Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété Les plaintes somatiques du déprimé : diversité des plaintes dépressives J.- F. Chiariny Psychiatre, Montpellier En psychiatrie de liaison, on dispose généralement de 15 minutes pour cerner la plainte somatique du patient, comprendre ce qui se passe, interpeller et signifier au terme de la consultation qu’on a compris la souffrance du sujet en ayant redonné du sens aux symptômes somatiques dans la dimension psychique. Les symptômes somatiques font partie intégrante du syndrome dépressif. Paul Ricœur a écrit sur la souffrance qui diffère de la douleur et sur la douleur qui peut être souffrance. Les plaintes psychiques et somatiques, comme en manque de représentation, se complètent et s’interpellent de manière intime. La souffrance du sujet déprimé s’exprime aussi par le corps. Les plaintes somatiques sont le premier motif de consultation en médecine générale. Dans un tiers des cas, aucune cause organique n’est retrouvée. Ces plaintes somatiques sont parfois la seule porte d’entrée pour la lecture d’un syndrome dépressif. La dépression est souvent associée à des troubles fonctionnels : 50 à 75 % des sujets déprimés vus en médecine générale se plaignent de symptômes somatiques ; 69 % des patients déprimés consultent uniquement pour des symptômes somatiques. L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. La fréquence des plaintes somatiques varie selon l’âge, le sexe, la culture et le niveau intellectuel. Les femmes expriment davantage de symptômes physiques que les hommes (3,8 vs 2,9). La dépression est constituée d’un ensemble de symptômes émotionnels (culpabilité, irritabilité, anxiété, aboulie, anhédonie, tristesse, douleur morale), cognitifs (troubles de la mémoire, de la concentration, ruminations obsessives, perte d’intérêt, repli social, idées suicidaires) et corporels (modifications psychomotrices, troubles de la libido, du sommeil et de l’appétit, douleurs corporelles, sensation de fatigue). Il existe un lien entre les troubles cognitifs et les symptômes somatiques. On peut distinguer deux situations cliniques : l’existence d’une plainte somatique chez un sujet dépressif présentant ou non une maladie organique aiguë ou chronique. • Le syndrome dépressif peut être la première manifestation de certaines maladies somatiques, par exemple la maladie de Parkinson. Des douleurs survenant dans un climat dépressif peuvent se rencontrer dans le cadre du syndrome prémenstruel. L’état dépressif peut moduler une plainte somatique s’exprimant dans le cadre d’une maladie chronique : on observe alors un remaniement psychoaffectif dans l’expression de la plainte somatique organique. La dépression s’accompagne d’une régression qui peut entraver une évolution favorable. • La plainte somatique sans substratum organique doit être replacée dans la culture, l’histoire, l’économie vitale et l’âge du sujet inscrit dans l’ordre éphémère. Elle s’exprime sur le corps biologique, repère temporel du couple indissociable vie/mort. La lecture de la plainte somatique s’inscrit dans trois dimensions complémentaires apparemment antinomiques mais indissociables. La plainte brouille les frontières du somatique et du psychique, du visible et de l’invisible, de ce qui tient au corps et de ce qui tient aux mots : – champ académique : quand la plainte devient symptôme et la pensée réductrice ; – champ psycho-affectif : quand la plainte est un signe crypté d’une souffrance infraverbale ; – champ relationnel : quand la plainte invite le thérapeute à lui donner du sens, toute plainte douloureuse étant forcément doublée d’un scénario relationnel particulièrement éclatant dans l’hystérie et l’hypocondrie. La plainte somatique est une menace anhédonique, de fracture narcissique, et de rupture de créativité. La plainte somatique est rattachée à l’imaginaire et à la subjectivité. Elle s’inscrit dans tout type de personnalité qui génère la diversité des caractères cliniques et psychopatholo- Les plaintes somatiques du déprimé : diversité des plaintes dépressives giques : dans le champ psychosomatique, de la névrose et de la psychose. Elle est un signe de gravité : on retrouve une augmentation de la mortalité ou de l’incapacité chez les sujets douloureux dépressifs. Elle est un symptôme cible dans la stratégie thérapeutique, élément d’évaluation de l’efficacité thérapeutique. Si elle constitue un symptôme résiduel, le risque de récidive dépressive est augmenté par trois. La plainte somatique doit être respectée dans son identité et ne peut rester sans réponse dès la première consultation. S9 Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S8-S9