Abordons tout d’abord la classifica-
tion actuelle, qui est purement caté-
gorielle. C’est-à-dire que la patholo-
gie est définie par un nombre seuil de
symptômes prédéfinis. S’il en
manque un, le trouble n’est pas re-
connu, alors que l’on sait bien que les
évolutions sont fluctuantes. Si le
seuil est atteint et qu’il existe des co-
morbidités qui n’atteignent pas le
seuil, c’est comme si le patient ne
présentait qu’un seul trouble. Ceci
ne correspond pas à la réalité cli-
nique.
Les cliniciens ne reconnaissent par
leur patient dans une entité catégo-
rielle mais dans une complexité et
une globalité faite de différentes di-
mensions. Si on a des diagnostics pu-
rement catégoriels ; c’est-à-dire que
si 10 % des patients se présentant
chez le médecin généraliste sont dé-
primés et 2 % ont un trouble pa-
nique, alors seuls 2 % présentent la
comorbidité. À la lecture du
tableau 1, on s’aperçoit que la co-
morbidité n’est pas de 2 % mais plus
de 90 %. Et il en va de même pour le
reste des troubles mentaux décrits
dans le tableau. Les catégories n’ont
pas de sens. Les psychiatres qui affir-
maient que la clinque est plus com-
plexe, faite de multiples facettes qui
doivent être prises en compte pour la
description du malade et son traite-
ment, ont donc parfaitement raison.
De plus, la psychiatrie catégorielle in-
duit des fluctuations majeures de la
prévalence des troubles dès que l’on
change le seuil, et peut faire craindre
une extension exagérée. Les travaux
d’Akiskal en sont l’illustration, fai-
sant passer la prévalence du trouble
bipolaire de rare à fréquente.
Le nombre de prescriptions hors
AMM est en faveur du manque
d’adéquation de la psychiatrie caté-
gorielle à la pratique clinique. De plus
cette psychiatrie catégorielle présen-
te une certaine toxicité. En effet, il
n’y a pas d’indication possible en de-
hors de ces catégories, ce qui em-
pêche toute recherche en dehors de
ces catégories.
Il faut donc se rappeler :
que les troubles sont également
composés d’autres symptômes que
ceux présents dans les critères de
telle ou telle catégorie d’une part
et que d’autre part une approche di-
mensionnelle peut être utile. Une ap-
proche multifactorielle, dimension-
nelle plus que strictement
catégorielle est nécessaire.
L’approche dimensionnelle (comme
le montre le tableau 2) consiste à dé-
crire directement ce que l’on obser-
ve chez le patient, c’est-à-dire ce qui
existe à savoir un ensemble de don-
nées et de dimensions (dépressive,
impulsive, anxieuse, addictive…)
sans évoquer de nombre seuil de
symptômes – qui définit la frontière
entre le normal et la pathologique
dans l’approche catégorielle –, donc
sans réduire le sujet à un ou deux
diagnostics catégoriels dans lesquels
le seuil est atteint. Dans cette nou-
velle approche, chaque dimension est
notée, le tableau est donc plus com-
plexe.
À propos des
symptômes oubliés
– c’est-à-dire autres que ceux dé-
crits dans la CIM-10 ou le DSM-IV :
cf. tableau 3 – il faut savoir que les
symptômes qui ont été choisis com-
me critères, sont ceux pour lesquels
des données existaient à l’époque où
DSM-III et III-R ont été créés. Ces
symptômes étaient ceux que l’on re-
trouvait dans les échelles de mesure
des années 1960. Les symptômes sé-
lectionnés pour figurer parmi les
échelles étaient ceux qui étaient mo-
difiés par les traitements antidépres-
Y. Lecrubier L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S35-S38
S 36
La dépression : des pratiques aux théories 10
Major depression
Proportions
Dysthymia
Mania/Hypomania
Any mood disorders
Generalized anxiety
Panic disorder
Social phobia
Simple phobia
Agoraphobia
PTSD
Any anxiety disorder 74,
81,
87,
83,
81,
92,
89,
82,
99,
91,
83,
0 255075100
TABLEAU 1. — Proportions of NCS-DSM-III-R disorders with other lifetime
mental disorders (Wittchen 2000).
0
20
40
60
80
100
Dim 1 Dim 2 Dim 3 Dim 4
TABLEAU 2. — Dimensions.