Stérilisation tubaire : ce qui a changé Tubal sterilization: what has changed Dossier D ossier P. Panel*, P. This * et ** L e 4 juillet 2001, l’Assemblée nationale votait en catimini, au cours d’une séance de nuit et en lien avec une loi modifiant la pratique de l’IVG, les dispositions autorisant la pratique de la stérilisation tubaire (ST). Six ans après, faisons le bilan de ce que cela a modifié. Le premier constat est qu’aucun chiffre national officiel n’existe pour estimer quantitativement cette pratique. Pourtant, ce n’est pas faute d’alimenter consciencieusement la CCAM (Classification commune des actes médicaux) en codes divers et variés de plus en plus précis. Le deuxième est que les femmes sont encore relativement peu et mal informées de l’existence de cette loi et de son contenu, comme on peut facilement s’en rendre compte en visitant les forums de discussion sur Internet. Le troisième est que nombre de médecins sont encore réticents à accéder à la demande de leurs patientes qui, “de bouche à oreille”, ont entendu dire que cela était possible. “Vous êtes trop jeune” est le leitmotiv communément rapporté et ce quel que soit l’âge de la patiente. “Vous n’avez qu’un ou deux enfants” est le second leitmotiv, comme si le chiffre trois avait un caractère magique. Certes, d’après les résultats d’une enquête permanente sur les conditions de vie auprès de 2 600 hommes et femmes âgés de 15 ans à 45 ans, menée en collaboration entre l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et l’INED (Institut national d’études démographiques), on retiendra que le nombre “idéal” d’enfants est plutôt de trois (2,6 en moyenne), qu’il est supérieur au renouvellement des générations, mais qu’il présente un écart de 0,37 enfant en moyenne par famille par rapport à la réalité (2,23 en moyenne) [1]. Surtout, les études sur le sujet nous ont appris le fréquent regret de “l’enfant de plus”. La problématique n’est donc pas quantitative mais bien celle du “deuil” de la fertilité. Trop souvent encore, notre approche est plus “médico-technique” que “psychosociologique”. Trop souvent, les médecins que nous sommes transposent, à leur insu, leurs propres représentations, histoires, frustrations, pour accorder ou non de façon régalienne leur blanc-seing à cette stérilisation. Et c’est bien cela que la loi a profondément changé. Car, avant la loi, les médecins qui pratiquaient ces ST devaient nécessairement se “couvrir” et donc limiter les indications qu’ils posaient, * Service de gynécologie obstétrique, hôpital de Versailles, 177, rue de Versailles, 78157 Le Chesnay Cedex. ** Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75231 Paris Cedex 05. La Lettre du Gynécologue - n ° 328-329 - janvier-février 2008 comme peuvent être posées des indications de césariennes, en y associant plus ou moins la femme concernée. Même si leur démarche procédait d’une bonne intention, la crainte du procès les conduisait bien souvent à décider seuls “en leur âme et/ou conscience” ce qui était bon où non pour leurs patientes. Avant 2001, la pratique réalisée, malgré son caractère illégal, était somme toute relativement importante – de l’ordre de 40 000 par an. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans son avis du 3 avril 1996, notait déjà : “Certaines personnes qui souhaiteraient avoir accès à une stérilisation contraceptive rencontrent des difficultés car l’état du droit leur interdit cette possibilité ; en revanche, d’autres personnes, souvent vulnérables, n’ont aucune demande de stérilisation, mais se la voient proposée dans des conditions discutables quant à leur consentement. Par ailleurs, certains chirurgiens pratiquent des interventions aux conséquences stérilisantes, qui répondent bien à la condition légale d’une nécessité thérapeutique, sans respecter toujours l’exigence d’une information et d’un consentement préalables.” Le CCNE constatait : “qu’un manque de clarté quant à l’état du droit en vigueur se traduit dans la pratique par des conceptions divergentes de ce qui est acceptable en matière de stérilisation” et en concluait : “que cet état de fait appelle un débat de société sur les situations dans lesquelles on peut estimer que la suppression de la capacité de procréer est moralement acceptable” (2). Certes, le 27 juillet 1999, l’article 16-3 du code civil avait été modifié par l’article 70 de la loi n° 99-641. À l’adjectif “thérapeutique”, qui pouvait prêter à interprétation restrictive, a été substitué l’adjectif “médical” : “Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne.” Certes, dans un rapport adopté le 18 avril 2000, l’Académie de médecine et le conseil de l’ordre avaient entrouvert la porte : “Pour des raisons médicales précises, le médecin peut être amené à porter l’indication d’une telle contraception, qu’il y ait une demande initiale du patient ou que sa situation conduise à le lui proposer” (3). Cependant, paradoxalement, le caractère limitatif de cette loi et de cet avis, donnait au médecin le pouvoir absolu de décider, suivant ses représentions psychosociales, ses alibis médicaux et éventuellement son humeur du moment, de réaliser ou non ce geste. Certains praticiens (de ceux pour qui braver un interdit constitue un devoir moral) pouvaient effectuer ce geste de façon “militante”, sans percevoir que cela renforçait avant tout leur ego et leur sentiment de toute puissance. D’autres praticiens 15 Dossier D ossier pouvaient pratiquer une ST, car tel ou tel problème médical (antécédent thromboembolique, cardiovasculaire et même une troisième césarienne) rendait, de leur point de vue, une nouvelle grossesse trop dangereuse, sans toujours prendre le temps suffisant pour écouter les patientes (ou les couples) concerné(e)s et les aider à discerner ce que cela impliquait pour eux. Au fond, qui sommes-nous pour juger de tout cela ? C’est bien cela que la loi de 2001 a changé : la pratique en la matière ne doit plus se situer dans le domaine de la toute puissance médicale, mais bien dans celui de l’information, de l’accompagnement, de la révélation des préférences, de la décision médicale partagée. Cette révolution dans l’exercice de la médecine n’est pas nouvelle et a été ouverte par les patients atteints du virus du sida. Clairement, cette loi marque un tournant éthique dans le domaine de la gynécologie, et ouvre une ère nouvelle dans notre pratique. D’autre part, en 2008, un autre changement va faire tomber le deuxième rempart derrière lequel pouvaient encore se retrancher certains praticiens, celui des indications restrictives de la méthode ESSURE. En effet, l’avis du 12 mai 2004 de la commission d’évaluation des produits et prestations de la Haute Autorité de Santé (HAS) stipulait dans ses recommandations à la rubrique “indications” que cette méthode s’adressait aux “femmes désirant une stérilisation permanente et pour lesquelles l’abord cœlioscopique est risqué (pathologies cardiaques, maladies thromboemboliques, obésité…)” (4). Ainsi, cela pouvait finalement se traduire par un refus médical “déguisé” si, par ailleurs, la ST cœlioscopique était présentée sous un jour peu fiable (1,5 % de grossesse) et dangereux (1 décès pour 40 000). Le 31 octobre 2007, l’HAS s’est prononcée de la façon suivante : cette méthode peut être proposée aux “femmes majeures en âge de procréer souhaitant une stérilisation tubaire permanente comme moyen de contraception définitive et irréversible”. L’avis de la commission précise : “ESSURE présente un intérêt pour la santé publique dans la prévention des grossesses non désirées” et encore : “Chez la femme autour ou après 40 ans, ESSURE peut être proposé comme technique de stérilisation en première intention” (5). À l’heure où l’Institut national pour la prévention et l’éducation pour la santé (INPES) lance une grande campagne d’information au slogan non équivoque : “La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit” (6), il est grand temps de considérer que la ST fait effectivement partie de l’arsenal contraceptif, permanent birth control disent les Anglo-Saxons, et que ce choix revient à la patiente. Bien évidemment, comme le souligne l’HAS dans ses recommandations de décembre 2004 sur les Stratégies de choix des méthodes contraceptives chez la femme : “Il est recommandé de n’envisager cette méthode chez les femmes jeunes ou nullipares qu’avec la plus grande réserve et la plus grande précaution” et “il est recommandé d’évoquer de manière systématique avec la femme qui envisage cette méthode le risque de regret potentiel et d’explorer avec elle ses motivations et son désir d’enfant” (7). Bien sûr, Il faut parfois du temps avant d’envisager une ST, et parfois aussi l’aide d’un psychologue, mais tous les acteurs en sortent grandis. Au-delà de l’information et de l’éclairage, il s’agit de redonner aux femmes tous les éléments et les clés du processus décisionnel. n Références bibliographiques 1. Le Voyer AC. Les processus menant au désir d’enfant en France. Dossiers et Recherches, INED, septembre 1998, n° 75. http://www.caf.fr/web/WebCnaf.nsf/ 090ba6646193ccc8c125684f005898f3/05783a834ef8f96cc125730f0047b03f/ $FILE/RP64-1-CCrepin.pdf 2. Comité consultatif national d’éthique. Rapport sur la stérilisation envisagée comme mode de contraception définitive. 3 avril 1996, n° 50. http://www.ccneethique.fr/docs/fr/avis050.pdf 3. Académie nationale de médecine. Stérilisation chirurgicale et article 16-3 du code civil. Rapport adopté le 18 avril 2000. http://www.academie-medecine. fr/detailPublication.cfm?idRub=26&idLigne=135 4. Haute Autorité de Santé. ESSURE ESS 202, dispositif pour stérilisation tubaire par voie hystéroscopique. Avis de la commission d’évaluation des produits et prestations. 12 mai 2004. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/pp020246.pdf 5. Haute Autorité de Santé. ESSURE, dispositif pour stérilisation tubaire par voie hystéroscopique. Avis de la commission d’évaluation des produits et prestations. 31 octobre 2007. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/cepp-1359essure.pdf 6. http://www.choisirsacontraception.fr/ 7. Recommandations professionnelles de l’HAS. Stratégies de choix des méthodes contraceptives chez la femme. Décembre 2004. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/recommandations_contraception_vvd-2006. pdf Les articles publiés dans “La Lettre du Gynécologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. 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