© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
L’Encéphale (2010) Supplément 3, S46–S53
Disponible en lignesur www.sciencedirect.com
journalhomepage: www.elsevier.com/locate/encep
Quel parcours de soins pour les adolescents
présentant des troubles des conduites ?
Which course of medical care to provide for teenagers
with behavioural disorders?
C. Baldacci
Centre Hospitalier Sainte-Anne, Secteur 13, 1, rue Cabanis, 75014 Paris
Résumé La claustration et l’errance à l’adolescence posent des problèmes spécifiques, à la fois
diagnostiques et thérapeutiques, en raison du rapport particulier de ces adolescents à l’espace et au
temps.
Un parcours de soins coordonné (accueil en urgence, hospitalisation, soins de suite) leur est proposé,
ainsi qu’à leur famille, selon certaines modalités, au sein d’un service de psychiatrie adulte.
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MOTS CLÉS
Adolescence ;
Troubles des
conduites ; Errance
et claustration ;
Parcours de soins
coordonné
KEYWORDS
Teenage;
Behavioural disorders;
Claustration
and wandering;
Course of coordinated
medical care
Abstract Teenage claustration and wandering entail specific issues, in connection with the diagnosis
and the therapy involved, because of the particular relationship of these teenagers with time and
space.
A course of specific coordinated medical care (emergency admission, hospitalization, follow-up care) is
offered to them as well as to their family, according to certain modalities within a department of
psychiatry for adults.
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Correspondance.
L’auteur n’a pas signalé de conits d’intérêts.
Depuis plus de 15 ans, dans un service de secteur adulte de
l’Hôpital Sainte-Anne, nous accueillons des adolescents au
sein d’une unité d’hospitalisation d’adulte des lits leur
sont réservés. Parmi les adolescents que nous traitons cer-
tains expriment leur souffrance non sur le mode d’une
forme psychopathologique précise mais par des agirs plus
ou moins dénis qui peuvent entrer dans le vaste ensemble
que nous appelons trouble des conduites.
Classiquement, suivant les dénitions aussi bien dans le
DSM-IV [1] que dans la CIM 10, les troubles des conduites
sont caractérisés par la répétition d’une conduite trans-
gressive. La catégorie F91 de CIM 10 dénit les troubles des
conduites comme « un ensemble de conduites répétitives
et persistantes dans lesquelles sont bafoués soit les droits
fondamentaux d’autrui soit les normes et les règles sociales
correspondant à l’âge du sujet » sur une durée sufsante
de 6 mois pour porter le diagnostic.
Quel parcours de soins pour les adolescents présentant des troubles des conduites ? S47
Cette référence à la durée pose le problème classique
de savoir si le trouble débutant va ou non se xer et deve-
nir, comme on dit en médecine, subaigu ou chronique. Le
diagnostic ne pourrait alors se faire qu’après coup, en fonc-
tion de l’évolution. De plus, quelle que soit la durée du
trouble, ces dénitions ont l’inconvénient d’isoler ce trou-
ble de tout axe psychopathologique.
Dans la version révisée de la Classication française des
troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, les auteurs
indiquent au chapitre 7 correspondant au Trouble des
conduites et des comportements qu’il est essentiel de
rechercher s’il s’intègre à l’une des 4 premières catégories,
(1) autisme et troubles psychotiques, 2) troubles névroti-
ques, 3) Pathologie limite ou 4) troubles réactionnels). Ce
caractère trans-nosographique renforce la valeur du facteur
environnemental qui est de fait présent dans le trouble des
conduites, les diverses dénitions insistant sur la notion de
transgression des droits et des normes sociales.
De ce fait l’adolescence sera un moment de prédilec-
tion d’éclosion des troubles des conduites car l’interpella-
tion de l’environnement par l’adolescent se fait souvent
sur un mode provocateur et quelquefois destructeur.
Cette interpellation ne s’adresse pas seulement aux
lieux et aux objets ou aux personnes mais elle vise aussi
leur fonction culturelle, ainsi de la cellule familiale, de
l’école ou du groupe de copains.
En provoquant l’environnement, ces adolescents appel-
lent une réponse qui pourrait les aider à articuler leur
monde psychique interne et la réalité, et leur permettre
ainsi de construire une identité originale. Or, les formes de
réponse de l’environnement peuvent soit faire caisse de
résonance aux provocations psychiques de l’adolescent,
soit permettre la reprise de sa construction identitaire.
C’est dire que le trouble des conduites n’est pas d’emblée
xé mais qu’il implique l’aléatoire de la réponse et qu’il
peut faire partie intégrante de la maturation d’une person-
nalité.
Il paraît donc important, dès le début, pour éviter une
évolution maligne de rééchir à une réponse médico-sociale
ajustée et ce quelle que soit la référence psycho-patholo-
gique sous-jacente.
Pour illustrer ce travail, nous suivrons le parcours de
soins d’adolescents qui présentent des alternances de
claustrations et de conduites de fugue puis d’errance. En
effet ces symptômes qui rentrent dans le cadre de trouble
des conduites sont de plus en plus fréquents et interrogent
de façon paradigmatique la fonction de l’espace chez
l’adolescent et en particulier de l’espace thérapeutique.
Épidémiologie
Sur le plan épidémiologique, l’évaluation des conduites de
fugues et d’errance est peu nombreuse. Les sources sont
essentiellement policières. Ce que l’on peut, toutefois,
noter c’est l’augmentation constante des fugues et des
conduites d’errance. En 2003, on a recensé 60 000 fugues,
en 2007 87 000 (Rapport de la direction centrale de la
sécurité publique publié le 11 avril 2008).
Ce recensement concerne exclusivement des jeunes
entre 13 et 18 ans avec 55 % de lles. Une étude épidémio-
logique réalisée en 1993 par Marie Choquet [3] en France,
retrouve une incidence de 3,7 % des fugues par an chez les
11-18 ans. Aux États-Unis [6] cette incidence est estimée
entre 5 % et 7,6 % des adolescents. Par ailleurs, plusieurs
études [2, 6, 12] concernant ces patients insistent sur la vul-
nérabilité de cette population d’adolescents et sur la gravité
du pronostic à court terme tant sur le plan somatique (mal-
nutrition, addiction, infection VIH, conduite à risque sexuel,
grossesse), que psychique (abus sexuel, prostitution, effon-
drement dépressif avec une incidence importante de tenta-
tive de suicide).
Pour notre part, nous avons constaté dans le service
l’augmentation de l’hospitalisation de ces adolescents qui
posent des problèmes multiples de prise en charge.
Sur le plan psycho-dynamique
Errance et claustration montrent l’importance de l’usage
de l’espace à l’adolescence lorsque la temporalité au sens
de l’écoulement du temps n’a pas encore pris de valeur
psychique structurante.
De la quête du Graal des chevaliers du Moyen Âge, au
Grand Tour des ls de famille en passant par le Tour de
France des Compagnons jusqu’au séjour Erasmus de nos
étudiants actuels, à toutes les époques, l’errance a repré-
senté une étape nécessaire, souvent initiatique susceptible
de transformer le voyage, en départ puis en passage.
L’errance, socialement admise et codiée par ces rites,
prend une valeur initiatique mais pour certains adoles-
cents, cette tentative de passage de l’enfance à l’âge
adulte se trouve entravée par différents facteurs. L’errance
n’aboutit pas, elle ne peut se transformer en vrai départ.
Tentative échouée, l’errance se xe jusqu’à la clochardisa-
tion conférant à ces adolescents un statut de SDF.
L’adolescent errant, a d’abord été considéré comme un
délinquant - la réponse était alors exclusivement judi-
ciaire –, puis comme un mineur à protéger avec une réponse
éducative. Il faudra attendre les années 1950 avec Georges
Heuyer [7] et son article sur la dénition psychiatrique de
« la fugue et du vagabondage » pour que l’aspect psycho-
dynamique et trans-nosographique de la conduite soit prise
en compte.
La psychiatrie classique, Henri Ey [4] ou Bernard Lafont
[9], jusqu’alors intégrait ces conduites dans les cadres
nosographiques classiques (le voyage pathologique du schi-
zophrène, fugue de l’épileptique ou de dément), mais ne
considérait pas cette conduite comme susceptible d’ac-
compagner l’adolescence. Daniel Marcelli et Alain
Braconnier [11] dans leur manuel de psychopathologie de
l’adolescence font de la fugue et de l’errance un mode
d’expression de l’angoisse et des conits des adolescents
marquant la rupture de l’adolescent avec son milieu.
Ainsi voit-on, après ces brèves considérations histori-
ques et épidémiologiques, que l’errance peut être structu-
rante à la condition de relever de codes socialement dénis
mais qu’à l’inverse elle peut devenir une conduite à risque
C. BaldacciS48
lorsque la relation à l’espace a perdu son inscription dans
le groupe. Elle devient alors l’expression d’une adolescence
en crise.
La question est de savoir comment transformer l’er-
rance et son corollaire, la claustration, en passage réussi
vers l’âge adulte.
Adolescence et passage
Dans notre culture, la fugue, les conduites d’errance se
sont dénies comme pathologiques, au fur et à mesure de
la constitution de la notion de cellule familiale nucléaire.
Ce rapport errance/famille, souligne l’importance du
travail psychique de séparation que doit effectuer l’adoles-
cent avec sa famille. Dans ce travail, la difculté la plus
déroutante pour l’adolescent est de s’apercevoir qu’il ne
pourra se séparer de son enfance et de ses parents que s’il
peut supporter une dépendance bien tempérée à l’autre.
En effet l’adolescent traverse une situation paradoxale :
d’un côté, il est confronté à une vie pulsionnelle sexuelle
et agressive renforcée, qui lui impose activité et prise d’in-
dépendance, et de l’autre côté, il cherche appui et dépen-
dance pour faire face à ce qu’il ne peut plus maîtriser. Le
couple activité/passivité, dans les paradoxes sans solutions
qu’il impose, remet en question son estime de lui-même et
menace son identité. Comment peut-il se dégager de ces
forces contradictoires qui écartèlent sa vie psychique et en
menacent sa cohésion ?
Devant ces oppositions binaires, l’adolescent investit
des espaces de transition qui laissent place au hasard, au
tâtonnement, à l’hésitation. La possibilité d’investir le
champ culturel avec l’ouverture sur différents groupes
(école, sports, loisir, groupe d’adolescents) ou l’investisse-
ment du monde des idées peut permettre de déplacer sur
la scène psychique cette conictualité.
Mais en absence de tels espaces, l’agir devient une ten-
tative de dégagement de ces paradoxes. Il condense alors
le plus souvent des mouvements ambivalents d’affranchis-
sement et de dépendance. Ainsi par exemple, de la fugue
qui peut conduire à la claustration ou de l’errance à l’in-
carcération ou à l’hospitalisation en service fermé. L’agir
permet de lutter contre la passivité et de nier la dépen-
dance aux dépens de la réalité elle-même. Dans l’agir l’im-
pensable du paradoxe reste un « pot au noir » rendant
l’adolescent aveugle à ses propres angoisses. La répétition
à l’inni de ces conduites agies (que ce soit sur le corps ou
dans le comportement) tente d’apaiser cette source d’an-
goisse sans y parvenir. Les agirs éloignent et coupent de
plus en plus l’adolescent de sa vie psychique, l’enfermant
dans des comportements apparemment vides de sens
comme la toxicomanie, les troubles des conduites alimen-
taires ou les auto-mutilations.
L’errance et la claustration sont des conduites quant à
elles, qui mettent en acte de façon caricaturale les difcul-
tés liées au changement d’équilibre à l’adolescence entre
de dehors et de dedans. L’errance permet de lutter contre
la passivité qui s’impose à l’adolescent avec l’espoir simul-
tané de la retrouver. Partir, errer, lui donne le sentiment
d’échapper magiquement à l’angoisse intérieure, de retrou-
ver un rôle actif mais jusqu’à l’épuisement.
Dans l’errance, il tente non seulement d’échapper à un
Dehors représenté par l’espace familial devenu trop exci-
tant et inquiétant mais aussi d’échapper à lui-même, fuir
sa tension intérieure, son Dedans. Une sorte de « fuite de
soi-même » comme le décrit D. Lagache [10] à propos de la
fugue.
L’errance, comme la claustration, est un moyen de se
constituer un isolement, une sorte de pare-excitation qui
s’opposerait à l’envahissement par le monde intérieur et
extérieur. Moins l’espace psychique est constitué plus
l’adolescent étouffe, plus il a besoin d’échapper. Pour cer-
tains adolescents, cette conduite devient une véritable
addiction. Mais cette sauvegarde narcissique impose le
refus de l’autre, comme une sorte de fonction anti-objec-
tale, la fugue, puis l’errance moigne alors de l’attaque
du lien proche d’un fonctionnement psychotique.
En effet, on pourrait penser que l’adolescent errant part
à la recherche de nouvelles rencontres qui seraient source
de nouvelles identications, mais en fait, il part au devant
de rencontres sans véritable objet, où l’autre est interchan-
geable, évacué, renforçant une discontinuipsychique qui
menace sa cohésion identitaire et le contraint à nouveau à
repartir. Cette contrainte à péter l’enferme dans une
conduite unique qui devient l’unique réponse à toute situa-
tion angoissante. L’errance devient alors un enfermement,
le temps n’existe pas, c’est le règne de l’immédiateté,
de la décharge ; l’adolescent ne s’inscrit plus dans un avant
et un après. Une sorte de « meurtre du temps » selon l’ex-
pression d’A. Green [5] quand il parle de l’agir.
Il s’enferme de plus en plus dans une vie sans objet,
sans contenu psychique et hors du temps où seule la déam-
bulation lui donne l’illusion d’exister.
À l’opposé de l’errance, on trouve la claustration qui en
est le versus inhibé. L’adolescent qui se cloître dans sa cham-
bre, d’abord quelques heures dans la journée, alterne sou-
vent des moments de fugue, d’errance et de claustration. Puis
la porte de la chambre et de l’appartement se referment sur
lui, il s’immobilise dans l’espace. Les murs de la chambre,
sorte de grand masque le protègent du regard de l’autre.
De sa chambre, il entretient bien souvent des relations
virtuelles par Internet (s’agit-il d’errance virtuelle ?) ou
encore joue des heures à des jeux vidéo comme le décrivent
nos collègues japonais dans le syndrome Kikomori, réduisant
de plus en plus ses déplacements aux aller et retour du réfri-
gérateur ou à l’épicerie du coin à sa chambre.
Mais lorsqu’une porte d’adolescent se referme, cela ne
traduit pas seulement son désir d’intimité et sa volonté de
protection du monde extérieur en le maintenant à distance.
Comme dans l’errance, il cherche aussi à se protéger de
son monde intérieur et de ses moments d’inquiétantes
étrangetés liées à la montée de son désir et à sa violence.
L’enfermement ne concerne pas que l’espace, en se terrant
ou en errant l’adolescent refuse les changements, les sépa-
rations, il cherche aussi à immobiliser le temps, à bloquer
en lui l’instauration d’une temporalité psychique. Toutefois,
la maturation de son corps résiste à ce refus du temps et lui
rappelle que le temps implique séparation et rencontre.
Quel parcours de soins pour les adolescents présentant des troubles des conduites ? S49
donc une valeur exploratoire et évaluative, occasion d’une
exion pluri-disciplinaire sur la stratégie thérapeutique à
adopter.
Nous retrouvons une démarche psychiatrique classi-
que qui va de l’exploration des symptômes, au fonctionne-
ment psychique en y associant l’évaluation de la dynamique
familiale.
La particularité de cette hospitalisation, est de se dérou-
ler dans une unité de psychiatrie générale d’adulte qui a
réservé environ un quart de ses lits pour des adolescents en
état aigu ; Cette proportion permet que les adolescents
soient sufsamment nombreux pour former un groupe tout
en préservant l’originalité de l’accueil en milieu adulte et
d’éviter les phénomènes de contagion symptomatique ren-
contrés dans les services d’adolescents.
En quoi cette unité est-elle utile
dans le parcours de soins des troubles
des conduites ?
Une même équipe a choisi de soigner des adultes et des
adolescents, elle croise son savoir faire d’une équipe habi-
tuée à repérer l’émergence de pathologie adulte avec sa
formation à la clinique particulière de l’adolescent qui
nécessite également la mise en perspective avec l’infan-
tile. Cette double compétence est particulièrement pré-
cieuse pour ces adolescents qui nécessitent, par exemple
en début de traitement, des soins corporels proches des
techniques utilisées chez certains catatoniques ou chez des
patients agités. Ils bénécient également du dispositif de
soins contenant du service pour éviter qu’ils ne fuguent dès
leur arrivée sans qu’ils aient l’impression que cette conte-
nance leur est spéciquement destinée. De même face à
l’impulsivité, le savoir faire acquis dans les passages à
l’acte violents en service d’adulte permet bien souvent de
l’endiguer sans trop de difculté.
L’autre originalité de cette unité est l’hétérogénéité
des groupes auxquels les adolescents participent. Selon les
activités, certains groupes mêlent des patients adultes et
adolescents, d’autres leur sont exclusivement réservés.
Dans les groupes avec les patients adultes, ceux-ci sont
alors vécus par les adolescents tantôt du côté des soignants,
tantôt du côté des patients ouvrant à un jeu identicatoire
particulièrement complexe qui introduit l’adolescent aux
conits psychiques, à l’ambivalence à l’atténuation des cli-
vages et les positions paranoïaques face au monde des
adultes. Parallèlement, les groupes uniquement réservés
aux adolescents favorisent au milieu de cette hétérogé-
néité un sentiment d’appartenance à un groupe qu’ils n’ont
jusque-là guère connu.
Ainsi un lieu d’hospitalisation, les adultes ne sont
pas que des soignants peut être un lieu plus contenant pour
ces patients. Ce mélange favorise la différenciation et
contribue à l’instauration d’un sentiment d’identité face à
un monde d’adultes perçu dans sa complexité.
Au terme de l’évaluation diagnostique et thérapeuti-
que, un projet de soins s’est dessiné aux cours des entre-
tiens avec l’adolescent et sa famille mais aussi avec les
Quelles seraient les conditions de soins pour que ses
adolescents enfermés dans un espace trop grand ou trop
restreint puissent accepter de s’engager dans un mouve-
ment psychique progrédient qui lui permettra de passer au
temps de la génitalité il faut pouvoir accepter cette
jouissance masochique du manque et de l’attente ?
Le temps de l’accueil
Le plus souvent l’adolescent errant ou claustré ne consulte
pas car cela supposerait qu’il ait dépassé sa crainte de la
dépendance particulièrement réactivée dans la demande
de soins.
Le premier contact se fait quelques fois à la demande
des parents ou des services sociaux mais le plus souvent en
urgence, dans un contexte de crise (violence familiale,
ivresse, intoxication ou autres mises en danger).
C’est un temps crucial car il ne peut être différé et il
faut pouvoir saisir cette occasion de rencontre. Cependant
on pourrait craindre qu’une réponse non différée soit une
réponse en miroir, un contre-agir. Mais l’expérience montre
qu’un accueil rapide peut permettre au contraire de sortir
de la confusion dans laquelle plonge la crise. Cet accueil
peut aider l’adolescent et sa famille à retrouver une capa-
cité de penser.
Quel type de réponse peut être pertinente en urgence
pour ces adolescents ?
Pour les adolescents errants, une première évaluation
peut être faite à l’occasion de l’urgence en consultation
psychiatrique qui peut se prolonger sur 48 ou 72 heures
comme elle est pratiquée au CPOA à l’Hôpital Sainte-Anne.
Leur état général est souvent dégradé, si une hospitalisa-
tion s’impose pour pouvoir engager des soins, elle sera
d’autant mieux acceptée qu’elle s’étayera sur le corps
souffrant.
Dans les cas de claustration nous pensons qu’il est jus-
tié de faire l’évaluation de l’urgence à domicile après un
travail avec les parents, particulièrement quand cette
demande émane du médecin scolaire ou d’un service social.
En collaboration avec le CPOA et le Dr Guedj sont organisé
des visites à domicile qui permettent de poser les bases
d’un projet de soins. Ces visites à domicile constituent
l’événement extérieur, l’imprévu qui permet de reprendre
les liens interrompus par la claustration.
Cet événement imprévu et le passage par le corps per-
mettent d’éviter à l’adolescent de formuler une demande
qu’il est incapable d’élaborer.
Une hospitalisation souvent s’impose car elle permet
l’évaluation psychopathologique de l’adolescent et celle
de la dynamique familiale qui sous-tend le symptôme.
Le temps de l’hospitalisation
Qu’attendre de l’hospitalisation ?
L’hospitalisation dans le cadre de l’errance et la claustra-
tion est d’autant plus importante que le peu de scicité de
ces conduites ne permet pas d’évaluer facilement les problè-
mes psychopathologiques sous-jacents. L’hospitalisation aura
C. BaldacciS50
Pour que l’adolescent (re-) trouve un groupe
L’errance, la claustration, nous l’avons constaté, isolent de
soi-même mais aussi des autres, du groupe de ses pairs et
des adultes.
Ils ne peuvent, la plupart du temps, retourner sur les
lieux de scolarisation ou d’apprentissage habituels car ils
les ont quittés depuis longtemps. Ils ont ainsi perdu non
seulement les groupes d’adolescents auxquels ils partici-
paient mais aussi ceux des adultes qui s’occupaient d’eux
(professeur, éducateur, parents de copains) qui pouvaient
constituer d’autres pôles identicatoires et les aidaient à
desserrer ainsi le lien aux parents.
La constitution d’un groupe relativement stable d’ado-
lescents et de soignants adultes sur une durée limitée mais
pouvant aller de plusieurs semaines à quelques mois autour
d’un projet de soins et de resocialisation permet d’offrir un
cadre de soins groupal qui favorise la prise de distance avec
les images parentales et l’étayage narcissique en atténuant
le sentiment de dépendance et de confusion identitaire.
Ces trois temps du parcours de soins (accueil, hospitalisa-
tion et soins de suite) s’entrecroisent souvent et s’arti culent
avec d’autres structures sanitaires, éducatives ou pédagogi-
ques qui nécessitent avec eux un travail en réseau.
Travail en réseau
Avant leur arrivée, les adolescents souffrant d’un trouble
des conduites ont mobilisé bon nombre de structures socio-
éducatives et judiciaires, services de soins généraux ou
foyer d’hébergement dont les interventions n’ont pu bien
souvent, être coordonnées entre elles. La crise qui motive
la demande de soins est l’occasion de la reprise éventuelle
d’un travail en réseau qui permet d’articuler les initiatives
des différents intervenants et d’éviter les redondances. La
mobilisation d’un tel réseau peut non seulement soutenir
l’action thérapeutique mais aussi en garantir le sens car
l’important est que l’adolescent se représente que nul ne
détient une réponse globalisante et satisfaisante à tous ses
problèmes.
Il s’agit de garantir par ce travail la limite de chacun qui
ainsi reconnue et explicitée permet d’organiser une fonction
tierce susceptible d’empêcher l’établissement d’une rela-
tion d’emprise ou de séduction suivi d’un abandon brutal.
Travail institutionnel
L’intérêt d’un parcours de soins pour ces adolescents réside
dans le l rouge donné par le travail institutionnel qui tire
sa cohérence d’un cadre de soins. Il permettra à chaque
étape du parcours de soins de délimiter un espace de négo-
ciation, un entre deux où l’adulte soignant et l’adolescent
peuvent se rencontrer.
Ce cadre sera également un des éléments du diagnos-
tic, en permettant d’évaluer la façon dont l’adolescent, sa
famille, et les soignants, le mettent à l’épreuve et le font
travailler. Un cadre de soins déni est particulièrement
indispensable pour les adolescents qui sont dans le passage
à l’acte, car il permet d’objectiver la trace de ces agirs qui
peuvent ainsi dans la confrontation avec le cadre prendre
intervenants socio-éducatifs extérieurs et l’inter-secteur
infanto juvénile en charge des soins de l’adolescent. Cette
collaboration, se traduit par la présence une fois par mois
d’un de nos collègues pédopsychiatre du 14e à notre réu-
nion institutionnelle au cours de laquelle nous débattons
des projets de soins.
Soins de suite : lieu et temps
de la médiation
Après le temps d’hospitalisation d’une moyenne de 3 à
4 semaines, nous proposons une poursuite des soins dans le
cadre d’un accueil de jour, dans un lieu différencié mais tou-
jours dans le service. Une nouvelle équipe, en étroite colla-
boration avec l’équipe d’hospitalisation, entre en jeu.
Pourquoi des soins de suite ?
Pour ces adolescents la parole est encore
laborieuse voire impossible
En effet, la parole n’est pas encore investie de ses potenti-
alités symboliques. La mise en mot des conits et des
affects est encore impossible. Attendre qu’un tel adoles-
cent dise ce qui lui vient se solderait par un « je ne sais
pas », ou un silence hostile et toutes propositions de liens
par un cinglant « mais c’est du n’importe quoi ! »
Plus la parole est inquiétante, plus il importe de la
contourner en recherchant d’autres médiations.
Pour leur permettre de trouver des activités
de médiation
Il importe de chercher avec eux un terrain commun : que
ce soit un objet culturel, un projet sportif ou de voyage,
des activités pédagogiques ou toutes formes de remédia-
tions cognitives.
L’objectif sera d’utiliser au fur et à mesure de leur sur-
gissement les éléments susceptibles de faire l’objet d’un
travail élaboratif mais à « l’insu de leur plein gré » selon
une formule qui a fait orès. En effet, il faut respecter leur
peur de la dépendance et de l’intrusion en leur donnant
l’illusion qu’ils peuvent se passer de l’objet pour compren-
dre, pour savoir. On atténue ainsi leur crainte de la passi-
vité en leur donnant le sentiment d’un rôle actif.
Pour aménager la distance avec la famille
Cette unité s’est imposée car il nous fallait aussi tenir
compte de la situation paradoxale dans laquelle se trouvent
adolescents et parents. Ph. Jeammet résume ce paradoxe
par : « ce dont les adolescents ont le plus besoin, sous-
entendu les parents, est aussi ce qui les menace le plus. »
Or quand les adolescents sortent du temps de l’hospitali-
sation ils retrouvent une maison vide, parents et fratrie
vaquent à leurs occupations. Double peine, ils sont seuls et
marginalisés ; Il n’est alors pas rare de voir certains parents se
mettent en con de maladie pour « surveiller » leur enfant
aggravant le lien de dépendance et mobilisant une forte
agressivité de part et d’autre. Le cercle infernal de l’errance
et de claustration se réenclenche alors rapidement.
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