THÉÂTRE ET HISTOIRE
NACRe. Intervention de Julie Sermon autour de Notre Terreur.
Simultanément, il faut encore pointer le fait, que si la révolution se théâtralise, ce n’est
pas seulement dans les théâtres. Ainsi, les représentants du peuple organisent
d’immenses fêtes civiques, qui sont vouées à célébrer les nouvelles institutions, la
mémoire des héros de la Révolution, l’unité des citoyens – voir, notamment, la fête de
l’Être Suprême… Plus généralement, on peut dire que, si l’histoire et la politique font leur
entrée sur les scènes, la politique elle-même est devenue un théâtre, avec ses héros
positifs (les révolutionnaires, qui se mettent en scène avec force rhétorique), et ses
héros négatifs (les contre-révolutionnaires et leur scène tragique : la guillotine).
Dernières choses à noter, qui concerne davantage la question juridique :
- Aux lendemains de la Révolution, les comédiens reçoivent les mêmes droits que
les autres individus, alors que depuis l’avènement du christianisme, ils sont des
parias, excommuniés par l’Eglise (qui ne lèvera l’excommunication qu’en 1844).
- De même, le monopole de l’exploitation théâtrale se voit levée : alors que seules
la Comédie-Française, l’Odéon et l’Opéra-comique avaient le droit de jouer des
textes (les théâtres de Foire étant, depuis les années 1770-1780, des théâtres de
pantomimes et de marionnettes), une loi datant du 13 janvier 1791 autorise
« tout citoyen [à] élever un théâtre public et y représenter des pièces de tous les
genres ». Fleurissent alors un nombre considérable de lieux de théâtre, et
notamment, des « café-théâtre » (où l’on a droit, pour un prix très accessible, à la
boisson et au spectacle) et surtout, les « théâtres de boulevard », où va
s’épanouir un nouveau genre, le mélodrame.
• Boulevard et mélodrame : du théâtre de la Révolution au théâtre
conformiste
Au cours des trois décennies qui précèdent la Révolution, sont nés les théâtres des
boulevards, qui prolongent la tradition des théâtres de la foire, dont ils reprennent le
répertoire et le public, et qui exploitent avec succès une veine facile et populaire :
spectacles d'enfants, marionnettes, parodies d’œuvres dérobées au répertoire, chansons,
petites farces, pantomimes, tours de force, animaux savants, ballets et musique. Ces
spectacles très courts (on jouait plusieurs pièces par soirée) attirent un public simple,
neuf et quelque peu ingénu.
Dès 1789, mais surtout, après que le décret du 13 janvier 1791 eut aboli le monopole
des théâtres nationaux, les petites salles des boulevards connaissent une période faste,
période d'expansion, de création effervescente, de vitalité. Pendant deux décennies, les
petits théâtres ne désemplissent pas. Certains soirs, on peut compter à Paris jusqu'à
quarante-trois spectacles différents. En pleine Terreur, on va rire aux lazzis d'Arlequin,
ou pleurer à une comédie larmoyante. Cette période prendra fin brusquement lorsque
Napoléon, en 1807, restaurera et renforcera les anciens privilèges.
Ce qu’on appelle « mélodrame » est un genre nouveau, fondé sur le mélange du rire et
des larmes (vs partition classique tragédie / comédie) : il prolonge en cela la théorie du
drame bourgeois (« comédie larmoyante », « tragédie domestique »), promu par Diderot
dès 1750.
Le mélodrame naît en même temps que la Révolution de 1789 – comme si l'intervention
de l'histoire dans la vie concrète des hommes de la rue, et le droit nouveau du tiers état
aux privilèges de la culture, étendaient le champ d'action du théâtre. Tous les historiens
du mélodrame insistent en effet sur le rôle déterminant de la Révolution. Au début du
19
ème
siècle, l’écrivain Charles Nodier analysera même le mélodrame comme « la
moralité de la Révolution » :
« À ces spectateurs qui sentaient la poudre et le sang, il fallait des émotions analogues à
celles dont le retour à l'ordre les avait sevrés. Il leur fallait des conspirations, des cachots,