L’Encéphale (2008) Supplément 3, S115–S119 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p D’une indication à l’autre : intérêt des études long terme J.P. Boulenger CHU de Montpellier Hôpital La Colombière, 39 avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier cedex 5 Les études à long terme deviennent nécessaires dans les dossiers d’enregistrement des médicaments, du fait de la chronicité des troubles envisagés, et de l’importance des risques de rechute et de récidive. De plus, ces études apportent une importante confirmation des essais d’efficacité à court terme : d’ailleurs, une plus grande proportion d’entre elles sont positives, en comparaison avec les études court terme contre placebo. Les trois principales méthodologies utilisées dans ces études long-terme sont les études de prolongation de traitement après essai comparatif, permettant de juger de la tolérance à long terme et du maintien de l’efficacité ; les essais randomisés sur six mois, correspondant à la période recommandée de traitement des troubles étudiés (troubles dépressifs, troubles anxieux…) ; et enfin, de manière plus récente, les études de prévention de rechute. Ces dernières doivent avoir des critères d’inclusion spécifiques, en particulier en termes de nombre antérieur d’épisodes de manière à augmenter leur sensibilité. Elles sont généralement constituées d’une phase ouverte préalable de 8 à 12 semaines avec le produit actif, permettant de sélectionner, à partir de critères prédéfinis, les patients en rémission ; ceux-ci sont ensuite randomisés entre le produit actif et le comparateur, en général le placebo. Les patients sont alors suivis durant plusieurs mois – souvent un an –, le critère principal étant le taux de rechute ou le délai moyen avant survenue de la rechute diverses précautions méthodologies doivent être prises. il faut par exemple prendre en compte, au cours du premier mois, l’effet du sevrage possible dans le groupe placebo mais également définir avec soin les critères de rechute, ce qui est particulièrement difficile dans les troubles anxieux d’évolution plutôt chronique. L’étude comparative entre paroxétine et escitalopram sur 24 semaines [2] est l’une des rares études ayant ainsi montré une différence significative à moyen terme entre deux IRS dans les dépressions – en l’occurrence, dans les formes sévères d’états dépressifs majeurs (Fig. 1). Dans 0 Changement estimé du score MADRS Méthodologie des études long-terme Paroxetine (n = 107) Escitalopram (n = 115) * p < 0,05 FAS, LOCF, ANCOVA -5 -10 -15 -20 * -25 * * -30 0 4 8 12 Semaine * 16 * * 20 24 Figure 1 Estimation de la variation du score MADRS (MADRS ≥ 35) (D’après 2). * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur a déclaré intervenir en temps qu’investigateur principal pour les laboratoires Lundbeck, Lynapharm et Astra Zénéca ; être intervenant poncutel pour les laboratoires Lundbeck, Pfizer, Servier, Sanofi et Astra Zénéca ; être intervenant sur invitation pour les laboratoires Lilly, Biocodex, Ardix, Pierre Fabre, Lundbeck et Védim-Pharma. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. S116 cette étude, la différence était liée à la fois à une meilleure tolérance et à une meilleure efficacité de l’escitalopram par rapport à la paroxétine, notamment dans les formes les plus sévères de dépression. Essais de prévention de rechutes : exigences réglementaires de l’EMeA Les exigences réglementaires de l’EMeA en matière d’essais de prévention de rechute sont relativement floues (2002). Elles demandent, pour les états dépressifs majeurs, un traitement en ouvert de 2 à 3 mois, suivi d’une période de post-randomisation d’au moins 6 mois, sans obligation particulière pour la prévention des récidives ultérieures. Dans les troubles anxieux, les périodes initiales en ouvert et de post-randomisation sont plus longues : pour le TAG [6], 2 à 6 mois en ouvert, et 6 à 12 mois en postrandomisation ; pour les phobies sociales [1, 2], également 2 à 6 mois en ouvert et 6 à 12 mois en post-randomisation. Pour le TOC [6] et pour le PTSD (2008), il n’existe pas de précisions particulières. Quand aux critères d’évaluation, ils sont également définis de manière peu stricte, puisqu’il est simplement indiqué que l’aggravation et/ou la rechute doivent être définies de manière « cliniquement significative ». Limites des études de prévention des rechutes Diverses limites sont à relever pour ces études de prévention des rechutes. En premier lieu, il n’existe pas de possibilité d’essais comparatifs directs entre produits actifs (head to head), mais seulement d’études contre placebo ; une étude entre produits actifs nécessiterait en effet une méthodologie beaucoup plus lourde. Il faut aussi relever les difficultés de définir des rechutes dans certaines pathologies, les troubles anxieux notamment du fait de leur chronicité. On a également reproché à ces études une sélection de la population, puisque les essais ne prennent en compte que des patients qui ont répondu favorablement à un produit donné : en effet la plupart des études n’envisagent pas le remplacement par un produit actif autre que celui utilisé dans l’étude ouverte. Enfin, il n’existe généralement pas de distinction entre rechute et récidive, ce qui correspond à une réelle difficulté clinique. Étude de prévention de récidive dans la dépression majeure Une étude Kornstein [4] réalisée dans les états dépressifs majeurs a traité des patients dépressifs majeurs par divers IRS durant 8 semaines ; ceux qui avaient été améliorés ont été placés sous escitalopram durant 16 semaines, puis randomisés entre produit actif et placebo et suivis durant un J.P. Boulenger an, explorant donc à la fois le risque de rechute et le risque de récidive. Cette étude confirme les études de prévention de rechute stricto sensu, en mettant en évidence une différence importante du taux de rechute entre placebo et escitalopram (65 % vs 27 %). L’étude de Lépine [5], parue dans l’American Journal of Psychiatry, est également particulièrement intéressante sur le plan méthodologique. Dans cette étude, les patients avaient été traités par IRS (sauf la sertraline) durant 8 semaines, puis les patients répondeurs avaient été placés sous placebo, afin d’être sûr que la rémission soit stable, et enfin randomisés entre sertraline et placebo durant une période de plus d’un an. Comme la précédente cette étude a ainsi démontré que l’utilisation d’une autre molécule que celle utilisée pour traiter l’épisode aigu permet également de prévenir les rechutes et les récidives dépressives. Escitalopram : étude de prévention des rechutes dans l’anxiété généralisée Dans une étude récente [1], les patients étaient traités durant 12 semaines, en ouvert, recevant une dose croissante d’antidépresseur (escitalopram 10 mg la 1re semaine et escitalopram 20 mg les 11 semaines restantes). Après 12 semaines, seuls étaient conservés dans l’étude les patients répondeurs ; ceux-ci étant définis comme des patients présentant une diminution au score HAM-A total de 10 au maximum à la semaine 12, la rechute étant définie, pendant la période en double aveugle, par la réapparition d’un score HAM-A d’au moins 15, ou par un manque d’efficacité (Fig. 2). La durée de la période en double aveugle était de 14 à 76 semaines. Les résultats ont été similaires à ceux retrouvés dans la dépression, avec un taux de rechute sous escitalopram d’environ 20 %, alors qu’il est de plus de 50 % pour le placebo (Fig. 3). Repondeurs : HAM-A ≤ 10 Au moins 24 S 12 S ouvert double aveugle ESC 10-20 mg 2 S échec ESC 20 mg n = 186 n = 491 n = 187 PBO Non-répondeurs quittent l’étude 0 12 Semaines Au moins 24 S (maximum 76 S) • Pendant la période en ouvert, les patients reçoivent escitalopram 10 mg la 1re semaine et escitalopram 20 mg les 11 semaines restantes. • Répondeurs = patients avec une diminution à l’HAM-A total ≤ 10 à S 12. • Rechute pendant la période en double aveugle = HAM-A ≥ 15 ou manque d’efficacité. Figure 2 Escitalopram : prévention des rechutes dans l’anxiété généralisée (D’après 1). D’une indication à l’autre : intérêt des études long terme S117 ESC (n = 186) ; Rechutes : 35 (18,8 %) PBO (n = 187) ; Rechutes : 105 (56,1 %) Risque relatif = 4,04 1,0 0,9 Estimation Kaplan-Meier 0,8 NNT = 2 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 Log-rank valeur p : < 0,001 0,0 0 28 56 84 112 140 168 196 224 252 280 308 336 364 392 420 448 475 504 532 Jours Escitalopram : étude de prévention des rechutes dans la phobie sociale La méthodologie de l’étude réalisée ici [6] est la même que celle de l’essai mené dans l’anxiété généralisée (Fig. 4). Les patients étaient randomisés en fonction de l’amélioration aux échelles CGI et de Liebowitz (LSAS), la rechute étant définie comme une augmentation du score total à l’échelle LSAS d’au moins 10 par rapport à la semaine 12, ou comme une réponse non satisfaisante (manque d’efficacité) de l’avis de l’investigateur. Les résultats montrent des chiffres similaires à l’étude précédente, avec un taux de rechute sous escitalopram d’environ 20 %, alors qu’il est de plus de 50 % pour le placebo (Fig. 5). 24 S double aveugle n = 181 ESC 10-20 mg n = 190 Escitalopram (n = 190) Placebo (n = 181) p < 0,001, FAS 1,0 0,8 (22 %) 0,6 0,4 (50 %) 0,2 0,0 0 50 100 Jours 150 200 Figure 5 Prévention des rechutes dans la phobie sociale (D’après 6). Escitalopram : étude de prévention des rechutes dans le trouble obsessifcompulsif Répondeurs : CGI-I 1or PBO Probabilité de se sentir bien Figure 3 Prévention des rechutes dans l’anxiété généralisée (D’après 1). 12 S ouvert ESC 10-20 mg (n = 517) 0 Non-répondeurs quittent l’étude 12 24 Rechute = augmentation du score total LSAS ≥ 10 par rapport à la semaine 12 ou réponse non satisfaisante (Manque d’efficacité) de l’avis de l’investigateur Figure 4 Escitalopram : étude de prévention des rechutes dans la phobie sociale (D’après 6). Malgré les interrogations actuelles sur la pertinence de laisser le trouble obsessionnel-compulsif au sein des troubles anxieux, les résultats observés dans cette pathologie avec l’escitalopram sont également similaires à ceux retrouvés dans les autres troubles anxieux, avec des posologies comparables. Le schéma de l’étude réalisée dans cette indication (Fig. 6) inclut une randomisation en fonction de l’amélioration à l’échelle Y-BOCS, et les résultats sont superposables à ceux retrouvés dans les autres troubles (Fig. 7). S118 J.P. Boulenger Période I Période II (16 S en ouvert) (24 S en double aveugle) Escitalopram dose fixe 10 ou 20 mg Y-BOCS ≥ 20 Escitalopram 10 or 20 mg dose flexible pendant 12 S. 1re S 10 mg Rechute Augmentation Y-BOCS ≥ 5 ou manque d’efficacité n = 163 N = 468 Placebo Rechute Augmentation Y-BOCS ≥ 5 ou manque d’efficacité n = 157 Répondeurs : (Diminution du score Y-BOCS ≥ 25 % 0 S4 S1 7 6 S1 S4 4 Suivi sécurité Inclusion II 50 Inclusion I Figure 6 Escitalopram : prévention des rechutes dans le trouble obsessionnel compulsif (D’après 3). 0,9 Escitalopram (n = 157) Placebo (n = 163) p < 0,001, ESC vs PBO ; Test log-rank 0,7 0,5 52 % de rechute 40 30 *** 20 *** *** 12 0,3 0 Risque relatif = 2,74 50 23 % de rechute 0,6 0,4 Escitalopram Placebo *** p < 0,001 60 0,8 Taux de rechute Estimation Kaplan-Meier 1,0 4 8 12 16 20 Période en double aveugle (semaines) 24 Figure 7 Prévention des rechutes dans les TOC (D’après 3). 0 TAS TAG TOC Figure 8 Escitalopram et troubles anxieux : similarité dans la prévention des rechutes (D’après 1, 3, 6). Conclusion Les études réalisées dans les troubles anxieux avec l’escitalopram donnent donc des résultats très comparables (Fig. 8). En ce qui concerne la tolérance, on retrouve très peu d’apparition d’effets indésirables au long cours, et très peu de sorties d’essai du fait d’effets secondaires. Les rares effets de sevrage observés après plusieurs mois de traitement concernent surtout des sensations vertigineuses. On peut souligner l’intérêt clinique des essais de prévention de rechute, qui sont fiables et faciles à réaliser, et qui fournissent des informations majeures pour les troubles chroniques ou récidivants, notamment en ce qui concerne la pathologie anxieuse. Les études disponibles confirment l’efficacité de l’escitalopram, mais aussi sa bonne tolérance et sa facilité d’arrêt, à long terme. Enfin, les résultats similaires observés quel que soit le contexte clinique soulèvent la possibilité d’un mécanisme d’action commun des antidépresseurs dans les troubles anxieux, et la dépression. D’une indication à l’autre : intérêt des études long terme Références [1] Allgulander C, Florea I, Huusom AK. Prevention of relapse in generalized anxiety disorder by escitalopram treatment. Int J Neuropsychopharmacol. 2006 Oct ; 9 (5) : 495-505. Epub 2005 Sep 6. [2] Boulenger JP, Huusom AK, Florea I et al. A comparative study of the efficacy of long-term treatment with escitalopram and paroxetine in severely depressed patients. Curr Med Res Opin. 2006 Jul ; 22 (7) : 1331-41. [3] Fineberg NA, Tonnoir B, Lemming O et al. Escitalopram prevents relapse of obsessive-compulsive disorder. Eur Neuropsychopharmacol. 2007 May-Jun ; 17 (6-7) : 430-9. Epub 2007 Jan 19. S119 [4] Kornstein SG, Bose A, Li D et al. Escitalopram maintenance treatment for prevention of recurrent depression : a randomized, placebo-controlled trial. J Clin Psychiatry 2006 Nov ; 67 (11) : 1767-75. [5] Lépine JP, Caillard V, Bisserbe JC et al. A randomized placebocontrolled trial of sertraline for prophylactic treatment of highly recurrent major depressive disorder Am. J. Psychiatry, 2004, 161 : 836-842. [6] Montgomery SA, Nil R, Dürr-Pal N et al. A 24-week randomized, double-blind, placebo-controlled study of escitalopram for the prevention of generalized social anxiety disorder J Clin Psychiatry. 2005 Oct ; 66 (10) : 1270-8 Comment in : Evid Based Ment Health. 2006 May ; 9 (2) : 52.