Troubles psychotiques aigus liés au bupropion : revue de la littérature 463
dopamine), comme des composés psychoactifs amphétami-
niques. Son utilisation clinique aux États-Unis remonte aux
années 1980. Un temps retiré du marché suite à la survenue
de crises comitiales doses-dépendantes, il est réintroduit en
1989 à dosage adapté et accompagné de strictes restrictions
d’emploi (antécédents comitiaux, troubles des conduites
alimentaires, sevrage éthylique ou benzodiazépinique) [28].
Outre la forme à libération immédiate (WELLBUTRIN IR®,
immediate-release), deux formes à libération lente ont été
mises au point (WELLBUTRIN SR®et WELLBUTRIN XR®pour
sustained-release et extended-release)[25].
Au plan pharmacologique, le bupropion ainsi que deux de
ses métabolites actifs inhiberaient la recapture de la dopa-
mine et de la noradrénaline [28]. Bien que son potentiel
inhibiteur de la recapture de la dopamine soit deux fois plus
important que celui de la noradrénaline, c’est ce second
processus qui serait majoritairement responsable de l’action
antidépressive observée dans les modèles expérimentaux
[49].
L’indication principale du bupropion reste, outre-
atlantique, l’épisode dépressif majeur. La fenêtre thérapeu-
tique est comprise entre 100 et 450 mg/j [21]. Le bupropion
est intégré parmi les traitements de première ligne de
la dépression bipolaire dans les recommandations nord-
américaines [61,67]. Il a pu être considéré comme plus
faiblement inducteur d’épisodes maniaques que d’autres
molécules [27,44,52], bien que ce profil de tolérance soit
contesté [27].
Ses propriétés facilitatrices de l’arrêt du tabac ont
été découvertes dans les années 1990 : certains patients
fumeurs, traités par bupropion pour dépression, cessaient
spontanément leur tabagisme [11]. Le bénéfice du bupro-
pion a été ensuite établi chez les fumeurs non-déprimés
versus placebo et versus patchs nicotiniques [36]. Le bupro-
pion SR a rec¸u en 2001 une autorisation de mise sur le marché
franc¸ais dans cette indication, sous le nom commercial
de ZYBAN®. Il est prescrit à posologie progressive jusqu’à
300 mg/j, l’arrêt du tabac étant programmé au cours la
deuxième semaine de traitement [11].
Les mécanismes par lesquels le bupropion facilite le
sevrage tabagique ne sont pas totalement éclaircis. L’action
dopaminergique pourrait atténuer les signes de sevrage [54].
On a découvert plus récemment qu’il était un antagoniste
non-compétitif des récepteurs cholinergiques nicotiniques
et pourrait donc inhiber l’activation du système de récom-
pense induit par la nicotine [28,49].
Le bupropion bénéficie désormais d’un recul interna-
tional de plus de dix ans dans le sevrage tabagique
[36], y compris dans certaines populations et sous-groupes
spécifiques [1,35,62]. Ainsi, en dépit de ses propriétés dopa-
minergiques, il a été utilisé chez des patients schizophrènes,
où il a fait preuve d’une efficacité modeste mais significative
[19]. Les essais randomisés disponibles n’ont pas mis en évi-
dence d’exacerbation de la symptomatologie psychotique
[19,23,30].
Le sevrage tabagique, situation à haut risque de
manifestations psychiques aiguës
L’arrêt du tabac est associé dans plus de la moitié des
cas à des plaintes psychiques et/ou somatiques variées
[12]. Le sevrage nicotinique en est la forme la plus connue
(Tableau 1) ; le bupropion aurait un effet favorable sur cer-
tains items (humeur dépressive, difficulté de concentration,
irritabilité) [58].
La probabilité de survenue d’un épisode dépressif est
augmentée dans l’année qui suit un sevrage tabagique, en
particulier en cas d’antécédent dépressif, qu’il soit unique
ou plus encore récurrent [16,64]. Quelques cas de manies
imputables au sevrage nicotinique ont également été signa-
lés [6,7,43].
L’apparition d’une symptomatologie confusionnelle aiguë
de type delirium, imputable au sevrage nicotinique, a éga-
lement été décrite dans des contextes somatiques lourds
[29,47,63].
Bupropion et épisodes psychotiques aigus :
revue de la littérature
Matériel et méthode
Notre méthode est bibliographique descriptive et critique.
Elle a consisté dans un premier temps à passer en revue,
à partir des bases de données Medline, Cochrane et Else-
vier, l’ensemble des publications de tous types (i.e. lettres à
l’éditeur, articles originaux, revues de la littérature) suscep-
tibles d’établir l’imputabilité d’un traitement par bupropion
dans la survenue d’épisodes psychotiques (et/ou thymiques
avec caractéristiques psychotiques) aigus. Nous avons sélec-
tionné tous les articles disponibles en langue anglaise et
parus jusqu’en novembre 2008, auquel il convient d’ajouter
un cas personnel récemment publié. Outre «bupropion »,
les mots-clés suivants ont été utilisés : psychosis, schizo-
phrenia, hallucination, delirium,mania/depression with
psychotic/mélancholic feature, catatonia, delusion, confu-
sion, restlessness.
Nous avons dans un second temps isolé les publica-
tions décrivant précisément les cas cliniques rapportés et
mentionnant : l’âge et le sexe du patient concerné, ses anté-
cédents significatifs, la forme et la posologie de bupropion
utilisées (en excluant les cas de surdosage manifeste), le
cadre nosographique et le contexte pharmacologique de son
administration, enfin la présentation clinique circonstanciée
de l’épisode induit.
Résultats
Publications des données des systèmes de
pharmacovigilance
La base de données de la pharmacovigilance franc¸aise
concernant les effets indésirables du bupropion a fait l’objet
d’une publication pour les années 2001 à 2004 [8]. Le sys-
tème dédié des centres anti-poisons américains a recueilli
plus de 7300 incidents d’exposition au bupropion seul, de
1998 à 1999 [5]. L’étude des surdosages intentionnels sur-
venus au Texas durant la même période est également
disponible [56], ainsi que celle des surdosages accidentels
enregistrés aux États-Unis durant les années 2000 à 2003
[57].
Des manifestations psychotiques (hallucination, délire
paranoïde) sont rapportées au travers de ces quatre