Le théorème du lampadaire

publicité
Le théorème du lampadaire
Jean-Paul Fitoussi, 2013
On assiste à une crise de la science économique depuis 2007. Pour autant on cherche encore à comprendre
les enjeux du présent avec les lunettes des théories qui ont été invalidées, comme si les crises étaient justes
des parenthèses qui allaient se refermer rapidement.
John Quiggin parle de « zombie economics » pour désigner cet ensemble d'idées mortes qui errent toujours
parmi nous.
I. La théorie à la renverse
Nous sommes confrontés à l'incertitude qui est non probabilisable (Knight, à la différence du risque) pour
toute formule que ce soit.
Question : comment une théorie (néoclassique) dont les conclusions sont aussi contraires par l'expérience la
plus immédiate du monde peut-elle être dominante ?
L'économie n'est pas une science exacte en raison de la nature de son objet : l'activité humaine. Mais elle est
une science en ce qu'elle doit, quelle que soit la complexité de cet objet, tenté de l'appréhender en termes
rigoureux. La crise des années 30 a montré que le chômage était bien avant tout involontaire (c.f Les Raisins
de la Colère et On achève bien les chevaux).
Keynes a aussi montré que les marchés ne déterminent pas correctement le prix des actifs. On a des
comportements moutonniers (exemple du concours de beauté). Pour gagner, il faut deviner ce que pensent
les autres et non se fier à sa propre analyse de l'entreprise ou du débiteur dont on achète les titres. Pourtant,
on est toujours sous la domination dans ce domaine de la théorie d'Eugène Fama (école de Chicago) sur
l'efficience des marchés. Le génie de Keynes est d'avoir montré que les déséquilibres que l'on observe sur
un marché donné n'ont généralement pas pour cause le dysfonctionnement de ce marché. Le chômage, par
exemple, pourrait se développer alors même que les salaires sont à leur niveau d'équilibre, tout simplement
parce qu'il y a des défaillances financières : un taux d'intérêt trop élevé ou des contraintes de liquidités
notamment empêcheraient les ménages de consommer autant qu'ils le souhaiteraient et les entreprises
d'investir.
II. L'empire de la finance en crise
L'ensemble des banques commerciales, qui acceptent les dépôts des particuliers, qu'elles aient ou non
d'autres
activités
financières,
constituent
le
système
bancaire
proprement
dit.
Les autres institutions financières – banques d'investissement, compagnies hypothécaires, institutions de
titrisation, fonds de marché monétaire etc. – constituent le shadow banking. Le premier système est régulé,
l'autre non.
Subprimes : prêts hypothécaires consentis avec toujours moins de garanties. Leur rentabilité dépendait de
l'évolution des prix de l'immobilier, qui conditionnait la solvabilité des ménages.
Quand les cours boursiers augmentent, les marchés empochent la mise, mais quand il leur arrive de baisser,
la FED intervient massivement pour diminuer les pertes. Pour l'auteur, c'est une grave erreur de confier la
monnaie à des banques centrales indépendantes. Pour réguler la finance, il faut revenir au Glass Steagel Act
abandonné en 1991.
Le laxisme monétaire est différent du laxisme en matière de crédits hypothécaires. Si on met en place des
règles strictes, l'aléa moral du too big to fail est évité. L'efficacité de la politique monétaire aurait été
totalement
différent
si
on
n'avait
pas
laissé
les
marchés
financiers
libres.
Prêt Ninja : Prêt à des gens qui ont « no income, no job, no assets ».
III. Le financier et le savetier
Avant la crise, la sphère financière captait 40% du profit de l'économie aux USA. Prédation qui s'apparente à
une surfacturation des « services » rendus par la sphère financière en matière de financement de l'économie.
Le but des marchés financiers est de mettre en relation l'investissement et l'épargne en proposant des
placements plus ou moins risqués.
Le taux d'épargne aux USA était quasi-nul avant la crise.
L'auteur considère que la hausse des inégalités est la cause majeure de la crise financière. Une inégalité de
revenus entraîne une faiblesse de la demande globale. Aux USA le Top 1% des revenus a vu passer sa part de
10% à 23% du revenu national. Donc celle des 99% restants est passé de 90% à 77%. La politique monétaire
de ce fait a dû être expansionniste pour inciter les ménages à s'endetter. Le taux d'endettement des
ménages est passé de 60% de leur revenu en 1980 à 120% en 2007.
Justifications théoriques de tout cela :
1) Théorie du « ruissellement de la richesse ». Aphorisme de J.F Kennedy : « la marée
montante soulève tous les bateaux ». Bref, enrichissez les plus riches et tout le monde en
profitera. Cela marche si il y a aucun frein à la mobilité sociale or ce n'est pas le cas.
2) Car ils prennent des risques : Faux. Les évolutions qui se sont produites depuis les années
1980 ont consisté dans un déplacement du risque vers les personnes les plus fragiles de la
société. On a réduit la taille de l’État et notamment son rôle d'assureur en dernier ressort +
éloge de la flexibilité. Rendre le licenciement plus fragiles = transfert du risque des
entreprises vers les ménages.
IV. Des États fédérés orphelins d'une fédération
Zoom sur la zone euro avec enfantement de deux autres crises spécifiques mais liées : crise des dettes
souveraines et crise bancaire.
Capacité auto-réalisatrice des marchés : la méfiance vis-à-vis d'un débiteur peut le rendre insolvable in fine.
Les banques qui détiennent une part relativement importante des titres publics subissent de ce fait une
dégradation potentielle de leur bilan et vont réduire leurs crédits à l'économie.
La crise économique accentue les deux autres crises (diminution des recettes fiscales, hausse des dépenses
sociales). Pensée unique en Europe empêche toute réforme : si vous trouvez que les règles de l'UE ne sont
pas bonnes c'est que vous êtes contre l'Europe. Zone euro a été mal construite. L'auteur s'est prononcé contre
le traité de Lisbonne en 2005. L'Europe a besoin de démocratie. Une vraie constitution doit être courte et
concerne le temps long de la démocratie, ne doit pas s'aventurer dans les détails de la politique économique à
mener (constitution aux USA = 4 400 mots).
Le déficit démocratie en Europe est un miroir de nos sociétés tant les démocraties nationales ont accepté de
se lier les mains pour permettre à la chose publique de devenir européenne. Gouvernement de l'Europe =
gouvernement par des règles et non par des choix politiques. On a une gestion de la zone euro par des
autorités indépendantes juxtaposées plutôt qu'un véritable processus politique de décision.
L'Espagne, l'Italie et l'Irlande sur le plan budgétaire ont été plus vertueux que l'Allemagne et la France avant
la crise contrairement aux idées reçues. La solution des dévaluations internes et de la déflation salariale est
catastrophique. Alternative aujourd'hui : se soumettre aux exigences européennes ou prendre la
responsabilité des choses ?
V. Une fédération monétaire sans solidarité budgétaire, ou les vices de construction de la zone
euro
Règle du no hail out = stupide. Interdiction de solidarité. Double tutelle aujourd'hui : celle des marchés et
celle des pays créanciers. Seule la BCE essaye de calmer le jeu, seule entité vraiment fédérale. Draghi a été
la seule voix claire et crédible alors que les gouvernements étaient dans l'indécision.
Premier problème : les dettes sont nationales mais la monnaie est communautaire. Les États membres de la
zone euro émettent des emprunts en une monnaie sur laquelle ils n'ont aucun contrôle. Avec la perte de
contrôle de leur BC, les pays membres s'exposent au risque d'insolvabilité. Les prophéties auto-réalisatrices
des marchés peuvent s'effectuer facilement. La spéculation sur les dettes a remplacé la spéculation sur les
changes. La menace sur la solvabilité d'un État met directement en danger son son système bancaire (fuite de
capitaux, baisse des dépôts...).
→ Il faut créer un titre unique de dette dans la zone euro. Cette dernière deviendrait du coup une fédération
complète.
→ Nécessité d'une Union Bancaire. Les systèmes bancaires nationaux seraient garantis à l'échelle fédérale.
On brise ainsi le cercle vicieux entre crise des dettes souveraines et crise bancaire. Dans le projet actuel on
ne sait pas si ce sont toutes les banques ou toutes les too big to fail qui sont concernées. On ne sait pas non
plus quelle part de la garantie incombe incombe aux États Membres et quelle part à la zone euro. Aujourd'hui
on a juste un mécanisme de supervision bancaire de 200 banques par la BCE qui entrera en 2014.
→ Le MES qui remplace l'absence de solidarité budgétaire doit être réformé. Aujourd'hui l'Allemagne, la
France et l'Italie ont un droit de veto sur les décisions prises. Les prêts ne doivent plus être assortis de
conditionnalités strictes. Par ailleurs, la puissance de feu doit être augmentée : elle est aujourd'hui de 500
milliards d'euros alors que la somme des dettes publiques espagnoles et italiennes est de 3000 milliards
d'euros). Besoin que le MES puisse escompter au guichet de la BCE.
Deuxième problème : Politique monétaire unique, taux d'intérêt unique avec des pays très différents. Comme
il n'y a pas de mécanismes budgétaires correcteurs cela peut engendrer des déséquilibres cumulatifs. Besoin
d'un budget fédéral : les pays dynamiques paieraient plus d'impôts et recevraient moins de subventions et
vice-versa.
La compétitivité, dans ce cadre, apparaît comme le seul levier qui reste aux gouvernements. Ne peuvent plus
activer une politique monétaire, ni une politique de change, ni une politique budgétaire. Pour augmenter la
demande globale il ne reste plus qu'à essayer d'accroître les exportations.
VI. Sur les chemins de l'austérité, peut-on encore rêver d'Europe ?
Pourquoi l'Europe est-elle allée aussi loin dans l'adoption des règles de la nouvelle économie classique et du
monétarisme ?
Lorsque les critères de la réputation sont la discipline budgétaire et la vertu monétaire, et que la réputation
importe pour faire entendre sa voix dans le club européen, il s'établit une espèce de « concours de beauté »
où chacun est incité à surenchérir.
Critique des politiques d'austérité. Trouve la réalité d'aujourd'hui franchement laide alors que son visage
aurait pu être plus avenant. Effectue un rêve fédéraliste à base de démocratie européenne avec un peuple
européen qui aurait la parole.
VII. La mesure de toute chose
Carré magique de Kaldor, les objectifs de la politique économique devraient être :
• Le plein emploi (le plus important)
• La croissance
• La stabilité des prix
• L'équilibre extérieur
→ Pourtant, la plein emploi a été sacrifié pour l'objectif de stabilité des prix puis de l'équilibre budgétaire.
Nous voulons faire du PIB la mesure de toute chose – performance, bien-être, qualité de vie – alors qu'il ne
représente qu'une mesure de l'activité économique non marchande. La mesure de la croissance doit être
accompagnée d'un indicateur d'évolution des inégalités.
L'évolution vers une plus grande flexibilité du marché du travail pourrait affecter négativement au-moins
deux des facteurs déterminants du bien-être :
➢ La qualité des emplois (la quête d'un emploi décent)
➢ La sécurité économique
NB : L'auteur a beaucoup travaillé avec Stiglitz mais surtout Amartya Sen.
8 déterminants objectifs au bien-être : la santé, l'éducation, le travail, la participation politique, les liens
sociaux, le degré d'insécurité personnelle, le degré d'insécurité économique, l'environnement.
→ Tant que les politiques économiques seront fondées sur les mesures traditionnelles de la comptabilité
nationale, elles pourront avoir des effets collatéraux défavorables, sur nombre de déterminants du bien-être.
Besoin d'un véritable indicateur de soutenabilité car aujourd'hui le développement durable est un concept très
flou où chacun y met ce qu'il désire.
La soutenabilité est composée de 4 sous sphères : économique, social, environnemental et politique qui
entretiennent des relations étroites entre elles.
Conséquences des politiques d'austérité en temps de récession :
1. Destruction du capital humain : le chômage est en hausse partout et notamment le chômage des
jeunes et de longue durée. Destruction amplifiée par la baisse des dépenses dans l'éducation et la
diminution des dépenses de santé également
2. Réduction du capital social : l'exclusion du marché du travail restreint le périmètre des relations
sociales des individus. Emploi = moyen privilégié des relations sociales notamment car offre à la
personne la dignité liée à l'intégration à la Cité. Les personnes en plus se sentent aujourd'hui
responsables de leur échec.
3. Capital naturel également affecté : la diminution des dépenses concerne aussi les services
environnementaux, la rénovation urbaine et l'investissement dans les nouvelles technologies de
l'énergie et de l'environnement.
4. Capital public menacé : recommandations de privatisation.
Téléchargement