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La dépression : des pratiques aux théories 11
L’homme déprimé
F. Raffaitin
Paris
Peu de publications concernent les
spécificités de la dépression masculine contrairement à la dépression féminine. La prévalence de la dépression est plus importante chez la
femme que chez l’homme avec un
sex-ratio de 2/1, sauf dans le cadre
du trouble bipolaire.
CONSTATS
Plusieurs interrogations ont été formulées :
– les particularités sémiologiques de
la dépression masculine ne sont-elles
pas un obstacle à la pertinence des
critères DSM ?
– L’existence de comorbidités rendelle le diagnostic plus difficile ?
– La paranoïa peut-elle être un mode
d’expression de la dépression ?
– La dépression peut-elle être un
symptôme de conversion ?
– La fonction sociale masculine protège-t-elle l’homme de la
dépression ?
– Les modalités de traitement sontelles les mêmes pour les femmes et
les hommes ?
Il est important de distinguer le sexe
biologique du genre qui désigne les
caractères sexuels acquis. La demande de consultation émanant
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
d’hommes serait actuellement plus
fréquente qu’autrefois, et plutôt
dans le cadre d’un recrutement primaire. Le motif de consultation est
souvent une plainte sexuelle ou
l’existence de difficultés professionnelles.
En ce qui concerne le risque suicidaire, les hommes réalisent plus de passages à l’acte violents que les
femmes, particulièrement en milieu
pénitentiaire.
PRÉSENTATION CLINIQUE
DE LA DÉPRESSION MASCULINE
La présentation clinique de l’homme
déprimé est poly-symptomatique :
– forte prévalence d’abus de substances, de troubles de la personnalité et de troubles somatiques ;
– comportements sexuels à risque
avec risque accru de primo-infections VIH ;
– comportements violents voire criminels ;
– niveau de fonctionnement sociofamilial de mauvaise qualité ;
– adhérence et réponse thérapeutique de moins bonne qualité ;
– risque accru de rechutes et d’hospitalisations.
Abus/dépendance d’alcool
La consommation excessive d’alcool
est plus fréquente en population
masculine que féminine : 24 % des
hommes souffrant d’alcoolisme sont
déprimés ; 34 % des hommes souffrant de dépression présentent un alcoolisme comorbide.
Généralement, la maladie dépressive
précède l’abus d’alcool. Or l’alcool
est un facteur aggravant de la dépression et perturbe sa prise en
charge. Les symptômes dépressifs
persistent lors des périodes d’abstinence.
Il n’existe pas de corrélation entre
l’intensité de la dépression et la sévérité de l’abus d’alcool. Des antécédents familiaux de dépression sont
plus fréquemment retrouvés chez
ces patients comorbides.
La sphère professionnelle
Le travail est un repère identitaire
important pour l’homme. Un tiers
des patients refusent un arrêt de travail proposé par le médecin généraliste ou psychiatre. L’atteinte de la capacité de travail incite l’homme à
consulter. Lors d’épisodes mélancoliques, les hommes expriment plus
d’idées de ruine que les femmes.
L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S13-S15
Les troubles de la sexualité
Bupropion
n = 45
Les troubles sexuels sont un motif
important de consultation chez
l’homme. Il existe un lien direct entre
l’intensité de la dépression et la prévalence des troubles de l’érection :
plus la dépression est sévère, plus les
troubles de l’érection sont fréquents.
Dans 90 % des cas, le désir sexuel est
altéré (figure 1).
Fluoxétine
n = 245
8
28
Tout traitement
n = 798
confondu
28
Paroxétine n = 159
29
Sertraline n = 161
29
Venlafaxine
n = 70
30
Citalopram
n = 83
30
0
75
15,0
22,5
30,0
Pourcentage de patients traités présentant des troubles sexuels
90 %
100
Prévalence des troubles
de l’érection (%)
La dépression : des pratiques aux théories 11
F. Raffaitin
80
59 %
60
40
25 %
20
0
Dépression Dépression Dépression
légère
modérée
sévère
FIG. 1. — Lien entre dépression
et prévalence des troubles
de l’érection (4).
Les troubles de la sexualité peuvent
aussi être un effet secondaire des
traitements antidépresseurs, notamment les ISRS, souvent sous estimé.
La survenue de tels effets indésirables réduit la qualité de l’observance thérapeutique. Ils sont à l’origine
d’un arrêt thérapeutique dans
50,8 % des cas (3).
Les psychiatres femmes interrogeraient plus facilement les patients sur
leurs troubles sexuels que les médecins hommes.
Selon une étude de Clayton et al.
(2), 37 % des hommes sous antidépresseurs souffrent d’un dysfonctionnement sexuel ; 14,2 % des
hommes rapportent spontanément
ces troubles, et 58,1 % via un questionnaire (figure 2).
S 14
FIG. 2. — Impact des traitements antidépresseurs sur la fonction sexuelle
selon Clayton et al. (1).
L’expression de la dépression
chez l’adolescent
Les adolescents présentent plus souvent des comportements agressifs et
une symptomatologie atypique :
troubles du sommeil et de l’alimentation, repli social.
Les demandes de consultation émanent généralement du personnel
d’encadrement scolaire.
Le cannabis est un facteur précipitant la survenue d’une dépression
chez l’adolescent.
Les psychothérapies comportementales seraient plus efficaces
chez les garçons, alors que les filles
répondraient plus à des thérapies
personnelles d’inspiration psychanalytique.
Repérage et prise en charge
de la dépression masculine
Le diagnostic de dépression est plus
rapidement porté chez la femme que
chez l’homme. Au niveau somatique,
les femmes rapportent plus de céphalées alors que les hommes se plaignent plutôt de myalgies. La dépression post-infarctus augmente le
risque de décès chez l’homme si
l’épisode dépressif n’est pas traité.
Le sexe masculin et l’anxiété sont
des facteurs de risque cardiovasculaires.
Les hommes déprimés sont plus ralentis sur le plan psychomoteur avec
des troubles cognitifs associés alors
que les femmes déprimées mettent
en avant des symptômes émotionnels comme la tristesse. Les hommes
sont plus souvent victimes d’accidents du travail pouvant être la
conséquence de ce ralentissement
psychomoteur marqué.
La prescription d’antidépresseurs
chez l’homme doit prendre en compte la notion de réactivité émotionnelle en début de traitement. En effet,
les hommes se suicident plus que les
femmes qui font plus de tentatives
de suicide.
Les antidépresseurs inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine (ISRS)
semblent plus efficaces chez les
femmes jeunes alors que les antidépresseurs imipraminiques et mixtes
ISRSNa semblent plus efficaces chez
les hommes.
L’observance thérapeutique tendrait
à être meilleure chez les femmes.
Les hommes sont moins demandeurs
mais plus intéressés par les psychothérapies une fois mises en place. Les
femmes sont plus assidues aux
groupes de psychoéducation et les
thérapies interpersonnelles.
Références
1. Clayton AH et al. Prevalence of sexual dysfunction
among newer antidepressants. J Clin Psychiatry
2002 ; 63 (4) : 357-66.
L’homme déprimé
2. Clayton AH. Recognition and assessment of sexual
dysfunction associated with depression. J Clin Psychiatry 2001 ; 62 (Suppl 3) : 5-9.
3. Montejo AL et al. Incidence of sexual dysfunction
associated with antidepressant agents : a prospective multicenter study of 1022 outpatients. Spanish
Working Group for the Study of Psychotropic-Related Sexual Dysfunction. J Clin Psychiatry 2001 ;
62 (Suppl 3) : 10-21.
4. Stahl 2002 « Psychopharmacologie Essentielle »
Flammarion Ed, Paris 2002 : 539-69.
S 15
La dépression : des pratiques aux théories 11
L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S13-S15
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