GÉNÉRALITÉS : des pratiques aux théories 11 La dépression

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La dépression : des pratiques aux théories 11
GÉNÉRALITÉS
La dépression est la pathologie men-
tale la plus fréquente en gérontopsy-
chiatrie. Mais il existe une hétérogé-
néité tant sur le plan clinique
qu’étiopathogénique. Les consé-
quences fonctionnelles sont plus im-
portantes dans cette sous-population
en comparaison des autres âges de la
vie : perte d’autonomie, déclin fonc-
tionnel, baisse de la qualité de vie,
accroissement de la mortalité du fait
de la présence de comorbidités et
d’un abaissement des défenses. Le
recours aux soins est donc augmen-
té, entraînant un coût non négli-
geable en termes de santé publique.
Le suicide est plus fréquent chez
l’homme et plus violent qu’aux
autres âges de la vie.
PARTICULARITÉS
DE LA PERSONNE ÂGÉE
L’âge peut se définir selon une norme
chronologique. À 65 ans, l’adulte
entre dans la catégorie du troisième
âge. Cette classe est ensuite décou-
pée en trois tranches : jeune sujet
âgé (65-75 ans), sujet âgé (75-
85 ans), sujet très âgé (après 85 ans).
Mais ne faudrait-il pas demander à
chaque individu de s’auto-évaluer
grâce à une échelle analogique d’âge
pour savoir comment il se situe par
rapport à son âge ?
Les sujets âgés sont souvent des su-
jets fragilisés (« frailed elderly ») en
partie par des comorbidités soma-
tiques les rendant plus vulnérables sur
le plan psychique. Le poids des bles-
sures narcissiques entre aussi en ligne
de compte. « Qu’est-ce que j’ai envie
d’être en étant vieux ? ». Une non-
maîtrise des pulsions peut s’observer
parallèlement au vieillissement, com-
me l’impulsivité liée à une désinhibi-
tion frontale. Certains sujets âgés
présentent une tristesse existentielle
de par leur histoire passée profession-
nelle ou affective. La notion de rési-
lience concerne aussi la personne
âgée car les capacités d’adaptation du
sujet face au vieillissement et l’accep-
tation de sa vieillesse dépendent de
stratégies de coping dépendant de la
personnalité. La personne âgée peut
avoir un rôle d’aidant vis-à-vis de son
conjoint pouvant être dépressogène
s’il représente un fardeau.
L’âge biologique, défini par les modi-
fications biologiques liées au vieillis-
sement, ne correspond pas forcé-
ment à l’âge chronologique ou
psychologique.
Il est nécessaire de prendre en comp-
te l’âge social. Encore trop souvent, la
vieillesse est assimilée à la notion de
tristesse. La retraite est parfois vécue
comme un rejet : rejet du retraité par
la société, des actifs par le retraité.
Cet âge social est très dépendant de
la profession précédemment exercée.
Le corps médical se montre encore
trop souvent résigné par rapport aux
problèmes posés par la personne
âgée en particulier sur le plan psy-
chique. La démarche suicidaire est
majoritairement sous-tendue par une
pathologie dépressive. Mais certains
pensent encore qu’il peut s’agir d’un
choix de vie ! Le différentiel entre la
reconnaissance de la pathologie et les
souffrances psychologiques du sujet
est fonction du réseau de prise en
charge médical et socio-culturel.
L’ÉTAT DÉPRESSIF MAJEUR
DE LA PERSONNE ÂGÉE
Le diagnostic d’épisode dépressif
majeur (EDM) caractérisé chez la
personne âgée se pose selon les cri-
tères de l’EDM identiques à ceux du
sujet adulte. Les principaux symp-
tômes sont un ralentissement psy-
chomoteur, une tristesse durable non
modifiable, une douleur morale, une
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
Centre Hospitalier Esquirol, Pavillon H. Lafarge,
15 rue du Dr Marcland, 87025 Limoges
Questionnements
sur la dépression
chez le sujet âgé
J.- P. Clément
anhédonie, des idées noires et suici-
daires, un pessimisme, une altération
des performances intellectuelles et
des troubles cognitifs, une asthénie,
une autodépréciation, une perte
d’estime de soi.
Les spécificités cliniques de la dé-
pression chez la personne âgée sont :
un ralentissement psychomoteur,
une asthénie et une anhédonie plus
marqués ;
des plaintes physiques (pouvant
concerner la sphère buccale) ou co-
gnitives (la plainte mnésique de plus
en plus « à la mode ») fréquentes et
souvent mises au premier plan (com-
plaisance somatique comme moyen
d’être entendu dans sa souffrance) ;
des plaintes et des troubles du
sommeil.
La présence d’un ralentissement psy-
chomoteur nécessite de faire la part
entre ce qui est imputable au vieillis-
sement et à une maladie dépressive.
La dépression du sujet âgé entraîne
un ralentissement moteur spécifique.
L’anhédonie peut être plus difficile à
repérer chez le sujet âgé, car elle est
dans ce cas plus atypique.
La dépression peut se manifester
principalement par des modifications
du caractère entrant dans le cadre
d’une « dépression hostile ». Un fort
sentiment d’inutilité accompagné
d’une perte de l’égocentration est
souvent exprimé par l’individu : « Je
deviens un fardeau ».
En outre, la pathologie dépressive
s’inscrit souvent dans le cadre d’une
polypathologie organique.
De nombreuses formes de dépres-
sion concernent les sujets âgés :
la forme « conative » marquée par
l’apathie (démotivation et émousse-
ment affectif entraînant une négligen-
ce de soi, des autres et de l’environ-
nement) et une perte de la volonté ;
la forme délirante avec des thèmes
de préjudice ;
le syndrome de Cotard peut être
plus fréquent que chez le sujet adulte,
mais souvent dans sa forme incomplète
avec des plaintes digestives (« estomac
bouché », impossibilité de manger) ;
les formes masquées : anxio-
confuse, somatique, cognitive.
Le syndrome de glissement peut être
considéré comme un équivalent dé-
pressif sévère ayant pour consé-
quences une désorganisation organique
et un pronostic hautement péjoratif.
Chez le sujet âgé, une tentative de
suicide sur deux aboutit à un suicide.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence ponctuelle de la dé-
pression chez le sujet âgé en popula-
tion générale est de 2 à 4 %, celle de
la dysthymie de 10 à 15 %. 15 à 30 %
des sujets âgés consultant en médeci-
ne générale, 30 à 40 % des sujets hos-
pitalisés et 35 à 45 % des personnes
vivant en institution sont déprimés.
On estime que 40 % des dépressions
du sujet âgé ne sont pas dépistées. Le
dépistage en première ligne doit-il re-
poser sur des auto- ou hétéro-évalua-
tions concernant les symptômes dé-
pressifs ? Certains outils sont adaptés
à la personne âgée : échelle MADRS à
5 items, échelle de Hamilton
(HAMD) à 10 items, CES-D à
8 items, Geriatric Depression Scale
(GDS) à 15 items, mini-GDS à 4 items.
COMORBIDITÉS
Les comorbidités fréquemment ren-
contrées dans le cadre des dépres-
sions du sujet âgé sont principalement
les troubles anxieux, les troubles de la
personnalité surtout en cas de trouble
dépressif récurrent, les addictions (al-
cool, médicaments), les troubles car-
diovasculaires (infarctus du myocarde
et accident vasculaire cérébral).
La dépression du sujet âgé doit tou-
jours faire poser la question du risque
démentiel. On peut avoir recours au
traitement d’épreuve (qui n’est pas
un test thérapeutique) lorsque le su-
jet présente un tableau dépressif ne
pouvant faire exclure un début de
démence. Le traitement antidépres-
seur permet d’améliorer les symp-
tômes dépressifs, mais aussi un cer-
tain nombre de signes cliniques
présents en cas de démence débu-
tante. Mais les posologies d’antidé-
presseurs utilisées sont trop souvent
inadaptées et la rémission partielle de
l’épisode est acceptée à défaut d’une
rémission totale. Dans tous les cas,
l’antidépresseur doit être maintenu
au long cours comme traitement de
consolidation ou de maintenance.
Il semble important de distinguer la
dépression récurrente de la dépres-
sion tardive. La théorie du kindling
peut s’appliquer aux dépressions ré-
currentes : le sujet devient de plus en
plus vulnérable face à la dépression.
Plus les récurrences sont nom-
breuses, plus le traitement de main-
tenance doit être prolongé.
Certaines personnalités sont plus en-
clines que d’autres à développer un
trouble dépressif précocement avec
un risque de récurrence.
Le poids des antécédents cardiovas-
culaires doit être évalué en raison du
risque de dépression vasculaire (fort
ralentissement psychomoteur ou
syndrome dépressif dysexécutif).
DISTINCTION
ENTRE DÉPRESSION
ET DÉMENCE DÉBUTANTE
La distinction entre la dépression et la
démence débutante, dont la défini-
tion est initialement clinique, est
complexe en raison du recouvrement
partiel des sémiologies : restriction
des champs d’activité, perte d’inté-
rêt, repli sur soi et perte d’initiative.
Cette difficulté diagnostique varie se-
lon le contexte d’évaluation et la for-
mation du clinicien. De plus, elle est
J.-P. Clément L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S31-S33
S 32
La dépression : des pratiques aux théories 11
souvent surestimée par les données
de la littérature, en particulier dans le
cas de la maladie d’Alzheimer.
Sur le plan cognitif
Les modifications de l’activité sont
associées à des troubles cognitifs
dans la démence alors qu’elles sont la
conséquence du trouble de l’humeur
dans la dépression. Dans un cas, le
déficit cognitif est au premier plan
alors que dans l’autre la dysphorie
domine. Dans la maladie d’Alzhei-
mer, on retrouve plus souvent une
perte de la motivation (apathie), une
absence d’intérêt du sujet pour lui-
même, sa santé et ses activités, ainsi
qu’une minimisation des difficultés.
Dans le cadre de la dépression, la
personne s’inquiète pour sa santé,
présente des plaintes somatiques, se
dévalorise et résiste aux stimulations.
Sur le plan affectif
Le sujet déprimé éprouve un senti-
ment pénible de tristesse, de solitu-
de, d’abandon, une douleur morale,
un dégoût de soi et des autres. Il est
indifférent aux affects positifs, mais
très sensible aux émotions négatives.
La dysphorie est permanente avec
une prédominance matinale.
Le sujet souffrant d’une maladie
d’Alzheimer présente souvent en dé-
but de maladie une apathie avec un
affect émoussé et de faibles réactions
aux émotions (positives ou néga-
tives). On note une labilité de l’hu-
meur, une fluctuation transitoire
entre émoussement affectif et incon-
tinence émotionnelle (moments
anxieux, dépressifs). Le début de la
maladie démentielle est souvent diffi-
cile à préciser en raison d’une évolu-
tion lente sur plus d’un an. Si le début
récent est mentionné par la famille
rapporté à un événement marquant,
l’interrogatoire permet généralement
de mettre en évidence des troubles
beaucoup plus anciens qui n’avaient
pas inquiété l’entourage et qui ne
prennent leur signification qu’à l’oc-
casion de l’épisode récent. La présen-
ce d’antécédents psychiatriques ne
doit pas faire écarter le diagnostic de
maladie d’Alzheimer. Dans la dépres-
sion, le début des troubles est plus
net, parfois secondaire à une situa-
tion affective, souvent remontant à
moins de six mois. On retrouve sou-
vent des antécédents psychiatriques
notamment d’épisodes antérieurs de
dépression. Cependant la dépression
peut être à début tardif : l’absence
d’antécédents n’élimine donc pas ce
diagnostic. À l’entretien, le sujet
s’exprime lentement avec une voix
monotone et des gestes ralentis (ra-
lentissement psychomoteur).
Sur le plan mnésique
Les troubles mnésiques sont un élé-
ment de différenciation fondamental
entre dépression et démence. Ils sont
présents dès le début de la maladie
d’Alzheimer. Il s’agit de l’élément le
plus caractéristique pour tous (entou-
rage, patient et médecin). Le patient
dément est initialement conscient de
ses difficultés même s’il a tendance à
les minimiser ou les rapporter à l’âge,
à l’exagération ou à l’angoisse de son
entourage. Le patient nie volontiers
que ses troubles sont à l’origine d’une
diminution de son activité.
La plainte mnésique du sujet déprimé
est rarement isolée. Elle s’intègre
dans un contexte de plaintes soma-
tiques, d’inhibition intellectuelle, de
défaut de concentration.
Les difficultés mnésiques présentes
dans la maladie d’Alzheimer et la dé-
pression ont des mécanismes tout à
fait différents. Dans la maladie d’Alz-
heimer, le patient a des difficultés à
mémoriser les informations nouvelles
en « mémoire épisodique » en raison
d’une atteinte du circuit hippocam-
pique. Le trouble ne porte que sur
des événements du passé récent. Le
sujet a tendance à répéter les ques-
tions posées ou à poser une question
alors que l’information vient de lui
être donnée. Les oublis portent sur
un événement entier survenu au
cours des heures, jours ou semaines
précédents (amnésie antérograde).
Les souvenirs du passé ancien sont
longtemps conservés.
Dans la dépression, les difficultés
mnésiques sont liées à une perturba-
tion des mécanismes de rappel. Elles
portent autant sur le passé ancien
que récent. Elles concernent plus vo-
lontiers les souvenirs dont la restitu-
tion nécessite une recherche active
(noms propres, détails d’événe-
ments…) et sur les souvenirs auto-
biographiques à connotation affective
positive. À l’inverse ceux à connota-
tion négative sont mis en avant.
La mise en évidence par l’examen de
ces troubles mnésiques est aidée par le
test des 5 mots. Le patient doit enre-
gistrer une liste de 5 mots et les asso-
cier à des indices. Ensuite une inhibi-
tion de la répétition mentale est
réalisée. Le rappel libre immédiat et
différé ainsi que le rappel indicé sont
par la suite testés. Dans les deux
troubles, le rappel libre est altéré. Mais
le rappel indicé est profitable au pa-
tient déprimé. La non-restitution d’un
seul mot en rappel indicé ou une intru-
sion sont très suspectes d’une patholo-
gie démentielle. Il faut dans ce cas faire
des investigations supplémentaires.
CONCLUSION
La dépression du sujet âgé est insuf-
fisamment reconnue. Son dépistage
doit être amélioré. Elle peut prendre
différents masques. Elle nécessite un
traitement par antidépresseur qui
doit être poursuivi longtemps. Le
risque, lorsqu’elle est mal traitée,
d’évoluer vers une démence ne doit
pas être sous-estimé.
L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S31-S33 Questionnements sur la dépression chez le sujet âgé
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La dépression : des pratiques aux théories 11
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