La place des antipsychotiques dans la prise en charge

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L’Encéphale (2008) Supplément 6, S242–S248
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p
La place des antipsychotiques dans la prise en charge
des troubles du comportement de la personne âgée
C. Dufresne*(a), T. Gallarda(b)
(a) Unité de psycho-gériatrie secteur 15, Dr Massé, CH Sainte-Anne
(b) Centre d’évaluation des troubles psychiques et du vieillissement SHU, CH Sainte-Anne
Dans le contexte actuel démographique, épidémiologique
et médico-économique, le psychiatre se trouve fréquemment en situation de prendre en charge des troubles du
comportement chez la personne âgée (PA). Ces troubles du
comportement surviennent au cours de différentes situations pathologiques, mais également au cours du vieillissement normal, en particulier dans le grand âge, au-delà de
85 ans.
Le repérage du contexte étiologique est essentiel car il
guide la thérapeutique. Ainsi, la prise en charge de troubles du comportement survenant à la phase inaugurale ou
au cours de l’évolution d’une démence vasculaire ou dégénérative n’est aucunement extrapolable à celle préconisée
dans le traitement des anomalies comportementales des
schizophrénies ou des psychoses paranoïaques vieillies.
L’expertise psychopharmacologique est essentielle,
conjuguée à de solides connaissances en sémiologie psychiatrique de la personne âgée. Certaines réactions psychotiques, persécutives en particulier pourront également
bénéficier d’approches psychologiques.
Quelque soit leur cadre étiologique, les troubles du
comportement « font problème », au sein du couple, avec
le voisinage, parfois en institution. Au cours des démences,
ils sont les principaux moteurs des demandes de placement
en institution et la principale cause d’épuisement physique
et psychique des familles.
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Les troubles du comportement
de la personne âgée soulèvent
systématiquement la question
de leur cadre nosographique
Le champ nosographique des troubles du comportement de
la PA est vaste : démences, pathologies psychiatriques de
novo ou vieillies, troubles adaptatifs liés au vieillissement.
Sa connaissance approfondie est un pré-requis aux bonnes
pratiques thérapeutiques. Une coopération interdisciplinaire s’impose entre psychiatres et gériatres, pour une
coordination optimale des soins.
La place des évaluations standardisées demeure encore
assez mal définie dans notre pays. Une évaluation standardisée utile est l’inventaire de neuropsychiatrie (NPI)
(Neuro-Psychiatric Inventory). Le NPI trouve surtout son
intérêt dans la maladie d’Alzheimer et les démences apparentées en offrant une « photographie générale » des modifications comportementales mais son utilisation dans le
champ des troubles psychotiques de la personne âgée est
beaucoup plus questionnable. Douze domaines sont évalués
en fréquence et en sévérité : idées délirantes, apathie,
hallucinations, agitation, irritabilité, comportement
moteur aberrant, dépression, anxiété, euphorie, comportement pendant la nuit, modification des comportements
alimentaires. L’utilisation d’autres instruments plus ciblés,
par exemple, sur l’évaluation des symptômes psychotiques
(échelle de l’école de Columbia) ou l’agitation (échelle
mise au point par Cohen-Manfield) demeure marginale en
France contrairement aux pays anglo-saxons. Ces instruments permettraient pourtant une appréhension plus précise des symptômes psychotiques cibles et de l’impact des
thérapeutiques.
Vieillissement normal et émergence de symptômes
psychotiques
L’avance en âge favorise l’émergence de symptômes psychotiques. Les traits dysfonctionnels de personnalité sous
le seuil (paranoïaque, schizoïde, shcizotypique…), les handicaps sensoriels (auditifs et visuels), les stress existentiels
mais aussi la stigmatisation sociale vis-à-vis des personnes
âgées sont des facteurs qui confèrent une vulnérabilité
accrue à l’émergence de ces symptômes. Une étude prospective sur 3 années [14] estime à 10,1 % la prévalence de
symptômes psychotiques et d’idées persécutives au sein
d’une population de 347 sujets non déments de plus de
85 ans vivant en communauté et en institution à Göteborg.
Il s’agit d’hallucinations pour 6,9 % des sujets, d’idées délirantes pour 5,5 %, et de la combinaison des deux pour
2,3 %. Les symptômes psychotiques sont associés à une
humeur dépressive, à de l’anxiété, à une idéation suicidaire. Dans cette étude, les sujets hallucinés présentent
une fréquence accrue d’humeur dépressive, d’anxiété,
d’irritabilité, d’idéations suicidaires et de traits de personnalité paranoïaque : les hallucinations sont souvent associées à un syndrome dépressif majeur (OR : 3,9), un
handicap dans les activités de la vie quotidienne (OR : 5,2),
un handicap visuel (OR : 3,4). Les sujets délirants (thématique persécutive) présentent une fréquence accrue d’humeur dépressive, d’émoussement des affects et de traits
de personnalité paranoïaque. L’idéation persécutive est
particulièrement fréquente en cas de handicap visuel. Les
idées délirantes compliquent le handicap dans les activités
de la vie quotidienne (OR : 4,9).
Ainsi des troubles du comportement s’observent chez
des sujets âgés non déments, indemnes de trouble mental
caractérisé.
Démences et symptômes psychologiques
et comportementaux (SPCD)
Toutes les démences peuvent être émaillées de troubles du
comportement : maladie d’Alzheimer (50 à 70 % des démences) ; démences vasculaires ; atrophies focales ; démences
fronto-temporales ; démences Parkinsoniennes ; démences
à corps de Lewy ; démences à agents transmissibles ;
démences secondaires…
Ces troubles peuvent survenir à des stades évolutifs différents et/ou orienter vers une étiologie spécifique. Par
exemple, les hallucinations visuelles sont un des critères
diagnostiques de la démence à corps de Lewy et s’installent assez tôt au cours de l’évolution de cette maladie.
Dans la maladie d’Alzheimer, les comportements accusateurs, les idées de préjudice, l’agressivité verbale peuvent
Prevalence (% of Patients)
La place des antipsychotiques dans la prise en charge des troubles du comportement de la personne âgée
S243
100
Agitation
80
60
40
20
Depression
Diurnal
Rhythm
Irritability
Wandering
Social
Withdrawal
Anxiety Mood
Change
Paranoia
Suicidal
Ideation
Accusatory
Behavior
0
– 40
– 30
– 20
– 10
Months Before Diagnosis
Aggression
Hallucinations
Socially Unacceptable Behavior
Delusions
Inappropriate Sexual Behavior
0
10
20
30
Months After Diagnosis
Figure 1 Prévalence des symptômes
psychocomportementaux selon le moment évolutif de la
démence (d’après [7]).
s’exprimer très précocement, avant même que le diagnostic soit établi et se poursuivre tout au long de l’évolution
mais les hallucinations auditives ou visuelles sont beaucoup
plus tardives que celles qui sont observées dans la maladie
à corps de Lewy. De même, la désinhibition sexuelle précédera volontiers un diagnostic de démence fronto-temporale
alors qu’elle mettra en difficulté une équipe soignante chez
un patient atteint d’une maladie d’Alzheimer déjà diagnostiquée, souvent après de longues années d’évolution. La
prévalence des troubles psychocomportementaux les plus
fréquents est représentée dans la figure 1, en fonction du
moment du diagnostic.
Les symptômes comportementaux et psychologiques de
la démence (SCPD) générant le plus de prescriptions médicamenteuses sont l’agitation, l’agressivité, les comportements d’errance ou de fugue, l’opposition, les idées
délirantes et les hallucinations, l’anxiété, la dépression,
les troubles du sommeil. En fonction de leur persistance et
de leur intensité, le handicap fonctionnel est majeur et
génère plus ou moins de souffrance et de stress chez le
malade et son aidant [10].
Troubles du comportement s’intégrant dans
des pathologies psychiatriques autres que
les démences : pathologies chroniques
(schizophrénies et troubles bipolaires)
et troubles psychotiques d’apparition récente
Le psychiatre est plus familier de la gestion de ces troubles,
surtout lorsqu’il s’agit de patients souffrant de pathologies
vieillies, bien connus des équipes de secteur. Les axes thérapeutiques sont alors similaires à ceux des pathologies psychotiques jeunes sous réserve de la prise en compte des
modifications pharmacodynamiques et pharmacocinétiques
liées à l’âge et de l’éventuelle existence de comorbidités
somatiques (notamment cardiovasculaires). Les schizophrénies d’installation très tardive (very late-onset schizophrenia) soulèvent des questions plus spécifiques qui rejoignent
les questions nosographiques (entité spécifique ? expression
d’une affection démentielle ?…). Néanmoins, les données
pharmacologiques d’efficacité et de tolérance demeurent
insuffisantes sur ces terrains familiers…
S244
Pour une utilisation raisonnée des
antipsychotiques chez les personnes âgées
De nombreuses données convergent vers un constat d’excès
d’utilisation des antipsychotiques chez les personnes âgées,
en particulier dans les institutions. Ces dérives tendent à
diaboliser ces prescriptions qui s’avèrent pourtant indispensables dans certaines situations pathologiques. L’utilisation
raisonnée des antipsychotiques chez la personne âgée fait
débat et a donné lieu à un certain nombre de consensus
d’experts.
En 2004, Alexopoulos et coll. [2] ont tenté de préciser
les situations dans lesquelles ces prescriptions peuvent être
envisagées : ce sont la schizophrénie et les troubles délirants persistants, la manie avec symptômes psychotiques,
la démence avec agitation (lorsqu’elle est une réaction
comportementale à des idéations délirantes), la dépression
majeure avec symptômes psychotiques.
Les antipsychotiques pourront également être prescrits
en cas de manie sans symptôme psychotique (en cas d’efficacité insuffisante des régulateurs de l’humeur), lors d’une
confusion (avec une prédominance des symptômes psychiques et comportementaux), au cours d’un état d’agitation
majeur dans un contexte de démence, même si celle-ci
survient en l’absence d’idéation délirante évidente.
De même, certaines dépressions agitées sans symptôme
psychotique ou des mélancolies anxieuses seront fréquemment soulagées par l’adjonction d’antipsychotiques aux
effets angolytiques.
En revanche, ces molécules ne sont pas indiquées dans
de multiples situations où leur utilisation a pu néanmoins
être classique et est devenue désormais obsolète et délétère : irritabilité et hostilité en l’absence de trouble mental caractérisé (réactions caractérielles), trouble anxieux
généralisé et trouble panique, douleurs neurologiques,
plaintes hypocondriaques d’origine névrotique, labilité
émotionnelle, insomnie…
Antipsychotiques et troubles mentaux autres
que la maladie d’Alzheimer et les démences
apparentées
Quels antipsychotiques en première intention ?
Les antipsychotiques de deuxième génération sont indiqués
en première intention, en raison de leur meilleure tolérance neurologique. Ils ne nécessitent pas une coprescription d’anticholinergiques et comportent un risque moindre
de dyskinésies tardives. Ces antipsychotiques interfèrent
moins que les neuroleptiques classiques sur les fonctions
cognitives en raison d’effets moins marqués sur le système
cholinergique.
Divers profils de tolérance caractérisent ces molécules,
liés à des différences de risque de survenue d’effets secondaires gênants : certains liés à leur activité anticholinergique, d’autres au risque métabolique, d’autres encore à une
action hypotensive.
Différentes précautions d’emploi sont évoquées dans
les RCP de chacune des molécules : par exemple, le RCP de
la rispéridone évoque une nécessaire précaution d’emploi
C. Dufresne, T. Gallarda
du fait d’une expérience limitée, et préconise des posologies faibles ; celle de l’olanzapine indique qu’une dose initiale plus faible que chez l’adulte n’est pas indiquée
systématiquement mais qu’elle doit être envisagée chez
les sujets de plus de 65 ans ; le RCP de l’aripiprazole
informe que l’efficacité chez le sujet âgé n’a pas été établie et qu’en raison d’une sensibilité plus importante dans
cette population, une dose plus faible doit être envisagée
lorsque des raisons cliniques justifient une prescription ;
pour l’amisulpride, seule la pharmacocinétique fait l’objet
d’un avertissement : une augmentation de 10 à 30 % du
C. Max et de la demi-vie ; pour la clozapine, il est préconisé de commencer à 12,5 mg… Les posologies recommandées chez les personnes âgées apparaissent globalement
basses, avec un début à faibles doses et une augmentation
dans une fourchette posologique étroite :
Tableau 1 Posologies recommandées chez le sujet âgé
Dose initiale
(mg/j)
Dose d’entretien
(mg/j)
Rispéridone
Olanzapine
0,25 - 0,5
2,5 - 5
0,5 - 2
5 - 10
Aripiprazole
2,5 - 5
7,5 - 12,5
Les antipsychotiques à libération prolongée tels que la
rispéridone par microsphères semblent avoir un intérêt chez
la personne âgée mais l’expérience reste à développer.
Concernant les antipsychotiques de première génération, dans des études naturalistiques, le tiapride est largement utilisé, notamment en urgence, à des doses inférieures
à 300 mg.
Certaines formes galéniques ont un intérêt particulier
chez la personne âgée : ce sont notamment les solutions
buvables et les formes oro-dispersibles.
Les effets indésirables des antipsychotiques sont répertoriés dans les tableaux suivants [9].
Les antipsychotiques chez les sujets âgés atteints
de démence : risque cérébrovasculaire et mortalité,
les signaux d’alerte de la FDA
En 2003, la FDA a mentionné le risque d’accident cérébrovasculaire chez des patients âgés atteints de démence à
partir de trois études contrôlées en double aveugle concernant la rispéridone. [8, 13, 5, 18] : 12 patients sur 744 traités par rispéridone versus 4 sur 562 recevant du placebo
ont présenté des accidents cérébrovasculaires sérieux :
4 décès ont été dénombrés sous rispéridone et 2 sous placebo. La FDA n’établissait pas de lien formel de causalité
mais précisait que celui-ci ne pouvait être éliminé. Par la
suite, un avertissement similaire a été appliqué à l’olanzapine et à l’aripiprazole.
En mars 2004, l’AFSSAPS, précisait à propos de l’utilisation des antipsychotiques chez les sujets déments que
l’olanzapine est déconseillée, le risque d’AVC étant multi-
La place des antipsychotiques dans la prise en charge des troubles du comportement de la personne âgée
S245
Tableau 2 Synthèse des effets indésirables observés avec les APA, d’après [9]
Adverse effect
Extrapyramidal
syndrome
Tardive dyskinesia
Seizures
Sedation
Amisulpride Clozapine Risperidone Olanzapine Quietiapine Ziprasidone Zotepine Aripiprazole Sertindole
-/+
-
-/++
-
-
-/+
-/+
-/+
-/+
+
++
+++
+++
?
?
+
-/+
-/+
+
-/+
-/+
+
?
?
-/+
-/+
-/+
+
-/+
-/+
-/+
-/+
?
-/+
? indicates no data ; + indicates mild effect ; ++ indicates moderate effect ; +++ indicates severe effect ; - indicates no effect ;
-/+ indicates uncertain effect ; -/++ indicates range frome no effect to a moderate effect.
Autonomic
and systemic
Adverse effects
Neuroleptic
malignant
syndrome
Hypotension
Prolongation of
corrected
QT interval
Gastrointestinal
(nausea, Vomiting,
constipation
Anticholinergic
Haematological
Allergic dermatitis
Other effects
Amisulpride Clozapine Risperidone Olanzapine Quietiapine Ziprasidone Zotepine Aripiprazole Sertindole
+
+
+
?
?
?
?
?
?
+
-/+
-/+++
–
+
-/+
+
-
+++
+++
-/+
-/+
+
+
-/+
-
-/+
+++
-/+
-/+
-/+
-
+
-/+
-/++
-
-/+
+
-/+
+++
+++
-/+ a
-/+
+
-/+
+
-/+
-/+
-/+
-/+
-/+
-/+
a Possible onset of myocarditis.
? indicates no data ; + indicates mild effect ; +++ indicates severe effect ; - indicates no effect ; -/+ indicates uncertain effect ;
-/++ indicates range from no effect to a moderate effect ; -/+++ indicates range from no effect to a severe effect in case of drug
interactions.
Metabollic
and endocrine
Adverse effects
Diabetes mellitus
Hypertriglyceridaemia
Hepatic
Prolactin increase
Weight gain
Amisulpride Clozapine Risperidone Olanzapine Quietiapine Ziprasidone Zotepine Aripiprazole Sertindole
-
+
+
-/+
-/+
+?
+
-
-
-/+
-
-
-/+
+
-/+
-/+
+++
-/+
-/++a
+
-/+
++
-/+
++
-/+
-/+
-/++
-/+
-/+
-
-/++
++
a Dose-dependent effect.
+? Indicates possible mild effect ; + indicates mild effect ; ++ indicates moderate effect ; +++ indicates severe effect ; - indicates no
effect ; -/+ indicates uncertain effect ; -/++ indicates range from no effect to a moderate effect.
plié par 3 et le risque de décès par 2. L’AFSSAPS précisait
également qu’il n’existait pas de corrélation entre le risque et la dose ou la durée de traitement. Les facteurs de
risques étaient les suivants : âge supérieur à 65 ans, sédation, malnutrition, déshydratation, pathologies pulmonaires, utilisation concomitante de benzodiazépines. L’AFSSAPS
mentionnait que le bénéfice/risque de l’utilisation de
l’olanzapine doit être soigneusement évalué. Par extension, l’AFSSAPS conseillait les mêmes précautions avec la
rispéridone et les autres neuroleptiques [1].
Les neuroleptiques conventionnels sont également
incriminés
En 2005, Wang souligne qu’il n’existe pas plus de sécurité
avec les antipsychotiques de première génération et
préconise de ne pas substituer un antipsychotique de
deuxième génération par un antipsychotique de première
génération.
En 2007, les antipsychotiques de première génération
sont inclus dans les précautions d’emploi de la FDA [19].
S246
C. Dufresne, T. Gallarda
En fait, tous les psychotropes seraient associés à une
surmortalité chez le sujet âgé, mais celle associée aux
antipsychotiques serait plus importante [12].
Une augmentation de la mortalité est signalée chez les
patients souffrant de démence traitée par antipsychotiques
[16], même pour les traitements de courte durée.
Chez les patients vivant à leur domicile, une prescription brève d’antipsychotiques de première ou de deuxième
génération multiplie de manière significative (respectivement par un facteur de 3,8 et de 3,2) le risque d’événements graves pouvant conduire à une hospitalisation ou à
un décès dans les 30 jours suivant la prescription.
En institution, le risque est multiplié respectivement
par 2,4 et par 1,9, soit plus fréquent avec les antipsychotiques de première génération qu’avec les APA.
• le nombre d’essais randomisés contre placebo avec les
antipsychotiques atypiques (aripiprazole, olanzapine, quétiapine et rispéridone) et l’halopéridol est supérieur à celui
concernant les autres neuroleptiques conventionnels et
d’autres familles de psychotropes. Les patients inclus dans
la majorité de ces essais souffraient de la maladie d’Alzheimer et d’autres démences d’étiologies non spécifiées ;
• l’efficacité des antipsychotiques atypiques et de l’halopéridol est modeste en comparaison avec le placebo. Un
certain nombre d’essais ont échoué à mettre en évidence
une différence d’effets entre le produit actif et le placebo. Les résultats de l’étude CATIE semblent suggérer
que l’impact des effets secondaires entraverait l’efficience de ces agents.
Quels sont les mécanismes invoqués dans
l’élévation du risque de mortalité ?
L’American College of Neuro-Psychopharmacology précise aussi la nature des données manquantes :
Les mécanismes invoqués dans l’élévation du risque de
mortalité et de survenue d’AVC sont multiples, probablement différents selon les produits [11].
Ces facteurs sont : des facteurs cardiologiques qui impliquent une hypotension orthostatique (par blocage des
récepteurs alpha 1) et/ou une tachycardie (par blocage des
récepteurs alpha1 et des récepteurs muscariniques M2) ;
métaboliques avec résistance à l’insuline, prise de poids et
dyslipidémie (blocage des récepteurs histaminiques H1,
muscariniques M3, et sérotoninergiques 5HT2) ; des facteurs
neurologiques, en rapport avec l’obtention d’une sédation
marquée (par blocage des récepteurs H1, D2, 5HT2) et des
effets extrapyramidaux (par blocage des récepteurs D2) qui
conduisent à une stase veineuse et à l’activation de facteurs de coagulation. D’autres mécanismes ont pu être évoqués : hyperprolactinémie (par blocage des récepteurs
dopaminergiques D2) associée à une altération de la fonction endothéliale, diminution de la sensibilité à l’insuline et
accroissement de l’agrégation plaquettaire.
Existe-t-il un effet dose ? Quelle est la place des interactions avec d’autres drogues ? Ces questions restent ouvertes.
La létalité est expliquée par la conjonction des anomalies métaboliques, de troubles sévères de la conduction
cardiaque, d’une sédation excessive, source d’inhalation et
de surinfection bronchique et enfin par les mécanismes
évoqués pour les AVC.
• le nombre des essais contrôlés randomisés comparant
l’efficacité et la tolérance des antipsychotiques atypiques
à celle des neuroleptiques conventionnels demeure très
limité. Les spécificités liées à l’action symptomatique et
au profil des effets indésirables de ces produits sont insuffisamment documentées (incluant le risque d’accidents
cérébrovasculaires et de décès) ;
• les essais comparant deux antipsychotiques atypiques aux
profils d’effets secondaires contrastés sont très rares ;
• le risque d’AVC et de décès au-delà de 8 semaines demeure
inconnu, de même les effets bénéfiques éventuels du traitement à plus long terme (brièveté des essais) ;
• les facteurs de risque ou de protection spécifiques impliqués dans la survenue des AVC et des décès demeurent
inconnus. Un certain nombre de facteurs intermédiaires
(comorbidités somatiques, étiologies ou stade évolutif de
la démence, médications concomitantes, posologie, facteurs génétiques) modulent vraisemblablement le risque
individuel. Le même raisonnement prévaut pour les effets
thérapeutiques ;
• l’efficacité et la tolérance des alternatives thérapeutiques
aux antipsychotiques sont mal documentées. Aucun psychotrope n’a démontré un bon rapport efficacité/tolérance
chez les patients atteints de démence avec symptômes psychotiques ou comportements d’agitation. Le même constat
peut être fait pour les interventions psychosociales ;
• les effets comportementaux des traitements inhibiteurs
de l’acétylcholinestérase et de la mémantine seraient au
mieux modestes. Les données existantes ne permettent
pas de conclure ;
• des progrès ont été réalisés dans la compréhension physiopathologique (neurobiologique) des symptômes psychiatriques des démences mais ces données ne permettent
pas d’établir les causes directes de l’émergence des
symptômes. Ainsi, les cibles pharmacologiques qui permettraient d’agir efficacement sur les symptômes psychotiques et l’agitation dans les démences ne sont pas
définies. Les stratégies thérapeutiques actuelles ne
constituent qu’une extrapolation de celles qui sont préconisées dans d’autres situations syndromiques, en particulier schizophréniques.
Les antipsychotiques chez les sujets âgés atteints
de démence : Quelles sont les recommandations
disponibles ?
Recommandations de l’American College of
Neuropsychopharamcology
En 2007, l’American College of Neuropsychopharmacology
a fait le point à propos de l’utilisation des antipsychotiques
chez les patients âgés atteints de démence.
Il précise des données établies :
• aucun psychotrope ne possède d’indication officielle dans
le traitement des symptômes psychotiques et dans l’agitation des patients atteints de démence, alors que leur
utilisation est répandue ;
La place des antipsychotiques dans la prise en charge des troubles du comportement de la personne âgée
Données issues de la « Cochrane library »
En 2007, la Cochrane collaboration a réalisé une méta-analyse des études sur l’utilisation des antipsychotiques de
deuxième génération pour traiter les symptômes psychotiques et l’agressivité dans la démence d’Alzheimer [3]. Des
16 essais contrôlés versus placebo réalisés, seuls 9 sont
inclus dans la méta-analyse et seuls 5 ont été intégralement publiés. Aucun essai concernant l’amisulpride, le sertindole ou la zotépine, n’a été inclus.
Les résultas principaux relatent une amélioration significativement plus importante avec la rispéridone et l’olanzapine comparativement au placebo pour l’agressivité et avec
la rispéridone pour les symptômes psychotiques. Rispéridone
et olanzapine étaient significativement associées à une incidence plus importante d’accidents cérébrovasculaires et
d’effets extrapyramidaux, avec des sorties d’essai significativement plus fréquentes avec la rispéridone à 2 mg et l’olanzapine à 5 à 10 mg. Il n’existe pas suffisamment de données
pour connaître l’impact sur les fonctions cognitives.
Quelles sont les alternatives aux antipsychotiques ?
1) Lorsque cela est possible, la première étape est de
déterminer la cause des symptômes et de mettre en œuvre
un traitement étiologique.
2) En l’absence de traitement étiologique, les thérapeutiques non médicamenteuses doivent toujours figurer en
1re intention. Leur efficacité et leurs modalités d’utilisation
font actuellement l’objet d’un PHRC national dont les résultats devraient être publiés dans les prochaines années.
Ces thérapeutiques sont plus ou moins spécifiques et
leur mise en œuvre nécessite une évaluation minutieuse
préalable de la situation interpersonnelle et des facteurs
sociaux. Les pré-requis à la mise en œuvre de ces thérapeutiques sont la formation des équipes, mais aussi la disponibilité des moyens et du personnel.
Elles consistent par exemple à l’aménagement spatial
et temporel du lieu de vie. D’autres sont fondées sur des
abords psychothérapiques : approches empathiques, comportementales centrées sur les émotions (évocation du
passé ou thérapie par la réminiscence) stimulations sensorielles, motrices, cognitives.
Il peut s’agir également de thérapies regroupées sous le
vocable général de « sociothérapie » : participation à des
activités récréatives et socialisantes structurées ou encore
à des activités physiques.
Le taux de réponse au placebo dans les essais testant
l’efficacité des antipsychotiques varie entre 30 et 40 % soulignant l’influence de facteurs non spécifiques, autour de la
démarche de soin et d’accompagnement des patients et de
leur famille : ce que l’on nomme le « good care ».
La concertation professionnelle française sur
le traitement de l’agitation, de l’agressivité,
de l’opposition et des troubles psychotiques dans
les démences [4]
En 2006, une expertise française sur le traitement de l’agitation, de l’agressivité, de l’opposition et des troubles psy-
S247
chotiques dans les démences a permis de préciser les points
suivants :
• le traitement ne sera pas instauré si le symptôme a une
origine somatique (comme une douleur), ou iatrogène
(comme une hallucination sous agoniste dopaminergique,
zolpidem, ou corticoïdes…), ou encore s’il a répondu à
des interventions non médicamenteuses, environnementales, ou une thérapie cognitivo-comportementale ;
• il sera instauré pour réduire les symptômes altérant la
qualité de vie du patient ou mettant en péril sa sécurité
ou celle de son entourage ;
• on s’assurera que le patient bénéficie d’un traitement
spécifique de la maladie : c’est-à-dire les inhibiteurs de
l’acétyl cholinestérase pour les formes légères à modérées et/ou mémantine pour les formes sévères de la
maladie d’Alzheimer ;
• s’agissant de prescriptions hors AMM ou ayant fait l’objet
d’avis de précaution des autorités de santé, l’évaluation
du rapport bénéfices/risques devra être documentée, la
prescription limitée dans le temps (15 jours) et soumise à
une réévaluation fréquente (une décroissance posologique voire un arrêt du traitement en cas de rémission
symptomatique doivent être mis en place) ;
• les posologies minimales efficaces sont requises, en gardant à l’esprit que l’efficacité est obtenue entre 2 et
4 semaines ;
• dans les troubles psychotiques aigus, les neuroleptiques
injectables à action immédiate (dose minimale efficace)
en cas de refus du traitement per os et de risque immédiat pour le patient et/ou l’entourage sont indiqués, à la
condition d’une surveillance rapprochée, cardiovasculaire, neurologique et de l’état de conscience et d’une
réévaluation de la prescription toutes les six heures ;
• en cas de troubles psychotiques subaigus ou chroniques,
est préconisée l’utilisation de rispéridone entre 0,25 et
2 mg par jour en 2 prises ;
• devant une agitation associée à une irritabilité, les antidépresseurs sont plus appropriés : mirtazapine entre 15
et 45 mg/j, ou inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
sérotonine ;
• devant une agitation avec anxiété, est recommandé en
aigu, l’oxazépam, à doses faibles (15 mg), puis une poursuite avec des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
sérotonine ;
• si l’agitation est nocturne (troubles du sommeil, inversion
du rythme nycthéméral), outre les renforcements des
synchronisateurs externes, sont proposées la mirtazapine, la miansérine ou la zopiclone ;
• face à une agitation aiguë sans troubles psychotiques, est
à rechercher un contexte réactionnel qui céderait grâce
à des mesures non pharmacologiques ;
• des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
ou de la rispéridone sont indiqués en cas d’agressivité ou
de comportement d’opposition.
Par ailleurs, on peut noter que les thymorégulateurs
sont cités dans la littérature anglo-saxonne mais peu dans
la littérature française. La carbamazépine aurait prouvé
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son efficacité dans l’agitation et l’hostilité. Les données
concernant l’acide valproïque sont confuses. L’hypothèse
d’un effet neuroprotecteur des thymorégulateurs chez les
patients déments a été formulée [17, 15].
La prise de décision thérapeutique est à partager, dans
le respect de la balance entre l’autonomie et l’intervention médicale. La délivrance de l’information la plus précise possible au patient et à sa famille, notamment quant
aux risques d’effets indésirables est indispensable.
L’expertise énonce quelques recommandations pour la
recherche :
• identifier des indices prédictifs d’efficacité et des facteurs d’augmentation du risque de mortalité ou de survenue d’AVC au sein de sous-groupes cliniques de patients
et en fonction de modalités thérapeutiques différentes
(par exemple, posologies élevées vs basses) au moyen de
méta analyses des données individuelles des patients
inclus dans les essais contrôlés ;
• promotion et mise en place d’études qualitatives mettant l’accent sur des objectifs thérapeutiques établis en
tenant compte du point de vue du patient et de son
entourage ;
• poursuivre l’exploration des mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent les symptômes psychotiques et
l’agitation chez les patients atteints de démence et améliorer ainsi les définitions phénotypiques ;
• identifier des biomarqueurs permettant de préciser le
rapport individuel bénéfice/risque (par exemple, facteurs vasculaires, marqueurs génétiques en lien avec les
neurotransmetteurs, données d’imagerie fonctionnelle).
Conclusion
Il existe souvent un décalage entre les recommandations
issues de « l’Evidence based medecine » et des différentes
concertations professionnelles et la pratique clinique.
Les carences de la formation gérontopsychiatrique, le
manque cruel de personnel soignant, son épuisement,
notamment dans les institutions et la difficulté à mettre en
œuvre concrètement des alternatives thérapeutiques aux
psychotropes peuvent inciter à des prescriptions inappropriées d’antipsychotiques.
Un autre décalage flagrant est celui qui existe entre les
enjeux démographiques, médicaux, socio-économiques,
largement médiatisés dans les sociétés occidentales, et la
pauvreté des données scientifiques qui sont à notre disposition. Consolons-nous cependant : c’est un fait, la littérature est exponentielle, en particulier dans le champ de la
maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées.
Il apparaît aujourd’hui indispensable de réhabiliter la
clinique gérontopsychiatrique afin de tendre vers une psychopharmacologie gériatrique digne de ce nom.
L’implication des psychiatres est nécessaire, faut-il encore
le rappeler ? Les unités psychiatriques de relais et/ou
d’aval sont indispensables, véritables maillons interdisciplinaires dans l’orientation et la prise en charge optimale
des patients âgés présentant les troubles psychocomportementaux les plus sévères.
C. Dufresne, T. Gallarda
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