Dépression et états de santé S113
quemment « comorbides » chez les patients dans la pratique
médicale quotidienne. En dehors des troubles psychiatriques,
la dépression est signicativement associée dans ces études
épidémiologiques avec les addictions (abus et dépendances)
et plusieurs troubles somatiques chroniques (arthrose,
asthme, diabète, troubles cardiovasculaires…). L’association
entre dépression et addiction d’une part, et dépression et
troubles somatiques d’autre part, constitue un facteur bien
connu de résistance et de récidive du trouble dépressif [18,
23]. Peu de données et de recommandations permettent
d’envisager la prise en compte de ces données épidémiologi-
ques dans la pratique clinique. De même, les patients souf-
frent rarement d’une « comorbidité » mais de troubles pour
lesquels ils tentent, pour garder la maîtrise, de construire
des modèles « unitaires » de la maladie. L’éclatement noso-
graphique et les écarts liés aux modèles existants dans la
prise en charge des différentes affections (maladie somati-
que chronique – trouble dépressif) peuvent aussi conduire à
des contraintes majeures « de gestion de la maladie » pour
les personnes qui en souffrent.
Ces « comorbidités » ont un impact majeur sur l’évolu-
tion des troubles. La survenue concomitante d’un trouble
« physique » chronique ou d’une addiction, et d’une
dépression, entraîne une évolution particulièrement péjo-
rative des deux troubles, comparativement à l’évolution
spontanée d’un trouble isolé. Les comorbidités (avec les
addictions ou les maladies physiques) sont sources d’un ris-
que accru d’hospitalisation, de rechute, de suicide et de
mortalité chez les personnes souffrant de troubles dépres-
sifs [6, 22]. L’espérance de vie des patients déprimés (sur-
tout lors de récidives) apparaît ainsi diminuée du fait d’un
risque de suicide élevé et de mort prématurée (essentielle-
ment par troubles cardiovasculaires) [22].
La dépression : un obstacle à l’adoption
de comportements de santé ?
Les relations entre dépression majeure et troubles cardio-
vasculaires permettent d’illustrer les liens entre dépres-
sion et état de santé. En effet, ces deux troubles sont
souvent associés. Cela n’est pas surprenant car ces deux
affections constituent les deux causes les plus fréquentes
de handicap et de mortalité dans le monde occidental.
Toutefois, en dehors d’une association potentielle liée à la
fréquence élevée de ces deux troubles, de nombreuses étu-
des montrent que le trouble dépressif majeur constitue un
facteur de risque pour le développement de troubles coro-
nariens. Ceci est principalement le cas lors de trouble
dépressif résistant ou récidivant [7]. Ces constations posent
la question de la prise en compte des récidives dépressives
comme moyen prophylactique des troubles coronariens
chez les sujets dépressifs.
De nombreuses hypothèses ont été avancées pour expli-
quer la survenue de troubles vasculaires chez les déprimés
[4, 6, 17]. L’existence de perturbations du système nerveux
autonome associée à la dépression (tachycardie ventricu-
laire…) pourrait expliquer en partie la mortalité par trou-
bles cardiovasculaires chez les patients déprimés.
L’élévation des cytokines augmente le risque de progres-
sion de l’athérosclérose, tout comme l’activation plaquet-
taire qui est augmentée, et comme l’hypercoagulabilité.
L’hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophysaire a éga-
lement été suspecté comme facteur explicatif possible.
Des facteurs génétiques communs entre dépression et
troubles cardiovasculaires ont également été suggérés.
Cependant, l’importance des facteurs génétiques semble
moindre que celle des facteurs environnementaux (séden-
tarité, tabac, pauvreté des supports sociaux, style de vie)
pour expliquer cette association [16, 17]. Parmi ces fac-
teurs environnementaux, ceux qui conduisent à l’appari-
tion d’un syndrome métabolique sont certainement très
importants. Le syndrome métabolique anciennement connu
sous le nom de syndrome de résistance à l’insuline, est
associé à un risque élevé de diabète de type 2 et de trou-
bles cardiovasculaires. Il est retrouvé une association forte
entre syndrome métabolique et mortalité par troubles car-
diovasculaires [11]. Les facteurs responsables de l’appari-
tion de ces troubles métaboliques ne sont pas totalement
connus, mais il apparaît clairement que sont impliqués
l’obésité, la sédentarité, le type d’alimentation et des fac-
teurs génétiques [5, 9].
Le syndrome métabolique est en effet retrouvé avec
une prévalence élevée chez les sujets présentant un trou-
ble dépressif récurrent [5, 6, 9]. Dans l’étude de Heiskanen
et al. [9], 36 % des patients ayant déjà eu un état dépressif
présentent un syndrome métabolique, et 58 % des patients
ayant un trouble dépressif récidivant. Cette prévalence est
beaucoup plus élevée que celle retrouvée dans la popula-
tion générale de même âge et de même milieu social (20 %
en moyenne). De même, chez le sujet jeune, un antécé-
dent de trouble dépressif double le risque d’avoir un syn-
drome métabolique [9, 14]. Ici encore, des facteurs
endocriniens communs entre dépression et syndrome méta-
bolique sont avancés pour expliquer cette association (aug-
mentation du métabolisme du cortisol ou perturbation du
système endocannabinoïde).
Le syndrome métabolique peut être considéré comme
un maillon intermédiaire entre trouble dépressif récurrent
et troubles cardiovasculaires et diabète. Le diabète de
type II et la dépression sont aussi fréquemment associés
[12]. Cette association rend l’évolution de ces deux trou-
bles plus chronique et récidivante. Le syndrome métaboli-
que peut ainsi s’appréhender comme le témoin « objectif »
de comportements « nuisibles » pour la santé. La personne
souffrant de dépression, principalement lors des récidives,
se trouve en situation de menace pour sa santé, en partie
du fait de ces comportements et conduites (sédentarité,
alcool, tabac, isolement social…). Agir sur les facteurs
d’apparition du syndrome métabolique devrait permettre
de diminuer chez les sujets dépressifs le risque de surmor-
talité cardiovasculaire. Actuellement, aucune donnée n’est
disponible permettant de conrmer cette hypothèse. Par
exemple, l’effet des traitements antidépresseurs sur l’évo-
lution du syndrome métabolique est peu documenté [17,
20]. On sait cependant que l’état de santé des personnes et
la survie sont fortement inuencés par le style de vie [1,
15]. Une des questions qui se posent est de savoir pourquoi