Psychose, troubles bipolaires et cognition S165
Trouble thymique aigu, psychose
et cognition
Au moment de l’épisode thymique aigu, l’existence de symp-
tômes psychotiques est associée à une altération plus sévère
du fonctionnement cognitif dans le trouble bipolaire [9].
Albus et al. [1] ont montré que la présence de symptô-
mes psychotiques était une variable plus infl uente que la
catégorie diagnostique (schizophrénie ou trouble de l’hu-
meur : dépression unipolaire ou troubles bipolaire) sur les
performances cognitives. Une étude antérieure n’avait pas
retrouvé ce même résultat, mais il s’agissait d’une étude
portant sur petit nombre de patients bipolaires [7].
Des résultats similaires ont été retrouvés pour la dépres-
sion : lors des épisodes aigus, Basso et Borstein [3] et Nelson
et al. [14] ont trouvé des performances cognitives plus fai-
bles chez des patients déprimés psychotiques, en compa-
raison à des patients déprimés non psychotiques, ceci étant
associé à une atrophie corticale et un élargissement ventri-
culaire plus marqués.
Chez des sujets de plus de 45 ans, les performances
cognitives (mémoire, attention, habiletés motrices, vitesse
psychomotrice) ne différaient pas entre des patients dépri-
més unipolaires psychotiques et des patients schizophrè-
nes, mais étaient inférieures à celles de déprimés
unipolaires non psychotiques (alors que la sévérité de la
dépression était similaire) [8].
Troubles bipolaires avec histoire
psychotique et troubles cognitifs
La recherche d’anomalies cognitives en période euthymi-
que, chez des patients bipolaires, est particulièrement
intéressante.
Zubieta et al. [25] ont montré une altération du fonc-
tionnement exécutif, des capacités d’apprentissage et des
capacités attentionnelles chez des patients bipolaires
euthymiques avec une histoire de symptômes psychotiques
(c’est-à-dire ayant présenté des symptômes psychotiques
pendant les épisodes thymiques), en comparaison à des
contrôles sains. D’autres études ont montré que des
patients bipolaires euthymiques ayant une histoire person-
nelle de troubles psychotiques avaient des performances
cognitives inférieures à celles de patients bipolaires sans
histoire psychotique.
Certains auteurs posent donc la question de séparer,
dans la nosographie, une catégorie « trouble bipolaire avec
symptômes psychotiques ». Ils s’appuient pour cela sur les
études cognitives, mais aussi sur les données cliniques (âge
de début, sévérité des épisodes thymiques, évolution plus
sévère), les données d’imagerie (augmentation du volume
ventriculaire chez les bipolaires avec symptômes psychoti-
ques et chez les schizophrènes, vs les sujets contrôles sains
et les bipolaires sans symptômes psychotiques [20]), et
enfi n les données génétiques (par exemple, agrégation de
la symptomatologie psychotique dans les familles de
patients bipolaires [18] ; études de liaison positives dans
des familles de bipolaires avec symptômes psychotiques,
mais pas dans les familles de bipolaires sans symptômes
psychotiques, sur les chromosomes 13q31 et 22q12 [16]).
Pour aider à répondre à cette question de l’individuali-
sation des troubles bipolaires avec symptômes psychoti-
ques, certains ont cherché à mettre en évidence des défi cits
cognitifs spécifi ques.
Quelques études ont directement comparé patients
bipolaires avec et sans histoire personnelle de symptômes
psychotiques. Elles ont montré des altérations plus mar-
quées dans certains domaines, en cas d’histoire personnelle
psychotique : altération de la mémoire déclarative verbale
[12] chez des bipolaires de type I et de type II ; altération
des capacités d’inhibition telles qu’explorées par la tâche
de Stroop chez des bipolaires de type I, mais qui semblait
liée à la symptomatologie psychotique actuelle [19] ; alté-
ration de la fl exibilité mentale chez des bipolaires euthy-
miques de type I, objectivée par le WCST (Wisconsin Card
Sorting Test) [4] ; altération de la mémoire de travail spa-
tiale chez des patients bipolaires de type I ambulatoires [6]
et ceci indépendamment de la catégorie diagnostique
(schizophrénie, schizo-affectif, bipolaire), ce qui pourrait
en faire un marqueur de susceptibilité à la psychose.
Une limite de ces études est l’absence de distinction
faite entre symptômes psychotiques congruents et non-
congruents à l’humeur.
Implications génétiques
Tabarès-Seisdedos et al. [22] ont montré que des patients
bipolaires ou schizophrènes qui présentaient une histoire
familiale de psychose avaient des performances cognitives
inférieures à celles de patients sans histoire familiale de
psychose, et ceci indépendamment de la catégorie dia-
gnostique.
Il pourrait ainsi exister une susceptibilité génétique
particulière à présenter des diffi cultés cognitives et des
symptômes psychotiques, susceptibilité qui serait partagée
par les troubles bipolaires et les troubles du spectre schi-
zophrénique.
Un gène intéressant à ce propos est le gène DISC-1
(Disrupted In Schizophrenia ; Porteous et al. [15]), qui est
impliqué dans les processus neuro-développementaux, et a
été associé avec le risque de développer d’une part un trou-
ble psychotique primaire (schizophrénie, trouble schizo-
affectif, trouble bipolaire), et d’autre part des troubles
cognitifs (trouble de la fl exibilité mentale, des processus
attentionnels, de la fl uence verbale, de la vitesse psychomo-
trice, de la mémoire à long terme, et de la mémoire de
travail spatiale). Le type de variant du gène DISC-1 pourrait
expliquer la variabilité phénotypique associée.
Implications pour la conceptualisation
des liens entre troubles bipolaires
et schizophrénie
Lorsque l’on compare le niveau moyen de fonctionnement
cognitif dans le trouble bipolaire et la schizophrénie, on
constate que les patients bipolaires présentent des diffi cul-