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prédominent au sein du tableau clinique (Tableau 2) [5, 6].
Une autre distinction encore résidera dans l’origine fonc-
tionnelle ou organique des symptômes dépressifs ? Chez la
personne âgée, des symptômes dépressifs vont trouver fré-
quemment leur cause dans une affection physique. Doit-on
n’attribuer qu’une importance mineure à ces symptômes
lorsque nous appliquons les critères nosologiques, les critè-
res requis pour le diagnostic de dépression n’étant pas rem-
plis dans ce cas ? A l’inverse, peut-on vraiment parler de
« dépression » lorsqu’on a accordé une importance équiva-
lente à ces symptômes dépressifs explicables par une cause
physique ?
Chez la personne âgée, la dépression se présente très
souvent sous des formes atypiques [3] : algies inexpliquées,
plaintes somatiques dont le retentissement émotionnel ou
le handicap apparaissent disproportionnés, amaigrisse-
ments inexpliqués résolutifs sous traitements antidépres-
seurs… Face à ces tableaux, pouvons-nous affi rmer que
nous sommes en présence de dépressions à expression so-
matique prévalente ou de manière plus réaliste que ces
situations pathologiques nous renvoient à l’expression an-
glaise « Only God knows » (« Dieu seul le sait ») ! Avec la
notion d’avance en âge, est associée également la notion
de symptomatologie appauvrie, moins fl oride conduisant
au concept de dépression subsyndromique (défi ni par un
nombre de symptômes d’épisode dépressif majeur infé-
rieur à celui requis pour porter le diagnostic) [2]. Selon un
travail de Post [9], seulement un tiers des patients âgés
pourraient être qualifi és de «cas typiques», les 2/3 restants
recevant la qualifi cation de « dépressions atypiques ». Ceci
nous amènerait logiquement à conclure que la dépression
atypique est la forme la plus commune de dépression de
la personne âgée… Mais quelle information pourrions-nous
alors extraire d’essais cliniques dont les critères d’inclu-
sion concerneraient exclusivement les formes typiques
dans cette population ? Autrement dit, comment réunir un
échantillon homogène de cas atypiques pour qu’un essai
clinique puisse prétendre à une certaine une validité ?
Les diffi cultés d’adaptation sont habituelles chez les
personnes âgées, liées à l’avance en âge mais aussi à la
nécessité fréquente de modifi er, parfois drastiquement son
environnement familier. La notion de « Troubles de l’adap-
tation » des classifi cations nosologiques internationales
rend plus ou moins compte de ces situations. Selon ces clas-
sifi cations, l’évolution symptomatique doit être inférieure
à 6 mois et les symptômes doivent être mis en relation
avec un facteur déclenchant clairement identifi é [2]. Une
telle défi nition soulève des interrogations, en particulier
sur la pertinence du critère temporel. Comment qualifi er
cliniquement et classer une symptomatologie qui serait
persistante au-delà de 6 mois ? Ce seuil temporel, inférieur
ou supérieur à 6 mois, permet-il de distinguer réellement
deux situations pathologiques différentes ?
Illustrons ces interrogations par une situation clinique
que nous rencontrons très fréquemment dans la pratique
géronto-psychiatrique. Il s’agit des troubles de l’adaptation
avec humeur dépressive. Chez nos aînés, ces troubles s’ins-
crivent de façon assez fréquente en réaction à la perception
de pensions de retraite qui s’avèrent insuffi santes. Peut-on
concevoir alors qu’une augmentation des pensions serait la
meilleure stratégie thérapeutique ? La pérennité de la si-
tuation de stress va-t-elle déterminer l’évolution clinique
et la réponse éventuelle aux traitements antidépresseurs ?
Qu’en est-il des relations entre les notions de « troubles
adaptatifs » et de « deuil » ? Selon que les symptômes
persistent au-delà de 6 mois, entre 6 mois et deux ans ou
au-delà de deux ans, on parlera de troubles de l’adapta-
tion, de troubles de l’adaptation d’évolution chronique
ou encore de dysthymie mais les patients que distinguent
ces entités nosographiques sont-ils si différents les uns des
autres ? L’entité « troubles de l’adaptation » fait rarement
mention des diffi cultés à s’adapter à de nouvelles situations
fi nancières, domestiques, sociales qui sont surreprésentées
avec l’âge. A l’inverse, la part belle est souvent faite aux
spéculations psychologiques autour de la perte d’objet, de
l’émergence d’un sentiment de culpabilité… [1, 4].
Que dire encore du concept de « pseudo-démence » ?
S’agit-il d’une forme clinique de dépression avec sympto-
matologie cognitive prédominante dont le bon pronostic à
court terme se voit grevé par une évolution ultérieure défi -
citaire (75 % des cas), d’une forme d’affection démentielle
secondaire à certains sous-types de troubles de l’humeur
ou de manifestations symptomatiques d’allure démentielle
émaillant l’évolution d’autres troubles psychiatriques que
la dépression ? [1].
Que penser des louables tentatives de préciser la clini-
que au moyen d’échelles ? Leurs modalités d’élaboration
soulèvent de multiples interrogations : le poids relatif de
l’intervalle inter-items qui pose notamment la question
d’une divergence possible entre le score total obtenu à
l’échelle et la gravité clinique réelle [4] ; de même le fi ltre
subjectif de l’entourage familial ou soignant lors du recueil
des symptômes en comparaison avec l’observation direc-
te… L’utilisation incontournable de ces instruments dans
les essais cliniques possède, on l’a compris, des effets per-
vers en termes d’implications thérapeutiques. L’utilisation
d’instruments qui mesurent un seul paramètre pour lequel
l’instrument a généralement été conçu et validé doit être
encouragée [8]. L’échelle permet alors de mesurer une
évolution symptomatique plutôt que poser un quelconque
diagnostic, la démarche diagnostique restant le domaine
de prédilection de l’analyse psychopathologique. A titre
d’exemple, notre équipe a acquis une certaine expérience
dans l’utilisation de l’échelle de dépression dans la démen-
ce de Cornell. Nous en avons validé une version en langue
espagnole. L’utilité de cet instrument ne peut être contes-
tée mais sa spécifi cité est assez faible (Tableau 3).
Table 2 Classifi cation des dépressions en fonction du
comportement prédominant
Dépression inhibée
Dépression avec comportement suicidaire
Dépression avec négativisme
Dépression avec bizarreries comportementales…
J. Pujol, P. de Azpiazu Artigas