
Le Courrier des addictions (12) – n ° 2 – avril-mai-juin 2010 28
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cidaires. Les manifestations psychiatriques in-
duites par l’usage de cocaïne, Cocaine-Induced
Psychosis (CIP) et Cocaine-Induced Compul-
sive Foraging (CICF), peuvent être évaluées et
caractérisées en utilisant l’échelle SAPS-CIP
(4), dont il existe des traductions en français.
PSYCHOSE INDUITE
ET PROBLÈMES
CARDIO-VASCULAIRES
À court terme, la cocaïne et le crack sont
consommés pour induire une sensation de
bien-être et d’euphorie, associée à un effet psy-
chostimulant. On observe une élation de l’hu-
meur, un sentiment de facilité et de maîtrise, un
éveil sensoriel. Le sujet se sent confiant en lui.
Il a l’impression que ses capacités physiques et
mentales sont décuplées, qu’il est doué une plus
grande efficience mentale, clarté de pensée et
perspicacité. À ce sentiment de plaisir s’associe
une stimulation de la vigilance, avec disparition
de la sensation de fatigue, un surcroît d’énergie,
une diminution du besoin de sommeil (avec
insomnie) et des inhibitions sociales, une faci-
litation de la communication et une augmen-
tation de la libido. Cependant, dans certains
cas dès les premières prises, mais le plus sou-
vent après plusieurs années de consommation,
peut se développer un sentiment de méfiance,
pouvant s’organiser en véritable syndrome de
persécution. À partir de perceptions ou d’hallu-
cinations auditives et visuelles, se développent
un état d’hypervigilance. Vient ensuite le senti-
ment que l’entourage est hostile, le plus souvent
centré sur la consommation et ses risques. Il est
convaincu que la police va l’attraper, ou que les
autres consommateurs vont essayer de lui voler
sa drogue et cela peut le conduire à des com-
portements hétéro-agressifs, pour "se défendre"
contre les agresseurs. Cinquante à 80 % des
usagers expérimentent cette psychose in-
duite par les prises de cocaïne. Nombreux vont
utiliser une autre substance, le plus souvent l’al-
cool, pour tenter d’atténuer les phénomènes dé-
lirants. Si ces manifestations psychotiques sem-
blent plus fréquentes avec le crack, elles peuvent
également survenir chez les usagers de chlorhy-
drate de cocaïne. Le contexte et l’environne-
ment de la consommation influencent souvent
le développement de cette symptomatologie.
L’intoxication à la cocaïne peut également
être responsable de complications soma-
tiques (par vasoconstriction, augmentation
de la pression artérielle et de la fréquence car-
diaque, ou abaissement du seuil épileptogène).
Celles-ci peuvent conduire le consommateur
dans un service d’urgences, notamment pour
douleur thoracique (crise d’angor ou infarctus
du myocarde, troubles du rythme cardiaque,
pneumothorax…), accident vasculaire céré-
bral, poussée hypertensive, crise comitiale ou
hyperthermie et rhabdomyolyse.
Outre la prise en charge spécifique de ces
complications, les urgentistes peuvent être
confrontés à des manifestations psychocom-
portementales parfois extrêmes d’agitation et
d’agressivité, sous-tendues par un syndrome de
persécution induit. Une prise en charge dans
un environnement calme et sécurisant, avec
un minimum de stimulations sensorielles, as-
sociée à des interventions de l’équipe soignante
rassurantes et clairement explicitées, suffisent
parfois à éviter le recours à des protocoles thé-
rapeutiques lourds et traumatisants. La conten-
tion physique ne doit être utilisée qu’en cas
d’extrême nécessité, et sur une période la plus
courte possible, pour diminuer les risques d’hy-
perthermie et de rhabdomyolyse.
Les benzodiazépines doivent être préférées aux
neuroleptiques, pour contrôler l’anxiété, l’agita-
tion et les manifestations psychotiques. Ces der-
niers, par leur mécanisme d’action antagoniste
dopaminergique, pourraient en effet précipiter
l’apparition de symptômes de sevrage. Ils peu-
vent surtout majorer les risques d’hyperthermie
maligne. Les molécules à forte activité anticho-
linergique (essentiellement phénothiazines,
molécules les plus sédatives) doivent être évi-
tées, notamment pour ne pas majorer le risque
confusionnel. Les benzodiazépines les plus sou-
vent proposées sont le diazépam et le lorazé-
pam (dont la forme i.m. n’existe pas en France).
Le clonazépam semble également une alterna-
tive efficace. Par ailleurs, les benzodiazépines, en
calmant l’agitation du patient, permettent une
normalisation de la fréquence cardiaque et de
la pression artérielle, et réduisent les risques de
complications cardio-vasculaires. Elles permet-
tent également d’assurer un contrôle du risque
comitial, et pourront prévenir les complications
d’un sevrage à l’alcool en cas de consomma-
tion concomitante aux prises de cocaïne. Si les
symptômes psychotiques sont trop prégnants,
l’halopéridol ou la rispéridone sont à privi-
légier du fait de leur faible potentiel anticho-
linergique. Enfin, il n’existe pas de données
concernant la place de l’aripiprazole dans cette
indication.
PRISE EN CHARGE DU SEVRAGE
Le modèle triphasique du sevrage développé
en 1986 par F.H. Gawin et H.D. Kleber al-
terne une phase initiale de "crash", 9 heures
à 4 jours après la dernière prise, suivie d’une
phase de sevrage proprement dite durant 1 à
10 semaines, finalement suivie d’une phase
d’extinction correspondant à une période
d’abstinence prolongée. Plusieurs autres
études plus récentes ne l’ont pas retrouvé.
Les symptômes de sevrage à la cocaïne sont
souvent décrits par les patients comme peu
intenses. Ils associent : humeur dysphorique,
irritabilité, anxiété, anhédonie, difficultés de
concentration, fatigue, troubles du sommeil,
avec parfois une désorganisation du sommeil
paradoxal, une hypersomnolence et des rêves
intenses et déplaisants, augmentation de l’ap-
pétit, ralentissement ou agitation psychomo-
trice. Ces symptômes régressent généralement
dans les 15 jours après l’arrêt de l’intoxication
à la cocaïne. Ils ne nécessitent que rarement
un traitement spécifique, notamment en hos-
pitalisation. Des symptômes physiques non
spécifiques sont également possibles (dou-
leurs musculo-squelettiques diffuses, trem-
blements, frissons, nausées, mouvements in-
volontaires…), et régressent spontanément ou
après prescription d’antalgiques de palier 1.
Certains usagers, notamment de crack, peu-
vent voir réapparaître des douleurs intercur-
rentes (mauvais état bucco-dentaire, douleurs
articulaires ou de fractures osseuses, plaies
palmo-plantaires…) souvent mal soignées car
négligées pendant les périodes de consomma-
tion et calmées par l’effet anesthésiant de la
cocaïne.
Certains auteurs ont montré un lien entre la
survenue et l’intensité des symptômes de se-
vrage à la cocaïne et des antécédents de dé-
pression ou de dysthymie, ainsi que des idées
suicidaires plus fréquentes. L’intensité du syn-
drome de sevrage pourrait être liée à un moins
bon pronostic, avec notamment une dépen-
dance plus sévère, des rechutes plus rapides
après une période d’abstinence, plus de diffi-
cultés aux prises en charges thérapeutiques
en hospitalisation (sorties prématurées plus
nombreuses), et une moins bonne réponse
aux traitements pharmacologiques. Une
échelle d’évaluation spécifique, la Cocaine Se-
lective Severity Assessment (CSSA) a été mise
ou point et validée par K. Kampman (5), afin
d’évaluer la sévérité des symptômes de sevrage
à la cocaïne.
Le propranolol et plus spécifiquement des
agonistes dopaminergiques (amantadine et
bromocriptine) ont été proposés comme
traitement de la dépendance à la cocaïne
chez les patients développant un syndrome
de sevrage sévère. En effet, selon plusieurs
modèles neurobiologiques, les symptômes
de sevrage de la cocaïne pourraient être liés
à une déplétion des différents systèmes mo-
noaminergiques synaptiques, notamment du
système dopaminergique. Plus récemment, la
N-acétylcystéine (mucolytique broncho-pul-
monaire) a été proposée comme traitement
du sevrage de la cocaïne. Elle a montré chez
l’homme sa capacité à diminuer le craving
pour la cocaïne dans les premiers jours après
l’arrêt de l’intoxication. La posologie et la du-
rée de prescription, bien que précisées lors de
l’étude d’évaluation (1 200 mg à 3 600 mg par
jour, pendant 4 semaines) [6], doivent encore
être confirmées par d’autres études cliniques
en population ambulatoire ou en hospitalisa-
tion. En effet, les posologies proposées corres-
pondent, en France, à la prise de 6 à 18 sachets