Le « Jour de l`hôpital » : comment faire d`un lieu… un temps du

ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER
Le « Jour de lhôpital » : comment faire dun lieuun temps
du parcours de soins ?
Regards croisés du psycho-oncologue et de loncologue à lhôpital de jour
The Day of the Hospital: How to Make a Placea Time for a Care Pathway Journey?
The Perspective of a Psycho-Oncologist and an Oncologist at a Day Unit
P. Saltel · C. Levy
Reçu le 21 mai 2015 ; accepté le 30 septembre 2015
© Lavoisier SAS 2015
Résumé Les enjeux de calendrier, dhoraires, de temps
dattente deviennent décisifs dans le contexte actuel des soins
qui sont aujourdhui, le plus souvent, ambulatoires. À lhôpi-
tal de jour (HJ), les rencontres successives avec les soignants
pour les traitements et le dépistage de symptômes sont des
moments souvent brefs mais qui, néanmoins, assurent la
continuité des soins, ainsi rythmée comme dans un rituel,
par le « Jour de lhôpital ». Ce jour peut-il alors sémanciper
quelque peu des contraintes dune temporalité pressée, du seul
temps des horloges et des « obligations » mais, par sa discon-
tinuité, faire apparaître un temps plus singulier, attentif au
vécu de chacun ? Une meilleure connaissance par les soi-
gnants des diverses dimensions de la temporali perçue auto-
riserait den orchestrer les « accords » selon les catégories par
exemple, du temps perdu, du temps des « au revoir » ou du
temps donné. Ce temps qui nétait pas planifié et qui, par
surprise, fait le plus sûr remède au dépit. Un dialogue entre
une oncologue et un psycho-oncologue en propose certaines
des conditions, alors que les changements dans les modalités
dadministrations de « nouvelles molécules » peuvent être une
opportunité, pour revisiter nos pratiques.
Mots clés Organisation des soins · Satisfaction du patient ·
Nouvelles molécules · Temporalité · Psycho-oncologie ·
Épuisement professionnel
Abstract Scheduling, timetabling and waiting time challen-
ges are becoming decisive in the current context of care,
which is most often provided as an outpatient. At the day
unit, successive encounters with care providers for treat-
ments and screening of symptoms are often brief moments
in time, but which nevertheless ensure the continuity of care,
which is rhythmical, like a ritual, by the Hospital of the
day. Can this day be freed from the restrictions of a hurried
temporality, one ruled by the clock and obligations, and
through its discontinuity create time for the individual and
dedicate more time to each persons story? A better unders-
tanding by the care providers of the various dimensions of
perceived temporality would allow agreementsto be set
up, based on categories, such as lost time, good-byetime
or given time. This time, which was not scheduled and, sur-
prisingly, does the most to remedy resentment. A discussion
between an oncologist and a psycho-oncologist provides
some of these conditions, whereas changes in the method
of administering new moleculesmay be an opportunity
to revise our practices.
Keywords Organisation of care · Patient satisfaction · New
molecules · Temporality · Psycho-oncology · Occupational
burnout
« Le temps est un phénomène de perspectives. »
(Jean Cocteau)
La notion de temps est omniprésente en cancérologie :
« combien de temps va durer mon traitement ? »«Combien
de temps me reste-t-il à vivre ? »Ces questions reviennent
de façon récurrente lors des consultations des patients avec
leur oncologue, mais aussi lors dentretien avec dautres pro-
fessionnels de santé (infirmières, psychologues et psychiatres
en particulier). Même si la valeur du temps correspond à une
unité « objective », généralement exprimée en mois en onco-
logie, le vécu de cette durée semble variable selon le point de
vue du patient ou des soignants. Lamélioration des taux de
P. Saltel (*)
Centre Léon-Bérard, 28, rue Laennec, F-69008 Lyon, France
e-mail : [email protected].fr
C. Levy
Centre François-Baclesse, F-14076 Caen cedex 05, France
Psycho-Oncol. (2015) 9:214-220
DOI 10.1007/s11839-015-0546-y
guérison de différents cancers grâce à la mise au point de
thérapies plus efficaces et/ou plus ciblées modifie le regard
des patients et plus globalement de la socié sur cette notion
de temps. Par ailleurs, de nouveaux modes dadministration
de certains traitements : voie orale (capécitabine, vinorelbine,
lapatinib) et plus récemment voie sous-cutanée (trastuzumab,
denosumab) retentissent sur lorganisation du temps dédié au
traitement (réduction du temps nécessaire à la préparation et à
ladministration des traitements intraveineux), ce qui peut
faire évoluer et améliorer le vécu quont les patients du dérou-
lement de la prise en charge. Nous tenterons danalyser ici, au
travers dun « dialogue » entre psycho-oncologue et oncolo-
gue, les différentes composantes de cette valeur temps et leur
évolution dans le contexte de la cancérologie à lère des trai-
tements individualisés.
De nouvelles temporalités en cancérologie
Loncologue
Lincertitude concernant le pronostic de la maladie et les
possibilités de guérison reste une dimension bien particulière
en cancérologie. Le terme de « longue maladie » témoigne
de cette difficulté à pouvoir assurer un jour la guérison mais
tout autant la possibilité de traitements prolongés. Les
patients, eux, expriment souvent ce sentiment que « le temps
est compté » ! Il se partage entre les phases de traitement et
les périodes de rémission exposées au risque de la récidive.
Même dans les situations de « bon pronostic », la guérison
est toujours difficile à garantir, les rechutes peuvent être très
tardivesOn voit donc que la perspective donnée à la per-
sonne malade est un espace-temps centré sur la maladie,
souvent imprévisible et dans laquelle il lui est difficile de
se projeter.
Larrivée de thérapeutiques innovantes a ouvert de nou-
velles perspectives :
apparition de la notion de « thérapie ciblée » puis de
« médecine personnalisée » : ces termes peuvent induire
la confusion dans lesprit des patients. Les traitements
ciblés sont dirigés vers une spécificité biologique de la
cellule cancéreuse et non une spécificité de la personne
malade, et cette représentation différente de la maladie
entre le patient et loncologue peut être la source dune
possible frustration pour le patient. Il paraît donc préfé-
rable de parler de médecine « individualisée » ;
possibilité de maintenir une pression biologique sur les
cellules cancéreuses par une maintenance des thérapies
ciblées, laissant espérer la transformation du cancer en
« maladie chronique », notion à lévidence bien différente
de celle de guérison espérée par les malades.
Ces distinctions ne sont pas purement terminologiques,
elles mettent en exergue des différences de représentation
de la maladie qui peuvent générer insatisfaction ou incom-
préhension de la part des patients, compliquer le dialogue
avec les soignants et perturber limage que leur renvoie
la société.
Le psycho-oncologue
Cest le cas de la notion de chronicité, désormais assez uti-
lisée, mais que la dialectique « prolongation/échappement »,
liée à lefficacité limitée dans le temps de ces nouvelles thé-
rapeutiques, rend bien relative en justifiant la réflexion
des patients : « cela ne bouge pas, mais il ny a pas
damélioration ! ».
Devrait-on mieux définir les catégories de « maladie évo-
lutive » et de « maladie stabilisée », pour ne pas en rester à
linsistance de cette prédiction : « cela échappera inélucta-
blement» ? La plainte si habituelle, « je ne peux plus faire
de projets», témoigne de la complexité du temps « perçu »
et entretient la quête dun pronostic ou dune espérance de
vie quantifiée qui rend laléatoire insupportable.
Cependant, lavenir ne peut se prescrire, même sil paraît
dépendre de lefficience provisoire dune molécule, et en
risquant dassimiler projets et avenir, on néglige linjonction
philosophique de Heidegger : « Tout commence avec lave-
nir » [1]. La dimension humaine de lavenir appartient au
temps présent, il est demblée le ressort dune curiosité au
possible et ainsi paradoxalement, il précède lépreuve dune
réalité « concrètement » matérialisée pour en être plutôt la
condition suffisanteDe même que la mémoire du passé se
réécrit chaque jour à laune des péripéties actuelles, le futur
est toujours une hypothèse déjà mise à lessai, selon plu-
sieurs options
Le temps, une dimension de la « satisfaction »
du patient en soins ambulatoires, bien
paradoxale !
Loncologue
Les patients, les soignants ainsi que les établissements de
santé ont dû sadapter à lévolution des thérapeutiques avec
la multiplicité de lignes de traitement, parfois sur plusieurs
années. Aujourdhui, ce sont les « traitements de mainte-
nance » spécifiques des thérapies ciblées, qui maintiennent
la pression sur les cellules cancéreuses en situation « daddic-
tion » par rapport à la cible incriminée. Maintien facilité par
la bonne tolérance de ces traitements au long cours, ce qui
était auparavant impossible avec la plupart des chimiothé-
rapies. Ainsi, la nécessité dun maintien du trastuzumab
(un an en adjuvant, traitement très prolongé en phase
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métastatique) dans le cancer du sein HER2+ oblige les
patientes à des venues régulières à lhôpital, ce qui va avoir
des conséquences sur leurs habitudes de vie.
Àlinverse, la durée des séjours hospitaliers sest considé-
rablement raccourcie au fil des années ; la quasi-totalité des
traitements sont réalisés en ambulatoire en hôpital de jour
(HJ), ce qui limite le temps des échanges entre les patientes
et les soignants. La présence de la patiente à lpital se
résume à la durée de lacte technique (perfusion)et parfois
surtout à lattente en HJ !
Il importe donc de réfléchir à la façon dont les protago-
nistes de cette relation vont pouvoir gérer cette évolution.
Les patientes font valoir leur souhait de minimiser le temps
passé à lhôpital, mais attendent que ce temps soit utilisé au
mieux (limitation du temps dattente, disponibilité et écoute
des équipes) [2]. Cette attente légitime à titre individuel peut
savérer difficilement compatible avec les exigences organi-
sationnelles de létablissement et la nécessité dêtre dispo-
nible pour tous les patients ; la nécessité de prioriser le col-
lectif peut alors entrer en compétition avec les exigences
individuelles
Le psycho-oncologue
Le temps « perçu » est une composante de létat émotionnel
comme le rapporte le travail de Wittmann et al. conduit à
Munich [3]. Cette équipe a proposé à des patients hospitali-
sés (88 patients) en oncohématologie de donner leur estima-
tion en minutes pour une période de temps délimitée par
deux sonneries successives (dans lexpérience décrite, un
temps de 13 minutes) ainsi que plus globalement, leur
manière de le vivre dans ce contexte hospitalier. On recueil-
lait en outre les scores de divers questionnaires dautoéva-
luation : QOL, psychologie, douleurLes résultats indi-
quent que lestimation de la durée est en moyenne un peu
plus « longue » que le temps « réel » (16,5 minutes) et que
son « ressenti » est évalué de manière mitigée (5.01, pour
une EVA O 10). La surestimation de la durée est plus
importante chez les 20 % de personnes dont lautoévaluation
pour lanxiété est supérieure à lHADS (considéré donc
comme sévère), mais le temps passé nest alors pas plus
mal vécu. Par contre, le temps passe plus « vite » (durée
estimée et satisfaction) lorsque les scores de QOL sont plus
favorables sur le plan des émotions et de la spiritualité
(FACT). On peut être surpris que les scores de dépres-
sion (18 % du groupe) et même de douleur naient, eux,
pas dinfluence sur ces deux types de résultats.
Les neurosciences grâce aux enregistrements par Pet-
Scan montrent comment la diversité des temps « perçus »
relève de structures cérébrales distinctes : le temps de
lattente dit « temps implicite », celui pendant lequel on se
prépare à une situation anticipée participerait dune activité
importante surtout au niveau du cervelet, alors que la durée
estimée dune action en cours, dite « temps explicite »,
répondrait plutôt de lactivation de zones corticales motrices
et visuelles ainsi que de lhippocampe (fonction de mémori-
sation). Anderson et al. [4] explorent cette dimension sub-
jective de lattente en sefforçant de corréler la « Satisfac-
tion » de patients en soins ambulatoires, selon deux
paramètres : durée de lattente et durée de la consultation
médicale ! Lorsque la consultation avec le médecin a duré
plus de 30 minutes, les scores de satisfaction sont très élevés
quel que soit le temps de lattente. Même quand il a été dans
ce cas de plus dune heure, le score de satisfaction reste au
moins égal à la situation où lattente mais aussi la consulta-
tion se limitent chacune à 30 minutes !Pour une consul-
tation de moins de 15 minutes, il faudra que lattente soit
inférieure à 15 minutes pour que la satisfaction soit supé-
rieure à ce timing des 30 minutes.
Si on accepte de considérer le temps perçu, « décompté »,
comme une perception sans « organe » unique, mais très
influencée par des processus attentionnels et les émotions,
peut-être se sent-on dès lors moins à sa merci et retrouve-
t-on une « liberté » que lorganisation des soins pourrait
exploiter ? Une réflexion sur des notions comme celle de
« rythme » encouragerait les soignants à sengager dans la
relation de soins sans cette crainte si fréquente : « On na
jamais le temps
Cest en effet ce quexpriment les infirmières dans une
enquête récente menée au sein dHJ dans divers établisse-
ments français (enquête « Temporelles » : 630 infirmières,
dont 64 % travaillant uniquement en HJ) [5]. Elles sont très
satisfaites de cette affectation aux soins ambulatoires, que
pour la plupart elles ont choisie et qui leur permet de suivre
leurs patientes sur de longues périodes avec la possibilité de
créer de vraies relations (cest lavis de 66 % dentre elles),
mais elles se disent frustrées de ne pas avoir selon elles assez
de temps à leur consacrer. Cest la dimension découte et de
soutien psychologique aux patientes qui leur paraît la moins
bien accomplie. Elles ne sont que 46 % à en être satisfaites,
alors que pour ce qui concerne les soins infirmiers et linfor-
mation délivrée à propos des médicaments et des risques
deffets secondaires, 80 % le sont !
Dans cette même enquête, la satisfaction des patientes est
en parallèle recueillie (4 000 patientes traitées pour cancer
du sein et ayant accepté de répondre anonymement aux
autoquestionnaires mis à leur disposition). Ces femmes, dont
30 % ont moins de 50 ans, continuent à travailler dans 13 %
des cas et élèvent des enfants encore jeunes pour plus de
20 % dentre elles, passent au moins deux heures (80 %
des cas) et parfois jusquàplus de cinq heures à lHJ, quand
elles y viennent pour leur soin ! Dans 30 % des cas, elles
attendront ladministration du traitement plus dune heure.
Néanmoins, la majorité ne considère pas ce temps passé à
lhôpital comme trop contraignant même si le temps
dattente lié à la préparation des traitements est jugé trop
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long pour près de la moitié. Elles se disent satisfaites de
lécoute, de laide apportée par les infirmières, et les trois
quarts ont des échanges avec dautres patientes que plus de
80 % jugent utiles et réconfortants (néanmoins, seulement
20 % indiquent que ce nest pas du tout démoralisant).
Cette nette différence dappréciation entre professionnels
et patientes, à propos de la qualité de la relation dans ce
contexte si exigeant de lambulatoires, nest pas tant un mal-
entendu que la manifestation de limportance accordée par
chacun à ces moments, mais dont la spécificité reste peut être
mal reconnue. Lécart dans le jugement porté sur la situation
àlHJ entre les patientes et les infirmières pourrait-il témoi-
gner de la dimension « projective » que peut avoir son inves-
tissement, tant celui-ci est en effet inséparable de la relation à
lautre ? Ce temps qui se donne, qui se prend, qui se perd
participe dailleurs comme le médicament de la catégorie des
« objets » au sens quil suscite envie, besoin, désir et quune
dimension pulsionnelle y est attachée ! [6]. La clinique de
tout soignant est émaillée de réactions plus ou moins mani-
festes à propos de comparaisons attentives du timing attendu
dun soin. Les patients peuvent dans ce contexte parfois se
sentir oubliés, mal considérés, délaissés et ainsi faire obser-
ver amèrement que dautres patients semblent eux « passer
plus vite »
En fait, de ces moments successifs, qui ne peuvent être
inscrits seulement dans une routine efficace, peut-on en faire
une opportunité, celle dun temps quasi élastique, propice à
la surprise mais aussi à lennui ? Cest le vieux sens du mot
interstice, un espace de temps, ce terme si commode aux
« psys » pour illustrer des rencontres souvent fugaces,
impromptues où la distribution des rôles nest pas trop éta-
blie à lavance comme le seraient soit le rituel dun soin en
hospitalisation classique ou la consultation en colloque sin-
gulierQuelque chose comme un temps volé, celui des
échanges impromptus dont, selon lopinion des patientes
de létude « Temporelle », les infirmières malgré leur rythme
de travail ne sont pas si avares, comme elles risquent de le
croire.
Le temps des « soins de support » :
une synchronie des actions
Loncologue
La mise au point de formes galéniques plus adaptées aux
traitements de longue durée modifie progressivement la pro-
blématique du temps. Lapparition de traitements oraux
(inhibiteurs de tyrosines-kinases tel le lapatinib) et plus
récemment de formes sous-cutanées (trastuzumab par voie
sous-cutanée) est lopportunité dune simplification du trai-
tement, en réduisant le temps passé à lhôpital (suppression
du temps de préparation en pharmacie, réduction du temps
dadministration). On peut espérer que ces aménagements
contribueront à améliorer lobservance des traitements au
long cours. Mais les patientes attendent aussi que le temps
passé à lHJ soit mieux utilisé, et en plus daménager lorga-
nisation de ladministration du traitement (par ex. : circuits
dédiés, recueil anticipé des bilans biologiques), il faut faci-
liter laccès à des soins de support.
Le psycho-oncologue
Selon les étapes de lévolution de la maladie, on observe des
changements des souhaits et besoins exprimés par les
patientes : à la phase métastatique par exemple, lattention
aux soins corporels et esthétiques devient plus importante,
témoignant ainsi dun « souci de soi » qui vient moduler
linvestissement auparavant souvent exclusif dune recher-
che de « guérison » presque à tout prix[7].
La représentation des thérapeutiques par chimiothérapie
classique [8] était très ambivalente, semblant lier étroitement
la toxicité du poison à limportance de lefficacité dun
remède dont on acceptait de subir les effets violents. Dès
lors, la maladie « existait » à lesprit de la patiente, des pro-
ches mais et aussi des soignants comme un état de dégrada-
tion physique, dépuisement moral cruel.
Avec les thérapeutiques actuelles, la maladie cancer
devient une période de la vie qui pourrait sinscrire sans trop
damertume dans une destinée. Le sentiment de révolte peut
sestomper à la condition que les répercussions physiques et
psychologiques aient été convenablement traitées. Le
recours de plus en plus fréquent aux diverses techniques de
soins corporels (socioesthétique, massages), aux nom-
breuses activités créatives proposées dans les établissements
de soins, et surtout par des associations proches du domicile,
semble confirmer ces évolutions. Il ne sagit plus seulement
de survivre, de tout sacrifier aux traitements spécifiques,
mais enfin de « revivre » !
Loncologue
Il devient évident que le seul oncologue ne peut prétendre à
apporter les réponses à lensemble de ces problèmes. Le pre-
mier Plan cancer avait priorisé lamélioration de la qualité de
linformation lors de la prise en charge initiale, en particulier
par le dispositif dannonce et, aujourdhui, on doit conforter
la continuité du lien qui est indispensable tout au long de la
maladie, même sil est possible que le malade et son médecin
nenvisagent pas de la même façon lévolution de cette rela-
tion. Lors des séquences où le traitement se limite à des
administrations assez espacées (tel le trastuzumab), la pré-
sence médicale est allégée, ce qui réduit en parallèle le temps
découte et de dialogue. Cependant, une grande fragilité
émotionnelle persiste, entretenant un sentiment « daban-
don ». À larrêt de ces thérapeutiques, la crainte du risque
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de récidive augmente, même si une possible alternance de la
prise en charge avec le médecin traitant et/ou le spécialiste
dorgane est alors proposée.
Encourager la patiente à retourner vers sa « vie davant »
passe par une plus grande implication du médecin traitant
(ou du gynécologue) dans le suivi et un espacement des
venues à lhôpital. Elle permet aussi aux établissements
dalléger la charge de travail des équipes soignantes, très
sollicitées par les traitements lourds.
Une présence soignante qui orchestre
la diversité des temps ?
Le psycho-oncologue
Les patients réagissent souvent à cette injonction de devoir
vivre « normalement » en revendiquant que leur cancérolo-
gue garde une certaine « préoccupation » à ce sujet, mais
limplication dautres spécialistes appartenant à divers
métiers est désormais une condition de la « continuité des
soins ». En plus dapporter plus de disponibilité et deffica-
cité par la conjonction des compétences, le fait que chaque
intervenant ait une relative autonomie, que les lieux de soins
soient distincts, que les moments se succèdent restitue au
patient une responsabilité, des initiatives qui légitiment ce
nouveau rôle quon lui confie, celui dêtre son « propre
expert », pour ne pas dire son propre cobaye.
Paradoxalement, la discontinuité des rencontres, des pro-
pos, peut « libérer » sa parole et autoriser une expression
susceptible de révéler les enjeux psychologiques les plus
secrets de la situation ! La psychologie enseigne, en effet,
que « laccès » à ce quil est habituel de nommer lIncons-
cient ne se fait pas tant par de longs moments dentretiens
bien programmés que par des effets de « surprise » et donc
plutôt comme chacun le sait, par un « acte manqué », un
oubli, une émotion inattenduepour sévanouir aussitôt.
Cest de cette discontinuité des manifestations dont le
cadre dit « psychothérapique » cherche à profiter, circonve-
nant ainsi les résistances habituelles à de tels « dévoile-
ments » ! Dans le contexte de la cancérologie et plus parti-
culièrement des « soins de support », cette succession de
brèves interactions soignants/patient, dont ensuite celui-ci
pourra parler avec chacun, constitue le fil conducteur dun
cheminement permettant dacquérir plus daudace et de
confiance pour persévérer dans cette longue « trajectoire »
quest encore aujourdhui la « prise en charge » de la plupart
des formes de cancer.
Loncologue
La relation médecinmalade a considérablement évolué,
passant dune relation jugée paternaliste (entre un médecin
« décideur » et un patient recevant « passivement » son
traitement) à une relation plus équilibrée entre les deux par-
ties, laissant au patient la possibilité de faire entendre ses
besoins et ses souhaits. Lapparition de nouvelles thérapies
et de nouveaux modes dadministration contribue à non seu-
lement à améliorer lefficacité des traitements, mais aussi
modifie les représentations que les patients se font de leur
maladie.
Le psycho-oncologue
Les nouvelles générations de médecins sont aujourdhui
confrontées à une « extension » des attentes des patients,
mais surtout de la part de lensemble du groupe social. La
médecine est interpellée sur de nombreux sujets et les règle-
ments, « avis », « lois » se succèdent. Les décisions médica-
les sont très encadrées par des procédures soumises à des
discussions pluriprofessionnelles et impliquent donc tou-
jours plus de temps. Lexigence de disponibilité qui appar-
tient à la mission du médecin devient la contrainte dêtre
presque « à disposition » pour tout et aussi pour tous !
Lapparition des nouveaux métiers du soin (exemple des
infirmières cliniciennes) peut leur permettre despacer les
colloques singuliers et faire des temps passés à lHJ pas tant
un « substitut » quune autre « mise en scène » de la manière
désormais de pouvoir être soigné. Les diverses catégories
dacteurs et dactions qui sy trouvent, incarnent en quelque
sorte la globalité de lexpérience vécue et combien le « par-
cours de soins » concerne de nombreux aspects. Cette mobi-
lisation, ces rencontres avec les nombreuses autres person-
nes malades font accepter de devoir revisiter bien des
investissements de sa propre vie, à ne pas être contraint
de tout faire « comme avant » pour éviter une certaine
stigmatisation !
Diachronie dun récit, celui des crises
et changements
Loncologue
La gestion du temps reste donc une priorité dans la prise en
charge des patients cancéreux dans le but de les aider à inves-
tir de façon positive ce temps gagné sur la maladie et les trai-
tements. Certains y voient lopportunité de sadonner enfin à
une activité quils navaient pas eue le temps de réaliser avant,
alors que dautres ont besoin de se recentrer sur eux-mêmes
(prendre soin de soi, être à lécoute de son corps), et
dautres enfin auront le souci de faire profiter les autres
(famille, amis) de ce temps disponible. Quelle que soit
la manière, cet investissement peut être à la fois une façon
doublier la maladie et ses symptômes, mais aussi pour cer-
tains patients loccasion de se découvrir « autre » : se
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