L’Encéphale (2008) 34, 23—30 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep MÉMOIRE ORIGINAL La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ? Is assessing for borderline personality disorder useful in the referral after a suicide attempt? L. Cailhol a,∗, C. Damsa b, E. Bui a, R. Klein a, E. Adam c, L. Schmitt a, A. Andreoli b a Service de psychiatrie et de psychologie médicale, hôpital universitaire de Purpan-Casselardit, 170, avenue de Casselardit, 31059 Toulouse cedex, France b Clinique d’accueil, d’urgences et de liaison psychiatrique, hôpital cantonal universitaire de Genève, 24, rue Micheli-Du-Crest, 1211 Genève 14, Suisse c Service d’urgences psychiatriques, centre hospitalier régional « La Citadelle », boulevard du douzième de ligne, 4000 Liège, Belgique Reçu le 26 septembre 2006 ; accepté le 24 avril 2007 Disponible sur Internet le 24 octobre 2007 MOTS CLÉS Trouble de personnalité borderline ; Département d’urgence ∗ Résumé État de la question. — La prévalence des troubles de personnalité borderline (TPB) en population de suicidant est élevée (10 à 55 %). Ces patients présentent à la fois des récidives suicidaires plus fréquentes et un pronostic psychosocial plus péjoratif. Cependant, l’utilité du diagnostic de TPB porté à l’accueil aux urgences, dans la mise en place d’un plan de traitement spécifique, n’a jamais été étudiée. Objectif. — Évaluer l’association entre un diagnostic de TPB chez les patients suicidants et l’orientation mise en place depuis les urgences. Méthode. — Étude cas-témoin portant sur une inclusion de dix mois, de 478 patients admis suite à un abus médicamenteux sévère aux urgences de l’hôpital général. Le recueil des données se fait à partir de fiches anonymes remplies par le clinicien. Résultats. — Sur 478 patients admis aux urgences pour intoxication médicamenteuse volontaire, 99 (22,6 %) présentent un TPB selon les cliniciens. Ils se distinguent, par rapport aux autres patients suicidants, sur des caractéristiques démographiques, un plus grand recours aux soins psychiatriques, des antécédents de tentative de suicide plus fréquents et des intoxications Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Cailhol). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2007.04.004 24 L. Cailhol et al. aux neuroleptiques plus fréquentes. Aucune différence en ce qui concerne leur orientation au décours des urgences n’a été mise en évidence. Conclusion. — Les patients suicidants souffrant d’un TPB présentent plus de critères de sévérité, sans que cela influence l’orientation depuis les urgences. © L’Encéphale, Paris, 2008. KEYWORDS Borderline personality disorder; Emergency department Summary Background. — Management of suicide attempters accounts for 10% of the psychiatric activity in the emergency room. In this population, the prevalence of borderline personality disorder (BPD) is high (10 — 55%). These patients present poorer psychosocial outcome and more frequent suicide attempts repetitions. However, the utility of the assessment of BPD in the referral to a specific treatment plan has not been yet studied. Objective. — To examine the association between the assessment of a diagnosis of BPD after a suicide attempt and the referral from the emergency room to a specific treatment plan. Hypothesis. — Suicide attempters with BPD, according to clinicians diagnosis, differ in terms of severity from those without more risk factors of suicide attempt repetitions and poorer psychosocial functioning, and in psychiatric referral from the emergency room. Method. — Our case-control study took place during 10 months in the Geneva general hospital. We continuously enrolled patients admitted to the emergency room for deliberate self poisoning and separated them into two groups (BPD and control) according to the clinician’s diagnosis. Data from medical records were systemically and anonymously gathered. We compared BPD patients’ socio-demographic and clinical characteristics, as well as psychiatric referral, with the control group. Results. — Of the 478 subjects admitted to the emergency room for deliberate self-poisoning, 99 (22.6%) were diagnosed BPD by clinicians. Compared to controls, they were more frequently female (OR = 3.9) and living alone (OR = 3.8) and more often resorted to psychiatric care (OR = 2.9), notably to emergency care (OR = 3.8). Past history of suicide attempt was also more frequent (OR = 1.9) as was the use of neuroleptics in the attempt (OR = 2.7). No difference was detected in terms of psychiatric referral after emergency room care. Conclusion. — Even if borderline personality disorder in suicide attempters is associated with more severity criteria, it is not associated with a referral to a specific treatment plan. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction La prise en charge des patients admis aux urgences pour une intoxication médicamenteuse volontaire représente une activité importante, quantitativement et qualitativement. Parmi eux, entre 10 et 55% présenteraient les critères d’un trouble de personnalité borderline (TPB) [1,6,12,13]. Or cette population est connue pour sa plus grande sévérité en terme de fonctionnement psychosocial [14], d’utilisation des services de soins [3] et de risque de récidive des conduites suicidaires [10]. Lorsque l’on considère les recommandations d’experts [2], la recherche du diagnostic est nécessaire et représente un élément important des décisions concernant la prise en charge à la sortie des urgences. Quant aux praticiens travaillant aux urgences, ils sont confrontés à la nécessité de décider vite, sur des éléments cliniques incomplets, avec des pressions provenant des fonctionnements institutionnels, des patients et de leur environnement. C’est pourquoi, nous avons voulu étudier l’effet d’un diagnostic de TPB, posé par le clinicien, parmi les patients suicidants, sur l’orientation au décours des urgences. Pour conduire notre travail, nous avons examiné deux dimensions : les critères de sévérité dans cette population et le lien entre orientation et diagnostic. Nos hypothèses peuvent donc être formulées ainsi : • les patients suicidants présentant des critères de TPB se différencient des autres patients suicidants par un plus grand nombre de facteurs de risque de récidive des conduites suicidaires ainsi que par des indices d’altération du fonctionnement psychosocial. • Le diagnostic de TPB, posé par le clinicien chez les patients suicidants, est associé à une décision d’hospitalisation plus fréquente. Méthode Pour ce faire, nous avons réalisé une étude cas-témoin incluant sur dix mois, les patients admis suite à un abus médicamenteux aux urgences de l’hôpital général (hôpital cantonal universitaire de Genève), selon deux critères : • la nécessité d’une surveillance somatique en milieu hospitalier, décidée par le médecin urgentiste et ; • le désir de mourir, quelle qu’en soit l’intensité, avant ou au moment du passage à l’acte. Notre étude s’est déroulée dans une ville qui dispose d’un éventail de dispositifs de soins psychiatriques diversifiés au décours des urgences : hospitalisation traditionnelle ou de crise, volontaire ou non, consultations, centre de thérapie La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ? brève ou programme spécialisé sur le modèle du Dialectic Behavioral Treatment de Linehan et al. [7]. Les données recueillies correspondent aux données du dépistage systématique effectué dans le cadre d’une étude randomisée évaluant un traitement pour les patients borderline [4]. C’est pourquoi, nous n’avions pas de critères d’exclusion. Ainsi, les dossiers médicaux et les fiches d’évaluation démographique systématiquement remplis ont été alors recueillis, puis rendus anonymes, conformément aux règles éthiques en vigueur à Genève. De cette façon, nous avons recueilli en sus des données démographiques, les Tableau 1 25 données cliniques suivantes : diagnostic clinique posé selon les critères de la classification CIM 10 [9] ; les médicaments et toxiques consommés lors de l’abus médicamenteux, les antécédents de tentatives de suicide, dont leur nombre, le suivi actuel et antérieur, dont les hospitalisations psychiatriques, ainsi que l’orientation après le passage à l’urgence, dont les modalités légales de l’hospitalisation éventuelle. Dans le cadre de l’étude initiale, nous avons réalisé une passation de l’International personality disorder examination [8] sur un échantillon de 107 patients consécutifs (hors les absences de l’évaluateur unique), de semaines et week- Comparaisons des caractéristiques sociodémographiques des sujets suicidants avec ou sans TPB. Variables Âge : moyenne (écart-type) a b Sexe : sex ratio F/H Femme : nombre (pourcentage) Homme : nombre (pourcentage) Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) 38,92 (13,4) 33,46 (11,26) 2,05 228 (67,2) 111 (32,8) 8 88 (88,9) 11 (11,1) Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) Nationalitéc Suisse Non suisse Inconnue 138 (40,7) 107 (31,6) 94 (27,7) 54 (54,5) 26 (26,3) 19 (19,2) État civild Célibataire Marié Séparé Veuf Inconnu 86 (25,4) 142 (41,9) 66 (19,5) 7 (2,1) 38 (11,2) 37 (37,4) 31 (31,3) 26 (26,3) 1 (1) 4 (4) Lieu de vie* Seul En couple ou en famille Pension ou avec d’autres personnes Sans domicile fixe Inconnu 80 (23,6) 206 (60,8) 8 (2,4) 6 (1,8) 39 (11,5) 31 (31,3) 55 (55,6) 5 (5,1) 1 (1) 7 (7,1) Niveau socioéconomique* En cours de formation Ouvrier Cadre moyen Cadre supérieur Cadre dirigeant Inconnu 37 (10,9) 60 (17,7) 91 (26,8) 18 (5,3) 8 (2,4) 125 (36,9) 23 (23,2) 18 (18,2) 22 (22,2) 2 (2) 3 (3) 31 (31,3) Occupation avant l’admission* Étudiant Travail Femme au foyer Retraité Chômage Inconnu 32 (9,4) 102 (30,1) 13 (3,8) 19 (5,6) 96 (28,3) 77 (22,7) 16 (16,2) 21 (21,2) 2 (2) 0 (0) 42 (42,4) 18 (18,2) a b c d * t : −4,047 ; ddl = 187,093 ; p = 0,000. Khi-deux de Pearson : 17,843 ; ddl = 1 ; p = 0,000. Khi-deux de Mantel-Haenszel : 5,675 ; ddl = 1 ; p = 0,016. Khi-deux de Mantel-Haenszel : 4,662 ; ddl = 1 ; p = 0,031. Pas de différences statistiquement significatives. 26 L. Cailhol et al. end, présentant un abus médicamenteux et une indication d’hospitalisation (total = 354). L’analyse a été effectuée sur le logiciel SPSS 12.0F. L’évaluation de la fidélité du diagnostic des cliniciens face à une évaluation standardisée a été évaluée par le test d’homogénéité de Kappa, ainsi que par calcul de la sensibilité et de la spécificité. Nous avons utilisé des tests paramétriques (Khi-deux et t-test) pour évaluer les différences entre les deux groupes (avec ou sans TPB) et exprimé les résultats sous forme d’Odd Ratio(OR). Des régressions logistiques ont permis de modéliser les décisions d’orientation. Résultats Durant la réalisation de l’étude du 1 novembre 2003 au 31 août 2004, 4756 patients ont bénéficié d’une prise en charge psychiatrique au Service d’accueil, d’urgences et Tableau 2 de Liaison psychiatrique dont 478 (10 %) patients répondaient aux critères d’inclusion de notre étude. Nous avons recueilli les données, complètes ou partielles, de l’ensemble de ces patients. Le diagnostic de TPB était manquant pour 40 (8,4 %) d’entre eux. Sur les 438 restants, on décrit 339 sujets (77,4 %) sans TPB et 99 (22,6 %) avec TPB. Notre échantillon est majoritairement féminin (sexe ratio F/H à 2,5), d’age moyen (37,7 ans), de profession intermédiaire (24,9 %) et vivant le plus souvent en couple (58,2 %). La mesure de l’IPDE a été effectuée chez 107 (22,4 %) patients de l’échantillon qui retrouve 69 (64,5 %) patients répondant aux critères DSM IV de TPB et 38 (35,5 %) n’y répondant pas. La mesure d’accord par Kappa retrouve un accord faible et significatif entre la mesure du TPB par un évaluateur unique utilisant IPDE et selon les cliniciens (Kappa = 0,305 ; T: 3,481 ; p = 0,000). La sensibilité diagnostique des cliniciens pour le TPB, face au test de référence qu’est l’IPDE, est de 46,6 % et la spécificité de 88,6 %. Comparaisons des caractéristiques cliniques en amont de l’admission des sujets suicidants avec ou sans TPB. Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) Référé par* Lui-même ou son entourage Un professionnel Inconnu 94 (27,7) 1 (0,3) 244 (72) 33 (33,3) 0 (0) 66 (66,7) Patients ayant eu des antécédents psychiatriques** Passages antérieurs aux urgencesa 87 (29,7) 89 (26,3) 33 (37,1) 57 (57,6) Suivi actuelb Aucun Médecin généraliste Psychiatrique Programme specialisé1 Inconnu Centre de thérapie brève 66 (19,9) 40 (12) 131 (39,5) 10 (3) 76 (22,9) 9 (2,7) 9 (9,3) 5 (5,2) 51 (52,6) 12 (12,4) 12 (12,4) 8 (8,2) Suivi antérieur** Aucun Médecin généraliste Psychiatrique Programme specialisé2 Inconnu Centre de thérapie brève 60 (18,1) 11 (3,3) 58 (17,5) 9 (2,7) 181 (54,7) 12 (3,6) 15 (15,2) 0 (0) 22 (22,2) 2 (2) 56 (56,6) 4 (4) Hospitalisation psychiatrique antérieurec Présence d’une tentative de suicide antérieured 108 (32) 100 (29,4) 47 (48) 44 (46,8) Variables Tentatives de suicide antérieures a b c d e * ** e Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Moyenne (écart-type) Moyenne (écart-type) 0,52 (0,91) 1,18 (1,93) Khi-deux de Pearson : 33,828 ; ddl = 1 ; p = 0,000. Khi-deux de Mantel-Haneszel : 4,050 ; ddl = 1 ; p = 0,044. Khi-deux de Pearson : 15,954 ; ddl = 2 ; p = 0,000. Khi-deux de Pearson : 8,495 ; ddl = 1 ; p = 0,004. t : 3,914 ; ddl = 297 ; p = 0,000. Variable majoritairement non renseigné — considéré comme non valide. Statistiquement non significatif. La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ? 27 Tableau 3 sans TPB. Comparaisons des caractéristiques cliniques observées au cours de la prise en charge des sujets suicidants avec ou Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) 57 (16,8) 35 (10,3) 233 (68,7) 28 (8,3) 13 (3,8) 11 (3,3) 11 (11,1) 4 (4) 65 (65,7) 1 (1) 1 (1) 1 (1) 3 Cooccurences Abus ou dépendance à l’alcool* Abus ou dépendance de toxiques* Dépression* Trouble d’adaptationa Trouble bipolaire* Trouble psychotique* Variables Score Hamilton depression rating scale Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (écart-type) Nombre (écart-type) 19,99 (6,11)# 19,45 (5,74)## Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) Facteur de stress identifiéb Conjugal ou sentimental Professionnel Familial Deuil Multiple Autre Inconnu 123 (36,4) 9 (2,7) 43 (12,7) 7 (2,1) 60 (17,8) 62 (18,3) 34 (10,1) 26 (26,3) 3 (3) 11 (11,1) 2 (2) 165 (16,2) 22 (22,2) 19 (19,2) Produits de l’intoxication4 Alcool* Benzodiazépines* Antidépresseurs* Neuroleptiquesc Antalgiques/anti-inflammatoires* Thymorégulateurs* Autres* 86 (25,4) 222 (65,5) 73 (21,5) 27 (8) 52 (15,3) 3 (0,9) 87 (25,7) 20 (20,2) 56 (56,6) 22 (22,2) 20 (20,2) 14 (14,1) 2 (2) 30 (30,3) Violence durant la prise en charge* Utilisation de sédatif durant la prise en charge aux urgences* 34 (10) 129 (38,5) 15 (15,2) 46 (46,9) # n = 142 ## n = 42. a b c * Khi-deux de Pearson : 6,513 ; ddl = 1 ; p = 0,011. Khi-deux de Mantel-Hanszel : 4,801 ; ddl = 1 ; p = 0,028. Khi-deux de Pearson : 11,979 ; ddl = 1 ; p = 0,001. Pas de différence statistiquement significative. L’analyse des différences entre les deux groupes sur les variables démographiques nous permet de dégager quatre éléments significatifs (Tableau 1). Les sujets suicidants avec TPB sont plus jeunes de quelques années (5,46 ans en moyenne). Par ailleurs, ils sont plus souvent de sexe féminin (OR = 3,9 avec un IC à 95 % [2,1—7,3]), de nationalité suisse (OR = 1,6 avec un IC à 95 % [0,9—2,7]) et sans relation sentimentale (célibataire : OR = 1,6 avec un IC à 95 % [1—2,6] ou séparé : OR = 1,8 avec un IC à 95 % [1—3,1]). De plus, l’analyse comparative des données cliniques concernant les sujets suicidants, en amont de leur admission aux urgences, montre qu’ils sont plus suivis au moment du passage à l’acte (OR = 2,9 avec un IC à 95% [1,4—6]) et sont plus connus des urgences (OR = 3,8 avec un IC à 95 % [2,4—6,1]) (Tableau 2). De plus, ils ont des taux d’antécédents de tentative de suicide supérieurs (OR = 1,9 avec IC à 95% [1,2—3]) et en plus grand nombre que les patients sans trouble de personnalité (1,18 versus 0,52 en 1 Programmes spécialisés : programme dépression, programme bipolaire, alcoologie, unité de toxicomanie, programme CARE (spécialisé dans la prise en charge des TPB). 2 Programmes spécialisés : programme dépression, programme bipolaire, alcoologie, unité de toxicomanie, programme CARE (spécialisé dans la prise en charge des TPB). 28 L. Cailhol et al. Tableau 4 TPB. Comparaisons des caractéristiques de la structure d’accueil lors de l’admission des sujets suicidants avec ou sans Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) 14 (4,5) 174 (56,1) 104 (33,5) 18 (5,8) 1 (1,1) 58 (64,4) 21 (23,3) 10 (11,1) 52 59 47 41 42 43 55 (15,3) (17,4) (13,9) (12,1) (12,4) (12,7) (16,2) 21 12 16 17 11 11 11 32 31 44 37 25 38 36 24 28 44 (9,4) (9,1) (13) (10,9) (7,4) (11,2) (10,6) (7,1) (8,3) (13) 12 (12,1) 5 (5,1) 10 (10,1) 11 (11,1) 6 (6,1) 14 (14,1) 14 (14,1) 9 (9,1) 13 (13,1) 5 (5,1) * Niveau hiérarchique des médecins Interne Chef de clinique adjoint Chef de Clinique Premier chef de clinique/médecin Adjoint Répartition des admissions par jour de semaine Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche * Répartition des admissions par mois de l’année Novembre 2003 Décembre 2003 Janvier 2004 Février 2004 Mars 2004 Avril 2004 Mai 2004 Juin 2004 Juillet 2004 Août 2004 * Variables Nombre d’admission psychiatrique par jour* Nombre d’admission pour intoxication médicamenteuse volontaire sévère par jour* * (21,2) (12,1) (16,2) (17,2) (11,1) (11,1) (11,1) Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Moyenne (écart-type) Moyenne (écart-type) 16 (3,989) 2,54 (1,249) 16,12 (3,612) 2,66 (1,144) Pas de différence statistiquement significative. moyenne). Enfin, ils utilisent plus fréquemment les neuroleptiques ou les antipsychotiques atypiques dans leur intoxication médicamenteuse (OR = 2,7 avec un IC à 95 % [1,5—4,8]) (Tableau 3). Nous ne notons pas de différence sur les conditions d’accueil entre les deux groupes (Tableau 4). Par ailleurs, au décours des urgences, les patients suicidants sont orientés en hospitalisation (sous contrainte ou non ; en unité traditionnelle ou en unité de crise) ou en soins ambulatoire (centre de thérapie brève ou non). Pour aucune des caractéristiques de soins au décours des urgences nous ne notons de différence statistiquement significative, excepté pour le retour à domicile (Tableau 5). Enfin, les régressions logistiques n’ont mis en évidence aucune association du diagnostic de TPB posé par les cliniciens, sur l’ensemble des variables d’orientation (hospi- 3 Le total peut dépasser 100 % car chaque sujet peut avoir une ou plusieurs cooccurences. 4 Le total peut dépasser 100 % car chaque sujet peut avoir ingérer une ou plusieurs toxiques. talisation sous contrainte ou non, centre de thérapie brève, consultation) Tableau 5. Discussion Les sujets avec TPB se distinguent sur des caractéristiques démographiques (sexe féminin et solitude sentimentale), un plus grand recours aux soins, en particulier les urgences, des antécédents de tentative de suicide plus fréquents et des intoxications aux neuroleptiques plus fréquentes. Alors que le diagnostic est posé par le clinicien, il n’y a pas de différence significative en ce qui concerne leur orientation au décours des urgences. Notre échantillon est proche des données démographiques concernant la ville de Genève sur l’âge et la nationalité [11]. De plus, nous retrouvons une surreprésentation, habituelle en population de suicidants [5], de la population féminine, des séparés et des chômeurs. La proportion de patients avec TPB est comparable aux données de la littérature [6,12,13]. La recherche d’un diagnostic de trouble de personnalité borderline chez les suicidants est-elle utile aux urgences ? Tableau 5 29 Comparaisons des soins reçus au décours des urgences par les sujets suicidants avec ou sans TPB. Variables Absence du TPB (n = 339) Présence du TPB (n = 99) Nombre (pourcentage) Nombre (pourcentage) Modalité de traitement* Entrée non volontaire Entrée volontaire Ambulatoire Autre Inconnu 187 (55,2) 42 (12,4) 97 (28,6) 1 (0,3) 12 (3,5) 61 (61,6) 12 (12,1) 25 (25,3) 0 (0) 1 (1) Décision d’hospitalisation au décours des urgences* 240 (71,9) 74 (74,7) Programmes de soins au décours des urgences Hôpital psychiatrique (Belle-Idée)* Unité de crise (2-JC)* Centre de thérapie brève* Retour à domicilea Autre* 72 (21,2) 142 (41,9) 36 (10,6) 60 (17,7) 29 (8,6) 25 (25,3) 42 (42,4) 16 (16,2) 8 (8,1) 8 (8,1) a * Khi-deux de Pearson : 5,075 ; ddl = 1 ; p = 0,024. Pas de différence statistiquement significative. En outre, le groupe des patients présentant un TPB dans notre échantillon, présente des caractéristiques démographiques et cliniques reconnues dans la littérature médicale comme des critères de récidive d’un comportement suicidaire [2] : sexe féminin, solitude, antécédents psychiatriques, notamment de tentative de suicide. Ces données confirment celles rapportées dans la littérature médicale, estimant important le risque suicidaire de cette population [10]. De plus, à l’instar des données de la littérature, notre échantillon de patients avec TPB utilise plus de services de soins, en particulier les urgences [3,15]. En ce qui concerne l’orientation au décours des urgences, il n’apparaît pas de différence significative entre les deux populations. Il s’agit d’une donnée originale et non attendue de cette étude, mettant en avant le hiatus entre la plus grande sévérité apparente de ce sous-groupe et l’absence de prise en compte du diagnostic dans l’orientation ultérieure, contrairement aux recommandations d’experts [2]. Une explication possible est une annulation mutuelle du diagnostic et des facteurs de risque. C’est à dire, que lorsque les cliniciens posent un diagnostic de TPB, ni ce dernier, ni les critères de sévérité ne sont alors pris en compte pour l’orientation. Ceci pourrait expliquer aussi la faible sensibilité du diagnostic clinique de TPB par rapport à une mesure de référence, du fait de sa faible implication dans les décisions d’orientation, ce qui le rend logiquement moins recherché. Enfin, la principale limite de l’étude concerne l’absence de prise en compte des caractéristiques des patients avec TPB pour que nous puissions distinguer des degrés de sévérité (i.e. : nombre de critères, fonctionnement, retour aux urgences, intentionnalité suicidaire). Ainsi, l’hétérogénéité de la population a pu être réduite, écrasant possiblement des différences d’orientation pour les sous-groupes par moyennage. Les deux points forts de cette étude sont le nombre de sujets inclus et la concentration importante de programmes thérapeutiques spécialisés, notamment pour les patients avec trouble de personnalité borderline dans la zone géographique de l’étude, facilitant l’étude des processus d’orientation. Conclusion Les données de cette étude soulignent l’absence de différence d’orientation au décours des urgences, en fonction du diagnostic de TPB posé par le clinicien. Cette donnée est discordante avec la présence d’un risque de récidive suicidaire supérieur. Des travaux supplémentaires devraient permettre d’interroger l’implication de ce diagnostic dans le processus de décision d’orientation du psychiatre aux urgences, en tenant compte de l’hétérogénéité du trouble et des dimensions relationnelles particulières avec les soignants. Références [1] American Psychiatric Association. DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4◦ édition, texte révisé (Washington DC, 2000). Traduction française par J.-D. Guelfi et al. Paris: Masson; 2003. [2] American Psychiatric Association. Practice guidelines for the treatment of psychiatric disorders. Compendium 2004. Virginia: Arlington; 2004. [3] Bender DS, Dolan RT, Skodol AE, et al. Treatment utilization by patients with personality disorders. Am J Psychiatry 2001;158(2):295—302. [4] Cailhol L, Damsa C, Guelfi JD et al. Psychoanalytically oriented short-term hospitalization (POSH): a controlled evaluation among borderline patients with suicide attempt. In submission. 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