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L’Encéphale (2008) 34, 23—30
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
MÉMOIRE ORIGINAL
La recherche d’un diagnostic de trouble de
personnalité borderline chez les suicidants
est-elle utile aux urgences ?
Is assessing for borderline personality disorder
useful in the referral after a suicide attempt?
L. Cailhol a,∗, C. Damsa b, E. Bui a, R. Klein a,
E. Adam c, L. Schmitt a, A. Andreoli b
a
Service de psychiatrie et de psychologie médicale, hôpital universitaire de Purpan-Casselardit,
170, avenue de Casselardit, 31059 Toulouse cedex, France
b
Clinique d’accueil, d’urgences et de liaison psychiatrique, hôpital cantonal universitaire de Genève,
24, rue Micheli-Du-Crest, 1211 Genève 14, Suisse
c
Service d’urgences psychiatriques, centre hospitalier régional « La Citadelle »,
boulevard du douzième de ligne, 4000 Liège, Belgique
Reçu le 26 septembre 2006 ; accepté le 24 avril 2007
Disponible sur Internet le 24 octobre 2007
MOTS CLÉS
Trouble de
personnalité
borderline ;
Département
d’urgence
∗
Résumé
État de la question. — La prévalence des troubles de personnalité borderline (TPB) en population de suicidant est élevée (10 à 55 %). Ces patients présentent à la fois des récidives suicidaires
plus fréquentes et un pronostic psychosocial plus péjoratif. Cependant, l’utilité du diagnostic
de TPB porté à l’accueil aux urgences, dans la mise en place d’un plan de traitement spécifique,
n’a jamais été étudiée.
Objectif. — Évaluer l’association entre un diagnostic de TPB chez les patients suicidants et
l’orientation mise en place depuis les urgences.
Méthode. — Étude cas-témoin portant sur une inclusion de dix mois, de 478 patients admis suite
à un abus médicamenteux sévère aux urgences de l’hôpital général. Le recueil des données se
fait à partir de fiches anonymes remplies par le clinicien.
Résultats. — Sur 478 patients admis aux urgences pour intoxication médicamenteuse volontaire,
99 (22,6 %) présentent un TPB selon les cliniciens. Ils se distinguent, par rapport aux autres
patients suicidants, sur des caractéristiques démographiques, un plus grand recours aux soins
psychiatriques, des antécédents de tentative de suicide plus fréquents et des intoxications
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Cailhol).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.04.004
24
L. Cailhol et al.
aux neuroleptiques plus fréquentes. Aucune différence en ce qui concerne leur orientation au
décours des urgences n’a été mise en évidence.
Conclusion. — Les patients suicidants souffrant d’un TPB présentent plus de critères de sévérité,
sans que cela influence l’orientation depuis les urgences.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
KEYWORDS
Borderline
personality disorder;
Emergency
department
Summary
Background. — Management of suicide attempters accounts for 10% of the psychiatric activity
in the emergency room. In this population, the prevalence of borderline personality disorder
(BPD) is high (10 — 55%). These patients present poorer psychosocial outcome and more frequent
suicide attempts repetitions. However, the utility of the assessment of BPD in the referral to a
specific treatment plan has not been yet studied.
Objective. — To examine the association between the assessment of a diagnosis of BPD after a
suicide attempt and the referral from the emergency room to a specific treatment plan.
Hypothesis. — Suicide attempters with BPD, according to clinicians diagnosis, differ in terms
of severity from those without more risk factors of suicide attempt repetitions and poorer
psychosocial functioning, and in psychiatric referral from the emergency room.
Method. — Our case-control study took place during 10 months in the Geneva general hospital.
We continuously enrolled patients admitted to the emergency room for deliberate self poisoning
and separated them into two groups (BPD and control) according to the clinician’s diagnosis.
Data from medical records were systemically and anonymously gathered. We compared BPD
patients’ socio-demographic and clinical characteristics, as well as psychiatric referral, with
the control group.
Results. — Of the 478 subjects admitted to the emergency room for deliberate self-poisoning,
99 (22.6%) were diagnosed BPD by clinicians. Compared to controls, they were more frequently female (OR = 3.9) and living alone (OR = 3.8) and more often resorted to psychiatric
care (OR = 2.9), notably to emergency care (OR = 3.8). Past history of suicide attempt was also
more frequent (OR = 1.9) as was the use of neuroleptics in the attempt (OR = 2.7). No difference
was detected in terms of psychiatric referral after emergency room care.
Conclusion. — Even if borderline personality disorder in suicide attempters is associated with
more severity criteria, it is not associated with a referral to a specific treatment plan.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
La prise en charge des patients admis aux urgences pour
une intoxication médicamenteuse volontaire représente une
activité importante, quantitativement et qualitativement.
Parmi eux, entre 10 et 55% présenteraient les critères d’un
trouble de personnalité borderline (TPB) [1,6,12,13]. Or
cette population est connue pour sa plus grande sévérité
en terme de fonctionnement psychosocial [14], d’utilisation
des services de soins [3] et de risque de récidive des
conduites suicidaires [10].
Lorsque l’on considère les recommandations d’experts
[2], la recherche du diagnostic est nécessaire et représente un élément important des décisions concernant la
prise en charge à la sortie des urgences. Quant aux praticiens travaillant aux urgences, ils sont confrontés à la
nécessité de décider vite, sur des éléments cliniques incomplets, avec des pressions provenant des fonctionnements
institutionnels, des patients et de leur environnement. C’est
pourquoi, nous avons voulu étudier l’effet d’un diagnostic de
TPB, posé par le clinicien, parmi les patients suicidants, sur
l’orientation au décours des urgences.
Pour conduire notre travail, nous avons examiné deux
dimensions : les critères de sévérité dans cette population
et le lien entre orientation et diagnostic. Nos hypothèses
peuvent donc être formulées ainsi :
• les patients suicidants présentant des critères de TPB
se différencient des autres patients suicidants par un
plus grand nombre de facteurs de risque de récidive des
conduites suicidaires ainsi que par des indices d’altération
du fonctionnement psychosocial.
• Le diagnostic de TPB, posé par le clinicien chez
les patients suicidants, est associé à une décision
d’hospitalisation plus fréquente.
Méthode
Pour ce faire, nous avons réalisé une étude cas-témoin
incluant sur dix mois, les patients admis suite à un abus
médicamenteux aux urgences de l’hôpital général (hôpital
cantonal universitaire de Genève), selon deux critères :
• la nécessité d’une surveillance somatique en milieu hospitalier, décidée par le médecin urgentiste et ;
• le désir de mourir, quelle qu’en soit l’intensité, avant ou
au moment du passage à l’acte.
Notre étude s’est déroulée dans une ville qui dispose d’un
éventail de dispositifs de soins psychiatriques diversifiés au
décours des urgences : hospitalisation traditionnelle ou de
crise, volontaire ou non, consultations, centre de thérapie
La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ?
brève ou programme spécialisé sur le modèle du Dialectic
Behavioral Treatment de Linehan et al. [7].
Les données recueillies correspondent aux données du
dépistage systématique effectué dans le cadre d’une étude
randomisée évaluant un traitement pour les patients borderline [4]. C’est pourquoi, nous n’avions pas de critères
d’exclusion. Ainsi, les dossiers médicaux et les fiches
d’évaluation démographique systématiquement remplis ont
été alors recueillis, puis rendus anonymes, conformément
aux règles éthiques en vigueur à Genève. De cette façon,
nous avons recueilli en sus des données démographiques, les
Tableau 1
25
données cliniques suivantes : diagnostic clinique posé selon
les critères de la classification CIM 10 [9] ; les médicaments
et toxiques consommés lors de l’abus médicamenteux, les
antécédents de tentatives de suicide, dont leur nombre, le
suivi actuel et antérieur, dont les hospitalisations psychiatriques, ainsi que l’orientation après le passage à l’urgence,
dont les modalités légales de l’hospitalisation éventuelle.
Dans le cadre de l’étude initiale, nous avons réalisé une
passation de l’International personality disorder examination [8] sur un échantillon de 107 patients consécutifs (hors
les absences de l’évaluateur unique), de semaines et week-
Comparaisons des caractéristiques sociodémographiques des sujets suicidants avec ou sans TPB.
Variables
Âge : moyenne (écart-type)
a
b
Sexe : sex ratio F/H
Femme : nombre (pourcentage)
Homme : nombre (pourcentage)
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
38,92 (13,4)
33,46 (11,26)
2,05
228 (67,2)
111 (32,8)
8
88 (88,9)
11 (11,1)
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
Nationalitéc
Suisse
Non suisse
Inconnue
138 (40,7)
107 (31,6)
94 (27,7)
54 (54,5)
26 (26,3)
19 (19,2)
État civild
Célibataire
Marié
Séparé
Veuf
Inconnu
86 (25,4)
142 (41,9)
66 (19,5)
7 (2,1)
38 (11,2)
37 (37,4)
31 (31,3)
26 (26,3)
1 (1)
4 (4)
Lieu de vie*
Seul
En couple ou en famille
Pension ou avec d’autres personnes
Sans domicile fixe
Inconnu
80 (23,6)
206 (60,8)
8 (2,4)
6 (1,8)
39 (11,5)
31 (31,3)
55 (55,6)
5 (5,1)
1 (1)
7 (7,1)
Niveau socioéconomique*
En cours de formation
Ouvrier
Cadre moyen
Cadre supérieur
Cadre dirigeant
Inconnu
37 (10,9)
60 (17,7)
91 (26,8)
18 (5,3)
8 (2,4)
125 (36,9)
23 (23,2)
18 (18,2)
22 (22,2)
2 (2)
3 (3)
31 (31,3)
Occupation avant l’admission*
Étudiant
Travail
Femme au foyer
Retraité
Chômage
Inconnu
32 (9,4)
102 (30,1)
13 (3,8)
19 (5,6)
96 (28,3)
77 (22,7)
16 (16,2)
21 (21,2)
2 (2)
0 (0)
42 (42,4)
18 (18,2)
a
b
c
d
*
t : −4,047 ; ddl = 187,093 ; p = 0,000.
Khi-deux de Pearson : 17,843 ; ddl = 1 ; p = 0,000.
Khi-deux de Mantel-Haenszel : 5,675 ; ddl = 1 ; p = 0,016.
Khi-deux de Mantel-Haenszel : 4,662 ; ddl = 1 ; p = 0,031.
Pas de différences statistiquement significatives.
26
L. Cailhol et al.
end, présentant un abus médicamenteux et une indication
d’hospitalisation (total = 354).
L’analyse a été effectuée sur le logiciel SPSS 12.0F.
L’évaluation de la fidélité du diagnostic des cliniciens face
à une évaluation standardisée a été évaluée par le test
d’homogénéité de Kappa, ainsi que par calcul de la sensibilité et de la spécificité. Nous avons utilisé des tests
paramétriques (Khi-deux et t-test) pour évaluer les différences entre les deux groupes (avec ou sans TPB) et
exprimé les résultats sous forme d’Odd Ratio(OR). Des
régressions logistiques ont permis de modéliser les décisions
d’orientation.
Résultats
Durant la réalisation de l’étude du 1 novembre 2003 au
31 août 2004, 4756 patients ont bénéficié d’une prise en
charge psychiatrique au Service d’accueil, d’urgences et
Tableau 2
de Liaison psychiatrique dont 478 (10 %) patients répondaient aux critères d’inclusion de notre étude. Nous avons
recueilli les données, complètes ou partielles, de l’ensemble
de ces patients. Le diagnostic de TPB était manquant pour 40
(8,4 %) d’entre eux. Sur les 438 restants, on décrit 339 sujets
(77,4 %) sans TPB et 99 (22,6 %) avec TPB. Notre échantillon
est majoritairement féminin (sexe ratio F/H à 2,5), d’age
moyen (37,7 ans), de profession intermédiaire (24,9 %) et
vivant le plus souvent en couple (58,2 %).
La mesure de l’IPDE a été effectuée chez 107 (22,4 %)
patients de l’échantillon qui retrouve 69 (64,5 %) patients
répondant aux critères DSM IV de TPB et 38 (35,5 %) n’y
répondant pas. La mesure d’accord par Kappa retrouve
un accord faible et significatif entre la mesure du TPB
par un évaluateur unique utilisant IPDE et selon les cliniciens (Kappa = 0,305 ; T: 3,481 ; p = 0,000). La sensibilité
diagnostique des cliniciens pour le TPB, face au test de
référence qu’est l’IPDE, est de 46,6 % et la spécificité de
88,6 %.
Comparaisons des caractéristiques cliniques en amont de l’admission des sujets suicidants avec ou sans TPB.
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
Référé par*
Lui-même ou son entourage
Un professionnel
Inconnu
94 (27,7)
1 (0,3)
244 (72)
33 (33,3)
0 (0)
66 (66,7)
Patients ayant eu des antécédents psychiatriques**
Passages antérieurs aux urgencesa
87 (29,7)
89 (26,3)
33 (37,1)
57 (57,6)
Suivi actuelb
Aucun
Médecin généraliste
Psychiatrique
Programme specialisé1
Inconnu
Centre de thérapie brève
66 (19,9)
40 (12)
131 (39,5)
10 (3)
76 (22,9)
9 (2,7)
9 (9,3)
5 (5,2)
51 (52,6)
12 (12,4)
12 (12,4)
8 (8,2)
Suivi antérieur**
Aucun
Médecin généraliste
Psychiatrique
Programme specialisé2
Inconnu
Centre de thérapie brève
60 (18,1)
11 (3,3)
58 (17,5)
9 (2,7)
181 (54,7)
12 (3,6)
15 (15,2)
0 (0)
22 (22,2)
2 (2)
56 (56,6)
4 (4)
Hospitalisation psychiatrique antérieurec
Présence d’une tentative de suicide antérieured
108 (32)
100 (29,4)
47 (48)
44 (46,8)
Variables
Tentatives de suicide antérieures
a
b
c
d
e
*
**
e
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Moyenne (écart-type)
Moyenne (écart-type)
0,52 (0,91)
1,18 (1,93)
Khi-deux de Pearson : 33,828 ; ddl = 1 ; p = 0,000.
Khi-deux de Mantel-Haneszel : 4,050 ; ddl = 1 ; p = 0,044.
Khi-deux de Pearson : 15,954 ; ddl = 2 ; p = 0,000.
Khi-deux de Pearson : 8,495 ; ddl = 1 ; p = 0,004.
t : 3,914 ; ddl = 297 ; p = 0,000.
Variable majoritairement non renseigné — considéré comme non valide.
Statistiquement non significatif.
La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ?
27
Tableau 3
sans TPB.
Comparaisons des caractéristiques cliniques observées au cours de la prise en charge des sujets suicidants avec ou
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
57 (16,8)
35 (10,3)
233 (68,7)
28 (8,3)
13 (3,8)
11 (3,3)
11 (11,1)
4 (4)
65 (65,7)
1 (1)
1 (1)
1 (1)
3
Cooccurences
Abus ou dépendance à l’alcool*
Abus ou dépendance de toxiques*
Dépression*
Trouble d’adaptationa
Trouble bipolaire*
Trouble psychotique*
Variables
Score Hamilton depression rating scale
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (écart-type)
Nombre (écart-type)
19,99 (6,11)#
19,45 (5,74)##
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
Facteur de stress identifiéb
Conjugal ou sentimental
Professionnel
Familial
Deuil
Multiple
Autre
Inconnu
123 (36,4)
9 (2,7)
43 (12,7)
7 (2,1)
60 (17,8)
62 (18,3)
34 (10,1)
26 (26,3)
3 (3)
11 (11,1)
2 (2)
165 (16,2)
22 (22,2)
19 (19,2)
Produits de l’intoxication4
Alcool*
Benzodiazépines*
Antidépresseurs*
Neuroleptiquesc
Antalgiques/anti-inflammatoires*
Thymorégulateurs*
Autres*
86 (25,4)
222 (65,5)
73 (21,5)
27 (8)
52 (15,3)
3 (0,9)
87 (25,7)
20 (20,2)
56 (56,6)
22 (22,2)
20 (20,2)
14 (14,1)
2 (2)
30 (30,3)
Violence durant la prise en charge*
Utilisation de sédatif durant la prise en charge aux urgences*
34 (10)
129 (38,5)
15 (15,2)
46 (46,9)
# n = 142 ## n = 42.
a
b
c
*
Khi-deux de Pearson : 6,513 ; ddl = 1 ; p = 0,011.
Khi-deux de Mantel-Hanszel : 4,801 ; ddl = 1 ; p = 0,028.
Khi-deux de Pearson : 11,979 ; ddl = 1 ; p = 0,001.
Pas de différence statistiquement significative.
L’analyse des différences entre les deux groupes sur les
variables démographiques nous permet de dégager quatre
éléments significatifs (Tableau 1). Les sujets suicidants avec
TPB sont plus jeunes de quelques années (5,46 ans en
moyenne). Par ailleurs, ils sont plus souvent de sexe féminin
(OR = 3,9 avec un IC à 95 % [2,1—7,3]), de nationalité suisse
(OR = 1,6 avec un IC à 95 % [0,9—2,7]) et sans relation sentimentale (célibataire : OR = 1,6 avec un IC à 95 % [1—2,6] ou
séparé : OR = 1,8 avec un IC à 95 % [1—3,1]).
De plus, l’analyse comparative des données cliniques
concernant les sujets suicidants, en amont de leur admission aux urgences, montre qu’ils sont plus suivis au moment
du passage à l’acte (OR = 2,9 avec un IC à 95% [1,4—6])
et sont plus connus des urgences (OR = 3,8 avec un IC
à 95 % [2,4—6,1]) (Tableau 2). De plus, ils ont des taux
d’antécédents de tentative de suicide supérieurs (OR = 1,9
avec IC à 95% [1,2—3]) et en plus grand nombre que les
patients sans trouble de personnalité (1,18 versus 0,52 en
1 Programmes spécialisés : programme dépression, programme
bipolaire, alcoologie, unité de toxicomanie, programme CARE (spécialisé dans la prise en charge des TPB).
2 Programmes spécialisés : programme dépression, programme
bipolaire, alcoologie, unité de toxicomanie, programme CARE (spécialisé dans la prise en charge des TPB).
28
L. Cailhol et al.
Tableau 4
TPB.
Comparaisons des caractéristiques de la structure d’accueil lors de l’admission des sujets suicidants avec ou sans
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
14 (4,5)
174 (56,1)
104 (33,5)
18 (5,8)
1 (1,1)
58 (64,4)
21 (23,3)
10 (11,1)
52
59
47
41
42
43
55
(15,3)
(17,4)
(13,9)
(12,1)
(12,4)
(12,7)
(16,2)
21
12
16
17
11
11
11
32
31
44
37
25
38
36
24
28
44
(9,4)
(9,1)
(13)
(10,9)
(7,4)
(11,2)
(10,6)
(7,1)
(8,3)
(13)
12 (12,1)
5 (5,1)
10 (10,1)
11 (11,1)
6 (6,1)
14 (14,1)
14 (14,1)
9 (9,1)
13 (13,1)
5 (5,1)
*
Niveau hiérarchique des médecins
Interne
Chef de clinique adjoint
Chef de Clinique
Premier chef de clinique/médecin Adjoint
Répartition des admissions par jour de semaine
Lundi
Mardi
Mercredi
Jeudi
Vendredi
Samedi
Dimanche
*
Répartition des admissions par mois de l’année
Novembre 2003
Décembre 2003
Janvier 2004
Février 2004
Mars 2004
Avril 2004
Mai 2004
Juin 2004
Juillet 2004
Août 2004
*
Variables
Nombre d’admission psychiatrique par jour*
Nombre d’admission pour intoxication médicamenteuse
volontaire sévère par jour*
*
(21,2)
(12,1)
(16,2)
(17,2)
(11,1)
(11,1)
(11,1)
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Moyenne (écart-type)
Moyenne (écart-type)
16 (3,989)
2,54 (1,249)
16,12 (3,612)
2,66 (1,144)
Pas de différence statistiquement significative.
moyenne). Enfin, ils utilisent plus fréquemment les neuroleptiques ou les antipsychotiques atypiques dans leur
intoxication médicamenteuse (OR = 2,7 avec un IC à 95 %
[1,5—4,8]) (Tableau 3). Nous ne notons pas de différence sur
les conditions d’accueil entre les deux groupes (Tableau 4).
Par ailleurs, au décours des urgences, les patients suicidants sont orientés en hospitalisation (sous contrainte
ou non ; en unité traditionnelle ou en unité de crise) ou
en soins ambulatoire (centre de thérapie brève ou non).
Pour aucune des caractéristiques de soins au décours des
urgences nous ne notons de différence statistiquement significative, excepté pour le retour à domicile (Tableau 5).
Enfin, les régressions logistiques n’ont mis en évidence
aucune association du diagnostic de TPB posé par les
cliniciens, sur l’ensemble des variables d’orientation (hospi-
3 Le total peut dépasser 100 % car chaque sujet peut avoir une ou
plusieurs cooccurences.
4 Le total peut dépasser 100 % car chaque sujet peut avoir ingérer
une ou plusieurs toxiques.
talisation sous contrainte ou non, centre de thérapie brève,
consultation) Tableau 5.
Discussion
Les sujets avec TPB se distinguent sur des caractéristiques
démographiques (sexe féminin et solitude sentimentale), un
plus grand recours aux soins, en particulier les urgences,
des antécédents de tentative de suicide plus fréquents et
des intoxications aux neuroleptiques plus fréquentes. Alors
que le diagnostic est posé par le clinicien, il n’y a pas de
différence significative en ce qui concerne leur orientation
au décours des urgences.
Notre échantillon est proche des données démographiques concernant la ville de Genève sur l’âge et la
nationalité [11]. De plus, nous retrouvons une surreprésentation, habituelle en population de suicidants [5], de la
population féminine, des séparés et des chômeurs. La proportion de patients avec TPB est comparable aux données
de la littérature [6,12,13].
La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ?
Tableau 5
29
Comparaisons des soins reçus au décours des urgences par les sujets suicidants avec ou sans TPB.
Variables
Absence du TPB (n = 339)
Présence du TPB (n = 99)
Nombre (pourcentage)
Nombre (pourcentage)
Modalité de traitement*
Entrée non volontaire
Entrée volontaire
Ambulatoire
Autre
Inconnu
187 (55,2)
42 (12,4)
97 (28,6)
1 (0,3)
12 (3,5)
61 (61,6)
12 (12,1)
25 (25,3)
0 (0)
1 (1)
Décision d’hospitalisation au décours des urgences*
240 (71,9)
74 (74,7)
Programmes de soins au décours des urgences
Hôpital psychiatrique (Belle-Idée)*
Unité de crise (2-JC)*
Centre de thérapie brève*
Retour à domicilea
Autre*
72 (21,2)
142 (41,9)
36 (10,6)
60 (17,7)
29 (8,6)
25 (25,3)
42 (42,4)
16 (16,2)
8 (8,1)
8 (8,1)
a
*
Khi-deux de Pearson : 5,075 ; ddl = 1 ; p = 0,024.
Pas de différence statistiquement significative.
En outre, le groupe des patients présentant un TPB
dans notre échantillon, présente des caractéristiques démographiques et cliniques reconnues dans la littérature
médicale comme des critères de récidive d’un comportement suicidaire [2] : sexe féminin, solitude, antécédents
psychiatriques, notamment de tentative de suicide. Ces
données confirment celles rapportées dans la littérature
médicale, estimant important le risque suicidaire de cette
population [10].
De plus, à l’instar des données de la littérature, notre
échantillon de patients avec TPB utilise plus de services de
soins, en particulier les urgences [3,15].
En ce qui concerne l’orientation au décours des urgences,
il n’apparaît pas de différence significative entre les deux
populations. Il s’agit d’une donnée originale et non attendue de cette étude, mettant en avant le hiatus entre la plus
grande sévérité apparente de ce sous-groupe et l’absence
de prise en compte du diagnostic dans l’orientation ultérieure, contrairement aux recommandations d’experts [2].
Une explication possible est une annulation mutuelle du
diagnostic et des facteurs de risque. C’est à dire, que lorsque
les cliniciens posent un diagnostic de TPB, ni ce dernier, ni
les critères de sévérité ne sont alors pris en compte pour
l’orientation. Ceci pourrait expliquer aussi la faible sensibilité du diagnostic clinique de TPB par rapport à une
mesure de référence, du fait de sa faible implication dans
les décisions d’orientation, ce qui le rend logiquement moins
recherché.
Enfin, la principale limite de l’étude concerne l’absence
de prise en compte des caractéristiques des patients avec
TPB pour que nous puissions distinguer des degrés de sévérité (i.e. : nombre de critères, fonctionnement, retour aux
urgences, intentionnalité suicidaire). Ainsi, l’hétérogénéité
de la population a pu être réduite, écrasant possiblement
des différences d’orientation pour les sous-groupes par
moyennage. Les deux points forts de cette étude sont le
nombre de sujets inclus et la concentration importante de
programmes thérapeutiques spécialisés, notamment pour
les patients avec trouble de personnalité borderline dans
la zone géographique de l’étude, facilitant l’étude des processus d’orientation.
Conclusion
Les données de cette étude soulignent l’absence de différence d’orientation au décours des urgences, en fonction du
diagnostic de TPB posé par le clinicien. Cette donnée est discordante avec la présence d’un risque de récidive suicidaire
supérieur. Des travaux supplémentaires devraient permettre
d’interroger l’implication de ce diagnostic dans le processus de décision d’orientation du psychiatre aux urgences, en
tenant compte de l’hétérogénéité du trouble et des dimensions relationnelles particulières avec les soignants.
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