© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
En psychiatrie de liaison, on dispose
généralement de 15 minutes pour
cerner la plainte somatique du pa-
tient, comprendre ce qui se passe, in-
terpeller et signifier au terme de la
consultation qu’on a compris la souf-
france du sujet en ayant redonné du
sens aux symptômes somatiques
dans la dimension psychique.
Les symptômes somatiques font par-
tie intégrante du syndrome dépressif.
Paul Ricœur a écrit sur la souffrance
qui diffère de la douleur et sur la dou-
leur qui peut être souffrance. Les
plaintes psychiques et somatiques,
comme en manque de représenta-
tion, se complètent et s’interpellent
de manière intime. La souffrance du
sujet déprimé s’exprime aussi par le
corps.
Les plaintes somatiques sont le pre-
mier motif de consultation en méde-
cine générale. Dans un tiers des cas,
aucune cause organique n’est retrou-
vée. Ces plaintes somatiques sont
parfois la seule porte d’entrée pour la
lecture d’un syndrome dépressif.
La dépression est souvent associée à
des troubles fonctionnels : 50 à 75 %
des sujets déprimés vus en médecine
générale se plaignent de symptômes
somatiques ; 69 % des patients dépri-
més consultent uniquement pour des
symptômes somatiques.
La fréquence des plaintes soma-
tiques varie selon l’âge, le sexe, la
culture et le niveau intellectuel. Les
femmes expriment davantage de
symptômes physiques que les
hommes (3,8 vs 2,9).
La dépression est constituée d’un
ensemble de symptômes émotion-
nels (culpabilité, irritabilité, anxiété,
aboulie, anhédonie, tristesse, douleur
morale), cognitifs (troubles de la mé-
moire, de la concentration, rumina-
tions obsessives, perte d’intérêt, repli
social, idées suicidaires) et corporels
(modifications psychomotrices,
troubles de la libido, du sommeil et
de l’appétit, douleurs corporelles,
sensation de fatigue). Il existe un lien
entre les troubles cognitifs et les
symptômes somatiques.
On peut distinguer deux situations
cliniques : l’existence d’une plainte
somatique chez un sujet dépressif
présentant ou non une maladie orga-
nique aiguë ou chronique.
• Le syndrome dépressif peut être la
première manifestation de certaines
maladies somatiques, par exemple la
maladie de Parkinson. Des douleurs
survenant dans un climat dépressif
peuvent se rencontrer dans le cadre
du syndrome prémenstruel. L’état
dépressif peut moduler une plainte
somatique s’exprimant dans le cadre
d’une maladie chronique : on obser-
ve alors un remaniement psychoaf-
fectif dans l’expression de la plainte
somatique organique. La dépression
s’accompagne d’une régression qui
peut entraver une évolution favo-
rable.
• La plainte somatique sans substra-
tum organique doit être replacée
dans la culture, l’histoire, l’économie
vitale et l’âge du sujet inscrit dans
l’ordre éphémère. Elle s’exprime sur
le corps biologique, repère temporel
du couple indissociable vie/mort. La
lecture de la plainte somatique s’ins-
crit dans trois dimensions complé-
mentaires apparemment antino-
miques mais indissociables. La
plainte brouille les frontières du so-
matique et du psychique, du visible
et de l’invisible, de ce qui tient au
corps et de ce qui tient aux mots :
– champ académique : quand la
plainte devient symptôme et la pen-
sée réductrice ;
– champ psycho-affectif : quand la
plainte est un signe crypté d’une
souffrance infraverbale ;
– champ relationnel : quand la plainte
invite le thérapeute à lui donner du
sens, toute plainte douloureuse étant
forcément doublée d’un scénario re-
lationnel particulièrement éclatant
dans l’hystérie et l’hypocondrie.
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
Psychiatre, Montpellier
Les plaintes somatiques
du déprimé :
diversité des plaintes dépressives
J.- F. Chiariny