Éditorial Groupes difficiles à transplanter : quels sont les défauts du système d’attribution des greffons en France ? The difficult-to-transplant patients: what are the limits of the current allocation systems in France? Yvon Calmus*, Marc Stern**, Corinne Antoine*** L * Centre de transplantation hépatique, hôpital Saint-Antoine, Paris. ** Service de pneumologie, hôpital Foch, Suresnes. *** Service de néphro­ logie et de transplantation rénale, hôpital Saint-Louis, Paris ; Agence de la biomédecine, direction générale médicale et scientifique, direction prélèvement greffe organes tissus, pôle stratégie, Saint-Denis la Plaine. es causes d’échec dans l’accès à la transplantation d’organe solide sont nombreuses (figure). En amont de l’inscription sur liste d’attente, l’échec tient en particulier aux défauts des filières conduisant des services de spécialités, à l’hôpital général ou au centre hospitalier universitaire, aux centres de transplantation. Ces filières sont mal connues et méritent d’être évaluées plus précisément. Mais ce numéro du Courrier s’attache à mettre en lumière les difficultés d’attribution des greffons chez les patients déjà inscrits sur liste d’attente. Les quelques exemples choisis montrent clairement que les problèmes sont très différents selon l’organe considéré, que les modifications apportées aux systèmes d’attribution peuvent, à leur tour, induire d’autres anomalies, et que les effets de ces changements doivent faire l’objet d’évaluations régulières et collégiales. La transplantation pulmonaire (TP) est un bon exemple de défaut d’attribution globale des greffons, apparemment simple. Il existe en TP une pénurie apparente des greffons. À titre d’exemple, le nombre de TP Patient hospitalisé pour maladie grave d’un organe vital Méconnaissance des critères de transplantabilité Contre-indication Patient considéré comme candidat potentiel à la transplantation Délai Aggravation/décès Accès au centre de transplantation Délai Contre-indication Inscription sur liste d’attente ✓ Pénurie vraie ✓ Défaut de présentation des greffons ✓ Déséquilibre entre les indications Transplantation Figure. Filière de soin avant transplantation. 66 Sortie de liste pour aggravation/décès a été de 341 en 2011 (322 poumons + 19 cas cœurpoumons), alors que le besoin estimé, en fonction des critères actuels, est de l’ordre de 400 à 450. L’activité de greffe à partir de donneurs vivants a presque disparu en France, et celle à partir de donneurs décédés après arrêt cardiaque n’est pas encore autorisée. Cependant, le défaut d’accès à la TP pourrait provenir davantage d’une offre insuffisante des greffons existants que d’une pénurie vraie. En 2009, par exemple, à partir de plus de 1 400 prélèvements multiorganes réalisés en France, 70 poumons étaient jugés idéaux selon les critères usuels, 870 étaient des poumons dits “à critères élargis”, et 470 des greffons étaient considérés comme non utilisables pour la greffe. Dans le premier groupe, 90 % des poumons ont été proposés (et 95 % pris) ; dans le second, seuls 250 (29 %) ont été proposés (et greffés dans 72 % des cas). Enfin, dans le troisième groupe, dit marginal, 9 poumons ont été présentés (et seuls 2 utilisés). Les greffons à critères élargis donnent d’excellents résultats dans la majorité des cas. Six cent trente-cinq greffons à critères élargis n’ont donc pas été proposés en 2009, ce qui peut représenter les greffons manquants pour couvrir les besoins. Le taux de proposition des greffons à critères élargis a progressivement augmenté pour dépasser 55 % en 2011, mais il reste insuffisant. L’effort initié par l’Agence de la biomédecine doit donc être poursuivi. En transplantation hépatique (TH), une des problématiques majeures est le déséquilibre d’attribution des greffons entre indications, en particulier entre cirrhose et carcinome hépatocellulaire (CHC) [article de C. Francoz, p. 73]. Depuis 2007, un score d’attribution des greffons hépatiques est en application en France, avec comme objectif affiché que tous les candidats puissent être greffés “juste à temps”, c’est-à-dire avant qu’ils ne sortent de la liste pour cause d’aggravation ou de décès. Dans ce système d’allocation, les patients avec cirrhose sans CHC (dans ce cas, le score MELD est l’élément qui pèse le plus lourd pour l’attribution d’un greffon) accèdent rapidement à la TH lorsqu’ils ont un score MELD élevé (≥ 30). En cas de CHC, le nombre de Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Éditorial points attribués dépend presque exclusivement de la durée d’attente (avec des points qui augmentent progressivement) mais aussi, en partie, du score MELD de la cirrhose habituellement associée. Dans la version la plus récente du score Foie, un patient ayant un CHC et un score MELD minimal (6) obtient un maximum de points de 700, 18 mois après l’inscription, avec un risque majeur de sortie de liste pour cause d’aggravation du CHC. D’un autre côté, les patients atteints de cirrhose sans CHC avec un score MELD < 33 ont un score Foie similaire à celui des patients ayant un CHC sur cirrhose peu grave, avec lesquels ils sont en compétition pour l’obtention d’un greffon. Il est possible qu’une équivalence de score MELD pour le CHC à 33 soit trop élevée, compte tenu du risque important de décès des patients cirrhotiques avec ce score. En effet, la proportion de patients inscrits avec un score MELD ≥ 33 est très inférieure à celle des patients atteints de CHC. L’objectif est de trouver la valeur du score MELD optimale, qui permettrait la greffe dans les cas les plus graves de cirrhose sans pénaliser les CHC. Enfin, les règles actuelles d’attribution des greffons ne prennent pas en compte l’hétérogénéité du CHC. La possibilité de se voir attribuer un greffon des patients ayant une tumeur réséquée ou radiofréquencée, sans récidive, est la même, à score MELD comparable, que celle d’un patient ayant une tumeur non résécable progressant malgré des séances itératives de chimio-embolisation. Il est souhaitable de favoriser l’accès à la TH pour les tumeurs qui ne peuvent pas bénéficier d’un traitement d’attente ou qui sont peu ou ne sont pas contrôlées par ces traitements. La prise en compte des caractéristiques tumorales pourraient permettre de mieux équilibrer l’accès à la TH entre patients ayant une cirrhose avec un score MELD intermédiaire (entre 20 et 30) et patients porteurs d’un CHC, qui ne peuvent pas rester longtemps sur liste d’attente. Les évaluations annuelles de l’impact du score Foie montrent une baisse régulière du taux de décès en liste d’attente, mais des réglages des modalités d’attribution entre indications seront certainement à envisager au cours des années à venir. En transplantation rénale, l’existence d’une hyper­ immunisation constitue un des exemples classiques de difficulté d’accès à la transplantation (article de C. Antoine, p. 79). Le nombre de candidats éligibles à la priorité “hyperimmunisation” est passé approximativement de 7 % des patients en attente en 2009 à 19 % en 2011, avec une disparité entre les équipes liée aux politiques d’inscription, en particulier vis-à-vis des retransplantations, et au caractère mal standardisé des techniques sensibles de détection des Ac antiHLA. Depuis novembre 2009, l’accès au programme Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 Antigènes permis n’est plus conditionné par le Panel Reactivity Antibodies (PRA) de lymphocytotoxicité mais par le taux de greffons incompatibles (TGI), et le nombre de greffes réalisées via ce programme a fortement augmenté, dépassant son objectif, qui était d’améliorer l’accès à la greffe des patients hyperimmunisés. Parallèlement, on observe une augmentation du nombre de crossmatchs positifs, et une inclusion plus importante de receveurs âgés de plus de 60 ans, aboutissant à l’utilisation de greffons de donneurs jeunes chez des receveurs âgés hyperimmunisés. Le passage du PRA-LCT vers le TGI a également étendu la priorité à des malades immunisés principalement en classe II, avec peu ou pas d’Ac anti-classe I, ce qui a comme corollaire un appariement HLA donneur-receveur médiocre. Un certain nombre de corrections ont été mises en œuvre en 2011, parmi lesquelles un appariement à l’âge minimal pour améliorer l’accès à la greffe des jeunes receveurs, et un meilleur niveau d’appariement HLA entre donneur et receveur pour améliorer les résultats. Là encore, les réglages sont délicats, pour ne pas pénaliser un sous-groupe de futurs receveurs. En transplantation cardiaque, la pénurie des greffons est évidente. Le 1er janvier 2010, 766 patients étaient en attente de greffe, et seuls 356 patients ont été transplantés, ce qui correspond à un ratio de 2,1 receveurs potentiels pour un greffon cardiaque. L’accès à la greffe cardiaque s’organise maintenant en fonction du niveau d’urgence, et la détermination d’une catégorie “Super urgence” (SU) nationale a été décidée en 2004, pour permettre l’accès à la greffe des patients urgents (article de L. Sebbag, p. 70). La SU est divisée en 2 catégories : la SU1 correspond à des patients ne requérant pas de dispositif d’assistance ventriculaire de longue durée, mais dont l’état justifie le maintien en soins intensifs, sous inotropes sans possibilité de sevrage ; la SU2 correspond à des malades sous assistance cardiaque mécanique ou nécessitant un cœur artificiel total, ayant présenté une ou plusieurs complications liées au dispositif. Le résultat de cet accès prioritaire a atteint l’objectif qui avait été fixé, à savoir une diminution de l’incidence cumulée des décès en liste d’attente (11,73 vs 14,81 %) entre les périodes 2000-2004 et 2005-2008, ainsi qu’une réduction de la durée d’attente pour les patients priorisés (5,1 vs 8,5 mois). Cependant, les résultats globaux de la transplantation cardiaque se sont parallèlement altérés. Ainsi, la survie à 1 an après la greffe était de 71 % sur la période 2005-2008 versus 77,4 % pour la période 2000-2004. L’attribution prioritaire des greffons aux patients en SU joue certainement un rôle dans les résultats observés, en raison des défaillances multiviscérales qui caractérisent le plus souvent ces patients. ■ 67