Cas Cliniques J.- P. Mialet 75007 Paris

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La dépression : des pratiques aux théories 9
Cas Cliniques
J.- P. Mialet
75007 Paris
Pour illustrer les imprévus des trajets cliniques de patients bipolaires, nous rapportons ici deux
observations de patients se présentant comme des états délirants aigus considérés comme
schizophréniques qui se sont
révélés être des bipolaires.
1ÈRE OBSERVATION
Florence G., 33 ans, mariée
depuis 10 ans, 3 enfants, est hospitalisée en 81 pour schizophrénie paranoïde. Elle en a en effet
toutes les caractéristiques symptomatiques, et le diagnostic est
retenu par l’ensemble de l’équipe,
pourtant spécialisée dans les troubles de l’humeur, malgré le début
tardif (après 28 ans) et les qualités
d’adaptation que suppose son rôle
maternel. Le tableau est suffisamment typique pour que des intervalles libres rapportés par le mari
soient tenus en fait pour des intervalles muets, où le délire continuerait à évoluer à bas bruit. Le
traitement neuroleptique se montrant inefficace après deux mois,
on tente de parti pris un traite-
L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, Cahier2
ment antidépresseur : la patiente
« guérit » miraculeusement. Guérie : il n’y a pas d’autre mot pour
traduire la transformation spectaculaire qui s’opère en moins de
deux semaines. L’examen psychométrique réalisé à distance révèle
un QI à 106, un Rorschach pauvre
avec inhibition et manque d’empathie, un MMPI au profil typique
d’hystérie (égocentrisme, immaturité, quête affective, vision
favorable d’elle-même). L’évolution avec 26 années de recul a largement confirmé le diagnostic de
trouble de l’humeur. Dans l’année qui a suivi l’hospitalisation,
un épisode de dépression majeur
suivi d’un virage maniaque franc
ont amené à mettre la patiente
sous Lithium. Avec ce traitement, l’état de Florence s’est stabilisé mais elle gardait par époque,
dans les dix premières années, des
périodes de fatigue et de fléchissement qui ont disparu au fil du
temps. Une interruption du traitement par négligence a été l’occasion d’une rechute. La période
de la ménopause a nécessité un
suivi plus attentif, et l’adjonction
momentanée d’un antidépres-
seur. Du point de vue de la personnalité, les traits névrotiques
révélés par l’examen psychologique paraissent justifiés, mais ils
n’ont pas empêché Florence G.
d’avoir une vie conjugale et familiale réussie. Florence a supporté
sans difficultés apparentes et sans
rechute thymique les épreuves de
son existence, notamment le deuil
de ses parents et l’éloignement de
ses trois enfants, aujourd’hui tous
indépendants.
2ÈME OBSERVATION
Sylvie L., 35 ans, ingénieur géologue, 4 enfants, mariée depuis
10 ans, vient me consulter en
2006 pour une anxiété majeure
liée à des hallucinations. En
approfondissant, j’apprends que
quelques mois auparavant, elle
s’est prise pour la Sainte Vierge
et se sentait envahie par des voix
qui l’insultaient, des odeurs, des
cénesthésies. L’agitation était
telle qu’elle a dû être hospitalisée au CHS, où l’on a conclu à
une « psychose de transfert ». En
fait, la décompensation délirante
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La dépression : des pratiques aux théories 9
J.-P. Mialet
de Sylvie est en effet survenue au
cours d’une psychothérapie psychanalytique qu’elle venait de
débuter. Elle s’était lancée dans
cette analyse pour se protéger
contre les affres du post-partum, car elle était alors enceinte
de son dernier enfant et redoutait de connaître à nouveau les
expériences douloureuses d’effondrement moral qu’elle avait
subies dans les suites des grossesses précédentes. Sylvie était sous
neuroleptique depuis la sortie de
l’hôpital quelques mois auparavant, et ce traitement n’avait
pas d’effet sur ses angoisses. A
y regarder de prés, les hallucinations n’étaient plus présentes
au moment de la consultation.
Elle était très agitée, obsédée
par l’idée d’une rechute de ses
symptômes, souffrant d’une
véritable douleur morale qui
la rendait incapable d’assurer
ses responsabilités maternelles,
S662
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 661-662, Cahier 2
elle me parlait en se tordant les
mains de sa peur d’entendre des
voix, mais elle n’en entendait
plus depuis longtemps. De plus,
une profonde culpabilité, une
indifférence affective à l’égard
de sa famille et des idées de suicide donnaient à cette agitation
anxieuse autour de sa thématique
hallucinatoire une tonalité nettement mélancolique. Un séjour en
clinique avec traitement antidépresseur est venu à bout rapidement de cet état, en apportant
en cours de route une confirmation accidentelle de la légitimité
de la décision thérapeutique : un
épisode allergique a imposé une
diminution des antidépresseurs,
et l’on a vu alors la patiente faire
une rechute qui a cédé lorsque
le traitement a pu être repris.
Sous Lithium, la patiente n’a
fait aucune rechute. Le trouble
thymique s’est trouvé confirmé
avec le recul : la période aigue de
la « psychose de transfert » correspondait en fait à une période
d’exaltation avec tachypsychie et
sentiment d’élation. Les épisodes
dépressifs du post-partum étaient
d’ailleurs suggestifs et auraient dû
d’emblée attirer l’attention.
CONCLUSION
Ces deux observations paraissent
représentatives du danger majeur
qui guette les patients présentant
des troubles thymiques : l’enfermement dans un regard clinique
rempli de préjugés, qui privilégie
telle ou telle série de symptômes
ou de faiblesses psychologiques
occupant l’avant-scène, en négligeant l’humeur d’arrière-plan.
Le grand risque est alors soit de
retarder un traitement efficace,
soit d’accentuer les troubles par
un traitement inadapté.
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