La dépression : des pratiques aux théories 10 Synthèse C. Castelnau Montpellier LA PSYCHO-ONCOLOGIE : QUELLES MISSIONS, QUELLE FORMATION, QUELLE COOPÉRATION AVEC LES ONCOLOGUES ? Quelles missions les psychiatres ont-ils au sein de la psycho-oncologie ? La première est le dépistage, le diagnostic et le traitement des affections psychiatriques. Par exemple, il s’agit de distinguer le trouble de l’adaptation réactionnel à l’annonce diagnostic, de la dépression caractérisée, et d’être particulièrement attentif à cette dernière, particulièrement fréquente pendant les six premiers mois après l’annonce diagnostique. Il s’agira également de dépister le risque suicidaire, risque auquel les psychiatres se doivent d’être très attentifs : 1 % des décès sont dus au suicide, notamment dans les 6 premiers mois. Sur le plan thérapeutique, il est intéressant de voir que 80 % des patients atteints de cancer reçoivent des psychotropes, et qu’il s’agit majoritairement de benzodiazépines et d’hypConflit d’intérêt : aucun. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. notiques. Les antidépresseurs seraient-ils encore plus sous prescrits que dans la population générale ? Il s’agit aussi de partager nos savoirs avec nos collègues et les autres professionnels de santé ; formation à l’empathie, aux mécanismes de défense, atelier de relecture psychodynamique des dossiers. Une seconde mission est celle de la psychologie médicale, c’est-à-dire tout ce qui a trait à la relation médecin malade, au vécu psychologique et aux mécanismes de défense de la personne confrontée à un diagnostic médical ou à une maladie. Le psycho-oncologue aura d’autant plus un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de l’apparition d’une pathologie cancéreuse chez un sujet présentant une pathologie mentale connue. Les missions auprès du malade peuvent aussi être élargies à la prise en charge de la famille. D’une part au vu du retentissement sur la famille : il existe davantage de psychopathologie dans les membres de la famille des patients atteints de cancer et de difficultés scolaires chez les enfants de ces patients. D’autre part, il s’agit d’accompagner les ajustements interpersonnels intrafamiliaux secondaires à l’arrivée du cancer dans la famille. Quelle coopération avec les oncologues ? Premièrement se pose la question de savoir si les psycho-oncolgues ont pour mission de soutenir les équipes soignantes ? Qu’il s’agisse d’un psychiatre ou d’un psychologue. Pour chaque soignant, se pose la question de savoir comment faire face au déni, comment accepter le déni, comment faire face à la mort ? Le rôle du psycho-oncologue se doit d’être bien défini, notamment par rapport aux oncologues, au médecin traitant. C’est au psycho-oncologue de délimiter le champ de son exercice. Pour autant le psycho-oncologue doit s’adapter à l’oncologue qui délègue ou qui prend en charge la dimension humaine de sa profession, aux dispositifs de soins disponibles et choisis par le patient. Il ne s’agit en aucun cas de déléguer au psychiatre l’annonce diagnostique. De la dichotomie entre les médecins d’organe avec une prise en charge technique hyper spécialisée et les psychiatres pour une prise en charge humaniste du même patient, émane la question suivante : le psychiatre doit-il assumer l’ensemble de cette prise en charge humaniste ou alors doit-il aider l’oncologue à se la réapproprier ? La dépression : des pratiques aux théories 10 C. Castelnau Le psycho-oncologue doit-il assurer la continuité et la cohérence dans le parcours de soins ? Ce rôle revient-il à l’oncologue ou au médecin traitant ? Dans la pratique, les patients en attente d’un soutien notamment face à l’émiettement des soins, la technicité des soins. On retrouve volontiers un vécu d’abandon, le sentiment d’être perdu. La prescription des arrêts de travail pose aussi question. Il est difficile pour les oncologues de rédiger des arrêts de travail au long cours chez des patients en rémission de leur pathologie néoplasique, mais pour lesquels la reprise du travail est périlleuse. Le psychiatre peut sans doute aider à authentifier l’impact global dans le dysfonctionnement secondaire au cancer même une fois stabilisé. Il n’existe pas de diagnostic CIM-10 ou DSM-IV adapté à ces patients en difficulté pour reprendre leur travail et pour lesquels on pose le diagnostic d’épisode dépressif majeur par excès. Il s’agirait de désordres pauci symptomatique mais invalidants. Qui peut devenir psycho-oncologue ? Le psychiatre, le psycho-oncologue ? Quelle formation ? Ces questions sont restées posées. S 48 L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S47-S48 QUEL EST L’IMPACT DES TROUBLES PSYCHIQUES, DES PSYCHOTROPES SUR LES CANCERS ? ET INVERSEMENT, DES CANCERS, ET DES TRAITEMENTS ANTICANCÉREUX SUR LES TROUBLES PSYCHIQUES ? La pratique clinique de la psychooncologie nous amène à penser une série de questions. Quelle est l’incidence des troubles psychiques sur la genèse ou le pronostic des pathologies cancéreuses ? La dépression est-elle un facteur de risque, un facteur de résistance thérapeutique de certaines pathologies cancéreuses, à l’instar de ce qui est connu à propos des maladies cardiovasculaires ? Ce qui amènerait à penser qu’il y aurait une place pour une « psycho-oncologie de prévention ». Quels sont les effets psychotropes des traitements anticancéreux (à l’instar des effets bien connus des corticothérapies), et inversement, quels sont les effets des psychotropes sur les pathologies cancéreuses, sur leur pronostic ; par exemple, les antidépresseurs améliorent-ils le pronostic en cas de comorbidité dépressive ? LE DISPOSITIF DE SOINS EN PSYCHO-ONCOLOGIE L’organisation française de la psychooncologie a été remodelée par le plan cancer de 2002 initié par Jacques Chirac. Ce plan définit des soins de support, concept centré sur l’annonce du diagnostic et la prise en charge des patients atteints de cancer : ceci protocolise les soins en les séquençant. Le premier temps est celui du diagnostic. Le second est la préparation du patient à son diagnostic : une infirmière spécialisée prépare le patient à l’annonce du diagnostic. Le troisième temps est celui de l’annonce du diagnostic par l’oncologue, et de la ligne thérapeutique à suivre. Dans les quelques unités de psychooncologie, tous les dossiers sont évalués par l’équipe de psycho-oncologie de cette unité qui décide ensuite quels patients elle prendra en charge.