Accès à la transplantation hépatique : comment trouver un compromis entre

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Critères d’accès
à la transplantation
pour les groupes difficiles
Dossier thématique
Accès à la transplantation hépatique :
comment trouver un compromis entre
cirrhose décompensée et carcinome
hépatocellulaire dans un système
d’attribution fondé sur le score MELD ?
Access to liver transplantation: which balance between
decompensated cirrhosis and hepatocellular cardinoma
in a MELD-based allocation policy?
Claire Francoz*
(CHC) développé sur cirrhose sont les principales indications de
transplantation hépatique (TH) en France et représentent environ
80 % des transplantations. La demande de greffons excède
constamment l’offre, et l’augmentation croissante des cas de CHC,
qui représentent actuellement près de 40 % des inscriptions sur la
liste d’attente, laisse supposer que la pénurie va s’accentuer dans
les 10 prochaines années. Il devient donc nécessaire d’optimiser
l’attribution des organes et de trouver des solutions permettant
d’épargner des greffons. Le bénéfice de la transplantation est
facilement évalué pour les cirrhoses et permet d’identifier les
meilleurs candidats à la greffe. Il est en revanche plus difficile à
déterminer pour le CHC. Alors qu’il n’existe, dans la plupart des
cas, pas d’alternative à la TH pour les cirrhoses décompensées,
il existe des traitements conservateurs efficaces pour le CHC.
Il reste à déterminer les meilleurs candidats à ces traitements. Dans
le système français actuel d’attribution des organes, à l’exception
des cirrhoses avec un score MELD très élevé qui sont prioritaires, il
existe une compétition pour l’accès à la TH entre cirrhose et CHC.
Le système permet toutefois d’assurer l’accès à la TH à la grande
majorité des CHC alors qu’il exclut de la transplantation les cirrhoses
avec un score MELD intermédiaire. Les objectifs futurs sont de
déterminer le niveau de sévérité de la cirrhose (en pratique, le
score MELD) justifiant un accès prioritaire par rapport à un CHC,
et de faire progresser sur liste d’attente de façon différente les
CHC dont certains doivent être greffés rapidement et d’autres,
plus lentement.
Mots-clés : Transplantation hépatique – Score d’attribution des
organes – Bénéfice de la transplantation – Cirrhose – Carcinome
hépatocellulaire.
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
Summary
Résumé
»»La cirrhose décompensée et le petit carcinome hépatocellulaire
* Service d’hépatologie,
pôle des maladies
de l’appareil digestif,
hôpital Beaujon, Clichy ;
Inserm U773, CRB3,
université Paris-Diderot,
Paris.
Decompensated cirrhosis and hepatocellular carcinoma
(HCC) on compensated cirrhosis, accounte for about 80%
of liver transplantation (LT). The increased incidence of HCC,
reaching 40% of new candidates, implies a dramatic increase
in organ shortage in the next decade. Optimizing the organ
allocation becomes crucial as well as finding solutions to
spare liver grafts. One option is the allocation to patients
who derive the highest benefit of LT. Assessment of LT benefit
is quite easy in patients with severe cirrhosis. In the French
allocation system, patients with low benefit of transplantation
do not access to LT, whereas those with highest MELD score
are prioritized. The benefit is more difficult to assess in patients
with HCC. Conservative techniques, including resection and
radiofrequency ablation could help to spare some grafts.
However, due to tumor heterogeneity, the best candidates for
conservative treatment remain to be defined. In the French
system, a maximal score is obtained after 24 months in HCC
patients. This score corresponds to a MELD score of 30 in
patients with HCC and low MELD score and it is higher in those
with higher MELD score. Consequently, the majority of HCC
have a better access to LT than patients with cirrhosis and
MELD score less than 30, who cannot receive conservative
treatments. Future aims are to adjust the model of allocation
to obtain “the just in time” transplantation.
Keywords: Liver transplantation – Organ allocation score –
Benefit of liver transplantation – Cirrhosis – Hepatocellular
carcinoma.
73
Dossier thématique
MELD
40
1 000
900
État des lieux
de la transplantation hépatique
35
800
30
Score Foie
700
600
25
500
20
400
300
15
200
10
100
0
0
3
6
9
12
15
18
Durée d’attente (mois)
21
24
6
Figure 1. Accès à la transplantation hépatique en cas de cirrhoses non compliquées de carcinome
hépatocellulaire (CHC). Chez les patients cirrhotiques sans CHC, le score Foie ne dépend que du
score MELD. Ce score doit être mis à jour tous les 3 mois selon le score MELD du patient ; il peut
être éventuellement mis à jour plus fréquemment, si la maladie s’aggrave (et, donc, que le score
MELD augmente). L’exemple d’un patient dont la situation varie sur la liste du fait d’un score Foie
se modifiant au cours du temps est donné (ligne pleine). Douze mois après l’inscription, son score
Foie correspond à un score MELD de 25 (d’après 7).
1 000
MELD
900
900
838
800
792
700
Score Foie
Critères d’accès
à la transplantation
pour les groupes difficiles
700
600
500
400
300
La transplantation hépatique (TH) représente le meilleur
traitement des maladies terminales du foie les plus
sévères, quelle qu’en soit la cause. Les 2 principales
indications de transplantation sont la cirrhose décompensée et le carcinome hépatocellulaire (CHC) de petite
taille développé sur cirrhose. Les résultats de la TH,
toutes indications confondues, sont bons, avec des taux
de survie à 10 ans de l’ordre de 50 %. Ces bons résultats
ont conduit à élargir considérablement les indications
et à inscrire un nombre de plus en plus important de
candidats. À titre d’exemple, en France, le nombre de
nouveaux inscrits sur la liste nationale d’attente est
passé de 1 219 à 1 579, de 2005 à 2010. Le nombre de
greffons est toutefois resté relativement stable sur cette
même période (1 024 en 2005 et 1 092 en 2010) [1].
Le nombre de patients inscrits pour CHC augmente
considérablement depuis 10 ans, et le CHC représente
actuellement 30 à 35 % des indications de TH en France,
comme dans la plupart des pays occidentaux (2). Il est
important de noter que la proportion de CHC excédant
les critères de Milan à l’inscription, critères habituellement retenus pour l’indication de TH (3), représentaient
près de 40 % de l’ensemble des candidats inscrits pour
CHC en 2011 (1). La majorité de ces CHC surviennent
chez des patients ayant une cirrhose C. L’amélioration
constante de la prise en charge des complications de
la cirrhose et le vieillissement de la population des
patients infectés par le virus C laissent à penser que le
nombre de patients avec un CHC va encore augmenter
au cours des 10 prochaines années (4). Il devient par
conséquent crucial de trouver une solution permettant
de transplanter, d’une part, des cirrhoses graves, sans
CHC, et, d’autre part, des CHC survenant sur une cirrhose
compensée, sachant que tous les patients ne pourront
avoir accès à la TH compte tenu de la pénurie d’organes
et que ces 2 indications représentent plus de 80 % des
indications de TH.
200
Système d’attribution des greffons
100
0
0
3
6
9
12
15
Durée d’attente (mois)
18
21
24
Figure 2. Accès à la transplantation hépatique en cas de cirrhoses non compliquées de carcinome
hépatocellulaire (CHC) T2. Le score Foie varie selon la durée d’attente sur la liste et l’accès à la TH
dépend de la durée d’attente. Pour les patients qui ont, à l’inscription, un CHC T2 et une insuffisance
hépatique sévère (et, donc, un score MELD élevé), l’accès à la transplantation hépatique est rapide
et relativement indépendant de la durée d’attente. À l’inverse, chez les patients ayant une cirrhose
compensée (et, donc, un score MELD bas), le score Foie progresse au cours du temps. La figure
illustre l’exemple d’un patient inscrit pour CHC compliquant une cirrhose avec un score MELD à 22
(ligne pleine). Son score Foie stagne les 6 premiers mois puis progresse rapidement. Un an après
l’inscription, son score MELD augmente à 24 et son score Foie est de 780, ce qui correspond au score
74 patient ayant une cirrhose sans CHC avec un score MELD à 32 (d’après 7).
d’un
La France a adopté en 2007 un système national d’attribution des greffons fondé sur un score : le score Foie,
qui prend principalement en compte la sévérité de
la cirrhose évaluée par le score MELD. Par définition,
un score fondé sur le MELD assure aux patients ayant
une cirrhose grave un accès rapide à la TH. À l’inverse,
il exclut la transplantation de patients ayant une cirrhose peu grave. Certains patients ayant un score
MELD bas peuvent néanmoins être de bons candidats
à la transplantation, en particulier ceux ayant un petit
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
Accès à la transplantation hépatique :
comment trouver un compromis entre cirrhose décompensée
et carcinome hépatocellulaire dans un système d’attribution fondé sur le score MELD ?
CHC. Pour permettre l’accès à la TH des patients ayant
un CHC et une cirrhose compensée, le score français
inclut, outre le MELD, la présence d’un CHC, de stade
T1 (tumeur unique de moins de 2 cm) ou de stade T2 ou
de stade dépassant le stade T1). En pratique, dans le
score, selon l’indication de transplantation, 2 paramètres
sont définis :
✓✓ un nombre de points (le maximum étant de 1 000 et
correspondant à un score MELD de 40) ;
✓✓ le délai d’obtention des points.
Le nombre de points et la cinétique d’obtention des
points pour les patients ayant une cirrhose sans CHC
et un CHC T2 sont représentés dans les figures 1 et 2.
Les patients inscrits pour cirrhose ont, dès l’inscription,
le nombre de points correspondant à leur score MELD
(figure 1). Le score Foie augmente dès que la maladie
s’aggrave et que le score MELD augmente. Le score
Foie de ceux qui ont un CHC T2 augmente progressivement sur la liste d’attente, et ces patients obtiennent
un nombre maximal de points après 24 mois d’attente,
sachant que la progression n’est pas linéaire et s’accélère
nettement après 3 mois d’attente. Le nombre maximal
de points dans cette situation est variable selon le score
MELD (figure 2) ; il est d’autant plus élevé que le score
MELD est élevé. Le score français pour le CHC diffère du
score américain sur plusieurs points qui sont résumés
dans le tableau I. Il est important de noter qu’en France
tout CHC peut être inscrit alors qu’aux États-Unis, les
tumeurs dépassant les critères de Milan sont exclues (5).
Le CHC T1, qui était initialement incorporé dans le calcul
du score, n’est plus considéré. Enfin, d’autres variables
ont été intégrées au score Foie, telles la durée d’attente
sur la liste et la distance entre le greffon et le receveur.
Quelles sont les pistes pour diminuer
la pénurie d’organes et rationnaliser
l’attribution des greffons ?
En théorie, la pénurie d’organes pourrait diminuer si
le nombre de donneurs prélevés augmentait ou si le
nombre de candidats diminuait. La conséquence de
cette pénurie est une attente prolongée sur la liste
de TH, avec un risque de décès durant ce délai, de
complication de la cirrhose et de progression tumorale du CHC au-delà des critères de transplantation.
L’extension des critères de prélèvement, avec, en particulier, des greffons hépatiques prélevés chez des
sujets de plus en plus âgés, le recours à des greffons
provenant de donneurs vivants ou, plus récemment,
de donneurs décédés après arrêt cardiaque, ne permet
pas de combler l’inadéquation entre candidats à la TH
et greffons disponibles.
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
Tableau I. Principales différences entre score américain et score français pour le carcinome
hépatocellulaire.
Score français
Score américain
Modalité d’attribution
des greffons
Intégration du CHC
dans le calcul du score
Exception au MELD
Limite supérieure
carcinologique autorisant
l’inscription sur liste
Aucune
Tumeur dans les critères
de Milan
Prise en compte
d’une tumeur
préalablement réséquée
Oui
Non
Bénéfice de la transplantation
Depuis quelques années, la communauté des transplanteurs hépatiques a cherché à optimiser l’attribution de
la ressource rare que représentent les greffons et s’est
intéressée au bénéfice de la transplantation. Celui-ci
correspond au gain de survie obtenu par la transplantation, par comparaison avec le traitement médical.
Une possibilité consisterait à attribuer les greffons aux
patients susceptibles de retirer le plus grand bénéfice
de la transplantation.
Pour les cirrhoses non compliquées de CHC, il est bien
démontré que, en dessous d’un score MELD de 15, le
risque de décès après TH est plus élevé que le risque de
décès sans TH (6). Dans ces conditions, la TH n’est pas
justifiée, sauf dans le cas de certaines complications
rares (tels une ascite réfractaire, une encéphalopathie
chronique ou un syndrome hépatopulmonaire) définissant les exceptions au MELD et justifiant une modalité
spécifique d’attribution des organes (7). À l’inverse, c’est
chez les patients ayant les maladies les plus graves que
le bénéfice de la transplantation est le plus élevé ; il est
maximal pour les patients ayant un MELD de 40 (6).
Toutefois, le prix à payer dans ces cas très graves est
probablement une survie après TH moins bonne. Alors
que le risque de décès est important chez des patients
cirrhotiques transplantés en situation de défaillance
multiviscérale (en particulier hémodynamique et
respiratoire), la limite du score MELD pour un patient
sans défaillance multiviscérale reste à déterminer. Elle
est probablement plus élevée dans les centres ayant
l’habitude de prendre en charge des patients ayant
une maladie très grave.
Le bénéfice individuel de la TH pour CHC est plus difficile à évaluer. Lorsque le CHC s’accompagne d’une
cirrhose décompensée, le risque de décès est lié à la
sévérité de celle-ci. Le bénéfice de la TH, dans ces conditions, est identique à celui de patients cirrhotiques sans
CHC, à MELD comparable. Toutefois, dans la majorité
75
Dossier thématique
des cas, le CHC survient sur une cirrhose compensée
et le pronostic est lié à l’agressivité de la tumeur. Les
critères de Milan, critères habituellement retenus pour
l’indication de TH, sélectionnent des candidats ayant
un faible risque de récidive tumorale après transplantation, de l’ordre de 10 %. Quelques tumeurs n’excèdent
toutefois pas les critères de Milan mais font encourir un
risque élevé de récidive après TH. À l’inverse, certaines
tumeurs au-delà des critères de Milan peuvent être à
très faible risque de récidive après TH et constituer
de bonnes indications (8). Depuis quelques années,
l’α-fœtoprotéine (AFP), qui est un bon marqueur
d’agressivité tumorale et de récidive après TH, suscite
un regain d’intérêt. Les Américains ont choisi de ne
pas accorder de points supplémentaires aux patients
ayant un CHC avec une AFP supérieure à 500 (5). En
France, il a été également proposé d’intégrer l’AFP au
score, les patients ayant une AFP très élevée (au-delà
de 1 000) ne pouvant pas accéder à un greffon (9). Les
autres éléments pronostiques connus (différenciation
cellulaire, micro-invasion vasculaire et nodules satellites)
ne peuvent être pris en compte dans un système de
sélection des candidats, puisqu’ils ne sont déterminés
que sur l’explant (ou, occasionnellement, après résection tumorale chirurgicale).
Alternatives à la transplantation
Puisque tous les patients ne pourront être transplantés,
faute de donneurs, il faut essayer de proposer des alternatives à la TH acceptables, qui permettent d’obtenir
des résultats proches. Certaines complications de la
cirrhose peuvent être traitées de façon non chirurgicale.
Tableau II. Bonnes indications de transplantation hépatique et indications plus discutables en
période de pénurie de donneurs.
Cirrhose
CHC
MELD > 15
Limite supérieure ?*
CHC sur cirrhose
décompensée (inaccessible
à un traitement d’attente)
Mauvais candidats à la TH,
à risque plus élevé de décès
après TH que sans TH
MELD < 15 (sauf pour
les exceptions au MELD)
CHC au-delà des critères
à l’inscription ou
progressant sur la liste
d’attente au-delà
des critères
Patients pouvant obtenir
une survie acceptable sans
TH**
MELD < 15 et
alternative médicale
(TIPS pour une ascite
réfractaire)
CHC sur cirrhose compensée
susceptible d’avoir des
traitements alternatifs
curatifs
Bons candidats à la TH,
à haut risque de décès sans TH
CHC : carcinome hépatocellulaire ; TH : transplantation hépatique ; TIPS : Transjugular Intrahepatic Postsystemic Shunt.
*Les patients à MELD très élevé ont de plus mauvais résultats après TH, mais la limite de MELD n’est pas définie. Les
patients en situation de défaillance multiviscérale sont de mauvais candidats à cause du risque élevé de décès après TH.
**La TH peut être envisagée dans un deuxième temps, en cas d’échec du traitement conservateur.
76
Critères d’accès
à la transplantation
pour les groupes difficiles
Le TIPS (Transjugular Intrahepatic Portosystemic Shunt),
par exemple, est un traitement efficace de l’ascite réfractaire. Il n’améliore toutefois pas la survie des patients
et est contre-indiqué chez ceux qui ont une insuffisance hépatique avancée (score MELD supérieur à 15).
Cette option ne concerne, en outre, qu’une minorité
de patients. En pratique, il n’existe pas d’alternative à la
TH chez les patients ayant une cirrhose décompensée.
En dehors de la TH, il existe des traitements curatifs
du CHC. La chirurgie de résection donne de bons
résultats, avec des taux de survie à 5 ans de l’ordre de
70 à 75 % (10). Cette chirurgie n’est réalisable que chez
les patients ayant une tumeur unique, une cirrhose
compensée et ne présentant pas ou ne présentant
que peu d’hypertension portale. On estime que seuls
20 % des patients ne vont pas récidiver à long terme
(ce qui représente un nombre de greffons épargnés
non négligeable) et que 80 % des patients récidiveront (11). Environ 50 % de ces derniers récidivent dans
les critères de Milan et sont donc des candidats à la
transplantation (transplantation dite “de sauvetage”).
Enfin, 25 % récidivent au-delà des critères et ne sont
plus transplantables. Les facteurs associés à ce risque
évolutif sont un âge supérieur à 60 ans, une tumeur
sur la pièce d’hépatectomie de plus de 3 cm, avec des
nodules satellites, et une mauvaise différenciation
tumorale. Pour ces malades, il faut donc proposer la
TH avant que ne survienne une récidive. Dans les autres
cas, la TH de sauvetage peut être proposée (12). Ces
données sont confortées par les résultats d’une étude
américaine récente (registre United Network of Organ
Sharing [UNOS]) qui a montré que, à 5 ans, la TH, comparativement à la chirurgie de résection ou au traitement percutané par radiofréquence, n’augmentait la
survie que d’environ 3 et 6 mois, respectivement (13).
Le tableau II résume les situations pouvant permettre
d’“épargner” des greffons.
L’âge du receveur est un sujet débattu. Il n’y a pas formellement de limite d’âge pour la TH, mais la plupart
des équipes sont réticentes à transplanter des patients
âgés de plus de 65 ans. Toutefois, depuis quelques
années, l’âge moyen des candidats TH augmente progressivement : il est passé, en France, de 2005 à 2010,
de 48 ans à 51 ans, et la proportion de patients de
plus de 65 ans a plus que doublé pendant la même
période, passant de 3,4 à 8,4 %. Même si les résultats à
5 ans sont bons dans la plupart des séries, la mortalité
à long terme est plus élevée (14, 15). Ces données
justifient d’envisager le plus souvent possible dans
cette population, en particulier chez les patients ayant
un CHC, les traitements conservateurs qui donnent
de bons résultats.
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
Accès à la transplantation hépatique :
comment trouver un compromis entre cirrhose décompensée
et carcinome hépatocellulaire dans un système d’attribution fondé sur le score MELD ?
Comment optimiser le système
d’attribution et trouver la solution
pour transplanter des patients
ayant une cirrhose sévère et des patients
ayant un carcinome hépatocellulaire
et une cirrhose compensée ?
L’objectif est que tous les candidats puissent être greffés
“‘juste à temps”, c’est-à-dire avant que les patients
ayant une cirrhose ne décèdent d’une complication
et avant que ceux qui ont un CHC n’aient une tumeur
trop évoluée, qui interdirait la TH. Dans le système français, les cirrhoses avec un score MELD très élevé (en
pratique, au-delà de 33) ont un accès à la TH très rapide,
en général de l’ordre de quelques jours. Pour les CHC,
le système leur attribue un nombre de points dépendant de leur score MELD, ces points étant attribués sur
24 mois (figure 2, p. 74). Plusieurs modifications du score
pour le CHC ont été apportées depuis 2007, et, dans
la version la plus récente, un patient ayant un CHC et
un score MELD de 6 obtient, 2 ans après l’inscription,
un maximum de points de 700. Le tableau III résume
le nombre de points obtenus à 6 mois, 1 an et 2 ans
pour les CHC survenant sur des cirrhoses de sévérité
variable. En pratique, les patients ayant une cirrhose
et un score MELD en dessous de 33 ont le même score
que des patients ayant un CHC sur cirrhose compensée
avec lesquels ils sont en compétition pour l’obtention
d’un greffon. Il est possible qu’un score MELD virtuel
de 33 pour un patient ayant un CHC compliquant une
cirrhose compensée soit trop élevé. En effet, un patient
ayant une cirrhose et un vrai score MELD à 33 est à
risque élevé de décès à court terme et justifie une priorité d’attribution par rapport à un patient ayant un CHC.
En effet, la proportion de patients inscrits avec un score
MELD à 33 est, à tout moment, largement inférieure à
celle des patients ayant un CHC. L’objectif est de trouver
la valeur du score MELD optimale qui permet la greffe
dans les cas de cirrhose les plus graves sans pénaliser
les CHC T2. Une analyse rétrospective des données
nationales par l’Agence de la biomédecine, après la
mise en place de ce système (décès sur liste lié à une
aggravation de la cirrhose, sorties de liste pour cause de
progression du CHC et résultats de la TH), est toutefois
indispensable pour optimiser celui-ci.
Les règles actuelles d’attribution des greffons ne
prennent pas en compte l’hétérogénéité du CHC, et
le score est identique quelle que soit la tumeur. Le
pronostic varie cependant selon la situation. À titre
d’exemple, le score d’un patient ayant une tumeur
réséquée, sans récidive, est le même, à score MELD
comparable, que celui d’un patient ayant une tumeur
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
Tableau III. Valeur du score Foie selon la durée d’attente sur liste pour les carcinomes hépatocellulaires
T2 et score MELD d’une cirrhose ayant un score Foie équivalent.
Nombre de points
au score Foie
Score MELD d’une
cirrhose avec un score
Foie équivalent
CHC T2, MELD 6
À l’inscription
0
6
À 6 mois
79
9
À 12 mois
455
21
À 24 mois
700
30
CHC T2, MELD 20
À l’inscription
352
18
À 6 mois
507
23
À 12 mois
659
28
À 24 mois
792
33
non résécable (par exemple, une tumeur plurifocale,
une hypertension portale sévère ou une ascite réfractaire). De la même façon, un patient ayant une tumeur
contrôlée par radiofréquence a, à MELD identique, le
même score que celui qui a une tumeur multifocale,
progressant malgré des séances répétées de chimio­
embolisation. Il paraît donc indispensable de mieux
caractériser les tumeurs, d’identifier celles à faible et
à haut risque de récidive et de déterminer par l’imagerie et l’AFP, à défaut d’autres outils, quelles sont les
tumeurs actives et les tumeurs inactives. Un groupe de
transplanteurs est en train d’y réfléchir : l’objectif est de
ne pas faire progresser sur la liste d’attente les tumeurs
de mauvais pronostic, à haut risque de récidive après
TH, ni les tumeurs bien contrôlées par les traitements
d’attente (chirurgie, radiofréquence, chimioembolisation). À l’inverse, l’objectif est de favoriser l’accès à la
TH des tumeurs qui ne peuvent pas bénéficier d’un
traitement d’attente ou de celles qui sont mal contrôlées. Enfin, certaines tumeurs initialement au-delà des
critères de Milan peuvent avoir été traitées efficacement et devenir des indications raisonnables de TH
(down-staging) [16]. Il est néanmoins indispensable
de laisser une période d’observation suffisante, et les
nouvelles modalités d’attribution des greffons pour
le CHC prévoient d’attribuer des points après un délai
d’attente qui reste à définir. Ce travail est préliminaire
et nécessite l’adhésion de l’ensemble des équipes de
transplantation. La prise en compte de l’hétérogénéité
du CHC et des modalités différentes d’accès à la TH
selon les caractéristiques tumorales pourrait permettre
77
Critères d’accès
à la transplantation
pour les groupes difficiles
Dossier thématique
Conclusion et perspectives
La TH est un bon traitement des cirrhoses décompensées les plus sévères et du petit CHC compliquant
une cirrhose. Ces 2 indications représentent environ
80 % des candidats à la TH. Ces pathologies sont en
expansion, en particulier du fait du pic de maladies
terminales liées à l’infection virale C avec, surtout, une
augmentation du nombre des patients ayant un CHC.
Contrairement à la cirrhose décompensée, certains
CHC peuvent être traités efficacement et durablement par des traitements conservateurs, en particulier
la chirurgie de résection et l’ablation tumorale par
radiofréquence percutanée. Ces alternatives à la TH
exposent au risque de récidive tumorale, et il faut
poursuivre l’étude des éléments pronostiques permettant d’identifier les patients qui ne récidiveront pas
et auxquels une TH pourrait être épargnée. En effet,
l’épargne de greffons est une préoccupation constante.
Le bénéfice de la TH est un nouvel outil intéressant
qui pourrait être utilisé pour optimiser l’attribution
des organes, mais il manque encore de robustesse.
Il identifie facilement les patients cirrhotiques ne
bénéficiant pas de la TH parce que leur maladie n’est
pas assez sévère. À l’inverse, il ne permet pas d’identifier formellement les patients cirrhotiques ayant
une maladie trop grave pour être transplantés. En
l’absence d’étude en intention de traiter, le bénéfice
de la TH chez les patients ayant un CHC n’est pas clairement défini. La mise en place d’un score national a
incontestablement amélioré l’efficacité de l’attribution des organes (diminution de la mortalité en liste
d’attente sans augmentation de la mortalité après
transplantation). Il est néanmoins perfectible et doit
être réévalué continuellement. Des cinétiques d’accès
à la TH variables selon les caractéristiques tumorales
pourraient constituer une solution dans l’avenir pour
pouvoir transplanter des patients avec des cirrhoses
de gravité modérée à sévère sans pénaliser l’accès à
la TH des patients atteints de CHC.
■
Résumé
d’améliorer l’accès à la TH pour les patients ayant une
cirrhose et un score MELD intermédiaire, entre 20 et
30, qui restent de bons candidats à la TH.
Références bibliographiques
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Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
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