par l’État et la CDC, et libérée
et de 100 % de la Sofired (juillet).
pour le quart, soit 767 M€ dont
• 100 % des titres Gardel détenus par
383 M€ pour l’État (juillet).
l’AFD pour le compte de l’État pour
• Achat de 18 actions Sogepa
2,50 M€ (novembre).
portant la participation de l’État
• Intégralité de la participation
à 99,99 % pour 1 071 € (juillet et
de SNPE à Giat Nexter pour 3 M€
septembre).
(décembre).
• 7,4 % d’Areva auprès du CEA
pour 357 M€ (septembre).
• Achat d’une action SNCM pour
23,20 € (janvier).
• Achat de 2 actions Sogepa pour
6 € portant la participation de
l’État à 100 % (mars).
• 1 % d’Airbus, via Sogepa, pour
• 14,1 % de PSA Peugeot Citroën,
451 M€ (janvier).
via Sogepa, pour 800 M€ (mai).
• Prise de participation dans
« CDG Express Études » à hauteur
de 33 % pour 3 k€ (mai).
• 60 % de l’aéroport Marseille
Provence pour 89 k€ (juin).
• 66 % d’Adit pour 13 M€ (février).
• Intégralité de la participation dans
TNAB, soit 100 %, pour 3 M€ (mars).
• 13,59 % de DCNS (décembre).
❮
55
Fusions
-
-
-
-
NB : le projet annuel de performance (PAP) du compte d’affectation spéciale « Participations financières de
l’État » (CAS PFE) constitue le document de référence détaillant l’utilisation du « support budgétaire » de l’État
actionnaire.
L’ensemble des documents budgétaires sont consultables sur le site www.performance-publique.budget.gouv.fr
Le PAP détaille les actions de chacun des programmes. Ils sont également accessibles via le site internet de l’APE
à l’adresse suivante : www.economie.gouv.fr/agence-participations-État/lÉtat-actionnaire-et-lolf.
Source : Agence des participations de l’État, L’État actionnaire. Rapport annuel 2014, 2014, p. 186.
56
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Toutefois, après avoir atteint des valeurs records en 2010 avec 6,2 milliards
d’euros (contre 1,8 milliard en 2005 et 0,5 milliard en 2007), les augmentations de capital et les dotations en fonds propres de l’APE se sont fortement réduites, passant de 3,5 milliards d’euros en 2012 à 2,4 milliards
en 2013 et à 0,3 milliard pour 2014, à la date du 10 juin. Ces réductions
s’inscrivent dans le contexte d’une recherche de désendettement public en
contradiction avec ses objectifs de financement d’entreprises.
Face à la dégradation de ses moyens budgétaires, l’État est contraint de
réduire l’ampleur de ses aides à l’investissement à destination des ménages
et des entreprises ainsi que ses prises de participation dans l’économie.
Néanmoins, pour continuer de participer au financement de l’économie,
l’État a recours à d’autres formes moins directes d’intervention.
Les mesures de soutien indirect
L’État dispose de moyens qui lui permettent de soutenir indirectement
le financement de l’économie sans peser excessivement sur son budget.
D’une part, il participe à des programmes d’investissement pour le financement desquels il s’associe, selon des formes juridiques prédéfinies (encadré),
au secteur privé. Le rapport d’activité 2012 de la Mission d’appui aux
partenariats public-privé indique que, entre 2005 et 2012, ont été signés
167 contrats de partenariat, environ 300 baux emphytéotiques administratifs (BEA), 35 baux emphytéotiques hospitaliers (BEH) et 12 autorisations d’occupation temporaire du domaine public (AOT) et locations avec
option d’achat (LOA). Sur les 167 contrats de partenariat, 38 relèvent de
l’État (les autres étant signés par des entités publiques locales), pour une
valeur moyenne de 250 millions d’euros par contrat.
D’autre part, au lieu de financer, même pour partie seulement, des projets d’investissement, l’État peut se contenter d’apporter sa garantie. En
d’autres termes, il s’engage à régler les sommes dues par un débiteur si
ce dernier n’est pas en mesure de faire face à ses engagements. Une telle
garantie permet de réduire le risque financier pour le créditeur et contribue
à abaisser le coût du financement en palliant les risques de crédit, les risques
assurantiels, les risques de faillite et les risques financiers. Ainsi, d’après le
Compte général de l’État20, la dette garantie par l’État atteignait 203 milliards d’euros en 2013, contre 56 milliards en 2006.
20. Document regroupant l’ensemble des états financiers prévus par la loi organique n° 2001692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf ) : bilan, compte de résultat, tableau
des flux de trésorerie et annexe.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
57
■ Les formes juridiques des partenariats public-privé
« La délégation de service public, définie par la loi du 11 décembre 2001 (1), est un
contrat par lequel la personne publique confie la gestion d’un service public dont elle
a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. En outre, le délégataire
peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au
service.
Le contrat de partenariat, défini par l’ordonnance du 17 juin 2004, permet aux personnes morales de droit public de transférer à des personnes privées le financement,
la construction, la gestion et la rénovation d’ouvrages ou d’équipements nécessaires
à la réalisation de services publics.
Trois formes de contrats globaux préexistaient aux contrats de partenariat et subsistent : les baux emphytéotiques [administratifs – BEA – et hospitaliers – BEH], les
autorisations d’occupation temporaire du domaine public [AOT] et les locations avec
option d’achat [LOA]. Avec les contrats de partenariat, ils forment les “contrats de
partenariat assimilables” » (CPA).
(1) Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, dite « loi Murcef ».
Source : Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique,
juillet 2012, p. 155.
Enfin, par la fiscalité qu’il met en place, l’État peut influencer le niveau
d’épargne de l’économie qui servira ensuite à son financement. Néanmoins, le taux d’épargne des ménages français se caractérise par une relative stabilité (tableau 7). D’après les données de l’Insee, il était de 15,7 %
en 1995 et de 15,1 % en 2013. Sur cette période, il a atteint la valeur
maximale de 16,3 % en 2002 et la valeur minimale de 14,5 % en 2005.
La crise économique de 2007 a conduit à son augmentation du fait de la
constitution d’une épargne de précaution par les ménages. L’épargne de
ces derniers, qui se définit en comptabilité nationale comme l’excès du
revenu disponible par rapport aux dépenses de consommation finale, peut
se voir employée à différents usages.
Il convient alors de distinguer l’épargne allouée à des fins réelles (principalement aux dépenses d’investissement immobilier), de l’épargne financière
destinée à l’acquisition d’actifs financiers. Le suivi de la part de l’épargne
financière est intéressant en ce que les actifs financiers qui la supportent
participent au financement de l’économie. Des profils différents peuvent
alors se dégager de l’étude des économies. Par exemple, alors que la France
se caractérise par un taux d’épargne de ses ménages élevé, seuls 18,9 %
d’entre eux détenaient des valeurs mobilières en 2010, d’après l’enquête
58
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Patrimoine 2009-2010 de l’Insee21. À l’inverse, les ménages américains,
qui ont un taux d’épargne de moins de 5 %, étaient plus de 50 % à détenir
des actions en 2009.
C’est ainsi plus sur la composition de l’épargne que sur son niveau que la
fiscalité mise en place par l’État cherche à agir pour faciliter le financement
de l’économie. Si le taux d’épargne financière des ménages suit globalement les mêmes tendances que leur taux d’épargne, force est de constater
que l’ampleur de ses variations est plus importante.
Ainsi, le taux d’épargne financière des ménages français est passé de 7 %
en 1995 à 5,8 % en 2013, atteignant les valeurs extrêmes de 7,1 % en 1997
et en 2009 et de 4 % en 2006 (tableau 7).
Tableau 7.
Taux d’épargne des ménages (1995-2013) (en %)
Taux d’épargne (1)
Taux d’épargne financière (2)
1995
15,7
7,0
2000
14,8
6,0
2005
14,5
4,1
2006
14,6
4,0
2007
15,1
4,4
2008
15,0
4,2
2009
16,2
7,1
2010
15,8
6,5
2011
15,6
6,1
2012
15,2
5,6
2013
15,1
5,8
(1) Rapport entre l’épargne des ménages et le revenu disponible brut.
(2) Rapport entre la capacité de financement des ménages et le revenu disponible brut.
Source : Insee, comptes nationaux - base 2010.
Au sein des placements financiers, ce sont les assurances-vie en supports
euros qui ont obtenu la préférence des ménages français puisqu’elles ont
recueilli 35 milliards d’euros en 2013 (tableau 8). Parmi les placements
financiers non risqués, après les assurances-vie, les ménages placent principalement leur épargne dans les dépôts à vue (16,6 milliards d’euros
en 2013), sur les livrets d’épargne et CEL (10,8 milliards d’euros en 2013)
et en épargne contractuelle (PEL, PEP, pour 8,4 milliards d’euros en 2013).
À l’inverse, au cours de cette même année, les ménages ont retiré 7,4 mil-
21. Source : Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages. Édition 2013, coll. « Insee Références »,
2013, p. 131.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
59
liards d’euros des comptes à terme et 5,5 milliards d’euros des titres d’OPC
monétaires. En ce qui concerne les placements financiers risqués, ils en
ont acheté pour 5,3 milliards d’euros en 2013 mais, au sein de ces placements, ils se sont détournés des titres de créances (- 6,4 milliards d’euros),
des actions cotées (- 4,8 milliards d’euros) et des titres d’OPC non monétaires (- 4 milliards d’euros) alors qu’ils ont acheté des actions non cotées
et autres participations pour 24 milliards d’euros.
Les choix de fiscalité réalisés par l’État sur ces placements financiers
influencent leurs évolutions. Par exemple, le PEL est devenu moins attractif
après 2006, dès lors que le paiement de ses intérêts a été soumis à taxation
pour les contrats ouverts depuis plus de douze ans. De même, la mise en
place d’un système d’exemptions fiscales particulièrement avantageux sur
les assurances-vie a conduit à leur fort développement. La fiscalité sur les
placements financiers est un facteur de leur rendement relatif, qui est devenu
le principal déterminant des choix de répartition de l’épargne financière
des ménages français depuis le début des années 200022. Jusque dans les
années 1990, l’émergence de nouveaux actifs financiers et leur phase de
diffusion qui s’en suivait permettaient principalement de comprendre la
composition de l’épargne financière des ménages.
L’effet de la fiscalité sur l’affectation de l’épargne est donc réel mais il reste
limité23. Notamment, les incitations de l’État manquent parfois de cohérence, se portant simultanément sur l’épargne liquide et à terme ou soutenant à la fois des supports garantis et non garantis. Par ailleurs, l’incertitude législative fiscale vient souvent complexifier la lisibilité des dispositifs
pour les ménages. À titre d’exemple, le taux de taxation des plus-values
de cessions de valeurs mobilières a été modifié onze fois entre 1989 et
2011. De même, le bouclier fiscal24, dispositif mis en place en 2006 pour
plafonner l’imposition globale du contribuable, a été élargi en 2007, puis
réduit en 2009 et 2010 avant d’être supprimé en 2011.
22. Sanvi Avouyi-Dovi, Vladimir Borgy, Christian Pfister, Franck Sédillot, « An Empirical Analysis
of Household’s Portfolio Choice in France », communication au 60e Congrès de l’Association
française de science économique, 9 septembre 2011.
23. Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique, op. cit.
24. La loi « Tepa » n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir
d’achat limite à 50 % de ses revenus les impôts directs payés par un contribuable (impôt sur
le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, taxes foncières, taxe d’habitation, CSG, CRDS).
Un dispositif plus limité à 60 % avait été mis en place par le gouvernement Villepin en 2006.
Le « bouclier fiscal » sera abrogé par le gouvernement Fillon avec la loi du 28 décembre 2011
de finances rectificative pour 2011.
60
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Tableau 8.
Principaux placements financiers des ménages français (2012-2013)
(montants annuels – flux en milliards d’euros)
2012
2013
Actifs liquides et non risqués
38,8
26,7
Numéraire
Dépôts à vue
Livrets d’épargne et CEL
Titres d’OPC monétaires
5,6
- 4,9
46,4
- 8,3
4,8
16,6
10,8
- 5,5
Autres actifs non risqués
35,0
36,0
Comptes à terme
Épargne contractuelle (PEL, PEP)
Assurance-vie en supports euros
8,7
1,2
25,1
- 7,4
8,4
35,0
Actifs liquides et risqués
3,4
- 15,2
Titres de créances
Actions cotées
Titres d’OPC non monétaires
4,5
- 6,3
5,2
- 6,4
- 4,8
- 4,0
Autres actifs risqués
20,0
27,3
24,2
24,0
- 4,2
3,3
97,2
74,8
Actions non cotées et autres
participations
Assurance-vie en supports UC
Total principaux placements
financiers
CEL : compte épargne logement ; OPC : organisme de placement collectif ; PEL : plan d’épargne logement ; PEP :
plan d’épargne populaire ; UC : unités de compte.
Source : Banque de France, « Épargne des ménages. 2e et 3e trimestres 2014 », 30 octobre 2014.
Dans ces différents moyens d’action, qu’ils soient directs ou indirects,
l’État se trouve aujourd’hui confronté à la contrainte budgétaire. Dans le
but de poursuivre néanmoins son action en faveur du développement du
financement de l’économie, il trouve un relais auprès d’autres acteurs de
la puissance publique, comme la Banque publique d’investissement ou la
Banque européenne d’investissement.
Les relais publics de l’État pour assurer
le financement de l’économie
Aux échelons européen et national, les banques d’investissement viennent
accompagner l’action de l’État en faveur du financement de l’économie. De
plus en plus, la Banque européenne d’investissement et la Banque publique
d’investissement s’appuient sur les Régions comme pivot de leur action,
celles-ci étant devenues déterminantes dans la dynamisation des territoires.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
61
L’action de la Banque européenne d’investissement
et de la Banque publique d’investissement en direction
du financement de l’économie
En parallèle de l’action menée par l’État à destination du financement de
l’économie, la Banque publique d’investissement œuvre également en
ce sens. Dans le cadre de la campagne présidentielle de 2012, au premier
rang de ses 60 engagements pour la France, François Hollande annonçait :
« Je créerai une Banque publique d’investissement. À travers ses fonds
régionaux, je favoriserai le développement des PME […] [et] je permettrai
aux Régions, pivots de l’animation économique, de prendre des participations dans les entreprises stratégiques pour le développement local et
la compétitivité de la France. » Instituée par une loi (n° 2012-1559) du
31 décembre 2012, la Banque publique d’investissement prend la forme
d’un groupe public dont la mission est de participer au financement et au
développement des entreprises, notamment des petites et moyennes ainsi
que de celles de taille intermédiaire (ETI)25.
Figure 5.
L’organisation de Bpi Groupe
État
Epic Bpi Groupe
CDC*
Bpi Groupe
Pôle
financement
BpiFrance
Financement
(ex-Oséo SA)
Pôle
investissement
BpiFrance
Investissement
(ex-CDCE)
BpiFrance
Participations
(ex-FSI)
* CDC : Caisse des dépôts et consignations.
Source : Compte général de l’État 2013, p. 11.
25. « Une entreprise de taille intermédiaire est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés, et
soit un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant
pas 2 milliards d’euros.
Une entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires
et plus de 43 millions d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI » (Insee).
62
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
La Banque publique d’investissement est composée de deux grands pôles
qui regroupent tous les acteurs publics du financement des entreprises :
– d’une part, le pôle financement (ex-Oséo) comprend les activités de
financement de l’innovation, du cofinancement et de la garantie des prêts ;
– d’autre part, le pôle investissement (rassemblant ex-CDC Entreprises,
ex-FSI et ex-FSI régions) concerne les activités d’investissement et de
participation.
L’action de la Banque publique d’investissement apparaît comme le prolongement de celle de l’État. En 2013, dans son activité de garantie, elle
a accru son action de 5,4 % par rapport à 2012 avec un montant des
concours garantis atteignant 8,9 milliards d’euros (tableau 9).
En ce qui concerne les opérations de financement, la Banque publique d’investissement a accordé 5,1 milliards d’euros d’engagements nouveaux, ce
qui constitue une hausse de 7,9 % par rapport à l’année 2012 (tableau 10).
Tableau 9.
Les activités de garantie de la Banque publique d’investissement (2012-2013)
(en millions d’euros et en %)
Montant des concours
garantis, dont :
Création
Transmission
Développement
Innovation
International
Renforcement
des capitaux permanents
Nombre de concours
garantis
Montant net des risques
couverts
2012
2013
Évolution en %
8 465
8 925
5,4 %
2 580
1 557
2 920
510
588
2 482
1 539
2 928
403
472
- 3,8 %
- 1,1 %
0,3 %
- 21,0 %
- 19,8 %
310
1 102
255,1 %
83 805
86 049
2,7 %
4 157
4 394
5,7 %
Source : Bpi Groupe, rapport annuel 2013, p. 22.
Tableau 10.
Activité de financement de la Banque publique d’investissement (2012-2013)
(en millions d’euros et en %)
Nouveaux financements
Encours au 31 décembre
Cofinancement moyen et long terme
Court terme (mobilisation
de créances)
Source : Bpi Groupe, rapport annuel 2013, p. 24.
2012
4 701
15 358
3 486
2013
5 073
17 842
3 697
Évolution en %
7,9 %
16,2 %
6,0 %
2 944
3 244
10,2 %
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
63
En matière de participation, l’action de la Banque publique d’investissement est complémentaire de celle de l’APE : elle favorise les prises de
participations minoritaires dans des petites et moyennes entreprises et des
entreprises de taille intermédiaire avec un objectif de court terme pour
enclencher et soutenir une dynamique de développement, tandis que l’APE
peut posséder des participations majoritaires et inscrit son action dans un
horizon temporel plus étendu.
Au niveau européen, le Groupe BEI, constitué de la Banque européenne
d’investissement et de sa filiale, le Fonds européen d’investissement, participe au financement de l’activité économique dans de nombreux pays.
La BEI date de l’entrée en vigueur du traité de Rome signé en 1957 et son
siège est installé depuis 1968 à Luxembourg. Institué en 1994, le Fonds
européen d’investissement, dont la Banque européenne d’investissement
est l’actionnaire majoritaire (63,7 % de son capital à la mi-octobre 2014)26,
vient compléter son action en se spécialisant dans l’octroi de garanties en
faveur des PME et dans les investissements de capital-risque.
La Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement ont renforcé leur activité à la suite de la crise économique de 2007,
notamment en doublant, en 2009, le volume de refinancement accordé
aux PME touchées par la restriction du crédit bancaire et en mettant en
œuvre de nouveaux dispositifs comme la microfinance, l’aide à l’autoentrepreneuriat, les fonds régionaux de capital-risque « Jeremie »27 (v. plus
loin, l’encadré « L’initiative Jeremie Auvergne ») et l’appui aux réseaux de
business angels28.
En 2013, d’après les chiffres fournis dans son rapport d’activité, le Groupe
BEI a accru de 37 % son activité de financement par rapport à 2012 en
apportant 75,1 milliards d’euros, dont 67,1 milliards ont été destinés à
l’Europe, représentant une hausse de 42 % par rapport à l’année précédente. À l’échelle des PME européennes, le financement a doublé en un
an, atteignant 21,9 milliards d’euros en 2013 au bénéfice de 230 000 PME
et ETI, « avec à la clé, le maintien de 2,8 millions d’emplois en Europe »29.
Le Groupe BEI a également participé au financement de la recherche et
développement et d’infrastructures stratégiques en Europe à hauteur respectivement de 17,2 et 15,9 milliards d’euros en 2013.
26. Les autres actionnaires étant la Commission européenne (24,3 %) et des institutions financières des États membres de l’UE et de Turquie (12 %).
27. Joint European Resources for Micro to medium Enterprises (Ressources européennes conjointes
pour les PME et les micro-entreprises). Initiative de la Commission européenne développée
en collaboration avec le Fonds européen d’investissement et qui encourage le recours aux
instruments d’ingénierie financière en vue d’améliorer l’accès au financement pour les PME.
28. « Souvent anciens dirigeants et actionnaires d’entreprises, les business angels investissent quelques
dizaines ou centaines de milliers d’euros, apportent leurs conseils et aident par leurs relations
des entreprises en phase de démarrage » (www.lesechos.fr., rubrique « Lexique financier »).
29. Banque européenne d’investissement, rapport d’activité 2013, p. 4.
64
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
En France, les activités du Groupe BEI ont progressé de 80 % en 2013
suite à l’application du Pacte européen pour la croissance décidé par le
Conseil européen de juin 201230. Alors qu’elles atteignaient un montant
de 4,6 milliards d’euros en 2012, elles s’établissaient en 2013 à 8,3 milliards d’euros. Dans le cadre de ses opérations avec les PME françaises, le
Groupe BEI a intermédié 1,8 milliard d’euros en 2013. Ces opérations ont
été menées par la Banque européenne d’investissement sous la forme de
prêts à moyen ou long termes et par le Fonds européen d’investissement
sous la forme de prises de participations ou de garanties. Le Groupe BEI
a ainsi financé partiellement 150 000 investissements d’une valeur totale
de 5,6 milliards d’euros.
Dans leur action, la BEI, notamment à travers le dispositif « Jeremie », et
la Banque publique d’investissement s’appuient largement sur l’échelon
régional, lequel s’impose en effet aujourd’hui comme l’échelon pertinent
dans la recherche de la dynamique des territoires.
■ La BEI et le Fonds européen pour les investissements
stratégiques
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté le
26 novembre 2014 au Parlement européen un programme d’investissement en faveur de l’économie européenne. Celui-ci comporte trois volets : mobiliser des financements pour l’investissement sans générer de nouvelle dette publique ; soutenir les
projets et les investissements dans des domaines clés tels que les infrastructures,
l’éducation, la recherche et l’innovation ; supprimer les obstacles spécifiques à certains secteurs et d’autres obstacles financiers et non financiers à l’investissement.
Il se concrétise par la création d’un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS ; en anglais : European Fund for Strategic Investments ou EFSI), garanti
par de l’argent public à hauteur de 16 milliards d’euros (dont 5 milliards engagés
par la Banque européenne d’investissement, qui en assurera la gestion), afin de
mobiliser au moins 315 milliards d’investissements supplémentaires au cours des
années 2015 à 2017. Les États membres, les banques de développement nationales,
les autorités régionales et les investisseurs privés seront encouragés à y contribuer.
Source : site internet de la Commission européenne.
30. Philippe de Fontaine Vive, « Le groupe BEI et le financement des PME en Europe après la
crise », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 267-276.
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
65
Le rôle des Régions dans la dynamisation des territoires
La loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des
départements et des régions, dite loi Defferre et considérée comme la
première loi de décentralisation en France, a fait des régions des collectivités territoriales de plein exercice. Les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983
viennent définir la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Ces lois donnent aux Régions la compétence de promouvoir le développement économique. Elles deviennent par conséquent un
acteur important dans le champ du financement de l’activité économique.
Le 28 mars 2003, une loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République est promulguée. Elle réaffirme l’organisation
décentralisée de l’État et l’autonomie financière des collectivités territoriales. Dans ce nouveau cadre, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés
et responsabilités locales est venue fixer une nouvelle répartition des compétences entre l’État et les Régions. Ainsi, dans le domaine du développement économique, la Région devient l’échelon de coordination des actions
économiques engagées par les collectivités territoriales et leurs groupements.
Le Conseil régional devient aussi le lieu de définition du régime des aides
économiques aux entreprises et de décision de leur octroi. Ainsi, les Régions
françaises ont pu développer des fonds dits de co-investissement, associant
investisseurs privés et publics et œuvrant en faveur du financement des
entreprises, à l’image des initiatives mises en place en Aquitaine (encadré).
L’étude de la structure des aides à l’investissement versées par les APU révèle
l’affaiblissement de la participation de l’État au profit de la montée en
puissance des collectivités territoriales et des Odac. La part des collectivités
territoriales dans les versements d’aides à l’investissement aux entreprises
et aux ménages est ainsi passée de 11,8 % à 42,5 % entre 2000 et 2010.
Cette évolution traduit bien le rôle accru des Régions dans le financement
de l’activité économique.
■ Les fonds d’investissement en Aquitaine
En 2009, la Région Aquitaine a mis en œuvre le fonds de co-investissement Aqui-Invest, en bénéficiant d’un financement du Fonds européen de développement régional (Feder). Ce fonds, détenu à 100 % par la Région, vise à faire entrer le monde du
capital-investissement dans les entreprises aquitaines qui innovent.
Par ailleurs, la Région participe à la gestion de plusieurs fonds d’investissement spécialisés :
– Aquitaine création investissement (ACI), qui finance en fonds propres des entreprises aquitaines à fort potentiel de croissance ;
– Sud-Ouest capital risque innovation (Socri), qui soutient de jeunes projets innovants
à forte création de valeur ;
66
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
– Socri 2, qui investit dans les PME-PMI dont le périmètre d’action relève des pôles
de compétitivité ;
– ICSO 2, qui participe à des opérations de développement et de transmission ;
– l’Institut régional de développement industriel (Irdi), qui vise à structurer le contrôle
local de l’actionnariat d’entreprises régionales qui pourraient être dirigées par des
fonds étrangers ;
– Herrikoa, société de capital-risque, qui apporte des capitaux aux entreprises du
pays Basque ;
– Aerofund, qui investit dans les PME européennes du secteur aéronautique et spatial pour consolider la filière.
Par ailleurs, la Banque publique d’investissement repose sur un partenariat
étroit avec les Régions. D’abord, celles-ci bénéficient d’une représentation
dans ses instances de gouvernance. Au conseil d’administration, deux
administrateurs représentent les Régions et trois représentants régionaux
siègent au comité national d’orientation, dont l’un d’entre eux en assure
la présidence. De même, les comités régionaux d’orientation sont présidés
par le président du conseil régional. Ensuite, l’organisation de BpiFrance
repose sur l’échelon régional : ainsi, elle possède 25 directions régionales,
42 implantations régionales et 90 % des décisions sont prises à cet échelon.
Une telle organisation permet de développer une offre de financement
adaptée aux spécificités territoriales. Enfin, le partenariat entre la Banque
publique d’investissement et les Régions s’affirme par la mise en commun
de moyens financiers. À cet égard, ces deux types d’acteurs peuvent souscrire conjointement à des fonds d’investissement dont la gestion peut être
confiée à BpiFrance. Les fonds régionaux d’innovation, en mobilisant de
tels cofinancements, s’inscrivent dans cette logique. De même, la mise en
place de fonds régionaux de garantie permet de faciliter l’accès des entreprises au crédit pour les projets risqués.
Enfin, au niveau européen, la Banque européenne d’investissement s’inscrit elle aussi dans cette logique de promotion de l’échelon régional dans
son action de financement des économies, comme en témoigne l’initiative Jeremie précitée. Cette initiative, développée par le Fonds européen d’investissement en collaboration avec la Commission européenne,
permet aux régions de bénéficier d’une partie des ressources allouées par
les Fonds structurels de l’UE pour financer des PME par le biais de prises
de participation, de prêts ou de garanties. Ce financement permet ainsi
d’investir dans des fonds de capitalisation, de prêts ou de garantie qui
viennent soutenir la création ou le développement d’entreprises, l’accès
aux capitaux d’investissement (notamment pour les PME), les activités de
recherche et développement, la modernisation technologique des structures
de production ou les investissements productifs permettant la création ou
le maintien d’emplois durables. Une fois les investissements réalisés, leur
POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS…
❮
67
rendement31 est à nouveau réinjecté dans les entreprises afin de réutiliser
les fonds publics à plusieurs reprises et d’accroître par là même la durabilité des financements versés aux PME. En France, les régions LanguedocRoussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne (encadré) ont ainsi
bénéficié de l’initiative Jeremie.
■ L’initiative Jeremie Auvergne
L’initiative Jeremie Auvergne, née en 2009, a été financée à hauteur de 18 millions
d’euros par le Fonds européen de développement régional (Feder) et de 7,2 millions d’euros par le Conseil régional Auvergne. Elle s’est orientée autour du soutien
à l’innovation (capital amorçage et aide au démarrage des entreprises innovantes),
du soutien aux PME (renforcement en fonds propres et quasi-fonds propres) et du
soutien à la petite entreprise (financement de la création et de la transmission d’entreprises par l’octroi de prêts d’honneur). Au 30 juin 2014, l’initiative comptait 373
entrepreneurs ou entreprises bénéficiaires (188 créations, 174 reprises et 11 développements) pour un volume de financement total de 15,9 millions d’euros et « plus
de 2 018 emplois créés ou sauvegardés » *.
Source : www.jeremie-auvergne.eu (État et conseil régional d’Auvergne/structures gestionnaires : Sofimac partners et CCI Auvergne).
* Voir aussi Maxime Levesque, « L’Auvergne aussi innovante que la province », Insee Analyses
Auvergne, n° 3, octobre 2014.
31. Si l’investissement a consisté en une prise de participation, le rendement prend la forme de
dividendes reçus par exemple. S’il a consisté en l’octroi d’un prêt, le rendement prend la
forme des intérêts reçus.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
69
❯ Chapitre 3
L’influence de la politique monétaire de la BCE
sur l’économie française
Lors de sa réunion du 5 juin 2014, le Conseil des gouverneurs de la Banque
centrale européenne (BCE) a pris la décision d’abaisser le taux d’intérêt
des opérations principales de refinancement de l’Eurosystème à 0,15 %,
soit une baisse de 10 points de base. À cette même réunion, il a également
décidé de réduire le taux d’intérêt de la facilité de dépôt de manière à le
rendre négatif à -0,10 %. Ces mesures de politique monétaire, entrées
en vigueur le 11 juin 2014, marquent notamment la préoccupation des
autorités monétaires quant aux difficultés de financement de l’économie
qui entravent son redémarrage.
Force est, dès à présent, de remarquer que le défi de la politique monétaire de la BCE se heurte immédiatement à un problème non négligeable :
l’hétérogénéité des pays qu’elle impacte. Patrick Artus1 souligne ainsi l’asymétrie de la politique monétaire de la zone euro, en ce sens qu’elle réagit
à la situation globale de celle-ci, qui peut masquer de profondes divergences en matière de conditions macroéconomiques des pays, et que cette
réaction peut avoir des effets différents sur les économies concernées. Par
exemple, les conséquences d’un mouvement des taux directeurs de la BCE
risquent de ne pas être identiques dans un pays comme la France, dans
lequel les crédits à taux variables représentaient 11 % du total des crédits
en 2011, et dans un pays comme l’Espagne, dans lequel ils en représentaient
80,8 %. Par ailleurs, rien n’indique que ce mouvement des taux directeurs
se répercutera de la même manière sur les taux débiteurs des banques commerciales selon leur nationalité. Ainsi, Christian Bordes2 observe que les
baisses de taux entreprises par la BCE suite à la crise de la dette souveraine,
qui a frappé plusieurs pays (Grèce, Italie, Irlande, Portugal et Espagne)
en 2010-2011, ont été davantage reprises par les banques allemandes ou
françaises que par celles italiennes ou espagnoles. En amont de son efficacité, c’est également la question du choix d’une politique monétaire qui
doit être discutée au regard de l’hétérogénéité de la zone euro. En ce sens,
1. Patrick Artus, « Politique monétaire de la zone euro : l’asymétrie de fonctionnement selon
que le nord ou le sud de la zone euro est en difficulté », Natixis, Flash économie, n° 712,
22 octobre 2012.
2. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », La Revue
du financier, vol. 34, n° 197, septembre-octobre 2012, p. 47-64.
70
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Ch. Bordes note que, lors de la crise de la dette souveraine, il est devenu
évident que la divergence des conditions macroéconomiques au sein des
États membres aurait nécessité des politiques de taux différentes avec des
taux plus élevés dans certains pays, comme l’Allemagne par exemple, et
des taux plus faibles dans d’autres comme la Grèce.
La politique monétaire, entendue par la Banque de France comme « l’ensemble des moyens mis en œuvre par un État ou une autorité monétaire
pour agir sur l’activité économique par la régulation de sa monnaie »,
comprend un vaste périmètre que la crise financière de 2007 est venue
questionner de nouveau. Les évolutions de politique monétaire constatées
depuis cette crise ont concerné tant ses missions, qui, de la stabilité des
prix, s’étendent progressivement à la croissance économique et à la stabilité
financière, que ses modalités de mise en œuvre, avec l’adoption de politiques non conventionnelles en complément des politiques traditionnelles.
Stabilité des prix, stabilité financière et croissance
économique, nouveaux objectifs de la politique
monétaire européenne
Historiquement, la politique monétaire de la BCE s’est construite et développée autour de l’objectif prioritaire de stabilité des prix. Toutefois, au
moins statutairement (v. ci-dessous), cet objectif n’est pas nécessairement
unique et la crise financière de 2007 ainsi que ses conséquences ont donné
toute leur pertinence aux réflexions sur l’extension des objectifs de la
politique monétaire aux préoccupations de croissance économique et de
stabilité financière.
L’objectif prioritaire de stabilité des prix
Dès le 1er juin 1998, date de son instauration, la BCE a fait de la maîtrise de l’inflation son objectif prioritaire de politique monétaire. Ainsi, le
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans son article 127,
dispose que « l’objectif principal du Système européen de banques centrales [SEBC] […] est de maintenir la stabilité des prix ». Il ajoute, dans
la phrase suivante, que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix,
le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans
l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union ».
Depuis les années 1980, au « banquier central keynésien », préoccupé par
l’arbitrage inflation/plein-emploi souvent réalisé en faveur du second, s’est
substitué le « banquier central conservateur », soucieux de lutter contre
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
71
l’inflation et de préserver la stabilité monétaire, d’après les expressions
proposées par Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon3 dans
un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) sur les crises financières. Dans les années 1990, les débats sur la politique monétaire étaient
moins axés sur les objectifs que sur la stratégie à adopter pour permettre
de lutter efficacement contre l’inflation. Ainsi, dans la lignée des travaux
fondateurs de Robert Barro et David Gordon4, l’accent a été mis sur la
crédibilité des annonces faites par le banquier central afin d’orienter les
anticipations des agents. Ces deux auteurs montrent que l’utilisation de la
politique monétaire pour réduire le chômage est inefficace car les agents
anticipent rationnellement l’inflation qui découlera d’une telle politique
et demanderont ainsi un rattrapage des salaires. Au final, le niveau de chômage restera stable, mais la politique monétaire contient un biais inflationniste, car la hausse de la masse monétaire conduira à une augmentation
du niveau général des prix.
Ce résultat a servi d’argument pour défendre la nécessité d’indépendance
de la banque centrale. En effet, si elle est indépendante, celle-ci peut
s’engager sur un objectif en matière de hausse des prix et, de ce fait, faire
disparaître le biais inflationniste en maîtrisant les anticipations d’inflation.
Pour que cela fonctionne, il est nécessaire que la banque centrale apparaisse
comme liée par son mandat ; elle doit ainsi être crédible, c’est-à-dire être
considérée comme capable de respecter ses propres annonces de politique
monétaire. Cette crédibilité, atteinte grâce au respect d’une règle monétaire qui conduit à se « lier les mains », permet de dépasser le problème
d’incohérence temporelle soulevé par Finn Kydland et Edward Prescott5.
Ce problème met en exergue le fait qu’une annonce faite par les autorités
monétaires peut être optimale à une date donnée, mais ne plus l’être à
une date ultérieure, les incitant alors à agir autrement. Ainsi, une banque
centrale qui annonce un objectif de faible hausse des prix afin de limiter
l’inflation anticipée peut ensuite revenir sur cet engagement en mettant
en œuvre une politique monétaire expansionniste pour lutter contre le
chômage. À la suite de la crise de la dette souveraine, pendant laquelle la
BCE s’est trouvée à collaborer avec la Commission européenne et le Fonds
monétaire international (FMI) pour apporter un soutien à la Grèce, il
3. Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les crises financières, coll. « Les rapports
du Conseil d’analyse économique », La Documentation française, Paris, 2004, p. 400.
4. Robert J. Barro, David B. Gordon, « A Positive Theory of Monetary Policy in a Natural Rate
Model », Journal of Political Economy, vol. 91, n° 4, août 1983, p. 589-610.
5. Finn E. Kydland, Edward C. Prescott, « Rules Rather than Discretion : The Inconsistency of
Optimal Plans », Journal of Political Economy, vol. 85, n° 3, juin 1977, p. 473-492.
72
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
semble que la question d’une nouvelle délimitation de la notion d’indépendance de la Banque centrale européenne se pose6.
Le « banquier central conservateur » est ainsi focalisé sur l’objectif principal
que lui assigne le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :
maintenir la stabilité des prix. Si, dès 2004, R. Boyer, M. Dehove et D.
Plihon pointent la nécessité de voir émerger une nouvelle génération de
banquiers centraux soucieuse, en parallèle de la stabilité monétaire, de la
stabilité financière, la crise financière de 2007 a renforcé ce point de vue.
Cette crise a mis en lumière la nécessité d’une redéfinition des objectifs de
la banque centrale, avec la prise en considération de nouvelles dimensions
comme la stabilité financière et le soutien à la croissance économique. En
ce sens, la préoccupation de l’efficacité du financement de l’économie par
la politique monétaire se trouve explicitement affirmée.
Le mécanisme de transmission de la crise financière de 2007 à la sphère
réelle a renforcé le souci de la pérennité du financement de l’économie
par le système bancaire, dans la mesure où le comportement de celui-ci
a conduit à l’émergence d’un credit crunch (figure 6). Celui-ci, qui s’est
manifesté simultanément par un arrêt des financements nouveaux et par
un non-renouvellement des crédits arrivant à maturité, résulte d’un double
mécanisme. D’une part, il se comprend en faisant référence à l’insuffisance
de fonds propres à laquelle ont dû faire face les banques pendant la crise.
Celles-ci étant soumises à la réglementation prudentielle qui leur impose
le respect d’un ratio fonds propres sur risques, il apparaît que, en période
de crise, ce ratio s’affaiblit si les pertes réduisent les fonds propres et/ou
si les risques s’accroissent. L’insuffisance de fonds propres peut alors par
exemple être renforcée par le comportement des agences de notation qui,
en période de crise, réévaluent les risques à la hausse et abaissent leurs
notations. Et l’insuffisance de fonds propres sera d’autant plus forte que
les règles comptables imposent, dans le cadre de certains actifs, une valorisation en prix de marché7. D’autre part, le resserrement du crédit peut
se comprendre par la situation d’insuffisance de liquidité dans laquelle se
retrouvent les banques. En effet, si celles-ci ne parviennent plus à se refinancer dans des conditions acceptables, il en résultera une diminution
des crédits octroyés.
6. Laurent Clerc et Robert Raymond, « Les banques centrales et la stabilité financière : nouveau
rôle, nouveau mandat, nouveaux défis ? », Revue d’économie financière, vol. 113, n° 2, 2014,
p. 193-214.
7. C’est-à-dire que l’on donne à l’actif la valeur à laquelle il s’échange communément sur le
marché (il existe d’autres méthodes de valorisation, comme la valorisation au coût historique
qui revient à donner à l’actif sa valeur à la date d’achat).
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
73
Figure 6.
Évolution des crédits accordés aux sociétés non financières en France (2008-2014)
(taux de croissance annuel, en %)
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
-2
oct.-08
janv.-09
avr.-09
juil.-09
oct.-09
janv.-10
avr.-10
juil.-10
oct.-10
janv.-11
avr.-11
juil.-11
oct.-11
janv.-12
avr.-12
juil.-12
oct.-12
janv.-13
avr.-13
juil.-13
oct.-13
janv.-14
avr.-14
juil.-14
oct.-14
0
-1
-3
Source : données Banque de France.
La crise financière de 2007 et sa transmission à l’économie réelle ont ainsi
permis de rappeler le rôle crucial du système bancaire dans le financement
de l’économie et, par conséquent, l’importance de la politique monétaire
en tant que garante de l’efficacité de ce financement pour accompagner
et développer la croissance économique. Du simple objectif de stabilité
des prix, la politique monétaire de la BCE s’oriente désormais également
vers la prise en compte de la stabilité financière et du soutien à l’activité
économique.
Les nouveaux enjeux de soutien à la croissance et de stabilité
financière
On doit reconnaître que la considération d’objectifs plus larges que la
simple stabilité des prix n’entre pas en contradiction avec le mandat de la
BCE, comme cela est précisé dans l’extrait de l’article 127 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne précité.
Il apparaît aujourd’hui que la prépondérance accordée au pilier monétaire
dans la stratégie de la BCE pendant la période des « banquiers centraux
conservateurs » a été remise en question. Longtemps influencée par la
doctrine monétariste pour la réalisation de son objectif de stabilité des
prix, la Banque centrale européenne se trouve désormais contrainte de
prendre en compte d’autres éléments qui caractérisent les mutations de
l’économie mondiale. Ainsi reconnaît-elle, dans son bulletin mensuel de
74
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
novembre 20118, que le renchérissement de l’énergie et des autres matières
premières constitue le principal facteur explicatif de la hausse des prix sur
l’année considérée. Plus largement, Michel Aglietta, Laurent Berrebi et
Audrey Cohen9 considèrent que, dans le contexte de l’ouverture croissante des économies nationales, l’inflation a changé de nature, son origine
n’étant plus monétaire mais réelle. Pour ces auteurs, depuis 1999, l’économie mondiale est entrée dans un contexte d’inflation structurellement
faible dans lequel les facteurs déterminants de la formation des prix sont
désormais des variables réelles.
Le faible niveau et la stabilité de l’inflation s’expliquent ainsi, en partie,
aujourd’hui par l’intensification de la concurrence internationale qui
contraint les entreprises à maintenir des prix attractifs et exerce une pression à la baisse des salaires dans les secteurs produisant des biens exportables. En ce sens, la Banque des règlements internationaux estime que la
part de la variation de l’inflation dans les pays développés expliquée par
le prix des exportations chinoises a doublé entre les périodes 1986-1998
et 1999-2013, s’élevant pour cette seconde période à 30 %10. Pour les
pays émergents, d’après le Fonds monétaire international11, en moyenne,
un pays dont le taux d’échanges (échanges commerciaux en pourcentage
du PIB) est supérieur de 25 points à celui d’un autre pays voit sa probabilité de conserver un taux d’inflation inférieur à 10 % augmenter de
10 points. Les mutations du contexte international permettent ainsi de
saisir le déplacement des facteurs inflationnistes. La compréhension de ce
mouvement est décisive en matière de politique monétaire à mener. En
effet, à mesure que l’inflation devient de plus en plus déterminée par des
facteurs réels et non monétaires, la pertinence d’une politique monétaire
restrictive se voit remise en cause.
En outre, les enseignements de la théorie quantitative de la monnaie se
trouvent remis en question dans le contexte des politiques monétaires non
conventionnelles qui mettent au jour une déconnexion entre la croissance
de la base monétaire et l’évolution du niveau général des prix. Frederic
Mishkin12 note ainsi qu’un accroissement de la base monétaire de 144,6 %
entre juillet 2007 et la fin de l’année 2009 n’a conduit qu’à un accroisse-
8. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, novembre 2011.
9. Michel Aglietta, Laurent Berrebi et Audrey Cohen, « Banques centrales et globalisation »,
Groupama Asset Management, Expertises, n° 7, 2009.
10. Banque des règlements internationaux, rapport annuel 2013-2014.
11. Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale. Mondialisation et inflation,
avril 2006.
12. Frederic S. Mishkin, « Monetary Policy Strategy : Lessons from the Crisis », NBER Working
Paper Series, n° 16755, février 2011.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
75
ment de 16 % de M213, les banques acceptant d’accumuler des réserves
excessives. Une absence de lien entre agrégat monétaire et inflation dans
le contexte actuel est également soulignée par Adam Posen14. Membre
du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, il soutient
que la politique monétaire d’accroissement de liquidité menée par celle-ci
depuis la crise financière ne conduira pas, quel que soit l’horizon temporel
retenu, à un niveau élevé d’inflation15.
De l’évolution du contexte international et de l’expérience des politiques
monétaires non conventionnelles, il ressort ainsi que l’objectif de contrôle
de la hausse des prix de la BCE ne focalise plus autant l’attention que
par le passé. C’est même davantage le risque de la déflation16 qui retient
aujourd’hui l’attention de la Banque centrale européenne. Cette préoccupation s’inscrit dans le nouvel intérêt que porte la BCE au soutien de
l’activité, la déflation étant une menace durable pour la croissance économique. En effet, celle-ci met en péril la croissance en ce qu’elle renferme un
effet néfaste, à la fois concernant la dette et concernant les anticipations.
En situation de déflation, les ménages sont incités à reporter leurs achats
et les entreprises, leurs investissements. Il en résulte un affaiblissement de
la demande agrégée17 et des profits qui conduira à une hausse du chômage
et à une baisse des prix, entretenant la contraction de la demande agrégée
et la chute des prix dans une boucle devenant auto-entretenue. Par ailleurs, la déflation a pour effet d’augmenter la valeur réelle de l’endettement
des agents et conduit à aggraver la dépression, en vertu du mécanisme de
déflation par la dette décrit par Irving Fisher18.
La menace pour la croissance que constitue la déflation est d’autant plus
importante qu’elle est durable, la déflation installant les conditions de sa
pérennité. D’une part, l’entrée en déflation participe à la mise en place
13. M1 = pièces et billets en circulation et dépôts à vue ; M2 = M1 + dépôts avec un préavis
inférieur ou égal à trois mois + dépôts à terme d’une durée initiale inférieure ou égale à deux
ans ; M3 = M2 + pensions + titres d’OPCVM monétaires + titres de créances de durée initiale inférieure ou égale à deux ans émis par des institutions financières monétaires (source :
Banque de France).
14. Adam S. Posen, « Getting Credit Flowing : A Non-Monetarist Approach to Quantitative
Easing », discours à la Cass Business School, Londres, 26 octobre 2009.
15. Ricardo Reis (« Interpreting the Unconventional US Monetary Policy of 2007-09 », Brookings
Papers on Economic Activity, automne 2009, p. 119-165) aboutit à la même conclusion dans
le cadre des politiques monétaires non conventionnelles menées aux États-Unis depuis 2007.
16. « La déflation est le gain du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une diminution générale et durable des prix ; c’est une inflation négative » (Insee). Voir Xavier Timbeau
(dir.), « Banques centrales, dernier rempart contre la déflation. Perspectives 2014-2015 pour
l’économie mondiale », Revue de l’OFCE. Analyse et prévisions, n° 135, avril 2014, p. 11-51.
17. « La fonction de demande agrégée (ou collective) d’un bien est la relation qui exprime la
quantité demandée de ce bien en fonction du prix de ce bien, du prix des autres biens et
du revenu de chaque demandeur » (Nicolas Bouzou, Les mécanismes du marché. Éléments de
microéconomie, coll. « Thèmes & débats », Bréal, Rosny-sous-Bois, 2006, p. 64).
18. Irving Fisher, Booms and Depressions : Some First Principles, Adelphi Company, New York,
1932.
76
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
d’une boucle déflationniste auto-entretenue et, d’autre part, la déflation
affaiblit l’efficacité de l’intervention de l’État pour en sortir. La politique
monétaire, en situation déflationniste, voit le champ de ses conditions
de réussite restreint car même en présence de taux nominaux proches de
zéro, les taux réels demeurent positifs. De plus, la baisse du taux nominal
peut conduire à une situation de trappe à liquidité19 dans laquelle la politique monétaire devient inefficace. Enfin, par l’accroissement du poids
de la dette, la déflation réduit les marges de manœuvre des États dans la
mise en œuvre de politiques budgétaires expansionnistes qui nécessitent
le recours à l’endettement public.
La relance de la croissance devient ainsi un objectif affirmé de la politique
monétaire menée par la BCE. La baisse des taux décidée en juin 2014
par celle-ci s’inscrit dans ce souci de ne pas connaître la déflation et de
« booster » la relance des économies. Le soutien à la croissance doit notamment transiter par un meilleur financement de l’économie, la faiblesse
historique des taux d’intérêt devant se répercuter sur les coûts du crédit
bancaire, qui restent en moyenne relativement élevés.
La volonté de la BCE de s’engager, par sa politique monétaire, sur la voie
du soutien à la croissance économique, s’affirme ainsi notamment par son
souci d’assurer un financement efficace de l’économie. Si l’efficacité du
financement peut s’exprimer par les conditions de son accès et par son
coût, elle peut également se mesurer par sa capacité à rester stable dans le
temps. Il s’agit alors de la question de la stabilité financière, que la crise a
remise sur le devant de la scène.
Dans leur manuel sur la politique économique, Agnès Bénassy-Quéré et
alii 20 définissent la stabilité financière comme une « situation dans laquelle
les agents économiques peuvent sans crainte compter sur le bon fonctionnement du système financier dans son ensemble ». Pour assurer le maintien de cette stabilité financière, il est nécessaire que se développent des
infrastructures (bourses, systèmes de paiement, chambres de compensation,
dépositaires) ainsi qu’un cadre réglementaire (encadrer les comportements
des acteurs pour les inciter à évaluer correctement les actifs, à apprécier
les risques et à s’en prémunir) appropriés. Si ces infrastructures et ce cadre
réglementaire ne sont pas suffisants pour assurer la stabilité financière, il
convient également de réfléchir aux actions propices au retour à celle-ci
quand elle n’est plus assurée. En ce sens, le maintien de la stabilité finan-
19. « Une situation dite de “trappe à liquidité” est une situation économique où la politique monétaire de la banque centrale est rendue inefficace. La variation du taux d’intérêt, l’outil majeur
de la banque centrale, n’a dans ce cas plus l’effet escompté » (« En situation de trappe à liquidité, l’action de la BCE a-t-elle vraiment les moyens de relancer l’inflation ? », La Tribune,
29 septembre 2014).
20. Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, op. cit., p. 313.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
77
cière passe également, en cas de besoin, par l’action directe de la banque
centrale pour la fourniture de liquidité ou du gouvernement pour la fourniture de capital21.
La stabilité financière est un bien public à externalités22. En effet, elle
constitue d’abord un bien public, en ce qu’elle profite à l’ensemble des
agents économiques. Par ailleurs, la notion d’« externalité » désigne l’effet
d’une activité qui procure à d’autres agents économiques une satisfaction
ou un dommage, sans que celui-ci ne donne lieu à une contrepartie ou une
compensation monétaire23. Il s’agit donc d’un effet qui ne conduit pas à la
formation d’un prix sur un marché et qui empêche ainsi les agents économiques d’internaliser correctement les bénéfices et les coûts de leurs actions.
Concernant la stabilité financière, les agents économiques intègrent, par
exemple, correctement les coûts qu’engendrerait pour eux la défaillance de
leur propre établissement bancaire mais appréhendent plus difficilement
le risque de défaillance systémique qui pourrait provenir des difficultés
rencontrées par un autre établissement et se propager à l’ensemble du système financier. Une telle situation justifie l’intervention de la puissance
publique. Se pose alors la question de l’acteur en mesure d’assurer cette
mission de stabilité financière. Si un tel objectif est assigné à la BCE, de
nouvelles questions apparaissent, comme celle de la possibilité pour la politique monétaire de celle-ci de poursuivre plusieurs objectifs, ou celle de la
compatibilité des objectifs de stabilisation des prix et de stabilité financière.
Stabilité financière et banque centrale sont historiquement liées. Les travaux anciens de Henry Thornton et de Walter Bagehot24 sur le rôle de
prêteur en dernier ressort de la banque centrale en offrent une illustration. Tommaso Padoa-Schioppa25 décrit la mission de stabilité financière
comme implicitement à l’origine de l’émergence des banques centrales,
parlant ainsi d’une « partie de leur code génétique ». La Banque centrale
21. Emmanuel Farhi et Jean Tirole (« Collective Moral Hazard, Maturity Mismatch, and Systemic
Bailouts », American Economic Review, vol. 102, n° 1, février 2012, p. 60-93) offrent des éléments pour comparer l’efficacité de l’action de la banque centrale et du gouvernement. En
situation d’asymétrie d’information, ils mettent en garde contre l’intervention du gouvernement, qui peut ne pas reconnaître les établissements bancaires réellement en difficulté. Les
établissements bancaires sains peuvent alors adopter des stratégies de recherche de rentes en
se présentant comme étant en difficulté. L’action de la banque centrale, qui transite via des
mécanismes de marché, permet d’échapper à ce travers.
22. Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon, Les crises financières, op. cit.
23. Par exemple, les riverains qui verraient s’implanter une entreprise polluante à côté de chez eux
deviendraient victimes d’une externalité négative car ils ne seraient pas directement indemnisés par l’entreprise pour la pollution causée.
24. Henry Thornton, An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain,
J. Hatchard, Londres, 1802 ; Walter Bagehot, Lombard Street : A Description of the Money
Market, Scribner, Armstrong & Co, New York, 1873.
25. Tommaso Padoa-Schioppa, « Central Banks and Financial Stability : Exploring a Land in
Between », in Vítor Gaspar, Philipp Hartmann, Olaf Sleijpen (eds.), The Transformation of
the European Financial System, seconde conférence des banques centrales de la Banque centrale européenne, Francfort, octobre 2002, p. 270-310.
78
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
américaine (Fed) est à cet égard un bon exemple puisqu’elle a été mise en
place en 1913, après la crise financière de 1907. Plus généralement, cette
mission de stabilité financière se retrouve dans le monopole de la création de monnaie centrale accordé à la banque centrale, dans son rôle de
banque des banques ainsi que dans le mécanisme de création monétaire
par les banques commerciales. Bien que ce rôle de supervision ne fût pas
inscrit explicitement dans le mandat des banques centrales, il fut rempli
dans la pratique. Cependant, à partir des années 1970, le vaste mouvement
mondial de libéralisation et de dérégulation s’est traduit par un abandon
progressif par les banques centrales de l’intérêt porté à la stabilité financière. Ce moindre intérêt a persisté dans la période des « banquiers centraux conservateurs » caractérisée par la priorité accordée à la stabilité des
prix, par l’indépendance des banques centrales et par la volonté de ne pas
confier la supervision du système bancaire à la banque centrale.
La question de l’intégration explicite à la mission des banques centrales d’un
objectif de stabilité financière, en parallèle de l’objectif de stabilisation des
prix, a fait l’objet d’un débat avant même que n’éclate la crise financière.
Ce débat tournait autour des réponses que pouvaient apporter les banques
centrales au problème des bulles pouvant se former sur le prix des actifs et
opposait les tenants du « lean » à ceux du « clean ». Pour les premiers, parmi
lesquels figurent Stephen Cecchetti et alii, Claudio Borio et Philip Lowe,
Claudio Borio, William English et Andrew Filardo ou William White26,
la politique monétaire a un rôle à jouer pour aller à contre-courant (« lean
against the wind ») des tendances du marché quand celles-ci participent
à l’émergence de bulles spéculatives. Il s’agit alors d’envisager une politique monétaire active contre la formation des bulles, car l’histoire révèle
que l’éclatement de celles-ci s’accompagne d’un déclin rapide de l’activité
économique, comme le décrivent les travaux de Charles Kindleberger27.
La formation d’une bulle doit ainsi donner lieu à une hausse du taux
d’intérêt pour la faire disparaître ou, au moins, pour limiter son développement. Cependant, cette position du « lean » s’est vu opposer plusieurs
arguments. D’abord, agir contre la formation d’une bulle suppose au préalable que celle-ci soit identifiée, c’est-à-dire qu’il soit possible, pour tous les
actifs, de définir un prix d’équilibre et une bande de fluctuation acceptable
26. Stephen G. Cecchetti, Hans Genberg, John Lipsky, Sushil Wadhwani, « Asset Prices and
Central Bank Policy », The Geneva Report on the World Economy, n° 2, 30 mai 2000 ;
Claudio Borio, Philip Lowe, « Asset Prices, Financial and Monetary Stability : Exploring the
Nexus », Banque des règlements internationaux, BIS Working Papers, n° 114, juillet 2002 ;
Claudio Borio, William English, Andrew Filardo, « A Tale of Two Perspectives : Old or New
Challenges for Monetary Policy ? », Banque des règlements internationaux, BIS Working
Papers, n° 127, février 2003 ; William R. White, « Making Macroprudential Concerns
Operational », discours à la Conférence sur la stabilité financière organisée par la Banque des
Pays-Bas, Amsterdam, 25-26 octobre 2004.
27. Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes : A History of Financial Crises, Basic
Books, New York, 1 978.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
79
au-delà de laquelle on puisse définir l’existence de la bulle. En admettant
que la banque centrale soit capable de définir le moment à partir duquel
l’écart au prix d’équilibre se transforme en bulle, il faut encore admettre
que cette information qu’elle détient ne soit pas connue des investisseurs
privés, car dans le cas contraire, il y a peu de chance que la bulle se développe davantage. Ensuite, la hausse du taux d’intérêt peut ne pas décourager la formation de la bulle car les agents s’attendent justement à de tels
taux de rendement élevés sur les actifs sur lesquels se forme la bulle. Cette
hausse du taux d’intérêt peut même, d’après Alan Greenspan28, provoquer
une explosion plus violente de la bulle.
Par ailleurs, la hausse du taux d’intérêt affectera l’ensemble des prix des
actifs, et non pas seulement le prix de l’actif qui engendre la bulle. Ces
critiques à l’encontre de la gestion des bulles spéculatives par la politique
monétaire ont ainsi donné lieu au développement de la position « clean »,
telle que défendue par A. Greenspan, qui considère que la politique monétaire doit plutôt servir à « nettoyer » après l’explosion de la bulle. Les tenants
du « clean » jugent moins coûteuse la gestion des conséquences de l’explosion de la bulle que de vouloir contrôler son développement. À la lumière
de ce débat, la BCE a adopté une prise en compte limitée des actifs dans
le cadre de sa stratégie à deux piliers29. Cette prise en compte s’est réduite
à envisager les conséquences possibles sur l’activité économique et sur le
niveau général des prix à un horizon de court-moyen terme. Il en va de
même pour la Banque d’Angleterre qui, avant la crise financière de 2007,
ne s’intéressait aux prix des actifs dans le cadre de sa politique monétaire
que dans la mesure où ils étaient liés au suivi de l’inflation30.
La préoccupation autour de la stabilité financière et de son articulation avec
la politique monétaire a ressurgi à la suite de la crise financière de 2007.
Après le débat sur la gestion des bulles spéculatives, la crise financière
est venue à nouveau questionner la dichotomie affichée par les banques
centrales entre politique monétaire, pour assurer la stabilité des prix, et
politique en faveur de la stabilité financière. Selon Christian Bordes et
28. Alan Greenspan, « Opening Remarks : Rethinking Stabilization Policy », Conférence de politique économique Jackson Hole, Réserve fédérale de Kansas City, 2002, p. 1-10.
29. À savoir l’analyse économique et l’analyse monétaire :
« – l’analyse économique vise à évaluer les facteurs déterminant l’évolution des prix à court
et moyen terme, en mettant l’accent sur l’activité réelle et les conditions financières dans
l’économie. Elle prend en compte le fait que, sur ces horizons, l’interaction entre l’offre et
la demande sur les marchés des biens, des services et des facteurs influe largement sur l’évolution des prix ;
– l’analyse monétaire est axée sur un horizon à plus long terme, s’appuyant sur le lien à long
terme qui existe entre la monnaie et les prix. Elle a essentiellement pour objet de recouper,
dans une perspective de moyen et long terme, les indications à court et moyen terme fournies par l’analyse économique » (source : http://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/facts/
monpol/html/mp_004.fr.html).
30. John Vickers, « Monetary Policy and Asset Prices », The Manchester School, vol. 68, suppl.
n° 1, 2000, p. 1-22.
80
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Laurent Clerc31, la focalisation sur l’objectif de stabilité des prix conduit
à un principe de séparation entre l’objectif de politique monétaire et celui
de stabilité financière.
Ce principe de séparation découle de la règle de Tinbergen32 qui énonce
que, dans le cadre d’une politique économique, le nombre d’instruments
mobilisés doit être égal au nombre d’objectifs visés. Il s’ensuit alors que
l’objectif de stabilité des prix doit être atteint par l’instrument de la politique monétaire et l’objectif de stabilité financière, par l’instrument des
opérations de marché. Néanmoins, la crise financière et la mise en œuvre
de politiques monétaires non conventionnelles pour y remédier ont conduit
la BCE à abandonner, dès octobre 2008, le principe de séparation sur
lequel elle s’appuyait jusqu’alors.
Un rapport du CAE de 2011 sur les banques centrales et la stabilité financière33 propose des pistes de réflexion pour adapter la conduite de la politique monétaire au nouvel impératif de supervision macro-prudentiel. Si
le choix est fait de conserver la règle de Taylor (v. encadré), les auteurs du
rapport insistent sur la nécessité d’annoncer un retour à cette règle après
la fin des mesures non conventionnelles. Pour faciliter ce retour, ils envisagent l’affichage et le respect d’une règle claire pour sortir des mesures
non conventionnelles. Par ailleurs, il serait souhaitable d’enrichir cette
règle de Taylor pour assurer la stabilité financière.
Deux évolutions peuvent être suggérées. Lawrence Christiano et alii 34
proposent de prendre en compte la croissance du crédit (au-delà de son
rôle dans l’élaboration des prévisions d’inflation) pour réduire la volatilité de la production et du prix des actifs. Par ailleurs, Fiorella De Fiore et
Oreste Tristani35 introduisent les variations des écarts de taux dans la règle
de Taylor. Dès lors que le taux directeur de la banque centrale ne traduit
plus le coût du financement pour l’ensemble de l’économie, il convient
d’être attentif à cet écart. Dans la réalité, cet écart existe bien souvent du
31. Christian Bordes et Laurent Clerc, « L’art du central banking de la BCE et le principe de séparation », Revue d’économie politique, vol. 120, n° 2, mars-avril 2010, p. 269-302.
32. Règle énoncée par Jan Tinbergen dans On the Theory of Economic Policy (1952) et selon
laquelle « une condition nécessaire (mais non suffisante) pour qu’une politique économique
soit efficace, est qu’il existe autant d’instruments indépendants que d’objectifs à atteindre »
(Jacques Généreux, Économie politique, 3. Macroéconomie, coll. « Les fondamentaux. Économiegestion », Hachette supérieur, Paris, 5e éd., 2008, p. 155).
33. Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon,
Banques centrales et stabilité financière, coll. « Les rapports du Conseil d’analyse économique »,
La Documentation française, Paris, 2011.
34. Lawrence Christiano, Cosmin Ilut, Roberto Motto, Massimo Rostagno, « Monetary Policy
and Stock Market Booms », NBER Working Paper Series, n° 16402, septembre 2010.
35. Fiorella De Fiore, Oreste Tristani, « The Role of Financial Conditions for Monetary Policy »,
in Lucas D. Papademos, Jürgen Stark (eds.), Enhancing Monetary Analysis, Banque centrale
européenne, Francfort, 2010, p. 297-306.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
81
fait de l’existence de primes de risque variables. Ainsi, dans ce cadre, un
accroissement de la prime de risque pourrait se traduire par une baisse du
taux d’intérêt directeur de la part de la BCE.
En Europe, la préoccupation autour de la stabilité financière a donné
naissance, en 2010, au Comité européen du risque systémique, dont le
secrétariat est assuré par la BCE. Ce comité découle des recommandations
contenues dans le rapport36 demandé par la Commission européenne
au groupe de travail présidé par Jacques de Larosière et remis en 2009.
L’article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil (règlement
UE n° 1092/2010) définissant les missions de ce comité affirme qu’il est
« responsable de la surveillance macroprudentielle du système financier
dans l’Union, dans le but de contribuer à la prévention ou à l’atténuation
des risques systémiques pour la stabilité financière de l’Union, qui résultent
des évolutions macroéconomiques, de façon à éviter des périodes de difficultés financières généralisées. Il contribue au fonctionnement harmonieux
du marché intérieur et assure ainsi une contribution durable du secteur
financier à la croissance économique ».
■ La règle de Taylor
John Taylor* a proposé une règle indiquant la valeur appropriée du taux d’intérêt en
fonction de la situation macroéconomique de l’économie américaine :
Taux d’intérêt = taux d’inflation + taux d’intérêt réel d’équilibre + 0,5 écart d’inflation
+ 0,5 écart de production.
Le fait de tenir compte simultanément de l’écart d’inflation** et de l’écart de production indique que la banque centrale se préoccupe de la stabilité des prix, mais
également de la stabilisation conjoncturelle.
Cette règle constitue un outil permettant de suivre l’orientation de la politique monétaire. Elle rend possible l’analyse ex post de la réaction de la politique monétaire
pendant la période étudiée.
* John B. Taylor, « Discretion Versus Policy Rules in Practice », Carnegie-Rochester Series on
Public Policy, n° 39, 1993, p. 195-214.
** L’écart d’inflation se mesure par l’écart entre le taux d’inflation observé et celui ciblé par la
banque centrale. L’écart de production se mesure par l’écart entre le niveau du PIB observé et le
niveau du PIB potentiel.
36. The High-Level Group on Financial Supervision in the EU, Report, Bruxelles, 25 février 2009.
82
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
La question de la stabilité financière a souvent été abordée sous l’angle de
sa relation avec la stabilité des prix. Avant la crise financière de 2007, à
l’image de Ben Bernanke et Mark Gertler37, de nombreux auteurs considéraient que la seconde devait conduire à la première. L’argument repose
sur la capacité de la stabilité des prix à ancrer les anticipations d’inflation.
Cet ancrage doit permettre d’écarter les risques d’hyperinflation ou de
déflation et ainsi éliminer l’incertitude qui pourrait naître d’une déformation du système des prix relatifs38. L’objectif de stabilité des prix est
alors envisagé comme permettant l’allocation optimale des ressources, et
l’instabilité financière est écartée.
En outre, la stabilité des prix permet de supprimer les effets redistributifs
non prévus39 entre créditeur et débiteur qui peuvent, dans certains cas,
conduire à des défaillances, et elle participe ainsi à la stabilité financière.
La stabilité monétaire est ainsi considérée comme nécessaire à la réalisation
de la stabilité financière. Le déclenchement de la crise financière de 2007
dans un contexte d’inflation maîtrisée a conduit à mettre en avant la possibilité d’une relation d’incompatibilité entre stabilité des prix et stabilité
financière. Une telle situation peut ainsi exister quand la stabilité des prix
implique le maintien des taux d’intérêt à un niveau faible, alors que la
stabilité financière nécessiterait leur relèvement si la croissance des crédits s’accélère et le prix des actifs s’envole. Avant 2007, la période dite de
« Grande modération »40, caractérisée par la faiblesse de la volatilité des
taux de croissance et d’inflation et par un niveau peu élevé des taux d’intérêt, a constitué un terrain propice à l’instabilité financière en favorisant
le développement de comportements risqués.
Claudio Borio et Haibin Zhu41 ont parlé de canal de la prise de risque
(« risk-taking channel ») pour désigner l’impact des changements de politique de taux sur la perception du risque ou sur l’aversion au risque et
donc sur le niveau de risque des portefeuilles, sur la formation du prix des
37. Ben S. Bernanke, Mark Gertler, « Should Central Banks Respond to Movements in Asset
Prices ? », American Economic Review, vol. 91, n° 2, mai 2001, p. 253-257.
38. Le prix relatif désigne le prix d’un bien exprimé en quantité d’un autre (rapport des prix de
deux biens). Si le prix d’un de ces deux biens varie fortement tandis que l’autre reste stable,
le prix relatif est modifié. Le système des prix relatifs est alors déformé, et ces variations de
prix créent de l’incertitude chez les agents économiques.
39. L’inflation entraîne une redistribution de la richesse des créditeurs vers les débiteurs en réduisant la valeur réelle des actifs et des passifs libellés en termes nominaux. Donc la stabilité des
prix permet de supprimer cet effet.
40. Ben S. Bernanke, « The Great Moderation », Discours à la conférence de l’Eastern Economic
Association, Washington, 20 février 2004.
On peut trouver l’expression « Great Moderation » déjà utilisée par James Stock et Mark
Watson (« Has the Business Cycle Changed and Why ? », NBER Macroeconomics Annual,
vol. 17, 2002, p. 159-230).
41. Claudio Borio, Haibin Zhu, « Capital Regulation, Risk-taking and Monetary Policy : A
Missing Link in the Transmission Mechanism ? », Journal of Financial Stability, vol. 8, n° 4,
décembre 2012, p. 236-251.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
83
actifs et sur les conditions de financement. Ils identifient au moins trois
moyens par lesquels ce canal opère :
– d’abord, ils notent que de plus faibles taux d’intérêt peuvent accroître la
valeur des collatéraux42 mobilisables pour obtenir des prêts ;
– ensuite, le deuxième mécanisme par lequel opère le canal de la prise de
risque repose sur l’hypothèse que les investisseurs disposent d’une valeur
de référence pour le rendement nominal de leur capital, indépendamment
du niveau des taux d’intérêt. De ce fait, la prise de risque s’élève dès lors
que les taux sont bas ;
– enfin, C. Borio et H. Zhu considèrent que la communication et la fonction de réaction de la banque centrale ont un effet sur la prise de risque
des agents.
Tableau 11.
Les mandats des banques centrales américaine, européenne, anglaise
et japonaise
Institution
Réserve
fédérale
américaine
Banque
centrale
européenne
Banque
d’Angleterre
Banque du
Japon
Texte officiel
Stabilité des prix
Stabilité
de la production
Stabilité
financière
Full Employment
and Balanced
Growth Act, 1 978
(« HumphreyHawkins Act »)
Oui
Oui, au même titre
que la stabilité des
prix.
Oui, rôle renforcé
en 2011 par la loi
Dodd-Franck.
Oui, si l’objectif de
stabilité des prix
est atteint.
Oui, si l’objectif de
stabilité des prix
est atteint. Rôle
renforcé avec la
création du Comité
européen du risque
systémique et le
projet d’Union
bancaire.
Traité sur le
fonctionnement de
l’Union européenne
Oui
Bank of England
Act, 1998
Oui
Oui, si l’objectif de
stabilité des prix
est atteint.
Oui, rôle renforcé
en 2013 par
le transfert du
contrôle bancaire
depuis la FSA
[Financial Services
Authority].
Bank of Japan Law,
1997
Oui
Non, seulement
comme sousproduit de la
stabilité des prix.
Oui.
Source : Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry, Politique économique, coll.
« Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 3e éd., 2012, p. 326.
42. Un collatéral est un actif servant à garantir le risque de crédit porté par la contrepartie à laquelle
un prêt est octroyé. Il vise donc à protéger le créancier contre le défaut d’un emprunteur.
84
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Ainsi, une politique transparente de la banque centrale (ou la perception
d’une fonction de réaction effective43) conduit à une réduction de l’incertitude sur le futur et, comprimant ainsi la prime de risque, incite les
agents à prendre davantage de risque. Il apparaît ainsi que la réalisation
de l’objectif de stabilité des prix par les banques centrales a pu contribuer
à accroître l’instabilité financière. Une telle situation rappelle l’hypothèse
d’instabilité financière développée par Hyman Minsky44 qui prêtait à la
finance une nature intrinsèquement instable liée au développement des
comportements risqués pendant les périodes de croissance économique.
Par ailleurs, Patrick Artus45 souligne le problème du risque de conflit d’intérêts qui apparaît quand la BCE mène sa politique monétaire en même
temps qu’elle assure la supervision macroprudentielle. En effet, soucieuse
de la stabilité financière, la Banque centrale européenne pourrait être
tentée de mener une politique monétaire anormalement expansionniste
pour soutenir les banques.
La crise financière de 2007 a ainsi marqué un véritable tournant en matière
de politique monétaire menée par la BCE. Les objectifs de celle-ci se sont
trouvés redessinés à la lumière de nouvelles préoccupations, parmi lesquelles celle d’assurer un financement efficace de l’économie en période
de faible croissance. Si la crise a conduit à porter l’intérêt sur de nouveaux
objectifs comme la croissance économique et la stabilité financière, force
est de constater qu’elle a également modifié la mise en œuvre de la politique monétaire. En effet, aux politiques monétaires conventionnelles
traditionnellement menées par les banques centrales avant la crise, sont
venues s’ajouter des politiques non conventionnelles pour faire face à une
situation inhabituelle.
43. La fonction de réaction de la banque centrale désigne la stratégie qu’elle suit en fonction de
ses instruments et de ses objectifs de politique monétaire. Donc si elle mène une politique
transparente, cela signifie que les agents économiques connaissent et perçoivent la fonction
de réaction qu’elle suit effectivement.
44. Hyman P. Minsky, Stabilizing an Unstable Economy, Yale University Press, New Haven, 1986.
45. Patrick Artus, « Les défis pour les banques centrales après la crise », Revue d’économie financière, vol. 113, n° 1, 2014, p. 217-226.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
85
Les outils monétaires traditionnels du refinancement
de l’économie
Pour contrôler le financement de l’économie, la BCE mobilise traditionnellement trois types d’instruments : les opérations d’open market, les
facilités permanentes et les réserves obligatoires46.
En temps normal, les opérations d’open market, qui présentent la caractéristique d’être des opérations de marché, constituent l’instrument principalement utilisé par les banques centrales. Par ces opérations, la BCE
accorde des prêts aux établissements bancaires contre remise de garanties,
lesquelles se matérialisent par des prises en pension de titres pendant la
durée du prêt. Les opérations principales de refinancement ont une périodicité hebdomadaire et une durée de deux semaines (opérations dites Main
refinancing operations ou MRO). Des opérations de refinancement à plus
long terme sont possibles, leur périodicité étant alors mensuelle et leur
durée de trois mois (opérations dites Long term refinancing operations ou
LTRO). Le refinancement est attribué selon une procédure d’appels d’offres.
Si le taux, dit taux Refi, est fixé par la Banque centrale européenne, les
établissements de crédit annoncent la liquidité qu’ils souhaitent obtenir à
ce taux. La BCE peut alors, soit satisfaire l’ensemble des demandes, soit, si
elle souhaite limiter la liquidité allouée, ne les satisfaire que partiellement.
Cependant, elle peut également choisir de ne fixer qu’un taux minimum.
Dans ce cas, chaque établissement de crédit réalise une double annonce :
la quantité de liquidité souhaitée et le taux auquel il désire l’obtenir. Elle
alloue alors la liquidité en satisfaisant les offres par ordre décroissant de
taux annoncé, autrement dit, par un mécanisme d’enchère. Exceptionnellement, quand les opérations hebdomadaires se révèlent insuffisantes, la
Banque centrale européenne peut se livrer à des opérations de réglage fin
qui se traduisent par des achats ou des ventes fermes de titres.
En parallèle des opérations de refinancement, la BCE met à disposition des
banques commerciales des facilités permanentes. La facilité marginale de
prêt permet aux établissements de crédit d’obtenir, contre prises de pension,
de la liquidité à un jour à un taux prédéterminé, supérieur au taux de refinancement des opérations d’open market. La facilité de dépôt permet à ces
mêmes établissements d’effectuer des dépôts à un jour auprès de la Banque
centrale européenne. Le taux de ces dépôts est également prédéterminé et
est fixé en dessous du taux sur les opérations principales de refinancement.
Ces taux des facilités permanentes déterminent ainsi un corridor au sein
duquel oscillent le taux Refi et les taux du marché interbancaire. Au sein
46. Une présentation détaillée de ces instruments peut être trouvée dans Frederic S. Mishkin,
Monnaie, banque et marchés financiers, op. cit.
86
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
du corridor, le positionnement de l’Eonia (Euro overnight index average),
qui est le taux au jour le jour pratiqué sur le marché interbancaire, est
révélateur de l’abondance de liquidité. Il est ainsi presque confondu avec
le taux Refi avant la crise financière, puis s’en éloigne et se rapproche du
taux de facilité de dépôt par la suite.
Enfin, la BCE peut agir sur le montant des réserves obligatoires pour
contrôler le financement de l’économie. En 2014, elle imposait aux établissements de crédit de conserver 1 % des dépôts reçus du public sur un
compte ouvert auprès d’elle. Ces réserves obligatoires, au-delà de la fonction prudentielle qu’elles remplissent, permettent de faciliter la régulation
du marché monétaire. En effet, elles contribuent d’abord à la stabilisation
des taux d’intérêt du marché monétaire, car elles peuvent être constituées
en moyenne sur une période. Ensuite, elles participent à l’élargissement
de la demande de monnaie centrale en créant ou accentuant un déficit
structurel de liquidité.
La crise financière de 2007 a conduit à une réaction de la BCE dont les
principales étapes sont décrites par Christian Bordes47. Cette réaction a
d’abord été entreprise dans le cadre de ses instruments traditionnels. Les
toutes premières mesures prises par la Banque centrale européenne relèvent
d’opérations de réglage fin. Ainsi, le 9 août 2007, pour soulager les fortes
tensions sur le taux interbancaire au jour le jour, elle réalise l’injection de
liquidité à un jour la plus élevée depuis sa création (95 milliards d’euros).
Puis, dès le 15 août 2007, la BCE ajuste ses opérations principales de refinancement pour gérer la crise de liquidité.
Après la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, la Banque
centrale européenne a réagi en baissant son principal taux directeur de
4,25 % à 2,5 % à la fin de l’année 2008. De janvier à mai 2009, quatre
étapes de baisse du taux se succèdent jusqu’à ce qu’il atteigne 1 %. Ce
taux de 1 % a été considéré comme le taux plancher par le Conseil des
gouverneurs qui estimait qu’il existait un risque de déflation peu élevé et
un risque de paralysie du marché monétaire.
En 2011, le taux d’inflation se rapprochant des 3 %, la BCE a procédé
à une hausse de son principal taux directeur. En avril 2011, il passe ainsi
de 1 % à 1,25 %, puis à 1,5 % en juillet de la même année. Ces hausses
ont été de courte durée puisque la Banque centrale européenne est rapidement revenue sur ses décisions. Le taux a ainsi été ramené à 1,25 % en
novembre 2011, puis à 1 % en décembre.
Le déclenchement de la crise des dettes souveraines en 2010 avec la Grèce,
puis son approfondissement en 2011 avec notamment l’Espagne et l’Italie,
ont conduit la BCE à poursuivre ses baisses de taux, notamment pour faire
47. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », op. cit.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
87
face à l’incidence sur les conditions du crédit de l’intensification des tensions
sur les marchés financiers. Le taux Refi est passé à 0,75 % en juillet 2012
(tandis que le taux de facilité de dépôt a été abaissé à 0,00 %), à 0,5 % en
mai 2013, à 0,25 % en novembre 2013, à 0,15 % en juin 2014 et enfin
à 0,05 % en septembre 2014.
Pourtant, ces mesures traditionnelles de baisse des taux se sont révélées
insuffisantes face à l’ampleur de la crise. Par exemple, si l’on considère le
taux Refi mesuré en termes réels, étant donné le ralentissement de l’inflation
de juillet 2008 à mai 2009, il est resté à peu près nul sur cette période et est
même redevenu positif jusqu’à l’automne 2009. Autrement dit, malgré la
baisse des taux nominaux pratiquée par la BCE, il est possible d’observer
des périodes de durcissement de la politique monétaire.
Mais surtout, la période marquée par la crise financière s’est traduite par
un endommagement du fonctionnement des canaux de transmission
habituels de l’action de la Banque centrale européenne (encadré). Par
exemple, la défiance, qui s’installe entre les banques n’acceptant plus de se
prêter entre elles de la liquidité, conduit à déconnecter les taux interbancaires du taux Refi. De plus, une baisse des taux directeurs, même quand
elle ne s’accompagne pas d’une hausse des taux réels, peut ne pas être en
mesure de faciliter les conditions de financement en période de crise. Il
en est ainsi si la crise conduit à une hausse des primes de risque sur les
marchés de taux, ou encore à une montée de la préférence pour la liquidité pouvant entraîner l’économie dans une trappe à liquidités. La BCE
a alors été contrainte d’adopter des mesures de politique monétaire non
conventionnelles pour rétablir le mécanisme de transmission et restaurer
ainsi les conditions de financement habituelles de l’économie.
■ Les principaux canaux de transmission de la politique
monétaire
« (1) Le canal du taux d’intérêt. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, trois phénomènes peuvent se produire :
(a) Un effet de substitution : il devient plus avantageux de consommer demain qu’aujourd’hui, ce qui conduit les ménages à accroître leur épargne. Les entreprises, parallèlement, placent leurs liquidités sur le marché financier plutôt que dans l’appareil
productif.
(b) Un effet de revenu : les agents endettés ou qui désirent s’endetter, voyant leurs
charges d’intérêt s’alourdir, réduisent leurs dépenses et, à l’inverse, les épargnants,
voyant leurs revenus d’intérêt augmenter, les relèvent.
(c) Un effet de richesse : la hausse du taux d’intérêt fait chuter les prix de certains
actifs financiers dont les rémunérations, fixées avant la hausse des taux de marché,
n’attirent soudain plus les épargnants. Les ménages qui détiennent ces actifs, voyant
88
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
leur richesse se réduire, consomment moins. Les entreprises, de leur côté, tentent
de rééquilibrer leur bilan en réduisant leur endettement.
(2) Le canal du crédit. Un taux d’intérêt plus élevé amène les banques non seulement à augmenter les taux d’intérêt des prêts mais même, dans certains cas,
à refuser de prêter. Ce mécanisme de rationnement du crédit est lié à l’asymétrie
d’information entre le prêteur et l’emprunteur. Seul ce dernier connaît précisément
sa capacité à rembourser.
(3) Le canal du taux de change. Une hausse des taux d’intérêt de la zone euro, qui
rend plus attrayants les placements en euro, entraîne en principe une appréciation
de l’euro vis-à-vis des autres monnaies qui encourage à consommer des biens étrangers, freinant la demande adressée aux entreprises de la zone.
(4) Le canal du prix des actifs et le canal de la prise de risque. Charles Kindleberger* avait noté que les crises financières éclataient souvent après des périodes
prolongées de bas taux d’intérêt, ce qui laisse penser que ces derniers sont propices
non seulement à l’expansion du crédit, à travers les canaux précédemment évoqués,
mais aussi à la prise de risque. Des taux d’intérêt bas permettent en effet aux acteurs
financiers d’emprunter à bon compte pour financer des investissements risqués**.
Ils élèvent en outre le prix des actifs financiers et immobiliers, car les épargnants se
pressent pour acquérir les actifs déjà présents sur le marché, rémunérés à un taux
plus élevé que celui des actifs nouveaux. Les ménages et les entreprises vont partiellement consommer ou investir le supplément de richesse issu de la revalorisation
de leur patrimoine, et peuvent emprunter plus quand ils utilisent ces actifs comme
gages. »
* Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes : A History of Financial Crises, Basic
Books, New York, 1 978.
** Claudio Borio, Haibin Zhu, « Capital Regulation, Risk-taking and Monetary Policy : A Missing
Link in the Transmission Mechanism ?, Journal of Financial Stability, vol. 8, n° 4, décembre 2012,
p. 236-251.
Source : Agnès Bénassy-Quéré et Benoît Cœuré, Économie de l’euro, coll. « Repères. Économie », © La Découverte, Paris, 3e éd., 2014, p. 39-40.
Les politiques monétaires non conventionnelles
En assouplissant son cadre opérationnel par la mise en place de politiques
monétaires non conventionnelles, la BCE a su apporter une réponse plus
efficace à la crise pour tenter d’assurer la pérennité du financement de
l’économie.
D’abord, les modalités des opérations d’open market ont été modifiées à
partir d’octobre 2008. En effet, de 2000 à cette date, les appels d’offres
étaient réalisés à taux variable. Ils deviennent alors à taux fixe et la BCE
accorde toute la liquidité demandée par les banques afin de les sécuriser
dans leurs approvisionnements (procédure dite de full allotment). Par
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
89
ailleurs, le calendrier de la période de fourniture de liquidité avait déjà
été avancé de manière à ce que cette période survienne pendant celle de
constitution des réserves afin d’éviter toute crainte de la part des établissements de crédit quant à leur capacité à les constituer.
En outre, dès la fin de l’année 2008, la BCE élargit la liste des actifs acceptés
en garantie des prêts accordés et la durée des opérations de refinancement
est allongée. En 2009, les opérations de LTRO passent de 3 mois à 1 an.
Cette même année, la Banque centrale européenne annonce également
la mise en place d’un programme d’achats fermes d’obligations sécurisées
(Covered bond purchase programme ou CBPP). Ce programme a conduit
à l’achat de 60 milliards de titres sur les marchés primaire et secondaire.
À partir de 2010, la crise de la dette souveraine qui se développe en Europe
conduit à l’adoption de nouvelles mesures non conventionnelles. En effet,
la BCE se préoccupe du marché des titres d’État puisqu’ils servent notamment de collatéraux dans de nombreuses opérations réalisées par les établissements de crédit. De ce fait, les pertes en capital sur ces titres peuvent
avoir des conséquences négatives sur l’octroi de crédit dans l’économie.
Ainsi, l’aggravation de la crise au cours de l’été 2011 donne lieu à une réaction de la Banque centrale européenne à la fin de l’année. Comme le note
Benoît Cœuré48, au quatrième trimestre 2011, le renforcement de la crise
de la dette souveraine empêchait les établissements de crédit de soutenir
l’économie réelle. Les crédits bancaires au secteur privé, notamment les
prêts aux ménages et aux sociétés non financières, ont connu des taux de
croissance en diminution sur ce trimestre.
Dans un communiqué du 8 décembre 2011, la BCE a dès lors mis en
place des mesures de soutien au crédit bancaire et à l’activité du marché
monétaire. Parmi ces mesures, elle effectue deux opérations de refinancement d’une durée de trois ans assorties d’une option de remboursement
anticipé après un an. Ces opérations de long terme, dites Very long term
refinancing operations (VLTRO), dont la première est mise en œuvre fin
décembre 2011 et la seconde fin février 2012, ont été conduites sous la
forme d’appels d’offres à taux fixe sans limitation de montant. Les prêts
octroyés à ces deux occasions ont été respectivement de 489 milliards
d’euros à 523 banques et de 530 milliards d’euros à 800 banques49. Dans
son rapport annuel de 2012, la Banque de France estime que, à horizon
d’un an, les deux VLTRO ont permis une hausse du volume des crédits
accordés au secteur privé entre 0,2 % et 1 %. Elles ont ainsi contribué
à éviter une contraction soudaine des crédits accordés au secteur privé.
48. Benoît Cœuré, « Financer l’économie de la zone euro : le rôle de la BCE », intervention à la
Banque centrale européenne, 11 avril 2012.
49. Ces montants correspondent à des apports bruts. Si l’on tient compte des autres opérations
arrivant à échéance et réglées au cours de cette période, les apports nets de liquidités s’élèvent
respectivement à 210 et 311 milliards d’euros.
90
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Pour faciliter le déroulement de ces opérations de refinancement, la BCE
a décidé d’élargir la liste des collatéraux éligibles, permettant ainsi de soutenir le prix de certains actifs dont des titres de dette souveraine. Ainsi, le
seuil de notation pour certains titres adossés à des actifs (Asset-backed securities, ABS) a été abaissé, ceux dont la notation était d’au moins « simple
A » et dont les actifs sous-jacents comprennent des prêts hypothécaires
et des prêts aux petites et moyennes entreprises devenant désormais éligibles. Également, les banques centrales nationales deviennent autorisées
à accepter, à titre temporaire, des créances privées performantes supplémentaires50 (c’est-à-dire des prêts bancaires). Par ailleurs, dans ce même
communiqué du 8 décembre 2011, le Conseil des gouverneurs décidait
également d’abaisser le taux des réserves obligatoires, qui était de 2 %
depuis la création de la BCE, à 1 %.
En outre, le 6 octobre 2011, la BCE a lancé un deuxième programme
d’achats d’obligations bancaires sécurisées (CBPP2) pour un montant
de 40 milliards d’euros. Ce programme s’est achevé en octobre 2012. Il
devait, d’une part, contribuer à faciliter les conditions de financement des
établissements bancaires et des entreprises et, d’autre part, encourager les
premiers à maintenir et étendre leurs prêts au secteur privé. Au terme de
ce programme, la BCE a acheté pour 16 milliards d’euros de titres sur les
marchés primaires et secondaires entre novembre 2011 et octobre 2012. Ce
programme fait suite au Securities market programm (SMP) lancé en 2010
et qui consistait en un achat d’obligations, principalement de titres de
dettes publiques, pour un montant de 220 milliards d’euros dont la moitié
concerna des titres de la dette de l’État italien.
Le 25 mars 2014, Jens Weidmann, président de la Bundesbank, a reconnu
que la mise en œuvre d’un programme d’assouplissement quantitatif
(quantitative easing) pouvait être envisagée dans le cadre européen pour
faire face au risque présent de déflation. La question qui se pose alors est
celle du type d’actifs qui feraient l’objet d’un rachat par la BCE. Celle-ci
peut choisir de s’engager dans l’achat d’actifs risqués afin de faire baisser les
primes de risque et ainsi de faciliter le financement des économies. Mais il
n’est pas évident qu’elle accepterait une telle dégradation de son bilan qui
pourrait remettre en cause la qualité de l’euro et ainsi se répercuter sur la
situation macroéconomique des pays de la zone. L’autre possibilité pour
la Banque centrale européenne est de procéder à une augmentation de
la liquidité en achetant des actifs sans risques, comme des titres de dettes
publiques des pays du cœur de la zone euro. Dans ce cas, il est néanmoins
possible que la liquidité injectée par la BCE soit utilisée pour acheter des
actifs risqués, comme ce fut le cas pour les programmes mis en œuvre après
50. Il s’agit des termes utilisés par la BCE pour annoncer l’élargissement (« supplémentaires ») des
titres que pouvaient accepter en garantie les banques centrales nationales. Ces titres étaient
des créances privées à niveau de risque mesuré (« performantes ») comme les prêts bancaires.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
91
la crise des subprimes aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon51. In
fine, comme dans le cas de rachat d’actifs risqués, le résultat est d’aboutir
à une baisse des primes de risque sur les actifs risqués. Cependant, quelle
que soit l’option retenue par la Banque centrale européenne, la réalisation
d’un programme de quantitative easing n’est pas sans risques. Ainsi, Patrick
Artus52 relève que, quel que soit le choix réalisé par la BCE (achats de titres
risqués ou non risqués), la contraction des primes de risques sur les actifs
risqués pourrait pousser les investisseurs à rechercher des rendements plus
élevés sur des actifs encore plus risqués. Et si la Banque centrale européenne
retenait l’option de l’achat de titres de dettes publiques sans risques, la
baisse des rendements sur ces titres pourrait éloigner les investisseurs.
Enfin, Laurent Clerc et Robert Raymond53 insistent sur la stratégie de
communication menée par la BCE autour de la conduite de sa politique
monétaire. Ainsi, depuis juillet 2013, elle livre publiquement des informations sur la trajectoire future de ses taux directeurs, pratiquant ainsi de
la forward guidance54. En effet, après sa réunion du 4 juillet 2013, elle a
annoncé qu’elle « prévoyait que les taux d’intérêt directeurs de la Banque
centrale européenne resteraient à leurs niveaux actuels ou à des niveaux
plus bas sur une période prolongée. Cette modification [était] fondée sur
le maintien à moyen terme de perspectives d’inflation globalement modérées, compte tenu de la faiblesse généralisée de l’économie et de l’atonie de
la dynamique monétaire ». Cette forward guidance doit permettre d’ancrer
les anticipations de taux d’intérêt nominaux à des niveaux faibles et ainsi
conduire à une détente des conditions monétaires réelles dans l’économie.
En réduisant l’incertitude pesant sur l’évolution future du taux d’intérêt,
la planification de décisions économiques par les agents du secteur privé
est améliorée. L. Clerc et R. Raymond estiment que la forward guidance a
un effet positif sur les marchés financiers et qu’elle améliore les conditions
de financement dans la zone euro. Le 6 février 2014, Mario Draghi55, président de la BCE, a affirmé vouloir « fermement réitérer » cette stratégie,
51. Patrick Artus, « Les défis pour les banques centrales après la crise », op. cit.
52. Ibid.
53. Laurent Clerc et Robert Raymond, « Les banques centrales et la stabilité financière : nouveau
rôle, nouveau mandat, nouveaux défis ? », op. cit.
54. Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2014. « Cet outil consiste à guider les
anticipations des investisseurs sur l’évolution des prix à moyen et long termes, à l’aide d’une
communication active sans pour autant passer nécessairement à l’acte. Une politique de
forward guidance sert à améliorer la transparence de la politique monétaire afin d’encourager
l’investissement et la consommation. » (« BCE : l’émergence du forward guidance à l’européenne ? », La Tribune, 5 juillet 2013).
Pour les fondements théoriques d’une telle stratégie, on pourra se reporter à Gauti B.
Eggertsson, Michael Woodford, « Optimal Monetary Policy in a Liquidity Trap », NBER
Working Paper Series, n° 9968, septembre 2003.
55. Mario Draghi, « Introductory Statement to the Press Conference », Banque centrale européenne, Francfort, 6 février 2014.
92
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
ajoutant que les taux d’intérêt resteraient « à leur niveau actuel ou à un
niveau plus faible pour une période de temps prolongée ».
Au total, concernant l’ensemble des mesures de politique monétaire conventionnelles et non conventionnelles mises en place par la BCE au cours des
années 2011 et 2012, la Banque de France56 considère qu’elles « ont permis
d’apporter un matelas de liquidité très conséquent et stable aux établissements de crédit, de limiter les risques de credit crunch, de remédier aux
graves distorsions affectant les marchés des obligations d’État et de contribuer à rétablir une transmission plus efficace de la politique monétaire ».
■ Les caractéristiques de la forward guidance de la BCE
« On peut distinguer quatre catégories de forward guidance :
(1) Les indications purement qualitatives n’ont ni dates de fin, ni seuils explicites
fournissant des informations relatives à l’évolution probable des taux d’intérêt directeurs dans le futur, ni références explicites à une configuration de conditions sousjacentes, y compris en termes d’objectifs de la politique monétaire, qui justifieraient
cette évolution. […]
(2) Les indications qualitatives conditionnées par une description sont des déclarations qualitatives concernant l’évolution probable des taux d’intérêt complétées par
la description d’une combinaison de conditions macroéconomiques dans lesquelles
l’orientation de la politique monétaire devrait s’exercer. […]
(3) Les indications s’appuyant sur un calendrier comportent un engagement conditionnel reposant sur une date explicite après laquelle une modification de l’orientation de la politique monétaire est attendue. […]
(4) Les indications fondées sur des résultats assorties de conditions chiffrées ou
de seuils explicites qui relient les actions de la banque centrale à un ensemble de
variables économiques observées ou projetées. […]
L’approche de la BCE peut être analysée comme une forme d’orientation qualitative
s’appuyant sur une description, puisqu’elle communique l’orientation probable de la
politique par le biais d’une déclaration qualitative dénuée de relation explicite à une
date de fin ou à des seuils chiffrés. […] Elle repose sur plusieurs caractéristiques :
(1) L’anticipation du Conseil des gouverneurs relative aux taux directeurs se fonde sur
le maintien à moyen terme de perspectives d’inflation modérées, conformément à
l’objectif premier de la BCE de […] maintenir l’inflation à un niveau inférieur à, mais
proche de 2 % à moyen terme.
(2) La référence de la BCE à “une période prolongée” dans sa formulation de la
forward guidance constitue un horizon souple, qui ne fixe pas de date de fin prédéterminée et n’est pas relié à des seuils quantitatifs explicites. […]
56. Banque de France, Politique monétaire, stabilité financière et soutien à l’économie, rapport
annuel 2012, p. 25.
L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE SUR L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
❮
93
(3) La forward guidance de la BCE est complétée par la description des conditions
sous-jacentes sur lesquelles se fondent les anticipations du Conseil des gouverneurs
relatives aux taux d’intérêt directeurs de la BCE. Ces conditions reflètent l’approche
stratégique de la BCE quant à l’évaluation des risques pesant sur la stabilité des
prix. La stratégie de politique monétaire de la BCE ne distingue pas d’indicateurs
spécifiques, mais repose sur un cadre analytique diversifié, exhaustif et robuste,
l’évaluation du Conseil des gouverneurs concernant les perspectives de stabilité des
prix tenant compte de nombreuses variables économiques et monétaires. […]
(4) La forward guidance est formulée par rapport à un ensemble de taux d’intérêt
plutôt que par rapport à un taux d’intérêt unique. Cette caractéristique découle des
spécificités du cadre opérationnel de la BCE, qui offre deux facilités permanentes à
ses contreparties : la facilité de prêt marginal et la facilité de dépôt. Au sein de ce
cadre opérationnel, des indications concernant l’ensemble des taux directeurs sont
nécessaires afin de mieux aligner les anticipations du marché relatives à l’orientation
future de la politique monétaire sur l’orientation souhaitée. […]
(5) La BCE a commencé de formuler la forward guidance avant d’avoir épuisé la
marge de manœuvre pour de nouvelles baisses des taux. Cette approche contraste
avec la pratique consistant à l’utiliser à la borne inférieure des taux d’intérêt : en effet,
il est plus efficace d’y avoir recours avant d’atteindre ce taux plancher. »
Source : Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 2014, p. 72-75.
Dans un communiqué de presse daté du 5 juin 2014, afin de renforcer une
nouvelle fois le soutien à l’activité de prêt en faveur de l’activité réelle, la
BCE a annoncé de nouvelles mesures de politique monétaire. Elle a ainsi
décidé de mettre en place une série d’opérations ciblées de refinancement
à plus long terme, sur une période de deux ans, afin de renforcer l’octroi de
crédits bancaires au secteur privé non financier (à l’exclusion des prêts au
logement). Deux de ces opérations, qualifiées de Targeted longer-term refinancing operations (TLTRO), sont prévues en septembre et décembre 2014.
Puis, de mars 2015 à juin 2016, des montants supplémentaires pourront
être empruntés à travers une série de TLTRO effectuées trimestriellement.
Ces opérations devront arriver à échéance en septembre 2018, sauf pour
celles qui ne participeront pas suffisamment à l’activité de prêt au secteur
privé, c’est-à-dire celles dont les prêts au secteur privé non financier de la
zone euro (à l’exclusion des prêts au logement) seront inférieurs à la valeur
de référence comprise entre le 1er mai 2014 et le 30 avril 2016, qui devront
être remboursées en septembre 2016. Par cette disposition, la préoccupation du financement de la sphère réelle apparaît comme primordiale.
En s’appuyant sur l’indice des conditions financières construit par Bloomberg, Christian Bordes57 étudie et met en relation les évolutions des poli-
57. Christian Bordes, « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », op. cit.
94
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
tiques monétaires conventionnelles et non conventionnelles menées par
la Banque centrale européenne et les conditions financières dans la zone
euro. Ses observations l’amènent à conclure que les mesures de politique
monétaire ont agi favorablement sur les conditions de financement en les
ramenant vers la normale chaque fois qu’elles se détérioraient, comme
ce fut le cas après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, qui
amena l’indice à son plus bas niveau historique, ou lors de la crise de la
dette souveraine.
*
**
Pour conclure, force est de constater que la préoccupation du financement de l’économie par la politique monétaire s’est affirmée depuis la crise
financière de 2007 et constitue aujourd’hui un enjeu majeur. À l’objectif
prioritaire de stabilité des prix, la BCE est venue ajouter des objectifs en
termes de soutien à l’activité économique et de stabilité financière qui se
sont notamment traduits en pratique par la mise en œuvre de politiques
monétaires non conventionnelles pour venir remédier aux défaillances des
politiques traditionnelles. Si cette modification de la conduite de la politique monétaire a indéniablement eu des effets positifs dans un contexte
de crise économique marquée, permettant de favoriser la consommation
au détriment de l’épargne, son impact sur la croissance demeure encore
aujourd’hui limité. La très forte baisse des prix du pétrole observée depuis
l’été 2014 pourrait en outre complexifier sa mise en œuvre et en limiter
les effets les plus favorables en faisant planer le spectre de la déflation,
synonyme de baisse durable des prix. Nullement positive, celle-ci conduit
en effet les agents économiques à reporter l’acte de consommation, dans
l’attente de prix toujours plus bas, ce qui génère un effet dépressif sur
l’activité économique et condamne la mise en œuvre d’une politique
monétaire expansionniste.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
95
❯ Chapitre 4
Le financement de l’innovation,
pivot des politiques de soutien à la croissance
économique
Parmi les variables-clés reconnues pour avoir une incidence forte sur la
croissance économique et l’emploi, l’innovation occupe une place essentielle. Derrière cette affirmation repose l’idée que l’activité de recherche
contribue à l’apparition d’innovations qui vont stimuler la compétitivité
d’une économie et, consécutivement, favoriser la croissance. Joseph Schumpeter1 avait ainsi montré comment l’innovation redessinait les cartes du
jeu capitaliste sous l’influence du processus de « destruction créatrice » :
en phase de récession économique, certains entrepreneurs sont incités
à innover pour faire face à une concurrence accrue et à la réduction de
leurs profits. En cas de succès, ils bénéficient alors d’un monopole temporaire, puis sont imités dans la phase de croissance économique. À terme,
la saturation du marché et l’obsolescence des produits conduisent, dans
une logique cyclique, à la disparition des entreprises qui n’ont pas su se
renouveler, au profit de nouvelles, porteuses d’innovations et de progrès
technique. L’idée qu’une innovation remplace nécessairement une autre
et que le pouvoir de marché des entreprises en place est contesté par de
nouvelles entreprises innovantes a depuis été remise en cause, mais la résonance de l’approche schumpétérienne demeure2.
Comme le souligne le rapport Beylat-Tambourin3, l’innovation, concept
plus large que le seul progrès technique, demeure complexe à définir. Joseph
Schumpeter distingue ainsi 5 formes d’innovation : de produits, de procédés, de modes de production, de débouchés et de matières premières.
1. Joseph Alois Schumpeter, Théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit,
l’intérêt et le cycle de la conjoncture, Dalloz, Paris, 1935 ; Capitalisme, socialisme et démocratie.
La doctrine marxiste. Le capitalisme peut-il survivre ? Le socialisme peut-il fonctionner ? Socialisme
et démocratie, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1942.
2. Pour une présentation détaillée du traitement de l’innovation dans les théories de croissance
endogène, le lecteur pourra se référer utilement à Patricia Crifo-Tillet, « L’analyse de l’innovation dans les modèles de croissance endogène », Revue française d’économie, vol. 14, n° 2,
1999, p. 189-221.
3. Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin, L’innovation : un enjeu majeur pour la France. Dynamiser
la croissance des entreprises innovantes, Ministère du Redressement productif-Ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avril 2013.
96
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Si l’on se réfère, en revanche, au manuel d’Oslo de l’OCDE, « principale
source internationale de principes directeurs en matière de collecte et d’utilisation d’informations sur les activités d’innovation » selon l’Insee, quatre
formes distinctes d’innovation sont plus récemment reconnues : de produit ou de prestation lorsqu’elle concerne la création d’un produit ou d’un
service nouveau, de procédé lorsqu’elle implique l’apparition de nouvelles
techniques de production ou de service, d’organisation et de marketing.
Bien que le concept d’innovation fasse souvent référence à celle ayant une
visée technologique, d’autres formes doivent ainsi être prises en compte,
qu’elles soient, par exemple, organisationnelles ou sociales. Il est également
commun de distinguer l’innovation de rupture de celle incrémentale, qui
vise à améliorer un produit ou un procédé existant. D’un point de vue
opérationnel, ces différentes segmentations peuvent cependant se révéler
difficiles à établir. Comme le rappellent Laurent Martel et Alexis Masse4,
« la frontière entre développement expérimental et ingénierie peut être
délicate à apprécier, en particulier lorsque l’aléa technologique porte sur
l’assemblage de modules qui, pris séparément, utilisent des technologies
déjà connues ».
Quelle qu’en soit la nature, l’incidence forte de l’innovation sur la croissance
économique la place logiquement au cœur de l’action publique. Comme
le rappelle en effet l’OCDE5, « le rôle essentiel de l’innovation dans la
croissance économique et l’augmentation du bien-être est aujourd’hui largement reconnu. Des entreprises et des institutions publiques fournissent
des produits nouveaux qui accroissent le niveau de vie des consommateurs
et permettent des créations d’emploi. En vue de soutenir ce processus, les
autorités publiques visent à maintenir un cadre général propice à l’innovation et investissent dans des institutions spécifiques qui peuvent faciliter celle-ci ».
Consciente de la nécessité de relancer sa croissance économique après la
crise financière de 2007, la France s’est donc logiquement engagée, à l’instar
de nombreux pays, dans une politique de soutien fort à l’innovation. Initialement appelée le « grand emprunt », puis programme d’« investissements d’avenir » (PIA, voir l’encadré ci-après) par la loi du 9 mars 2010
de finances rectificative pour 2010, elle repose sur sept axes stratégiques
identifiés par la Commission Juppé-Rocard6 :
4. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, n° 2010M-035-02, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi-Ministère du Budget, des
Comptes publics et de la Réforme de l’État, septembre 2010, p. 30.
5. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE
des politiques d’innovation : France, version préliminaire, 2014, p. 17.
6. Michel Rocard et Alain Juppé, Investir pour l’avenir. Priorités stratégiques d’investissement et
emprunt national, Présidence de la République, novembre 2009.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
97
– l’émergence de pôles universitaires d’excellence pouvant se positionner
sur l’échiquier mondial de la formation et de la recherche ;
– le soutien à la recherche fondamentale et aux transferts de technologie ;
– le développement des PME et des ETI innovantes ;
– le soutien au développement durable, faisant de la transition énergétique
un nouveau modèle de croissance, plus durable ;
– l’émergence d’un cadre urbain axé sur le développement durable et
l’économie d’énergie ;
– le développement de l’économie numérique ;
– le renforcement du positionnement de la France sur le secteur de la santé
et des biotechnologies.
La coordination des différents acteurs étatiques engagés dans le PIA est
assurée par le Commissariat général à l’investissement (CGI), institué par
le décret n° 2010-80 du 22 janvier 2010.
■ État d’avancement général du Programme
d’investissements d’avenir (PIA) à fin juillet 2014
« Depuis 2010, on comptabilise 125 appels à projets lancés, 4 851 projets déposés
et 4 guichets ouverts chez Bpi, l’Anah et l’ASP [1]. 1 479 projets ont été sélectionnés
et plus de 2 300 entreprises sont soutenues par des outils développés et financés
par le PIA.
– 1 695 projets ont été déposés dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la
recherche et de la formation. La plupart des appels à projets sont clos et contractualisés. Il reste la formation professionnelle en alternance et la culture scientifique et
technique, qui consommeront leur enveloppe en 2014 ;
– dans le domaine du numérique, on compte 1 056 projets déposés et 260 projets
sélectionnés pour 32 appels à projets clos. Les projets numériques sélectionnés
dans le cadre de la vague 3 (Big Data et Logiciel embarqué) terminent leur contractualisation. Les sélections des appels à projets “Cœur de filière R & D” et “Territoires
de soins numériques” ont débuté courant 2014, ainsi que le guichet “Prêts numériques” ;
– le développement durable représente 347 projets reçus et 139 projets sélectionnés ;
– quant aux projets concernant la priorité Industrie & PME, 1 753 ont été déposés
et 407 sélectionnés, comprenant notamment les nouvelles actions “Prêts à l’industrialisation des pôles de compétitivité” et le “Concours mondial de l’innovation” ».
« Les montants contractualisés s’élevaient à […] 25,8 milliards d’euros à fin juillet 2014. »
[1] Bpi : Banque publique d’investissement ; Anah : Agence nationale de l’habitat ;
ASP : Agence de services et de paiement (NDE).
Source : Rapport relatif à la mise en œuvre et au suivi des investissements d’avenir, Annexe au
projet de loi de finances pour 2015, pp. 9 et 11.
98
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
En avril 2013 est également instituée la Commission innovation 2030
sous la présidence d’Anne Lauvergeon, ex-PDG du groupe nucléaire français Areva, dont la vocation est d’extraire du contexte économique et
démographique mondial, des stratégies de croissance pour l’économie
française. Sept ambitions sont ainsi définies : le stockage de l’énergie ; le
recyclage des métaux ; la valorisation des richesses marines ; les protéines
végétales et la chimie du végétal ; la médecine individualisée ; l’innovation
au service des personnes seniors ; la valorisation des données massives (Big
data). S’inspirant des initiatives américaines, britanniques, allemandes ou
japonaises, la France a enfin défini, en mai 2013, un agenda stratégique
pour la recherche, le transfert et l’innovation, nommé « France Europe
2020 », dont « l’enjeu est de permettre à la recherche française, dans toute
sa diversité, de mieux répondre aux grands défis scientifiques, technologiques, économiques et sociétaux des décennies à venir »7.
Dans un contexte de contraintes budgétaires affirmées, la question du
financement de l’innovation est essentielle. Il s’agit en cela d’identifier les
acteurs publics et privés qui sont directement ou indirectement vecteurs de
progrès technique et de soutenir leur activité de recherche et leur effort de
recherche et développement (R & D). Comme le souligne James March8,
« l’innovation technologique radicale résulte de l’articulation entre, d’une
part, des activités d’exploration qui permettent de combiner des connaissances existantes afin d’en créer de nouvelles dans lesquelles va s’ancrer
l’innovation radicale et, d’autre part, des activités d’exploitation qui permettent l’industrialisation et la commercialisation de cette innovation ».
Du centre de recherche d’une université à l’entreprise, un continuum
d’acteurs est ainsi impliqué (tableau 12).
Dans la mise en œuvre de l’innovation, le rôle de l’entrepreneur est ici
central, car c’est lui qui, dans une perspective schumpétérienne, assume
le risque de l’innovation en contrepartie d’éventuels surprofits. La théorie
économique s’est, dès lors, interrogée sur les conditions nécessaires pour
que cet effort d’innovation subsiste et alimente la croissance. Alors que
Schumpeter considérait que seule la structure de marché monopolistique
était de nature à encourager les efforts en matière de recherche et développement, certaines théories plus récentes, dites de « croissance endogène »,
réconcilient concurrence et paradigme schumpetérien9.
7. Présentation de l’agenda stratégique pour la recherche, le transfert et l’innovation, discours
de Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le 31 mai
2013.
8. James G. March, « Exploration and Exploitation in Organizational Learning », Organization
Science, vol. 2, n° 1, février 1991, p. 71-87, cité in Michel Ferrary, « Les capital-risqueurs
comme “transiteurs” de l’innovation dans la Silicon Valley », Revue française de gestion, vol.
35, n° 190, 2009, p. 179-196 (p. 180).
9. Philippe Aghion, Peter Howitt, « Market Structure and the Growth Process », Review of
Economic Dynamics, vol. 1, n° 1, janvier 1998, p. 276-305.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
99
Tableau 12.
Le modèle linéaire classique de l’innovation
Idées
Prototype
Produit
Acteur
Chercheur
Inventeur
Entrepreneur
Activité
Recherche
Développement
Production
État
Capital-amorçage
Capital-risque
Financement
Source : Patrice Noailles, « De l’innovation à l’innovateur. Pour une approche structuraliste de l’innovation », La
Revue des sciences de gestion, nos 247-248, janvier-avril 2011, p. 13-28 (www.cairn.info/revue-des-sciences-degestion-2011-1-page-13.htm).
Le rôle de l’acteur public y est consacré car certaines des mesures que
celui-ci peut mettre en œuvre sont de nature à préserver les incitations
à l’effort de R & D privé, qu’il s’agisse d’un système de brevets ou de la
subvention/taxation des activités de recherche. La dynamisation de cet
effort est, par ailleurs, intimement liée à la question du financement des
PME, qui sont traditionnellement reconnues pour être vectrices d’innovations : on notera à cet égard que, « entre 2003 et 2010, le montant des
aides publiques servant à financer la recherche et développement […] des
entreprises a augmenté de plus de 150 %, et même de 300 % pour les
petites et moyennes »10.
Comme le rappellent Paul Cahu et alii 11, « en l’absence d’intervention
publique, les mécanismes de marché ne permettent pas d’atteindre le
niveau socialement optimal d’investissement en R & D12. L’État a donc
vocation à intervenir pour compenser la part de la valeur ajoutée que
l’entreprise ne peut s’approprier (et qui pourrait conduire à ne pas engager
certains projets) ». La capacité des pouvoirs publics à drainer l’épargne des
ménages vers ces entreprises et, plus globalement, à soutenir le secteur dit
du capital-investissement ou private equity, est alors essentielle.
10. Vincent Dortet-Bernadet et Michaël Sicsic, « Aides à la R & D pour les petites entreprises »,
Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, coll. « Insee Références », 2014, p. 27-41 (p. 27).
11. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme
2008 du crédit d’impôt recherche », Revue économique, vol. 61, 2010/2, p. 313-339.
12. Paul M. Romer, « Endogenous Technological Change », Journal of Political Economy, vol. 98,
n° 5, 2e partie, octobre 1990, p. S71-S102.
100
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
L’innovation en France : un état des lieux
La diversité des formes d’innovation et la complexité de leurs mesures
amènent, en fonction de l’indicateur retenu, à des résultats contrastés sur
le positionnement de la France dans la course mondiale à l’innovation.
Ainsi, selon le Global Innovation Index établi par l’Insead (Institut européen
d’administration des affaires), Cornell University et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), la France se situait au 22e rang
des pays les plus innovants en 2014, tandis que huit entreprises françaises
figuraient cette année-là dans le classement Forbes des entreprises les plus
innovantes au monde (The World’s Most Innovative Companies), faisant de
l’Hexagone le deuxième pays le plus représenté, derrière les États-Unis.
Si l’on se réfère au Top 100 Global Innovators proposé par l’agence d’information Thomson Reuters, la France se hissait, en 2014, au troisième
rang mondial derrière les États-Unis et le Japon. Les données de l’enquête
communautaire sur l’innovation13 offrent, à l’inverse, un constat beaucoup
plus mitigé : elles révèlent en effet que le chiffre d’affaires lié à l’innovation
des entreprises françaises14 était, en 2010, supérieur à celui de la moyenne
des pays européens, mais restait inférieur à celui de pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie.
Le poids de l’histoire
Il faut, pour comprendre comment l’innovation est structurée en France,
s’intéresser aux spécificités du système français de recherche et d’innovation (SFRI). Celui-ci consacre en effet un rôle essentiel aux acteurs
publics, pour des raisons avant tout historiques et stratégiques. L’examen
réalisé par l’OCDE sur les politiques d’innovation en France est sur ce
point explicite15 : « Le SFRI a été structuré dans les années 1950-1970
comme un système largement administré et centré sur l’État : les grandes
entreprises publiques, en général en position de monopole (transports
publics, électricité, télécoms, etc.), constituaient les débouchés ; les organismes publics de recherche géraient les aspects technologiques ; d’autres
grandes entreprises publiques opéraient l’innovation et la production. Les
choix stratégiques et l’allocation des ressources se décidaient au niveau de
l’État, qui privilégiait les secteurs jugés les plus importants pour le déve13. Commission européenne, Tableau de bord de l’Union de l’innovation 2014, 2014.
14. Défini comme le ratio en pourcentage entre, d’une part, le chiffre d’affaires provenant de
produits nouveaux pour l’entreprise et pour les marchés et, d’autre part, le chiffre d’affaires
total. Il est fondé sur les résultats de l’enquête communautaire sur l’innovation et couvre au
minimum toutes les entreprises de 10 salariés et plus.
15. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE
des politiques d’innovation : France, op. cit., p. 29.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
101
loppement du pays, mais aussi pour sa sécurité/défense. » Dans ce système, différentes institutions doivent être distinguées selon la nature des
missions qui leur sont confiées : l’orientation de la politique de recherche
et d’innovation, la programmation, notamment budgétaire, l’évaluation
et la recherche proprement dite.
Cette dernière mission est assumée en France par des structures opérationnelles pouvant avoir quatre statuts distincts :
– des établissements publics à caractère scientifique et technologique
(EPST), tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ou l’Institut national
de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ;
– des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel
(EPSCP), au premier rang desquels les universités, les grands établissements tels que le Collège de France ou le Conservatoire national des arts et
métiers (Cnam), les écoles normales supérieures (ENS), les écoles centrales ;
– des établissements publics à caractère administratif (EPA), tels que les
écoles nationales supérieures d’ingénieurs (Ensi) ou les instituts d’études
politiques ;
– certains établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic),
comme le Centre national d’études spatiales (Cnes), l’Institut français de
recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ou le Commissariat à
l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Ces institutions peuvent agir seules ou de concert, grâce à la formation
d’alliances, à l’image de l’Alliance nationale de coordination de la recherche
pour l’énergie (Ancre), créée le 17 juillet 2009 et ayant pour membres fondateurs le CEA, le CNRS et l’Institut français du pétrole (IFP).
Alors que ce système apparaissait bien adapté aux années 1950-1970 et
permit à la France de rattraper son retard technologique en se positionnant sur des programmes industriels innovants d’envergure (Airbus, programme Ariane, nucléaire), il perdit progressivement de sa pertinence
lorsque le contexte macroéconomique et l’environnement concurrentiel
international évoluèrent.
La structuration de l’effort de R & D s’ajusta en conséquence afin de soutenir les initiatives privées et la recherche partenariale, à l’image des pôles
de compétitivité, créés en 2005, dont une des vocations est de favoriser
les synergies en matière de recherche entre les secteurs public et privé.
Politique de recherche
Politique d’éducation
EPST, EPSCP, Epic, EPA
Sciences et technologie
Le schéma français de recherche et d’innovation
Figure 7.
État/Régions
Politique de transfert
Transferts de technologie
Ressources humaines
Croissance économique
Politique d’innovation
Innovation
Politique d’entrepreneuriat
Source : d’après Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE), Examens de l’OCDE
des politiques d’innovation : France, version
préliminaire, 2014.
Entreprises
102
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
103
Si l’on se réfère aux données du ministère de l’Enseignement supérieur et
de la Recherche (MESR), la dépense nationale de recherche et développement (DNRD), représentant l’activité de R & D réalisée par les administrations et entreprises françaises, en France et à l’étranger, a non seulement fortement augmenté, passant de 26 milliards d’euros en 1992 à plus
de 48 milliards en 2012 (figure 8), mais a également changé de nature :
en 1981, plus de 57 % de la DNRD était assurée par les administrations
publiques, contre « seulement » 41,2 % en 2011 (voir tableau 14 ci-après).
Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses intérieures de recherche et développement (DIRD), représentant cette fois l’effort de recherche et développement réalisé sur le territoire national, une dynamique similaire s’observe,
avec un accroissement de la contribution du secteur privé, qui atteint
64 % en 2011. Comme en témoigne le tableau 14, et contrairement à la
DNRD, la part des administrations est, en revanche, toujours demeurée,
de 1981 à 2011, inférieure à celle du privé.
Figure 8.
Évolution de la dépense nationale de recherche et développement (DNRD) (2000-2012)
(en millions d’euros)
2012
2011 (7)
2010 (6)
2009 (5)
2008
2007
2006 (4)
2005 (3)
2004 (2)
2003
2002
2001
2000
19 600
19 111
19 172
18 850
19 324
17 990
17 545
16 921
16 239
15 891
15 677
14 673
14 272
0
28 800
27 311
25 668
24 561
22 866
22 116
21 193
19 733
19 088
18 505
19 082
18 897
17 166
48 400
46 422
44 841
43 411
42 190
40 106
38 738
36 654
35 327
34 395
34 759
33 570
31 438
5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 40 000 45 000 50 000
DNRD par les administrations (1)
DNRD par les entreprises
(1) Administrations publiques et privées (État, enseignement supérieur et institutions sans but lucratif).
(2) Résultats 2004 révisés, révision juin 2008.
(3) Résultats des entreprises révisés en juillet 2008.
(4) À partir de 2006, les entreprises employant moins de 1 chercheur en équivalent temps plein sont incluses dans
les résultats.
(5) Données révisées selon la méthodologie utilisée en 2010.
(6) Changements méthodologiques pour l’estimation des administrations, données définitives. Les moyens
consacrés à la R & D des ministères et de certains organismes publics ont fait l’objet d’une nouvelle méthode
d’évaluation qui a conduit à mieux distinguer leur activité de financeur.
(7) Données semi-définitives.
Sources : Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, L’état de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. 47 indicateurs, avril 2014, annexe A2 et, pour l’année 2012,
Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, coll. « Insee Références », 2014, p. 135.
104
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Figure 9.
Évolution de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) (2000-2013)
2013 (p)
1,44
0,79
2,23
2012
1,44
0,79
2,23
2011
1,4
2010
2009 (r)
0,79
2,19
1,37
0,8
2,18
1,36
0,79
2,15
2008
1,29
2007
1,27
2006 (r)
1,29
0,76
2,05
2005
1,27
0,77
2,04
2,06
0,77
2,02
0,75
2004
1,32
0,77
2,09
2003
1,32
0,79
2,11
2002
1,37
0,8
2,17
2001
1,35
0,78
2,13
2000
1,3
0
0,25
0,5
0,75
2,08
0,78
1
1,25
DIRD des entreprises
1,5
1,75
2
2,25
DIRD des administrations
(p) Prévision.
(r) Ruptures de série : à partir de 2006, les entreprises employant moins de 1 chercheur en ETP sont incluses
dans les résultats. À compter de 2009, les dépenses de R & D des ministères et de certains organismes publics
financeurs de R & D font l’objet d’une nouvelle méthode d’estimation.
En raison des arrondis, le total peut différer de la somme des éléments qui le composent.
En raison du changement méthodologique intervenu sur le calcul du PIB, les dépenses intérieures de R & D
exprimées en % du PIB ont été révisées sur l’ensemble de la période.
Source : Christophe Dixte et Anna Testas, « Dépenses de recherche et développement en France en 2012.
Premières estimations pour 2013 », Note d’information-Enseignement supérieur & Recherche, n° 14.07, août 2014,
p. 1.
Tableau 13.
Évolution de la DIRD (1981-2012) (en %) et part de la DIRD dans le PIB (en %)
1981
1985
1990
1995
2000
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Évolution de la DIRD
en volume
9,7
4,4
6,5
0,8
3,2
-0,4
2,4
1,1
1,9
3,6
3,1
2,3
0,6
Ratio DIRD/PIB
1,9
2,2
2,3
2,3
2,2
2,1
2,1
2,1
2,1
2,3
2,2
2,2
2,3
Source : Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, L’état de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. 47 indicateurs, avril 2014, p. 61.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
105
En pourcentage du PIB, la DIRD française atteint 2,3 % en 2012
(tableau 13), en progression depuis 2007. Avant cette date, deux tendances
peuvent être distinguées : de 1981 à 1993, où l’effort de R & D croît en
moyenne de 0,04 point de PIB par an, et de 1993 à 2008, où la DIRD
passe de 2,36 % à 2,14 % du PIB16. Le taux de croissance de la DIRD,
bien que souvent positif, montre ainsi une forte variabilité depuis 1981.
On remarque nettement, dans la répartition de la DIRD publique, le
rôle stratégique joué par l’enseignement supérieur et le CNRS, qui représentaient à eux seuls 58 % des dépenses en 2012, en hausse de 31,7 %
depuis 2006, contre à peine 1 % pour les autres établissements publics et
services ministériels. Si l’on s’intéresse à la DIRD privée, l’essor de l’activité de recherche réalisée par les entreprises se confirme, quel que soit
l’indicateur statistique retenu. En effet, le nombre de chercheurs est resté
relativement stable dans le secteur public, soit plus de 140 000 personnes
en 2011, contre 197 000 personnes dans le secteur privé, représentant plus
de 58 % du total des effectifs.
Tableau 14.
Évolution de la répartition de l’effort de recherche et développement (1981-2011)
(en % du montant total de DIRD ou de DNRD)
Type de R & D
1981
1991
2001
2011
DIRD des entreprises
58,92
61,48
63,19
63,88
DIRD des administrations
41,08
38,52
36,81
36,12
DNRD des administrations
57,67
53,35
43,71
41,17
DNRD des entreprises
42,33
46,65
56,29
58,83
Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous-direction des Systèmes d’information et
Études statistiques (SIES), Pôle Recherche.
En conclusion, force est de constater que, depuis le milieu des années 2000,
le SFRI a entamé une importante mutation, donnant au secteur privé un
rôle stratégique, en constante progression. Consacrant, en 2011, 2,5 %
de son PIB à l’innovation, la France occupe désormais une place intermédiaire dans le classement des pays les plus innovants en Europe et dans
le monde. Ceci est néanmoins inférieur à l’objectif fixé lors du Conseil
européen de Barcelone de mars 2002, qui devait voir la DIRD atteindre
le seuil de 3 % du PIB à l’horizon 2010.
16. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme
2008 du crédit d’impôt recherche », op. cit.
106
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Tableau 15.
Évolution de la répartition de la DIRD publique (2006-2012) (en millions d’euros)
Secteurs
institutionnels
Établissements
publics et services
ministériels (hors
CNRS)
2006
2007
2008
2009*
2010
2011
2012*
6 254
6 427
6 564
5 909
6 093
6 249
6 310
Enseignement
supérieur (y c. CNRS)
7 279
7 663
8 228
8 911
9 380
9 450
9 583
Institutions sans but
lucratif
461
461
513
512
541
563
572
13 994
14 550
15 305
15 332
16 014
16 262
16 465
Total
* Données provisoires.
Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous-direction des Systèmes d’information et
Études statistiques (SIES), Pôle Recherche.
L’innovation aujourd’hui
La France, située au onzième rang des pays de l’Union européenne (UE27)
en 2014, ne se place pas, en effet, dans le peloton de tête des pays innovants (tableau 16) : le tableau de bord de l’Union de l’innovation pour la
recherche et l’innovation établi par la Commission européenne montre en
effet que la France appartient à la catégorie des pays « innovateurs suiveurs »,
à l’instar du Royaume-Uni ou des Pays-Bas, alors que l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et la Suède affirment leur leadership dans ce domaine.
Tableau 16.
Positionnement stratégique des pays de l’Union européenne en matière d’innovation
Innovateurs modestes
Innovateurs modérés
Innovateurs suiveurs
Leaders
de l’innovation
Bulgarie, Lettonie et
Roumanie
Croatie, Espagne,
Grèce, Hongrie, Italie,
Lituanie, Malte,
Pologne, Portugal,
République tchèque et
Slovaquie
Autriche, Belgique,
Chypre, Estonie, France,
Irlande, Luxembourg,
Pays-Bas, Royaume-Uni
et Slovénie
Allemagne,
Danemark, Finlande et
Suède
Source : Commission européenne, Innovation Union Scoreboard 2014, p. 5.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
107
Reposant sur une diversité d’indicateurs permettant d’évaluer la performance non seulement des outils (ressources humaines, systèmes de
recherche ouverts, financements), des activités (investissements, collaborations, proportion de PME ayant une activité d’innovation au sein des
petites et moyennes entreprises nationales, dépôts de brevet), mais également des résultats de l’innovation (proportion de petites et moyennes
entreprises ayant mis sur le marché un produit ou expérimenté un process
nouveau en pourcentage du nombre total de PME, emploi dans les secteurs technologiques…), l’analyse de la Commission européenne met en
évidence les forces et les faiblesses relatives de la France dans ce domaine.
Alors que le système de recherche apparaît bon (niveau des co-publications
internationales élevé, tout comme le nombre d’étudiants non européens
réalisant une thèse sur le sol hexagonal), le dynamisme entrepreneurial
semble en léger retrait par rapport à la moyenne européenne. La faiblesse
des exportations de services à haute valeur ajoutée et celle des dépenses
d’innovation non R & D pèsent également sur la performance française.
L’insuffisance des marques ou modèles français d’envergure communautaire compte également parmi les points faibles de l’Hexagone.
L’OCDE confirme cette analyse et montre que celui-ci est proche de
la moyenne des pays membres (figure 10). Si la multiplicité des aides
publiques à l’innovation des entreprises, l’existence d’un statut spécifique
aux jeunes entreprises innovantes (encadré), la qualité des formations d’ingénieurs, l’excellence de certains organismes de recherche, sont reconnus
par l’Organisation comme un élément moteur de l’innovation en France,
plusieurs points apparaissent comme autant de contraintes pour le rayonnement de l’innovation : la fiscalité sur les entreprises, la complexité des
systèmes d’aide et leur insuffisante sélectivité, la relative inefficacité des
transferts de connaissance public-privé ou la rigidité du marché de travail
comptent parmi celles-là.
Les classements internationaux doivent cependant vraisemblablement être
relativisés, en raison notamment des différences de compositions sectorielles entre pays. Comme le souligne un rapport de l’Inspection générale
des finances (IGF)17, « si la France possédait la même structure industrielle
que les États-Unis, sa DIRDE [dépense intérieure de recherche et développement des entreprises] dépasserait la DIRDE américaine en proportion
du PIB ». Au-delà des comparaisons internationales, l’étude de la physionomie des entreprises innovantes en France menée par l’Insee met sans
surprise en évidence le fait que les technologies de l’information et de la
communication (TIC) sont le secteur économique où l’on innove le plus :
71 % des entreprises évoluant dans ce secteur ont en effet innové sur la
17. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit.,
p. 6.
108
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
période 2008-2010, contre seulement 40 % dans ceux de la construction
ou des activités de services administratifs (tableau 17)18. L’entreprise de
luxe Hermès était pourtant, selon le classement Forbes évoqué précédemment, la société française jugée la plus innovante.
Figure 10.
La France et la concurrence mondiale en matière de R & D en 2011 (ratio DIRD/PIB)
Israël
Corée du Sud
Finlande
Japon
Suède
Taïwan
Allemagne
États-Unis**
Total OCDE
France
Chine
UE28
Royaume-Uni
Canada
Pays-Bas*
Espagne
Italie
Féd. de Russie
0
0,5
1
1,5
DIRD des entreprises/PIB
2
2,5
3
3,5
4
4,5
DIRD des administrations/PIB
* Données 2010.
** Dépenses en capital exclues (toutes ou en partie).
Source : OCDE, Principaux indicateurs de la science et de la technologie, 2013-1.
La taille des entreprises n’est également pas neutre sur l’effort de R & D
puisque 80 % de celles de 250 salariés et plus sont innovantes contre 45 %
pour celles ayant de 10 à 49 salariés. Si l’on se concentre sur les innovations de produits, ces chiffres chutent : seulement 9 % des entreprises de
10 à 49 salariés ont lancé un produit nouveau sur le marché contre 39 %
pour les entreprises de 250 salariés et plus (tableau 17).
18. Cette domination des TIC se confirme s’agissant des innovations technologiques (v. Insee,
Les entreprises en France. Édition 2014, op. cit., p. 137).
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
109
Tableau 17.
Les sociétés innovantes en France entre 2008 et 2010 (en %)
Caractéristiques des entreprises
Tous types
d’innovation
Innovation
en produits nouveaux
pour le marché
De 10 à 49 salariés
45
9
De 50 à 249 salariés
63
21
39
250 salariés ou plus
80
Construction
40
4
Activités de services administratifs et de soutien
40
4
Transports et entreposage
41
4
Activités immobilières
47
5
Commerce de gros
48
10
Activités financières et d’assurance
50
11
Activités spécialisées, scientifiques et techniques
53
13
Industrie manufacturière, industries extractives
et autres
56
18
Information et communication
71
34
Ensemble
49
12
Source : Insee, enquête Innovation CIS 2010, in Anthony Bouvier, « Innover pour résister à la crise ou se
développer à l’export », Insee Première, n° 1420, octobre 2012, p. 1.
Comme en témoigne la figure 11, l’automobile et la construction aéronautique et spatiale sont les deux secteurs d’activité qui, au sein de l’industrie, emploient le plus de chercheurs. Ils concentrent à eux seuls plus du
quart des effectifs. Au sein du secteur des services, qui représente 36 % de
l’emploi total des chercheurs en entreprise, les TIC ont la part belle avec
plus du tiers des postes.
Ce serait une erreur de voir dans la progression du secteur privé une dynamique autonome, marquant une forme de déclin de l’action publique en
matière d’innovation. C’est bien au contraire en partie grâce à des politiques publiques volontaristes, le plus souvent fiscales, mais également
institutionnelles, que l’engagement privé a pu se réaliser19. Comme le
rappelle l’OCDE20, « accroître et dynamiser l’entrepreneuriat innovant est
devenu progressivement un objectif central de la politique d’innovation
de la France. L’intervention publique est extrêmement dense à tous les
niveaux de la chaîne (création d’entreprise, fiscalité, financement, etc.) et
semble avoir un réel impact (par exemple, les aides Oséo) ».
19. Dominique Guellec, Bruno van Pottelsberghe de la Potterie, « Does Government Support
Stimulate Private R & D ? », OECD Economic Studies, n° 29, 1997/II, p. 96-122.
20. Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de l’OCDE
des politiques d’innovation : France, op. cit., p. 24-25.
110
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Figure 11.
Répartition des chercheurs en entreprise industrielle par branche de recherche en 2010
(en % du nombre total de chercheurs travaillant dans l’industrie)
Industrie automobile
16
Construction aéronautique
et spatiale
10,9
Composants, cartes électroniques,
ordinateurs,
équipements périphériques
9,2
Fabrication d'instruments
et appareils de mesure,
essai et navigation, horlogerie
8,9
Industrie pharmaceutique
8,8
Fabrication d'équipements
de communication
6,9
Fabrication de machines
et équipements non compris ailleurs
5,7
Industrie chimique
4,8
Autres branches industrielles
28,9
0
5
10
15
20
25
Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, enquêtes sur la R & D auprès des entreprises.
Les politiques publiques en faveur de l’innovation
Il est unanimement reconnu que le financement de l’innovation en entreprise est complexe. L’effort de R & D est, en effet, une activité particulièrement risquée dans la mesure où elle est non seulement coûteuse, mais
également très aléatoire : elle n’est, en cela, pas systématiquement rentable.
Le financement traditionnel, reposant largement sur le crédit bancaire en
France, n’est donc pas nécessairement adapté puisqu’il implique, outre un
niveau de risque limité, de pouvoir payer des flux d’intérêt réguliers, associés à l’emprunt contracté. Ceci se vérifie d’autant plus que, dans le cadre
d’une innovation radicale, la transformation d’une idée en prototype, puis
en produit ou service commercialisé passe souvent par la création d’une
entreprise. Or, ne disposant pas d’état comptable préalable et fondée sur un
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
111
produit devant créer son propre marché, l’entreprise nouvelle est souvent
dans l’incapacité de répondre aux exigences qu’impose le secteur bancaire
en matière de prêt. L’autofinancement et l’investissement en capital sont
donc des modes de financement mieux adaptés à l’innovation.
Largement mobilisé en amont du processus de création d’entreprise, l’autofinancement s’avère cependant rapidement limité lorsque l’investissement nécessaire pour transformer le prototype en produit est important,
conférant alors à l’investissement en capital un rôle stratégique. Consistant avant tout à acquérir des parts dans la société nouvellement créée,
ce mode de financement est un des principaux leviers du financement de
l’innovation, mais il se heurte également à un certain nombre de limites,
justifiant dès lors l’intervention étatique. Celle-ci peut prendre différentes
formes, allant d’une politique d’incitation fiscale à la mise en œuvre de
garanties publiques jusqu’à une prise de participation dans la société en
question. De cette diversité, trois schémas principaux émergent : l’incitation fiscale à l’effort de R & D, l’encouragement aux partenariats publicprivé en matière de recherche et le soutien financier, direct ou indirect,
aux entreprises innovantes.
Tableau 18.
Correctifs aux défaillances de marché en matière de R & D
Imperfection de
marché
Instrument de politique publique
Subventions/aide fiscale
Externalités positives
Protection des droits de
propriété intellectuelle
Effet recherché
Rapprocher rendement social et
rendement privé
Avances remboursables
Suppléer l’absence ou la cherté des
prêts accordés aux conditions du
marché
Garantie d’emprunt
Faire assumer par l’État tout ou
partie du
risque de défaillance pour en libérer
le prêteur
privé
Soutien au capital-investissement
Renforcer les fonds propres des
entreprises
Subvention/aide fiscale
Cofinancement des projets par la
puissance
publique pour partager le risque
Risque/asymétrie
d’information
Source : Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, n° 2010-M-035-02,
Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi-Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme
de l’État, septembre 2010, p. 4.
112
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Les politiques d’incitation fiscale
Afin de favoriser l’innovation et les dépenses de R & D au sein des entreprises, les autorités publiques ont, dès 1983, mis en œuvre une mesure
phare : le crédit d’impôt recherche (CIR). Représentant entre 5,5 et 6,2 milliards d’euros de financement en 201421, celui-ci a vu son rôle se renforcer
considérablement au cours des ans. Le rapport Gallois sur la compétitivité
française22 suggère ainsi de laisser inchangé ce dispositif afin, notamment,
de conforter le rééquilibrage de l’effort de R & D en faveur du secteur
privé. Les bénéfices d’une telle mesure ne sont en effet que très rarement
contestés : permettant de soutenir aussi bien la recherche fondamentale
qu’appliquée ou que l’innovation, au travers du financement de la réalisation de prototypes, le CIR a un impact positif sur les dépenses de R & D
et, consécutivement, sur la DIRD. La mesure de cet impact devient, dès
lors, essentielle.
■ Le crédit d’impôt recherche (CIR)
Créé en 1983 et devant être à l’origine une mesure provisoire, le crédit d’impôt recherche (CIR) accorde une réduction d’impôts aux entreprises, initialement calculée
sur la base de l’accroissement des dépenses de R & D. Il est alors égal à 50 % de
cet accroissement par rapport à la moyenne des dépenses des deux années précédentes et plafonné à l’équivalent de 6,1 millions d’euros par entreprise. Le crédit
d’impôt obtenu est imputé sur l’impôt sur les sociétés de l’année ou, au cas où il
excède l’impôt dû, est reporté sur les trois exercices suivants. Peu incitatif, il sera
progressivement réformé dans les années 2000.
La pérennité du CIR sera assurée en 2004, où son montant n’est plus uniquement
calculé sur l’accroissement des dépenses, mais également sur leur volume (5 %).
Ce rééquilibrage est réaffirmé en 2006, où le crédit d’impôt devient égal à 10 % des
dépenses et à 40 % de leur accroissement. C’est cependant en 2008 que le CIR
connaît sa plus grande impulsion : le calcul fondé sur l’accroissement des dépenses
est abandonné, tandis que son taux est désormais de 30 % des dépenses engagées
en régime normal, et de 40 % à 50 % les deux premières années suivant l’entrée
dans le dispositif de l’entreprise, et ce, jusqu’à 100 millions d’euros (contre 10 millions en 2006). Un taux de 5 % est appliqué au-delà de ce seuil. Lorsque les dépenses engagées ne sont pas des dépenses de R & D au sens strict, mais d’innovation, le taux du crédit d’impôt recherche est égal à 20 % et le plafond des dépenses
à 400 millions d’euros : on parle alors de crédit impôt innovation. Seules les PME,
au sens communautaire (1), peuvent en bénéficier, à la différence du CIR de R & D,
21. Source : Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur
de la recherche, communication à la Commission des finances de l’Assemblée nationale,
juillet 2013, p. 9.
22. Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier ministre,
5 novembre 2012.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
113
disponible pour toutes les entreprises industrielles, commerciales ou agricoles, ainsi
que les associations régies par la loi de 1901 (sous certaines conditions). La loi de
finances pour 2013 modifie un certain nombre de conditions d’application du dispositif, en élargissant notamment la nature des dépenses d’innovation éligibles pour les
PME, et supprime le principe des taux majorés accordés aux entreprises pour les
deux premières années de recours au CIR.
(1) Une PME communautaire, telle que définie par le règlement (CE) n° 800/2008 de
la Commission du 6 août 2008, est une entreprise qui :
– occupe moins de 250 personnes ;
– réalise un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou un total du bilan
annuel inférieur à 43 millions d’euros.
Bien que les résultats obtenus soient assez largement dépendants de son
mode de fonctionnement, de la nature des dépenses éligibles et du contexte
national, il apparaît, au regard des différents travaux empiriques sur cette
question, que le CIR aurait, à long terme, un effet d’entraînement significatif sur la dépense privée de R & D. Si l’on s’intéresse au cas français,
l’étude de Benoît Mulkay et Jacques Mairesse23 portant sur la période
1970-1997 montre que l’élasticité de la R & D au crédit d’impôt peut
être comprise, à long terme, entre 2 et 3,6. En d’autres termes, toute augmentation de 1 euro du crédit d’impôt recherche conduit les entreprises à
augmenter leurs dépenses de recherche et développement de 2 à 3,60 euros.
On parle, dans ce cas, d’un effet de levier, par opposition à l’effet d’addition, pour lequel une augmentation de 1 euro du CIR entraîne une hausse
de la dépense de R & D de même ampleur.
Quelques années plus tard, ces mêmes auteurs24 ont évalué l’incidence de
la réforme de 2008, prenant désormais en compte le niveau des dépenses
et non leur accroissement (voir encadré). Bien que prudents sur l’interprétation des résultats, ils en montrent tous les bénéfices : « En 2008, le CIR
a réduit en moyenne le coût de la recherche et développement de plus de
47 %. La baisse du coût de [celle-ci] due au CIR est ainsi de 30 % plus
élevée qu’avant la réforme de 2008. L’utilisation d’une unité de R & D
qui coûte en moyenne, après subventions, 21 centimes d’euro, passe à un
coût moyen de 11 centimes d’euro grâce au CIR. La réduction du coût
de la recherche et développement est légèrement plus importante pour
les PME (- 48 %) que pour les entreprises plus grandes (- 45 %). » Ces
auteurs ont renouvelé cette même étude en 2013, confirmant les béné-
23. Benoît Mulkay et Jacques Mairesse, « Une évaluation du crédit d’impôt recherche en France
(1970-1997) », Revue d’économie politique, vol. 114, n° 6, novembre-décembre 2004,
p. 747-778.
24. Benoît Mulkay et Jacques Mairesse, Évaluation de l’impact du crédit d’impôt recherche, Rapport
pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, novembre 2011, p. 2.
114
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
fices du dispositif25. Ils suggèrent notamment que les investissements en
R & D sont, sur le long terme, supérieurs de 12 % à ce qu’ils auraient été
en l’absence de modification du dispositif. Le multiplicateur budgétaire
d’une telle mesure est estimé à 0,7 à long terme, signifiant qu’un euro de
crédit d’impôt entraîne une augmentation de la R & D de 0,70 euro. Il
pourrait être cependant supérieur si les externalités positives de l’accroissement du stock de connaissances qui en découlent étaient prises en compte.
Paul Cahu et alii 26 se sont également intéressés à l’impact macroéconomique
de la réforme de 2008. Ils montrent que la modification du crédit d’impôt
recherche permettrait d’anticiper une augmentation de la DIRD jusqu’à
0,33 point de PIB d’ici à 2018 si l’on retient l’hypothèse d’une élasticité
de la R & D au CIR de 2. En raison des effets induits de l’innovation sur
la croissance économique, cette réforme pourrait en outre être de nature
à engendrer un surcroît de 0,6 point de PIB à l’horizon 2022. Elle pourrait également accroître le besoin de chercheurs au sein des entreprises de
40 % par rapport à la situation prévalant avant 2008.
Cette approche par le multiplicateur est importante car elle pose, audelà des évaluations des effets du crédit d’impôt recherche, la question
du rapport coûts/bénéfices d’une telle mesure. En d’autres termes, si la
question des bénéfices microéconomiques et macroéconomiques du CIR
n’est guère débattue, celle de son coût fiscal, c’est-à-dire de la valeur des
créances acquises et dont le remboursement est demandé par les entreprises
bénéficiant de ce dispositif27, semble plus controversée. Le rapport réalisé
en 2010 par l’Inspection générale des finances28 met ainsi en exergue le
risque d’un dérapage des dépenses au titre du crédit d’impôt recherche
pouvant aller jusqu’à 8 milliards d’euros en 2013. Deux années plus tard,
un rapport d’information du Sénat souligne également que la modification
du régime du CIR, cinquième dépense fiscale la plus coûteuse, pourrait
voir son coût augmenter sensiblement, celui-ci passant de 5,1 milliards
d’euros en 2011 à une fourchette comprise entre 5,7 et 6,4 milliards à
25. Benoît Mulkay, Jacques Mairesse, « The R & D Tax Credit in France : Assessment and ex
ante Evaluation of the 2008 Reform », Oxford Economic Papers, vol. 65, n° 3, juillet 2013,
p. 746-766.
26. Paul Cahu, Lilas Demmou et Emmanuel Massé, « L’impact macroéconomique de la réforme
2008 du crédit d’impôt recherche », op. cit.
27. Il convient, en réalité, de distinguer les créances acquises par les entreprises au titre du crédit
d’impôt de la dépense fiscale correspondante. Comme le rappellent Laurent Martel et Alexis
Masse (Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit., p. 41), « la créance correspond au crédit d’impôt acquis au cours de l’année par les entreprises déclarant des dépenses
éligibles de R & D. […] La dépense fiscale d’une année n correspond à la somme des créances
de CIR, acquise lors des années antérieures, imputées sur l’impôt sur les sociétés de l’année n,
ou dont le remboursement est demandé par les entreprises qui en ont le droit en année n ».
28. Laurent Martel et Alexis Masse, Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche, op. cit.,
p. 41.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
115
l’horizon 201729. Un rapport de la Cour des comptes, réalisé en 201330,
confirme cette analyse et nuance les vertus de la réforme de 2008, jugée
mal préparée et reposant sur une sous-estimation du coût qu’elle induisait.
Bien qu’il constitue un des leviers essentiels de la politique fiscale en faveur
de l’innovation, le CIR n’est pas la seule mesure d’incitation proposée par
les pouvoirs publics. Le statut fiscal de la jeune entreprise innovante (JEI,
voir l’encadré ci-après), créé en 2004 pour favoriser la création de petites
et moyennes entreprises effectuant des travaux de recherche, autorise
ainsi, sous certaines conditions, une exonération de cotisations sociales
patronales pour les personnels affectés à une activité de recherche, ainsi
que des exonérations, au titre de l’impôt sur les sociétés, de la cotisation
économique territoriale ou de la taxe foncière.
■ Le dispositif de la jeune entreprise innovante (JEI)
« Les entreprises réalisant des projets de R & D, placées sous le régime de la JEI,
peuvent bénéficier d’une réduction de leur fiscalité et des charges sociales relatives
à des emplois hautement qualifiés tels que les ingénieurs et les chercheurs.
Le statut de la jeune entreprise innovante (JEI) a été créé en 2004 pour favoriser la
création de petites et moyennes entreprises effectuant des travaux de recherche. Le
dispositif a été prorogé jusqu’en 2016.
3 000 entreprises bénéficient du dispositif en 2013 pour un montant d’exonérations
sociales de 108 millions d’euros […]. Leurs dépenses de R & D s’élèvent à 700 millions d’euros et se concentrent essentiellement dans des branches de services.
Pour en bénéficier, les entreprises doivent remplir cinq conditions :
■
Être une PME
Ce sont des entreprises qui, au titre de l’exercice ou de la période d’imposition pour
laquelle elles veulent bénéficier du statut spécifique, doivent, d’une part, employer
moins de 250 personnes et, d’autre part, réaliser un chiffre d’affaires inférieur à
50 millions d’euros ou disposer d’un total de bilan inférieur à 43 millions d’euros.
■
Avoir moins de huit ans
Une entreprise peut solliciter le statut de JEI jusqu’à son huitième anniversaire et
perd définitivement ce statut au cours de l’année de son huitième anniversaire.
29. Rapport d’information fait au nom de la Commission des finances sur le crédit d’impôt recherche
(CIR), par M. Michel Berson, Sénateur, Sénat, n° 677, 18 juillet 2012, p. 58.
30. Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la
recherche, op. cit.
116
■
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Avoir un volume minimal de dépenses de recherche
L’entreprise doit avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre de
ce même exercice. Ces dépenses de recherche sont calculées sur la base de celles
retenues pour le crédit d’impôt recherche.
■
Être indépendante
Pour pouvoir bénéficier du statut de JEI, l’entreprise doit être indépendante au sens
de l’article 44 sexies du Code général des impôts. La condition de détention du capital doit être respectée tout au long de l’exercice au titre duquel l’entreprise concernée souhaite bénéficier du statut spécial.
■
Être réellement nouvelle
Elle ne doit pas avoir été créée dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension d’activité préexistante ou d’une reprise d’une telle activité ».
Entre 2004 et 2013, le nombre d’entreprises concernées est passé de 1 427 à 3 270
et les cotisations exonérées, de 67,7 à 108,3 millions d’euros (1).
(1) Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, Annexe au
projet de loi de finances pour 2015, p. 51.
Source : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid5738/le-statut-de-la-jeune-entreprise-innovante-jei.html.
Les partenariats public-privé et les pôles de compétitivité
L’accroissement des synergies entre la recherche publique et le monde
de l’entreprise constitue un second axe essentiel des politiques publiques
en faveur de l’innovation. Créés en 2005, les pôles de compétitivité, au
nombre de 71 fin 2014, sont au cœur de cette ambition. Un pôle vise,
sur un territoire donné, à rassembler, sous forme de « cluster » impliquant
une gouvernance commune, PME, grandes entreprises, universités et organismes de recherche, autour d’une thématique partagée afin de favoriser
« l’émergence de très nombreux projets collaboratifs porteurs d’innovations
[…] [et] de transformer les travaux collaboratifs de R & D en davantage
de produits, procédés et services innovants mis sur le marché »31. Trois
catégories de pôles coexistent : les pôles de compétitivité au sens strict, les
pôles à vocation mondiale et les pôles mondiaux.
31. Source : www.competitivite.gouv.fr.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
117
Une analyse de Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet32 montre
que l’appartenance d’une entreprise à un pôle de compétitivité accroît, en
moyenne, le montant des subventions et du CIR obtenu. Une entreprise
entrée dans un pôle de compétitivité de 2006, 2007 ou 2008 aurait effectué
76 000 euros de R & D de plus qu’une entreprise restée au dehors, provenant d’aides directes à hauteur de 30 000 euros, de CIR pour 32 000 euros
et d’aides européennes pour 2 400 euros. En revanche, si le montant des
dépenses de R & D augmente, confirmant l’effet d’addition évoqué dans
la section précédente, l’analyse ne permet pas de distinguer l’effet imputable au CIR de celui lié à l’appartenance à un pôle de compétitivité. Par
ailleurs, celle-ci ne semble pas se traduire par une augmentation des résultats financiers de l’entreprise. Selon les auteurs, « l’effet de la participation
aux pôles sur la période 2006-2009 semble donc limité à des dépenses
supplémentaires de R & D qui n’ont pas eu pour l’instant d’incidence
significative en termes commerciaux (vente de produits innovants) ou
d’amélioration des processus de production ».
Un rapport d’audit réalisé en 2012 par les cabinets Erdyn, Technopolis
et BearingPoint33 est également explicite et dresse un bilan nuancé de
l’efficacité des pôles. Sur la période 2008-2011, ceux-ci ont permis la
réalisation de plus de 2 500 innovations, dont 1 037 en produits, dans les
secteurs de l’industrie agroalimentaire, des TIC ou des matériaux et de la
mécanique (figure 12).
L’appartenance à un pôle semble aussi très largement favoriser l’activité
de R & D des entreprises34 : l’enquête réalisée dans le cadre de ce rapport
auprès de 1 174 entreprises indique en effet que 55 % d’entre elles déclarent
une augmentation, voire une forte augmentation (34 %), de leurs investissements en recherche et développement à la suite de leur adhésion. Le
montage et le financement des projets de R & D collaboratifs et applicatifs,
associant les différents partenaires des pôles, publics et privés, ont en outre
largement progressé : 54 % des organismes d’enseignement supérieur, de
recherche et de formation ayant répondu à l’étude font état d’une augmentation du nombre de leurs projets en partenariat avec des entreprises.
32. Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet, « La participation aux pôles de compétitivité : quelle incidence sur les dépenses de R & D et l’activité des PME et ETI ? », Insee,
Document de travail, n° G 2013/06, 15 avril 2013.
33. Erdyn, Technopolis et BearingPoint, Étude portant sur l’évaluation des pôles de compétitivité.
Rapport global, 15 juin 2012.
34. Il existerait « une corrélation positive entre la quantité de R & D réalisée sur un territoire et le
taux de participation aux pôles » (Christophe Bellégo et Vincent Dortet-Bernadet, « L’impact
de la participation aux pôles de compétitivité sur les PME et les ETI », Économie et statistique,
n° 471, octobre 2014, p. 65-83 [p. 77]).
118
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Figure 12.
Bilan des pôles de compétitivité (2008-2011)
Innovations marketing
143
Innovations organisationnelles
154
Innovations de services
379
Innovations de procédés
795
Innovations de produits
1 037
0
200
400
600
800
1 000
Source : Erdyn, Technopolis et BearingPoint, Étude portant sur l’évaluation des pôles de compétitivité. Rapport
global, 15 juin 2012, p. 119.
La publication de 6 349 articles scientifiques par les bénéficiaires des financements alloués aux projets labellisés par les pôles de compétitivité est également à mettre à leur crédit, bien qu’il ne s’agisse pas d’un des objectifs
affichés. Par ailleurs, l’adhésion à un pôle favoriserait l’emploi : l’enquête
montre en effet que 84 % d’entre elles considèrent qu’elle leur a permis de
maintenir des emplois, tandis que 66 % indiquent en avoir créés. Enfin,
les politiques de développement mises en œuvre au sein des pôles ne sont
pas sans incidence sur l’organisation des filières économiques régionales.
Leur structuration semble ainsi s’être améliorée avec une plus grande intégration, de l’amont vers l’aval, mais également entre clients et fournisseurs,
et entre grands groupes et PME, faisant des pôles un espace de dialogue.
La visibilité et le dynamisme se sont également accrus.
Il apparaît en revanche, au regard des résultats économiques des pôles,
que seuls 977 brevets ont été déposés, conduisant les auteurs du rapport à affirmer qu’« il n’y a pas d’éléments qui permettraient de dire que
les pôles de compétitivité aient contribué jusqu’ici à modifier le “déficit
structurel” de la position brevets de la France, qui reflète sans doute une
moindre sensibilisation des entreprises françaises aux enjeux de la propriété
industrielle ». Par ailleurs, seules 93 start-up ont été créées durant cette
période, dont pour près d’un tiers dans le secteur des TIC, confirmant la
difficulté du système français à transposer dans le domaine commercial
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
119
les innovations qu’il produit. La complexité du système de gouvernance
des pôles est également soulignée. Enfin, une forte hétérogénéité dans le
suivi de la performance de l’activité des pôles au regard de leurs objectifs
semble exister. Afin, notamment, d’en améliorer la gouvernance et de
favoriser leur capacité à atteindre les objectifs que le Pacte national pour
la croissance, la compétitivité et l’emploi (encadré) leur a assignés pour la
période 2013-2018, un nouveau mode de gouvernance, liant étroitement
État et conseils régionaux, a été défini fin 2013. Celui-ci associe désormais un comité d’orientation au niveau national, un comité de pilotage
en charge de la gestion opérationnelle des pôles et un comité de coordination à l’échelle locale.
■ Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité
et l’emploi
Annoncé par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 6 novembre 2012, ce pacte
se décline en huit leviers de compétitivité et trente-cinq décisions concrètes. Ces
leviers sont (seuls ceux relatifs à l’innovation proprement dite feront l’objet de
quelques développements) :
1) mettre en place un « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » (CICE) ;
2) garantir aux TPE, aux PME et aux ETI des financements performants et de proximité (dont : création de la Bpi ; facilitation de l’accès des PME et des ETI aux marchés
des capitaux) ;
3) accompagner la montée en gamme en stimulant l’innovation (dont : réforme du
système de transfert de la recherche publique et de l’innovation ; diffusion des technologies et usages du numérique par la mise en place de nouvelles actions du Programme des investissements d’avenir destinées à financer le développement de
technologies numériques stratégiques ; réorienter les pôles de compétitivité vers les
produits et services à industrialiser et distinguer les pôles stratégiques à rayonnement international des pôles de développement régionaux) ;
4) produire ensemble ;
5) renforcer les conquêtes de nos entreprises à l’étranger et l’attractivité de notre
pays ;
6) offrir aux jeunes et aux salariés des formations tournées vers l’emploi et l’avenir ;
7) faciliter la vie des entreprises en simplifiant et stabilisant leur environnement réglementaire et fiscal (dont : stabiliser, sur la durée du quinquennat, 5 dispositifs fiscaux
importants pour l’investissement et la vie des entreprises, notamment le crédit d’impôt recherche et le dispositif des jeunes entreprises innovantes) ;
8) assurer une action publique exemplaire et des réformes structurelles au service
de la compétitivité (dont : accompagner le développement des PME de croissance
innovantes en mobilisant l’achat public).
Source :
vite.pdf.
http://competitivite.gouv.fr/documents/commun/transversal/Dossier-presse-competiti-
120
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Le renforcement des capacités financières des entreprises
innovantes
Le soutien financier aux entreprises constitue le dernier grand type d’action
publique en faveur de l’innovation. Cette notion de soutien financier se
doit cependant d’être précisée car elle recouvre une diversité de réalités :
elle concerne à la fois l’octroi de financements publics, sous forme de
subventions ou de prises de participation, la mise en œuvre de garanties
publiques lorsqu’un prêt bancaire est contracté et les mesures fiscales visant
à favoriser le drainage de l’épargne collective vers les entreprises innovantes.
BpiFrance ou Banque publique d’investissement est, comme nous l’avons
vu dans le chapitre 2 de cet ouvrage, le bras financier de l’État en matière
de soutien aux entreprises35. Si l’on se concentre sur la politique de soutien
aux entreprises innovantes, plusieurs outils se distinguent :
– BpiFrance propose en premier lieu une subvention, plafonnée à
30 000 euros, à la création d’une entreprise innovante afin de financer la
conception du projet et les études de faisabilité commerciale, technique,
juridique ou financière ;
– un deuxième type de subventions, allant de 45 000 à 450 000 euros,
selon la nature de l’entreprise candidate, est également proposé dans le
cadre des concours de création d’entreprises de technologies innovantes
du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;
– la « bourse French Tech » (maximum de 30 000 euros) constitue un troisième type de subvention permettant de financer une activité innovante,
non technologique dans le cadre de cette mesure ;
– grâce à l’aide au partenariat technologique (APT), BpiFrance subventionne également à hauteur de 50 000 euros les projets innovants collaboratifs ;
– des systèmes d’avances remboursables ou de prêts à taux zéro, au travers
notamment de l’aide pour le développement de l’innovation36, sont également offerts aux PME innovantes pour des montants plus élevés pouvant
atteindre 3 millions d’euros37.
De toute évidence, les subventions ou prêts à taux zéro ne peuvent, à
eux seuls, couvrir le besoin de financement des entreprises innovantes.
Cependant, comme nous l’évoquions dans l’introduction de cette partie,
le financement bancaire est difficile à obtenir pour une entreprise en phase
35. Voir Laure Reinhart, « De l’Anvar à BpiFrance, en passant par Oséo : les grandes étapes du
financement public de l’innovation », Annales des Mines-Réalités industrielles, n° 2014/1,
février 2014, p. 46-50.
36. L’aide au développement technologique s’adresse aux PME-PMI désirant faire appel à un
laboratoire ou à un centre de compétences technologiques afin d’obtenir une assistance technique, des expertises…
37. Le lecteur se référera utilement au site de BpiFrance (www.bpifrance.fr) pour une présentation complète et détaillée des différents systèmes d’aide et de financement.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
121
de création ou dans les premiers stades de développement, en raison, principalement, de l’incapacité à fournir des garanties financières suffisantes
mobilisables en cas de faillite ou de l’inaboutissement du projet innovant financé. Il existe, dès lors, une rationalité à l’intervention publique
qui offre des prêts aux conditions de marché ou substitue à une garantie
privée inexistante ou insuffisante, une garantie étatique ; ce rôle, joué par
le groupe public Oséo, devenu partie intégrante de BpiFrance (voir la
figure 5), n’implique pas nécessairement une éviction du secteur bancaire,
dans la mesure où tant le prêt proposé que la garantie exercent ce qu’il
est convenu d’appeler un effet de levier : en s’engageant sur une partie du
plan de financement de l’entreprise, BpiFrance « crédibilise » le projet et
favorise l’octroi d’un prêt complémentaire par la banque. Ainsi, un prêt
pour l’innovation (PPI) allant de 50 000 euros à 3 millions d’euros dans la
limite du double des fonds propres et quasi-fonds propres de l’entreprise
peut être sollicité, afin de financer les dépenses immatérielles liées au lancement industriel et commercial d’une innovation. Rappelons ici que les
offres de prêt de BpiFrance ne sont pas limitées aux entreprises innovantes.
L’investissement en fonds propres ou en quasi-fonds propres38 dans l’entreprise innovante constitue le dernier type d’intervention de BpiFrance,
lorsque le financement par emprunt n’est pas adapté. L’organisme public
dispose en effet d’un fonds d’investissement dédié à la prise de participation
dans le capital de petites et moyennes entreprises innovantes. Cet investissement, d’un montant compris entre un et cinquante millions d’euros,
cible en premier lieu les PME à fort potentiel de développement, évoluant
dans les secteurs du numérique, des biotechnologies et de l’écotechnologie
ou de la santé. Pour comprendre les raisons d’un tel engagement étatique,
le rapport Gallois est explicite39 : « Les entreprises industrielles souffrent,
en France, plus que les autres entreprises de certaines difficultés d’accès
au crédit. La raréfaction du crédit – même si les taux restent bas – touche
actuellement plus directement le financement de la trésorerie alors même
que le crédit interentreprises reste défavorable aux fournisseurs. Les nouvelles règles prudentielles (Bâle III) pèseront inévitablement sur l’offre de
crédit des banques. Mais la principale préoccupation pour l’avenir concerne
l’évolution du financement en fonds propres. Signe préoccupant, la collecte de capital-investissement régresse : elle reste de moitié inférieure à
ce qu’elle était avant la crise (6,4 milliards d’euros levés en 2011, contre
12,7 milliards d’euros en 2008), freinant la croissance des PME, notamment chez les acteurs innovants. » Outre l’investissement direct dans les
38. D’un point de vue schématique, les fonds propres constituent l’argent des actionnaires investi
dans la société et non redistribué sous forme de dividendes, tandis que les quasi-fonds propres
concernent les comptes courants associés, les obligations convertibles, ainsi que les prêts participatifs. Le lecteur pourra se référer aux nombreux ouvrages disponibles sur la finance d’entreprise ou aux sites internet proposant un glossaire financier.
39. Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, op. cit., p. 12.
122
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
sociétés des secteurs susmentionnés, BpiFrance investit également dans
des organismes de capital-risque (OCR) qui, eux-mêmes, financent des
PME à fort potentiel de croissance. Certains de ces OCR, qui peuvent
être des sociétés de capital-risque ou des fonds d’investissement, ont un
périmètre régional, témoignant ainsi de la complémentarité de l’État et
des collectivités territoriales, notamment les conseils régionaux40, dans la
dynamisation économique des territoires.
Si la question du soutien financier aux entreprises innovantes ne fait guère
débat, celle du bien-fondé de l’acteur public, en tant que capital investisseur,
semble beaucoup plus controversée. Plusieurs thèses s’opposent ainsi sur
l’incidence de cette participation de l’État et des collectivités territoriales.
Comme le rappelle Ulrich Hege41, la forte incertitude liée à l’activité de
financement des entreprises innovantes augmente la probabilité d’occurrence de conflits entre actionnaires : l’importance, au sein des start-up,
des actifs immatériels qui limitent les prises de garanties, le haut niveau
d’expertise technique nécessaire pour comprendre tant le projet d’investissement envisagé que sa probabilité de succès, la propension de l’entrepreneur à multiplier les prises de risque afin d’être le premier à innover,
ainsi que l’importante mobilité du capital humain souvent observée dans
les entreprises innovantes, sont autant de facteurs de risques que l’investisseur peinera à maîtriser totalement42. La littérature s’est donc attachée
à mesurer l’incidence des programmes publics sur le développement du
capital-innovation.
L’investisseur public n’est pas un investisseur comme les autres. Sa présence peut en effet conduire, pour certains économistes, au financement
d’entreprises qui en auraient été autrement privées, en raison de critères
d’investissement liés à des considérations bien plus politiques que strictement économiques ou financières43. Deux conséquences, l’une négative,
l’autre positive, pourraient en découler : d’une part, l’accroissement du
financement à destination d’entreprises non rentables à terme, mais également, d’autre part, d’entreprises soit ayant un fort potentiel de création
d’emplois, auquel les autorités publiques peuvent être, à la différence d’un
capital investisseur privé, fortement sensibles, soit dont le niveau de risque
n’est pas supportable par le seul secteur privé. Aux premiers stades de son
financement (early-stage), le capital-innovation peut en effet souffrir d’un
40. Voir Gwénaël Dore, « Les capacités des régions françaises en matière de développement économique et d’innovation », Innovations, n° 44, 2014/2, p. 127-150.
41. Ulrich Hege, « L’évaluation et le financement des start-up Internet », Revue économique, vol.
52, n° hors-série, octobre 2001, p. 291-312.
42. Paul Gompers, Anna Kovner, Josh Lerner, David Scharfstein, « Venture Capital Investment
Cycles : the Impact of Public Markets », Journal of Financial Economics, vol. 87, n° 1, janvier 2008, p. 1-23.
43. Josh Lerner, « The Future of Public Efforts to Boost Entrepreneurship and Venture Capital »,
Small Business Economics, vol. 35, n° 3, octobre 2010, p. 255-264.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
123
déficit de financement, appelé equity gap, que les financements publics,
lorsqu’ils sont correctement drainés, permettent de réduire44.
L’étude menée par Franck Lasch et alii 45 semble confirmer ce point. Les
auteurs démontrent en particulier que toute entreprise démarrant dans ce
secteur avec un capital inférieur à 15 000 euros court un risque élevé de
faillite. En augmentant de facto la quantité des fonds investis, et en favorisant, par un effet de levier, la collecte d’investissements supplémentaires,
la présence de capitaux publics, dans les phases d’amorçage de l’entreprise
innovante, peut s’avérer fondamentale puisqu’elle influence sa probabilité
de réussite. L’étude d’Itxaso del-Palacio et alii 46 portant sur le cas espagnol
conduit à des conclusions similaires : l’intervention croissante de l’acteur
public, à partir de 2001, a favorisé le développement des investissements
précoces, notamment dans les secteurs technologiques. Certains considèrent à l’inverse que l’action de l’investisseur public, moins contraint en
termes d’exigence de rentabilité, conduit à une éviction du secteur privé
dommageable à l’ensemble de l’industrie du capital-investissement47.
■ Les axes de la politique de recherche en Allemagne
« Plusieurs initiatives ont été lancées depuis 2005 : l’initiative d’excellence pour
créer des pôles universitaires d’excellence (1,9 milliard d’euros sur 2007-2012,
2,7 milliards d’euros prévus sur 2012-2017) ; la Stratégie High Tech 2020 pour la période 2010-2020, qui s’inscrit dans la continuité de la précédente (2006-2009) et qui
se traduit par des programmes-cadres, notamment sur la santé (5,5 milliards d’euros
entre 2011 et 2015), la bio-économie (2,4 milliards d’euros entre 2011 et 2016) et
l’énergie (3,5 milliards d’euros entre 2011 et 2014) ; le “Pacte 2020 pour l’enseignement supérieur”, qui prévoit 3,2 milliards d’euros d’investissements d’ici 2018.
44. Colin M. Mason, Richard T. Harrison, « Barriers to Investment in the Informal Venture
Capital Sector », Entrepreneurship & Regional Development, vol. 14, n° 3, 2002, p. 271-287 ;
Luigi Buzzacchi, Giuseppe Scellato, Elisa Ughetto, « The Investment Strategies of Publicly
Sponsored Venture Capital Funds », Journal of Banking & Finance, vol. 37, n° 3, mars 2013,
p. 707-716.
45. Franck Lasch, Frédéric Le Roy et Saïd Yami, « Les déterminants de la survie et de la croissance des start-up TIC », Revue française de gestion, n° 155, mars-avril 2005, p. 37-56.
46. Itxaso del-Palacio, Xiaotian Tina Zhang, Francesc Sole, « The Capital Gap for Small Technology
Companies : Public Venture Capital to the Rescue ? », Small Business Economics, vol. 38, n° 3,
avril 2012, p. 283-301.
47. John Armour, Douglas Cumming, « The Legislative Road to Silicon Valley », Oxford Economic
Papers, vol. 58, n° 4, octobre 2006, p. 596-635 ; Valérie Revest, Alessandro Sapio, « Financing
Technology-Based Small Firms in Europe : What do we Know ? », Small Business Economics,
vol. 39, n° 1, juillet 2012, p. 179-205.
124
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
La part du financement sur projets en Allemagne est très importante : 44 % du financement provenant de l’État fédéral pour la R & D en 2010 ont été investis dans des
projets sélectionnés sur appels d’offres, à travers les Projektträger ou “gestionnaires
de projets” et l’agence de moyens pour la recherche universitaire, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). »
Source : Cour des comptes, Le financement public de la recherche, un enjeu national, rapport
public thématique, juin 2013, p. 68.
Le drainage de l’épargne collective vers les entreprises
innovantes
En parallèle de l’investissement dans le capital des entreprises innovantes
ou dans des OCR, les pouvoirs publics visent à favoriser le drainage de
l’épargne des ménages vers les entreprises innovantes au travers d’une
politique fiscale incitative. Au-delà de l’espérance de rendement qu’offrent
de tels placements, le traitement fiscal de ces opérations en capital, et les
éventuelles exonérations dont elles peuvent bénéficier, constituent en effet
un des leviers essentiels de l’État, permettant d’orienter les capitaux vers
les organismes de placements collectifs finançant ce type d’entreprises.
En 1983, le régime juridique du fonds commun de placement à risque
(FCPR) est ainsi créé pour alimenter le besoin de financement des PME
n’étant pas cotées en bourse. Ce n’est cependant qu’en 1997, avec le régime
fiscal des fonds commun de placement dans l’innovation (FCPI), qu’une
véritable politique fiscale de l’épargne en faveur des entreprises innovantes
est mise en place48.
Ces fonds jouissent en effet de mesures de réduction d’impôt non seulement
sur le revenu mais également sur la fortune, en échange d’un blocage des
fonds pour une durée de cinq ans et demi. Ainsi, en 2014, un souscripteur peut bénéficier d’une réduction de son impôt sur le revenu de 18 %
des sommes investies dans la limite de 12 000 euros (le double pour un
couple marié), soit 2 160 euros (4 320 euros pour un couple). Par ailleurs,
les plus-values réalisées sont exonérées d’impôt lors de la revente des parts,
mais demeurent soumises aux prélèvements sociaux. Enfin, certains FCPI,
dits FCPI-ISF, autorisent à déduire 50 % des montants investis de l’impôt
sur la fortune (ISF), ramenés à la fraction du fonds qui est investie dans
des sociétés éligibles.
48. Yves Jégourel, « Acteurs publics et capital-investissement : une analyse critique », Revue française de gestion, vol. 40, n° 241, 2014, p. 31-44.
LE FINANCEMENT DE L’INNOVATION…
❮
125
Selon les données de l’Association française des investisseurs pour la croissance (Afic), 29 FCPI ont pu être créés en 2013, permettant de lever
308 millions d’euros auprès d’environ quatre-vingt-dix mille souscripteurs.
Ce chiffre, en hausse de 8 % par rapport à 2012, reste très largement en
retrait si on le compare avec les données « avant-crise financière » de 2007,
où 567 millions d’euros avaient été collectés. Une des explications à cette
forte baisse tient à la réticence des investisseurs à s’engager dans des stratégies risquées dans un contexte de forte incertitude économique. Investir
dans un FCPI n’est en effet pas sans risque, en raison de la probabilité de
faillite des entreprises ciblées : 71 % des sommes collectées en 2012 ont
ainsi été placées sur le segment du capital-innovation, contre 27 % dans
le capital-développement dédié aux PME plus matures et donc a priori
moins risquées. Il faut, en effet, reconnaître que, en dépit des avantages
fiscaux dont ils bénéficient, les FCPI ne rémunèrent guère cette prise de
risque élevée, en raison de piètres performances financières.
En Europe, l’exemple du Portugal est cependant révélateur de l’impulsion
que les pouvoirs publics peuvent donner à l’industrie du capital-investissement : un statut juridique permettant d’investir l’épargne collective sur
ce segment et bénéficiant d’une fiscalité attractive fut en effet adopté dans
ce pays dès 198649. La taille de l’industrie portugaise du capital-investissement fut consécutivement multipliée par 38 entre 1986 et 1987 et a crû
au rythme annuel d’environ 54 % entre 1986 et 1995, contre 12 % pour
la France et 5 % pour le Royaume-Uni sur la même période.
49. Leslie A. Jeng, Philippe C. Wells, « The Determinants of Venture Capital Funding : Evidence
Across Countries », Journal of Corporate Finance, vol. 6, n° 3, septembre 2000, p. 241-289.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
127
❯ Chapitre 5
Économie française, pays émergents
et fonds souverains : les enjeux
d’une nouvelle donne financière
Les années 2000 ont vu la montée en puissance d’un nouvel acteur majeur
de la sphère financière internationale : les fonds souverains. Fonds d’investissement public, ceux-ci visent à rémunérer une manne financière le plus
souvent alimentée par des recettes pétrolières ou gazières, des réserves de
change excédentaires, à l’image de la Chine, ou, plus rarement, des excédents budgétaires. Leur existence n’est cependant pas récente puisque le
premier d’entre eux, le Kuwait Investment Office, devenu le Kuwait Investment Authority (KIA), a vu le jour en 1953. Historiquement situés dans
les pays du Golfe persique puis en Asie, les fonds souverains se déploient
rapidement dans les pays africains, tandis que la volonté de développer de
tels véhicules d’investissement s’affirme au Nord.
Derrière la volonté de rémunérer les sommes ainsi collectées, plusieurs
ambitions se dessinent.
La première d’entre elles vise à protéger l’économie nationale de l’instabilité budgétaire qui découlerait d’une mauvaise gestion de la recette générée
par les matières premières. La plupart de celles-ci (pétrole, gaz, denrées
alimentaires, métaux, etc.) sont en effet échangées sur des marchés financiers qui rendent leurs prix volatils. Il importe dès lors de lisser l’effet de
cette instabilité sur le budget d’État en thésaurisant « l’excès » de recettes
lorsque les prix sont hauts. On parle alors de fonds de stabilisation.
Le deuxième type de fonds souverain vise à diversifier l’économie du pays
qui le détient. Les ressources minérales étant limitées, il est indispensable,
pour les économies qui en dépendent, d’investir grâce à un fonds souverain
dans des secteurs d’activité qui seront les moteurs de la croissance économique de demain. Cette approche a trouvé, en août-septembre 2014,
une résonance particulière dans le débat sur l’indépendance de l’Écosse.
Disposant d’une fraction non négligeable du pétrole de la mer du Nord,
ce pays est confronté, à plus ou moins long terme, à l’épuisement de ses
ressources. La création d’un fonds souverain est alors vue, dans le camp
des indépendantistes, comme un moyen de s’affranchir de la dépendance
économique vis-à-vis du Royaume-Uni. Les fonds dits « intergénération-
128
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
nels », tels que celui dont la Norvège s’est doté en 1990, reposent quant
à eux sur l’idée que les ressources financières issues de l’exploitation des
sols et des sous-sols doivent profiter autant aux générations actuelles que
futures. La capitalisation d’une partie de cette manne est donc nécessaire.
Une dernière catégorie de fonds, dits d’optimisation ou de placement des
réserves, vise plus simplement à optimiser le rendement financier que l’on
peut attendre des capitaux détenus. Les réserves de change dont dispose
la banque centrale et à partir desquelles la plupart des fonds souverains
drainent leurs ressources, sont faiblement rémunérées : elles doivent en
effet être détenues sous forme liquide afin de pouvoir être mobilisées rapidement pour défendre la monnaie nationale. Lorsque ces réserves sont
en abondance, il devient possible de les placer sur des classes d’actifs plus
risquées (actions, obligations) afin d’espérer une rentabilité plus grande.
Une étude menée en 2008 par Shams Butt et alii 1 démontre que la palette
des actifs sur lesquels les fonds souverains peuvent investir est large : obligations d’État, actions de grandes entreprises, immobilier, capital-risque
ou matières premières.
Cette classification n’est pas unique et certains lui préfèrent, à l’instar de
Jean-Paul Betbèze2, une distinction entre les fonds « rentes », qui trouvent
leurs ressources dans l’exploitation minière ou pétrolière, et les fonds
« salaires » ou « taux de change » (notamment chinois), qui, via l’excédent
de la balance courante des pays qui les détiennent, puisent leur richesse
dans l’écart entre le coût salarial national et celui des pays développés vers
lesquels ils exportent. Une seconde approche, privilégiée par Ivan Odonnat
notamment3, tend à distinguer les fonds d’investissement souverains au
sens strict des fonds de réserve pour les retraites (sovereign pension funds).
D’autres, tels que le Sovereign Wealth Fund Institute, think tank dédié à
l’analyse des fonds souverains4, se contentent d’opposer les fonds pétroliers
à ceux alimentés par d’autres ressources.
Quelle que soit la classification retenue, force est de reconnaître qu’il
n’existe aujourd’hui pas de définition précise et unanimement reconnue de
ce qu’est un fonds souverain. Si certains fonds d’investissement ne laissent
aucun doute sur leur nature « souveraine », d’autres soulèvent quelques
interrogations : une institution pourra être qualifiée ou non de fonds souverains, selon la nature plus ou moins extensive de la définition retenue.
1. Shams Butt, Anil Shivdasani, Carsten Stendevad, Ann Wyman, « Sovereign Wealth Funds :
A Growing Global Force in Corporate Finance », Journal of Applied Corporate Finance, vol.
20, n° 1, hiver 2008, p. 73-83.
2. Jean-Paul Betbèze, « Fonds souverains : les termes du dossier », in Jean-Paul Betbèze (dir.),
Fonds souverains. À nouvelle crise, nouvelle solution ?, coll. « Les Cahiers du Cercle des économistes », Puf-Descartes & Cie, Paris, 2008, p. 11-23.
3. Ivan Odonnat, « Les conditions d’une contribution positive des fonds souverains à l’économie
mondiale », Trésor-Éco, n° 28, janvier 2008.
4. Site internet : www.swfinstitute.org.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
129
Si l’on s’en tient à la définition très générale d’Edwin Truman5, un fonds
souverain peut se définir comme un fonds public investissant sur des actifs
majoritairement internationaux gérés de façon autonome afin de réaliser
une diversité d’objectifs économiques et financiers. Pour certains, cette
approche demande à être précisée : Alain Demarolle6 considère notamment que l’horizon de long terme retenu sur lequel se fonde la stratégie
d’investissement est un des éléments permettant de caractériser un fonds
souverain. Clay Lowery7 privilégie quant à lui une définition plus précise
encore : outre une importante exposition aux actifs étrangers et un horizon
de placement à long terme, un fonds souverain doit avoir une haute tolérance au risque et, inversement, ne pas avoir d’engagement contractuel
de passif, à la différence notamment des fonds d’investissement privés.
Ces différentes approches montrent que le périmètre des fonds souverains
variera en fonction de la nature plus ou moins restrictive de la définition
retenue. Pour certains, la France serait ainsi dotée de fonds souverains.
Selon Pascal Junghans8 notamment, « le premier de ces fonds souverains
a été créé en 1816… en France. C’est la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sa puissance est alimentée par les dépôts des notaires et les
réserves des caisses d’épargne ». Le Fonds stratégique d’investissement,
intégré à BpiFrance en juillet 2013 (voir chapitre précédent), a de la même
façon souvent été présenté comme « un fonds souverain à la française ». Il
en va de même pour le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Il faut,
de ce point de vue, qu’il existe, comme l’affirme Benoît Cœuré9, « une
continuité entre les différentes formes d’investissement public. Fonds
souverains, fonds de réserve pour les retraites financés par des ressources
budgétaires (comme le FRR français) ou par des cotisations à des caisses
de retraite (comme la Caisse des dépôts du Québec), grandes entreprises
publiques (comme le russe Gazprom, les bourses du Moyen-Orient ou
les grandes banques chinoises) et banques centrales : les gouvernements
peuvent à tout instant réallouer des ressources entre ces différents types de
fonds. […] Mieux vaut donc abandonner la notion trop étroite de fonds
souverains pour celle, plus pertinente, de fonds publics ».
5. Edwin M. Truman, « The Rise of Sovereign Wealth Funds : Impacts on US Foreign Policy
and Economic Interests », témoignage devant le Committee on Foreign Affairs, US House
of Representatives, Washington, 21 mai 2008.
6. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et
de l’Emploi, mai 2008.
7. Clay Lowery, « Sovereign Wealth Funds and the International Financial System », discours à
la Federal Reserve Bank of San Francisco’s Conference on the Asian Financial Crisis, 21 juin
2007.
8. Pascal Junghans, « Les fonds souverains, agents d’une vision patrimoniale de la mondialisation », Géoéconomie, n° 47, 2008/4, p. 51-68 (p. 52).
9. Benoît Cœuré, « Vivre avec les fonds souverains », in Jean-Paul Betbèze (dir.), Fonds souverains. À nouvelle crise, nouvelle solution ?, op. cit., p. 26.
130
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
De quelque nature qu’ils soient, ces fonds disposent d’une capacité d’investissement sans précédent. Le Government Pension Fund Global norvégien, plus grand fonds souverain au monde, créé en 1990, gérait ainsi, au
30 septembre 2013, 785 milliards de dollars alimentés par les exploitations
du gaz et du pétrole10, soit environ 1,3 % de la capitalisation boursière11
mondiale. Le second plus grand fonds au monde, l’Abu Dhabi Investment
Authority (Adia), créé en 1976 et localisé aux Émirats arabes unis (Abu
Dhabi), gérerait quant à lui près de 773 milliards de dollars, selon le SWF
Institute. La Chine n’est naturellement pas absente de cette dynamique :
les deux fonds dont elle dispose, China Investment Corporation (CIC) et
State Administration of Foreign Exchange, étaient alimentés par ses excédents commerciaux et dotés respectivement de 652,7 et 567,9 milliards de
dollars en 2014. Au total, l’ensemble des fonds souverains au monde, soit
une soixantaine, géreraient, en 2014, plus de 6 500 milliards de dollars,
soit plus de deux fois le PIB de la France. Ce chiffre est en forte croissance
depuis 2006, où les actifs sous gestion avoisinaient 2 500 milliards. À titre
de comparaison, l’ensemble des fonds d’investissement détenaient en 2011,
selon l’OCDE, environ 29 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion et
les compagnies d’assurances, 24 000 milliards. Les fonds souverains sont
donc aujourd’hui des acteurs incontournables des marchés financiers et¸
in fine, du financement de l’économie.
Fonds souverains et financement des pays d’accueil :
une ambiguïté à nuancer
Menace ou opportunité ? Cette interrogation est récurrente dès lors qu’elle
porte sur les fonds souverains. Toutefois, la réponse qu’il convient de lui
apporter n’est pas univoque tant ces investisseurs diffèrent au regard non
seulement de leur stratégie d’investissement, mais également de leur mode
de gouvernance. Bien qu’ils représentent une source de financement accrue,
bénéfique tant pour les entreprises que pour les États, les fonds souverains
sont en outre la face visible d’un déséquilibre macroéconomique international important qui pourrait largement peser sur la stabilité financière et
la croissance économique des pays récipiendaires.
10. La Norvège était le onzième plus grand exportateur mondial de pétrole en 2012 et se situait
à la troisième place mondiale des exportateurs nets de gaz naturel en 2013, selon l’Agence
internationale de l’énergie.
11. La capitalisation boursière représente le nombre d’actions d’une entreprise ou, plus globalement d’une bourse, multiplié par la valeur de marché de ces actions. Elle est donc un indicateur de « taille » financière d’une entreprise ou d’une bourse.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
131
Une stratégie de diversification financière ou des velléités
politiques ?
Le mois d’octobre de l’année 2005 marque, sans aucun doute possible,
un changement radical dans la perception que les pays d’accueil se font
des investissements réalisés par les fonds souverains sur leurs territoires. À
cette époque, en effet, la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, plus connue en France sous le nom de P & O, est à vendre. Dubai
Ports World, filiale de Dubai World, un des fonds souverains de l’émirat
de Dubaï, se montre intéressée. Alors que le principe de l’opération est
approuvé par le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis
(Committee on Foreign Investment in the United States ou CFIUS) et soutenu par le président Bush, début 2006, une fraction du Congrès marque
son émoi. P & O gère en effet plusieurs ports américains, dont celui de
New York, et l’idée qu’ils puissent passer sous le contrôle d’une puissance
étrangère souveraine est perçue comme une menace pour la sécurité nationale. Pour Jean Matouk12, « la souveraineté visée par l’adjectif “souverain”
tient au fait que ces fonds sont la propriété d’États souverains et que les
décisions de placement vont pouvoir apparaître, même sans aucun fondement, comme des décisions en partie “politiques” ».
Les stratégies menées par les fonds souverains ne seraient alors pas fondées,
à l’instar des investisseurs traditionnels, sur de simples critères financiers
mais pourraient soit poursuivre des visées géopolitiques, soit servir l’acquisition de technologies ou d’informations sensibles. Le manque de transparence dont font preuve certains fonds en matière de critères et stratégies
d’investissement, mais également de gouvernance vient assez naturellement
renforcer cette perception. En dépit d’une dénomination commune, force
est de constater à cet égard que les fonds souverains ne peuvent, au regard
de ce critère, être considérés comme une classe d’investisseurs homogènes.
À la différence de ses homologues souverains russes ou chinois, le fonds
norvégien est ainsi souvent montré comme un exemple de transparence.
L’instrumentalisation politique qui peut être faite d’un fonds ne signifie
pas par ailleurs nécessairement que l’économie des pays « d’accueil » en
soit affectée. Ainsi, le fonds souverain iranien Iran Oil Stabilization Fund,
répondant en théorie aux critères des fonds de stabilisation, est suspecté
d’être utilisé pour alléger le coût économique de l’embargo que le pays doit
supporter sans que cela vienne directement menacer les intérêts stratégiques
d’autres nations. Rappelons, à titre d’illustration, que, en août 2014, le
groupe russe pétrolier Rosneft a également demandé le soutien d’un des
deux fonds souverains russes afin de faire face aux sanctions économiques
occidentales dans le cadre du dossier ukrainien.
12. Jean Matouk, « De la souveraineté financière », Revue d’économie financière, vol. 9, n° horssérie, 2009, p. 61-72 (p. 68).
132
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Alors qu’un sentiment de méfiance à leur égard semble s’accroître, la crise
financière vient, en 2007, rebattre les cartes du jeu politique, et faire des
fonds souverains des investisseurs providentiels et patients, capables de
supporter les faibles valorisations boursières que le monde bancaire et
financier connaît alors. À l’image d’une banque centrale à même d’être
le prêteur en dernier ressort afin d’assurer la stabilité financière d’un pays
ou d’un groupe de pays, les fonds souverains joueraient ainsi le même
rôle au profit d’un secteur bancaire et financier en détresse. Pour Simon
Johnson13 notamment, les fonds souverains « visent probablement de longues échéances et, comme les autres investisseurs à long terme, ils sont
disposés à intervenir lorsque les prix des actifs chutent, exerçant ainsi une
influence stabilisatrice sur le système financier mondial ».
C’est ainsi que le fonds chinois CIC acquiert, par exemple, en
décembre 2007, 9,9 % du capital de la banque Morgan Stanley en échange
de quelque 5 milliards de dollars, tandis que le fonds Adia porte sa participation dans le capital de Citigroup, une autre banque américaine, à 4,9 %,
pour un montant de 7,5 milliards de dollars. Au total, entre l’été 2007
et la fin de l’année 2008, les prises de participation dans les institutions
financières occidentales s’élèvent à environ 83 milliards de dollars alors
qu’elles étaient de « seulement » 1,7 milliard de dollars en 2006. De ce
point de vue, il semble clair que le risque de contagion systémique auquel
le secteur bancaire est alors confronté aurait été bien plus important en
l’absence de fonds souverains14. Il n’est cependant pas certain que toutes
les interventions aient été motivées par le désir altruiste de contribuer à
la stabilité financière internationale. Comme le suggèrent Bertrand Blancheton et Yves Jégourel15, les fonds souverains ont également agi en investisseurs opportunistes désireux d’acquérir à bon prix des valeurs bancaires
et financières largement dépréciées par le contexte macroéconomique qui
prévaut alors. À l’instar de l’ensemble des intervenants sur les marchés
financiers, ils sont pris eux aussi dans la tourmente de la crise et perdent
alors des sommes conséquentes. On estime ainsi que près de 150 milliards de dollars ont été perdus par ces investisseurs pour le seul troisième
trimestre 200816. Les ressources des fonds souverains s’en sont trouvées
naturellement affectées.
Les investissements réalisés par les fonds souverains durant cette période
de grande instabilité financière ne furent d’ailleurs pas tous tournés vers
13. Simon Johnson, « La montée en puissance des fonds souverains. Nous ne savons pas grand
chose de ces gigantesques fonds publics », Finances & développement, vol. 44, n° 3, septembre 2007, p. 56-57 (p. 57).
14. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, op. cit.
15. Bertrand Blancheton et Yves Jégourel, « Les fonds souverains : un nouveau mode de régulation du capitalisme financier ? », Revue de la régulation, n° 5, 1er semestre 2009.
16. Renaud Bouchard, « Fonds souverains et finance islamique », Revue d’économie financière,
vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 251-257.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
133
les grandes banques internationales. Certains avaient pour unique ambition de soutenir une économie nationale et un secteur boursier largement
déprimés par l’environnement économique et financier mondial. À l’image
de la Russie ou de la Chine, nombre de pays ont, en effet, au lendemain
de la crise, recentré la stratégie des fonds souverains qu’ils détiennent en
faveur de leur propre économie. Le président russe, Vladimir Poutine,
avait ainsi choisi, en 2012, de limiter les investissements internationaux
du National Welfare Fund pour les orienter vers des obligations d’État
nationales et ainsi faciliter le financement d’infrastructures indispensables
pour le développement de l’économie russe17. De ce point de vue, on ne
peut que constater que les répercussions de la crise financière sur la sphère
réelle n’épargnèrent pas plus les fonds souverains que l’ensemble des acteurs
économiques. Ceci est d’autant plus vrai que la morosité économique des
pays de l’OCDE pèse sur leur demande intérieure, ce qui a eu pour effet
d’infléchir le cours des matières premières, et donc, comparativement, de
limiter les ressources financières dont ces fonds disposent.
Une source de financement clé pour les économies d’accueil
Bien que le risque de « dérive géopolitique » ne puisse, pour certains fonds,
être écarté, on doit reconnaître que les fonds souverains sont devenus des
partenaires économiques incontournables, tant des entreprises que des États.
Une étude d’April Knill et alii 18 met de ce point de vue en évidence le fait
que, contrairement aux enseignements des théories politiques traditionnelles, les fonds souverains tendent à investir comparativement plus dans
des pays avec lesquels ils entretiennent des relations politiques distantes,
avec pour conséquence une amélioration des relations diplomatiques, une
fois l’investissement réalisé. Soutiens essentiels du secteur bancaire durant
la crise des subprimes, actionnaires courtisés des grands groupes industriels,
investisseurs grandissants du capital-investissement ou partenaires privilégiés de certaines opérations immobilières de grande ampleur, les fonds
souverains sont désormais indispensables au financement des économies
européennes et américaine.
Les entreprises sont en quête permanente de financement afin de soutenir leur développement. Le chapitre précédent fut l’occasion de montrer
la relative inadéquation du financement bancaire lorsque celles-ci sont
innovantes et, consécutivement, de souligner l’importance stratégique
des apports en fonds propres. Il n’est dès lors pas surprenant que nombre
17. Voir notamment sur ce sujet Ellen Barry, « Russia’s History Should Guide Its Future, Putin
Says », The New York Times, 12 décembre 2012.
18. April Knill, Bong-Soo Lee, Nathan Mauck, « Bilateral Political Relations and Sovereign Wealth
Fund Investment », Journal of Corporate Finance, vol. 18, n° 1, février 2012, p. 108-123.
134
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
d’entreprises des pays occidentaux, et notamment la France, voient d’un
œil très favorable la présence d’un fonds souverain en tant qu’actionnaire.
Ceci est d’autant plus vrai que le fonds souverain est réputé être un investisseur de long terme, capable de rester dans le capital de l’entreprise lorsque
sa valorisation boursière, lorsqu’elle est cotée, ou son résultat net se détériore à court terme19. Historiquement attirés par les titres d’État, les fonds
souverains, confrontés à la baisse du rendement des marchés obligataires
observée depuis 2012, se tournent ainsi progressivement vers des actifs
plus risqués mais également plus rentables, à l’image des actions. Le fonds
chinois CIC consacrait ainsi 40,4 % de son portefeuille à investir sur des
actions cotées en décembre 2013, alors que cette proportion n’était que
de 3,2 % à la fin de l’année 2008. Une étude réalisée par Jason Kotter et
Ugur Lel20 confirme cet argument et démontre que les fonds souverains
investissent en moyenne dans des grandes entreprises ayant le plus souvent des problèmes de financement, et que ces prises de participation sont
traditionnellement appréciées des marchés financiers, contribuant ainsi à
une meilleure valorisation boursière à court terme.
La France n’est pas exclue de cette dynamique, et nombre d’entreprises
hexagonales comptent les fonds souverains parmi leurs actionnaires : Total,
GDFSuez, Vinci, Veolia, Areva, Lagardère, Airbus Group (ex-EADS) et
Sanofi en sont autant d’exemples. L’investissement dans les fonds propres
d’une entreprise occidentale n’est pas le seul mode d’intervention de ces
géants financiers. Des logiques partenariales sont ainsi développées au travers de co-entreprises (joint-ventures), associant, souvent à parts égales, fonds
souverains et entreprises, ou d’accords de partenariats industriels, à l’instar
de celui signé pour la création, à El Ain aux Émirats arabes unis, d’une
usine de composants aéronautiques entre le fonds d’Abu Dhabi Mubadala
et EADS en 2009. Quelle que soit la forme du partenariat financier qui est
adoptée, la présence d’un fonds souverain est également souvent perçue,
pour l’entreprise d’accueil, comme un levier pour accéder aux marchés
étrangers. Pour Alain Demarolle21, le constat est clair : « L’économie française a donc besoin des investissements des fonds souverains pour assurer
de façon efficace le financement de ses entreprises. Il est dans son intérêt
de faire passer un message d’ouverture à l’égard de tous les investisseurs
étrangers et plus particulièrement des fonds souverains. »
Ce qui vaut pour les entreprises ne vaut pas nécessairement pour les États.
Certes, de toute évidence, la forte appétence historique des fonds souve-
19. Thibaut Sartre, « Les grandes entreprises françaises face aux fonds souverains », Revue d’économie financière, n° 103, 2011/3, p. 277-296.
20. Jason Kotter, Ugur Lel, « Friends or Foes ? Target Selection Decisions of Sovereign Wealth
Funds and Their Consequences », Journal of Financial Economics, vol. 101, n° 2, août 2011,
p. 360-381.
21. Alain Demarolle, Rapport sur les fonds souverains, op. cit., p. 21.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
135
rains pour les titres obligataires et, plus globalement, l’existence d’agents à
forte capacité de financement constituent, dans un contexte de creusement
des déficits publics, des éléments favorables. Cependant, la crise de 2007
contribue à limiter in fine le rôle des fonds souverains, de deux façons :
– les politiques monétaires non conventionnelles (voir chapitre 3) de la
Banque fédérale américaine, dans le cadre du « quantitative easing » (v. supra,
p. 90), et de la BCE, favorisent le rachat des titres de dettes souveraines et
bancaires, ce qui limite potentiellement le recours à d’autres investisseurs ;
– la crise favorise, en second lieu, le retour de l’épargne des investisseurs
institutionnels « traditionnels » (organismes de placements collectifs, fonds
de pension, compagnie d’assurances) vers des titres d’État des pays de
l’OCDE, jugés moins risqués que des investissements dans les pays émergents. L’abondance de capitaux qui en résulte tire les taux d’intérêt vers
le bas : le coût plus faible de la dette redonne des degrés de liberté aux
gouvernements occidentaux pour soutenir, par un engagement financier,
les économies nationales.
Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue macroéconomique, l’existence de telles institutions et leur très grande montée en puissance sont
représentatives de la forte mutation des équilibres économiques mondiaux,
qui ont vu, depuis le début des années 1980, les déficits courants de la
balance des paiements s’accroître dans les pays industrialisés et les excédents
commerciaux s’accumuler dans les pays dits « du Sud » ou émergents. En
d’autres termes, le Sud finance le Nord. Pour John Gieve22, « l’attention
portée aux questions de transparence et de stratégie d’investissement des
fonds souverains ne saurait masquer un constat politique bien plus important : la récente et rapide progression des fonds souverains est le reflet de
déséquilibres mondiaux persistants de grande ampleur, qui représentent
une constante menace pour la stabilité du système financier et de l’économie mondiale ». La question de la déflation, définie comme une baisse
prolongée du niveau général des prix, est alors posée.
Il n’est en effet pas impossible que les investissements massifs réalisés par
ces acteurs et l’effet d’entraînement qu’ils pourraient alimenter favorisent
l’émergence de bulles spéculatives sur des actifs pas suffisamment liquides,
tels que l’immobilier ou les actions non cotées. Lors de l’éclatement de ces
bulles, selon le mécanisme bien connu de la déflation par la dette décrit par
Irving Fisher23, la vente des actifs favorise logiquement la baisse des prix et
renforce l’incapacité des agents en besoin de financement à honorer leur
dette. La spirale dette/déflation entre alors en jeu (figure 13).
22. John Gieve, « Fonds souverains et déséquilibres financiers mondiaux », Revue d’économie
financière, vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 171-187 (p. 181).
23. Irving Fisher, Booms and Depressions : Some First Principles, op. cit.
136
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Figure 13.
La spirale déflationniste liée au surendettement
Ventes de détresse
(produits, actifs)
Surendettement
et contrainte
de remboursement
Baisse des prix
Difficultés
de remboursement
Source : Robert Boyer, « Japon : de la décennie
perdue à un improbable New Deal », Centre pour
la recherche économique et ses applications
(Cepremap), Document de travail, n° 2004-04,
avril 2004, p. 19, d’après Keiichiro Kobayashi.
Dans le cas des États, le rééquilibrage budgétaire qu’impose tôt ou tard
une dette excessive, peut, de la même façon, conduire à une contraction
de l’activité, lorsque la valeur du multiplicateur budgétaire est sous-estimée
(voir chapitre 2). Dans la mesure où les salaires nominaux sont rigides à
court terme, l’austérité budgétaire pèse sur le revenu national et induit
une réduction des profits des entreprises. Celles-ci privilégient alors une
politique de licenciement. L’effet dépressif que cette dynamique produit
sur la demande interne alimente une baisse des prix. Si les ménages prévoient, compte tenu du contexte macro-économique dégradé, que cette
baisse est amenée à durer, ils tendent à reporter leur consommation et
créent, de ce fait, un phénomène déflationniste.
Comment accueillir les capitaux étrangers ?
Bien que l’existence de ressources abondantes et, a priori, investies à long
terme, soit un élément positif, le déséquilibre financier dont elles découlent
n’est donc pas sans soulever quelques interrogations. La première d’entre
elles porte sur la stratégie d’accompagnement que les pays d’accueil doivent
mettre en œuvre face aux développements des fonds souverains. La seconde
vise à déterminer s’il doit exister une égalité de traitement, en matière d’in-
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
137
vestissement, entre pays. La dernière dépasse le cadre des fonds souverains
et porte sur l’adaptation des sphères financières occidentales aux spécificités
de la finance islamique, vectrice de capitaux essentiels aux financements
des économies occidentales.
Les principes de Santiago
Avéré ou non, le risque politique que certains associent aux stratégies
d’investissement des fonds souverains a conduit les institutions financières
internationales à agir de concert avec ces géants financiers, afin de prévenir
l’adoption d’éventuelles mesures protectionnistes par les pays d’accueil.
La crainte était en effet que l’adoption unilatérale de mesures visant à
protéger les secteurs d’activité nationaux de l’investissement étranger,
qu’il provienne d’un fonds souverain ou de tout autre investisseur public,
n’entraîne une escalade de mesures protectionnistes et, indubitablement,
une aggravation des litiges financiers entre nations dont les conséquences
politiques seraient palpables. C’est ainsi qu’un groupe de travail, associant
le Fonds monétaire international et vingt-six pays membres de cette institution, s’est constitué afin de définir des principes et pratiques généralement acceptés (PPGA), dits « principes de Santiago ». Au nombre de
vingt-quatre, ces principes, définis en octobre 2008, ont pour objectif
de promouvoir un code de bonne conduite en faveur d’une plus grande
transparence des fonds et ainsi rassurer les pays d’accueil. En échange de
ces efforts, les fonds souverains ont légitimement encouragé « les pays destinataires à continuer de rendre plus transparents et non discriminatoires
leurs régimes d’investissement, à éviter le protectionnisme sous toutes ses
formes et à promouvoir un environnement d’investissement constructif
et mutuellement profitable »24.
Les cinq premiers PPGA se concentrent sur le cadre légal dans lequel
doivent évoluer les fonds souverains et énoncent les principes permettant
d’en accroître la transparence. Le deuxième principe souligne notamment
que « la finalité de la politique du Fonds souverain doit être clairement
définie et rendue publique », afin d’éviter toute crainte de dérive politique
de la part des pays d’accueil. Les principes 6 à 17 traitent du mode de gouvernance de ces véhicules d’investissement, précisant que « les opérations
et activités du Fonds souverain dans un pays d’accueil doivent s’effectuer
conformément à la réglementation en vigueur et aux obligations de communication de l’information financière de ce pays » et que « le cadre de
gouvernance et les objectifs, ainsi que le degré d’autonomie opérationnelle
de la direction du fonds souverain par rapport au propriétaire doivent être
24. Communiqué lors du Forum international des fonds d’investissement souverains (International
Forum of Sovereign Wealth Funds ou IFSWF) tenu à Bakou (Azerbaïdjan), le 9 octobre 2009.
138
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
rendus publics ». Les principes 18 à 23 portent, quant à eux, sur la stratégie d’investissement du fonds qui, conformément à n’importe quel fonds
d’investissement privé, doit avoir pour ambition de maximiser le couple
« rendement-risque » des capitaux sous gestion. Il s’agit, en d’autres termes,
de réaffirmer l’idée qu’un fonds souverain n’a pas d’ambition politique et
vise à mieux rémunérer une manne financière préalablement détenue sous
forme de réserves de change. Le dernier principe suggère enfin l’adoption
par le fonds d’une procédure de contrôle visant à s’assurer périodiquement
que les vingt-trois autres principes sont respectés.
Pour Justin O’Brien25, « la publication des principes de Santiago a beaucoup contribué à réduire le manque de responsabilisation dans le secteur
des fonds souverains. Les principes sont exhaustifs et, bien que fondés sur
le volontariat, ils fournissent un cadre cohérent pour évaluer les risques
concernant les institutions, le crédit, la régulation et la réputation ». On
doit cependant remarquer que l’édiction des principes de Santiago revêt
avant tout un caractère politique visant à assurer un cadre pour les investissements publics transnationaux, sans grande force réglementaire. La
liberté d’investissement, règle fondatrice du système monétaire international actuel, impose un traitement équitable de tous les investisseurs,
qu’ils soient publics ou privés. Le sous-principe 18-3 dispose pourtant que
la description de la politique d’investissement du fonds doit être rendue
publique, alors que cela n’est pas le cas pour les fonds d’investissement
tels que les fonds spéculatifs ou « hedge funds », dont on sait qu’ils peuvent
parfois contribuer à renforcer l’instabilité financière internationale. Force
est enfin de reconnaître que le débat s’est déplacé. Les fonds souverains,
qui ont largement suscité l’intérêt médiatique et nourri les débats dans les
sphères politiques nationales, ne sont qu’un des outils de financement à
disposition des pays à capacité de financement. Les pays récipiendaires ont
ainsi certes perçu tous les bénéfices qu’ils pouvaient retirer de ces investisseurs dotés d’une telle puissance financière, et les craintes d’un usage des
fonds souverains à des fins politiques ou géopolitiques semblent s’être largement atténuées. Dans le même temps, toutefois, l’idée que les secteurs
stratégiques d’une économie doivent être protégés de certains investissements étrangers s’est renforcée.
25. Justin O’Brien, « La crise mondiale de la titrisation et la dynamique des fonds souverains »,
Revue d’économie financière, vol. 9, n° hors-série, 2009, p. 291-303 (p. 301).
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
139
Les secteurs stratégiques et le principe de réciprocité
en question
Le phénomène de globalisation financière pourrait laisser penser que l’investissement transfrontalier est libre et que toute entrave à cette règle est
de nature à contrevenir aux principes du droit financier international, ou
européen dans le cas de la France. Ainsi, l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que « toutes les restrictions
aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États
membres et les pays tiers sont interdites ». L’UE reconnaît cependant que
ces investissements ne peuvent en aucun cas menacer la sécurité publique ou
nationale des États membres et autorise, en vertu de l’article 65 du même
traité, la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures de protection.
C’est ainsi que la plupart des pays ont défini une liste de secteurs ou d’activités économiques jugés stratégiques et pour lesquels tout investissement
étranger doit être préalablement autorisé par les autorités politiques du pays
d’accueil. Il revient néanmoins à la Commission européenne de s’assurer
que l’invocation de la protection de l’ordre public et de la sécurité de l’État
est légitime et n’est pas une forme de protectionnisme financier déguisé.
En France, un décret (n° 2014-479) sur les entreprises stratégiques, dit
« décret Montebourg », a été promulgué le 14 mai 2014. Il renforce celui
(n° 2005-1739) du 30 décembre 200526, appelé « décret anti-OPA », qui
définit onze secteurs stratégiques pour lesquels tout investissement supérieur
à 33,33 % doit recevoir l’autorisation du ministère de l’Économie : les jeux
d’argent ; les activités de sécurité privée ; celles ayant trait à la recherche,
au développement ou à la production relatives aux moyens destinés à faire
face à l’utilisation illicite d’agents pathogènes ou toxiques lors d’attaques
terroristes ; celles portant sur les matériels conçus pour l’interception des
correspondances et la détection à distance des conversations ; les services
d’évaluation et de certification de la sécurité offerte par les produits et les
systèmes des technologies de l’information ; les activités de production de
biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité
des systèmes d’information ; les technologies duales ; les activités et services de cryptologie ; les activités exercées par les entreprises dépositaires de
secrets de la défense nationale ; la recherche, la production et le commerce
d’armes, de munitions et d’explosifs ; ainsi que les activités exercées par
les entreprises ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipements au profit du ministère de la Défense. Avec l’adjonction, par le
décret du 14 mai 2014 précité, de l’approvisionnement en électricité, gaz,
hydrocarbures ou autre source énergétique, de l’exploitation des réseaux et
des services de transport, de l’approvisionnement en eau, du secteur des
26. Actualisé par un nouveau décret (n° 2012-691) du 7 mai 2012.
140
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
communications électroniques et de celui lié à la protection de la santé
publique, ce sont seize secteurs stratégiques qui prévalent en France.
De tels dispositifs existent dans le reste des pays industrialisés. Ainsi, aux
États-Unis, l’amendement Exon-Florio27 donne le pouvoir au Président,
au travers du CFIUS, évoqué précédemment, d’exercer un droit de veto
lors d’une prise de contrôle étrangère sur une entreprise américaine s’il
juge que la sécurité nationale est menacée. En Allemagne, le ministère de
l’Économie peut également bloquer, depuis 2009, tout investissement
étranger et, ce, dans n’importe quel secteur d’activité, dès lors que celuici est supérieur à 25 % du capital de l’entreprise cible et constitue une
menace pour l’ordre public et la sécurité nationale. Si aucune mesure
explicite de contrôle des investissements directs de l’étranger n’existe au
Royaume-Uni, d’autres réglementations, issues notamment de l’Enterprise
Act de 2002, permettent au gouvernement de bloquer des prises de participations étrangères.
On remarque qu’il y a, dans ce domaine, autant de réglementations que de
pays, sans harmonisation à l’échelle de l’Union européenne notamment.
La question des fonds souverains a, de ce point de vue, mis en lumière
l’asymétrie de traitement des investissements directs étrangers entre les pays
ayant un besoin de financement et ceux à capacité de financement. Selon
l’indice de restriction aux investissements directs de l’OCDE, la Chine
et le Myanmar (Birmanie) étaient ainsi, en 2013, les pays les plus fermés
aux capitaux étrangers. Disposant de deux fonds souverains, la Russie n’est
pas non plus un modèle d’ouverture : adoptant une vision extensive de la
notion de sécurité nationale, ce pays limite ou interdit les investissements
étrangers dans 42 secteurs d’activité. Si les IDE (investissements directs
étrangers) en Chine ont très largement progressé depuis les années 1980,
sous l’effet de la création des zones économiques spéciales notamment,
l’accès aux entreprises nationales demeure difficile en raison de procédures
de contrôle peu transparentes. Comme le rappellent les députés Jérôme
Lambert et Philippe Armand Martin28, « la Chine possède plus de deux
cents lois réglementant les investissements étrangers, et la complexité du
système ne peut être compensée que par des conseils locaux, familiers
d’une réglementation des plus éclatées ». La recherche de financements
extérieurs a cependant conduit la plupart des pays de l’OCDE à ne pas
revendiquer le principe de réciprocité qui consisterait à imposer aux pays
ayant une forte capacité de financement et disposant de fonds souverains
27. Exon-Florio National Security Test for Foreign Investment du 11 juillet 2007, qui amende le
Defense Production Act de 1950.
28. Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur les investissements
de provenance extra-communautaires et le contrôle des intérêts stratégiques européens et présenté
par MM. Jérôme Lambert et Philippe Armand Martin, Députés, Assemblée nationale, n° 1602,
4 décembre 2013, p. 22.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
141
d’offrir aux pays tiers une liberté d’investissement similaire à celle dans
lesquels ils investissent. La France présente ainsi un degré d’ouverture bien
supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE.
Finance islamique et économie française : contraintes
et opportunités
Passé relativement inaperçu en France, un fait inédit, indépendant de la
question des fonds souverains, a marqué l’histoire des finances publiques
du Royaume-Uni : le 25 juin 2014, le Trésor britannique s’est refinancé sur
les marchés en émettant, pour quelque 250 millions d’euros, un « sukuk »,
terme consacré pour évoquer les obligations conformes aux principes de
la loi islamique, et devient ainsi le premier pays « non musulman » à réaliser une telle opération de financement par émission de ce titre de dette.
L’islam prohibe en effet la notion d’intérêt. En conséquence, toute opération financière reposant sur le schéma traditionnel d’un prêt pourra,
d’un point de vue schématique, être contraire à la Fiqh al-Muamalat,
ensemble des règles de la Charia définissant notamment les transactions
financières. Des produits, issus de ce qu’il convient d’appeler la « finance
islamique » et visant à contourner cette contrainte, ont dès lors vu le jour
afin de capter une partie de la manne financière de certains pays musulmans favorables à l’interdiction de la « ribâ » (l’intérêt ou l’usure dans
l’islam), du « gharar » (la vente hasardeuse), du « maysir » (spéculation) et
prohibant les investissements illicites (« haram »). Deux institutions sont
aujourd’hui compétentes pour garantir que les produits financiers ainsi
émis sont bien conformes aux principes de la finance islamique : l’Islamic
Financial Services Board (IFSB) et l’Accounting and Auditing Organization
for Islamic Financial Institutions (AAOIFI).
Représentant encore, avec près de 1 800 milliards de dollars d’actifs bancaires et financiers à la fin 201329, une faible fraction de la finance internationale, la finance islamique connaît toutefois une très forte progression depuis plusieurs années avec un taux de croissance annuel de plus
de 16 % entre 2009 et 2013. Elle doit donc être pleinement considérée
dans le panel des stratégies financières qu’une nation peut poursuivre afin
d’assurer son financement et donc sa croissance. Ceci est d’autant plus
vrai qu’elle dispose d’un certain nombre de caractéristiques intéressantes.
Ainsi, pour Elyès Jouini et Olivier Pastré30, « les institutions financières
islamiques sont des investisseurs “patients” (même si la pratique peut
parfois démentir ce constat). Les principes fondamentaux de la Finance
29. Selon Kuwait Finance House Research.
30. Elyès Jouini et Olivier Pastré, Enjeux et opportunités du développement de la finance islamique
pour la place de Paris, Rapport, Paris Europlace, décembre 2008, p. 74.
142
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
islamique […] prédisposent naturellement ces opérateurs à prendre des
risques, à encourager l’entreprenariat et à s’engager plus facilement sur
le long terme. À l’inverse, ils découragent certains excès dont souffre la
finance moderne, comme la spéculation ou la déconnection complète
entre la sphère financière et l’économie réelle ».
Le potentiel de financement que la banque et la finance islamiques représentent, conjugué à la capacité « d’absorption » limitée de ces excédents
par les places financières des pays du Golfe, ont naturellement conduit
les gestionnaires de ces fonds à rechercher de nouveaux « débouchés »
financiers. De leur côté, les pays en besoin de financement se sont interrogés sur leur capacité à offrir un cadre juridique, réglementaire et fiscal
suffisamment attractif pour que de tels capitaux leur parviennent. L’attrait
qu’exerce la finance islamique ne vaut pas uniquement pour les pays « du
Nord », et force est de constater que son développement est inégal de par
le monde. Fortement implantée en Malaisie ou dans les pays du Golfe,
elle n’est que peu développée dans les pays du Maghreb, tels que le Maroc.
En Europe, c’est entre Paris et Londres que la compétition se joue pour
devenir la place boursière européenne de référence pour la finance islamique. Ainsi que le rappelle Ghassen Bouslama31, le cadre juridique de la
gestion d’actifs est, en France, parfaitement compatible avec le développement de produits d’investissement islamiques, mais la relative opacité
du traitement fiscal auquel il pouvait être assujetti était, avant 2008, un
frein à leur développement.
Comme l’évoque Georges Affaki32, la question était alors de savoir s’il
fallait « réformer le droit français pour le rendre plus compatible avec les
règles de la finance islamique ou à l’inverse, accueillir la finance islamique
comme des instruments juridiques étrangers ». C’est une des raisons pour
laquelle des aménagements fiscaux ont été réalisés, en décembre 2008, par
le ministère de l’Économie. L’objectif était notamment de lisser les disparités dans les niveaux de taxation entre la finance islamique et la finance
« conventionnelle ». Si l’on prend l’exemple de la « murabaha » (intermédiation), il faut en effet comprendre que, pour contourner la question
du prêt, la finance islamique fait intervenir un véhicule juridique qui
s’intercale entre le « prêteur » et l’emprunteur. Ce véhicule, pouvant être
créé à cette occasion, achète le bien auprès du vendeur pour le louer puis
le revendre à l’investisseur avec un paiement différé du prix. Deux opérations d’achat et de vente se substituent ainsi à l’opération d’emprunt,
mais celle-ci implique, si elle n’est pas identifiée comme telle, deux droits
d’enregistrement, ainsi que la taxation de ce qui pourrait être compris
31. Ghassen Bouslama, « La finance islamique : une récente histoire avec la France, une longue
histoire avec ses banques », Revue d’économie financière, vol. 9, n° 2, 2009, p. 325-350.
32. Georges Affaki, « La finance islamique en France : entre accueil et réforme », Revue Banque,
n° 725, juin 2010, p. 55-58 (p. 55).
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
143
comme une plus-value. En donnant une reconnaissance juridique aux
différents produits de la finance islamique, ces aménagements ont permis
d’harmoniser le traitement fiscal des différentes opérations financières,
qu’elles soient ou non « charia-compatibles ».
La bourse s’est également engagée dans une opération de « conquête » des
acteurs de la finance éthique. Nyse Euronext, en charge d’animer entre
autres la place boursière de Paris, a ainsi ouvert ses marchés à la cotation
des sukuks le 2 juillet 2009. Quelques avancées ont depuis été réalisées,
mais il n’est pas certain que la finance islamique rencontre en France le
succès qui lui était promis. L’exemple précité de l’émission de sukuks par
le Trésor britannique démontre notamment que le pragmatisme des autorités budgétaires de ce pays se conjugue avec le dynamisme et la capacité
d’innovation de la place boursière londonienne. Dans la compétition qui
se joue entre ces deux places, Londres semble de ce point de vue avoir
une longueur d’avance.
Vers l’affirmation d’un capitalisme d’État ?
La montée en puissance des fonds souverains ne peut être vue comme
un phénomène à part entière, car elle n’est qu’une des manifestations de
l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme dans laquelle les acteurs
publics jouent un rôle non négligeable. La globalisation économique et
financière qu’ont connue les pays industrialisés et émergents a, sans aucun
doute possible, favorisé le développement des mécanismes de marché, qu’ils
soient commerciaux ou financiers. L’ouverture des frontières commerciales et la liberté d’investissement sont des principes qui ont été maintes
fois réaffirmés, notamment par les organisations multilatérales telles que
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou le FMI. On pourrait,
de ce point de vue, conclure à une diminution du rôle des acteurs publics,
et notamment de l’État, dans l’organisation des systèmes économiques et
financiers, nationaux comme internationaux.
L’image d’Épinal voudrait alors que les privatisations massives aient conduit
à une réduction du rôle de l’État sur les marchés commerciaux et que la
financiarisation des économies ait progressivement limité la capacité d’intervention des États sur les marchés financiers et les ait condamnés à n’être
« que » des régulateurs et, pour de nombreux pays, qu’ils soient émergents
ou industrialisés, des emprunteurs sur les marchés financiers s’exposant
à la sanction des spéculateurs en cas de politique économique erronée. Il
n’en est naturellement rien, tant que l’action de l’État peut influencer la
dynamique capitaliste de l’économie dont il a la charge.
144
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Les chapitres du présent ouvrage consacrés à la politique budgétaire et aux
politiques d’innovation ont été l’occasion de démontrer toute l’importance
des prises de participation de l’État français dans des entreprises jugées
stratégiques, au travers de l’Agence des participations de l’État ou de la
Banque publique d’investissement. Ce chapitre démontre quant à lui que
la montée en puissance des fonds souverains dans le monde a réveillé les
velléités des pays récipiendaires de ne pas autoriser des investissements
directs à l’étranger qui seraient de nature à menacer la sécurité nationale.
De ce point de vue, on doit constater que le capitalisme a, depuis une
décennie, changé de nature : les mécanismes concurrentiels y sont réaffirmés, tandis que l’État et les institutions publiques utilisent de façon
accrue tous les outils que leur offrent les marchés, notamment financiers.
Au-delà des aspects institutionnels, la frontière qui séparait les acteurs
publics et privés au regard de leurs actions économiques s’estompe. D’un
point de vue relatif, il est certain que le poids du secteur public est, en tant
qu’investisseur, plus limité que celui du secteur privé. De la même façon,
les moyens d’action de l’État, dans un contexte de rareté des ressources,
sont limités mais les ambitions stratégiques qu’ils servent sont renforcées.
La promotion du patriotisme économique, notamment en France, en est
une des manifestations. Ceci n’implique pas nécessairement une « dérive
politique » lorsqu’un État, qu’il soit étranger ou non, investit dans une
entreprise ou un secteur d’activité. À cet égard, l’ambigüité du terme
« stratégique », qui contribua certainement à cristalliser les opinions sur
le risque politique associé au développement des fonds souverains, doit
être levée. Les acteurs publics, qu’ils soient des fonds souverains ou non,
réalisent des investissements stratégiques sans que cela ne puisse poser
problème, bien au contraire. C’est à l’État, qui dispose d’une large vision,
qu’il revient d’impulser et d’orienter les financements de secteurs jugés
essentiels pour le développement de l’économie à long terme, qu’il s’agisse
des infrastructures, de secteurs industriels comme ceux de l’automobile
ou de l’aéronautique, ainsi que les matières premières.
C’est dans cette logique que la France a affirmé, le 21 février 201433, sa
volonté de mettre en œuvre une Compagnie nationale des mines de France
(CMF), dotée de 200 à 400 millions d’euros de capacité d’investissement
sur cinq à sept ans et s’appuyant sur l’APE et l’expertise du Bureau de
recherches géologiques et minières (BRGM). Dans ce domaine, la France
suit ainsi l’exemple de la Japan Oil, Gas and Metals National Corporation
(JOGMEC), fondée en 2004 et dont la vocation est de sécuriser les approvisionnements en matières premières du pays, largement dépendants du
reste du monde. Ces entreprises, comme la plupart de celles servant les
33. Voir « Arnaud Montebourg : “La renaissance d’une compagnie nationale des mines” », interview dans Le Parisien du 21 février 2014.
ÉCONOMIE FRANÇAISE, PAYS ÉMERGENTS ET FONDS SOUVERAINS…
❮
145
intérêts stratégiques d’une nation, n’investissent que rarement de façon
agressive à l’étranger. D’importants partenariats ont été mis en place via,
notamment, des fonds de co-investissement ou des joint-ventures entre les
entreprises d’économies occidentales détenant un savoir-faire technique et
certaines entreprises publiques ou fonds souverains. Le transfert de compétences et de technologies n’est alors pas un risque, mais un élément clé
de la logique partenariale ainsi développée.
CONCLUSION
❮
147
C
onclusion
La mise en œuvre d’une politique publique est, sans aucun doute possible, particulièrement complexe tant les variables qui devraient assurer
son succès sont nombreuses et changeantes. Il n’y a, en cela, aucun schéma
mécanique permettant d’établir des relations de causes à effets stables permettant d’affirmer qu’il existe, pour chaque symptôme économique, un
remède infaillible. Cela est vrai pour la croissance comme pour le financement de l’économie. Ainsi que nous l’avons vu dans la partie introductive de cet ouvrage, réamorcer la pompe de la croissance économique
impose que les différentes composantes du produit intérieur brut que
sont la consommation, l’investissement, les dépenses publiques et le solde
extérieur soient financées et nécessite, dans le cas français, le recours aux
financements extérieurs, via les marchés financiers notamment. La crise
financière de 2007 a cependant montré toutes les limites et tous les dangers
d’un financement par les marchés sans une supervision publique forte, et
les nouvelles règles réglementaires et prudentielles mises en œuvre depuis
redessinent les cartes du financement de l’économie.
Qu’il s’engage dans des politiques volontaristes ou par le simple jeu des
stabilisateurs automatiques, l’État est naturellement un des acteurs incontournables du financement de l’économie. Contrainte par les règles du
Pacte de stabilité et de croissance et ébranlée par la crise économique, sa
capacité d’action est cependant émoussée. Comme nous l’avons vu dans
le cadre du chapitre 1, la recherche de relais auprès d’organismes supranationaux tels que la BEI ou, à l’inverse, locaux tels que les conseils régionaux, est essentielle. La mise en œuvre de partenariats public-privé et, plus
globalement, la recherche d’un effet d’entraînement, visant à impulser par
l’investissement public le financement privé, sont également une priorité.
Deuxième pilier de l’action publique, la politique monétaire au sein de
la zone euro a su pleinement se réformer. Privilégiant traditionnellement
l’objectif de stabilité des prix, la BCE a en effet, dans un contexte de crise
économique marquée, suivi l’exemple de la Banque fédérale américaine
et significativement baissé ses taux directeurs afin de soutenir la croissance
économique. Conséquence de cette politique, l’État français a pu, à la
fin novembre 2014, emprunter à long terme sur les marchés financiers à
moins de 1 %, taux historiquement bas. L’objectif de stabilité financière
a également été recherché par la banque centrale, faisant des « politiques
non conventionnelles » une nouvelle modalité de mise en œuvre de la
politique monétaire. Commune à l’ensemble des pays de la zone euro, la
148
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
politique monétaire ne peut cependant répondre à elle seule aux besoins
de financement de l’économie française. La baisse considérable des prix
pétroliers observée sur le second semestre de l’année 2014 renforce en
outre le risque de déflation en zone euro et celui d’une inefficacité à terme
de la politique monétaire.
Les pouvoirs publics ont également mis en œuvre des actions plus ciblées,
en faveur de ce qui est reconnu pour être un catalyseur de la croissance
économique. Le chapitre 4 fut ainsi l’occasion de rappeler l’importance des
politiques de soutien à l’innovation, dont le dispositif du crédit d’impôt
recherche constitue un élément aujourd’hui incontournable. Trois types de
politique sont ainsi privilégiés : l’incitation fiscale à l’effort de recherche et
développement, l’encouragement aux partenariats public-privé en matière
de recherche et le soutien financier, direct ou indirect, aux entreprises innovantes. Parmi l’ensemble des dispositifs, le crédit d’impôt recherche, dont
les effets positifs sont peu contestés, permettrait d’encourager à long terme
l’effort de recherche et développement privé. La question du financement
des entreprises innovantes, via notamment les mécanismes de marché, est
également essentielle.
S’interroger sur le rôle des puissances publiques dans le financement de
l’économie impose de considérer les politiques qui favorisent l’entrée de
capitaux étrangers et finançant l’investissement productif. Ce fut l’objectif
du dernier chapitre de cet ouvrage, au travers de la question des fonds
souverains et de la finance islamique. Dans un contexte de globalisation
financière et de contraintes budgétaires dans la plupart des pays industrialisés, la capacité à attirer des ressources stables, placées à long terme,
apparaît comme une des conditions sine qua non du financement de la
croissance. Face à l’affirmation d’un capitalisme d’État, il semble nécessaire
de réaffirmer un cadre fiscal, légal et réglementaire favorable à l’accueil
de telles ressources, dans le respect du principe de réciprocité. On ne saurait cependant faire reposer la réussite macroéconomique d’un pays sur
les seules politiques publiques, tant les variables influençant la croissance
sont nombreuses et intimement liées au contexte économique mondial.
ANNEXES
❮
149
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Les caractéristiques du financement de l’économie française
Allen (Franklin), Beck (Thorsten) et Carletti (Elena), « Banques en Europe :
conséquences des récentes réformes réglementaires », Revue d’économie financière, n° 112,
2013/4, p. 21-36.
Couppey-Soubeyran (Jézabel) et Nijdam (Christophe), Parlons banque en 30 questions,
coll. « Doc’en poche-Entrez dans l’actu », La Documentation française, Paris, 2014.
Couppey-Soubeyran (Jézabel), Garnier (Olivier) et Pollin (Jean-Paul), Le financement
de l’économie dans le nouveau contexte réglementaire, coll. « Les rapports du Conseil d’analyse
économique », La Documentation française, Paris, 2013.
Cour des comptes, L’État et le financement de l’économie, rapport public thématique,
juillet 2012.
Dietsch (Michel) et Mahieux (Xavier), « Comprendre le déficit de financement des PME
pour stimuler leur croissance », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 17-30.
Dossier « La finance mise au pas ? », Cahiers français, n° 375, juillet-août 2013.
Liikanen (Erkki), « Quelles leçons avons-nous apprises de la crise financière ? », Revue
d’économie financière, n° 112, 2013/4, p. 111-121.
Mishkin (Frederic S.), Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson, Montreuil, 10e éd.,
2013.
Paris Europlace, Financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers
une croissance durable, février 2013.
Pons (Jean-François) et Quatre (Benjamin), « L’impact de Bâle III sur les prêts aux PME :
l’heure de vérité approche », Revue d’économie financière, n° 114, 2014/2, p. 233-240.
Schackmann-Fallis (Karl-Peter) et Weiss (Mirko), « Régulation des marchés financiers et
financement des entreprises », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 209-231.
Scialom (Laurence), Économie bancaire, coll. « Repères. Économie », La Découverte, Paris,
4e éd., 2013.
Les instruments du soutien public au financement de l’économie
Agence des participations de l’État, L’État actionnaire. Rapport annuel 2014, 2014.
Bouthevillain (Carine), Dufrénot (Gilles), Frouté (Philippe) et Paul (Laurent), Les
politiques budgétaires dans la crise. Comprendre les enjeux actuels et les défis futurs, coll.
« Ouvertures économiques », De Boeck, Bruxelles, 2013.
Creel (Jérôme), Heyer (Éric) et Plane (Mathieu), « Petit précis de politique budgétaire par
tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE, n° 116,
janvier 2011, p. 61-88.
Fontaine Vive (Philippe de), « Le groupe BEI et le financement des PME en Europe après
la crise », Revue d’économie financière, vol. 114, n° 2, 2014, p. 267-276.
Gouiffès (Pierre-François), L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française,
coll. « Les Études », La Documentation française, Paris, 2013.
150
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
Kempf (Hubert), « Avons-nous besoin d’une union budgétaire en Europe ? », Revue
économique, vol. 64, n° 3, mai 2013, p. 379-403.
Sénat, Rapport d’information fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur les partenariats
publics-privés, par MM. Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli, Sénateurs, n° 733, 16 juillet
2014.
L’influence de la politique monétaire de la BCE sur l’économie
française
Artus (Patrick), « Les défis pour les banques centrales après la crise », Revue d’économie
financière, vol. 113, n° 1, 2014, p. 217-226.
Banque de France, Rapport annuel 2013, mars 2014.
Betbèze (Jean-Paul), Bordes (Christian), Couppey-Soubeyran (Jézabel) et Plihon
(Dominique), Banques centrales et stabilité financière, coll. « Les rapports du Conseil
d’analyse économique », La Documentation française, Paris, 2011.
Bordes (Christian), « La Banque centrale européenne en action au cours de la crise », La
Revue du financier, vol. 34, n° 197, septembre-octobre 2012, p. 47-64.
Clerc (Laurent) et Raymond (Robert), « Les banques centrales et la stabilité financière :
nouveau rôle, nouveau mandat, nouveaux défis ? », Revue d’économie financière, vol. 113,
n° 2, 2014, p. 193-214.
Ripert (Marie-Pierre), « Les différentes politiques monétaires non conventionnelles : la
BCE et la Fed », Natixis, Flash Économie, n° 524, 27 juillet 2012.
Timbeau (Xavier) (dir.), « Banques centrales, dernier rempart contre la déflation.
Perspectives 2014-2015 pour l’économie mondiale », Revue de l’OFCE. Analyse et prévisions,
n° 135, avril 2014, p. 11-51.
Le financement de l’innovation
Bellégo (Christophe) et Dortet-Bernadet (Vincent), « L’impact de la participation
aux pôles de compétitivité sur les PME et les ETI », Économie et statistique, n° 471,
octobre 2014, p. 65-83.
Beylat (Jean-Luc) et Tambourin (Pierre), L’innovation : un enjeu majeur pour la France.
Dynamiser la croissance des entreprises innovantes, Ministère du Redressement productifMinistère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avril 2013.
Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de
la recherche, communication à la Commission des finances de l’Assemblée nationale,
juillet 2013.
Cour des comptes, Le financement public de la recherche, un enjeu national, rapport public
thématique, juin 2013.
Dore (Gwénaël), « Les capacités des régions françaises en matière de développement
économique et d’innovation », Innovations, n° 44, 2014/2, p. 127-150.
Dortet-Bernadet (Vincent) et Sicsic (Michaël), « Aides à la R & D pour les petites
entreprises », Insee, Les entreprises en France. Édition 2014, coll. « Insee Références », 2014,
p. 27-41.
Erdyn, Technopolis et BearingPoint, Étude portant sur l’évaluation des pôles de
compétitivité. Rapport global, 15 juin 2012.
ANNEXES
❮
151
Froehlicher (Thomas) et Barès (Franck), « Pôles de compétitivité et clusters, vers des
écosystèmes de croissance ? », Entreprendre & innover, vol. 4, n° 23, automne 2014, p. 4558.
Gallois (Louis), Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier
ministre, 5 novembre 2012.
Jégourel (Yves), « Acteurs publics et capital-investissement : une analyse critique », Revue
française de gestion, vol. 40, n° 241, 2014, p. 31-44.
Martel (Laurent) et Masse (Alexis), Mission d’évaluation sur le crédit d’impôt recherche,
n° 2010-M-035-02, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi-Ministère du
Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État, septembre 2010.
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Examens de
l’OCDE des politiques d’innovation : France, version préliminaire, 2014.
Reinhart (Laure), « De l’Anvar à BpiFrance, en passant par Oséo : les grandes étapes du
financement public de l’innovation », Annales des Mines-Réalités industrielles, n° 2014/1,
février 2014, p. 46-50.
Villemeur (Alain), « Quelles politiques publiques pour favoriser l’innovation et la
croissance économique ? », Annales des Mines-Réalités industrielles, n° 2014/1, février 2014,
p. 16-20.
Les fonds souverains
Assemblée nationale, Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes
sur les investissements de provenance extra-communautaires et le contrôle des intérêts stratégiques
européens et présenté par MM. Jérôme Lambert et Philippe Armand Martin, Députés, n° 1602,
4 décembre 2013.
Ben-Abdelkader (Fahmi), « En France, le grand retour du capitalisme d’État », Le Monde,
27 février 2014.
Bitar (Mohammad) et Madiès (Philippe), « Les spécificités des banques islamiques et la
réglementation de Bâle III », Revue d’économie financière, n° 111, 2013/3, p. 293-310.
Bodeau-Livinec (Pierre) (dir.), Les fonds souverains : entre affirmation et dilution de l’État
face à la mondialisation, A. Pedone, Paris, 2014.
Guesmi (Khaled), Nguyen (Duc Khuong), Sghaier (Nadia) et Teulon (Frédéric), « Les
fonds souverains et le spectre des États rentiers : le cas du Qatar », IPAG Economics &
Management Letters, n° 9, 2014.
Jégourel (Yves), « Fonds souverains : comment repenser le capitalisme d’État ? »,
Géoéconomie, n° 63, automne-hiver 2012, p. 85-97.
Jouaber-Snoussi (Kaouther), La finance islamique, coll. « Repères. Gestion », La
Découverte, Paris, 2012.
Martin (Virginie), « La finance islamique : un nouveau pas vers une finance éthique ? »,
Annales des Mines-Gérer et comprendre, n° 108, juin 2012, p. 15-26.
Sartre (Thibaut), « Les grandes entreprises françaises face aux fonds souverains », Revue
d’économie financière, n° 103, 2011/3, p. 277-296.
ANNEXES
LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS
APE : Agence des participations de l’État
APU : administrations publiques
BCE : Banque centrale européenne
BEI : Banque européenne d’investissement
Bpi : Banque publique d’investissement
CAE : Conseil d’analyse économique
CIR : crédit d’impôt recherche
DIRD : dépense intérieure de recherche et développement
DIRDE : dépense intérieure de recherche et développement des entreprises
DNRD : dépense nationale de recherche et développement
ETI : entreprises de taille intermédiaire
FCPI : fonds communs de placement dans l’innovation
Fed : Federal Reserve System
JEI : jeune entreprise innovante
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
Odac : organismes divers d’administration centrale
OPCVM : organismes de placement collectif en valeurs mobilières
PIB : produit intérieur brut
PME : petites et moyennes entreprises
R & D : recherche et développement
TCN : titres de créances négociables
TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TIC : technologies de l’information et de la communication
UE : Union européenne
❮
153
ANNEXES
❮
155
LISTE DES TABLEAUX, FIGURES ET ENCADRÉS
Tableaux
1. Évolution de la capacité de financement des secteurs institutionnels en France
(2009-2013) (en milliards d’euros), p. 18
2. Évolution de la dette publique et du déficit français au sens de Maastricht (2006-2013)
(en % du PIB), p. 46
3. Les objectifs et principaux textes de la nouvelle gouvernance européenne, p. 47
4. Principaux instruments publics mobilisés pour le financement de l’économie française :
montants et effets de levier (flux annuels 2010, en milliards d’euros), p. 48
5. La participation de l’État dans les entreprises cotées au 14 novembre 2014, p. 52
6. Les principales cessions, augmentations de capital, prises de participation et fusions de
l’État depuis 2005, p. 54
7. Taux d’épargne des ménages (1995-2013) (en %), p. 58
8. Principaux placements financiers des ménages français (2012-2013)
(montants annuels – flux en milliards d’euros), p. 60
9. Les activités de garantie de la Banque publique d’investissement (2012-2013)
(en millions d’euros et en %), p. 62
10. Activité de financement de la Banque publique d’investissement (2012-2013)
(en millions d’euros et en %), p. 62
11. Les mandats des banques centrales américaine, européenne, anglaise
et japonaise, p. 83
12. Le modèle linéaire classique de l’innovation, p. 99
13. Évolution de la DIRD (1981-2012) (en %) et part de la DIRD dans le PIB (en %),
p. 104
14. Évolution de la répartition de l’effort de recherche et développement (1981-2011)
(en % du montant total de DIRD ou de DNRD), p. 105
15. Évolution de la répartition de la DIRD publique (2006-2012) (en millions d’euros),
p. 106
16. Positionnement stratégique des pays de l’Union européenne en matière d’innovation,
p. 106
17. Les sociétés innovantes en France entre 2008 et 2010 (en %), p. 109
18. Correctifs aux défaillances de marché en matière de R & D, p. 111
Figures
1. Les modalités du financement de l’économie, p. 19
2. La structuration des marchés financiers, p. 26
3. Le fonctionnement simplifié d’une opération de titrisation, p. 33
4. Le circuit des aides à l’investissement en France (chiffres 2010, en millions d’euros), p. 49
5. L’organisation de Bpi Groupe, p. 61
156
❯ LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
6. Évolution des crédits accordés aux sociétés non financières en France (2008-2014)
(taux de croissance annuel, en %), p. 73
7. Le schéma français de recherche et d’innovation, p. 102
8. Évolution de la dépense nationale de recherche et développement (DNRD)
(2000-2012) (en millions d’euros), p. 103
9. Évolution de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD)
(2000-2013), p. 104
10. La France et la concurrence mondiale en matière de R & D en 2011 (ratio DIRD/PIB),
p. 108
11. Répartition des chercheurs en entreprise industrielle par branche de recherche en 2010
(en % du nombre total de chercheurs travaillant dans l’industrie), p. 110
12. Bilan des pôles de compétitivité (2008-2011), p. 118
13. La spirale déflationniste liée au surendettement, p. 136
Encadrés
Objectifs et modalités du financement de l’économie, p. 13
Le calcul de la capacité et du besoin de financement par la comptabilité nationale, p. 17
Les différentes mesures de l’intermédiation, p. 21
Stabilisateurs budgétaires automatiques et politiques budgétaires volontaristes, p. 39
Les lignes directrices de la stratégie de l’État actionnaire, p. 53
Les formes juridiques des partenariats public-privé, p. 57
La BEI et le Fonds européen pour les investissements stratégiques, p. 64
Les fonds d’investissement en Aquitaine, p. 65
L’initiative Jeremie Auvergne, p. 67
La règle de Taylor, p. 81
Les principaux canaux de transmission de la politique monétaire, p. 87
Les caractéristiques de la forward guidance de la BCE, p. 92
État d’avancement général du Programme d’investissements d’avenir (PIA)
à fin juillet 2014, p. 97
Le crédit d’impôt recherche (CIR), p. 112
Le dispositif de la jeune entreprise innovante (JEI), p. 115
Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, p. 119
Les axes de la politique de recherche en Allemagne, p. 123
études
Les
Parutions récentes
La délinquance des jeunes
Laurent Mucchielli (dir.), 2014, 160 p.
Le Conseil constitutionnel. 2e édition
Michel Verpeaux, 2014, 224 p.
L’industrie française de défense
Claude Serfati, 2014, 232 p.
La fonction publique en débat
Luc Rouban, 2014, 176 p.
L’industrie pharmaceutique. Règles, acteurs et pouvoir
Marie-Claude Bélis-Bergouignan, Matthieu Montalban et alii, 2014, 256 p.
Les immigrés en France
Jean-Yves Blum Le Coat et Mireille Eberhard (dir.), 2014, 208 p.
Le marché de l’art. 2e édition
Jean-Marie Schmitt et Antonia Dubrulle, 2014, 424 p.
La presse française. Au défi du numérique. 8e édition
Pierre Albert et Nathalie Sonnac, 2014, 208 p.
Droits syndicaux dans l’entreprise et liberté syndicale
Franck Petit, 2014, 304 p.
Les agences de presse. 2e édition
Henri Pigeat et Pierre Lesourd, 2014, 192 p.
Les finances locales. 2e édition
Fabrice Robert, 2013, 240 p.
L’aide et l’action sociales
Michel Borgetto et Robert Lafore, 2013, 224 p.
L’opposition parlementaire
Olivier Rozenberg et Éric Thiers (dir.), 2013, 224 p.
L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française
Pierre-François Gouiffès, 2013, 240 p.
Les institutions de la France en questions
Charles Waline, Marc Thoumelou et Samir Hammal, 2013, 256 p.
Le livre. Une filière en danger ? 4e édition
François Rouet, 2013, 240 p.
Les élections présidentielles sous la Ve République. 3e édition
Pierre Bréchon (dir.), 2013, 216 p.
DIRECTION DE L’INFORMATION LÉGALE
ET ADMINISTRATIVE
Commandes
Direction de l’information légale et administrative
Administration des ventes
26, rue Desaix
75727 Paris cedex 15
Télécopie : 01 40 15 68 00
www.ladocumentationfrancaise.fr
Notre librairie
29, quai Voltaire
75007 Paris
Téléphone : 01 40 15 71 10
Tarifs au 1er février 2015 : un an (12 nos)
– France métropolitaine : 95 € (TTC)
– France de l’outre-mer : 103,50 € (HT)
– Union européenne : 105 € (TTC)
– autres pays : 115 € (HT)
Téléchargement