Critères d’accès à la transplantation pour les groupes difficiles Dossier thématique Accès à la transplantation hépatique : comment trouver un compromis entre cirrhose décompensée et carcinome hépatocellulaire dans un système d’attribution fondé sur le score MELD ? Access to liver transplantation: which balance between decompensated cirrhosis and hepatocellular cardinoma in a MELD-based allocation policy? Claire Francoz* (CHC) développé sur cirrhose sont les principales indications de transplantation hépatique (TH) en France et représentent environ 80 % des transplantations. La demande de greffons excède constamment l’offre, et l’augmentation croissante des cas de CHC, qui représentent actuellement près de 40 % des inscriptions sur la liste d’attente, laisse supposer que la pénurie va s’accentuer dans les 10 prochaines années. Il devient donc nécessaire d’optimiser l’attribution des organes et de trouver des solutions permettant d’épargner des greffons. Le bénéfice de la transplantation est facilement évalué pour les cirrhoses et permet d’identifier les meilleurs candidats à la greffe. Il est en revanche plus difficile à déterminer pour le CHC. Alors qu’il n’existe, dans la plupart des cas, pas d’alternative à la TH pour les cirrhoses décompensées, il existe des traitements conservateurs efficaces pour le CHC. Il reste à déterminer les meilleurs candidats à ces traitements. Dans le système français actuel d’attribution des organes, à l’exception des cirrhoses avec un score MELD très élevé qui sont prioritaires, il existe une compétition pour l’accès à la TH entre cirrhose et CHC. Le système permet toutefois d’assurer l’accès à la TH à la grande majorité des CHC alors qu’il exclut de la transplantation les cirrhoses avec un score MELD intermédiaire. Les objectifs futurs sont de déterminer le niveau de sévérité de la cirrhose (en pratique, le score MELD) justifiant un accès prioritaire par rapport à un CHC, et de faire progresser sur liste d’attente de façon différente les CHC dont certains doivent être greffés rapidement et d’autres, plus lentement. Mots-clés : Transplantation hépatique – Score d’attribution des organes – Bénéfice de la transplantation – Cirrhose – Carcinome hépatocellulaire. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Summary Résumé »»La cirrhose décompensée et le petit carcinome hépatocellulaire * Service d’hépatologie, pôle des maladies de l’appareil digestif, hôpital Beaujon, Clichy ; Inserm U773, CRB3, université Paris-Diderot, Paris. Decompensated cirrhosis and hepatocellular carcinoma (HCC) on compensated cirrhosis, accounte for about 80% of liver transplantation (LT). The increased incidence of HCC, reaching 40% of new candidates, implies a dramatic increase in organ shortage in the next decade. Optimizing the organ allocation becomes crucial as well as finding solutions to spare liver grafts. One option is the allocation to patients who derive the highest benefit of LT. Assessment of LT benefit is quite easy in patients with severe cirrhosis. In the French allocation system, patients with low benefit of transplantation do not access to LT, whereas those with highest MELD score are prioritized. The benefit is more difficult to assess in patients with HCC. Conservative techniques, including resection and radiofrequency ablation could help to spare some grafts. However, due to tumor heterogeneity, the best candidates for conservative treatment remain to be defined. In the French system, a maximal score is obtained after 24 months in HCC patients. This score corresponds to a MELD score of 30 in patients with HCC and low MELD score and it is higher in those with higher MELD score. Consequently, the majority of HCC have a better access to LT than patients with cirrhosis and MELD score less than 30, who cannot receive conservative treatments. Future aims are to adjust the model of allocation to obtain “the just in time” transplantation. Keywords: Liver transplantation – Organ allocation score – Benefit of liver transplantation – Cirrhosis – Hepatocellular carcinoma. 73 Dossier thématique MELD 40 1 000 900 État des lieux de la transplantation hépatique 35 800 30 Score Foie 700 600 25 500 20 400 300 15 200 10 100 0 0 3 6 9 12 15 18 Durée d’attente (mois) 21 24 6 Figure 1. Accès à la transplantation hépatique en cas de cirrhoses non compliquées de carcinome hépatocellulaire (CHC). Chez les patients cirrhotiques sans CHC, le score Foie ne dépend que du score MELD. Ce score doit être mis à jour tous les 3 mois selon le score MELD du patient ; il peut être éventuellement mis à jour plus fréquemment, si la maladie s’aggrave (et, donc, que le score MELD augmente). L’exemple d’un patient dont la situation varie sur la liste du fait d’un score Foie se modifiant au cours du temps est donné (ligne pleine). Douze mois après l’inscription, son score Foie correspond à un score MELD de 25 (d’après 7). 1 000 MELD 900 900 838 800 792 700 Score Foie Critères d’accès à la transplantation pour les groupes difficiles 700 600 500 400 300 La transplantation hépatique (TH) représente le meilleur traitement des maladies terminales du foie les plus sévères, quelle qu’en soit la cause. Les 2 principales indications de transplantation sont la cirrhose décompensée et le carcinome hépatocellulaire (CHC) de petite taille développé sur cirrhose. Les résultats de la TH, toutes indications confondues, sont bons, avec des taux de survie à 10 ans de l’ordre de 50 %. Ces bons résultats ont conduit à élargir considérablement les indications et à inscrire un nombre de plus en plus important de candidats. À titre d’exemple, en France, le nombre de nouveaux inscrits sur la liste nationale d’attente est passé de 1 219 à 1 579, de 2005 à 2010. Le nombre de greffons est toutefois resté relativement stable sur cette même période (1 024 en 2005 et 1 092 en 2010) [1]. Le nombre de patients inscrits pour CHC augmente considérablement depuis 10 ans, et le CHC représente actuellement 30 à 35 % des indications de TH en France, comme dans la plupart des pays occidentaux (2). Il est important de noter que la proportion de CHC excédant les critères de Milan à l’inscription, critères habituellement retenus pour l’indication de TH (3), représentaient près de 40 % de l’ensemble des candidats inscrits pour CHC en 2011 (1). La majorité de ces CHC surviennent chez des patients ayant une cirrhose C. L’amélioration constante de la prise en charge des complications de la cirrhose et le vieillissement de la population des patients infectés par le virus C laissent à penser que le nombre de patients avec un CHC va encore augmenter au cours des 10 prochaines années (4). Il devient par conséquent crucial de trouver une solution permettant de transplanter, d’une part, des cirrhoses graves, sans CHC, et, d’autre part, des CHC survenant sur une cirrhose compensée, sachant que tous les patients ne pourront avoir accès à la TH compte tenu de la pénurie d’organes et que ces 2 indications représentent plus de 80 % des indications de TH. 200 Système d’attribution des greffons 100 0 0 3 6 9 12 15 Durée d’attente (mois) 18 21 24 Figure 2. Accès à la transplantation hépatique en cas de cirrhoses non compliquées de carcinome hépatocellulaire (CHC) T2. Le score Foie varie selon la durée d’attente sur la liste et l’accès à la TH dépend de la durée d’attente. Pour les patients qui ont, à l’inscription, un CHC T2 et une insuffisance hépatique sévère (et, donc, un score MELD élevé), l’accès à la transplantation hépatique est rapide et relativement indépendant de la durée d’attente. À l’inverse, chez les patients ayant une cirrhose compensée (et, donc, un score MELD bas), le score Foie progresse au cours du temps. La figure illustre l’exemple d’un patient inscrit pour CHC compliquant une cirrhose avec un score MELD à 22 (ligne pleine). Son score Foie stagne les 6 premiers mois puis progresse rapidement. Un an après l’inscription, son score MELD augmente à 24 et son score Foie est de 780, ce qui correspond au score 74 patient ayant une cirrhose sans CHC avec un score MELD à 32 (d’après 7). d’un La France a adopté en 2007 un système national d’attribution des greffons fondé sur un score : le score Foie, qui prend principalement en compte la sévérité de la cirrhose évaluée par le score MELD. Par définition, un score fondé sur le MELD assure aux patients ayant une cirrhose grave un accès rapide à la TH. À l’inverse, il exclut la transplantation de patients ayant une cirrhose peu grave. Certains patients ayant un score MELD bas peuvent néanmoins être de bons candidats à la transplantation, en particulier ceux ayant un petit Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Accès à la transplantation hépatique : comment trouver un compromis entre cirrhose décompensée et carcinome hépatocellulaire dans un système d’attribution fondé sur le score MELD ? CHC. Pour permettre l’accès à la TH des patients ayant un CHC et une cirrhose compensée, le score français inclut, outre le MELD, la présence d’un CHC, de stade T1 (tumeur unique de moins de 2 cm) ou de stade T2 ou de stade dépassant le stade T1). En pratique, dans le score, selon l’indication de transplantation, 2 paramètres sont définis : ✓✓ un nombre de points (le maximum étant de 1 000 et correspondant à un score MELD de 40) ; ✓✓ le délai d’obtention des points. Le nombre de points et la cinétique d’obtention des points pour les patients ayant une cirrhose sans CHC et un CHC T2 sont représentés dans les figures 1 et 2. Les patients inscrits pour cirrhose ont, dès l’inscription, le nombre de points correspondant à leur score MELD (figure 1). Le score Foie augmente dès que la maladie s’aggrave et que le score MELD augmente. Le score Foie de ceux qui ont un CHC T2 augmente progressivement sur la liste d’attente, et ces patients obtiennent un nombre maximal de points après 24 mois d’attente, sachant que la progression n’est pas linéaire et s’accélère nettement après 3 mois d’attente. Le nombre maximal de points dans cette situation est variable selon le score MELD (figure 2) ; il est d’autant plus élevé que le score MELD est élevé. Le score français pour le CHC diffère du score américain sur plusieurs points qui sont résumés dans le tableau I. Il est important de noter qu’en France tout CHC peut être inscrit alors qu’aux États-Unis, les tumeurs dépassant les critères de Milan sont exclues (5). Le CHC T1, qui était initialement incorporé dans le calcul du score, n’est plus considéré. Enfin, d’autres variables ont été intégrées au score Foie, telles la durée d’attente sur la liste et la distance entre le greffon et le receveur. Quelles sont les pistes pour diminuer la pénurie d’organes et rationnaliser l’attribution des greffons ? En théorie, la pénurie d’organes pourrait diminuer si le nombre de donneurs prélevés augmentait ou si le nombre de candidats diminuait. La conséquence de cette pénurie est une attente prolongée sur la liste de TH, avec un risque de décès durant ce délai, de complication de la cirrhose et de progression tumorale du CHC au-delà des critères de transplantation. L’extension des critères de prélèvement, avec, en particulier, des greffons hépatiques prélevés chez des sujets de plus en plus âgés, le recours à des greffons provenant de donneurs vivants ou, plus récemment, de donneurs décédés après arrêt cardiaque, ne permet pas de combler l’inadéquation entre candidats à la TH et greffons disponibles. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Tableau I. Principales différences entre score américain et score français pour le carcinome hépatocellulaire. Score français Score américain Modalité d’attribution des greffons Intégration du CHC dans le calcul du score Exception au MELD Limite supérieure carcinologique autorisant l’inscription sur liste Aucune Tumeur dans les critères de Milan Prise en compte d’une tumeur préalablement réséquée Oui Non Bénéfice de la transplantation Depuis quelques années, la communauté des transplanteurs hépatiques a cherché à optimiser l’attribution de la ressource rare que représentent les greffons et s’est intéressée au bénéfice de la transplantation. Celui-ci correspond au gain de survie obtenu par la transplantation, par comparaison avec le traitement médical. Une possibilité consisterait à attribuer les greffons aux patients susceptibles de retirer le plus grand bénéfice de la transplantation. Pour les cirrhoses non compliquées de CHC, il est bien démontré que, en dessous d’un score MELD de 15, le risque de décès après TH est plus élevé que le risque de décès sans TH (6). Dans ces conditions, la TH n’est pas justifiée, sauf dans le cas de certaines complications rares (tels une ascite réfractaire, une encéphalopathie chronique ou un syndrome hépatopulmonaire) définissant les exceptions au MELD et justifiant une modalité spécifique d’attribution des organes (7). À l’inverse, c’est chez les patients ayant les maladies les plus graves que le bénéfice de la transplantation est le plus élevé ; il est maximal pour les patients ayant un MELD de 40 (6). Toutefois, le prix à payer dans ces cas très graves est probablement une survie après TH moins bonne. Alors que le risque de décès est important chez des patients cirrhotiques transplantés en situation de défaillance multiviscérale (en particulier hémodynamique et respiratoire), la limite du score MELD pour un patient sans défaillance multiviscérale reste à déterminer. Elle est probablement plus élevée dans les centres ayant l’habitude de prendre en charge des patients ayant une maladie très grave. Le bénéfice individuel de la TH pour CHC est plus difficile à évaluer. Lorsque le CHC s’accompagne d’une cirrhose décompensée, le risque de décès est lié à la sévérité de celle-ci. Le bénéfice de la TH, dans ces conditions, est identique à celui de patients cirrhotiques sans CHC, à MELD comparable. Toutefois, dans la majorité 75 Dossier thématique des cas, le CHC survient sur une cirrhose compensée et le pronostic est lié à l’agressivité de la tumeur. Les critères de Milan, critères habituellement retenus pour l’indication de TH, sélectionnent des candidats ayant un faible risque de récidive tumorale après transplantation, de l’ordre de 10 %. Quelques tumeurs n’excèdent toutefois pas les critères de Milan mais font encourir un risque élevé de récidive après TH. À l’inverse, certaines tumeurs au-delà des critères de Milan peuvent être à très faible risque de récidive après TH et constituer de bonnes indications (8). Depuis quelques années, l’α-fœtoprotéine (AFP), qui est un bon marqueur d’agressivité tumorale et de récidive après TH, suscite un regain d’intérêt. Les Américains ont choisi de ne pas accorder de points supplémentaires aux patients ayant un CHC avec une AFP supérieure à 500 (5). En France, il a été également proposé d’intégrer l’AFP au score, les patients ayant une AFP très élevée (au-delà de 1 000) ne pouvant pas accéder à un greffon (9). Les autres éléments pronostiques connus (différenciation cellulaire, micro-invasion vasculaire et nodules satellites) ne peuvent être pris en compte dans un système de sélection des candidats, puisqu’ils ne sont déterminés que sur l’explant (ou, occasionnellement, après résection tumorale chirurgicale). Alternatives à la transplantation Puisque tous les patients ne pourront être transplantés, faute de donneurs, il faut essayer de proposer des alternatives à la TH acceptables, qui permettent d’obtenir des résultats proches. Certaines complications de la cirrhose peuvent être traitées de façon non chirurgicale. Tableau II. Bonnes indications de transplantation hépatique et indications plus discutables en période de pénurie de donneurs. Cirrhose CHC MELD > 15 Limite supérieure ?* CHC sur cirrhose décompensée (inaccessible à un traitement d’attente) Mauvais candidats à la TH, à risque plus élevé de décès après TH que sans TH MELD < 15 (sauf pour les exceptions au MELD) CHC au-delà des critères à l’inscription ou progressant sur la liste d’attente au-delà des critères Patients pouvant obtenir une survie acceptable sans TH** MELD < 15 et alternative médicale (TIPS pour une ascite réfractaire) CHC sur cirrhose compensée susceptible d’avoir des traitements alternatifs curatifs Bons candidats à la TH, à haut risque de décès sans TH CHC : carcinome hépatocellulaire ; TH : transplantation hépatique ; TIPS : Transjugular Intrahepatic Postsystemic Shunt. *Les patients à MELD très élevé ont de plus mauvais résultats après TH, mais la limite de MELD n’est pas définie. Les patients en situation de défaillance multiviscérale sont de mauvais candidats à cause du risque élevé de décès après TH. **La TH peut être envisagée dans un deuxième temps, en cas d’échec du traitement conservateur. 76 Critères d’accès à la transplantation pour les groupes difficiles Le TIPS (Transjugular Intrahepatic Portosystemic Shunt), par exemple, est un traitement efficace de l’ascite réfractaire. Il n’améliore toutefois pas la survie des patients et est contre-indiqué chez ceux qui ont une insuffisance hépatique avancée (score MELD supérieur à 15). Cette option ne concerne, en outre, qu’une minorité de patients. En pratique, il n’existe pas d’alternative à la TH chez les patients ayant une cirrhose décompensée. En dehors de la TH, il existe des traitements curatifs du CHC. La chirurgie de résection donne de bons résultats, avec des taux de survie à 5 ans de l’ordre de 70 à 75 % (10). Cette chirurgie n’est réalisable que chez les patients ayant une tumeur unique, une cirrhose compensée et ne présentant pas ou ne présentant que peu d’hypertension portale. On estime que seuls 20 % des patients ne vont pas récidiver à long terme (ce qui représente un nombre de greffons épargnés non négligeable) et que 80 % des patients récidiveront (11). Environ 50 % de ces derniers récidivent dans les critères de Milan et sont donc des candidats à la transplantation (transplantation dite “de sauvetage”). Enfin, 25 % récidivent au-delà des critères et ne sont plus transplantables. Les facteurs associés à ce risque évolutif sont un âge supérieur à 60 ans, une tumeur sur la pièce d’hépatectomie de plus de 3 cm, avec des nodules satellites, et une mauvaise différenciation tumorale. Pour ces malades, il faut donc proposer la TH avant que ne survienne une récidive. Dans les autres cas, la TH de sauvetage peut être proposée (12). Ces données sont confortées par les résultats d’une étude américaine récente (registre United Network of Organ Sharing [UNOS]) qui a montré que, à 5 ans, la TH, comparativement à la chirurgie de résection ou au traitement percutané par radiofréquence, n’augmentait la survie que d’environ 3 et 6 mois, respectivement (13). Le tableau II résume les situations pouvant permettre d’“épargner” des greffons. L’âge du receveur est un sujet débattu. Il n’y a pas formellement de limite d’âge pour la TH, mais la plupart des équipes sont réticentes à transplanter des patients âgés de plus de 65 ans. Toutefois, depuis quelques années, l’âge moyen des candidats TH augmente progressivement : il est passé, en France, de 2005 à 2010, de 48 ans à 51 ans, et la proportion de patients de plus de 65 ans a plus que doublé pendant la même période, passant de 3,4 à 8,4 %. Même si les résultats à 5 ans sont bons dans la plupart des séries, la mortalité à long terme est plus élevée (14, 15). Ces données justifient d’envisager le plus souvent possible dans cette population, en particulier chez les patients ayant un CHC, les traitements conservateurs qui donnent de bons résultats. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Accès à la transplantation hépatique : comment trouver un compromis entre cirrhose décompensée et carcinome hépatocellulaire dans un système d’attribution fondé sur le score MELD ? Comment optimiser le système d’attribution et trouver la solution pour transplanter des patients ayant une cirrhose sévère et des patients ayant un carcinome hépatocellulaire et une cirrhose compensée ? L’objectif est que tous les candidats puissent être greffés “‘juste à temps”, c’est-à-dire avant que les patients ayant une cirrhose ne décèdent d’une complication et avant que ceux qui ont un CHC n’aient une tumeur trop évoluée, qui interdirait la TH. Dans le système français, les cirrhoses avec un score MELD très élevé (en pratique, au-delà de 33) ont un accès à la TH très rapide, en général de l’ordre de quelques jours. Pour les CHC, le système leur attribue un nombre de points dépendant de leur score MELD, ces points étant attribués sur 24 mois (figure 2, p. 74). Plusieurs modifications du score pour le CHC ont été apportées depuis 2007, et, dans la version la plus récente, un patient ayant un CHC et un score MELD de 6 obtient, 2 ans après l’inscription, un maximum de points de 700. Le tableau III résume le nombre de points obtenus à 6 mois, 1 an et 2 ans pour les CHC survenant sur des cirrhoses de sévérité variable. En pratique, les patients ayant une cirrhose et un score MELD en dessous de 33 ont le même score que des patients ayant un CHC sur cirrhose compensée avec lesquels ils sont en compétition pour l’obtention d’un greffon. Il est possible qu’un score MELD virtuel de 33 pour un patient ayant un CHC compliquant une cirrhose compensée soit trop élevé. En effet, un patient ayant une cirrhose et un vrai score MELD à 33 est à risque élevé de décès à court terme et justifie une priorité d’attribution par rapport à un patient ayant un CHC. En effet, la proportion de patients inscrits avec un score MELD à 33 est, à tout moment, largement inférieure à celle des patients ayant un CHC. L’objectif est de trouver la valeur du score MELD optimale qui permet la greffe dans les cas de cirrhose les plus graves sans pénaliser les CHC T2. Une analyse rétrospective des données nationales par l’Agence de la biomédecine, après la mise en place de ce système (décès sur liste lié à une aggravation de la cirrhose, sorties de liste pour cause de progression du CHC et résultats de la TH), est toutefois indispensable pour optimiser celui-ci. Les règles actuelles d’attribution des greffons ne prennent pas en compte l’hétérogénéité du CHC, et le score est identique quelle que soit la tumeur. Le pronostic varie cependant selon la situation. À titre d’exemple, le score d’un patient ayant une tumeur réséquée, sans récidive, est le même, à score MELD comparable, que celui d’un patient ayant une tumeur Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Tableau III. Valeur du score Foie selon la durée d’attente sur liste pour les carcinomes hépatocellulaires T2 et score MELD d’une cirrhose ayant un score Foie équivalent. Nombre de points au score Foie Score MELD d’une cirrhose avec un score Foie équivalent CHC T2, MELD 6 À l’inscription 0 6 À 6 mois 79 9 À 12 mois 455 21 À 24 mois 700 30 CHC T2, MELD 20 À l’inscription 352 18 À 6 mois 507 23 À 12 mois 659 28 À 24 mois 792 33 non résécable (par exemple, une tumeur plurifocale, une hypertension portale sévère ou une ascite réfractaire). De la même façon, un patient ayant une tumeur contrôlée par radiofréquence a, à MELD identique, le même score que celui qui a une tumeur multifocale, progressant malgré des séances répétées de chimio­ embolisation. Il paraît donc indispensable de mieux caractériser les tumeurs, d’identifier celles à faible et à haut risque de récidive et de déterminer par l’imagerie et l’AFP, à défaut d’autres outils, quelles sont les tumeurs actives et les tumeurs inactives. Un groupe de transplanteurs est en train d’y réfléchir : l’objectif est de ne pas faire progresser sur la liste d’attente les tumeurs de mauvais pronostic, à haut risque de récidive après TH, ni les tumeurs bien contrôlées par les traitements d’attente (chirurgie, radiofréquence, chimioembolisation). À l’inverse, l’objectif est de favoriser l’accès à la TH des tumeurs qui ne peuvent pas bénéficier d’un traitement d’attente ou de celles qui sont mal contrôlées. Enfin, certaines tumeurs initialement au-delà des critères de Milan peuvent avoir été traitées efficacement et devenir des indications raisonnables de TH (down-staging) [16]. Il est néanmoins indispensable de laisser une période d’observation suffisante, et les nouvelles modalités d’attribution des greffons pour le CHC prévoient d’attribuer des points après un délai d’attente qui reste à définir. Ce travail est préliminaire et nécessite l’adhésion de l’ensemble des équipes de transplantation. La prise en compte de l’hétérogénéité du CHC et des modalités différentes d’accès à la TH selon les caractéristiques tumorales pourrait permettre 77 Critères d’accès à la transplantation pour les groupes difficiles Dossier thématique Conclusion et perspectives La TH est un bon traitement des cirrhoses décompensées les plus sévères et du petit CHC compliquant une cirrhose. Ces 2 indications représentent environ 80 % des candidats à la TH. Ces pathologies sont en expansion, en particulier du fait du pic de maladies terminales liées à l’infection virale C avec, surtout, une augmentation du nombre des patients ayant un CHC. Contrairement à la cirrhose décompensée, certains CHC peuvent être traités efficacement et durablement par des traitements conservateurs, en particulier la chirurgie de résection et l’ablation tumorale par radiofréquence percutanée. Ces alternatives à la TH exposent au risque de récidive tumorale, et il faut poursuivre l’étude des éléments pronostiques permettant d’identifier les patients qui ne récidiveront pas et auxquels une TH pourrait être épargnée. En effet, l’épargne de greffons est une préoccupation constante. Le bénéfice de la TH est un nouvel outil intéressant qui pourrait être utilisé pour optimiser l’attribution des organes, mais il manque encore de robustesse. Il identifie facilement les patients cirrhotiques ne bénéficiant pas de la TH parce que leur maladie n’est pas assez sévère. À l’inverse, il ne permet pas d’identifier formellement les patients cirrhotiques ayant une maladie trop grave pour être transplantés. En l’absence d’étude en intention de traiter, le bénéfice de la TH chez les patients ayant un CHC n’est pas clairement défini. La mise en place d’un score national a incontestablement amélioré l’efficacité de l’attribution des organes (diminution de la mortalité en liste d’attente sans augmentation de la mortalité après transplantation). Il est néanmoins perfectible et doit être réévalué continuellement. Des cinétiques d’accès à la TH variables selon les caractéristiques tumorales pourraient constituer une solution dans l’avenir pour pouvoir transplanter des patients avec des cirrhoses de gravité modérée à sévère sans pénaliser l’accès à la TH des patients atteints de CHC. ■ Résumé d’améliorer l’accès à la TH pour les patients ayant une cirrhose et un score MELD intermédiaire, entre 20 et 30, qui restent de bons candidats à la TH. 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