Cancers canalaires et lobulaires : Quelles sont les différences pour l

Parmi les nombreux types histologiques différents que le cancer du sein com-
porte, les carcinomes canalaires et lobulaires se distinguent et souvent s’opposent
sur différents critères pathologiques. D’abord la fréquence :
Les carcinomes canalaires et lobulaires constituent les deux types histologiques
les plus fréquents de cancers infiltrants du sein. La forme canalaire domine l’en-
semble des types histologiques et représente plus de la moitié des types histolo-
giques des carcinomes infiltrants. La forme lobulaire, seconde par sa fréquence, ne
constitue que 5 à 10 % des cancers. Sa fréquence a toutefois augmenté par la recon-
naissance de nouveaux sous-types auparavant rattachés aux formes canalaires. De
plus, les traitements hormonaux, contraceptifs oraux (1) et surtout traitement hor-
monal substitutif (2, 3), ont également été incriminés dans l’augmentation préfé-
rentielle des formes lobulaires par rapport aux formes canalaires chez les femmes de
plus de 50 ans.
Définition et aspect microscopique
Le carcinome canalaire infiltrant tient son nom de l’origine présumée des cellules
tumorales : selon les travaux de Wellings, la majorité des cancers naîtraient de la
jonction entre canal galactophore terminal et lobules (4). Toutefois, il s’agit sur le
plan histologique d’une définition par exclusion, ce carcinome ne devant présenter
aucune caractéristique d’autres types histologiques individualisés (5). Il constitue
ainsi un groupe hétérogène de tumeur.
Le carcinome lobulaire infiltrant est constitué de cellules non cohésives (figure
1), se disposant isolément ou s’agençant de façon caractéristique en file indienne
(5). Il est généralement associé à une composante lobulaire in situ. Cette définition
recouvre uniquement la forme commune. De nombreux sous-types sont aujour-
d’hui identifiés, selon l’aspect cytologique des cellules carcinomateuses (histiocy-
toïde, à cellules indépendantes, pléomorphe, apocrine) et selon la disposition archi-
tecturale (tubulo-lobulaire, trabéculo-cordonnale, alvéolaire, solide).
Cancers canalaires et lobulaires :
Quelles sont les différences pour
l’anatomo-cyto-pathologiste ?
J.-M. Guinebretière
Le carcinome lobulaire dans sa forme commune associe un aspect cytologique
et architectural caractéristique. Les cellules, peu nombreuses, sont généralement de
petite taille, à noyaux arrondis et réguliers entre eux, et comportent des cytoplasmes
peu abondants, souvent occupés par des vacuoles de mucosécrétion (figure 1). En
raison de leur caractère non cohésif, les cellules infiltrent le tissu mammaire sous
forme d’éléments isolés ou se groupent en file indienne (figure 2). L’activité mito-
tique est extrêmement faible et les emboles vasculaires rares (6). En immuno-histo-
chimie, les carcinomes lobulaires sont caractérisés par la perte d’expression pour la
cadhérine E (figure 2) alors que les autres formes, notamment canalaires, sont posi-
tives (7). La cadhérine E est une molécule exprimée dans les épithéliums qui est
impliquée dans l’adhésion entre cellules. Sa détection par immuno-histochimie se
révèle utile en cas de prélèvements de petite taille (microbiopsie) et lors de formes
particulières, variantes ou forme mixte (8). Cette perte d’expression pour cette
molécule d’adhésion s’accorde avec la faible cohésion des cellules infiltrant isolé-
ment, alors que la forme canalaire constitue des placards ou des tubes (9).
Figure 1 - Carcinome lobulaire infiltrant (HES x 40). La tumeur est formée de cellules de
taille et de forme homogènes, isolées ou constituant des files indiennes.
182 Cancer du sein
Figure 2 - Carcinome lobulaire infiltrant (Cadhérine E, x 400). Le marquage par la cadhérine
est visible sur les canaux galactophores normaux sous forme d’un marquage membranaire
rouge. Le carcinome lobulaire, ici pléomorphe, est totalement négatif.
Le carcinome canalaire apparaît beaucoup plus hétérogène d’une tumeur à
l’autre et au sein d’une même lésion. Il est généralement constitué de cellules de plus
grande taille et irrégulières entre elles, pourvues de cytoplasme plus abondant et
d’éosinophiles. Ces cellules sont plus cohésives, s’agençant tantôt en tubes, en travée
ou en massifs, plus rarement adoptant une architecture syncitiale. La composante in
situ, présente dans plus de 80 % des cas, est généralement intracanalaire (figure 3).
Une particularité du carcinome lobulaire consiste en la rareté des calcifications
qui lui sont associées : celles présentes sont souvent situées dans des lésions bénignes
d’accompagnement comme des kystes ou de l’adénose, parfois secondairement
colonisées par le carcinome. Très rarement, des calcifications s’observent dans la
composante lobulaire in situ lorsque celle-ci est importante, étendue aux canaux
galactophores, et comporte une comédonécrose (10).
Cette rareté, par rapport aux autres formes, fait considérer que le carcinome
lobulaire, qu’il soit in situ ou infiltrant, n’induit pas de calcifications.
Les variantes du carcinome lobulaire sont nombreuses et d’individualisation
plus récente. En fait, ces aspects sont fréquemment rencontrés mais minoritaires et
associés à la forme commune qui représente généralement plus de 70 % de la sur-
face tumorale. Ces formes correspondent d’abord à des aspects cytologiques parti-
culiers :
– la variante apocrine, formée de grandes cellules dont les abondants cytoplasmes
sont éosinophiles et granuleux et les noyaux centrés par un nucléole proéminent ;
– la forme histiocytoïde est constituée de cellules plus allongées, à noyaux excentrés
et à cytoplasmes abondants mimant des histiocytes (11) mais dont l’expression
des marqueurs épithéliaux et des récepteurs hormonaux permet de classer comme
carcinome (12) ;
Cancers canalaires et lobulaires : Quelles sont les différences … 183
Figure 3 - Carcinome canalaire infiltrant (HES x 50). Les cellules tumorales s’agencent en
tubes et canaux dont l’aspect est assez similaire aux canaux galactophores normaux. Elles
infiltrent le tissu normal et la graisse, entourée d’une stroma réaction fibro-élastosique et
s’accompagnent d’une composante intracanalaire de type massif
– enfin, la forme pléomorphe, aux cellules à l’anisonucléose marquée et à l’activité
mitotique souvent importante (figure 4). C’est cette variante qui peut surexprimer
Her2 (13).
Ces trois formes ont une disposition architecturale et un mode d’extension iden-
tique à celui de la forme commune. Les autres variantes correspondent à des carci-
nomes formés de cellules de type lobulaire, mais de disposition architecturale diffé-
rente (figure 5) – soit sous forme de travées, de tubes, d’alvéoles (14) – massive (15)
ou associant des tubes (16). Leur plus grande densité cellulaire et leur « stroma-
réaction » plus abondante constituent, à l’inverse de la forme commune, un nodule
plus ou moins bien délimité pouvant se palper, être visible en imagerie et s’indivi-
dualiser sur la pièce opératoire. L’âge de survenue de ces variantes histologiques est
discuté selon les séries, survenant pour certains chez des patientes plus âgées, pour
d’autres chez des patientes plus jeunes que la forme commune.
184 Cancer du sein
Figure 4 - Carcinome lobulaire infiltrant, variante pléomorphe (HES x 400). Cette forme se
caractérise par de plus grandes cellules tumorales, à cytoplasme abondant, à noyau irrégulier,
avec de nombreuses mitoses. Un infiltrat lymphocytaire est ici associé à la tumeur.
Figure 5 - Carcinome lobulaire infiltrant variante alvéolaire (HES x 400). La tumeur est
constituée par des cellules dont l’aspect cytologique est de type lobulaire mais qui se dispo-
sent en alvéoles ou en petites travées. La cadhérine E est négative.
Mode d’extension et stroma réaction
Le mode de propagation du carcinome lobulaire dans sa forme commune est égale-
ment caractéristique : les cellules infiltrent les lobules mammaires, les canaux, la
graisse, le muscle sous-jacent sans les détruire et en induisant de minimes modifi-
cations. Elles se propagent le long des canaux et des axes vasculo-nerveux qu’elles
préservent, ne constituant pas un nodule, mais une lésion faite de multiples prolon-
gements en continuité (figure 6). Cette particularité explique le caractère multicen-
trique et multifocal rapporté au carcinome lobulaire. L’infiltration insidieuse des
cellules est responsable de l’absence de tumeur visible facilement identifiable en cli-
nique, en imagerie et en macroscopie. La lésion se traduit à un stade tardif par une
plage indurée, se démarquant du tissu mammaire normal, généralement mal déli-
mitée et dont la taille est souvent inférieure à l’extension des lésions appréciée en
microscopie. Les signes cliniques et radiologiques tardifs et l’infiltration insidieuse
expliquent la taille plus grande de cette variété tumorale au moment du diagnostic.
La stroma-réaction est modérée, principalement fibreuse et pauvre en vaisseaux, en
comparaison avec la forme canalaire.
Ce caractère peut en partie expliquer la prise de contraste faible ou non caracté-
ristique parfois observée en IRM et en scanner après injection de produit de
contraste. La stroma-réaction, pauvre en éléments inflammatoires, entoure les cel-
lules mais respecte également les structures préexistantes.
À l’inverse, le carcinome canalaire infiltrant se propage aussi de proche en
proche, mais détruit progressivement les structures qu’il infiltre, remplacées pro-
gressivement par la stroma-réaction abondante fibreuse ou inflammatoire (figure
7). Lorsqu’elle est fibreuse, les fibres hyalines qui la constituent ont une capacité
élastique qui assure une attrac
tion du tissu mammaire (bandes fibreuses)
constituant
les spicules. En cas de stroma-réaction inflammatoire ou vasculaire, la tumeur tend
à refouler le tissu mammaire et constitue un nodule plus ou moins bien délimité.
Cancers canalaires et lobulaires : Quelles sont les différences … 185
Figure 6 - Carcinome lobulaire infiltrant (HES x 25). La tumeur infiltre le tissu fibro-adipeux
et les structures glandulaires normales, se propage le long des canaux et des vaisseaux mais
sans les détruire ce qui respecte l’architecture normale du sein.
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